Avoir 20 ans dans les Aurès - ASSOCIATION "C`est du Cinéma"

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Avoir 20 ans dans les Aurès - ASSOCIATION "C`est du Cinéma"
Comment de jeunes bretons pacifistes, appelés en Algérie, se transforment en commando animé de la haine du
fellagha. Premier rôle à l'écran de Philippe Léotard. Prix international de la critique - Cannes 1972 -
Bio-filmographie de René Vautier ...
en quelques dates
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1928: naissance à Camaret. Engagé dans la résistance à 16 ans
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1950: Afrique 50, médaille d'or au festival mondial de Varsovie
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1951: Un homme est mort
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1956: Anneau d'or, ours d'argent au festival de Berlin
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1957/1958: Algérie en flamme
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1959/1960: emprisonné durant 25 mois en Tunisie
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1961: J'ai 8 ans, co-réalisé avec Yann Le Masson
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1961/1965: directeur du centre audiovisuel d'Alger
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1970: création de l'UPCB
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1971: Mourir pour des images, Avoir 20 ans dans les Aurès
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1973: grêve de la faim de 31 jours, obtient l'arrêt de la censure politique
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1973/1974: co-réalise avec Nicole Le Garrec La folle de Toujane
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1976: Le poisson commande, oscar du meilleur film sur la mer, Quand tu disais Valéry
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1984/1994: 19 films-émissions ( Afrique-banlieues )
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1997/1998: Et le mot frère et le mot camarade, Le petit breton à la caméra rouge
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1998/1999: Caméra citoyenne, mémoires de René Vautier
Figure fondamentale du cinéma documentaire, René Vautier n’a eu cesse durant les cinquante
dernières années de dénoncer les exactions commises en Afrique au nom de la France. Une
démarche qui lui a valu d’être constamment censuré, voire emprisonné. De ces conditions de
production inacceptables est née la persistance de son travail.
DERNIER RECOURS
En janvier 1973, René Vautier commence une grève de la faim, exigeant «la suppression de la
possibilité, pour la commission de censure cinématographique, de censurer des films sans fournir de
raisons; et l’interdiction, pour cette commission, de demander coupes ou refus de visa pour des
critères politiques». Ce dernier recours apparaît comme l’aboutissement résolu de convictions
politiques qui se sont toujours manifestées dans le cinéma de René Vautier. Une action qui aura
permis d’appliquer enfin une réglementation qu’on ne respectait pas jusqu’ici. Mais comment un
cinéaste français en arrive-t-il à une grève de la faim? Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale,
le résistant Vautier s’était pourtant vu décerner la croix d’honneur.
En 1946, René Vautier entre à l’Institut des hautes études cinématographiques, un camarade de
guerre lui ayant fait comprendre qu’il fallait «montrer de vraies images plutôt que colporter de fausses
histoires». A la sortie de l’école, la Ligue pour l’enseignement l’envoie en Afrique française filmer la
vie dans les villages africains. Il s’agissait de ramener un mini-reportage pour les écoliers et lycéens.
Mais les attentes folkloriques des gentils colons ne résistent pas à la réalité.
Sur place, l’exploitation du Noir semble un privilège inaliénable du Blanc. René Vautier ramène
plusieurs heures d’un matériel brûlant qui est immédiatement saisi par la police. Et lui vaut treize
inculpations et un an de prison. Ironiquement, la police s’est appuyée sur un décret de Pierre Laval
(accusé de collaboration et fusillé en 1945) pour saisir les images incriminées. In extremis, Vautier
réussit à sauver une bobine et monte, dans des conditions extrêmes, Afrique 50: 15 minutes de colère
brute (lire ci-contre). Nous sommes en 1951 et l’auteur de ce premier film anticolonialiste français n’a
que 21 ans!
Dès lors, René Vautier a trouvé son métier et n’en changera pas: son cinéma s’engage contre toute
forme de colonialisme et d’exploitation, et contre la censure qu’ils engendrent.
L’ALGÉRIE AU CENTRE
Dans l’esprit de cette lutte, le problème algérien reste au centre de la réflexion de Vautier: Avoir 20
ans dans les Aurès (1971) se présente comme une fiction mais s’appuie sur des témoignages
d’appelés de la guerre d’Algérie. Le cinéaste essaie de comprendre comment on peut «mettre des
jeunes en situation de se conduire en criminels de guerre.» La réponse à cette question est d’une
clarté terrifiante: une forme d’endoctrinement constant conduit de jeunes gauchistes à cheveux longs,
a priori plus enclins à la blague de bidasse qu’au tabassage systématique, au viol collectif et au
meurtre. Si la colère d’Afrique 50 était susceptible de soulager le spectateur, Avoir 20 ans dans les
Aurès est le film d’un désespéré.
MÉMOIRE INTERDITE
Parallèlement, de 1960 à 1980, le cinéaste tourne plus de soixante heures de témoignages de
victimes de la torture en Algérie. Plusieurs d’entre elles reconnaissent sur des photos le dirigeant
d’extrême-droite français Jean-Marie Le Pen. Ce dernier saisit la justice et Vautier perd naturellement
son procès: la loi interdit de mentionner des faits couverts par une loi d’amnistie.
Au même moment, le local de Vautier est saccagé par un commando (vraisemblablement du Front
national), qui détruit allègrement 20 ans de travail et les 60 km de pellicule contenant les fameux
témoignages. La perte est irréparable pour la mémoire franco-algérienne. Seules trois heures
d’interviews seront sauvées du saccage. Vautier en utilisera quelques bribes dans A propos de l’autre
détail (1988) La mise en scène en est extrêmement simple et les témoignages très clairs: certaines
des victimes reconnaissent Le Pen sans hésitation.
On aurait cependant tort de croire que les films de René Vautier sont uniquement affaire de
cinéphiles, historiens et spécialistes. Car si les diffusions se multiplient aujourd’hui dans les
cinémathèques, comme autant d’excuses implicites organisées par le réalisateur lui-même et par ses
amis militants, elles ont eu lieu là où elles étaient nécessaires: dans les universités occupées, lors de
grèves, de manifestations, de festivals de résistance. René Vautier le dit lui-même: il s’agissait et il
s’agit encore de «donner la parole aux gens à la base, pour qu’ils puissent communiquer entre eux,
nécessité à laquelle la télévision ne répond pas aujourd’hui.» L’association Soyouz nous permet enfin
d’honorer cette volonté à Genève.