L`HÉBERGEMENT SOCIAL : ESPACES VIOLÉS, SECRETS GARDÉS

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L`HÉBERGEMENT SOCIAL : ESPACES VIOLÉS, SECRETS GARDÉS
L'HÉBERGEMENT SOCIAL : ESPACES VIOLÉS, SECRETS GARDÉS
Alain Thalineau
Presses Universitaires de France | « Ethnologie française »
ISSN 0046-2616
ISBN 9782130525233
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-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------!Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Alain Thalineau, « L'hébergement social : espaces violés, secrets gardés », Ethnologie française
2002/1 (Vol. 32), p. 41-48.
DOI 10.3917/ethn.021.0041
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2002/1 Vol. 32 | pages 41 à 48
Dossier : Bembo f205735\pu150438\ Fichier : eth1-02 Date : 16/5/2007 Heure : 16 : 38 Page : 41
L’hébergement social :
espaces violés, secrets gardés
Alain Thalineau
Université de Tours
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Les personnes prises en charge dans le cadre d’un centre d’hébergement ont un logement qui leur est attribué en vue de favoriser leur
« réinsertion sociale ». Elles sont, là, soumises à des contrôles et des obligations. Leur intimité est sans cesse remise en question. Clarifiant
ce qui caractérise cette intimité, nous montrerons que la perte du contrôle du regard d’autrui sur soi menace le territoire d’intimité, lieu
sécurisant, qui permet à l’être social de se définir dans la permanence. Il est quotidiennement violé par l’intrusion des autres hébergés et
des éducateurs. L’attitude des professionnels de l’intervention sociale (qui insistent par ailleurs sur la nécessité de « respecter la personne »),
se trouve légitimée par la définition même du centre d’hébergement : une propriété sociale, bien collectif non appropriable par les particuliers.
Dans cette orientation idéologique, il va de soi que la collectivité incarnée par les personnels a un droit de regard pour en contrôler
l’usage.
Mots-clefs : Intimité. Hébergement social. Propriété. Relations affectives. Violence.
Alain Thalineau
Université de Tours
Centre de Recherche Ville, Société et Territoires
3, rue des Tanneurs
37000 Tours
Les Centres d’hébergement et de réadaptation
sociale sont des établissements dont la principale fonction est d’accueillir « des personnes et familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales,
de logement, de santé ou d’insertion en vue de les aider à
accéder ou à recouvrer leur autonomie personnelle » 1. Les
personnes hébergées sont prises en charge dans le cadre
d’un hébergement d’urgence ou d’un hébergement en
vue d’une « réinsertion sociale », ce dernier étant le
plus fréquent 2. L’accès à un logement est soumis à
condition. La personne doit, d’une part, s’engager à
tout mettre en œuvre pour avoir une « autonomie »
dans un délai négocié avec les éducateurs, et, d’autre
part, verser si possible une participation financière 3.
Dans la plupart des cas, le logement n’est donc pas
gratuit et la personne est soumise à un contrôle de son
temps et de son activité. Elle a un espace qui lui est
réservé pour dormir ou passer une partie, voire la
totalité, de la journée, mais cet espace ne lui est pas
propre. En reprenant le propos d’Hannah Arendt
[1983 : 70], il s’agit ici d’un espace privatif dans le sens
où l’individu est privé du choix d’être vu et entendu
par autrui quand bon lui semble. Dès lors, se pose la
question de son intimité. À travers une recherche de
clarification de ce qui caractérise cette intimité, je
Ethnologie française, XXXII, 2002, 1, p. 41-48
présenterai comment les personnes hébergées en CHRS 4
parviennent, de manière différenciée, à résister aux
violations quotidiennes.
■
Le contrôle du regard d’autrui comme
limite du territoire de l’intimité
En évoquant le terme d’intimité, on pose l’existence
d’une frontière, d’une limite qui sépare deux mondes,
un monde que les autres ne peuvent pas voir sans un
accord préalable de la personne et un autre visible à
tous. Quand Michel Foucault parle du panoptique, il
dit bien que la force du système carcéral est de laisser
penser en permanence que le prisonnier est vu sans
être vu : « On peut saisir de la tour, se découpant exactement sur la lumière, les petites silhouettes captives dans les
cellules de la périphérie. Autant de cages de petits théâtres,
où chaque acteur est seul, parfaitement individualisé et
constamment visible. » [Foucault, 1975 : 202] L’intimité
se défait lorsque autrui la dérobe. L’intimité est associée au contrôle du regard. Ce n’est pas la présence du
regard de l’autre qui la détruit, c’est l’absence de possibilité de contrôler ce regard. Cela revient à dire, non
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RÉSUMÉ
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Alain Thalineau
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seulement qu’il n’y a pas de pratiques intimes par
essence, mais surtout que l’intimité est un construit
social qui s’élabore en fonction de la place attribuée
au regard d’autrui et de la possibilité objective de le
contrôler. Deux frères qui, sur un banc public, parlent
de leur père mourant, peuvent en parler alors que
quelqu’un est assis à côté d’eux. Ils peuvent au
contraire se sentir gênés par cette présence et décider
de s’installer à l’écart. Ici les personnes ont la possibilité
d’être ou de ne pas être regardées, de ressentir ou non
cette présence comme une atteinte à leur intimité et
d’agir en conséquence.
En foyer hébergement, le choix est plus restreint.
Les personnes logées dans ces centres ont leur temps
et leur espace contrôlés de façon plus ou moins directe.
Les contraintes qui leur sont imposées sont bien
connues. Dans tel centre d’hébergement, les personnes
doivent quitter les lieux avant une certaine heure et
être de retour le soir dans un créneau horaire précis.
On connaît également les heures de repas, les jours de
douche, les visites systématiques de tel ou tel soignant,
etc. La contrainte s’exerce dans les recoins de la vie
quotidienne. Par exemple, il est demandé à la personne
de ranger sa chambre, de faire son ménage. Dans certains établissements, le règlement stipule des interdictions. Il est impossible par exemple de recevoir sans
autorisation des personnes non hébergées. Il n’est pas
accepté d’avoir des boissons alcooliques. Dans d’autres
endroits, il est exigé que la personne dépose son argent
dans une caisse tenue par un éducateur dans un souci
de limiter les risques de dépenses abusives, alors qu’elle
n’est ni sous tutelle, ni sous curatelle. À tout cela
s’ajoute l’obligation de se raconter. Expliquer sa trajectoire, lui donner une cohérence en tenant compte des
attentes supposées des éducateurs, devoir construire un
« projet » alors que le présent est incertain 5 : « Au bout
de vingt et un jours, la personne signe le contrat de séjour. Il
a eu pendant ces vingt et un jours tous les bilans : bilan de
santé, bilan social, bilan de connaissances générales, un bilan
de connaissances professionnelles... Il y a en fait quatre bilans
à faire et il y a la problématique à l’entrée. Puis là, il y a
les actions à mener. L’entretien est fait par les travailleurs
sociaux. » (Directeur d’un CHRS).
Car l’accueil d’un « résident » n’est pas automatique.
Pour avoir un toit, il faut d’une certaine manière payer
en expliquant sa déchéance et en montrant sa bonne
volonté. L’hébergé doit s’engager à tout mettre en
œuvre pour trouver un emploi ou un logement de
droit commun dans un délai déterminé. En plus des
contraintes institutionnelles, s’ajoutent celles de la vie
en collectivité. Il faut souvent partager l’espace de la
chambre ou de l’appartement avec une ou plusieurs
personnes hébergées. Là, a contrario, la présence éducative et le règlement constituent une soupape de sécurité. Le danger est moins grand que dans la rue, même
s’il faut faire face aux agressions.
Le contrôle du regard d’autrui, celui des éducateurs
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ou des hébergés, n’est jamais assuré. Alors que l’on se
croit plus protégé que dans la rue, un secret peut
toujours être révélé. C’est la situation de Frédéric,
vingt-cinq ans, qui apprend au cours d’un entretien
avec l’éducateur que celui-ci a des informations sur son
enfance. Rien de honteux. Un père décédé alors que
Frédéric avait six ans, l’existence d’une sœur qu’il
n’avait jamais évoquée au foyer. Une rencontre entre
cet éducateur et un autre de l’Aide sociale à l’enfance
suffit pour que Frédéric ressente qu’un regard étranger
entre en lui. Alors qu’il n’a rien dit de ces personnes,
l’éducateur sait. Plus le fait que l’on sache à son insu,
c’est la sensation d’être habité par un autre qui ausculte
des relations qui lui sont propres. La perte du contrôle
du regard d’autrui sur soi est une brèche sur les remparts de l’intimité, une intimité qui est pensée comme
une propriété.
• L’intimité comme propriété individuelle ou collective
La possibilité d’avoir quelques biens ou quelques
comportements ou quelques idées que l’on partage
avec qui bon nous semble, non pas parce qu’ils sont
honteux, mais parce qu’ils ont pour nous une valeur,
constitue notre intimité comme propriété. On peut
reprendre ici ce que disait Simmel : « Si l’on considère
que la propriété matérielle est une extension du moi – la
propriété, c’est ce qui obéit à la volonté de son propriétaire,
comme le fait, avec une simple différence de degré, notre corps,
qui est notre “bien” premier – et que toute incursion dans
nos biens est ressentie par conséquent comme une violation de
la personne, il existe aussi une propriété privée dans le
domaine de l’esprit, dont la violation blesse le centre même
du moi. » [Simmel, 1908 : 27] Une propriété privée, ce
qui ne veut pas dire nécessairement individuelle.
Il est utile de rappeler que dans certaines conditions
sociales, l’intimité n’est pas pour « soi », mais pour
« nous ». Je reprendrai ici un propos classique, celui de
Richard Hoggart lorsqu’il parle du foyer en milieu
ouvrier : « Le groupe familial ne préserve pas l’intimité de
ses membres les uns par rapport aux autres. On y vit dans
une atmosphère grégaire et dans la promiscuité affective : presque tout est commun aux différents membres de la famille, y
compris la personnalité. » [Hoggart, 1970 : 69] Le « je »
est inséré dans le « nous » du groupe familial. L’intimité
est une intimité partagée. C’est celle du foyer familial.
La limite du territoire de l’intime est celle que le
groupe se constitue pour se définir par rapport aux
voisins : « On sait bien que les voisins sont “des gens comme
vous et moi”, prêts à rendre service si le besoin s’en fait sentir,
mais aussi on sait qu’ils sont à l’affût des commérages et
particulièrement friands d’échos scandaleux ou ridicules sur la
vie privée des autres. » [Hoggart, 1970 : 66-67].
Lorsque le territoire de l’intimité se construit sur le
modèle d’une propriété partagée, les relations entre les
membres ont un caractère fusionnel. L’autre, l’intime,
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même pour les personnes hébergées. Elles doivent puiser
dans leurs propres ressources pour garder le secret de
leur intimité.
■
Les ressources pour maintenir
une intimité
Les ressources varient en fonction du type de relations
de dépendance que les résidants ont eu avec leurs proches (fusionnel vs autonomie) et le type de relations
qu’ils entretiennent avec eux au temps présent. S’ils
n’ont pas définitivement rompu avec leurs proches,
s’ils ont la possibilité de trouver d’autres personnes
hébergées qui ont vécu des événements qu’ils jugent
similaires, ils parviennent comme Yvon et Régis à
renouveler leur intimité, à lui donner un contenu.
Yvon a cinquante-neuf ans. Il a perdu sa femme et
ses enfants dans un accident de voiture. Cette disparition
est vécue comme une perte de soi, comme une impossibilité d’être :
« Enquêteur (À propos de son travail d’artisan horticulteur au cours des années soixante) : Vous avez arrêté
ce boulot que vous aimiez bien, pourquoi ?
Yvon : J’ai arrêté, j’ai arrêté. Non j’ai pas arrêté.
Enquêteur : Vous n’avez pas arrêté...
Yvon : J’ai arrêté, c’est parce que j’ai eu... Comme mon
petit pote là, Régis, j’ai perdu ma femme. Ma femme est
décédée en voiture avec son père et mes deux enfants.
Enquêteur : Vos deux enfants à vous.
Yvon : Non, moi il y en avait qu’un. Enfin, c’était les
deux miens quand même. Ils se sont tués en voiture. Il y avait
un semi-remorque anglais. Il y avait trois essieux. Il
y en a un qui a bloqué. Elle a pas eu le temps de freiner.
Boum ! Ils sont rentrés dedans. Tous les quatre. À trois heures
du matin, ils sont venus sonner à la porte.
Enquêteur : Et c’est là que vous avez arrêté de
travailler.
Yvon : Ah ! bah ! c’est là. J’ai tout vendu, j’ai acheté un
sac à dos et je me suis barré sur la route.
Enquêteur : En quelle année ?
Yvon : En soixante-neuf.
Enquêteur : Pourquoi ?
Yvon : Ah ! bah ! ça m’a traumatisé... Je ne sais pas si
vous voyez... Merde... Aujourd’hui, je ne pleure plus parce
que ça ne les fera pas revenir... Mais putain, j’ai été plus d’un
an..., il fallait pas me marcher sur les pieds. »
Le traumatisme lié à une rupture brutale est aussi ce
qui lie Yvon à son ami Régis et leur donne mutuellement une certaine force pour affronter les autres. En se
remémorant la perte accidentelle de leur famille, ils établissent un rapport de confiance qui leur permet de
reconstruire un territoire d’intimité.
Si le passé tend à se dissoudre dans le présent, s’il
devient difficile de le faire resurgir, l’écriture peut
constituer une ressource. Vincent, lui, se raccroche à
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n’est pas totalement extérieur à soi. Au demeurant,
que ce territoire délimite une propriété individuelle ou
circonscrite à un groupe, il est un lieu sécurisant. Fait
de relations socio-affectives passées ou/et présentes,
d’objets et de pensées exprimant ces relations, il permet à l’être social de se situer dans le même et le
différent, et, de fait, de se définir dans sa permanence.
L’intimité est une appropriation de relations inhérente
au principe de différenciation qui donne la conscience
d’être. Parce que la famille, les amis, les amours sont
ces êtres avec qui l’on échange principalement des
affects, ils sont présents dans notre être sous la forme
d’objets d’amour et de haine. En nous y référant pour
nous situer nous-mêmes par rapport à eux, ils nous
permettent de donner une cohérence à notre histoire.
En d’autres termes, un homme isolé, sans bien matériel, se retrouvant à la rue, conserve une intimité tant
qu’il peut faire vivre en lui toutes les relations affectives
qui, dans le passé, lui ont permis d’exister socialement.
Mais pour y parvenir, il est nécessaire qu’il se trouve
dans un espace de confiance.
La confiance est ce qui permet à l’intimité d’avoir
son territoire. Or, la confiance manque à l’homme
à la rue et à un degré moindre à l’homme hébergé.
Son intimité intérieure peut être préservée tant qu’il
peut faire vivre en lui toutes les relations affectives qui
sont pour lui structurantes. Mais il ne peut pas protéger
ce territoire de l’intimité tant il est pris dans des relations de méfiance. Régis, vingt-six ans, se retrouve à
la rue après le décès de sa femme et de ses deux
enfants : « À Épernay, la nuit je dormais jamais. J’avais
peur de me faire couper le cou. J’avais les jetons quoi !
J’arrêtais pas de marcher. Ou alors j’allais dormir dans la
cabane de jardin de mon frère... Mais j’étais toujours tout
seul. Toujours... »
À l’intérieur du centre d’hébergement, la violence est
aussi quotidienne. Vincent, quarante-cinq ans, est
contraint de partager sa chambre avec une personne qu’il
ne connaît pas. Tout est prétexte à tension et à danger
physique : « J’ai jamais vu ça. C’est aberrant. J’ai jamais vu
de la violence pareille. [...] J’ai dit : “C’est pas vrai, ça gueule,
ça crie. Oh, ça m’a vraiment pas plu ce truc là.” [...] Quand
on est à deux dans une chambre, le mec il allume la télévision,
vous êtes en train de lire, c’est fini. Ça gueule et ça cogne pour
un rien. »
Cette violence du quotidien menace l’espace intérieur d’intimité. Comme le souligne Jean-François Laé,
elle détruit la mémoire. Devoir en permanence se défendre contre tous les dangers, protéger son corps des agressions multiples engloutit la mémoire [Laé, 2000 : 88].
Cela n’est pas sans conséquence. La perte de l’intimité
provoque des désordres psychiques. L’étude de Michael
Pollak sur l’expérience concentrationnaire illustre
parfaitement ce point [Pollak, 2000 : 266-267]. Mais
elle montre aussi l’importance vitale qu’il y a à reconstruire une intimité et les différences de ressources des
internés pour y parvenir, non sans risque 6. Il en est de
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un carnet sur lequel il a noté son identité et des informations concernant son histoire. Je découvre son
existence au cours d’un entretien où il me parle de
son enfance :
« Enquêteur : Votre père est né en quelle année ?
Vincent : En quarante, je sais plus je dois avoir ça j’ai dû
noter.
(Vincent quitte la cuisine et revient avec un carnet.)
Vincent : Souvent je marque ça parce qu’on me demande.
Je sais plus, c’est pas là que j’ai marqué. (Tout en tournant
les pages) Il doit être né en quatorze un truc comme ça.
Enquêteur : En quatorze ?
Vincent : Oui, parce que moi j’ai quarante-cinq ans bientôt... Oh je sais plus. C’est malheureux, j’ai marqué ça quelque
part. (Il poursuit sa recherche.) Attendez c’est peut-être là.
C’est vraiment dommage parce que j’ai écrit ça. Comme ça si
on me pose des questions, je pourrai répondre. »
Tant que Vincent a dans sa poche ce carnet qui le lie
au passé, il peut tenir. En notant ce qu’il fait, ce qu’il
est, il donne une unité à sa vie. Il peut y retourner pour
se retrouver. Ce carnet est son rempart contre l’oubli de
lui-même. Qu’adviendrait-il s’il le perdait ?
Si les personnes hébergées n’ont pas cette possibilité
de rémanence, ce sont leurs ressources relationnelles et
physiques mises en scène lors des différentes situations
auxquelles elles sont quotidiennement confrontées qui
leur donnent la possibilité, ou non, de reconstruire une
nouvelle intimité en cohérence avec leur histoire. Le
centre d’hébergement et de réadaptation sociale représente un lieu qui, tout en limitant les possibilités de
construire une intimité, offre des marges de manœuvre
pour se reconstruire.
Lorsque Marie entre pour la première fois dans le
foyer d’hébergement et de réadaptation sociale, elle réagit négativement. Sa chambre est très étroite, juste la
place pour un lit et une petite table de nuit ; elle doit
manger dans une salle commune. Elle n’a plus la possibilité d’organiser totalement son temps. Elle doit réaliser
des activités couture et cuisine le matin. L’après-midi,
elle peut sortir pour faire des démarches administratives
en accord avec le personnel éducatif. À cela s’ajoute
l’impression de revivre des moments difficiles de son
passé, et plus particulièrement son arrivée au Foyer de
l’Enfance 7. En fait, Marie arrive souvent à quitter le
foyer, prétextant divers rendez-vous.
Ces sorties sont pour elle une façon d’échapper aux
pressions institutionnelles qui la contraignent à être
autrement que ce qu’elle désire. Elle erre dans les rues
et accoste des gens pour demander des cigarettes, puis
rentre au foyer comme si de rien n’était. En se présentant
comme adaptée aux attentes des éducateurs, elle
échappe à leur contrôle. Le foyer lui offre une protection
et des espaces propres à lui permettre et à lui procurer
des relations à l’extérieur. Car Marie est en quête d’un
compagnon. Elle en a besoin pour exister. C’est ainsi
qu’elle rencontre un homme qui, comme elle, passe ses
journées dans la rue. Huit jours après leur première
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rencontre, elle quitte le foyer pour s’installer avec lui
dans un meublé, une mansarde d’une maison particulière où il n’y a ni chauffage, ni eau chaude. Les W-C
sont sur le palier. Les meubles sont très abîmés et tiennent debout grâce à des cales. La lumière vient par une
lucarne qui ne ferme pas correctement ce qui les oblige
à mettre des bassines lorsque le temps est pluvieux. Mais
Marie est heureuse : « C’est vrai que j’étais contente. Je
disais : “Ça y est, c’est mon chez moi [...] J’ai un toit, c’est
mon chez moi.” »
Si le centre d’hébergement offre des possibilités de
reconstruire une intimité à l’extérieur, il n’en est pas de
même à l’intérieur. Lorsque Sylvain, âgé de vingt-quatre
ans, est arrivé au foyer, il était dans l’impossibilité
d’occuper sa chambre. Il n’avait aucun objet personnel
excepté les vêtements qu’il portait. Il n’avait plus de
contact avec sa famille depuis son placement à l’Aide
sociale à l’enfance à l’âge de sept ans. Par ailleurs, il avait
rompu toute relation avec son ancienne famille
d’accueil. Mais Sylvain était serviable. Chez sa nourrice,
il avait trouvé sa place en aidant aux différents travaux
domestiques. Au foyer, il ne tarda pas à proposer ses
services à d’autres personnes hébergées. Il faisait les
commissions, il aidait à l’aménagement des chambres
des autres. Ces activités étaient pour lui son moyen
d’établir des relations affectives, et, de fait, de reconstruire une intimité. Elles étaient aussi ce qui donnait
une cohérence à son histoire, mais sans compter sur
le personnel éducatif. Sylvain est rappelé à l’ordre
(« Occupe-toi de tes affaires », « Tu n’as pas à faire les courses
des autres », « T’es pas leur larbin »), censure posée sur son
désir de rencontre pour qu’il ne soit plus « manipulable »
et qu’il devienne plus « autonome », plus « responsable ».
Au nom de cet idéal, s’exerce ici le droit de contraindre
la personne hébergée.
■
Intimité et propriété sociale
Cette pratique éducative prend tout son sens
lorsqu’on la réfère à la notion de « propriété sociale »
telle que Robert Castel l’a énoncée à propos du développement de la société salariale à la fin du XIXe siècle
[Castel, 1995]. Le travail n’apportant pas la propriété
conçue au sens de Locke 8, c’est-à-dire comme un bien
propre à l’individu et qui ne peut en rien lui être pris,
s’impose alors l’idée que la société par son instrument
qu’est l’État, se doit de donner une protection à ces
non-propriétaires que sont les salariés. Il ne s’agit pas de
donner une propriété privée à ceux qui n’en ont pas
mais de juxtaposer à la propriété privée un autre type
de propriété, la propriété sociale dans le sens que lui
donne Alfred Fouillée, auteur en 1884 de Propriété sociale
et démocratie 9. Les protections habituellement assurées
par la propriété leur seront offertes, d’une part, par des
institutions sociales qui offriront des biens collectifs,
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L’hébergement social : espaces violés, secrets gardés
présentés comme une propriété collective, donc impersonnelle ; et, d’autre part, par les assurances obligatoires
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qui font désormais fonction de patrimoine privé, dans
la mesure où les prestations sont versées à des cotisants.
Un règlement présenté comme un abécédaire 1
ABSENCES : Si vous devez vous absenter un ou plusieurs
jours pour raisons professionnelles ou familiales, prévenez
l’animateur. Toute absence non justifiée peut faire l’objet
d’une sanction.
ACCUEIL : À votre arrivée, le représentant des résidants est
chargé de vous nommer un « parrain », afin que votre début
de séjour s’effectue dans les meilleures conditions (visite des
lieux, connaissance du règlement...).
....
ALCOOL : Il est strictement interdit d’introduire de l’alcool
dans l’établissement, ainsi que de rentrer en état d’ébriété.
Les animateurs peuvent refuser l’entrée ou exclure les personnes en état d’ivresse.
ÉPARGNE : Afin de vous permettre d’accéder plus facilement à l’autonomie, l’épargne est obligatoire pendant votre
séjour au Foyer. Elle est fixée à 20 % de vos revenus nets
mensuels.
ANIMAUX : Pour des raisons d’hygiène évidentes, les animaux ne sont pas tolérés dans l’établissement.
HYGIÈNE : Pour votre propre respect et celui des autres, il
est important que vous soyez propre. Il est indispensable que
vous preniez une douche et que vous entreteniez vos cheveux
et votre barbe régulièrement.
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ARMES : Il est strictement interdit d’introduire des armes
offensives et défensives dans l’établissement. Si vous en possédez, elles doivent être remises dès votre arrivée à l’animateur. Elles vous seront restituées à votre départ.
VÊTEMENTS : Il est essentiel que vos vêtements soient toujours propres. Pour les laver au foyer, vous pouvez acheter des
jetons au bar (un jeton pour le lavage et un pour le séchage).
....
Pour que les résidants se sentent « comme chez eux » :
PARTICIPATION : Comme le prévoit la réglementation
pour les CHRS, vous êtes tenu de participer à vos frais
d’hébergement.
Votre participation s’élève au tiers de vos ressources nettes, le
plafond de la participation est de 1 300 Francs.
CLÉ : La clé de votre chambre est mise à votre disposition
durant votre séjour mais elle ne vous appartient pas. Vous
devez vous organiser de façon à ce qu’elle soit toujours à
disposition des personnes résidant dans la même chambre que
vous.
En dehors des horaires d’ouverture des chambres, la clé doit
être obligatoirement descendue au tableau, à l’accueil.
1. Extraits d’un règlement intérieur d’un
CHRS
VISITES : Les personnes (famille, amis...) désirant vous rendre visite doivent se faire connaître à l’accueil. En aucun cas
elles ne sont autorisées à pénétrer dans l’établissement sans
accord et vous ne pouvez pas les recevoir dans votre chambre.
de la région Centre.
Dans cette forme particulière de propriété qu’est la
propriété sociale, les biens collectifs n’étant pas appropriables par les particuliers, la collectivité incarnée par les
personnels a un droit de regard pour en contrôler l’usage.
Si cela est très visible dans les lieux d’hébergement, cela
l’est également dans les cas d’attribution de logements
sociaux ou encore d’accession à la propriété avec aides
publiques [Souffrin et Watin, 1995]. Les personnes n’ont
pas une réelle prise sur les espaces qui leur sont en partie
octroyés. Les services publics chargés de constituer les
dossiers utiliseront plutôt le terme d’« accédants »,
d’« attributaires » que de « propriétaires ». Vocabulaire qui
Ethnologie française, XXXII, 2002, 1
CHAMBRE : Vous êtes responsable de votre chambre, les
animateurs de l’établissement ont le droit d’y pénétrer. Elle
doit être rangée, aérée régulièrement et propre en
permanence.
L’affichage de documents et de photos doit rester modéré et
ne doit pas détériorer les murs et huisseries. (Veuillez utiliser
des punaises à trois points ou des aiguilles à tête.)
Pour des raisons d’hygiène, aucune nourriture ne sera tolérée
à l’intérieur de votre chambre.
sert à rappeler que cet espace attribué n’est pas totalement
un espace privé et que la collectivité se donne le droit de
vérifier si les comportements n’affectent pas la valeur du
bien collectif (voir ci-dessus les extraits d’un règlement
intérieur).
Outre le fait que cette propriété sociale suppose un
droit de regard de la collectivité, l’intensité de celui-ci
varie en fonction de l’équilibre entre l’actif et le passif
social de la personne. Plus elle a payé sa contribution
par l’impôt et les cotisations, moins elle est redevable.
Inversement, plus la personne est débitrice de la collectivité, plus s’exerce la contrainte. Dans le cas de la
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Pour que les corps et les esprits se soumettent :
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Alain Thalineau
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situation des hébergés en CHRS, le fait de ne pas avoir
de possibilité de se loger n’exclut pas le devoir de payer
son hébergement :
« Enquêteur : Est-ce qu’il y a des règles de participation à leur hébergement ?
Directeur d’un CHRS : Bah ! Ils sont obligés de payer
bien sûr.
Enquêteur : Alors ils payent sous quelles modalités ?
Directeur d’un CHRS : Alors là, ils payent normalement
30 % de leurs ressources avec un plancher qui était à 700 F
pour l’hébergement. Puis un tarif réduit. Alors les travailleurs
sociaux appliquent systématiquement le tarif réduit ce qui ne
va pas du tout. Enfin bon... Donc ils payent 30 % de leurs
ressources et après ils paient leurs repas s’ils veulent manger.
Alors c’est 100 F la semaine pour les adultes. Et quand ils
n’en ont pas, on les fait bosser.
Enquêteur : Sous quelles modalités ?
Directeur d’un CHRS : Dans le CAVA 10. Alors là ils en
gagnent et ils sont censés nous en rendre. »
Pour être logé, il faut donc payer, même si l’on n’a
pas d’emploi. Dans la logique historique de la lutte
contre la pauvreté au sein du système capitaliste, la
contrainte au travail est au centre de l’intervention.
Outre sa fonction morale, cette obligation a une double
fonction sociale. Elle permet à la personne, d’une part,
de payer sa dette, et, d’autre part, de tendre vers une
« insertion » : « Directeur d’un CHRS : Il doit travailler
quarante heures en CAVA. Alors ces quarante heures servent à
payer son hébergement, donc on le lui retient comme ça c’est
réglé. Mais en même temps ça sert de bilan professionnel. »
Dette et devoir. Si la dette est reconnue par les hébergés, son paiement n’est pas vécu sans un sentiment
d’exploitation :
« Patrice : La DASS amène des fonds chaque année. Nous,
quand on rentre, on a un loyer de 700 F à payer. On nous
propose de travailler quarante heures, ce qui paye l’hébergement et la restauration et après on peut nous proposer des
emplois solidarité. Moi j’ai travaillé dans les palettes. Mais le
travail qu’il nous propose là, ça nous fait pas gagner grandchose par mois. Je trouve ça quand même... 12 francs de
l’heure, ça vous dit ?
Enquêteur : Oui, ça me dit peu.
Notes
Patrice : Ils appellent ça les CAVA. Je suis un peu perplexe
là-dessus. Moi, j’ai jamais rien dit mais bon... C’est quand
même signé par la Préfecture. Je trouve ça quand même un peu
gros... Après bon, c’est selon le travail que vous avez fait qu’ils
voient la personne. Si on peut lui faire confiance dans le travail,
si elle est ponctuelle, là ils discutent en disant : “Ça t’intéresserait pas d’avoir un travail type CES ?” »
À l’entrée et tout au long du séjour, l’hébergé fait
l’objet d’une investigation des travailleurs sociaux afin
de vérifier les changements de comportements. À l’offre
de logement, s’adjoint une obligation de tout mettre en
œuvre pour retrouver un logement et un emploi. L’exigence d’une contrepartie, qui n’est pas spécifique à cette
situation d’hébergement 11, justifie le contrôle et rend
acceptables les violations quotidiennes de l’intimité.
■
Conclusion
L’approche interactionniste des relations sociales au
sein des CHRS n’apporte qu’une compréhension partielle
des pratiques de restriction et de restauration des territoires de l’intimité. Celles-ci sont compréhensibles à la
condition de les situer dans une double perspective
socio-historique 12.
La reconstruction du territoire de l’intimité chez les
personnes « hébergées » en CHRS se réalise à partir des
possibilités de maintenir la présence des relations de
dépendance affective qui se sont structurées au cours de
leur histoire individuelle et sociale, et d’utiliser des ressources propres pour établir de nouvelles relations affectives. Cela présuppose, comme le souligne Anthony
Giddens en référence à Winnicott, qu’il existe le sentiment de fiabilité des personnes et des choses 13.
Ces reconstructions sont par ailleurs dépendantes des
formes de violation exercées par les institutions. Si
l’encadrement éducatif constitue un cercle de protection
– celui offert par l’État social – et permet la reconstruction d’une intimité anéantie, il n’offre pas la possibilité
que cette intimité entendue comme une « propre propriété » puisse avoir un autre territoire que le « corps
propre ». ■
au fonctionnement du centre. En échange, ils
reçoivent un « pécule ».
1. Loi d’orientation relative à l’exclusion
du 29 juillet 1998.
2. 85 % des hébergements sont de ce type
en décembre 1997, DRESS, Enquête ES 1997.
3. Au 1er janvier 1998, 84 % des adultes
hébergés versaient une participation financière.
Les autres sont contraints d’apporter une aide
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4. Ces données ont été recueillies lors de
deux enquêtes auprès des allocataires du RMI,
l’une dans le cadre d’une thèse de doctorat, l’autre
dans le cadre d’un contrat de recherche avec le
département de la Vendée, et lors d’une recherche en cours sur le devenir des personnes
ayant été hébergées dans les CHRS dans le cadre
d’une convention avec la DRASS de la Région
Centre.
5. « L’ambition effective de maîtriser pratique-
ment l’avenir se proportionne en fait au pouvoir effectif de maîtriser cet avenir, c’est-à-dire d’abord le présent lui-même. » [Bourdieu, 1997 : 262].
6. « Les liaisons amoureuses n’étaient jamais
dépourvues de risque, le risque étant moins d’être
découvert que d’être dénoncé par un des partenaires. »
[Pollak, 2000 : 71].
7. Ce passage est un extrait légèrement
remanié de l’histoire de Marie présentée dans
l’ouvrage suivant : Moulière Monique, Thierry
Rivard, Alain Thalineau, 1999 : 146-157.
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L’hébergement social : espaces violés, secrets gardés
8. « L’homme porte en lui-même la justification principale de la propriété, parce qu’il est son
propre maître et le propriétaire de sa personne, de ce
qu’elle fait et du travail qu’elle accomplit. » [Locke,
1977 : 100].
propriété privée et toujours sacrée, à former une propriété collective, à l’accroître, à l’employer au profit
du plus grand nombre. » [Fouillée, 1884 : 64-65].
9. « Au lieu de tendre à se dessaisir de tout ce
qu’il possède ou peut posséder, les principes de la
science économique autorisent l’État, en face de la
11. Elle est également très présente dans
les autres politiques sociales à caractère contractuel telle que celle du RMI.
10. Centre d’adaptation à la vie active.
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Ethnologie française, XXXII, 2002, 1
12. Comme le souligne Jean-Claude Passeron, « L’historicité de l’objet est le principe de
réalité de la sociologie. » [Passeron, 1991 : 87].
13. « Le sentiment de la fiabilité des personnes
et des choses, si essentiel à la notion de confiance, est
à la base du sentiment de sécurité ontologique ; tous
deux sont donc psychologiquement très proches. »
[Giddens, 1994 : 98].
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Références bibliographiques
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Alain Thalineau
ABSTRACT
Social accomodation : violated spaces, kept secrets
People who are housed in an accomodation centre in order to facilitate their « social rehabilitation » are subject to controls and
obligations that continuously threaten their intimacy. The author analyses the characteristics of this intimacy and shows that when a
social being loses control over other people’s opinion of himself, he feels threatened in his intimate and reassuring territory that
enables him to define himself permanently. This territory is violated by the intrusion of other accomodated people and teachers.
The attitude of social workers who stress the necessity of respecting the individual is legitimated by the definition of the accomodation
centre : a social collective property that cannot be appropriated by private individuals. In this ideological perspective it is self-evident
that the collectivity embodied by the employees has a right to control how the centre is used.
Keywords : Intimacy. Social accomodation. Property. Affective relationships.
ZUSAMMENFASSUNG
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Leute, die in einem Beherbergungszentrum aufgenommen werden, um ihre Resozialisierung zu erleichtern, werden Kontrollen
und Verpflichtungen unterworfen, die ihre Intimität ständig bedrohen. Durch die Analyse dessen, was die Intimität kennzeichnet,
zeigt der Autor, dass, wenn ein soziales Wesen die Kontrolle auf die Meinung der anderen von ihm verliert, dann wird sein intimes
beruhigendes Gebiet bedroht, das ihm ermöglicht, sich ständig zu definieren. Dieses Gebiet wird ständig von den anderen beherbergten
Leuten und Erziehern verletzt. Das Verhalten der Sozialarbeiter, die auf die Notwendigkeit dringen, das Individuum zu respektieren,
wird durch die Definition des Beherbergungszentrums legitimiert : es ist ein soziales Eigentum, ein kollektives Gut, das sich Privatpersonen nicht aneignen können. Aus dieser ideologischen Perspektive hat selbstverständlich die von dem Personal verkörperte
Gemeinschaft Kontrollrecht über den Gebrauch dieses Gutes.
Stichwörter : Intimität. Soziale Beherbergung. Eigentum. Affektive Verhältnisse.
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Soziale Beherbergung : verletzte Räume, gehütete Geheimnisse