créer un bien public - La Ligue de l`enseignement
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créer un bien public - La Ligue de l`enseignement
dOssier Analyse « Créer un bien public » Les Idées en mouvement : L’ouverture des données publiques est-elle une simple mode, ou s’agit-il d’un mouvement de fond ? Henri Verdier : Ce n’est pas une mode. C’est un mouvement de fond qui emporte l’ensemble des grandes organisations, pu bliques ou privées. C’est une ma nière d’agir et d’être efficace après la révolution numérique. Il faut bien préciser que l’on parle ici de données publiques, c’est-à-dire de données produites dans le cadre d’une mission de service public, qui ne soient ni personnelles, ni nominatives, ni sensibles pour la sécurité. Dans ce cadre précis, le mouvement d’ouverture et de partage de ces données réunit deux principes fondamentaux. Il repose tout d’abord sur une exigence de transparence, voire de responsabilité, qui est consub stantielle de la République : dans une démocratie mature, le pou voir est capable de motiver ses décisions et d’en rendre compte. Dans un État moderne, les experts acceptent de livrer les bases de leurs raisonnements, pour que chacun puisse les reprendre et les critiquer. C’est ce que les scienti fiques et les universitaires font depuis longtemps… Avec le suc cès d’Internet, c’est la société tout entière qui demande à entrer dans ce mode de relation fondé sur le savoir et le respect. à leur action, elles permettent aux citoyens, aux associations ou aux entreprises de développer de nou veaux services. C’est le cas par exemple d’Handimap, cette appli cation pour smartphones qui pro pose des itinéraires adaptés aux handicapés moteurs grâce aux données de voirie partagées par certaines municipalités. L’enjeu est donc de remettre cette valeur en circulation. Il s’agit de créer ce que l’on appelle un bien public. En l’occurrence, un bien public informationnel. Les innovations les plus inté ressantes se produisent souvent quand le détenteur des données renonce à les exploiter tout seul, et quand il décide de s’organiser pour attirer tous les talents autour de cet actif. Un bon exemple est le GPS : ce système a été déve loppé au départ par l’armée amé ricaine, jusqu’à ce que Bill Clinton décide, en 2000, de l’ouvrir à toutes les applications civiles, sans discrimination. Ce faisant, il a lancé une filière industrielle complète. On peut comprendre que l’utilisation des données publiques déborde largement l’administration, mais les administrations ont-elles intérêt à jouer le jeu ? nées, notamment parce que leurs systèmes d’information n’ont pas été conçus pour cela. Le travail sur la qualité des données, les in terfaces de consultation, les pré cautions juridiques peut être réel. Mais plus on en fait, plus c’est fa cile… C’est aussi un remarquable outil de valorisation du travail des agents publics, qui permet de donner à voir la réalité du travail de l’administration. Enfin, l’ou verture des données publiques peut être un moyen de dynamiser les politiques publiques. On peut par exemple mobiliser les acteurs privés et sociaux au service de l’intérêt général. Pratiquement, comment faire ? C’est justement pour répondre à cette question qu’a été créé Eta lab, dont la mission est de coor donner le travail des administra tions pour permettre la mise en ligne et la réutilisation la plus large possible des données pu bliques produites par l’adminis tration. La première étape, c’était de développer une plate-forme com mune. C’est désormais chose faite : 355 000 jeux de données publiques sont désormais dispo nibles sur www.data.gouv.fr. Pour cela, il a fallu bâtir un processus pour mettre en ligne ces données, et constituer un réseau de corres pondants open data dans l’admi nistration. Mais on peut aller plus loin : nous souhaitons désormais passer à la phase d’industrialisation et construire un open data « natif », en intégrant la démarche open data à tous les échelons de l’admi nistration française. Nous souhai tons construire un open data avec du sens, en ouvrant les données les plus stratégiques et les plus pertinentes pour la communauté des utilisateurs. Ce seront par exemple les données à fort impact sociétal (santé, éducation, etc.), mais aussi celles à fort potentiel d’innovation sociale et écono mique. Comment les définir ? Cela demande de se concerter. D’ici la fin de l’année, nous allons lancer Mais il repose aussi sur la nouvelle donne générée par la ré volution numérique. De plus en plus, les données permettent de créer de la valeur. Elles per mettent de prendre des décisions informées et en temps réel, elles permettent aux organisations d’être plus efficaces en partageant en leur sein les informations utiles Oui, et elles s’en rendent de plus en plus compte. D’abord parce qu’elles sont souvent les premières bénéficiaires de cette ouverture. Combien de fois avons-nous cherché des informa tions sans savoir qui les détenait ? Combien d’enseignants aime raient fonder leurs cours sur des informations réelles et récentes ? Ou sur des données locales ? Ensuite, parce que l’ouverture et le partage des données pu bliques permettent de construire avec les citoyens de nouvelles formes de relations, de refonder la confiance, d’autoriser de nou velles formes de coopération. Elle permet à l’administration de dé multiplier son action grâce à de nouvelles stratégies d’innovation. Certes, c’est parfois une petite révolution. Certaines administra tions hésitent à ouvrir leurs don .10 Les idées en mouvement le mensuel de la Ligue de l’enseignement « De plus en plus, les données permettent de créer de la valeur. (…) L’enjeu est de remettre cette valeur en circulation. » n° 208 © Yves Malenfer/Matignon Le mouvement d’« open government », lancé aux États-Unis par des acteurs et penseurs du numérique avant d’être relayé par l’administration Obama, gagne la France. L’ouverture des données publiques y occupe une place centrale. Quels sont ses enjeux ? Entretien avec Henri Verdier 1. six débats thématiques qui nous permettront de rassembler les ac teurs concernés, par exemple dans le secteur de la santé ou de l’éducation. Ces débats seront également menés en ligne avec la communauté d’utilisateurs. L’ob jectif est de définir des consensus positifs, sur les jeux de données qui doivent être transformés en biens communs. Des inquiétudes se sont exprimées, par exemple sur les atteintes à la protection de la vie privée. C’est un débat qui mérite d’être pris au sérieux. Nous avons en effet deux droits fondamen taux qui doivent être également défendus. Le droit à la vie privée, qui protège la liberté de con science, est l’un des piliers de la démocratie. Mais le droit à un État qui accepte la transparence et qui sache rendre des comptes est un pilier de la République. C’est d’ailleurs un droit de l’Homme décrété dès 1789 (« La société est en droit de demander compte à tout agent public de son adminis tration »). Il faut donc veiller éga lement à ces deux droits. Pour ma part, je trouve que, concernant les données pu bliques, le droit à la protection de la vie privée est plutôt bien pro tégé en France. La loi de 1951 sur la statistique publique, par exem ple, organise le secret statistique, ce qui exclut, de fait, les données personnelles. La loi Cada de 1978 organise l’accessibilité du citoyen AVRIL 2013 aux données publiques, mais pré voit des exceptions en matière d’informations personnelles, de souveraineté, de conflit d’inté rêt… Au total, il me semble que nous disposons d’un arsenal juri dique solide pour éviter les dé rives, et derrière cet arsenal il y a une culture politique très atten tive à ces enjeux. Il me semble que les inquié tudes sur la confidentialité mas quent un autre problème, qui de mande réflexion : c’est l’entrée dans le monde des grands flux de données. Les particuliers, les ma chines, les entreprises, les États produisent de plus en plus de données. Elles deviennent le socle de l’économie comme du lien so cial. Il faudra, c’est certain, repen ser les modalités de l’action pu blique, la défense de l’intérêt général ou la protection des parti culiers à l’aune de cette nouvelle donne… ●●Propos recueillis par Richard Robert 1. Henri Verdier dirige depuis janvier 2013 la mission Etalab qui, au sein du secrétariat général à la modernisation de l’action publique, coordonne l’action des services de l’État et de ses établissements publics pour faciliter la réutilisation la plus large possible des données publiques. Il a notamment publié, avec Nicolas Colin, L’Âge de la multitude, (Armand Colin, 2012). Il fait également partie du groupe d’experts de la Ligue de l’enseignement sur la société numérique.