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L’Encéphale (2008) 34, 526—533
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
THÉRAPEUTIQUE
Place de l’électroconvulsivothérapie de maintenance
dans le traitement des schizophrénies résistantes
Maintenance electroconvulsive therapy and
treatment of refractory schizophrenia
M. Lévy-Rueff ∗, A. Jurgens, H. Lôo, J.-P. Olié, I. Amado
Inserm, U796, physiopathologie des maladies psychiatriques, centre hospitalier Sainte-Anne,
faculté Paris-Descartes, université Paris-Descartes, 7, rue Cabanis, 75014 Paris, France
Reçu le 14 mars 2007 ; accepté le 31 août 2007
Disponible sur Internet le 11 janvier 2008
MOTS CLÉS
Électroconvulsivothérapie de
maintenance ;
Thérapeutique ;
Schizophrénie
résistante
∗
Résumé L’efficacité de l’électroconvulsivothérapie (ECT) chez les sujets schizophrènes a été
établie sur les symptômes hallucinatoires, excitatoires et catatoniques mais peu de données
existent sur l’effet à long terme des cures de maintenance (ECT-M).
Nous avons étudié rétrospectivement, dans une population de 19 patients, les indications des
ECT-M, leur efficacité sur la symptomatologie et sur la qualité de vie, les conditions de rechutes
et les traitements médicamenteux associés.
Ces cures sont indiquées lors d’accélération des épisodes aigus en fréquence et en intensité,
de résistance, d’inefficacité ou de mauvaise tolérance des traitements médicamenteux, de
rechute à l’arrêt des ECT. Tous les patients avaient répondu antérieurement aux ECT en aigu et
ont reçu en moyenne 47 ECT-M. Tous étaient sous traitement antipsychotique, 30 % recevaient
des thymorégulateurs, 10 % des antidépresseurs.
Sous ECT-M, on observe une amélioration nette des symptômes thymiques, anxieux, des
troubles du comportement alimentaire et un enkystement ou une disparition du délire ainsi
qu’une efficacité sur le risque suicidaire. En revanche, l’ECT-M est peu efficace sur la dissociation et les symptômes négatifs.
Le temps moyen annuel d’hospitalisation et le temps moyen par hospitalisation ont diminué
parallèlement à une amélioration de la qualité de vie.
L’ECT-M en adjonction aux antipsychotiques représente donc une réelle opportunité thérapeutique pour les schizophrénies résistantes et il apparaît nécessaire d’en définir plus précisément
les modalités et les indications.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (M. Lévy-Rueff).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008.
doi:10.1016/j.encep.2007.08.008
Electroconvulsivothérapie de maintenance et traitement des schizophrénies résistantes
KEYWORDS
Maintenance
electroconvulsive
therapy;
Refractory
schizophrenia;
Treatment
527
Summary
Background. — Electroconvulsive therapy, a standard treatment in mood disorders, is sometimes
also indicated in psychotic disorders, especially in the treatment of refractory schizophrenia.
In this instance, maintenance electroconvulsive therapy (M-ECT) can also become a long-term
treatment. This paper presents the effects of M-ECT in the treatment of refractory schizophrenia using a retrospective analysis. Previous works showed that electroconvulsive therapy
is effective on catatonia, anxiety with somatisation, lack of compliance, opposition, delusions
especially with hallucinations and persecution, anorexia, agitation, carelessness, aggressive
behaviour and moral pain. It is ineffective on bewilderment, somatic complaints and negative
symptoms.
Aim of the study. — A retrospective analysis of a clinical cohort of patients treated with M-ECT
was carried out to determine the specific indications of M-ECT, its effectiveness on clinical
symptoms, quality of life, relapse rates and use of medication.
Nineteen patients with DSM-IV diagnosis of paranoid schizophrenia (n = 5), schizophrenia with
neurotic symptoms (n = 3), disorganized schizophrenia (n = 1), hebephrenia (n = 3) and schizoaffective disorder (n = 8), treated in the department of the University Hospital of Sainte-Anne in
Paris, received M-ECT between 1991 and 2005. Seven patients are still under this treatment.
Their mean age at the beginning of treatment was 47.5 years with a mean duration of the
illness of 24 years.
The indication of M-ECT was the increase of acute episodes, an increase of symptoms intensity,
the inefficiency or intolerance to pharmacological treatments or an early relapse after ECT
discontinuation.
All patients had previously been successfully treated by ECT during an acute episode.
Each patient received an average of 47 bilateral M-ECT under general anaesthesia at one
to five weeks’ intervals for a mean period of 43 months. All of them were also treated by
antipsychotics; in addition, 30% received mood stabilizers and 10% antidepressants. The dosage
of antidepressants and mood stabilizers was reduced during M-ECT treatment, especially in
patients with schizoaffective disorder, probably in relation with the effectiveness of ECT on
mood symptoms.
Results. — During M-ECT, the mean duration of yearly hospitalizations was decreased by 80% and
the mean duration of each hospitalization by 40% with a better ability to take part in activities,
sometimes even to return home or go back to work.
There was also a positive effect on quality of life considering the severity of symptoms and the
long psychiatric history of these patients. The possibility to go from a full time hospitalization
to a day-care facility or to live in a halfway house can be considered as a huge progress.
M-ECT was efficient on mood symptoms, delusions, anorexia, suicidal impetus, anxiety symptoms and increased cooperation and treatment compliance. Efficacy on obsessive compulsive
symptoms was less obvious. There was no effect on dissociation and negative symptoms.
Relapses essentially occurred after a stressful life event, a too long interval between the
M-ECT sessions or, in 50% of the cases, without any obvious etiology. It required a revision of
the M-ECT program and, most of the time, an hospitalization for full ECT treatment.
Discussion. — There is no consensus on the rate and number of M-ECT as it varies from patient to
patient and depends upon the extent of the clinical response and side effects. The discontinuation of M-ECT will depend on the clinical symptoms, compliance and tolerance to ECT. As it is
the case with ECT treatment for an acute episode, available evidence suggests that treatment
with antipsychotics should continue during the maintenance ECT course.
Conclusion. — Maintenance electroconvulsive therapy combined with medication may be an efficient alternative to pharmacological treatment alone in refractory schizophrenia. Alternative
therapeutical strategies are crucial in this domain, due to the important public health problem
it raises.
There are few randomised prospective controlled clinical trials regarding this treatment and
further clinical investigations are necessary, notably to define standardized criteria for M-ECT
programs.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
528
M. Lévy-Rueff et al.
Introduction
Malgré les progrès réalisés en psychopharmacologie,
l’électroconvulsivothérapie (ECT) reste une thérapeutique
de référence dans les troubles thymiques. C’est pourtant
dans les troubles schizophréniques qu’elle fut préconisée
pour la première fois par Ladislas Von Meduna en 1934 [13].
Les indications principales des ECT dans la pathologie schizophrénique sont les suivantes :
• état catatonique ;
• épisode aigu non résolutif sous traitement médicamenteux ;
• épisode psychotique associé à une dimension thymique
[2] ;
• épisode marqué par une grande excitation ou une hyperactivité ;
• épisode psychotique du post-partum.
La schizophrénie est, aux États-Unis, la seconde indication de traitement par ECT [1]. Selon Fink [13], si l’ECT est
d’efficacité moindre dans le traitement des pathologies schizophréniques comparativement aux désordres thymiques,
elle conserve une indication dans certaines formes, notamment les schizophrénies résistantes.
L’ECT dans la schizophrénie est efficace sur la symptomatologie catatonique [16], l’angoisse, la non-coopération,
la symptomatologie délirante notamment les idées de persécution, les éléments de dangerosité, le refus alimentaire,
l’agitation, l’incurie, l’agressivité et la douleur morale [26].
Elle serait peu efficace sur la désorientation, les préoccupations somatiques, les pensées inhabituelles et inefficace,
voire délétère, sur la symptomatologie négative [18].
Certaines données démographiques et évolutives de
la maladie prédisent une meilleure réponse : jeune âge,
courte durée de la maladie, épisode actuel court, absence
d’antécédents familiaux de schizophrénie, sous-type paranoïde, rareté des symptômes négatifs, score élevé à la
Global Assessment of Functioning Scale (GAF) et bonnes performances au Mini Mental Status (MMSE) [9].
L’électroconvulsivothérapie de maintenance (ECT-M) a
été proposée [28] dans la schizophrénie. Ce type de traitement permet de prolonger sur une période allant de
quelques mois à plusieurs années l’effet d’un traitement
par ECT, la fréquence des séances pouvant être hebdomadaire à mensuelle, dans un but de prophylaxie des récidives
[5,12]. Une analyse des pratiques de 165 psychiatres américains [23] conclut que la schizophrénie représente moins de
10 % des indications d’ECT-M. Il s’agit alors de troubles schizophréniques résistant à la pharmacothérapie et évoluant
vers une sévérité de plus en plus importante avec dans les
antécédents, une réponse favorable en phase aiguë à l’ECT.
Une revue de la littérature portant sur l’impact des
ECT-M sur la qualité de vie et sur les symptômes est
présentée sous forme de tableau (Tableau 1).
Les rechutes pendant la cure d’ECT-M (réapparition des
symptômes ayant conduit à initier le traitement) nécessitent la reprise des ECT de façon plus rapprochée (deux
ou trois séances hebdomadaires),voire la reprise d’une cure
complète. Souvent on ne trouve pas de facteur explicatif à ces rechutes. On peut mettre en cause une mauvaise
observance des indications, une éventuelle consommation
de toxiques, un espacement trop important des ECT-M. Il
n’existe aucun consensus sur la durée et la fréquence des
ECT-M ; on constate 50 % de rechutes dans les trois mois
suivant l’arrêt [6].
Selon l’American Psychiatric Association (APA) Task Force
[2] l’association d’antipsychotiques aux cures d’ECT et
d’ECT-M en améliore l’efficacité, permet d’utiliser des
doses moindres de médicaments et d’accélérer leur délai
d’action. Alors que les associations ECT—olanzapine ou
ECT—rispéridone n’ont pas prouvé leur efficacité [34]
et qu’une association ECT—chlorpromazine est déconseillée du fait des risques hypotenseurs [16], l’association
ECT—clozapine serait justifiée [22] par un effet potentialisateur [15].
Objectifs
Les dossiers cliniques de 19 patients schizophrènes selon
le DSM-IV du service hospitalo-universitaire de santé
Tableau 1
Impact des ECT-M sur la qualité de vie et les symptômes.
Population
Durée de l’étude et
traitements associés
Résultats principaux
Auteur, année
[référence]
Bipolaires + schizophrènes
6 mois
Fink, 1998 [15]
21 schizophrènes résistants
1 an (association
ECT-M—flupenthixol)
Amélioration symptomatique + pour certains
patients institutionnalisés, réinsertion
familiale voire reprise d’activité
Diminution BPRS 3 % [29]
Augmentation GAF 23 %
Amélioration clinique chez 62 % des patients
21 patients dont
13 déprimés et
8 schizoaffectifs
10 schizophrènes
Chanpattana et
Chakrabhand, 2001 [9]
Chanpattana, 1998 [8]
ECT-M ou
antipsychotiques
Réduction temps annuels d’hospitalisation
surtout chez les déprimés
Maubert, 1990 [27]
ECT-M comparées à
groupe témoin
Pas de trouble cognitif surajouté sous ECT-M
(mémoire, attention, fonctions exécutives)
Lohr et al., 1994 [26]
BPRS : Brief Psychiatric Rating Scale.
Electroconvulsivothérapie de maintenance et traitement des schizophrénies résistantes
mentale et thérapeutique de l’hôpital Sainte-Anne à Paris
ayant bénéficié d’ECT-M ont été analysés afin d’évaluer les
éléments suivants :
• les indications des ECT-M dans notre pratique ;
• l’efficacité des ECT-M sur la symptomatologie et sur la
qualité de vie des patients ;
• la fréquence de survenue des rechutes et leurs possibles
facteurs déclenchants ;
• les traitements médicamenteux associés.
Méthode
Il s’agit d’une étude rétrospective concernant une population de 19 patients souffrant d’un trouble schizophrénique
ou schizoaffectif, ayant bénéficié d’ECT de maintenance
entre 1991 et 2005. Sept sujets, inclus après 1997, bénéficient encore du traitement par ECT-M. Tous les dossiers
de patients répondant à ces critères diagnostiques et sous
ECT-M dans notre département ont été inclus dans l’analyse.
•
•
•
•
•
•
529
◦ maniaques (n = 5),
◦ dépressifs (n = 19) ;
les symptômes anxieux (n = 19) ;
les symptômes obsessionnels compulsifs avec rituels de
lavage et phobie de contamination (n = 2), rituels de vérification (n = 1) ;
le trouble du comportement alimentaire à type de restriction (n = 1) ;
les symptômes d’allure catatonique (n = 2) ;
les préoccupations somatiques (délirantes ou anxieuses) à
type de céphalées, vomissements, fourmillements, prurit
(n = 7) ;
les impulsions suicidaires fortes et quasi permanentes
(n = 1) avec antécédent de passage à l’acte autoagressif
dans le service (n = 1).
Neuf patients avaient fait des tentatives de suicide, surtout médicamenteuses, avec une moyenne de 1,3 tentative
(± 3,3) par patient avant le début des ECT-M dont deux par
défenestration et une par arme blanche.
Résultats
Indications des ECT de maintenance
Données cliniques et démographiques
L’analyse rétrospective des dossiers cliniques montre que la
décision d’instauration d’ECT-M ne repose pas sur l’intensité
ou la sévérité des symptômes cliniques mais sur une conjonction des critères que sont l’augmentation des épisodes en
fréquence et en intensité, l’échec total ou partiel des
traitements neuroleptiques, l’intolérance aux traitements
médicamenteux (neutropénie sous clozapine, allergie à la
carbamazépine, intolérance au lithium), les rechutes précoces à l’arrêt des cures d’ECT.
Dans tous les cas, il avait été constaté au moins un antécédent de réponse positive au traitement par ECT en phase
aiguë de la maladie. En revanche, le nombre de séances lors
de cures d’ECT antérieures n’a pas constitué un critère de
décision d’instauration des ECT-M.
Notre population est composée de 11 femmes et huit
hommes. L’âge de début de la maladie s’étend de 12 à
38 ans, avec un âge moyen de 23,2 ans. Au début des ECT-M,
l’âge moyen est de 47,5 ans (± 12,75) et l’ancienneté de
la maladie de 24 ans (± 6). Sept patients (37 %) ont des
antécédents familiaux psychiatriques au premier degré, en
majorité de troubles thymiques (70 %). Au vu de la sévérité
de la symptomatologie clinique des patients, de leur degré
de handicap fonctionnel et de leur résistance aux traitements successifs, l’ensemble des patients analysés répond
aux critères de schizophrénie résistante de Kane et al. [20].
Les diagnostics de sous-type de schizophrénie (DSM-IV)
portés au moment de l’étude sont répartis en dysthymique (n = 8), hébéphrénique ou résiduel (n = 3), paranoïde
(n = 5), pseudonévrotique ou indifférencié (n = 3), désorganisé (n = 1).
Symptomatologie
Les 19 sujets présentent des antécédents psychiatriques
personnels de symptômes délirants, dissociatifs, thymiques
de type maniaque (au moins cinq d’entre eux) ou dépressif
(tous).
Les symptômes décrits au long de l’histoire de la maladie,
avant ECT-M sont les suivants :
• les symptômes délirants (n = 19), à thèmes persécutifs
et mécanismes interprétatifs et hallucinatoires de type
acousticoverbal :
◦ automatisme mental (n = 5),
◦ hallucinations visuelles et cénesthésiques (n = 3),
◦ idées délirantes à thèmes mystiques avec refus de boire
(n = 1) ;
• les symptômes dissociatifs (n = 19) ;
• les symptômes thymiques (n = 19) :
Durée et nombre des hospitalisations
Un critère essentiel pour mesurer l’efficacité de cette
modalité thérapeutique est la mesure du nombre
d’hospitalisations, de la durée de celles-ci et du temps
passé à l’hôpital, relevées respectivement dans les trois
années précédant les ECT-M, la dernière année avant et
après leur instauration. Ces chiffres sont présentés dans le
Tableau 2
Traitements reçus avant et après ECT-M
Le Tableau 3 détaille, pour chaque patient inclus, le nombre
total de séances d’ECT avant l’instauration des ECT-M et leur
répartition par cure ainsi que la périodicité des ECT-M.
Tous les patients ont bénéficié de cures d’ECT avant la
décision de débuter des ECT-M, en moyenne deux cures
et 24 séances au total. Les ECT-M ont été en moyenne de
47 séances espacées d’un à cinq semaines sur une période
moyenne de 43 mois.
Les médicaments administrés avant la cure d’ECT, entraînant la décision d’instaurer les ECT-M, et pendant les ECT-M
530
M. Lévy-Rueff et al.
Tableau 2
Temps, nombre et durée annuels moyens des hospitalisations avant et après ECT-M.
Temps annuels moyens
d’hospitalisation (mois) ;
moyenne (écart-type)
Nombre annuel moyen
d’hospitalisations ; moyenne
(écart-type)
Temps moyen par
hospitalisation (mois) ;
moyenne (écart-type)
a
Avant ECT-M (depuis
début de la maladie)
Trois années avant
ECT-M
Année avant
ECT-M
Depuis le début des
ECT-M (recul : 43 mois)
1,63 (2,99)
4,46 (2,98)
10,53 (17)
2,09 (2,04)
0,40 (0,34)
0,89 (0,41)
2,29 (3,26)
6 (9,9)
1,84 (0,96)
0,88a (0,93)
4,13 (4)
2,53 (3,47)
Hospitalisations brèves pour ECT-M programmées exclues.
Tableau 3
Patient
Répartition des cures d’ECT avant l’instauration des ECT-M et espacement des ECT-M (n = 19).
Nombre total de séances
d’ECT avant ECT-M
Nombre de cure avant ECT-M
(nombre d’ECT à chaque cure)
Périodicité des ECT-M
1
2
6
61
1 (6)
5 (15/7/10/19/10)
3
4
5
6
7
8
9
9
9
16
27
14
15
24
1 (9)
1 (9)
3 (7,7, 2)
2 (10/17)
1 (14)
1 (15)
2 (12/12)
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
27
49
20
47
28
25
37
23
11
20
2 (15/12)
5 (16/17/16/17/18)
1 (20)
4 (12/11/13/11)
2 (14/14)
2 (15/10)
2 (25/12)
2 (11/12)
1 (11)
2 (10/10)
7 jours
Mensuel, puis espacement
progressif jusqu’à 5 semaines
3 semaines
Mensuel
3 semaines
Mensuel
Bimensuel, puis mensuel
Mensuel
Bimensuel (1988), puis
étalement progressif jusqu’à
5 semaines (1990) en 2 ans
Mensuel
Mensuel
Mensuel
10 jours
Mensuel
12 jours
Mensuel
Mensuel
Mensuel
3 semaines
Tableau 4
Nombre de patients (%) ayant reçu des traitements psychotropes avant et pendant les ECT-M.
Prescription avant la cure d’ECT
précédant l’instauration des ECT-M
Thymorégulateurs
Antidépresseurs
Antipsychotiques classiques et atypiques
Neuroleptiques classiques
Antipsychotiques atypiques
12
16
18
16
7
(63)
(84)
(95)
(84)
(37)
Pendant les ECT-M
6 (30)
2(10)
20 (100)
5 (25)
18 (95)
Electroconvulsivothérapie de maintenance et traitement des schizophrénies résistantes
sont présentés dans le Tableau 4 et sont regroupés en quatre
catégories (thymorégulateurs, antidépresseurs, antipsychotiques classiques ou atypiques). Avant comme après les
ECT-M, des associations d’antipsychotiques ont été utilisées
pour certains patients.
Évolution clinique et devenir sous ECT-M
En se référant aux symptômes cliniques présentés par
les patients lors de la décision d’instauration des ECT-M,
on constate une bonne efficacité du traitement sur les
symptômes thymiques et anxieux, les symptômes délirants,
les troubles du comportement alimentaire, les plaintes
somatiques, les impulsions suicidaires et la qualité de la
coopération et la compliance (notamment amélioration
notable de la coopération et réduction de la dangerosité
chez un patient ayant séjourné un an en unité pour malades
difficiles)
L’efficacité est modérée sur les rituels (diminution de
leur fréquence et de l’anxiété qui les accompagne).
Les ECT-M ont été inefficaces sur les symptômes dissociatifs et négatifs.
Les symptômes résiduels observés au décours des ECT-M
sont essentiellement de type « négatif » associant apragmatisme, athymhormie et des symptômes dissociatifs. Les
idées délirantes, certes très amoindries, peuvent persister,
comme enkystées avec une charge anxieuse très diminuée.
Parmi les sept patients bénéficiant encore actuellement
des ECT-M :
• deux ont pu quitter l’hôpital où ils passaient presque
l’intégralité de l’année pour intégrer un foyer thérapeutique avec prise en charge en hôpital de jour et centre
d’activité thérapeutique à temps partiel ;
• deux ont repris une vie en famille ;
• le plus jeune est suffisamment amélioré pour envisager
une reprise d’activité professionnelle en milieu protégé ;
• deux restent hospitalisés mais leur comportement s’est
notablement amélioré.
Parmi les patients pour lesquels le traitement par ECT-M
a été interrompu :
• six étaient en rémission stable sur plusieurs mois après
l’arrêt des ECT-M ;
• pour six patients l’état clinique était insuffisamment amélioré au moment de l’évaluation. Trois ensuite ont été
traités par la clozapine. La plupart sont maintenant perdus de vue.
Les rechutes sous ECT-M (2,1 par patient en moyenne)
ont justifié une reprise de cure d’ECT (séances plus
rapprochées). Elles survenaient essentiellement lors d’un
accroissement de l’espacement du temps entre les séances,
d’un stress majeur et, dans 50 % des cas, sans qu’un
facteur explicatif puisse être identifié. Un patient a présenté un échappement aux ECT après cinq ans d’évolution
favorable sous ECT-M. Après deux ans de rémission de
la maladie, l’arrêt des ECT-M a été décidé pour un
patient.
531
Discussion
L’objectif de cette étude rétrospective est d’expliciter les
indications ayant conduit à ce traitement, de déterminer
son efficacité, de répertorier les traitements concomitants
et de repérer les facteurs de rechute.
Nous constatons des résultats bénéfiques en termes de
temps d’hospitalisation, de qualité de vie, ainsi que sur certains symptômes cliniques.
Les résultats montrent qu’il existe deux phases
d’évolution de la maladie avant ECT-M : une première, ponctuée de peu d’hospitalisations pendant laquelle la maladie
s’exprime par épisodes souvent espacés et bien jugulés par
les traitements ; une seconde, annoncée par une croissance
exponentielle des rechutes qui répondent moins vite et
moins bien aux traitements. Pendant les trois ans précédant les ECT-M, on observe une majoration du nombre et du
temps d’hospitalisation, en particulier durant la dernière
année (Tableau 2).
Après le début des ECT-M, le temps moyen annuel
d’hospitalisation a diminué de 80 % par rapport à l’année
précédente : les ECT-M permettent donc de revenir à des
temps annuels d’hospitalisation proches de ceux de la première phase d’évolution de la maladie.
Les nombres moyens d’hospitalisations sont peu informatifs, car l’année précédant les ECT-M correspond, pour la
plupart des patients, à une hospitalisation quasi permanente
et, ainsi, à un nombre peu élevé d’hospitalisations. Pendant
les ECT-M, les hospitalisations sont plus nombreuses alors
que le temps passé à l’hôpital est moindre. Il est intéressant
de considérer l’évolution du temps moyen par hospitalisation qui diminue de 40 % par rapport à l’année précédant les
ECT-M (Tableau 2).
En accord avec de nombreux auteurs [8,10,13,21], on
constate dans cette cohorte un impact positif des ECT-M sur
la qualité de vie des patients. Certains articles anciens [21]
évoquaient déjà des descriptions d’amélioration de qualité
de vie sans qu’il y ait toutefois de critères objectifs de
mesure, mais des travaux plus récents confirment ces observations : une étude ouverte prospective de Chanpattana et
Kramer [10] montre une amélioration des scores à la GAF,
Quality of Life Scale (QLS) et Social and Occupationnal Functioning Assessment Scale (SOFAS) des patients schizophrènes
résistants ayant un antécédent de bonne réponse aux ECT
bénéficiant de l’association ECT-M—flupenthixol.
Quant à l’efficacité sur les différents symptômes, nos
résultats sont en accord avec ceux de nombreux auteurs
[14,27,33] et avec les recommandations de l’APA (1990)
[28]. La seule exception est représentée par les préoccupations somatiques sous tendues par des mécanismes délirants
ou anxieux, sur lesquelles les ECT-M nous apparaissent efficaces, contrairement à d’autres données (Doongaji et al.
1973 [18]).
Les ECT-M auraient une efficacité sur la prise de
conscience de la réalité de la maladie ou insight [31].
L’absence d’évaluation du retentissement cognitif des
ECT-M dans notre cohorte ne nous permet pas de confirmer
ou d’infirmer les résultats d’autres équipes selon lesquelles
ce traitement n’aurait pas d’impact cognitif surajouté [7].
Nous n’avons pas observé que le nombre de séances
nécessaire à l’amélioration lors de la cure était un facteur
532
prédictif de la bonne réponse aux ECT-M. Cet élément n’est
pas non plus retrouvé dans d’autres études.
Comme le soulignent d’autres auteurs [31], le taux de
rechute sous ECT-M est important, d’autant plus que la maladie est ancienne. Nous avons pu constater, sous ECT-M, des
rechutes symptomatiques avec toutefois une diminution de
l’intensité et de la fréquence des épisodes. La gestion du
rythme des séances par l’équipe médicale est un moment
crucial et on doit poser avec beaucoup de précautions la
décision d’espacer les séances.
Il n’existe à l’heure actuelle aucun consensus sur la durée
et le nombre des ECT de maintenance ; l’arrêt est décidé en
fonction de la symptomatologie clinique, de la compliance
du patient, de la faisabilité et de la tolérance.
L’âge de début de la maladie dans notre population correspond à l’âge de début habituel de la schizophrénie. Le
délai avant l’instauration d’un traitement par ECT-M peut
s’expliquer par la durée d’évolution en l’absence de prise en
charge, suivie par de multiples tentatives de thérapeutiques
médicamenteuses. Pourtant, l’impact de la sismothérapie
serait d’autant meilleur que le processus évolutif est récent
[4,19].
Dans notre cohorte, tous les patients ont présenté des
épisodes thymiques. Cela rejoint les observations de Fink
[13—16] : la mise sous ECT-M se fait plus volontiers en
présence d’éléments thymiques qui prédisent une réponse
favorable aux ECT. Selon nos observations, il existe une
diminution notable des prescriptions d’antidépresseurs et
de thymorégulateurs entre le début de la cure d’ECT précédant l’instauration des ECT-M et la période sous ECT-M
(Tableau 4). Cet effet bien connu des cures d’ECT sur les
prescriptions liées aux manifestations thymiques [6] semble
ici plus stable dans le temps.
Tous nos patients avaient reçu des antipsychotiques
avant les ECT-M (clozapine dans neuf cas). Les ECT-M n’ont
été employées que chez des patients chimiorésistants ou
intolérants aux traitements habituels, en accord avec les
recommandations internationales [2].
La coprescription d’antipsychotiques associée aux ECT-M
est recommandée par de nombreux auteurs [9,8,34]. Cette
association agirait par une augmentation sous ECT des
concentrations plasmatiques et globulaires des neuroleptiques, après relargage à partir des graisses et des tissus
cérébraux [3]. Pour certains auteurs, les ECT agiraient sur
le système dopaminergique avec augmentation du nombre
des récepteurs D1 et D2 [27] et diminution du fonctionnement des autorécepteurs des neurones dopaminergiques et
gabaergiques dans le locus coeruleus et la substance noire
(augmentant ainsi leur libération). Les ECT agiraient également sur le système sérotoninergique 5-hydroxytryptamine
(5-HT), en sensibilisant les récepteurs 5-HT1A postsynaptique et en augmentant la sensibilité des récepteurs 5-HT3
dans l’hippocampe, induisant une augmentation du glutamate et des acides ␥-aminobutyriques [24,30]. Ces effets
sérotoninergiques des ECT prennent une importance toute
particulière au vue des travaux récents, mettant en évidence les effets sérotoninergiques des nouveaux antipsychotiques qui seraient modulateurs des effets dopaminergiques
[17]. Par ailleurs, les ECT pourraient augmenter la quantité de récepteurs GABA dans le cortex occipital, récepteurs
impliqués dans la physiopathologie de la schizophrénie
[32].
M. Lévy-Rueff et al.
La clozapine connue pour son potentiel épileptogène
pourrait induire des modifications électriques potentialisant
l’efficacité des ECT [14,22]. Elle est, par ailleurs, active sur
les récepteurs 5-HT et GABA [11], ce qui pourrait conduire
à recommander cette association [25]. Nous avons constaté
l’efficacité de cette association dans un cas.
Cette étude, portant sur 19 patients schizophrènes
résistants, traités par ECT-M présente certaines limites
méthodologiques. Son caractère rétrospectif induit des biais
de rappel et d’interprétation des données par comparaison à
des suivis longitudinaux, d’autant que les patients n’ont pas
tous bénéficié d’évaluation standardisée des symptômes.
En particulier, une évaluation objective du fonctionnement
global des patients n’a pas été entreprise de façon systématique. De même, il serait souhaitable que les patients
bénéficient d’un bilan cognitif régulier une à deux fois par
an, afin de s’assurer de la bonne tolérance du traitement.
Par ailleurs, un recueil du vécu subjectif et de la tolérance des ECT-M ressentis par les patients au moyen d’autoou hétéroquestionnaires nous paraît vivement souhaitable.
En raison de la taille réduite de l’échantillon, nous avons
fait le choix de nous intéresser à la comparaison des résultats chiffrés, univariés, sans utiliser de modèles statistiques
bi- ou multivariés.
Dans l’idéal, pour les unités pouvant bénéficier de larges
cohortes de patients, un essai d’uniformisation des traitements de ces patients lors de l’instauration des ECT-M nous
semblerait intéressant. Il serait également souhaitable de
comparer l’efficacité d’un traitement par ECT-M seul versus
ECT-M et antipsychotiques.
Conclusion
L’ECT-M associé aux antipsychotiques représente une opportunité thérapeutique pour les schizophrénies résistantes. La
littérature actuelle comporte peu d’études randomisées,
prospectives et contrôlées. Il est nécessaire de multiplier les investigations cliniques, notamment les études
prospectives, afin de mettre en évidence des critères prédictifs standardisés de réponse positive aux programmes
d’ECT-M. Cependant, des analyses cliniques approfondies
et détaillées sur le devenir des patients schizophrènes
résistants, suivis à l’aide de ce type de traitement, sont
fondamentales. Elles apportent, sans nul doute, un bénéfice
important pour des alternatives thérapeutiques, lorsque les
traitements chimiothérapeutiques seuls ne suffisent plus à
stabiliser le patient.
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