Patti Smith, le rock et l`esprit franciscain
Transcription
Patti Smith, le rock et l`esprit franciscain
Autrement dit mardi 11 septembre 2012 25 PORTRAIT Invitée samedi de la Fête de « L’Humanité », la chanteuse américaine a une attention particulière pour les figures de sainteté, en particulier saint François d’Assise Patti Smith, le rock et l’esprit franciscain REPÈRES Une œUvre mUltiple P Patti Smith est née en décembre 1946 à Chicago. Elle a passé son enfance dans le New Jersey. P À l’âge de 20 ans, elle s’installe à New York où elle fait la connaissance de Robert Mapplethorpe, qui deviendra un célèbre photographe. P Patti Smith a d’abord écrit de la poésie avant d’aborder la musique rock. Depuis 1975, elle a publié une douzaine d’albums. Le dernier disque en date, Banga, a été publié au printemps par Sony Music. P En 2008, la Fondation Cartier à Paris lui a consacré une exposition présentant les différentes facettes de son travail artistique : poésie, musique, dessins, photographies. P En 2010, elle a publié un très beau récit, Just Kids, dans lequel elle raconte ses débuts new-yorkais et l’amour qu’elle a vécu avec Robert Mapplethorpe. Ce livre a été couronné aux États-Unis par un National Book Award. Édité en France par Denoël, il a récemment été republié dans la collection Folio. RichaRd Pak / PictuRetank Samedi soir, à la Fête de L’Humanité, Patti Smith jouera avec son groupe devant des dizaines de milliers de personnes. Un rendez-vous avec la grande foule, comme cette figure légendaire de la scène rock en a connu souvent. Ce concert aura été précédé par un autre, beaucoup plus intime. Vendredi soir, au théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, l’artiste américaine donnait un récital, accompagnée seulement par deux musiciens. Son fils Jackson à la guitare et sa fille Jesse au piano. Chaque année à la même époque, ils se retrouvent pour jouer ensemble afin de marquer une date, l’anniversaire du guitariste Fred Sonic Smith, leur mari et père, brutalement décédé le 4 novembre 1994 à l’âge de 45 ans. Patti Smith tient beaucoup à ces moments musicaux dépouillés dans des lieux inhabituels. En particulier, cette femme qui ne se lasse jamais d’entrer dans les églises pour y méditer, aime y jouer. Comme, le 26 juillet dernier, cette aubade – il était 11 heures du matin – dans la basilique Saint-François à Arezzo (Toscane). Elle concluait ainsi une « exploration » commencée il y a plusieurs années. La chanteuse est encore remuée lorsqu’elle évoque ce souvenir. « En 2009, nous étions à Arezzo pour un concert. Au petit matin, j’ai fait un rêve atroce. Dans des images de fin du monde, j’ai vu saint François d’Assise pleurer des larmes de sang. Je me suis levée, je suis sortie de mon hôtel et je suis entrée dans l’église voisine pour essayer de trouver un peu de paix. Et j’ai découvert que j’étais dans une basilique dédiée à saint François ! Deuxième choc : les fresques de Piero della Francesca qui ornent le chœur et surtout le fragment consacré au Rêve de Constantin. J’avais en mémoire cette image d’un roi endormi, veillé par un page et des gardes. Je l’avais vue un jour en reproduction sans savoir d’où elle venait et je désespérais de la retrouver… » De cette double vision est née Constantine’s Dream, une des chansons les plus fortes de Banga, le dernier album de Patti Smith, paru au printemps dernier. Pour l’écrire, elle a beaucoup travaillé. « Pendant un an, j’ai étudié la vie de saint François, qui, jusque-là, n’avait pas occupé une grande place dans mon esprit. Un ami italien m’a fait découvrir les lieux où il a vécu, en Ombrie et en Toscane, les lieux où sainte Claire a vécu, les fresques de Giotto à Assise… » De cette fréquentation du saint, Patti Smith a retenu son choix Figure légendaire de la scène rock, Patti Smith ne se reconnaît pas d’appartenance religieuse, mais elle fréquente la Bible depuis son enfance. radical de la pauvreté. « Dans notre monde dévoré par le matérialisme, l’humilité de saint François est un extraordinaire exemple. Sans renoncer à tout comme il l’a fait, si nous renoncions seulement à une partie de ce que nous avons, à une partie de ce que nous achetons, nous aurions un monde meilleur. » Patti Smith ne se reconnaît pas aujourd’hui d’appartenance religieuse. Mais elle s’intéresse depuis longtemps aux saints et aux martyrs. Au printemps dernier, elle a publié un très beau texte évoquant ce que Jeanne d’Arc représentait pour elle quand « On ne nous demande elle avait 20 ans. « Elle me donnait pas de faire plus l ’e x e m p l e d e que ce dont nous quelqu’un qui avait eu la force de tout sommes capables. sacrifier pour rester Mais au moins fidèle à ses convicfaisons cela. » tions. Cela ne veut pas dire qu’il faut suivre cet exemple jusqu’à la mort, mais on peut essayer de le faire dans de petites choses, jour après jour. » Citant Mère Teresa, la chanteuse ajoute : « On ne nous demande pas de faire plus que ce dont nous sommes capables. Mais au moins faisons cela. Si chacun de nous s’y mettait, les petites choses se transformeraient en grandes choses. » Étonnante conversation : une star du rock préoccupée par les « petites choses ». L’explication se trouve dans une vie commencée il y a soixante-cinq ans dans une famille très modeste « mais riche humainement, philosophiquement ». Sa mère était membre des Témoins de Jéhovah. Son père, incroyant, était resté très marqué par ses années de guerre dans le Pacifique. Il y avait beaucoup de livres à la maison, la Bible bien sûr, que Patti Smith a fréquentée dès son enfance. Le temps est venu où la jeune femme est partie pour New York, rêvant de devenir une artiste. Elle y est parvenue, connaissant un succès mondial à la fin des années 1970 avec la chanson Because The Night, coécrite avec Bruce Springsteen. Pourtant, Patti Smith va alors quitter la scène pour une quinzaine d’années. Fred Sonic Smith, qu’elle vient d’épouser, souhaite avoir des enfants et vivre à l’écart du monde. « Pour moi, raconte-t-elle, c’était une décision difficile mais je l’ai prise parce que j’aimais profondément mon mari. Nous avons alors vécu avec très peu d’argent. Je suis retournée à mes origines. J’ai fait comme ma mère : je récurais le sol, je préparais les repas, je réparais les vêtements des enfants. Mais j’avais beaucoup de chance. D’abord, parce que, loin du public, je n’ai pas interrompu mon travail d’artiste. J’étudiais, j’écrivais tous les jours. Et puis j’aimais mes enfants. » « Comme jeune artiste, poursuit Patti Smith, je n’avais pas imaginé à quel point c’est beau d’avoir des enfants. Je voulais voir le monde et produire de l’art. Avec mes enfants, j’ai appris que je n’avais pas besoin d’être le centre de l’univers pour créer des œuvres artistiques. Je pouvais continuer mon travail, il en devenait même encore plus fort. J’ai appris à devenir véritablement un être humain. C’est merveilleux d’être un artiste. Mais si on parvient à combiner les deux, c’est vraiment spécial ! » Au milieu des années 1990, Patti Smith va revenir vers la vie publique, portant en elle toute son histoire qu’elle partage aujourd’hui avec son public. Ses chansons sont souvent centrées sur des personnes : Frederick son mari, le photographe Robert Mapplethorpe (1946-1989), son premier grand amour, la chanteuse Amy Winehouse ou l’actrice Maria Schneider (elle leur rend hommage dans son dernier disque), François d’Assise… C’est pour elle la façon la plus humaine d’ouvrir avec ses auditeurs « une conversation sur notre monde ». GUILLAUME GOUBERT