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[ LA SAGA DES PARFUMS ]
PAR J.M. MARTIN-HATTEMBERG
PHOTOS DR
Africanisme
et arts premiers
dans la parfumerie européenne du XXe Siècle
AFRICANISME ET ARTS PREMIERS
Des mots nouveaux entrés dans notre actuelle perception européenne
des cultures noires dispersées entre Afrique, Caraïbes, Amériques et Australasie.
Des mots aussi hérités de l'histoire et d'une prise de conscience de la fragilité
d'un patrimoine culturel, pourtant si bien conservé de nos jours avec le grand
musée parisien du quai Branly...
Portrait de Jean Rocherolles, président de la classe 90, Exposition Coloniale de 1931
Si le Japonisme et l’extrême Orient sont
entrés dans l’art de vivre européen
durant les années 1880-1910, ce sont
bien l’africanisme et la découverte de
cette Polynésie si bien représentée
par les toiles de Paul Gauguin qui vont
marquer l’avènement du XXe siècle. Une
ère durant laquelle les moyens de communication permettent de voyager vers les
régions les plus inhospitalières du monde.
Une époque où la mode et le design
revendiquent une modernité de formes
épurées à géométrie variable associées à
une gamme de couleurs vives empruntées à ces civilisations “primitives” devenues “premières” en ce début
du XXIe siècle.
C’est le cubisme dans la peinture et la sculpture.
Ce sont la simplification, la pureté et la rationalité
des formes dans le mobilier et les objets d’art signés
Marcel Coard, Gustav Miklos, Pierre Legrain,
Juan Gris, Sonia Delaunay, Georges Braque,
Jean Dunand ou encore Eileen Gray.
en 1931. La créativité bouillonnante de la
parfumerie et de la cosmétique s’imprègne des tendances ethniques
d'Afrique et d’Océanie.
C'est avec Michel de Brunhoff et Lucien
Vogel que l’africanisme naît dans
la parfumerie dès 1918, avec la création
de la société des parfums De Vigny.
Le tandem opte pour l’humour et
la négritude en commercialisant dès 1920
son premier parfum présenté dans
un flacon étonnant : “le Golli-Wogg”.
Un nom bien curieux qui proviendrait du
mariage entre le mot arabe Ghuls et les initiales
W.O.G.S. (Working on Government Service). Ce mot
désignait les ouvriers indigènes qui travaillaient pour le
gouvernement britannique durant l’occupation de
l’Egypte par les Anglais.
Transcrit en “Golli-Wogg”, le nom fut donné vers
les années 1890-1900 à la première poupée noire
en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, inspirée
des bandes dessinées pour enfants des soeurs Upton,
Florence et Bertha. Le héros en était un personnage
africain à l’allure naïve et débonnaire menant sa vie
parmi les poupées et les jouets... Personnage célèbre,
adulé par les enfants, “Golli-Wogg” est ainsi né libre
de toute connotation...
Mais la “tropic attitude”, l’Europe de l’après première
Guerre mondiale la découvre avec Paul Colin
et Joséphine Baker, symboles de ce “tumulte noir” qui
a fortement marqué les esprits de l’élite intellectuelle
parisienne. La musique et la danse deviennent également l’enjeu d'un choc culturel.
Le culte du corps à la nudité innocente associé à la rythmique
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tribale, saccadée, atonale ou
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chaloupée d’un Sacre du Printemps
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d’Igor Strawinski ou le jazz classique
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style Cotton Club scandalisent ou
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enflamment les esprits...
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Vigny_“Le Golli-Wogg”_1918
Création de Michel de Brunhoff
© Charles Duprat
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Dans l’ambiance parisienne de
ces années 1920, “Golli-Wogg”
devient parfum en hommage à
la Revue Nègre menée par
Joséphine Baker. Le flacon dessiné
par Michel de Brunhoff représente ce personnage africain
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enchâssé dans un coffret à quatre
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Méconnue des Européens durant
d ' u n j o u s s e n a t a l e a i n . abattants, le bouchon gainé de
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quatre siècles de malentendus et
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vison noir affichant son effigie
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d’ignorance, entretenus par les
décou
expressive et sympathique. Ce parcomplexes, l’âme noire a traversé
fum connaîtra un tel succès en
maintes épreuves : l’esclavage, la
France et aux Etats-Unis qu’il fera
disparition de l’empire mandingue en afrique centrale
l’objet de différents types de présentations. Inspiré des
ou encore la période coloniale née de la conférence
noms des “frères” du Golli-Wogg, le coffret trinôme
de Berlin en 1884. En ce début du XXe siècle, l’âme
“Jack, Junior, Jill” en est la parfaite illustration.
noire et ses cultures accèdent ainsi à un début de
reconnaissance avec les prestigieuses expositions
En 1925, cette tendance ethnique se confirme avec
coloniales de Casablanca en 1915 et celle de Paris
le parfum “Fétiche” de la maison L.T. Piver. Un nom
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’Océan
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d’Afriq
qui s’inspire aussi bien du culte superstitieux de
plusieurs peuples d’Afrique, d’Amérique du Sud
et d’Océanie pour des objets matériels, que de
la notion de porte-bonheur chère aux Européens.
Sa présentation sobre à décor géométrique coloré
évoque les motifs utilisés dans les tenues traditionnelles
de certaines tribus africaines, des Maoris ou encore
des Guaranis...
L’année suivante, les parfums De Vigny récidivent dans le répertoire tropical et exotique.
Vanté comme leur parfum fétiche, leur
extrait “Guili-Guili” est présenté dans un
flacon en verre incolore taillé en forme de
colonne fuselée et gainé d'un socle en
résine imitation acajou ou wengé. Son
bouchon cranté en verre est coiffé d’une importante capsule en
résine pressée moulée, l'ensemble imitant une énigmatique
statuette très inspirée de la statuaire africaine.
A partir de 1932, les Parisiennes s’abonnent aux bienfaits
des cosmétiques conçus
par la société Le BakerFix,
dépositaire d’une licence
d’exploitation pour toute
une ligne de cosmétiques
associée à Joséphine Baker :
crèmes, laits, brillantines,
poudres et… huile de bronzage
“Le BakerOil” ! Fini le culte de
la peau blanche diaphane et
les crèmes éclaircissantes.
Le Blanc veut se noircir alors
que le Noir veut se blanchir...
En 1931, Paris accueille durant
plusieurs mois, pour sa grande
année tropicale, l’Exposition coloniale internationale. Tout le public
européen découvre ainsi les richesses
et les diversités des cinq continents. Soit
quelque 32 millions de visiteurs qui vont pouvoir
découvrir les pavillons de l’Afrique occidentale
française, de l’Afrique equatoriale française, de
l’Indochine, des Antilles, mais aussi ceux des Indes
néerlandaises et du Congo belge.
La parfumerie est bien sûr représentée par la classe
90 que préside Jean Rocherolles, lui-même étant alors
président des Parfums Roger & Gallet. La plupart
des matières premières utilisées en parfumerie étant
originaires de pays exotiques, les exposants de cette
classe 90 seront principalement des sociétés
de négoce telles que Robertet, Lautier
& fils, Givaudan, Antoine Chiris, RoureBertrand fils et Justin Dupont... Mais d’autres
marques de prestige comme Roger & Gallet,
Rigaud, Lubin, Ed. Pinaud, les savonneries Gilot,
Biette et Salomon, en profitent pour exposer
leur savoir-faire.
Face au succès retentissant de cette
exposition, les parfumeurs vont
redoubler d’imagination et de créativité. Ainsi la maison Plassard, qui fait
conditionner ses poudres dans une
poudreuse en métal émaillé polychrome décorée d’un paysage tropical
avec soleil couchant et palmiers.
Alors toute jeune maison de parfumerie, Ramey mérite aussi une attention
particulière. Associés au graphiste et
illustrateur Pol Rab, les parfums Ramey
lancent “Nénufar”, tiré du nom d'un
jeune Africain parti de sa brousse
natale pour découvrir le monde
urbain. Un héros de bande dessinée
confronté au progrès mais aussi aux
travers de notre monde dit “civilisé”.
Le flacon en verre opaque noir
représente ce singulier personnage
africain dont la tête fait office de
bouchon.
En 1932 naît Dana, grande maison de
parfums d’origine espagnole. Créée par
Javier Serra, la marque se fait connaître avec
“Tabu”... Tout imprégné de culture polynésienne, ce parfum doit son nom au mot “Tabou”, qui
confère la notion du sacré à un être ou une
chose dans le profane quotidien. Ce même
parfumeur prolonge sa créativité dans le
répertoire ethnique en 1938 avec la création
de “Totem”. Une allusion probable au titre de
l’essai philosophique Totem et Tabou de
Sigmund Freud... Cette même année, Dana
commercialise une gamme de rouges à
lèvres présentés chacun dans un tube incarnant un fétiche africain. Quant aux différentes teintes, elles se déclinent sous des
noms comme “Tchad”, “Riff ” ou “Tombouctou”...
Après la Seconde Guerre mondiale, le parfumeur parisien Marquay imagine en 1948
pour les jeunes femmes
un extrait “Douka”. Son
flacon totémique en
verre incolore est orné
de deux anneaux dorés
et son coffret en acajou massif sculpté à la
main est agrémenté
de divinités tahitiennes. Un style qui
fait penser à l’art
des Maoris, des
Sa-moans et des
peuples
de
PapouasieNouvelle-Guinée.
De nos jours, la
mondialisation
et la mode de
l’ethnique inspirent encore certains ténors de
l'élégance et du luxe. Tel le couturier japonais
Kenzo, qui rend hommage dès 1996 au continent
noir avec ses parfums “Jungle Eléphant”,
“Jungle Lion”, “Jungle Tigre” et “Jungle
Zèbre”. Dessinés par Joel Desgrippes, les flacons
sont inspirés du légendaire Livre de la jungle de
Rudyard Kipling.
L’année 2001. Les mondes effervescents de
la mode et du parfum vibrent avec le
bouillonnant Alphadi. Vivant entre Paris, le
Sahara et Niamey, ce couturier nomade nous
fait découvrir sa mode née d’un alliage subtil
entre l’exubérance africaine et le classicisme
européen. Dans le cadre du Festival
international de la mode africaine, Alphadi
a lancé “L’Aïr”, son premier parfum tiré du
nom du massif montagneux séparant le
Sahara de son Niger natal. Colonne de
verre ornée d’un masque africain doré,
son flacon ressemble à un totem stylisé porteur d’un mystérieux sillage poudré d'une
grande intensité.
Enfin, en 2005, c’est la maison Lubin qui
s’aventure dans le parfum ethnique avec
son sublime “Idole”. Créé par Olivia
Giacobetti, il est enchâssé dans un splendide flacon sculpture imaginé et dessiné par l’incontournable Serge
Mansau.
Si la “tropic attitude” et l’ethnique
sont désormais d’authentiques
phénomènes de mode reflétant
notre société au devenir multiculturel, ils sont tout autant de nouvelles sources d'inspiration et
d'esthétisme.
Ramey - “Nénufar” - 1931 - Création de Pol Rab
© Collection G. Stam, Lausanne
Poudrier commémoratif en laiton illustré de sujets africanistes
© Charles Duprat
Dana - “Tabu” avec son coffret grand luxe en cuir marine - 1932
© Charles Duprat
L.Plassard, poudreuse en métal blanc émaillé polychrome - 1931
© Charles Duprat
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Africanism and the Primary Arts.
New words which are part of our new European perception of Black cultures scattered between Africa,
the Caribbean islands, the Americas and Australasia.
If Japanism and Far East began to melt with
European art of living in the years 18801910, Africanism and the discovery of
Polynesia definetely marked the beginning of the 20th Century. So the boiling
creativity of Perfumery and Cosmetics
of these times became imbued with
ethnic trends from Africa and
Oceania.
Africanism
first
appeared
in
Perfumery in 1918 with Michel De
Brunhoff and Lucien Vogel creating their
company Parfums De Vigny, which released, two years later, their very first perfume
exhibited in an amazing bottle: the “GolliWogg”.
In 1890-1900, this was also the name of the
first ever Black doll in Great-Britain and in the
USA, inspired from childrens’ comic strips
written by the famous sisters Florence and
Bertha Upton. The hero was an African
character with a naive and easy going
appearance, and who was living amongst
dolls and toys...
In the crazy Parisian atmosphere of the
twenties, “Golli-Wogg” became a perfume as a tribute to the “Revue Nègre” lead
by Joséphine Baker. The bottle designed
by Michel De Brunhoff depicted this
Africanist character. This perfume was so
successful in France and in the USA that it
was presented in different styles of displays.
Inspired from the names of the Golli-Wogg
brothers, the trinomial box named “Jack,
Junior, Jill” was the perfect symbol thereof.
In 1925 this ethnic trend was confirmed with
the perfume “Fétiche” signed by L.T.Piver. Its
simple presentation with a coloured geometric decoration recalls patterns used in
the traditional costumes of some African
tribes, Maoris or even Guaranis...
The following year, Parfums De Vigny
renewed their performance in this exo-
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named after the mountain that separates the Sahara
and his native Niger. His bottle, designed as a glass
column decorated with a golden African mask, looks
like a stylized totem.
tic and tropical trend. Reputed as their favourite perfume, their fragrance “Guili-Guili” was displayed in a
bottle imitating an enigmatic African inspired statue.
From 1932, Parisian girls were under the
charm of “Le BakerFix”, a cosmetics line
created by a company associated to the
famous name of Joséphine Baker :
beauty creams, milks, brilliantine,
powders and… tan oil “Le BakerOil”!
1931 was the great Tropical year for
Paris, which hosted the International
Colonial Fair over several months.
Thus, Europe discovered the richness and diversity of the five continents.
About 32 million people visited the pavilions dedicated to French Western Africa,
French Equatorial Africa, Indo-China, West
Indies, Dutch Indies and Belgian Congo.
Perfumery was of course there as most of the
raw materials used in their industry came
from exotic countries. Then exhibitors were
mostly traders like Robertet, Lautier & fils,
Givaudan, Antoine Chiris, Roure-Bertrand
fils and Justin Dupont... But others prestigious companies such as Roger & Gallet,
Rigaud, Lubin, Ed. Pinaud, Gilot, Biette
and Salomon took the opportunity to
display their expertise.
The tremendous success of the Fair
boosted perfumers’ imagination and
creativity. As did Plassard company
when they packed their face powders in
an enamelled metal compact decorated
with a Tropical landscape representing a
sunset and palm trees.
Associated to graphic designer and illustrator Pol Rab, Ramey perfumes released
“Nénufar”, whose name was inspired by a
young African boy who left his native jungle
to find out urban world. He was a comic
strip hero facing both the progress and
flaws of our so-called “civilized”
world. Its black opaque glassy bottle
depicted this remarkable African
character whose head served as a
stopper.
Finally, the Lubin company ventured in the ethnic
perfume universe in 2005 with their sublime “Idole”.
This perfume created by Olivia Giacobetti was set in
a splendid sculpture bottle imagined and designed by
the famous Serge Mansau.
If Tropic Attitude and Ethnics are now authentic
fashion phenomena mirroring our multiculturally evolving society, they are also new inspiration and aestheticism sources.
In 1932 was born Dana, a famous perfume house
with Spanish roots. This trademark created by Javier
Serra made itself known with perfume “Tabu”, inspired by Polynesian culture. He extended his creativity
in this ethnic repertory in 1938 by creating
“Totem”… Dana marketed that same year a whole
lipstick line, each presented in a different tube representing an African fetish. And the various shades
were named “Tchad”, “Riff” or “Tombouctou”...
After the Second World War, Parisian perfumer Marquay imagined in 1948 his “Douka”
extract aimed at young women. The style
of the bottle reminded of the art of
Maoris, Samoans and people from Papua
New-Guinea.
Vigny - Gulli-Gulli” - 1926 - Création de Michel de Brunhoff
Côte d’Ivoire, vers 1935-1940 - © Charles Duprat
L. T. Piver - “Fétiche” - 1925 - © Charles Duprat
Dana - “Le rouge à lèvres”, modèle ouvert et fermé - 1938 - © Charles Duprat
Nowadays globalization and ethnic trend still
inspire some masters of elegance and luxury. Such as Japanese fashion designer
Kenzo and his 1996 tribute to the Black
continent with his perfumes “Jungle
Eléphant”, “Jungle Lion”, “Jungle Tigre”
and “Jungle Zèbre”. Bottles designed by
Joel Desgrippes were drawn from the
legendary "Jungle Book” written by
Rudyard Kipling.
2001. Effervescent worlds of fashion
and perfumes were vibrating for Alphadi.
Living between Paris, the Sahara desert
and Niamey, this couturier released,
during the African Fashion International
Festival, his very first perfume “L'Aïr”
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