1997 - Accueil

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1997 - Accueil
*Titre : *Journal de l'année (Paris. 1967)
*Titre : *Journal de l'année
*Éditeur : *Larousse (Paris)
*Date d'édition : *1967-2004
*Type : *texte,publication en série imprimée
*Langue : * Français
*Format : *application/pdf
*Identifiant : * ark:/12148/cb34382722t/date </ark:/12148/cb34382722t/date>
*Identifiant : *ISSN 04494733
*Source : *Larousse, 2012-129536
*Relation : * http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34382722t
*Provenance : *bnf.fr
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Cet ouvrage est paru à l’origine aux Editions Larousse en 1998 ;
sa numérisation a été réalisée avec le soutien du CNL.
Cette édition numérique a été spécialement recomposée par
les Editions Larousse dans le cadre d’une collaboration avec la
BnF pour la bibliothèque numérique Gallica.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
2
Le nouveau monde
de 1997
En politique étrangère, ce fut
l’année de tous les retournements.
En 1997, les peuples du monde
ont vu tomber bien des mythes
et surgir beaucoup de nouveaux
chefs. Mais, en dépit d’une violence
chronique, il reste ce constat positif.
Depuis la chute du mur de Berlin
qui marque la fin de la menace
soviétique, l’humanité vit moins
dangereusement.
Première légende écornée : celle de
l’Amérique impériale. Pour Bill Clinton,
décembre a trahi janvier. Au début de
l’année, ce dernier avait entamé un second mandat qui, après sa réélection triomphale
en novembre 1996, semblait annoncer une nouvelle série de succès diplomatiques. Mais la superpuissance unique que devint l’Amérique après la
disparition de l’URSS découvre ses limites.
Au Proche-Orient, Clinton, qui avait pourtant
parrainé les accords d’Oslo signés par Yitzhak Rabin et Shimon Peres, ne réussit pas à convaincre
Benyamin Netanyahou de relancer le processus
de paix avec les Palestiniens de Yasser Arafat. Le
Premier ministre israélien a tenu la parole de l’État
hébreu en ordonnant, en janvier, l’évacuation partielle de Hébron, en Cisjordanie.
Mais Jérusalem se refuse à aller plus loin. Il est
vrai que les islamistes du Hamas, poursuivant leur
stratégie de sabotage, se révèlent une fois de plus
les alliés objectifs de Netanyahou. Juste ayant
l’arrivée de Madeleine Albright, la secrétaire d’État
américaine qui veut faire redémarrer la négociation, un attentat suicide fait cinq morts à Jérusalem le 4 septembre. C’est le meilleur argument
pour le veto d’Israël à des concessions.
Washington échoue aussi sur les autres fronts
de la région. Rebelles à l’embargo des États-Unis
contre l’Iran, les Européens maintiennent leur
« dialogue critique » avec Téhéran. Et lorsque Total,
la compagnie française, signe un contrat d’exploitation pétrolière en Iran, le gouvernement américain doit renoncer, en octobre, à appliquer les
sanctions que le sénateur d’Amato a pourtant fait
voter par le Congrès.
C’est avec l’Irak que Bill Clinton connaît son revers
le plus grave. Quand Saddam Hussein ordonne le
13 novembre l’expulsion des experts américains
qui, conformément aux résolutions de l’ONU,
recherchaient armes chimiques et biologiques, le
président américain se retrouve confronté à une
alternative impossible. S’il ordonne à son aviation
de bombarder, ses alliés de la guerre du Golfe ne
le suivront pas : ni les Arabes, déçus par l’indulgence américaine envers Israël, ni les Européens
qui jugent que l’Irak a été assez puni. S’il frappe
seul, le Pentagone risque de relancer la croisade
islamiste contre l’Occident.
Autre mythe bousculé : celui de l’exception
asiatique. Début août, la chute de la monnaie
thaïlandaise va entraîner tous les autres dragons.
La Corée, qui s’était hissée dans le peloton de tête
des nations industrielles, en est réduite à quémander auprès du FMI un prêt de 57 milliards de
dollars.
Mythes et tabous ébranlés
Les « valeurs asiatiques », proclamées supérieures face à une Europe prise dans l’engrenage
de la décadence, n’auraient donc été qu’un alibi.
En prônant l’obéissance des foules, au nom de
Confucius, les élites voulaient seulement s’enrichir
sans être contestées.
Cet écroulement des dominos du Pacifique
démontre les limites du capitalisme sauvage. Sans
réglementation de la Bourse, sans garantie de la
concurrence, les bulles spéculatives finissent toujours par exploser. Pour que la prospérité dure, il
faut que l’économie de marché soit encadrée par
la démocratie.
Au Mexique, l’Histoire est également réécrite. Le
Parti révolutionnaire institutionnel, qui se voulait
une forteresse éternelle, apprend, lors des élections de juillet, qu’il est mortel. Pour la première
fois depuis soixante-quinze ans, il perd une des
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deux chambres du Parlement. Ce n’est qu’un début : les prochaines élections devraient le priver
du Sénat en 1998 et de la présidence en 2000.
Que de tabous qui ont disparu ! La France se résigne à reconnaître combien sa politique africaine
est démodée. À partir de février, Laurent-Désiré
Kabila, conseillé par Washington, renforcé militairement par les armées tutsies du Rwanda et de
l’Uganda, avance irrésistiblement dans les jungles
du Zaïre. Mais Paris continue de prétendre que
Mobutu est incontournable. En mai, c’est Kabila
qui gagne.
Jacques Foccart, le maître des réseaux africains
de la France depuis le général de Gaulle, est mort
deux mois plus tôt. Cette disparition symbolise la
fin d’une époque.
Conséquence du passage de l’armée de métier,
Paris réduit sa présence militaire sur le continent
noir. Jacques Chirac déclare que la France renonce
désormais aux « interventions unilatérales ». En
août, il refuse d’envoyer des troupes pour séparer
les milices qui se disputent Brazzaville à coups de
mortier : les Ninjas de Pascal Lissouba, président
démocratiquement élu, et les Cobras de Denis
Sassou-Nguesso, l’ancien dictateur qui finit par
l’emporter.
Lionel Jospin, le nouveau Premier ministre socialiste, confirme cette ligne. À l’issue d’une tournée
qui le conduit, en décembre, au Maroc, au Sénégal
et au Mali, il souligne que les anciennes colonies
doivent accepter d’être traitées en États majeurs.
De paternelles, les relations de la France avec ces
pays vont devenir « fraternelles ».
Mais si le « néocolonialisme » est condamné,
voici que le « colonialisme » retrouve des adeptes.
Dans l’archipel des Comores, l’île d’Anjouan, qui
avait voté pour l’indépendance il y a vingt-trois
ans, réclame, en juillet, son rattachement à la
France. La prospérité de l’île voisine de Mayotte,
restée française, explique cette requête. Paris dit
non.
La bousculade des idées reçues ne connaît pas
de frontières. Reçu à Paris en octobre, le président
tunisien, Ben Ali, vante les bienfaits du despotisme
éclairé. Mobilisant les énergies pour accélérer
le développement, cet autocrate affirme détenir le vaccin contre la contamination islamiste. Il
doit y avoir du vrai : après avoir tant dénoncé les
méthodes dictatoriales de Hassan II, les socialistes
français font amende honorable. À Rabat, en,
décembre, Lionel Jospin salue « l’approfondissement de la démocratie au Maroc ».
Le monde ne cesse de se réinventer. Hongkong,
qui avait été britannique pendant cent cinquantequatre ans, redevient chinoise le 1er juillet. Mais,
pour savoir si l’ancienne colonie convertira la
Chine à la démocratie ou si, au contraire, elle perdra ses atouts économiques sous l’influence communiste, il faudra attendre. Le gouvernement de
Pékin n’a-t-il pas promis de maintenir le système
capitaliste de Hongkong pendant cinquante ans ?
De nouvelles réalités s’enracinent. Plus personne
ne doute de l’entrée en vigueur de la monnaie
unique européenne. La décision d’Helmut Kohl,
en avril, de briguer encore un mandat ne traduit
pas seulement la volonté du chancelier de battre
le record de longévité de Bismarck. Il veut rendre
irréversible la construction de l’euro. Si l’Allemagne accepte de sacrifier le mark, les autres pays
membres de l’Union ne pourront plus reculer.
Les nouvelles donnes
Même constat pour l’élargissement de l’Europe,
dont le principe est fixé en décembre à Luxembourg. Avec l’arrivée des pays de l’ancien bloc
socialiste, les Quinze achèveront d’effacer les
dernières conséquences des totalitarismes nazi
et communiste. L’Europe est réconciliée avec
elle-même. Ce que confirme, aussi en décembre,
l’ouverture de l’OTAN aux Polonais, aux Tchèques
et aux Hongrois. Même la Russie approuve.
Bien sûr, ce nouveau monde en train d’émerger coexiste avec des horreurs immuables. Le
17 novembre, la tuerie de Louxor qui se solde par
la mort d’une soixantaine de touristes étrangers,
en est un rappel sanglant. De même pour la prise
d’otages du Pérou. Occupée par les guérilleros du
mouvement Tupac Amaru, l’ambassade du Japon
à Lima sera délivrée par la force : en avril, et après
cinq mois de siège.
L’Algérie continue aussi de saigner. La libération
d’Abassi Madani, en juillet, n’arrête pas cette terdownloadModeText.vue.download 5 sur 361
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rible hémorragie. Ni les élections municipales du
23 octobre qui, après un scrutin présidentiel et des
législatives, complètent l’édifice institutionnel mis
en place par l’armée.
Et puis les hommes passent. Deng Xiaoping
meurt le 19 février : vingt ans après avoir engagé la
Chine sur le chemin de la réforme. Le pouvoir politique est resté communiste mais l’économie obéit
aux règles du marché. Jiang Zemin, le successeur,
ne change pas de cap.
C’est surtout l’arrivée au pouvoir de Tony Blair
qui frappe les imaginations. La victoire des travaillistes aux élections britanniques, le 1er mai, met
un terme à quinze ans de règne tory et donne un
coup de jeune à l’Angleterre.
Retour sur image : à Sarajevo, où avait été tiré le
premier coup de feu des affrontements de 14-18,
les membres de l’OTAN se sont entendus pour préserver le calme. Et, contrairement aux idéologies
totalitaires du passé, la violence islamiste n’a pas
déclenché d’incendie général. Aujourd’hui, il n’y a
plus de conflits que limités. Le XXe siècle semble se
terminer mieux qu’il n’a commencé.
CHARLES LAMBROSCHINI RÉDACTEUR EN CHEF AU Figaro
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LE BILAN MONDIAL
5
L’euphorie
boursière
Malgré quelques replis
occasionnels, Wall Street n’a cessé
de battre des records depuis une
dizaine d’années.
Le Dow Jones, l’indice qui mesure
l’évolution des cours boursiers,
n’a pas arrêté de monter : de
1 000 points en 1982 et 3 000 en
1992, il est passé à la fin juin
1997 à 7 500 points. De telles
performances sont appréciées
très diversement. Ainsi, pour le
président de la Réserve fédérale
américaine, il s’agit d’une
« exubérance irrationnelle »
qui peut annoncer un krach ;
pour les analystes boursiers, il
faut se montrer optimiste, voire
euphorique, car ce n’est pas
seulement Wall Street qui réagit
à la hausse ; les grandes places
boursières internationales sont
également gagnées par cette
euphorie.
Àl ’issue du premier semestre 1997, la
plupart des grandes places boursières
mondiales ont atteint de nouveaux
sommets historiques. Le 20 juin 1997,
par exemple, l’indice Dow Jones des trente valeurs
vedettes s’est hissé à 7 796,51 points, soit un gain
de 0,19 % par rapport à la clôture du 13 juin. Il
s’agit du sixième record consécutif. Depuis le
début de l’année, la Bourse américaine est montée de 19,59 % après une progression de 26,01 %
en 1996. Quelque peu déconcertés au départ par
la persistance de cette euphorie, les analystes
boursiers américains n’en ont pas moins reconnu
qu’il ne s’était pas produit depuis longtemps une
convergence absolue et univoque de facteurs
aussi favorables : dollar fort, taux d’intérêt bas,
absence de tensions inflationnistes, baisse du taux
de chômage (au niveau le plus bas depuis octobre
1975), performances remarquables des entreprises (entre la réduction des coûts et les gains de
productivité) et surtout abondance des liquidités
(donc d’argent frais).
Si depuis 1991 Wall Street a battu continuellement des records, c’est parce que les ménages
américains ont investi toutes leurs liquidités disponibles. Ils ont ainsi préféré aux placements
traditionnels (immobilier, assurance-vie, produits
monétaires) les achats d’actions en Bourse sous le
couvert de fonds communs de placement, acteurs
désormais incontournables du système financier,
et se sont même endettés à court terme. Enfin,
Wall Street a également bénéficié d’un afflux de
capitaux extérieurs provoqué par les conditions
de financement avantageuses offertes aux investisseurs internationaux.
À Paris comme à New York
Comme les autres places financières internationales ont également connu la fièvre tout au long
du premier semestre 1997, les analystes financiers
ont estimé que la hausse boursière américaine
s’était transmise aux Bourses européennes. Pour
sa part, la place de Paris a suivi les traces des
autres avec retard ; en approchant le seuil des
3 000 points, l’indice CAC 40 a battu un nouveau
record historique ; les valeurs françaises ont progressé de 50 % entre septembre 1996 et juillet
1997. Cette euphorie persistante n’a pas été jugée
tellement surprenante, car elle obéit à un scénario
similaire à celle de Wall Street : reprise prévisible
de la croissance sans inflation, amélioration de la
rentabilité des entreprises en voie de restructuration dans de nombreux secteurs d’activité, attrait
grandissant des investisseurs nationaux et internationaux pour les actions. Elle laisse tout de même
un goût amer à tous ceux qui voient leur emploi
menacé alors que la cote de leur entreprise ne
cesse de monter.
G.R.
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6
PROFESSION : GOUROU
À la différence des places boursières européennes ou asiatiques, la Bourse de New York
est dominée par deux sortes d’acteurs, souvent
désignés du terme générique de « gourous ».
Ceux-ci jouent le rôle d’oracle sur le marché des
actions. La première génération des gourous
regroupe des analystes boursiers attachés à
de grandes maisons de courtage comme Merril Lynch, Solomon Brothers, Morgan Stanley
ou Goldman Sachs. Ils prédisent l’évolution de
la cote. La seconde génération est représentée
par des consultants (tels ceux du cabinet newyorkais Stern, Stewart and Co) qui recalculent le
résultat opérationnel des entreprises afin d’optimiser leur utilisation du capital et d’améliorer
leurs bénéfices.
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LE BILAN MONDIAL
7
L’après-Deng
À partir du milieu des années 90,
alors que les apparitions publiques
de Deng Xiaoping se faisaient
de plus en plus rares, la Chine a
offert aux yeux des Occidentaux
l’image d’un État entraîné dans une
croissance littéralement emballée,
sur fond d’engourdissement
politique apparent. En réalité,
l’après-Deng avait déjà commencé.
On sait que Jiang Zemin a tiré son
épingle du jeu. Mais le statu quo
politique affiché en 1997 pourrait
bien voler en éclats.
Si « la Chine s’est éveillée », les forces centrifuges – que l’utopie totalitaire de Mao
avait maintenues sous l’éteignoir – sont
entrées dans une phase active : fragmentation des couches dirigeantes du « capitalisme
rouge » en clientèles concurrentes et dérive en
îlots de prospérité semi-indépendants des régions
côtières – l’une et l’autre creusant chaque jour un
peu plus les inégalités. Deng Xiaoping lègue à son
successeur un pays qui s’affranchit insensiblement
du joug d’un centre fort. À la recherche d’une nouvelle légitimité, le régime de Pékin semble opter
pour un syncrétisme doctrinal alimenté par une
double tradition : d’une part, le confucianisme, réhabilité à petites doses, de l’autre, le nationalisme
aux manifestations de plus en plus bruyantes. Un
nationalisme qui offre aussi quelques commodités
en matière de politique intérieure.
Des défis explosifs
Face à l’impérieuse nécessité de s’attaquer à la
réforme du secteur industriel public, le régime de
Pékin se trouve confronté à un véritable cassetête dont on perçoit mal le caractère social explosif, masqué par la bonne tenue de la croissance.
Pourtant, il est clair qu’une véritable campagne
d’assainissement laisserait sur le carreau plusieurs
dizaines de millions de sans-emploi. Les autorités
ont pu vérifier que le terrain était miné quand
elles ont essayé de réactiver une loi sur les faillites
vieille d’une dizaine d’années et qui n’a été appliquée que dans des cas dits « expérimentaux ». Des
grèves se sont produites dans plusieurs grands
centres industriels, notamment dans le nord-est
du pays et en Mandchourie. À bien des égards, la
réforme du secteur public apparaît comme le dossier crucial de l’après-Deng.
Sur le plan extérieur, le partenariat de sécurité
conclu en 1996 entre le Japon et les États-Unis a
conditionné le cours de la diplomatie chinoise,
suscitant un « raidissement » à Pékin dont l’effet
immédiat aura été une normalisation des relations
avec Moscou. Parallèlement, la Chine s’est engagée sur la voie d’un autre « rapprochement historique », cette fois avec l’Inde. Tout en se rapprochant de New Delhi, la Chine conserve des liens
forts avec le Pakistan, auquel elle fournit des missiles M-11, voire de l’armement nucléaire. La tentation de l’hégémonie constitue un danger perçu
comme tel par l’Occident. Pourtant, tout indique
que l’on est décidé, de ce côté du monde, à s’en
accommoder.
P.F.
LA CHINE ET LA RUSSIE
La Chine n’est plus ce pays faible et pauvre que
l’URSS guidait sur la voie de l’avenir radieux du
communisme. Contrairement à la Russie, la Chine
détient la capacité de projeter une puissance
réelle, économique et militaire, au-delà de ses
frontières. Une réalité que l’on prend au sérieux
à Moscou, car, derrière les proclamations d’amitié, les conflits ancestraux et les données stratégiques sont loin d’être oubliés. Ainsi de la pression démographique et économique chinoise,
qui pourrait gagner les républiques nouvellement indépendantes d’Asie centrale situées à la
frontière de la Chine. À cet égard, les troubles
et la répression conduite au premier trimestre
de 1997 par les Chinois contre les Ouïgours turcophones du Xinjiang ont été suivis avec la plus
grande attention par Moscou.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
8
Télécoms : la fin
des monopoles
L’accord mondial sur l’ouverture
totale à la concurrence, à compter
du 1er janvier 1998, des marchés de
services de télécommunications,
conclu par soixante-huit pays le
15 février 1997 à Genève dans le
cadre de l’Organisation mondiale
du commerce (OMC), marque
la fin de l’ère des monopoles, le
plus souvent publics, dans un
secteur économique considérable
(3 820 milliards de francs de
chiffre d’affaires) et aussi le
plus dynamique (une croissance
annuelle de 10 % ces dernières
années). Avec cet accord, les
opérateurs du monde entier,
confrontés à une situation nouvelle
– celle d’une concurrence accrue
–, n’ont pas d’autre solution que
de rechercher une plus grande
rentabilité.
Avec l’accord du 15 février 1997, n’importe quel exploitant téléphonique
devrait pouvoir d’une part proposer ses
services dans des pays autres que son
pays d’origine et, d’autre part, acquérir une participation majoritaire (sauf dérogation) dans le capital
de ses homologues étrangers, sans que les autorités des pays concernés puissent opposer leur veto.
Le temps passé à négocier l’accord (3 ans) a montré l’importance des enjeux pour les signataires.
Les opérateurs nationaux (surtout européens) se
doivent d’accepter que leurs marchés soient ouverts à la concurrence au moment où ils ne le sont
qu’à hauteur de 17 % avant la signature de l’accord. Ces opérateurs peuvent difficilement refuser,
car il s’agit d’un mouvement de fond qui a débuté
aux États-Unis à la fin des années 1970, sous la
pression des grandes entreprises consommatrices
de services de télécommunications. En 1984, les
autorités américaines ont cédé en démantelant
AT & T, groupe privé jouissant d’un monopole
depuis les années 20. Les pays européens ont suivi
cette déréglementation de façon très limitée en
excluant notamment le service de base (le transport de la voix sur des réseaux filaires) pour ne pas
perdre de recettes.
Des conséquences timides
La mise en concurrence des opérateurs européens a commencé à se traduire pour les usagers par des baisses de tarifs. Les négociateurs
américains estiment que les prix des appels
internationaux devraient baisser de 80 %, ce
qui n’est pas encore le cas. L’accord de Genève
ouvre une nouvelle ère qui devrait entraîner de
profonds bouleversements. L’abolition des barrières sur les marchés mondiaux et la disparition
ou la réduction des seuils imposés pour les prises
de participation dans des compagnies nationales impliquent que celles-ci se préoccupent
de pénétrer les marchés extérieurs. À cet effet,
elles doivent envisager de s’allier entre elles, si
elles veulent résister à la concurrence des grands
groupes dominants.
G.R.
LA DIMENSION FRANÇAISE
Le marché mondial des télécommunications s’est
élevé à 601,5 milliards de dollars en 1995. Pour sa
part, France Télécom a réalisé un CA de 151,3 milliards de francs l’année suivante (soit près de
30 milliards de dollars). L’exercice 1996 a été marqué par le fort développement des téléphones
mobiles et par le lancement de Global One, le
partenariat stratégique qui unit l’entreprise française à l’allemand Deutsche Telekom et l’américain Spirit. Comme pour Air France reste en suspens la question du statut juridique, public ou
privé, de France Télécom. L’arrivée de la gauche
au pouvoir, en juin, a rendu le dossier encore plus
complexe. Une mission d’étude a été confiée à
l’ancien ministre Michel Delebarre.
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LE BILAN MONDIAL
9
Transports aériens :
l’ouverture à
la concurrence
internationale
Le 1er avril 1997 (début du nouvel
exercice dans la comptabilité
aérienne), l’espace aérien de l’Union
européenne a été complètement
libéralisé : les lignes aériennes
intérieures peuvent être désormais
desservies par les compagnies des
autres pays. Du jour au lendemain,
le ciel européen est devenu le plus
concurrentiel du monde en matière
de transport aérien, devant les
États-Unis.
Dès que le processus de déréglementation a été entamé en 1977 puis étendu
aux États-Unis (accord de « ciel ouvert » entre les nations des deux rives
de l’Atlantique), les transporteurs des pays de
l’Union européenne se sont activement préparés
à cette échéance symbolique du 1er avril 1997 :
avec un marché aussi prometteur (surtout celui
de la France), ils ont pris sans tarder toutes sortes
de dispositions non seulement pour conserver
leurs parts de marché, mais aussi pour tirer parti
de l’ouverture à la concurrence. D’un côté, les
grandes compagnies tout comme les plus petites,
récemment entrées, ont cherché à réduire leurs
coûts afin de baisser leurs tarifs. D’un autre côté,
les plus puissantes (par exemple British Airways)
se sont lancées dans des politiques d’alliance ou
de rapprochement afin de préserver une offre à
l’échelle de la planète.
C’est bien à cette libéralisation du ciel européen
que doit être attribuée la croissance du nombre
de créations de compagnies (80 entre 1993 et
1996 mais autant de disparitions) et de routes
intracommunautaires exploitées (passant de 490
à 520 pendant la même période). Cette croissance
a été suivie de celle du nombre des passagers
transportés : ainsi, les compagnies membres de
l’Association des compagnies européennes (AEA)
ont acheminé en 1996 103 millions de passagers
sur les seules lignes européennes, contre 7,8 millions en 1992.
Cependant, les tarifs, contrairement à ce qui s’est
passé aux États-Unis au lendemain de la déréglementation du transport aérien, n’ont pas connu
en Europe une baisse régulière et sensible. Le
seul véritable espoir en ce domaine réside dans
la multiplication des compagnies discounts. En
limitant les frais (réservation par fax, paiement
par carte bancaire, minimum de personnel), les
prix sont deux à trois fois moins élevés pour des
destinations en promotion. D’un autre côté, sur les
lignes régulières, les compagnies ont procédé à la
différenciation des tarifs. C’est le « yield management » (gestion optimale des recettes) où les prix
sont modulés jusqu’à la dernière minute afin de
remplir les avions.
Rapprochements
Les grandes compagnies aériennes comme
British Airways ou Lufthansa ont cherché à
étendre leur influence, profitant de la sélection
qu’implique une concurrence accrue. British
Airways s’est préparée longtemps à l’avance en
comprimant d’abord ses coûts ; de la sorte, elle
a dégagé des profits tels qu’elle a été placée au
premier rang mondial. Elle a pu ainsi consacrer
de lourds investissements en devenant le principal actionnaire de Deutsche BA en Allemagne, de
TAT et de Air Liberté en France. Ces participations
devaient lui permettre de pénétrer les marchés
européens. De son côté, après avoir redressé ses
comptes depuis 1991, Lufthansa a tissé un réseau
d’alliances en Allemagne, en Europe et dans le
monde, ce qui l’a conduite au rapprochement
avec neuf compagnies aériennes (United Airlines,
All Nippon Airways, Varig, etc.). D’une façon générale, ces alliances obéissent à de vraies logiques
commerciales (partage de lignes, connexions de
programmes de « millage » ou de remplissage et
des systèmes de réservation).
G.R.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
10
LA RESTRUCTURATION D’AIR FRANCE
Pour l’exercice clos au 31 mars 1997, Air France
a annoncé son premier bénéfice depuis 1989
(211 millions de francs). La compagnie est parvenue à ce résultat par l’accroissement du trafic
et par le remplissage record de ses avions. Cependant, ses coûts restent plus élevés que ceux
de ses concurrents : ils sont supérieurs de 14 %
à ceux de British Airways et de 40 % à ceux des
compagnies américaines. Christian Blanc, P-DG
de la compagnie, aurait voulu abaisser les coûts
de 15 % en moyenne au cours des trois prochaines années et multiplier les alliances avec
des partenaires étrangers. Il sera obligé de quitter son poste pour s’être opposé au gouvernement Jospin sur le statut futur de la compagnie.
Il souhaitait une privatisation complète. Il n’a pas
été suivi.
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LE BILAN MONDIAL
11
La Suisse en
question
1996 avait été bien morose en Suisse
– licenciements en cascade dans les
banques et l’industrie, pression à la
baisse sur les salaires. C’est donc
dans un contexte fortement déprimé
qu’a éclaté en 1997 l’affaire des
victimes de l’Holocauste. Après avoir
temporisé, Berne a dû se résoudre
à reconsidérer une neutralité peu
glorieuse.
En accusant les banques de la Confédération de détenir des avoirs juifs en déshérence pour un montant de plusieurs
milliards de francs suisses, de nombreuses
organisations internationales juives ont relancé
le débat sur la neutralité helvétique. L’ouverture
des archives en Europe centrale et orientale et le
regain d’intérêt pour la question de la responsa-
bilité du pays pendant la Seconde Guerre mondiale ont préparé le terrain, faisant apparaître la
neutralité sous un jour bien moins favorable que
traditionnellement admis. Un verrou a ainsi sauté
dont témoignent quelques questions : n’aurait-on
pas dû se préoccuper davantage de l’origine des
avoirs déposés en Suisse ? Que sont devenus, au
lendemain de la guerre, les dépôts en banque
des Juifs qui ont été exterminés ? Il est clair qu’au
regard des réactions des milieux concernés et des
hésitations du gouvernement, la renommée internationale de la neutralité suisse sera durablement
ternie.
La morale et la contrainte
Concernant les victimes de la Shoah, le gouvernement a choisi de faire un geste significatif. Ainsi,
le président de la Confédération helvétique, Arnold Koller, a adressé un discours solennel diffusé
dans tout le pays par la télévision et destiné à faire
le point pour l’opinion publique suisse et étrangère sur la volonté du gouvernement de Berne
d’assumer son passé entre 1933 et 1945. C’est ainsi
que la Suisse a décidé de créer une Fondation de
la solidarité de 7 milliards de francs suisses pour les
victimes de l’Holocauste, ainsi que de la pauvreté,
des catastrophes et des violations des droits de
l’homme. Parallèlement, les principales banques
du pays ont pu annoncer la création d’un fonds
de 100 millions de francs suisses pour les victimes
du génocide, faisant ainsi un premier geste financier après une longue polémique les accusant
d’avoir profité des persécutions des juifs par les
nazis. Le gouvernement et les banques suisses
n’auront donc pas pris à la légère la pression qui
s’est manifestée sur la scène internationale avec,
notamment, des menaces de la municipalité de
New York de ne plus confier d’argent aux banques
de la Confédération tant qu’un fonds de compensation n’aurait pas été créé. Sans doute la pression
économique aura-t-elle pesé en la matière d’un
poids plus significatif qu’un quelconque examen
de conscience. On peut assurément le regretter.
P.F.
UNE LITTÉRATURE DE HAINE
Sur la scène du Neumarkt Theater de Zurich,
quatre comédiens ont lu en rafale le courrier des
lecteurs paru au printemps sur l’affaire des fonds
juifs. Le spectacle, monté par la comédienne
Shelley Kästner, se termine par de terribles vociférations : « Et d’ailleurs, où les Juifs l’ont-ils pris,
tout cet argent ? » ; « Hitler a mal fait son boulot » ; « Il y a 18 000 Juifs de trop en Suisse » ;
« Adolf est parmi nous » ; « Votre liquidation n’est
qu’une question de temps » ; « Les Juifs torturent
et égorgent les animaux sans anesthésie », etc.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
12
Échecs : Kasparov
vaincu par un
ordinateur
Du 3 mai au 11 mai, à New York,
le champion du monde d’échecs
Garry Kasparov affronte un super
ordinateur d’IBM, Deeper Blue. Au
terme d’un match en six parties, la
machine l’emporte par 3,5 points
à 2,5. Pour la première fois, un
ordinateur triomphe d’un champion
du monde en titre lors d’une
rencontre jouée sur un rythme
normal.
« Aucun ordinateur ne me battra », avait un
jour osé affirmer imprudemment Garry
Kasparov, que les experts s’accordent
à considérer comme le meilleur joueur
d’échecs de tous les temps. Pour la première fois
de sa longue carrière, le prestigieux champion
russe a cependant été dominé par une machine.
Déjà, en 1996, Deep Blue, un superordinateur
IBM RS/6000 SP équipé de 256 microprocesseurs
travaillant en parallèle et capable d’analyser 50 à
100 milliards de coups en trois minutes (le temps
moyen nécessaire pour jouer un coup lors d’une
partie d’échecs classique), lui avait donné du fil à
retordre. Mais Kasparov l’avait finalement emporté
par 4 points à 2. Tirant les leçons de la défaite de
leur « bébé », les informaticiens d’IBM se sont alors
attachés à rendre celui-ci encore plus performant.
Ainsi est né Deeper Blue. Ce nouveau matériel
possède la même architecture que son prédécesseur, mais il est deux fois plus puissant. Grâce
au concours d’un ancien champion d’échecs des
États-Unis, Joël Benjami, il est, par ailleurs, apte à
mieux « comprendre » la position des pièces et à
mieux évaluer leur potentiel à chaque instant de
la partie. Dans son imposante mémoire ont été
enregistrées toutes les parties connues disputées
par Kasparov au cours de sa carrière.
On chercherait en vain la moindre forme d’intelligence dans le mode de fonctionnement de
cette machine de 1 400 kg. De ce point de vue,
ce n’est qu’un « tas de ferraille », pour reprendre
l’expression méprisante par laquelle les amateurs
d’échecs se plaisent à désigner familièrement les
ordinateurs. Son principal atout est sa puissance
phénoménale de calcul, sa capacité à scruter en
permanence les soixante-quatre cases de l’échiquier pour simuler et analyser toutes les possibilités susceptibles de se réaliser dans les sept coups
à venir, voire plus dans certaines configurations. À
cela s’ajoute le fait que la machine, à la différence
de l’homme, n’éprouve ni fatigue, ni stress, ni aucune fragilité psychologique.
Les efforts déployés par l’équipe d’IBM pour le
match revanche de l’ordinateur se sont avérés
payants puisque Deeper Blue a battu Kasparov par
3,5 points à 2,5. Mais le champion semble surtout
avoir été déstabilisé par son adversaire. En effet,
après avoir infligé à la machine une défaite sans
appel lors de la première partie, il a abandonné
dans la deuxième alors qu’une possibilité de jeu
nul par échec perpétuel s’offrait à lui ; et, dans les
parties suivantes, il a commis plusieurs erreurs
stratégiques en délaissant notamment son style
habituel d’attaquant pour chercher à dérouter
l’ordinateur. Même si la victoire de Deeper Blue
marque une date dans l’histoire du jeu d’échecs,
elle ne représente pas encore l’avènement de la
machine imbattable par l’homme.
PHILIPPE DE LA COTARDIÈRE
LES CONDITIONS DU MATCH
Organisée à l’Equitable Center de New York, sur
la 7e Avenue, la rencontre entre Garry Kasparov
et l’ordinateur Deeper Blue a été disputée en six
parties. Lors de chaque partie, chacun des deux
joueurs disposait de deux heures pour effectuer
ses quarante premiers coups, puis d’une heure
pour les vingt suivants. Ensuite, les deux adversaires avaient chacun une demi-heure pour terminer la partie : celle-ci ne pouvait donc durer
plus de sept heures. Le vainqueur du match
(l’équipe d’IBM) a touché plus de 700 000 dollars,
le perdant, 400 000.
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LE BILAN MONDIAL
13
OTAN – Russie :
la nouvelle donne
La Russie n’ayant jamais manqué
une occasion de dire tout le mal
qu’elle pensait de l’extension
de l’Organisation atlantique, la
rencontre à Moscou (14 mai)
entre le secrétaire général de
l’Organisation atlantique, Javier
Solana, et le ministre russe des
Affaires étrangères, Evgueni
Primakov, aura constitué une
véritable surprise.
L’aggiornamento de Moscou à l’endroit de
l’OTAN a pris la forme de l’Acte fondateur
sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelle entre l’OTAN et la Fédération
de Russie. Si le Kremlin, qui désirait un traité en
bonne et due forme, n’a obtenu qu’une espèce
de charte et s’est vu opposer un ferme refus sur le
droit de veto au sujet des futurs élargissements de
l’OTAN, en revanche, les mécanismes de consultation mis en place lui offrent des moyens de pression non négligeables sur les décisions de l’OTAN.
Et bien que les Occidentaux aient fait valoir que
l’Acte fondateur n’était qu’une compensation
accordée à Moscou en contrepartie de l’élargissement de l’OTAN à certains pays de l’ancien bloc
soviétique, il reste que la Russie a finalement obtenu ce à quoi elle tient le plus : avoir son mot à
dire dans la stabilité et la sécurité en Europe. En témoignent les institutions instaurées par l’Acte fondateur. Ainsi, les Russes et les membres de l’OTAN
siégeront désormais dans un « conseil conjoint »,
présidé par le secrétaire général de l’OTAN et un
haut diplomate russe. La Russie pèsera donc d’un
poids égal à celui des alliés occidentaux dans le
fonctionnement de ce conseil.
Hypothèses contradictoires
Les Russes sont-ils pour autant décidés à jouer
la carte de la coopération ou celle de la perturbation ? Première hypothèse : ils peuvent s’intégrer
dans les mécanismes de décisions multilatérales,
prendre leur part de la stabilité en Europe et participer à des opérations de maintien de la paix.
Seconde hypothèse : ils pourront bloquer les
initiatives des Occidentaux, voire se refaire une
« clientèle » auprès des États frustrés par l’élargissement sélectif de l’alliance atlantique. Il est
vraisemblable que l’attitude de la Russie dépendra de l’évolution interne de la Fédération. Si elle
parvient à sortir de ses difficultés économiques et
sociales, à surmonter sa crise d’identité et à définir de manière rationnelle ses nouveaux intérêts
stratégiques, la Russie sera en position de tirer le
meilleur parti de la nouvelle donne en Europe.
Mais que le Kremlin vienne à se crisper dans des
attitudes nationalistes, qu’il considère que son
avenir est davantage en Asie que sur le Vieux
Continent, et l’Acte fondateur ne sera plus qu’une
coquille creuse.
P.F.
UNE RÉVISION DU TRAITÉ CFE
En contrepartie de leur aggiornamento atlantiste, les Russes ont obtenu de notables avantages sur la modernisation du traité sur les
forces conventionnelles en Europe (CFE). Signé
en novembre 1990 entre l’OTAN et le pacte de
Varsovie, ce traité avait fixé des quantités maximales d’armements (tanks, véhicules blindés,
hélicoptères, artillerie lourde) pour la « zone des
flancs » s’étendant de la Norvège à la Turquie et
englobant l’Ukraine, la Moldavie, l’Azerbaïdjan,
la Géorgie, l’Arménie et le Kazakhstan. La hausse
des quotas russes, notamment dans le Caucase,
est acquise.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
14
Le sommet
d’Amsterdam
À Amsterdam, les Quinze n’ont pu
que constater leur incapacité à
réformer les institutions de l’Union
européenne. Cependant, en adoptant
le Pacte de stabilité monétaire
agrémenté d’un volet social sur
l’emploi, ils ont mis un terme à la
crise qui menaçait l’euro et le couple
franco-allemand.
Sans doute, si Lionel Jospin ne s’était pas
installé deux semaines plus tôt à l’hôtel
Matignon et n’avait pas émis des réserves
sur le pacte de stabilité (« Du super-Maastricht ! ») et sur sa détermination à faire l’euro, le
Conseil européen réuni, les 16 et 17 juin, à Amsterdam, en vue d’amender le traité de Maastricht, se
serait-il focalisé sur son ordre du jour prioritaire : la
réforme de ses institutions. Un projet ambitieux :
il s’agissait, avant l’élargissement à 20 ou à 25, de
tirer au plus vite l’Union de la paralysie qui l’avait
déjà gagnée au lendemain de l’adhésion de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède et d’éviter
qu’elle ne se dilue dans une simple et large zone
de libre-échange, en renforçant son pouvoir de
décision.
Pendant ces deux jours, les 15 devaient donc
plancher sur un nouveau mode de gouvernement plus efficace, plus politique et moins technocratique. La pondération de l’importance de
chacun de ses membres devait être rééquilibrée,
elle était trop avantageuse pour les petits pays au
détriment des grands, le nombre de commissaires
diminué et le champ des votes à la majorité et non
plus à l’unanimité, élargi. Certes, à la sortie, il y a eu
des avancées, notamment sur les pouvoirs du Parlement européen et en matière de politique étrangère. Mais, par rapport aux ambitions affichées à
l’entrée, les Quinze se sont quittés sur un constat
d’échec. Un blocage qui fait courir le risque d’une
paralysie des institutions.
Helmut et Lionel
Un blocage dû en grande partie au couple franco-allemand. Pour la première fois, ce tandem,
véritable moteur de l’Europe, est apparu fragilisé
en raison de désaccords sur la gestion de la zone
monétaire européenne. Pendant sa campagne
électorale, Lionel Jospin n’avait pas caché tout le
mal qu’il pensait du pacte de stabilité voulu par
l’Allemagne et adopté à Dublin en décembre
1996. Crime de lèse-Europe pour Helmut Kohl, il
avait même émis des réserves quant à sa volonté
d’aboutir à l’euro à n’importe quel prix. Une fois
installé à Matignon, le Premier ministre avait fait
comprendre qu’il ne signerait pas un tel pacte
s’il n’était pas assorti d’un volet social engageant
l’Europe à faire de l’emploi une de ses priorités. À
Amsterdam, après une première prise de contact,
à Poitiers, lors du sommet franco-allemand, en
accord avec Jacques Chirac, un compromis était
trouvé : les Quinze adoptaient une résolution sur
la croissance et l’emploi faisant pendant au pacte
de discipline budgétaire. L’euro était sauvé.
B.M.
DIX ANS POUR FAIRE L’EURO
7 février 1992 : signature du traité de Maastricht.
15 décembre 1995 : fixation du nom et du calendrier de l’euro à Madrid.
14 décembre 1996 : adoption du pacte de stabilité à Dublin.
17 juin 1997 : vote du pacte de stabilité à
Amsterdam.
Printemps 1998 : création de la Banque centrale
européenne, liste des pays participants à l’euro
et choix pour les pièces et les billets.
1er janvier 1999 : gel des taux de change, introduction de l’euro sur les marchés financiers.
2001 : mise en circulation des pièces et des billets
de l’euro en parallèle avec les monnaies nationales, progressivement retirées.
1er juillet 2002 : l’euro est la seule monnaie en
circulation.
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LE BILAN MONDIAL
15
L’échec du sommet
de la Terre
L’Assemblée générale extraordinaire
de l’ONU s’est achevée le 28 juin
sur un constat amer. L’ensemble
des participants aura en effet
considéré que cette réunion était
un coup d’épée dans l’eau, alors que
l’environnement de la planète s’est
dégradé depuis cinq ans. Principal
accusé, les États-Unis ont admis
qu’ils devaient s’engager davantage.
On fera mieux une autre fois. C’est du
moins ce que l’on peut lire dans la
déclaration finale, puisque, en guise
de résolution, les États sont tombés
d’accord pour espérer que lors du prochain sommet, prévu pour l’an 2002, « plus de progrès soient
réalisés ». Les quelque deux mille ONG présentes à
New York n’ont pas caché leur déception – sinon
leur colère – devant la reconnaissance de cette impuissance générale. Celle-ci paraît pour le moins
inquiétante dans la mesure où le diagnostic est
établi (dégradation de l’environnement) et la thérapie connue : modifier les modes de production
et de vie. Mais personne n’entend engager le traitement comme l’a montré l’absence de grandes
décisions impliquant les gouvernements dans des
actions concrètes. Cinq ans après le sommet de
Rio, on peut considérer qu’un pas en arrière a été
franchi pour la santé de la planète.
Réponses dilatoires
Si les intentions n’ont pas manqué, le « malade »
a d’abord été invité à prendre son mal en patience.
Ainsi du réchauffement climatique, qui a été renvoyé à une prochaine conférence, prévue à Kyoto,
au Japon, en décembre 1997. De même pour la
nécessité de mieux partager les ressources en
eau douce – sans doute un des enjeux majeurs
auxquels se trouve confronté le monde à l’aube
du IIIe millénaire – dont il sera question lors d’une
conférence ministérielle au printemps 1998, à
Paris. Quant à l’utilisation des produits chimiques
toxiques, en particulier les pesticides, le sommet
de New York n’a accouché que d’une mise en
garde de principe. Mais c’est sur le chapitre de
l’aide au développement que l’on a pu mesurer le
danger qu’il y a à renvoyer à plus tard des déci-
sions dont l’urgence est patente.
Les promesses de Rio à ce sujet n’ont pas été
tenues : ainsi cette aide qui devait passer à 0,7 %
du produit intérieur brut est-elle aujourd’hui inférieure à 0,3 %. Tout en reconnaissant cet échec, les
États se sont bien gardés de s’engager plus avant.
Une pusillanimité lourde de conséquences quand
chacun s’accorde à penser que si les pays du Sud
suivent le modèle de développement du Nord, ils
vont contribuer de manière catastrophique à la
crise écologique mondiale. Cible privilégiée des
écologistes, les États-Unis se sont toutefois engagés à leur donner des garanties en proposant une
série de normes antipollution.
P.F.
LES ÉTATS-UNIS SUR LA SELLETTE
Le président Bill Clinton a paru coincé entre la
pression des écologistes – ces derniers constituant un important vivier électoral pour le
prochain candidat démocrate – et l’intense lobbying des industriels, soutenus par les maires
de nombreuses grandes villes. Les premiers ne
manquent pas une occasion de laisser entendre
que les électeurs verts pourraient bien faire
défaut au vice-président Al Gore, les seconds
rappellent volontiers qu’ils disposent de puissants relais au sein du Congrès. En imposant des
normes antipollution plus strictes. Bill Clinton
aura pris un risque politique.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
16
G7 ou G8 ?
Depuis 1975, le G7 rassemble les
sept pays les plus industrialisés,
lors de sommets annuels dédiés
aux questions économiques. Le
millésime 1997 a surtout consacré
la puissance américaine et l’entrée
au club de la Russie, aux côtés de
l’Allemagne, du Canada, des ÉtatsUnis, de la France, de la GrandeBretagne, de l’Italie et du Japon.
Avant de partir pour Denver, le président
Boris Eltsine avait déclaré qu’il souhaitait voir « écrit noir sur blanc » que le G7
était désormais transformé en G8. Si,
pour la première fois, le président russe a participé
à la quasi-totalité des discussions – à l’exception
de celles consacrées aux questions économiques
et au système financier international –, les sept
n’ont pas pour autant accepté le principe d’un
élargissement permanent de leur club à la Russie.
C’est surtout vrai de Tokyo qui n’a toujours pas
réglé son différend territorial avec Moscou sur les
îles Kouriles, occupées par l’Armée rouge depuis
1945. Le sommet de Denver, qui s’est ouvert le
20 juin, a toutefois permis à M. Eltsine de célébrer
son « succès géostratégique prodigieux », selon
la formule d’un haut fonctionnaire français. Mais,
en termes strictement économiques, force est de
constater qu’un fossé sépare la Russie du reste du
monde industriel. Ainsi, des pays comme la Chine,
le Brésil, l’Inde ou l’Indonésie ont non seulement
une production supérieure à celle de la Russie,
mais ils présentent de plus une structure économique aujourd’hui très proche de celle des pays
industriels.
Tensions transatlantiques
De leur côté, les Européens n’ont guère goûté la
leçon d’économie que leur a prodiguée un Bill Clinton dont l’arrogance était évidemment indexée
sur les performances américaines en la matière.
Aussi se sont-ils employés à rappeler qu’il fallait
compter avec le Vieux Continent, en soulignant
ses progrès vers la monnaie unique, son action
déterminante en faveur de l’environnement ainsi
que l’ampleur et l’antériorité de ses efforts au profit de l’Afrique. L’entêtement déployé par les Européens pour faire en sorte que le projet de l’union
économique et monétaire des Quinze figure en
bonne place dans les discussions a payé : un paragraphe du communiqué final était en effet consacré à la future monnaie unique. Il s’agissait surtout,
en l’espèce, de rassurer les partenaires américain
et japonais quelque peu soucieux des turbulences
monétaires susceptibles d’accompagner l’introduction de l’euro et d’apaiser leurs inquiétudes à
l’endroit de la concurrence que celui-ci pourrait
entraîner pour le dollar et le yen. Pour le reste –
environnement, aide aux pays du tiers-monde –,
les Européens ont aussi fait front commun, sans
toutefois convaincre un président américain au
triomphalisme quasi condescendant.
P. F.
À QUOI SERT LE G7 ?
Le sommet de Denver a surtout servi à introniser la Russie comme nouveau membre, grâce à
la détermination du parrain américain. Pour le
reste, eu égard au caractère hétérogène des dis-
cussions – économie, monnaie, maladies infectieuses, vieillissement de la population, Afrique,
effet de serre, Bosnie, eau douce, Irak –, force est
de constater qu’on n’y a pratiquement rien décidé et peu débattu. En revanche, on y a dépensé
beaucoup d’argent et d’énergie en respectant,
comme d’habitude, un consensus de façade.
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LE BILAN MONDIAL
17
Dollar fort, euro
faible
5,20 francs en janvier 1997,
6,10 francs en septembre : le dollar
s’appréciait de près de 20 % en
neuf mois. Une bonne nouvelle pour
la France. Un motif d’inquiétude
pour l’Allemagne, alarmée par la
perspective d’un euro « faible ».
Avec un déficit public maîtrisé, des
chiffres de chômage et d’inflation au
plus bas, des revenus des ménages en
progression et des niveaux record de
consommation, l’économie américaine entamait
en 1997 la septième année d’un cycle continu
de croissance, au plus grand profit du dollar. À la
mi-année, la devise américaine accédait même au
statut de valeur refuge face à la tourmente monétaire que connaissait l’Asie du Sud-Est. En France,
la flambée du billet vert favorisait une légère reprise économique. Elle contribuait à améliorer les
bénéfices des entreprises en gonflant la valeur de
leurs opérations effectuées en dollars et en tirant
à la hausse leurs exportations, moins chères et
donc plus compétitives. Un dollar fort a l’inconvénient d’augmenter le prix des matières premières
importées, comme le pétrole. Mais, tout au long
de l’année, le cours de l’or noir baissait de près de
20 %, annulant l’effet haussier du dollar. Dopé, notamment, par les réallocations d’actifs asiatiques,
la bonne tenue de Wall Street et les excellents résultats des entreprises françaises, le CAC 40 s’offrait
le 3 septembre une hausse historique de 4,11 %.
L’inquiétude allemande
Jusqu’où allait monter le dollar ? À l’été, il atteignait un niveau pénalisant dangereusement les
produits made in USA. Attentifs aux effets inflationnistes d’une possible surchauffe de l’écono-
mie américaine et à d’éventuels relèvements de
taux de la Réserve fédérale, certains analystes prédisaient, dès septembre, une baisse du billet vert
en 1998. Un scénario qui réjouirait grandement
les autorités monétaires allemandes, inquiètes des
conséquences sur le futur euro de la dépréciation
du mark face au dollar. Les obligations du Trésor
allemand sont en effet détenues à 40 % par des investisseurs étrangers. Chaque hausse de la devise
américaine leur fait perdre de la valeur, incitant la
Bundesbank à relever ses taux rémunérateurs, au
risque d’entraîner à sa suite l’ensemble des taux
d’intérêt européens et de casser net la reprise économique. Si tel était le cas, le principal critère de
convergence vers la monnaie unique – un déficit
public inférieur à 3 % du PIB en 1997 – ne pourrait
être respecté ni par l’Allemagne ni par la France.
L’union monétaire devrait alors se faire avec l’Italie, le Portugal et l’Espagne, des pays aux devises
traditionnellement faibles. Face à une monnaie
américaine triomphante, l’euro prendrait alors un
bien mauvais départ. À moins que son lancement,
prévu le 1er janvier 1999, ne soit repoussé.
J.-F. P.
LES YO-YO DE LA LIVRE
Fin juillet, la monnaie britannique se hissait à
près de 10,40 francs, son plus haut niveau en huit
ans. Dopée par une économie qui connaissait un
des taux de croissance les plus élevés d’Europe,
elle bénéficiait alors d’un statut de monnaie
à haut rendement. Mais, dès septembre, des
signes d’essoufflement de l’activité apparaissaient. La livre plongeait alors à 9,60 francs, non
loin de son seuil de support, confirmant qu’elle
reste la monnaie la plus volatile du monde.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
18
Les « tigres » dans
la tourmente
financière
Commencée le 2 juillet avec
l’effondrement du baht thaïlandais,
bientôt suivi par celui des monnaies
philippine, birmane, malaise,
indonésienne, singapourienne et
hongkongaise, la crise financière
en Asie du Sud-Est rappelait que les
pays émergents peuvent subitement
se transformer en « tigres de
papier ».
Tout au long de l’été, les fonds d’investissement américains – dont le Quantum
Fund, dirigé par George Soros – prenaient des positions à la baisse sur les
Bourses locales, le plongeon des marchés d’actions s’accompagnant de nouvelles dépréciations
des monnaies vis-à-vis du dollar. Contraint à la dévaluation, le gouvernement thaïlandais annonçait
début août le détail d’un plan de sauvetage négocié avec le Fonds monétaire international (FMI),
en contrepartie d’une ligne de crédit de 15 milliards de dollars (95 milliards de francs). Afin de
défendre leurs devises, les banques centrales de
l’ASEAN décidaient de relever leurs taux, au risque
de provoquer un fort ralentissement de l’activité
économique et, par contrecoup, de faire fuir définitivement les investisseurs étrangers, qualifiés un
peu rapidement de « vils spéculateurs ».
La remise en cause d’un modèle
de développement ?
Si ces derniers ont leur part de responsabilité
dans le déclenchement de la crise, celle-ci plonge
ses racines dans des déséquilibres plus profonds.
En effet, les pays émergents d’Asie du Sud-Est ont
subi de plein fouet le retournement d’un cycle
jadis vertueux, basé sur un niveau d’exportations
élevé, un système de changes arrimé à un dollar
bon marché et un appareil de production largement financé par des capitaux étrangers. Désormais, « tigres » et « dragons » sont confrontés à
une concurrence agressive sur leurs exportations
(chaussure, textile, électronique), notamment de
la part de la Chine. Affaiblis par d’énormes déséquilibres de leurs balances des paiements, ils ont
dû, en outre, laisser flotter leurs monnaies vis-à-vis
d’un dollar qui ne cessait de s’apprécier depuis le
début de l’année. Or, le niveau élevé des importations dans leurs propres exportations interdisait
tout effet bénéfique d’une dépréciation monétaire sur leur balance commerciale. L’importance
des capitaux à court terme dans le financement
de leurs économies les conduisait par ailleurs à
de dangereux surinvestissements, formant des
bulles spéculatives qui ne demandent qu’à éclater,
notamment dans l’immobilier. Si les investisseurs
étrangers décidaient d’accélérer leur fuite, la correction à venir en 1998 risquerait alors d’être rude.
J.-F. P.
SOROS MIS EN CAUSE
George Soros a-t-il profité de la puissance financière du Quantum Fund pour faire du lobbying
politique ? Le Premier ministre malais Mohamad
Mahatir n’hésitait pas à accuser le financier américain d’être à l’origine de la tempête sur les monnaies du Sud-Est asiatique. Soros, qui a engrangé
1 milliard de dollars en 1992 en spéculant contre
la livre, aurait mal accepté que la très répressive Birmanie adhère à l’ASEAN (Association
des nations du Sud-Est asiatique. Elle regroupe
Brunei, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines,
Singapour, la Thaïlande, le Viêt Nam. Elle vient
d’accueillir en son sein le Laos et la Birmanie).
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
20
La fin de la
Ve République ?
La VIe République est-elle née le
1er juin 1997 ? Ce jour-là, au terme
d’un invraisemblable numéro
d’arroseur arrosé, la dissolution
de l’Assemblée nationale, décidée
quelques semaines plus tôt par
le président de la République,
trouvait son épilogue, inattendu de
la plupart des observateurs, quoi
qu’en disent les professionnels de la
prévision rétrospective : la majorité
présidentielle, pourtant forte de
464 sièges, soit près des cinq
sixièmes de l’Assemblée sortante,
se retrouvait soudain minoritaire,
d’une courte tête il est vrai, mais
minoritaire tout de même, au palais
Bourbon.
Écrasé en 1993, le Parti socialiste, après
avoir reconquis, à l’occasion de l’élection
présidentielle de 1995, le titre de fédérateur incontesté de l’opposition, devenait
l’axe d’une majorité nouvelle, dite « plurielle »,
ralliant à son panache rosé les bataillons épars
du Parti communiste, des Verts, du Mouvement
des citoyens de Jean-Pierre Chevènement, sans
oublier les Radicaux de gauche. Lionel Jospin, le
seul homme qui soit jamais sorti vainqueur au
sprint d’un jeu de patience, entrait à Matignon
en triomphateur modeste et s’installait aux commandes de l’État avec l’humilité implacable d’un
maire du palais. Répudiant le style pontifical et baroque de François Mitterrand, le nouveau Premier
ministre n’allait pas tarder à séduire les Français
par un mélange extrêmement subtil et sans doute
passablement fragile de simplicité citoyenne – la
méthode Jospin –, de modération conservatrice –
les droits acquis –, de psychodrame manipulateur
– les trente-cinq heures –, de professionnalisme
partisan – le congrès de Brest – et de sens des responsabilités – l’acceptation de l’euro. Une gauche
à la pluralité rassurante retrouvait le chemin des
ministères et, par une habileté suprême, feignait
de n’y accéder que par l’entrée de service, faisant
ainsi coup double en ménageant la majesté élyséenne tout en flattant la modestie ontologique
de son électorat. Il y a deux façons pour la gauche
d’arriver aux affaires : par imitation ou par récusation de la droite. François Mitterrand, enfant perdu
du peuple conservateur, avait choisi la première
Lionel Jospin (ci-contre avec Jacques Chirac),
humble réformateur d’une gauche pervertie,
imposait la seconde. C’était le Noël des pauvres...
dans un pays où il y a beaucoup de pauvres.
Autopsie d’un échec
Comment Jacques Chirac et les droites en
sont-ils arrivés là ? Contrairement à une opinion
répandue, le pari d’élections législatives anticipées n’avait rien d’absurde. À l’aube de 1997, la
victoire de la gauche au terme de la législature
s’annonçait plus que probable. Le pays s’apprêtait
à basculer dans une campagne électorale interminable, largement dominée par les surenchères
de l’extrême droite. L’autorité internationale de
la France, confrontée à des échéances majeures
comme celle du passage à l’euro, risquait d’être
sérieusement malmenée par une bataille électorale inévitablement dissensuelle. Il n’était sans
doute contraire ni à l’intérêt général ni aux intérêts partisans de la droite de vouloir brusquer
l’échéance, épargner au pays une campagne électorale inutilement corrosive, tout en cueillant le
Front national à froid et en exploitant les ambiguïtés de la gauche sur la question de l’immigration.
On trouve, au reste, confirmation de cette analyse
dans les résultats : il s’en est fallu de 0,7 point que,
au terme d’une campagne qui restera comme un
chef-d’oeuvre absolu de maladresse et d’improvisation, les droites ne conservent la majorité à
l’Assemblée nationale. En vérité, le président de la
République était, dans les premiers mois de 1997,
dans une position analogue à celle du parieur
de Pascal : il avait tout à perdre à laisser courir
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LE BILAN FRANÇAIS
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l’échéance et une chance, fût-elle très limitée, de
gagner en la précipitant.
L’erreur ne fut pas de dissoudre mais de dissoudre pour ne rien changer, pour tout conserver : Juppé à Matignon, l’austérité au gouvernement, MM. Balladur, Séguin, Madelin et Pasqua en
dehors. L’erreur aura été de tenter de gagner sans
jouer, d’escamoter l’élection, donc les électeurs,
au lieu de faire de la dissolution l’instrument d’un
changement maîtrisé, ce qu’en d’autres temps
M. Giscard d’Estaing avait appelé « le changement
dans la continuité », c’est-à-dire à la fois un renouvellement profond des hommes et une inflexion
limitée des politiques. L’erreur, ce fut pour le chef
de l’État d’observer ce qu’il aurait dû conduire, de
maintenir au lieu de modifier et d’abandonner la
responsabilité du mouvement au symbole tragiquement impopulaire de la continuité : Alain Juppé. La politique est comme la guerre, un art tout
d’exécution : mal préparée, mal expliquée, mal
conduite, la dissolution aura moins été une fausse
bonne idée qu’une bonne idée gâchée.
Courte défaite, grands effets : battue de justesse,
la droite française sort structurellement brisée
de l’épreuve électorale, comme si elle n’avait ces
dernières années réussi à ne tenir debout que par
le miracle de sa participation aux affaires et de sa
présence fédératrice au gouvernement. Abasourdie par un coup du sort qu’elle prévoyait mais
qu’elle n’avait pas vu venir aussi vite ni partir de
là où il lui fut asséné, la droite ne sait plus en cette
fin d’année 1997 à quels saints se vouer, à quels
partenaires s’allier, à quelles idées s’identifier et à
quelles procédures d’arbitrage se soumettre.
La droite hésite sur les hommes. Le loyalisme
néomonarchique qui l’habite depuis l’avènement
de la Ve République lui interdit de s’écarter du chef
de l’État, fût-il vaincu. Très vite, Philippe Séguin
(ci-dessus, entre Édouard Balladur et Alain Juppé)
s’impose comme président du RPR, mais c’est Juppé et non pas Chirac qu’il remplace. La question
du chef suprême reste entière. L’opposition serait
au reste bien en peine de se donner une procédure légitime de sélection d’un nouveau leader
et ses dirigeants paraissent enfermés pour l’éternité dans une sorte de huis clos sartrien. Les effets
combinés de la défaite et de l’individualisme font
de la guerre des droites une incessante et dérisoire
conspiration des ego. La droite hésite sur les idées.
Perdus entre les attentes de l’élite et les craintes du
peuple, entre la liberté et l’autorité, entre l’Europe
et la nation, entre le protectionnisme et la mondialisation, ses dirigeants dansent en permanence
une valse-hésitation devant l’avenir qui ne leur
vaut ni la confiance des humbles ni la considération des puissants.
La droite hésite sur ses alliances. La gauche l’a
accusée de complaisance à l’égard du Front national, accusation injuste dans la mesure où le RPR et
l’UDF ont tenu bon face au chant des sirènes de
l’extrémisme et ont payé cette fermeté au prix fort
même s’il est faux d’attribuer sa défaite législative
au seul maintien au second tour de soixante-dix
candidats du Front national. Accusation peutêtre prémonitoire, toutefois, si l’on en juge par
les déclarations de plus en plus nombreuses de
responsables RPR et plus encore UDF sur l’assouplissement souhaitable de l’ostracisme frappant
l’extrême droite.
Bref, la droite va mal, très mal même. Heureusement pour la gauche car, si les modérés sont au
bord de l’explosion, les socialistes sont déjà guettés par l’usure. Certes la conjoncture économique
s’améliore, certes l’habileté du Premier ministre fait
merveille, certes l’adéquation paraît grande entre
les attentes confuses de l’opinion et les discours
suaves de la majorité plurielle, mais l’expérience
nous enseigne que les états de grâce ne sont pas
éternels, les sondages nous indiquent que la popularité de M. Jospin, après six mois de présence à
Matignon, est bonne mais n’a rien d’exceptionnel,
l’Asie nous invite à douter de la pérennité de la
croissance et, par-dessus tout, la chronique électorale nous rappelle qu’une majorité, si massive
soit-elle, n’a jamais réussi depuis 1978 à survivre
à deux rendez-vous successifs avec le corps électoral. Oui, c’est décidément la droite qui demeure
l’arme absolue de la gauche.
Le système en débat
Au-delà toutefois de ce combat droite-gauche
qui domine la scène depuis plus d’un quart de
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siècle, c’est désormais la République elle-même
qui tend à devenir l’enjeu principal du débat. La
troisième cohabitation est en effet d’une nature
différente des deux autres. La cuvée Jospin 97
comporte des effets assurément plus déstabilisateurs pour la République gaullienne que la cuvée
Chirac 86 ou encore que la cuvée Balladur 93. Et
cela pour trois raisons. C’est un fait d’abord que les
élections législatives de 1997 ont été provoquées
par le chef de l’État et se sont alors transformées
en une confrontation directe entre celui-ci et
l’opposition parlementaire : l’échec du RPR et de
l’UDF a sonné comme un échec personnel du Président, plus proche par sa signification du désaveu
infligé par le peuple à Valéry Giscard d’Estaing en
1981 que de la défaite, à terme échu, de la gauche
parlementaire en 1986. Les Français ne savent plus
beaucoup leur histoire mais ils conservent, inscrit
au coeur de leur mémoire reptilienne, le souvenir
des dissolutions malheureuses de Charles X, de
Mac-Manon et de Millerand. Pour être légitime en
France, la dissolution se doit de réussir.
Les élections ont, en second lieu, placé sur le devant de la scène une question traditionnellement
tenue pour subalterne sous la Ve République, celle
du choix du futur Premier ministre : au premier
tour, les Français ont éliminé M. Juppé ; au second,
ils ont choisi M. Jospin. Ce dernier peut donc se
vanter d’être politiquement, sinon constitutionnellement, le premier chef de gouvernement de
la Ve République à avoir été élu au suffrage universel direct et d’être ainsi devenu l’égal du président de la République. Cette égalité, qui fait de
lui, selon sa propre expression, « l’une des deux
têtes de l’exécutif » et qui l’autorise à cosigner des
communiqués avec le chef de l’État, dissimule une
supériorité de fait dans la mesure où l’élection du
Premier ministre, c’est-à-dire sa consécration par
le suffrage universel, est plus récente que celle de
M. Chirac.
Il y a enfin la durée. Les deux premières cohabitations s’étaient inscrites dans le temps court d’une
campagne présidentielle à peine distendue. Elles
avaient affecté, l’une et l’autre, des queues de septennat et revêtu le caractère de batailles de succession. La cohabitation, modèle 1997, intervient
deux ans seulement après l’élection de Jacques
Chirac à la présidence de la République et tend
donc à s’imposer comme le régime de croisière
du nouveau septennat. Elle domine désormais le
règne et non pas simplement l’interrègne. Que
restera-t-il de l’autorité présidentielle au bout de
cinq ans d’un exercice aussi déséquilibré des pouvoirs ? Sauf dans l’hypothèse d’un échec brutal de
l’équipe socialiste, sans doute moins, beaucoup
moins qu’en 1988 qui vit la victoire de François
Mitterrand effacer rétrospectivement l’abaissement de sa fonction lié à la défaite de la gauche
deux ans plus tôt, et moins également qu’en 1995
qui clôtura par une guerre des Premiers ministres
le règne d’un monarque épuisé par l’Histoire et
par la maladie, sans altérer pour autant le prestige
de la Couronne.
En vérité, le régime sort moins brisé que désarticulé par les bouleversements électoraux et
politiques de 1997. La Ve République a toujours
autorisé deux lectures, parlementaire et présidentielle, de l’équilibre des pouvoirs. La période qui
va de 1958 à 1986 aura vu le triomphe apparemment irrésistible de l’interprétation présidentielle.
Sommes-nous, depuis une dizaine d’années, en
train de basculer dans une conception néoparlementaire de la République gaullienne ? Ce serait
sans doute une erreur de le penser car, quel que
soit le vainqueur de l’élection présidentielle de
2002, Lionel Jospin, Jacques Chirac ou un « troisième homme », on assistera à un nouveau
retour de balancier en direction de l’Elysée. La
République française n’a pas à proprement parler changé de nature en 1997. Elle a simplement
franchi une nouvelle étape dans un processus de
dédoublement qui la conduit, selon les moments,
à enfanter des formes d’équilibre institutionnel et
politique contradictoires. Étrange Ve République
qui, jadis conçue par un paranoïaque de génie,
semble désormais gagnée par une forme sévère
de schizophrénie !
JEAN-LOUIS BOURLANGES
DÉPUTÉ EUROPÉEN
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LE BILAN FRANÇAIS
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Les fonds de
pension
Créés par la droite pour permettre
aux salariés de compenser la baisse
inéluctable des retraites, les fonds
de pension sont dénoncés par la
gauche. Celle-ci estime que ces
fonds risquent de mettre à mal le
système de retraite par répartition
qui a cours en France depuis des
décennies et qu’ils ne profiteraient
en fin de compte qu’à une minorité
de privilégiés.
Adopté par le Parlement, le 25 mars 1997,
le Plan d’épargne retraite (PER) offre la
possibilité aux salariés de constituer un
capital qui, le jour de leur retraite, sera
transformé en rente viagère. C’est un système de
capitalisation et de revenu différé constitué par les
apports financiers des salariés et les abondements
de leur entreprise.
Le PER appelé aussi fonds de pension va-t-il
rester dans le domaine de la pure virtualité ? À
voir les réticences du gouvernement de Lionel
Jospin à reconnaître les mérites de ce système de
retraite volontaire par capitalisation, il y a de fortes
chances que les décrets d’application ne voient
jamais le jour sous la forme envisagée. En réalité,
le débat est idéologique et recouvre le vieux clivage gauche-droite : libéralisme contre protection
sociale à la française ; adhésion individuelle contre
solidarité collective.
Des intentions louables
À l’origine, pourtant, l’intention de Jean-Pierre
Thomas, inspirateur et rapporteur UDF de la loi,
semble louable. Son constat est simple : les PER
viennent consolider le système de la retraite par
répartition et offrent aux salariés les moyens
d’affronter la baisse inéluctable des pensions provenant des régimes obligatoires. Deux incitations
spécifiques sont créées pour les promouvoir :
une économie d’impôt sur les sommes investies
par le salarié et la possibilité pour l’employeur
d’abonder les versements de ses salariés dans de
bonnes conditions fiscales et sociales. Mais pour la
gauche, une telle loi n’est pas acceptable en l’état
Les socialistes estiment qu’elle est doublement
injuste parce que, d’abord, elle ne profite qu’aux
salariés les plus aisés, ceux qui ont les moyens
d’épargner ; ensuite, parce qu’elle met en danger les régimes de retraite par répartition en les
privant de cotisations puisque l’abondement des
entreprises n’est pas soumis pour une très large
part à charges sociales. D’où, selon les socialistes,
un nouveau déséquilibre des caisses qui mettrait
en péril les retraites de tous les Français pour le
seul bénéfice de quelques privilégiés.
Les réactions des intéressés
Mais au-delà de ces questions doctrinales qui
risquent, avec le retour de la gauche aux affaires,
de mettre à mal ces fameux fonds de pension,
reste à savoir, dans l’hypothèse où la loi Thomas
résisterait au changement de majorité du mois
de juin, comment les entreprises et les salariés
réagiront à ce système de capitalisation, nouveau
pour beaucoup d’entre eux. Les entreprises se laisseront-elles séduire par les avantages fiscaux des
PER au point d’en créer ? Ne vont-ils pas seulement
bénéficier aux seules grandes entreprises ? Les
salariés, de leur côté, qui, en cette période de difficultés économiques, privilégient les formules les
plus souples et les plus liquides, vont-ils prendre
le risque de verser une partie de leurs économies
dans ce système de capitalisation à long terme ?
Autant de questions qui remettent en cause la
pérennité des fonds de pension.
B. M.
5 700 FRANCS POUR 800 FRANCS
Selon les calculs de la Caisse nationale de prévoyance, un Français qui verserait 800 F par mois
à un PER, à partir de l’âge de 20 ans, obtiendrait à
60 ans une rente mensuelle de 5 712 F en tenant
compte d’un retrait de 20 % en capital au moment de son départ à la retraite. La rente serait
de 3 077 F pour celui qui commence à cotiser à
30 ans, de 1 533 F à 40 ans et de 576 F à 50 ans.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
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Les relations francoafricaines en 1997
En mars 1997, Jacques Foccart
s’éteignait. Avec la disparition
de l’éminence grise de la France
pour les Affaires africaines, c’est
toute une époque qui est révolue.
À ce moment précis, le régime
corrompu du général Mobutu fait
figure de symbole des errements
de la politique africaine de la
France. Paris n’a plus les moyens
d’intervenir militairement alors
qu’elle peine à convaincre ses allies
anglo-saxons de le faire.
Tout indiquait en 1997 que la France était
en train de modifier ses orientations
politiques en Afrique, qu’il s’agisse de la
chute de Mobutu au Zaïre, de la restructuration de l’armée française ou de la diminution
de l’aide au développement consentie par Paris.
L’attention de ses ministres se porte davantage sur
l’Afrique anglophone, et en particulier sur l’Afrique
du Sud. Un regard qui dit combien on cherche à
compenser les revers subis par l’influence française au Zaïre, au Rwanda et au Burundi, anciennes
colonies belges. À l’égard de ses anciennes colonies – parmi elles, quatorze bénéficient d’un lien
monétaire et six d’un accord de défense avec Paris
–, la France a commencé à adopter un comportement moins exclusif, considérant qu’il ne lui est
plus possible d’être le principal soutien économique et militaire de ces États. La fin des années
90 a aussi montré que la France tend à employer
avec plus d’économie ses propres forces militaires.
Et si elle ne semble pas vouloir renégocier ou
dénoncer l’un ou l’autre des accords de défense
qui la lient à Djibouti, à la République centrafricaine, au Tchad, au Gabon, à la Côte d’Ivoire et au
Sénégal, il apparaît que le nombre de ses troupes
présentes en Afrique se réduira inéluctablement
(8 200 hommes en 1997).
Des révisions déchirantes
La France n’a donc plus les moyens ni la volonté
de porter à bout de bras ses ex-colonies. Tout indique que la doctrine de la souveraineté limitée
des « chasses gardées » en Afrique n’est plus d’actualité. Aussi, Paris semble bien décidé à octroyer
à ses anciennes colonies la pleine liberté, incluant,
on l’a vu en Centrafrique, celle de s’entre-tuer. Au
Congo, on a pu vérifier que rien n’était plus délicat
que de couvrir une retraite qui ne dit pas son nom.
Signe des temps qui changent, la cellule de crise
interministérielle mise en place à Paris pour faire
face à la crise congolaise a été aussitôt démantelée dès lors que le dernier soldat français avait
quitté Brazzaville. Une à une les capitales d’Afrique
francophone s’embrasent, autant de feux qui témoignent que la mission civilisatrice de la France
a échoué, qu’elle a fini par faire naufrage sur un
continent et dans un monde ayant profondément
changé. L’heure a déjà sonné pour les casques
bleus de l’ONU d’assurer la relève des soldats français sur le « pré-carré » ; le « grand frère », qui avait
su maintenir des liens forts bien au-delà de l’indépendance des drapeaux, est littéralement saisi
d’un afropessimisme sans espoir de rémission.
P. F.
LA FRANCOPHONIE DANS L’IMPASSE
La francophonie ne s’est élevée au rang de politique officielle qu’avec le déclin progressif de
l’influence politique de la France en Afrique. Le
premier sommet de la francophonie ne s’est tenu
qu’en février 1986, à Versailles. Lors du sommet
de La Baule, cinq ans plus tard, François Mitterrand avait tenté, en prônant des élections
libres et le pluralisme en Afrique, de rendre à la
francophonie sa fonction première, conçue cent
ans auparavant : être le fer de lance de la République. Son successeur à l’Élysée ne se sera pas
exprimé sur le sujet. Finalement, moins la France
détient de pouvoir réel, moins sa culture paraît
convaincante.
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LE BILAN FRANÇAIS
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Ultralibéralisme et
keynésianisme
La campagne des élections
législatives françaises de mai 1997 a
été marquée par un débat opposant
partisans de « l’ultraliberalisme » et
défenseurs du « keynésianisme ».
Pour les premiers, il faut
abandonner le « tout État », c’està-dire l’interventionnisme des
pouvoirs publics avec le cortège
habituel de rigidités pouvant ainsi
freiner, voire bloquer, la croissance
économique. Inversement, les
seconds préconisent le rejet
du modèle libéral, destructeur
continuel d’emplois, et l’adoption
d’une politique de stimulation de la
demande globale afin de combattre
le chômage massif pesant sur
les économies européennes et
américaine.
Selon l’économiste américain Milton Friedman, si les économies contemporaines
souffrent depuis le début des années
1980 de dysfonctionnements, de chômage et de problèmes sociaux, c’est en raison des
comportements perturbateurs de ceux (individus,
groupes) qui font prévaloir leurs intérêts particuliers (intérêts acquis, positions dominantes) sur
l’intérêt général, réduisant ainsi l’efficacité régulatrice du marché. Pour les ultralibéraux, si le « tout
marché » doit se substituer impérativement au
« tout État », il ne faut pas hésiter à se débarrasser
de toutes les rigidités qui entravent le fonctionnement concurrentiel des marchés et nuisent au
dynamisme de la libre entreprise (réglementation
du travail, poids des monopoles publics, charges
liées à la protection sociale). Libéraux et ultralibéraux se distinguent par cette volonté, graduelle
chez les premiers, systématique chez les seconds,
de se défaire de tout ce qui est considéré comme
des « contraintes bureaucratiques ».
Depuis le début des années 80, pour lutter contre
la crise, les États-Unis puis les pays européens ont
appliqué les mesures qui devaient aboutir à la
« délégitimisation » de l’action de l’État : il ne doit
pas être regardé comme le substitut du marché ni
le correctif de ses défaillances. Comme mesures,
il faut citer la libre convertibilité des monnaies, la
réduction progressive et annoncée de l’expansion
de la masse monétaire (lutte contre l’inflation),
les privatisations, la compression des dépenses
publiques, la baisse des prélèvements fiscaux et
des charges sociales, la suppression du salaire
minimum.
La réaction keynésienne
Pour les keynésiens, c’est-à-dire les économistes
généralement orientés à gauche et se réclamant
du Britannique John Maynard Keynes, le bilan des
politiques libérales est loin d’être convaincant. S’ils
ne nient pas que la rentabilité et la compétitivité
des firmes se sont améliorées, le bilan au plan social est beaucoup moins favorable : le taux de chômage ne baisse pas, tandis que la part des salariés
dans la valeur ajoutée diminue continuellement.
Il est donc devenu contre-productif de laisser les
profits s’accroître puisque ce mouvement réduit
les revenus salariaux, donc la consommation, sans
favoriser l’investissement. Reconnaissant que le
coût du travail est excessif, les keynésiens préconisent une réduction des charges sociales (surtout
sur les bas salaires) plutôt que des rémunérations
afin de créer de nouveaux emplois (surtout dans
le secteur tertiaire) et obtenir ainsi une relance par
la demande.
G. R.
LES LECTURES CLEFS
Plusieurs ouvrages d’économie ont défrayé la
chronique, ne serait-ce que parce qu’ils exprimaient une crainte latente chez les lecteurs,
celle du chômage généralisé. Dans son pamphlet
l’Horreur économique (qui a connu un véritable
triomphe en librairie, tout à fait inusité pour ce
genre d’ouvrage), Viviane Forrester accuse le
capitalisme anglo-saxon de vouloir s’acharner
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à faire disparaître le travail d’une importante
partie de la population pour le plus grand profit d’une minorité de gens bénéficiant d’une
haute qualification. Pour sa part, Jeremy Rifkin
explique dans la Fin du travail qu’aux États-Unis,
surtout du fait de l’évolution technologique et
de la révolution informatique, les créations d’emplois concernent deux catégories de salariés :
les plus qualifiés de mieux en mieux payés et les
moins qualifiés qui, malheureusement, voient
leur travail de moins en moins rémunéré. Entre
les deux, les classes moyennes, des cadres intermédiaires aux ouvriers spécialisés, voient leurs
positions de plus en plus laminées.
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LE BILAN FRANÇAIS
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La Ve République
en question
La dissolution de l’Assemblée
nationale, décidée par le chef de
l’État deux ans après son accession
à l’Élysée, a donné au pays une
majorité de gauche. Un échec
personnel pour Jacques Chirac.
Mais aussi un échec qui affaiblit
la fonction présidentielle et qui
relance le débat sur la réforme des
institutions de la Ve République.
Dissolution pour affronter les échéances
européennes avec une « majorité ressourcée » ? Dissolution pour « convenance personnelle » ? Peu importent les
raisons, une telle décision est une des prérogatives
du chef de l’État dans les institutions de la Ve République (article 12 de la Constitution). Mais en faisant
– et en perdant, surtout – le pari de la dissolution,
Jacques Chirac a créé une situation inédite qui affaiblit considérablement la fonction présidentielle.
À l’inverse de son successeur, François Mitterrand, qui, par deux fois, avait dissous « à chaud »
l’Assemblée nationale dans la foulée de l’élection
présidentielle, en 1981 et 1988, afin de se donner pour cinq ans une majorité parlementaire,
Jacques Chirac a pris le risque d’opérer « à froid ».
En cherchant, deux ans après son arrivée à l’Élysée,
une confirmation de l’adhésion de l’électorat à la
politique suivie et n’en obtenant qu’un désaveu,
le chef de l’État, bien involontairement, a relancé
le débat sur le bien-fondé des institutions de la
Ve République.
Certes, cet échec ne remet pas en cause la
légitimité de son élection en 1995. Mais l’aspect
référendaire de cette consultation ratée donne
des arguments aux partisans d’une réforme de
la Constitution, avocats du quinquennat et d’un
régime présidentiel à l’américaine.
Vers le quinquennat ?
C’est vrai, la cohabitation semble être appréciée
par les Français. Mais si les deux précédentes ont
bien fonctionné en ne provoquant pas une paralysie de l’appareil d’État, celle qui s’ouvre est d’une
nature très différente. D’abord, en théorie, par sa
longueur, cinq ans au lieu de deux pour les deux
premières cohabitations. Ensuite parce que c’est le
chef de l’État lui-même qui l’a provoquée en anticipant le calendrier, alors que, en 1986 et 1993, il
s’agissait du terme normal de la législature. Son
prédécesseur était moins impliqué dans la défaite
de la majorité sortante. En juin 1997, le désaveu
est plus clair pour l’homme de l’Élysée. Deux légitimités différentes se retrouvent, l’une à l’Élysée,
l’autre à Matignon, jusqu’en... 2002.
Devant la fréquence des cohabitations et la
durée de celles-ci, mettant en avant la panne de
l’appareil de décision et la guerre des légitimités qu’elle peut provoquer, nombreux sont les
politiques et les constitutionnalistes qui se prononcent pour le quinquennat présidentiel. Un
quinquennat qui permettrait, pour le politologue
Nicolas Tenzer, d’instaurer un régime présidentiel à
la française : il y aurait simultanéité de l’élection de
l’Assemblée et du chef de l’État pour 5 ans, ce dernier conserverait le privilège de dissoudre en cas
de désaccord, mais ce droit devrait s’accompagner
d’une démission du président.
Pour l’heure, le locataire de l’Élysée préfère, à
une réforme des institutions, jouer la carte d’une
cohabitation courtoise. Cet héritier du gaullisme
n’entend pas toucher à l’oeuvre du fondateur de la
Ve République et veut montrer, au contraire, une
fois encore, que le système peut s’adapter à cette
nouvelle donne.
B. M.
« MON RÔLE, C’EST... »
« ... de veiller à ce que, chacun à sa place et respectant l’autre, nous servions tous ensemble des
valeurs qui nous dépassent... »
« ... de lutter pied à pied pour que la France tienne
son rang, assure sa sécurité... »
« ... de préserver les acquis européens... »
« ... de garantir l’équilibre de notre société et, en
particulier, la solidarité, la cohésion et donc notre
système de protection sociale... »
Jacques Chirac, le 7 juin 1997, devant le congrès
de la Fédération de la mutualité, à Lille.
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Blair-Jospin : une
nouvelle gauche
européenne ?
Pour la première fois depuis 1951,
des gouvernements de gauche
siègent en même temps à Paris
et à Londres. Cependant, entre
le socialiste Lionel Jospin et le
travailliste Tony Blair, le courant
ne passe pas vraiment. Il est vrai
que les deux hommes incarnent
deux conceptions très différentes
de la gauche. Le premier gouverne
avec les communistes, tandis que le
second s’accommode de l’héritage
libéral de Margaret Thatcher ! Il
n’empêche : avec Jospin et Blair,
l’Europe sociale pourrait y trouver
son compte.
Si, entre les Verts, les communistes et les
socialistes au gouvernement, la France
affiche une majorité plurielle, l’Europe,
elle, de son côté, avec 13 gouvernements
sociaux-démocrates sur 15, peut se vanter d’afficher une gauche plurielle ! À ce point qu’on se
demande, en effet, quels sont les points communs
entre un Lionel Jospin et un Tony Blair, les petits
derniers, en charge, à un mois d’intervalle à peine,
des responsabilités de leur pays ? Tout semble
les séparer. Leur âge, leur culture et, surtout, leur
façon de décliner le socialisme ! La petite histoire
ne veut-elle pas que Tony Blair ait refusé l’offre que
le premier secrétaire du PS lui avait faite de venir
le soutenir en Grande-Bretagne lors de sa campagne électorale ? Pour le patron du New Labour,
qui, depuis belle lurette, a fait sa révolution culturelle en balayant les idéologies et en admirant
pêle-mêle Margaret Thatcher et Bill Clinton, son
« homologue » français faisait figure de dangereux
gauchiste ! À l’inverse, Lionel Jospin ne cachait pas
ses réserves à l’égard de ce « moderniste » prompt
à vanter les mérites de l’économie de marché.
D’ailleurs, la droite française n’a-t-elle pas été la
première à saluer sa victoire ?
L’État ou le marché
Il est vrai que Tony Blair, bénéficiant de l’usure des
conservateurs, s’est fait élire sur un programme qui
ne promettait pas le « grand soir ». Certes, il y a bien
inscrit l’instauration d’un salaire minimal et la création d’un plan pour les jeunes, mais un centriste bon
teint l’aurait signé des deux mains. Rien à voir avec
le programme du PS. Si les deux chefs de gouvernement, par exemple, affichent une même détermination à lutter contre le chômage, ils proposent des
solutions radicalement différentes pour y parvenir.
Ainsi, le locataire du 10 Downing Street prône une
plus grande flexibilité sur le marché du travail alors
que celui de Matignon prend le contre-pied en se
faisant l’apôtre du « tout État ». Quand les socialistes
français inscrivent dans leurs priorités le passage à
la semaine de 35 heures payées 39, les travaillistes
hésitent encore à appliquer la réglementation européenne qui fixe à 48 heures la durée maximale du
travail hebdomadaire ! Et tout est à l’avenant. Sur
les privatisations ? Blair envisage de continuer sur
la lancée des conservateurs, Jospin ne veut pas en
entendre parler. Sur la fiscalité ? Le premier baisse
celle des entreprises, le second l’augmente !
L’Europe ne semble pas non plus être un sujet de
consensus entre les deux hommes. Le leader du
New Labour serait plutôt à ranger dans le camp des
eurosceptiques et si Lionel Jospin, européen lucide,
émet des réserves sur les modalités pour arriver à
la monnaie unique, elles paraissent bien timides
par rapport aux obstacles mis outre-Manche (vote
aux Communes, référendum). N’empêche, en dépit
de ces oppositions, le tandem Blair-Jospin pourrait
faire progresser l’Europe sociale. Le Britannique,
dont le pays prendra la présidence de l’Union européenne en juin 1998, a déjà annoncé, à Malmö,
lors du congrès des Partis socialistes européens, sa
volonté de s’attaquer au chômage (18 millions de
personnes dans l’UE). N’a-t-il pas fait adhérer son
pays à la Charte sociale européenne ? Ce qui laisse à
penser à Lionel Jospin que tout n’est pas si mauvais
chez son jeune homologue de Londres !
B. M.
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LE BILAN FRANÇAIS
29
Les femmes dans la
politique française
Avec 11 % d’élues dans la nouvelle
Assemblée nationale, la France est
encore loin de la parité entre les
hommes et les femmes. Au moins,
notre pays n’est-il plus la lanterne
rouge de l’Europe dans ce domaine.
Et si, aujourd’hui encore, 5 %
seulement des municipalités sont
dirigées par des femmes, l’arrivée
en nombre de représentantes du
deuxième sexe, et à des postes
clés, dans le gouvernement Jospin
marque un vrai tournant.
Aux dernières élections européennes, Michel
Rocard, sans grand succès, avait inventé le
concept « chabadabada » alternant un homme
et une femme sur sa liste. En 1995, Alain Juppé
inventait celui des « juppettes » en prenant douze
femmes dans son gouvernement avant... d’en renvoyer huit sans ménagement quelques mois plus
tard ! La mode était alors aux quotas : il fallait des
femmes comme caution pour faire oublier que la
politique était... une affaire d’hommes. Elles servaient ni plus ni moins d’alibi. N’avait-il pas fallu
attendre 1945 pour leur donner le droit de vote
et d’éligibilité ? 1965, pour que leur mari ne s’oppose plus à l’exercice de leur activité professionnelle ? 1982 pour qu’une loi leur donne accès à
la fonction publique et, un an plus tard, à l’égalité
professionnelle ?
Paradoxalement, c’est la déconfiture du PS en
1993 qui va accélérer la féminisation de la vie poli-
tique. Les ténors sont battus et en 1995, quand il
reprend les rênes du parti de François Mitterrand,
Lionel Jospin va les imposer à des postes clés. Il
s’agit de renouveler le PS et de lui donner une
nouvelle crédibilité en rompant avec les pratiques
passées. Le premier secrétaire de l’époque, fort de
son score à la présidentielle qui le désigne comme
le leader naturel de la gauche, va mettre toute son
autorité dans la féminisation de la vie politique.
Des quotas à la parité
En dépit des réticences, il décide de présenter
30 % de femmes aux élections législatives. Mieux,
pour mettre « le droit en accord avec les moeurs »,
il inscrit la parité dans le programme socialiste.
Le pari est risqué mais gagnant. En dépit de leur
manque de notoriété, les femmes apportent
un souffle nouveau, un souffle de modernité et
de moralité de la vie politique lors des élections
provoquées par la dissolution voulue par Jacques
Chirac. Nommé à Matignon, Lionel Jospin poursuivra sur sa lancée en leur confiant six ministères
et deux secrétariats d’État, avec deux femmes en
tête de l’ordre protocolaire d’un gouvernement
resserré de 26 membres : Martine Aubry, ministre
de l’Emploi et de la Solidarité, et Élisabeth Guigou,
garde des Sceaux.
Sur ce terrain et alors que, à son tour, la droite
désorientée après son revers électoral est en
pleine refondation, RPR et UDF sont obligés de
suivre le mouvement. Un mouvement de longue
haleine où le volontarisme reste nécessaire. Si,
aujourd’hui, avec 8 femmes ministres et 59 élues
à l’Assemblée nationale, la France n’est plus la lanterne rouge de l’Europe derrière la Grèce, le chemin de la parité reste long à parcourir.
B. M.
Le remplacement des députées devenues ministres a ramené leur nombre à 59. Le benjamin
des députés est une benjamine, la PS Cécile Helle,
née en 1969, suppléante d’Élisabeth Guigou nommée à la Justice.
LES FEMMES AU GOUVERNEMENT :
1936. Trois sous-secrétaires d’État nommées
dans le gouvernement du Front populaire.
1947. Germaine Poinsot-Chapuis (MRP) est la première femme ministre.
1991. Édith Cresson est la première femme à devenir Premier ministre.
OÙ SONT-ELLES ?
Les femmes à l’Assemblée en 1997 :
63 sur 577 dont :
PS : 42 PC4
Écologistes : 3 Divers gauche : 2
RPR : 5 UDF : 7
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
30
Les gays dans
la société
L’Europe serait-elle une chance
pour les gays et les lesbiennes ?
En tout cas, pour bousculer les lois
existantes, ceux-ci jouent à fond
cette carte. En juin, à Paris, ils
étaient des centaines de milliers
(autour de 300 000), venus de toute
l’UE, à défiler à l’occasion de la
cinquième édition de l’Europride.
Ce qu’ils réclament : « l’égalité
avec les hétéros » pour ce qui est
du mariage, des droits civiques et,
point plus controversé, de l’adoption
d’enfants. Un lobbying actif
s’organise.
C’est peut-être passé inaperçu, mais, en
juin dernier, à Amsterdam, alors les chefs
d’État et de gouvernement sont réunis
pour rediscuter du traité de Maastricht,
des milliers de pétitions affluent pour que la
clause de non-discrimination prévue dans le traité
concerne aussi les inégalités de traitement subies
par les gays et lesbiennes en raison de leur « orientation sexuelle ». Après négociations, la revendication a été retenue. Symbolique ? Pas seulement,
car ce codicille donne aux homosexuels le moyen,
par le biais de l’Europe, de faire bouger les législations de leurs pays afin d’obtenir l’égalité avec les
hétéros.
Sans doute, les gays n’ont-ils pas attendu la
réunion d’Amsterdam pour jouer la carte européenne. Si, dans les années 50, au nom de la
morale, la Commission des droits de l’homme
déboutait des citoyens allemands qui protestaient
contre la criminalisation de l’homosexualité dans
leur pays, aujourd’hui, les choses ont changé. La
société a évolué. Les tabous se sont brisés. Du
nord au sud de l’Union, gays et lesbiennes ne
sont plus une poignée de courageux à oser sortir
de l’ombre. Désormais, ils s’affichent en nombre
et sans complexe. Ils ne veulent plus être considérés comme des citoyens de deuxième zone.
Ils ont gagné dans les années 70 leur combat
pour la dépénalisation et la démédicalisation. Ils
ont lutté ensemble contre le sida et se sont bâti
une culture. Depuis, des associations d’entraide,
des groupes de pression, des journaux et des lois
ont vu le jour. Un lobbying efficace s’organise au
niveau européen.
Nord/Sud
L’International Lesbian and Gay Association,
une fédération internationale regroupant plus
de 400 associations, a désormais pignon sur rue
à Bruxelles. À deux pas de la Commission. Ils
trouvent également chez une partie des députés
un relais pour défendre leur combat. Un intergroupe sur les droits des homos ne doit-il pas se
constituer au sein du Parlement européen ? Et,
de Rome à Paris, de Barcelone à Berlin, ils militent
tous pour le droit à l’indifférence et donc à l’égalité
avec les hétéros.
Toutefois, entre les pays de l’Union, les législations à leur égard, si elles tendent à s’harmoniser,
restent encore très contrastées. Les nations Scandinaves sont à l’avant-garde du combat et les
Néerlandais s’apprêtent à ouvrir aux homos l’institution du mariage alors qu’au Portugal un premier journal gay tente timidement de se vendre
en kiosque. La France, quant à elle, va proposer au
Parlement un projet de loi sur le contrat d’union
sociale (voir encadré). La reconnaissance légale du
couple : une des grandes revendications des gays
et des lesbiennes afin d’obtenir les mêmes droits
que les couples hétéros car pour l’heure leur situation devant la loi est proche du non-droit. Déjà,
sans attendre les textes, des maires acceptent
d’unir symboliquement des couples hors mariage
dans presque tous les pays où le partenariat n’est
pas encore voté. Seule interdiction commune aux
Quinze : l’adoption d’un enfant par un couple
homo.
Aujourd’hui, ils sont en passe de gagner le droit
à l’indifférence qu’ils revendiquent. Au moment de
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LE BILAN FRANÇAIS
31
l’Europride, à Paris, un sondage montrait que près
de 60 % des Français comprenaient le combat des
homos.
B. M.
LE PROJET DE CONTRAT D’UNION SOCIALE
EN FRANCE
Proposé par les socialistes, il s’agit de donner aux
couples, homos ou hétéros, qui y souscrivent les
droits sociaux, fiscaux, successoraux accordés
aux couples mariés à l’exception de l’adoption
et de l’insémination. Un projet de loi devrait être
déposé devant le Parlement.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
32
Le non-cumul
des mandats
Souhaitée par le président de
la République, proposée par le
Premier ministre et inscrite dans les
programmes des grandes formations
de la majorité et de l’opposition, la
limitation du cumul des mandats est
en voie de réalisation. Objectif : en
interdisant le cumul d’un mandat
parlementaire et d’une fonction
exécutive, il s’agit de moderniser la
vie politique et de renouveler son
personnel.
Sans doute, la réforme du cumul des mandats que Lionel Jospin a décidé de faire
appliquer n’entrera-t-elle pas en vigueur
pour les élections régionales et cantonales de mars 1998. N’empêche, en en faisant une
priorité de son action, le Premier ministre mettra
un terme à une exception de la vie politique française : la culture du « notable » ou du « féodal »
monopolisant les fonctions dans sa commune,
son département et sa Région et empêchant
l’éclosion de nouveaux talents. Une pratique
inconnue non seulement dans les démocraties
d’Europe du Nord, mais aussi dans celles qualifiées
de latines, en Italie ou en Espagne, par exemple.
Pour le Premier ministre, ce projet de loi qui renforcera la loi déjà existante de 1985 interdira à un
parlementaire d’être en même temps responsable
d’un exécutif local (maire, président d’une structure intercommunautaire, président de conseil général et régional). Plus question non plus d’être à
la fois parlementaire national et député européen
et, autre innovation, interdiction absolue d’être
membre du gouvernement et d’exercer une fonction exécutive locale. D’ailleurs, devançant la loi,
Lionel Jospin a demandé à ses ministres concernés de se plier à cette règle.
Reconquérir l’opinion
L’objectif d’une telle limitation de mandats est
d’engager le processus de modernisation de la
vie politique. Et de la réhabiliter aux yeux d’une
opinion lassée par les « cumulards » qui donnent,
à tort ou à raison, le sentiment d’être plus préoccupés par leur rente de situation et leur carrière
que par l’intérêt général. Un objectif partagé par
le chef de l’État qui, le 7 mai dernier, dans sa tribune Un élan partagé écrivait : « Le cumul des
mandats politiques doit être proscrit. » Philippe
Séguin a bien compris la popularité de ce thème
en démissionnant de sa mairie d’Épinal, en novembre dernier, pour se consacrer exclusivement
à son mandat de député et de patron du RPR.
En réalité, par ce projet de loi, il s’agit, d’abord,
de réconcilier les Français avec la politique et leurs
politiques. Qu’ils n’aient plus le sentiment qu’elle
est accaparée par quelques professionnels de
la chose publique. Un sentiment exprimé par le
Premier ministre qui, lors de son discours de politique générale à l’Assemblée nationale, le 19 juin
dernier, avait lancé que les Français voulaient que
leurs représentants se consacrent entièrement à
leur mandat. Une condition sine qua non, selon
lui, « pour retrouver confiance dans la vie politique
et en particulier en ceux qui l’animent ». Mais
au-delà, et c’est tout aussi important, par cette
interdiction de cumul de mandats, il s’agit de permettre le renouvellement de la classe politique, de
l’ouvrir aux jeunes et aux femmes notamment. Le
Parti socialiste l’a fait avec succès aux législatives
du mois de juin. Arrivé au pouvoir, il veut l’institutionnaliser. Le non-cumul est une des premières
étapes de la modernisation de la vie politique réclamée par l’opinion pour une meilleure représentation démocratique. Mais, pour qu’elle soit totale,
à cela il faudra ajouter la réforme des modes de
scrutin, le statut de l’élu et la limite d’âge pour ne
citer qu’eux. Autrement dit, le non-cumul n’est que
la première étape d’un vaste chantier.
B. M.
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LE BILAN FRANÇAIS
33
La gauche divisée
sur l’immigration
Au soir des élections législatives
de juin 1997, la profession de foi
commune aux Verts et au Parti
socialiste était sans ambiguïté :
« Une nouvelle législation se
substituera aux lois Pasqua en
réinstaurant le droit de vivre en
famille, le droit d’asile, le droit du
sol ». La discussion à l’Assemblée
nationale des projets de loi sur la
nationalité et l’immigration met à
l’épreuve cette belle unanimité.
Dès la fin de l’été, les premiers couacs
se faisaient entendre. Ce fut d’abord
le monde associatif qui dénonça la
non-abrogation pure et simple des lois
Pasqua-Debré. Deux mois plus tard, s’en prenant à
la démarche restrictive du ministère de l’Intérieur
dans l’appréciation des critères de régularisation
des étrangers, 1 300 artistes et intellectuels de
gauche lançaient un appel en faveur de « la régularisation de tous les sans-papiers ».
Las ! Le lendemain, le ministre de l’Intérieur
Jean-Pierre Chevènement s’en prenait vivement
aux pétitionnaires, jugés « irresponsables ».
L’avis de la Commission nationale consultative
des droits de l’homme (CNCDH) tombait alors
comme un couperet : s’appuyant sur la Convention de Genève, elle ne proposa pas moins d’une
trentaine de modifications des avant-projets de
Jean-Pierre Chevènement sur l’immigration et
d’Élisabeth Guigou, garde des Sceaux, sur la nationalité. Puis ce fut au tour d’une partie de la gauche
politique de s’en prendre à ces textes, jugés « en
recul » par rapport aux prises de positions antérieures. Dénonçant l’extension de la rétention administrative prévue dans le texte sur l’immigration,
Robert Badinter rappela qu’une telle disposition
avait déjà été censurée par le c-Conseil constitutionnel lorsqu’il le présidait. Dès la fin octobre, des
contre-projets étaient en préparation chez les députés communistes et chez les Verts en prévision
de la discussion des textes de loi fin novembre.
Assistera-t-on à cette occasion à la consommation du divorce entre une gauche « réaliste » au
pouvoir à Matignon, persuadée qu’une loi trop
généreuse sur l’immigration fait le lit du Front
national et une gauche « morale », composée
d’artistes et d’intellectuels, déterminée à défendre
coûte que coûte les « droits fondamentaux » des
étrangers en situation irrégulière ? Il n’est peut être
pas inutile de noter que cette gauche « morale »
compte également dans ses rang des avocats, des
magistrats et des juristes également mobilisés sur
le projet de réforme de la justice qu’Élisabeth Guigou aura la lourde tâche de présenter à la rentrée...
J.-F. P.
LES DÉPUTÉS SOCIALISTES AVALISENT
L’ESSENTIEL DU PROJET
Les députés socialistes devaient se prononcer en
décembre sur le projet de loi sur l’immigration.
Si l’on excepte l’adoption de deux amendements
dont l’un supprime les certificats d’hébergement, le texte mis au point par Jean-Pierre Chevènement était reconduit dans son intégralité.
Quatre jours plus tard, une quarantaine d’associations, de syndicats et de partis (dont la LCR,
SOS Racisme, SUD et les Verts) appelaient à une
manifestation pour exiger du gouvernement qu’il
respecte ses promesses. La droite, quant à elle,
déclarait vouloir se battre par tous les moyens de
la procédure contre le projet. L’examen du texte
par l’Assemblée fut houleux. Mais surtout entre
la majorité et l’opposition. Celle-là put afficher
des convictions de gauche propre à ressouder
la majorité « plurielle » ; celle-ci trouva enfin le
moyen d’attaquer un gouvernement jusque-là
protégé par sa faveur dans les sondages.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
34
Malaise au sein
du CNPF
Échec de la politique contractuelle,
zizanie autour des 35 heures,
démission de Jean Gandois : la
crise que traverse actuellement le
CNPF est grave. Va-t-elle déboucher
sur un déclin irrémédiable ou une
recomposition ?
Le 10 octobre 1997, à l’issue de la conférence sur les salaires, l’emploi et le temps
de travail, le Premier ministre Lionel Jospin
déclarait devant des syndicats ravis et un
patronat abasourdi qu’une loi d’orientation fixerait
au 1er janvier 2000 à 35 heures la durée hebdomadaire du travail pour les entreprises de plus de
10 salariés. En choisissant la forme législative et en
fixant d’autorité une date d’entrée en vigueur, le
Premier ministre infligeait un véritable camouflet
à l’organisation patronale qui s’était farouchement
opposée, sur les pressions répétées de Didier
Pineau-Valencienne et Denis Kessler, à toute fixation d’une date butoir pour les 35 heures légales.
La réponse de Jean Gandois, le dirigeant du CNPF,
ne se fit pas attendre. Le lundi suivant, expliquant
qu’il était « plus un négociateur qu’un tueur » et
qu’il n’avait « pas le profil pour défendre les entreprises » contre le gouvernement, il annonçait
sa décision de démissionner de l’organisation
patronale.
Déjà désavoué par les « durs » du CNPF pour
avoir accepté – ou, du moins avoir été mis devant
le fait accompli – la loi Robien et l’accord du
30 octobre 1995 sur l’aménagement du temps du
travail, Jean Gandois s’était de toute façon placé
dans une situation intenable au sein même de
son organisation. Très attaché à la notion d’entreprise citoyenne, l’ex-patron de Rhône-Poulenc et
de Pechiney s’était fait élire sur la base d’un projet
ambitieux visant à construire les fondations d’une
politique contractuelle rénovée. Or, il apparut très
vite que l’aile la plus libérale du CNPF, avec à sa
tête Denis Kessler, le
commission économique,
numéro deux du premier
UAP, ne voulait pas de
bouillant président de la
devenu depuis peu le
assureur mondial AXAcette politique.
Jean Gandois abordait donc fatalement le dossier des 35 heures en position de perdant. En cas
d’avancée, les opposants à toute négociation lui
auraient reproché son manque de pugnacité. En
cas de blocage, certains membres favorables à
un aménagement concerté l’auraient désavoué.
Ces derniers sont d’ailleurs assez nombreux pour
signifier qu’un clivage doctrinal existe bel et bien
au sein du CNPF. L’AFB (Association française de
banque) annonçait par exemple dès le mois d’octobre que des discussions sur les 35 heures allaient
être ouvertes. Par ailleurs, de grands groupes
comme la Générale des eaux ont déjà signé une
série d’accords locaux de réduction du temps de
travail... en prévision des 35 heures. Le danger
qui guette aujourd’hui le CNPF, s’il s’acharne à
s’extraire des négociations, est en définitive qu’il
en soit purement et simplement évincé. L’organisation perdrait alors une grande partie de sa raison
d’être...
LE SUCCESSEUR DE JEAN GANDOIS :
LE BARON SEILLIÈRE
Déjà sollicité en 1994 pour succéder à François
Périgot, le baron Ernest-Antoine Seillière, patron
de la Compagnie générale d’industrie et de participation (CGIP), briguera le 16 décembre 1997
la présidence de l’organisation patronale. Face
à lui, aucun de ses trois concurrents n’est issu
de l’appareil du CNPF. Depuis le désistement de
Didier Pineau-Valencienne, le nom du prochain
« patron des patrons » ne fait donc pas l’ombre
d’un doute. Énarque, ancien collègue de Lionel Jospin au ministère des Affaires étrangères,
celui-ci affiche de solides convictions libérales ;
il est résolument opposé aux 35 heures. Sera-til ce « tueur » que Jean Gandois voyait pour lui
succéder ?
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LE BILAN FRANÇAIS
35
Vichy partage
la droite
En défendant à l’occasion du procès
Papon la thèse de « l’inexistence de
Vichy », le président du RPR Philippe
Séguin s’est nettement démarqué de
la position de Jacques Chirac sur la
responsabilité de la France pendant
l’Occupation. Le mythe gaulliste a
décidément la vie dure.
En 1995, lors du cinquante-troisième anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv’, Jacques
Chirac reconnaissait explicitement que
l’État français avait eu une responsabilité
directe dans les crimes commis sur son territoire
durant l’Occupation. « La France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable », affirmait-il. Il ne pouvait
ignorer qu’il remettait en cause la doctrine gaul-
liste selon laquelle, Vichy n’étant pas la France,
celle-ci ne pouvait être rendue coupable des actes
commis par Vichy. En affirmant que « la France »
était bien plutôt à Londres ou dans le Vercors, le
général de Gaulle savait qu’il sauvait bon nombre
de Français du soupçon de collaboration. Le
mythe gaulliste d’une France unie, combattante
et victorieuse, soigneusement entretenu pendant
les deux septennats de François Mitterrand, allait
sagement prendre place dans les esprits.
C’est dire combien le discours iconoclaste de
Jacques Chirac, ce jour de juillet 1995, fit l’effet
d’un coup de tonnerre au sein de l’opposition.
Mais Jacques Chirac venait tout juste d’être élu et
les barons gaullistes résolurent de taire leur rancoeur. Jusqu’à ce que le procès Papon leur offrît,
en octobre 1997, l’occasion de relancer la polémique. Tout commença par le témoignage devant
le tribunal de Bordeaux de Pierre Messmer, qui
critiqua ouvertement la déclaration de Jacques
Chirac et exempta « la France » de la responsabilité des crimes de Vichy. Puis vint Olivier Guichard,
qui affirma à la barre des témoins que de Gaulle,
en déclarant l’inexistence de Vichy dès 1940, « ne
voulait pas que le procès des Français ait lieu ».
Saisissant l’occasion d’une déclaration de JeanMarie Le Pen, qui avait observé qu’il était « plus
confortable de résister à Londres que de résister à
Paris », Philippe Séguin entra alors en lice. Sous le
titre « Assez ! Assez ! Assez ! », le président du RPR
accusa dans les colonnes du Figaro les socialistes
de profiter du procès Papon pour faire celui du
général de Gaulle, voire « d’entretenir une atmosphère délétère » ne pouvant profiter qu’au Front
national. Dès le lendemain, Lionel Jospin répon-
dait à cette « Philippique » par un discours au
cours duquel il affirmait que « la France » n’était
pas « coupable de Vichy ». À l’Élysée, on se garda
de commenter la polémique. Elle témoigne pourtant d’un véritable clivage entre les conceptions
de Jacques Chirac et celles d’une partie du RPR
pour laquelle le mythe gaulliste de « la France
résistante » est encore une vérité historique.
J.-F. P.
LES RAISONS D’UN MYTHE
À la Libération, de Gaulle doit à tout prix laver la
France du soupçon de lâcheté générale qui pèse
sur elle. L’heure est à l’affirmation de la « République combattante » : Vichy est donc réputé « nul
et non avenu ». Poussé par la nécessité d’échapper à la menace d’une administration militaire
des Alliés, de Gaulle accréditera par ailleurs l’idée
que la haute administration a sous Vichy, sinon
activement, au moins passivement résisté : un
mythe qui se justifie sans doute politiquement,
mais qui contredit la réalité historique.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
36
Le PC poursuit sa
« mutation »
Fort de ses trois ministres au
gouvernement, le PCF de Robert
Hue n’a pas craint en 1997 de porter
un « regard neuf » sur des sujets
aussi tabous que l’euro ou le passé
sanglant du communisme. La mort
de Georges Marchais, en novembre,
est venue confirmer symboliquement
qu’une page de son histoire était
peut-être définitivement tournée.
Ironie du sort. Quelques jours avant la mort de
Georges Marchais, l’Humanité publiait une
interview de l’ancien secrétaire général du PCF
en dévoilant que ce dernier avait lui-même
rédigé les réponses et les questions ! La « mutation culturelle » du PCF, pour reprendre l’expression de Robert Hue, ne s’est pas limitée en 1997
à ce louable souci de transparence. L’année s’est
en effet ouverte sous les meilleurs auspices pour
les « refondateurs » du parti avec l’entrée en mai
de trois communistes au sein du gouvernement
Jospin. Elle s’est poursuivie avec l’intervention active de Jean-Claude Gayssot, le ministre communiste des Transports, dans le règlement du conflit
des routiers. Réunis à la mi-novembre en conseil
national, les dirigeants communistes donnaient
d’ailleurs acte à Robert Hue des résultats encourageants de la participation gouvernementale,
certains députés « orthodoxes », dont Maxime
Gremetz, faisant momentanément taire leurs
critiques.
Lune de miel PC-PS
De son côté, le PS multipliait les gages de
confiance à l’égard du PCF. La polémique sur le
passé sanglant du communisme donna ainsi à Lionel Jospin l’occasion d’exprimer sa « fierté » de voir
le PCF prendre part à son gouvernement. À l’issue
du conseil national de novembre, Robert Hue alla
plus loin dans « l’ouverture ». Il laissa entendre
que les prochaines discussions au Parlement de la
loi sur l’immigration et de la ratification du traité
d’Amsterdam (et donc de l’euro) ne remettraient
pas en cause la participation communiste. « L’euro,
ce n’est pas la fin de l’histoire », concluait-il. Mieux :
interrogé en décembre lors de l’émission télévisée
« La marche du siècle » consacrée au Livre noir du
communisme, le secrétaire national, décidément
prompt à secouer toutes les pesanteurs, se déclarait prêt à réévaluer la révolution bolchevique.
« Pas même Lénine », ajoutait-il, ne pouvait « être
tenu à l’écart de l’analyse historique ». Sonnant
comme un écho aux propos de Robert Hue, le bureau du PCF saluait trois jours plus tard la mémoire
de Georges Marchais, décédé le 16 novembre,
en ces termes : « Ce n’est pas le temps, alors que
l’heure est au recueillement, d’évaluer l’apport
de Georges à notre parti [...] Cette évaluation
devra être faite. » (le Monde du 4 décembre 1997)
Décidément, l’ancien secrétaire général a déjà de
bonnes raisons de se retourner dans sa tombe.
J.-F. P.
GEORGES MARCHAIS (1920-1997),
L’HOMME DU DÉCLIN DU PCF
En 1972, le PCF représente 20 % de l’électorat.
À sa tête, l’ancien ouvrier métallo Georges Marchais abandonne la dictature du prolétariat,
prône l’eurocommunisme et l’union de la gauche.
Mais l’irrésistible ascension du PS conduit le PC
à se figer dès 1977 dans une glaciation brejnévienne. Marginalisé, le PC s’effondrera tout à
fait avec la fin du système communiste mondial.
Lorsqu’en 1994 Georges Marchais lâche enfin les
rênes du pouvoir, son parti a perdu la moitié de
ses électeurs.
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Chronologies
et
analyses
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
38
JANVIER
1
Libye
Exécutions pour espionnage.
Huit personnes, dont six militaires de haut rang, sont
exécutées pour espionnage au profit des États-Unis.
Les autorités de Washington estiment que Tripoli
cherche à « détourner l’attention de la population »
des vrais problèmes du pays en créant des boucs
émissaires. D’après le Front national de sauvetage
de la Libye, formation de l’opposition en exil, les
huit condamnés auraient fait « partie de ceux qui ont
conduit la révolte militaire dont la Libye a été le théâtre
en 1993 ».
Proche-Orient
Fusillade à Hébron.
Tandis que les négociations entre gouvernement
israélien et Autorité palestinienne semblent dans
l’impasse, un soldat israélien extrémiste tire sur la
foule arabe à Hébron, faisant 6 blessés. Un massacre
est évité grâce à l’intervention d’autres militaires qui
maîtrisent le forcené, un colon de dix-neuf ans nommé Noam Friedman. (chrono. 15/01)
2
Cyclisme
Retraite sportive de Miguel Indurain.
Le quintuple vainqueur du Tour de France annonce
la fin de sa carrière sportive à Pampelune. À trentedeux ans, il reste comme un des plus grands cyclistes
de l’histoire, avec un total de 104 victoires (contre
524 à Eddy Merckx, 217 à Bernard Hinault et 204 à
Jacques Anquetil).
ONU
Entrée en fonctions du nouveau
secrétaire général.
Le Ghanéen Kofi Annan remplace l’Égyptien Boutros
Boutros-Ghali à la tête de l’organisation internationale. Cette arrivée devrait permettre un assainissement des finances de l’organisation, les parlementaires de Washington ayant lié le départ de
M. Boutros-Ghali, jugé trop indépendant et francophile, au paiement des arriérés de cotisation américains pour un montant de plus de 1 milliard de dollars. M. Annan reconduit la plupart des collaborateurs
de M. Boutros-Ghali dans leurs fonctions. Le Français
Bernard Miyet est chargé des opérations de maintien
de la paix.
Serbie
Recul de Slobodan Milosevic.
L’Église orthodoxe critique l’attitude du président
Milosevic, alors que les manifestations pour le rétablissement du résultat des élections municipales du
17 novembre 1996 se poursuivent depuis plus de
cinq semaines. Le saint-synode de Serbie accuse le
chef de l’État de « semer la discorde uniquement pour
garder le pouvoir ». Six jours plus tard, M. Milosevic
reconnaît que la coalition de l’opposition Zajedno
(« Ensemble ») l’avait emporté à Nis, la deuxième ville
du pays. Soumis à une forte pression internationale,
il promet ensuite une révision rapide des résultats
contestés, mais l’opposition, qui continue chaque
soir ses manifestations dans la rue, réclame une reconnaissance « totale » de sa victoire. (chrono. 4/02)
Singapour
Victoire ou parti au pouvoir.
Le Parti d’action populaire (PAP) remporte les élections législatives avec 65 % des suffrages et 81 sièges
sur 83. Le Premier ministre, Goh Chok Tong, se félicite
du résultat en déclarant que les Singapouriens ont
« rejeté la démocratie libérale et les libertés de type occidental, qui placent les droits des individus au-dessus de
ceux de la société ».
Épreuve de force
en Serbie
Lorsque le président Slobodan Milosevic a pris la
décision d’annuler les victoires de l’opposition,
nul n’aurait prédit que la Serbie allait se mobiliser
au point de déstabiliser celui qui, en cinq années
de guerre, avait réussi à réduire au silence ses
opposants, à museler la majorité des médias
indépendants et à interdire tout débat sur son
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
39
projet pour l’ex-Yougoslavie – et, surtout, obtenir
gain de cause.
Rappel des événements de 1996. Le 19 novembre, alors que la commission électorale
contrôlée par le pouvoir confirme la victoire de
l’opposition à Belgrade face au Parti socialiste
(SPS, ex-communiste, au pouvoir), le président
S. Milosevic décide d’annuler de nombreux résultats des élections municipales du 17 novembre.
La décision du président et l’organisation dans
les circonscriptions contestées d’un troisième
tour électoral – boycotté par l’opposition – provoquent la colère d’une population sortie pour
l’occasion de son apathie. Des dizaines de milliers de manifestants vont braver chaque jour
le froid et la neige, exigeant la reconnaissance
de leur vote et, au-delà, un État de droit. Alors
que les manifestants réclament la démission
de S. Milosevic (27 novembre) et qu’un nombre
croissant de magistrats se dissocient de ses décisions, le chef de l’État propose à l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe
(OSCE) de se saisir du dossier. Parallèlement, le
régime appelle ses partisans à venir manifester
à Belgrade (24 décembre). Les affrontements
entre ces derniers, environ 80 000 personnes, et
les quelque 200 000 sympathisants de l’opposition font un mort et 91 blessés. Trois jours plus
tard, l’OSCE confirme la victoire de la coalition
Ensemble dans quatorze villes, dont Belgrade.
Le recul du pouvoir
Le début de l’année 1997 est marqué par un durcissement de la situation. Le pouvoir sait désormais qu’il ne peut pas compter sur la lassitude
de la population pour venir à bout de la crise.
Et, s’il devait encore fonder quelques espoirs sur
une stratégie du pourrissement, le soutien de
l’Église orthodoxe aux manifestants lui porte un
coup sévère (2 janvier). Aussi Milosevic décidet-il de lâcher du lest et reconnaît la victoire de
l’opposition à Nis (8 janvier). Par ailleurs, la crise
s’internationalise le 11 janvier lorsque les ÉtatsUnis annoncent qu’ils gèlent leurs relations
commerciales et officielles avec Belgrade. La
décision de Washington semble littéralement
doper la détermination des manifestants, qui
sont plus de 300 000 à fêter le Nouvel An orthodoxe à Belgrade (13 janvier). Le lendemain, Milosevic reconnaît la victoire de l’opposition dans la
capitale tandis que le Parti socialiste limoge trois
hauts responsables, dont le maire de Belgrade,
Nebojsa Covic, qui avait apporté son soutien
aux étudiants. Toutefois, le recul spectaculaire
de Milosevic à Belgrade ne suffit pas pour calmer l’opposition : le 28 janvier commence une
grève des enseignants, largement soutenus par
la population de la capitale où l’intervention
brutale de la police fait 80 blessés dans les rangs
des manifestants, dont l’une des dirigeantes de
la coalition Ensemble, Vesna Pesic (2 février).
Finalement, S. Milosevic demande au gouvernement de soumettre au Parlement « un projet de
loi spéciale proclamant définitifs » les résultats
des municipales conformément aux conclusions
de la mission de l’OSCE (4 février), soit la victoire
de l’opposition dans quatorze villes : Pirot, Kraljevo, Uzice, Smederevska Palanka, Vrsac, Soko
Banja, Kragujevac, Pancevo, Jogodina, Nis, Zrenjanin, Lapovo, Sabac et Belgrade. Dans la capitale, la victoire de l’opposition a été reconnue au
conseil municipal et dans huit mairies d’arrondissement. Un amendement au projet de loi
déposé par l’opposition, qui revendiquait également deux autres mairies d’arrondissement, a
été rejeté par le Parlement. Ce dernier, tout en
votant la loi élaborée par S. Milosevic, a marqué
sa fermeté à l’endroit de cette opposition devenue dangereuse. Ainsi son président, Mirko Marjanovic, a accusé la coalition Ensemble d’avoir
organisé les manifestations pour « prendre le
pouvoir par la violence » et d’avoir « entaché la
réputation de la Serbie à travers le monde ». Mais,
lorsque le président de l’Assemblée de Serbie
a accusé les manifestants d’être des « fascistes
qui manipulent des enfants », ces enfants-là – les
étudiants – rétorquèrent : « Où étiez-vous, quand
des gens de notre âge ont été tués dans les champs
de bataille autour de Vukovar par ordre du régime
auquel vous appartenez ? ».
L’esprit du mouvement Zajedno
Au bout du compte, les Serbes, qui avaient rallié
plutôt docilement leur chef pendant la guerre, ne
se sont transformés en protestataires actifs que
lorsqu’ils ont compris que S. Milosevic bafouait
les résultats des élections. Quant à l’opposition
politique, jusqu’alors éclatée et dispersée, elle
a trouvé le moyen de s’unir autour d’un objectif
clair : obtenir la gestion des municipalités et des
médias locaux, là où elle avait gagné. La coalition Ensemble, qui regroupe l’Alliance civique
(regroupement de démocrates libéraux, antinationalistes, animateurs du mouvement antiguerre dirigé par Mme Vesna Pesic) et trois formations plus ou moins nationalistes, le Mouvement
du renouveau serbe de l’écrivain Vuk Draskovic,
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
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le Parti démocrate du philosophe Zoran Djindic
et le Parti démocratique serbe de Vojislav Kostunica, s’est donné pour objectif de maintenir
vivante la flamme qui a animé la population
de Belgrade pour que « l’esprit du mouvement
Zajedno (Ensemble) » survive aux concessions
arrachées au président S. Milosevic. Très vite, il
est apparu que les manifestants n’entendaient
pas signer un chèque en blanc au pouvoir. Tandis que les parlementaires socialistes et radicaux
(extrême droite) débattaient de la loi proposée
par le chef de l’État afin de résoudre la crise électorale, des Belgradois se rendaient massivement
devant le Parlement pour y déposer un cerveau
en plastique afin d’« apporter l’intelligence qui
manque aux députés ». En évitant soigneusement
les forces de l’ordre déployées dans les rues de
la capitale, la foule des manifestants commentait sans complaisance l’incapacité du nouveau
gouvernement remanié dans l’après-midi. Nombreux aussi ceux qui se pressaient pour écouter
les chefs de l’opposition. Après avoir souligné en
termes peu amènes « le simulacre de démocratie » qui se jouait au Parlement, Vuk Draskovic a
imprudemment déclaré qu’« il conviendrait peutêtre de faire une pause dans les manifestations »,
enchaînant rapidement, face au tollé suscité
par ses propos, « mais je crains qu’on ne doive
rapidement ressortir dans les rues ». Vesna Pesic a
souligné que S. Milosevic avait « hissé le drapeau
blanc » pour aussitôt insister sur la nécessité
d’avoir « des dirigeants compétents et réellement
démocrates » et « de connaître la vérité sur la situation économique, sur la guerre et les malversations financières ». Enfin, Zoran Djindic a rappelé
que la fraude électorale n’avait été qu’une des
raisons ayant conduit les gens à manifester sans
relâche. Le philosophe estime que le mécontentement général aura trouvé plutôt « sa seule et
unique cause » dans le « pouvoir malfaisant » et
que « les citoyens n’auraient de cesse de chasser
ce pouvoir incapable de se changer lui-même ».
En adoptant la loi spéciale concoctée par S. Milosevic, le Parlement a certes désamorcé une
bombe. Il n’en reste pas moins que les manifestations se sont poursuivies pendant plusieurs
jours. Aux sympathisants de l’opposition et aux
étudiants qui réclamaient la destitution du recteur de l’université se sont joints de nombreux
téléspectateurs de plus en plus allergiques au
journal télévisé, les enseignants non payés, les
épargnants floués, tandis que des ouvriers, en
nombre il est vrai encore réduit, commençaient
à sortir d’entreprises à court de fonds. Les manifestants auront donc prouvé qu’un changement
était possible en Serbie sans que l’ex-Yougoslavie ne risque à nouveau de s’embraser.
P. F.
Un pouvoir discrédité
Les élections municipales, dont les résultats
ont été annulés par le régime de Belgrade,
et la vague de manifestations qui a suivi ont
été l’occasion de montrer combien le pouvoir
était discrédité par les rapports clientélistes et
la mafia des directeurs-ministres sur laquelle
il s’appuie. À travers cette consultation, la population a rejeté la corruption et l’enrichissement des gens en place. Le scrutin municipal
a aussi été un vote des villes contre les campagnes, reflet de la paupérisation subie par
les classes moyennes. Finalement, au fond
des urnes, le président Slobodan Milosevic a
pu lire le rejet de cette « démocrature » qui,
masquée derrière les formes du parlementarisme et du pluralisme, exerce un contrôle pesant sur les médias, et plus particulièrement
sur la télévision.
4
République centrafricaine
Deux militaires français tués à Bangui.
Alors qu’ils se rendaient sans armes dans un quartier de la capitale en effervescence, deux soldats
français sont tués par des mutins opposés au
pouvoir du président Ange-Félix Patassé. Après les
troubles sanglants du Rwanda et de Somalie, ces
morts prouvent que les militaires européens sont
constamment en danger quand ils opèrent dans
le cadre d’opérations de médiation politique ou de
maintien de la paix en Afrique. Le 20, la mission de
médiation, menée par le Malien Amadou Toumani
Touré, parvient à élaborer un accord politique entre
la présidence et les militaires mutins. Selon cet
accord, M. Patassé s’engage à former un gouvernement d’entente avec tous les partis, à adopter une
loi d’amnistie couvrant tous les mutins, civils et militaires, et à abandonner toutes les poursuites contre
les partisans de l’ancien président Kolingba. Le 30,
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
41
Michel Gbezera-Bria remplace Jean-Paul Ngoupandé au poste de Premier ministre.
6
Grande-Bretagne
Tension en Irlande du Nord.
L’Armée républicaine irlandaise (IRA) tire une roquette
contre le palais de justice de Belfast, faisant deux blessés légers. Cet attentat intervient à quelques jours de
la reprise des pourparlers de paix et alors que les relations entre les différents protagonistes (nationalistes
catholiques, loyalistes protestants, gouvernements
britannique et irlandais) sont au point mort.
BD
Mort de Franquin.
Le créateur de Modeste et Pompon, de Gaston Lagaffe et du Marsupilami meurt à soixante-treize ans
dans le sud de la France. Né près de Bruxelles, André
Franquin accède à la notoriété en reprenant, en 1948,
le personnage de Spirou, auquel il adjoindra quatre
ans plus tard le Marsupilami, animal à très longue
queue, d’une agilité et d’une intelligence exceptionnelles. En 1957, il donne naissance au personnage de
Gaston Lagaffe, le plus sympathique des bons à rien,
qui devient un personnage universel, l’archétype du
gaffeur qui hante les bureaux. Franquin restera, aux
côtés d’Hergé, de Greg et de Jacobs, comme un des
grands représentants de la BD belge.
7
France
Reddition d’un leader nationaliste corse.
Deux semaines après François Santoni, dirigeant de
la Cuncolta, vitrine légale du FLNC-canal historique,
Jean-Michel Rossi se constitue prisonnier à la gendarmerie de L’Île-Rousse.
8
Russie
Nouvelle hospitalisation de Boris
Eltsine.
Moins de deux semaines après son retour aux affaires,
le président russe est à nouveau hospitalisé, officiellement pour un « début de pneumonie ». Les leaders
de l’opposition, au premier rang desquels Alexandre
Lebed, dénoncent une dangereuse vacance du pouvoir. Après avoir décommandé plusieurs rendez-vous
officiels. M. Eltsine est suffisamment remis pour recevoir dans les environs de Moscou Jacques Chirac,
avec qui il a plusieurs heures d’entretien, notamment
sur l’élargissement éventuel de l’OTAN aux pays d’Europe centrale.
Voile
Sauvetages périlleux dans le
Vendée Globe Challenge.
En plein Pacifique sud, la marine australienne récupère le navigateur français Thierry Dubois, qui avait
pu se réfugier dans un radeau pneumatique de
survie, qui lui avait été largué d’un avion. Le lendemain, c’est au tour du navigateur britannique
Tony Bullimore d’être sauvé : il s’était réfugié dans la
coque retournée de son navire et avait attendu les
secours pendant plusieurs jours dans une obscurité
complète. L’efficacité des sauveteurs et le courage
exceptionnel des navigateurs ne font pas oublier cependant le trop grand danger que représente cette
course en solitaire. Par ailleurs, on demeure sans nouvelles du navigateur canadien Gerry Roufs. (chrono.
17/02)
9
France
Nouvelles révélations dans l’affaire de
l’hormone de croissance.
L’Express révèle que 20 000 flacons contenant de
l’hormone de croissance non inactivée auraient été
écoulés entre la mi-1985 et le début de 1986, alors
que les responsables savaient que ces flacons pouvaient être mortellement dangereux. L’hormone
de croissance est destinée aux enfants atteints de
nanisme. Dans les jours qui suivent. Henri Cerceau et
Marc Mollet, anciens responsables de la Pharmacie
centrale des hôpitaux (PCH), sont mis en examen
pour « empoisonnement ». Il leur est reproché de
ne pas avoir mis hors circuit les lots d’hormone de
croissance dite « extractive », après qu’il fut apparu,
en avril 1985, que certains d’entre eux pouvaient être
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
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porteurs de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (appelée
plus tard « maladie de la vache folle »).
Sri Lanka
Poursuite des combats.
L’armée de Colombo annonce qu’elle a mis hors de
combat plus de 500 guérilleros des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), lors d’une contre-offensive dans le nord du pays.
10
Nicaragua
Attentat manqué contre le nouveau
président.
Alors que Arnoldo Aleman s’apprêtait à prendre ses
nouvelles fonctions, deux anciens agents sandinistes
de la sécurité sont interceptés en possession d’explosifs. Cette affaire se produit alors que, quelques jours
auparavant, Daniel Ortega, le leader sandiniste, déclarait qu’il était déterminé à poursuivre la lutte « au
Parlement mais aussi dans la rue et, si nécessaire, dans
la montagne ».
11
Niger
Manifestation et répression.
Des opposants au président Ibrahim Baré Maïnassara défilent dans les rues de Niamey pour réclamer
la « restauration de la démocratie » et la libéralisation
des médias publics. La police intervient brutalement.
Quelques jours plus tard, les principaux leaders de
l’opposition – l’ancien président Mahamane Ousmane, Mamadou Issoufou, ex-président de l’Assemblée nationale –, sont arrêtés et menacés d’être traduits devant la Cour de sûreté de l’État.
14
UE
Nouveau président au Parlement
européen.
Le conservateur espagnol José Maria Gil-Robles
succède à la tête du Parlement de Strasbourg au
socialiste allemand Klaus Haensch. Il l’emporte avec
338 voix contre la socialiste française Catherine Lalumière, créditée de 177 voix. Âgé de soixante et un
ans, M. Robles est membre du Parti populaire de José
Maria Aznar. Il est lui-même issu de la démocratie
chrétienne et fut longtemps un opposant modéré au
régime du général Franco.
15
Corée du Sud
Grève générale.
Alors que l’opposition à la nouvelle loi sur les relations du travail ne cesse de s’affirmer depuis la fin
de l’année précédente, les deux centrales syndicales KCTU et FKTU (pourtant progouvernementale)
lancent une grève à travers tout le pays. Celle-ci n’est
que très partiellement suivie, d’autant que de nombreux salariés ne cessent pas de travailler tout en se
déclarant moralement en grève. Le 21, le chef de
l’État Kim Young-sam annonce qu’il accepte de rediscuter la loi contestée (qui prévoyait une plus grande
facilité dans les procédures de licenciement et autorisait le remplacement des employés en grève).
L’opposition réclame également l’abrogation de la loi
qui renforce les pouvoirs des services secrets. Le 23,
l’OCDE (Organisation de la coopération et du développement économiques), à laquelle la Corée du Sud
veut adhérer, exprime publiquement son désaccord
avec Séoul à propos de sa nouvelle législation en
matière de travail.
France
Adoption à l’Assemblée nationale des
fonds de pension.
La majorité RPR et UDF adopte la proposition de loi
présentée par Jean-Pierre Thomas, député PR des
Vosges, créant la possibilité pour les salariés du secteur privé de souscrire des plans d’épargne-retraite
(PER) afin de recevoir une rente supplémentaire au
moment de leur cessation d’activité. Il est prévu que
les versements des salariés donneront à des réductions fiscales, comme seront largement exonérées de
cotisations sociales les contributions des entreprises.
Ce dernier point inquiète particulièrement les organisations syndicales qui y voient un risque important
de diminution des ressources de la Sécurité sociale,
estimée à 18 milliards de francs. La gauche exprime
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
43
sa totale hostilité au projet, qu’elle promet de défaire
aussitôt qu’elle reviendra au pouvoir. (chrono. 9/12)
Proche-Orient
Accord israélo-palestinien sur Hébron.
À la suite d’une médiation du roi Hussein de Jordanie, les négociateurs israéliens et palestiniens parviennent, après trois mois de discussions, à un accord
sur le statut de la ville d’Hébron. Selon cet accord,
l’armée israélienne s’engage à évacuer dans les dix
jours 80 % de la ville ; elle maintiendra sa présence
dans le centre-ville, autour du caveau des Patriarches
et sur la colline de Tell Roumeida, afin d’assurer la
sécurité des quelque 450 colons juifs habitant cette
cité où vivent plus de 120 000 Palestiniens. Le médiateur américain Dennis Ross a fait insérer dans l’accord
des engagements à négocier au plus vite sur les passages entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. Par
ailleurs, les Palestiniens ont réitéré leur engagement
à lutter contre le terrorisme et à s’abstenir de toute
activité hors de la zone autonome, notamment à
Jérusalem. Malgré l’opposition des partis religieux,
et la démission du gouvernement de Beni Begin, fils
de l’ancien Premier ministre, l’accord est entériné par
les autorités israéliennes et adopté à la Knesset avec
l’appui de l’opposition travailliste.
16
France
Alertes à la pollution.
Paris, Lyon, Marseille et Le Havre sont affectés par
des pics de pollution au dioxyde de soufre, lié au
chauffage, et au dioxyde d’azote, lié à la circulation
automobile. Les autorités invoquent la présence
d’un anticyclone au-dessus du pays, qui provoque
un froid intense et des vents très faibles, insuffisants
pour chasser la pollution des villes. Les spécialistes de
la qualité de l’air font observer que le niveau de pollution n’est pas seulement lié à la météorologie, mais
qu’il tend à devenir structurel, étant donné l’augmen-
tation continue du trafic automobile. Ainsi, à Lyon, le
préfet du Rhône a été contraint d’interdire la circulation des poids lourds traversant l’agglomération et il
a « incité » les automobilistes à éviter le centre-ville.
Cette décision constitue une première en France,
mais pas à l’étranger, où, par exemple à Rome, on
interdit la circulation des voitures particulières non
équipées d’un pot catalytique (80 % du parc) entre
15 heures et 20 heures. (chrono. 11/03)
France
Occupation du Crédit foncier.
Les employés de l’établissement bancaire occupent
les lieux et séquestrent le gouverneur et ses principaux collaborateurs. Ils entendent ainsi réagir aux
rumeurs de démantèlement de l’établissement.
Banque spécialisée dans les prêts sociaux à l’immobilier, le Foncier a vu son rôle se banaliser depuis que
les PAP (prêts d’accession à la propriété) ont été remplacés par les prêts à taux zéro, distribués par toutes
les banques. Le gouvernement hésite entre plusieurs
possibilités de reprise, soit par le Crédit immobilier de France (CIF), soit par les Caisses d’épargne.
En tout état de cause, 3 300 salariés du Crédit foncier craignent pour leur emploi. Le 20, Alain Juppé
nomme Philippe Rouvillois médiateur et, le 22, les
salariés relâchent leurs dirigeants.
19
Bulgarie
Soutien du président aux manifestants.
Lors de sa prestation de serment, le nouveau président élu, Petar Stoïanov, apporte son soutien aux manifestants qui, depuis deux semaines, réclament le
départ du gouvernement socialiste (ex-communiste)
et l’organisation d’élections législatives anticipées.
Les manifestants imputent aux socialistes la responsabilité de la très nette dégradation de la situation
sociale dans le pays, qui a appauvri l’ensemble de la
population. (chrono. 12/02)
20
États-Unis
Prestation de serment de Bill Clinton.
Le président américain entame son second mandat
en lançant un appel à la cohésion sociale et en demandant à ses compatriotes de surmonter « la division raciale, qui a toujours été le fléau du pays ». Auparavant, M. Clinton avait donné la composition de sa
nouvelle administration, avec, aux principaux postes :
Madeleine Albright (secrétaire d’État), William Cohen
(Défense), Bill Daley (Commerce). Robert Rubin (Tré-
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
44
sor) et Janet Reno (Justice), déjà en place, conservent
leurs attributions. Le président réélu doit cependant
faire face à de nombreuses attaques, notamment
dans l’affaire Whitewater (opération immobilière
menée avec son épouse dans les années 80 en Oklahoma), dans l’affaire Paula Jones (harcèlement sexuel
à rencontre d’une secrétaire) et dans celle de la filière
asiatique (financement illégal de sa campagne 1996).
France
Jacques Chirac annonce une réforme
du système judiciaire.
Appelant de ses voeux une justice plus proche des
citoyens, le président de la République souhaite une
indépendance accrue des parquets vis-à-vis de la
chancellerie, une meilleure protection du secret de
l’instruction et, d’une façon générale, une amélioration du fonctionnement quotidien de la justice. Il
confie à une commission de réflexion présidée par
Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation, le soin d’examiner toutes ces questions et de
délivrer un rapport avant le 15 juillet. Le Parlement
sera alors saisi. Un sondage commandé par le Monde
révèle que 82 % des Français interrogés estiment que
la magistrature est « soumise au pouvoir politique »,
que 73 % pensent que les hommes politiques bénéficient d’une mansuétude particulière et que 76 %
souhaitent une accélération des délais de procédure
et de jugement. (chrono. 10/07)
Zaïre
Contre-offensive des forces
gouvernementales.
En l’absence du président Mobutu Sese Seko, retourné en France pour y suivre un traitement médical, le
Premier ministre Léon Kengo Wa Dondo annonce
qu’il vient de donner aux forces armées l’ordre de
reprendre l’offensive au Kivu, dans l’est du pays,
contre les rebelles dirigés par Laurent-Désiré Kabila.
Malgré la nomination en décembre d’un nouveau
chef d’état-major, jugé plus intègre, malgré quelques
succès sur le terrain et malgré la présence plus ou
moins vérifiée de mercenaires occidentaux dans
leurs rangs, les forces de Kinshasa semblent toujours
incapables de reprendre la situation en leur faveur.
(chrono. 3/02)
Clinton II
Comme Richard Nixon, Bill Clinton est un
président mal aimé et peu respecté, tout en étant
finalement assez populaire pour avoir été élu à un
second mandat. Bien qu’il soit la cible d’enquêtes
judiciaires et parlementaires dont l’issue reste
incertaine, le président des États-Unis affiche un
moral d’acier, trempé dans les indéniables performances de l’économie nationale. L’Amérique
va bien, l’Amérique est un modèle pour le reste
du monde, Clinton le triomphateur ne cesse de
le clamer.
Confortablement réélu en novembre 1996
pour un second – et dernier – mandat, Bill Clinton dispose d’un horizon dégagé qu’aucun
nuage ne semble susceptible d’obscurcir. C’est
du moins le sentiment du président. S’il est vrai
que le locataire de la Maison-Blanche doit composer avec un Congrès dominé par les conservateurs, la situation n’a pas que des inconvénients. D’abord parce que le cas de figure n’est
pas nouveau – les élections de novembre 1994
s’étaient soldées par une véritable débâcle pour
les démocrates –, ensuite parce que le président
aura toujours quelque intérêt à prêter à l’opposition conservatrice la responsabilité de certains
de ses propres échecs. À la longue litanie des affaires qui le handicapent et qui empruntent leur
suffixe au scandale du Watergate – Chinagate,
Filegate, Travelgate, Hubbellgate, Jonesgate –,
Bill Clinton oppose un bilan économique dont
il veut croire qu’il lui vaudra absolution. Celui-ci
est indiscutable, celle-là plus problématique.
La pax americana
Le reste du monde peut bien s’offusquer de l’arrogance d’un président qui lui intime de choisir entre le modèle américain et la certitude du
déclin, il reste que Clinton a entre les mains tous
les atouts – militaires, économiques et politiques
– dans un monde qui, vu de Washington, vit sous
la pax americana. Agaçants donc, les Américains. Mais ceux qui ergotent sur les chiffres de
l’économie se trompent. En effet, depuis que
B. Clinton s’est installé dans le bureau ovale de
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
45
la Maison-Blanche, les États-Unis ont obtenu des
résultats en matière d’emploi, de compétitivité,
de croissance propres à faire rêver les dirigeants
du monde entier. On peut certes objecter qu’ils
en ont payé le prix – restructurations brutales,
inégalités de revenus accrues, règne avéré de
l’argent –, il n’en demeure pas moins que le chômage a considérablement reculé et les comptes
ont opéré un retour spectaculaire à l’équilibre.
L’entourage du président se plaît à rappeler que
lors du sommet du G7 de Houston en juillet
1990 George Bush était apparu comme le mauvais élève de la classe. L’Europe, après quelques
années de croissance, pouvait alors se permettre
de lui donner des leçons, d’insister sur les efforts à fournir. Il est vrai qu’à l’époque l’économie américaine était en récession (– 3 % sur un
an), tandis que le déficit budgétaire s’emballait
(4 % du PIB). L’activité a fini par redémarrer et
le mauvais élève tient désormais la baguette du
maître. Sur le tableau noir des mérites comparés, les chiffres sont têtus. Depuis janvier 1993,
quelque 12 millions d’emplois ont été créés. En
1997, non seulement le déficit budgétaire américain ne représentait plus que 1,1 % du PIB, mais
il continuait de se résorber. En 1992, Bill Clinton
s’était engagé à créer des millions d’emplois. Au
terme de son premier mandat, le président américain pouvait se prévaloir du leadership d’un
club très restreint, celui dont les membres ont
tenu leurs promesses : le chômage ne touchait
plus que 4,8 % de la population active. Sous ce
seul aspect, le fossé qui sépare les États-Unis de
l’Europe semble insondable. B. Clinton met bien
sûr ces résultats au compte de l’esprit d’entreprise et de la faculté d’adaptation du peuple
américain aux deux grandes mutations de cette
fin de siècle, la mondialisation et la « révolution
numérique ».
Triomphalisme clintonien
Sans être fausse, cette explication ne suffit pas
à épuiser les causes du rebond spectaculaire
réalisé par les États-Unis en l’espace de cinq
ans. Ainsi le pilotage macroéconomique a joué
un rôle de premier plan dans le redémarrage
de l’économie outre-Atlantique. Robert Rubin,
le secrétaire d’État au Trésor, s’est attaqué aux
déficits publics tandis que Alan Greenspan, président de la banque centrale (la FED), baissait
nettement les taux d’intérêt : l’austérité budgétaire s’est trouvée compensée par l’expansionnisme monétaire, ce qui a permis le redémarrage
de l’activité dans des conditions saines. L’assurance retrouvée se fait sentir bien au-delà des
débats sur les recettes de la croissance. On a pu
voir Clinton imposer des sanctions contre Cuba
ou l’Iran, présenter un plan de remboursement
partiel des dettes américaines à l’ONU, assorti de
conditions draconiennes, et lancer son « initiative africaine », qu’il se faisait fort d’approuver
lors du sommet de Denver (début juin) ; tout cela
sans la moindre consultation, ni même information de ses partenaires.
Parmi ces derniers, la France aura senti souffler
à ses dépens le vent du triomphalisme clintonien. Jacques Chirac s’est vu opposer une fin
de non-recevoir dans les deux dossiers sur lesquels il s’était personnellement engagé : l’attribution du commandement sud de l’OTAN à un
Européen et l’intégration de la Roumanie dans la
première vague de l’élargissement de l’Alliance
atlantique. Finalement B. Clinton est un homme
pressé. Ne disposant que de deux ans pour parachever l’image qu’il entend léguer à l’Histoire, il
doit compter sur la persistance des affaires qui
ont terni sa présidence et avec l’opposition du
Congrès, toutes choses qui ne lui laissent les
mains relativement libres qu’en politique étrangère. En son temps, Ronald Reagan voyait les
États-Unis comme « cette ville qui étincelle sur
la colline » et sert de phare au reste du monde.
Si l’optimisme affiché par B. Clinton puise aux
sources de l’idéologie reaganienne – le « destin
manifeste », dans sa traduction clintonienne –, il
est possible que les affaires en cours lui infligent
un cruel démenti – avatar démocrate du cynisme
nixonien.
P. F.
Du Watergate au Jonesgate
Certains des acteurs de l’affaire Paula
Jones ont déjà tenu un rôle en 1972 dans
le scandale du Watergate. Hillary Clinton
avait été une des avocates de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire.
Tout comme Fred Thompson, le sénateur
républicain qui préside la commission parlementaire sur les financements illégaux de la
campagne de 1996. Le Washington Post, qui
le premier avait révélé au public l’affaire du
Watergate, est monté en première ligne pour
exposer le linge sale de la Maison-Blanche.
Finalement, les embarras de Bill Clinton
sont, dans une large mesure, le produit de
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
46
réformes introduites à cause du scandale de
1972.
21
Allemagne/République
tchèque
Déclaration de réconciliation.
Bonn et Prague mettent fin à une longue querelle
liée aux événements de la Seconde Guerre mondiale.
Bonn exprime ses excuses pour l’annexion de la zone
frontalière des Sudètes en 1938 et pour l’occupation
de la Tchécoslovaquie par le régime nazi. Prague
reconnaît pour sa part que l’expulsion massive des
3 millions de Sudètes (Tchèques d’origine germanique) fut une opération brutale et injuste. En Allemagne, les associations de Sudètes, soutenues par la
CSU bavaroise, continuent de réclamer des indemnités financières, tandis qu’en République tchèque
communistes et extrême droite fustigent la « capitulation » du gouvernement.
Autriche
Changement de chancelier.
Au pouvoir depuis près de dix ans, le chancelier
social-démocrate Franz Vranitzky annonce sa démission de la direction du gouvernement. Aussitôt la
direction du SPÖ (Parti social-démocrate) désigne
Viktor Klima, jusqu’alors ministre des Finances, pour
le remplacer. Avant de quitter le pouvoir, M. Vranitzky
rappelle qu’il a fait adopter par son parti une résolution excluant tout projet d’alliance gouvernementale
avec la formation d’extrême droite FPÖ (Parti libéral).
Certains soupçonnent M. Klima d’être favorable à un
tel type d’alliance.
22
Canada/Cuba
Rapprochement diplomatique.
Lloyd Axworthy, ministre canadien des Affaires étrangères, rencontre Fidel Castro à La Havane. Cette visite
marque clairement l’opposition du Canada – un des
plus importants partenaires commerciaux de Cuba –
à la politique américaine vis-à-vis de La Havane, dont
le Premier ministre canadien Jean Chrétien a publiquement déclaré qu’elle n’était pas « la bonne ».
23
Afghanistan
Contre-offensive des talibans au nord
de la capitale.
Maîtres de Kaboul depuis l’automne 1996, les talibans (intégristes islamistes) avaient dû faire face aux
assauts menés par le commandant Ahmed Shah
Massoud à partir du nord du pays. Ils reprennent le
contrôle de deux positions stratégiques au nord de
la capitale. Les talibans renforcent ainsi leur position
alors que Téhéran, soucieuse de contenir l’influence
du Pakistan et de l’Arabie Saoudite, s’apprête à
organiser une réunion entre les différentes factions
afghanes. (chrono. 25/05)
France
Maurice Papon renvoyé devant la cour
d’assises.
Ancien secrétaire général de la préfecture de la
Gironde pendant l’Occupation, Maurice Papon est
renvoyé par la chambre criminelle de la Cour de cassation devant les assises pour complicité de crimes
contre l’humanité commis entre juillet 1942 et mai
1944, période pendant laquelle il a supervisé l’envoi
vers les camps d’extermination de 1 560 Juifs de Gironde. Âgé de quatre-vingt-six ans, M. Papon, qui fut
plus tard préfet de police de Paris sous la présidence
du général de Gaulle puis secrétaire d’État au Budget
sous celle de Valéry Giscard d’Estaing, s’estime victime d’un procès politique et fait état d’une activité
parallèle de résistant, ce que les autorités judiciaires
ont, depuis, fortement contesté. L’instruction contre
M. Papon avait commencé en 1983, deux ans après
que le Canard enchaîne eut révélé son passé pendant
la guerre.
24
L’assemblée est dans l’incapacité de voter son budget, la droite refusant de s’allier au Front national pour
France
Blocage au Conseil régional d’Île-deFrance.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
47
faire passer le texte contre l’opposition de la gauche
et des écologistes. Le président de la Région, Michel
Giraud (RPR), annonce qu’il confie en conséquence
les finances franciliennes au préfet de Région. Il met
également en cause le mode de scrutin proportionnel propre aux élections régionales qui, selon lui,
rend très difficile la constitution de majorités stables.
25
Albanie
Émeutes d’épargnants spoliés.
Des dizaines de milliers de personnes manifestent
dans la capitale et en province pour protester contre
la faillite des « pyramides financières » dans lesquelles
de nombreux petits épargnants avaient placé leurs
économies. Ces institutions promettaient, à la limite
de l’escroquerie, des intérêts mensuels de 35 % à
100 %, poussant les particuliers à s’endetter et à
vendre leurs biens pour profiter de ces conditions
extravagantes. Le président Sali Berisha (conservateur) fait arrêter plusieurs dizaines de responsables
de l’opposition communiste, les accusant de vouloir
profiter de la situation pour fomenter des troubles.
Il promet également de rembourser les épargnants
spoliés. Beaucoup restent sceptiques face à cet engagement étant donné l’énormité des sommes englouties. (chrono. 11/02)
Algérie
Déclaration du président Liamine
Zeroual.
Alors que les tueries se multiplient dans le pays à l’occasion du ramadan, le chef de l’État s’exprime à la télévision pour dénoncer un « complot » contre l’Algérie qui serait mené avec l’aide de « forces étrangères et
de personnalités algériennes ». Il promet « l’extermination » de ces « bandes de criminels, de traîtres et de mercenaires ». Réagissant à ce qu’ils jugent comme une
fermeture politique, les dirigeants de l’opposition
réclament une véritable initiative venant du pouvoir
ou, comme Hocine Haït-Ahmed, leader du Front des
forces socialistes (FFS), une médiation américaine. Le
28, Abdelhak Benhamouda, président de la centrale
syndicale UGTA (Union générale des travailleurs algériens), proche du président Zeroual, est abattu par
des jeunes gens qu’on soupçonne d’appartenir aux
GIA (Groupes islamistes armés). Résolument opposé
aux islamistes, M. Benhamouda s’apprêtait à créer un
parti favorable au pouvoir, qui, à côté du FLN (Front
de libération nationale, ex-parti unique), en perte
de vitesse dans l’opinion, aurait regroupé les forces
syndicales et les anciens combattants. Son assassinat
non seulement démontre la capacité de nuisance
à tous les niveaux des forces islamistes, mais compromet encore un peu plus la stratégie politique de
M. Zeroual. Le 30, Valéry Giscard d’Estaing se déclare
favorable à une participation des islamistes aux
prochaines élections législatives. Les autorités algériennes réagissent en dénonçant l’« ingérence » française dans les affaires intérieures du pays. (chrono.
5/04)
Allemagne/France
Rapprochement en matière de défense.
Le Monde révèle qu’en décembre 1996 Jacques Chirac
et Helmut Kohl se sont mis d’accord sur un « concept
stratégique commun » en vue de coordonner les
politiques de défense de leurs deux pays. Cette coopération – et cela constitue un fait nouveau – n’est
envisagée que dans le cadre européen et atlantique.
Les Allemands considèrent que leur protection principale vient des États-Unis, la force nucléaire française
(et britannique) n’étant considérée que comme force
d’appoint.
Par ailleurs, le texte insiste sur la coopération complète entre les deux défenses, qui, à terme, doivent
être complémentaires. Les forces françaises ne devraient pas se réserver les missions d’intervention à
l’extérieur du théâtre européen, alors que les forces
allemandes seraient cantonnées à la défense du
territoire continental, face à un ennemi venant de
l’Est de plus en plus hypothétique. La publication
de ce document provoque en France l’organisation
d’un débat à l’Assemblée nationale, au cours duquel
l’opposition de gauche reproche au gouvernement
d’opérer un virage atlantiste décisif, en rupture avec
la politique initiée par le général de Gaulle. Le gouvernement fait observer qu’il négocie avec les Américains un nouveau partage des responsabilités au sein
de l’OTAN, notamment pour ce qui est du commandement de la zone sud de l’Europe, basé à Naples.
France
Enquête ouverte sur la spoliation des
Juifs entre 1940 et 1944.
Alain Juppé annonce la création d’un groupe de
travail qui devra estimer les biens juifs saisis pendant l’Occupation et identifier ceux qui demeurent
en la possession d’autorités publiques, notamment
les musées. Le Premier ministre déclare à ce sujet :
« Plus que d’une démarche morale, il s’agit d’un devoir
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national. » Cette affaire éclate en France alors que les
organisations juives internationales reprochent aux
banques suisses d’avoir conservé les richesses saisies
par les nazis auprès de leurs victimes.
Rugby
Deuxième victoire française en Coupe
d’Europe.
En battant les Anglais de Leicester par 28 à 9, les
joueurs de Brive succèdent à ceux de Toulouse au
palmarès de la deuxième édition de l’épreuve.
Tennis
Victoires de Martina Hingis et de Pete
Sampras.
En battant la Française Mary Pierce, la Suissesse devient, à seize ans, la plus jeune lauréate des Internationaux d’Australie. En l’emportant le lendemain sur
l’Espagnol Carlos Moya, l’Américain empoche son
deuxième titre à Melbourne et son neuvième dans
un tournoi du Grand Chelem.
France-Allemagne : pour
un « concept stratégique
commun »
Réunis les 24 et 25 janvier à Aix-la-Chapelle, les
parlementaires français et allemands – tous
partis politiques confondus – ont pu débattre
de la coopération en matière d’armement et
commenter le « concept stratégique commun »
que le conseil franco-allemand de sécurité et de
défense, présidé par Jacques Chirac et Helmut
Kohl, avait adopté le 9 décembre 1996 lors du
sommet de Nuremberg.
En décidant de resserrer les liens en matière
de défense, Paris et Bonn ont pris acte des changements intervenus dans le rapport des forces
en Europe et ont tiré les conclusions des progrès de l’intégration européenne dans tous les
domaines. Toutes choses de nature à rendre les
intérêts des deux pays indissociables. Que les
deux parties aient fait le constat de la nécessaire
convergence de leur politique de défense ne
confère pas pour autant une profonde originalité
au texte. Ce dernier, même s’il souligne quelques
ruptures avec les dogmes gaullistes, présente
plutôt une synthèse des orientations déjà perceptibles depuis plusieurs mois. Ainsi, J. Chirac
et H. Kohl ont confirmé qu’ils partageaient le
même sentiment au sujet de l’élargissement de
l’OTAN, jugé inévitable, voire nécessaire ; accord
sans ombre aussi quant à la redéfinition des relations avec la Russie, que tous deux ne souhaitent
pas isoler.
Le concept stratégique commun
Concernant les relations bilatérales, Paris et
Bonn se trouvent placées sur un pied d’égalité.
La France a dû abandonner son statut de puissance victorieuse – une manière pour elle de
compenser jusqu’alors son handicap économique par une prééminence stratégique. Sur la
question de l’arme nucléaire, propre à perturber
cette parité officiellement reconnue, l’Allemagne
a fait un pas significatif en se déclarant prête à
ouvrir « un dialogue sur le rôle de la dissuasion
nucléaire dans le contexte d’une politique européenne de défense ». On peut également lire
dans le texte présenté à Aix-la-Chapelle que « la
garantie de sécurité ultime des alliés est fournie
par les forces nucléaires de l’Alliance, en particulier celles des États-Unis ; les forces nucléaires
indépendantes de la France et de la Grande-Bretagne, qui remplissent une fonction de dissuasion propre, contribuent à la dissuasion et à la
sécurité globale ».
Les inquiétudes nourries par l’Allemagne au sujet
de la professionnalisation de l’armée française
ont également été apaisées : le texte affirme que
les deux parties sont engagées à part égale dans
la défense de l’alliance contre un ennemi extérieur ainsi que dans la préservation de la stabilité
internationale. L’Allemagne, qui pouvait redouter un partage des tâches peu équitable – les
Français assurant les missions « nobles » de rétablissement de la paix et les Allemands se consacrant à la défense territoriale classique – est
donc pleinement rassurée. De toute façon, Paris
considère qu’une armée de métier est inévitable
à terme en Allemagne, même si pour l’heure le
sujet reste encore extrêmement sensible. De
façon plus générale, le « concept stratégique
commun » fait écho à la position défendue par
les deux pays dans les négociations sur la révision du traité de Maastricht. Il y est clairement
dit que la politique européenne de défense doit
être placée sous la responsabilité politique du
Conseil européen. Ce qui signifie que l’Union eudownloadModeText.vue.download 50 sur 361
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
49
ropéenne de défense (UEO) devra être intégrée
dans l’Union européenne.
Un pilier européen de Défense
La coopération sur le renseignement stratégique était également au menu du sommet de
Nuremberg. Un accord-cadre et deux accords
particuliers prévoient l’édification de part et
d’autre du Rhin d’un système spatial de reconnaissance stratégique auquel devraient collaborer à terme l’Italie et l’Espagne selon des modalités qui restaient encore à définir. Par ailleurs,
Bonn s’est prononcée en faveur du lancement
en 1999-2001 de l’industrialisation du système
de reconnaissance KZO-Brevel, soit un drone
(avion sans pilote) du champ de bataille. De son
côté, la France a promis de dégager les crédits
nécessaires à l’acquisition des drones de reconnaissance à partir de 2002.
En jetant les bases d’un « concept stratégique
commun », Paris et Bonn ont réactivé le principe
d’une sorte de communauté de défense francoallemande, qui n’est pas sans rappeler le projet
du général de Gaulle (1963), mais à cette différence près qu’elle serait désormais placée sous le
double parrainage de l’Europe et de l’OTAN. S’il
vrai que la France et l’Allemagne parlent d’une
même voix dans la CIG, envisagent une stratégie commune, entendent coordonner leurs présidences de l’UEO afin d’accélérer la création
d’un « pilier européen de Défense », on rappellera aussi que ce n’est pas la première fois. Il y
a quelques années, Paris et Bonn envisageaient
déjà de fondre leurs présidences du Conseil
européen en une présidence commune. Peu
de temps après, il ne s’agissait plus que d’une
simple concertation pour assurer la continuité,
prélude à l’abandon du projet. Dans le domaine
de la Défense, les principes ne trouvent pas
à se concrétiser sous forme de projets industriels. Pour des raisons financières, l’Allemagne a
écarté sa participation au programme de satellite Horus, projet auquel la France tient particulièrement. Quelques observateurs avisés de la
« chose » allemande n’ont pas manqué d’émettre
des doutes quant aux capacités de Bonn à résister au lobbysme américain et quant à sa fermeté
dans l’affaire du commandement sud de l’OTAN,
si d’aventure Washington accentuait sa pression.
Quelles que soient les réserves que l’on peut
former à l’endroit du parfait synchronisme du
tandem franco-allemand, l’affirmation d’une
communauté de principes vérifie une constance
des relations entre Bonn et Paris : les diffé-
rences d’appréciations écartées, il n’existe d’aucun côté du Rhin de solution de rechange à la
coopération.
P. F.
Des intérêts de sécurité
indissociables
Selon le texte adopte lors du sommet de Nuremberg, Paris et Bonn sont engages à part
égale dans la défense de l’alliance contre un
ennemi extérieur, comme dans la préservation de la stabilité internationale. Il est ainsi
question d’« interopérabilité » et de « rapprochement des structures ». Le chapitre consacré à la coopération en matière d’armement
– les industries devant coopérer pour produire du matériel répondant indifféremment
aux besoins des deux armées – exprime le
même souci de complémentarité. Le document franco-allemand souligne la nécessité
pour les deux pays de disposer « de capacités stratégiques de renseignement pour une
appréciation indépendante des situations de
crise ».
27
Russie
Élection présidentielle en Tchétchénie.
Aslan Maskhadov, âgé de quarante-cinq ans, est élu
président avec 59,3 % des voix, devant Shamil Bassaïev, crédité de 23,5 % des suffrages. Ancien colonel
de l’armée soviétique, M. Maskhadov commandait
les forces indépendantistes pendant le conflit avec
l’armée russe et c’est lui qui a négocié avec Alexandre
Lebed l’accord de cessez-le-feu au cours de l’été
1996. Son élection est saluée par Moscou, qui le juge
nettement plus modéré que son concurrent Bassaïev. Certains opposants à M. Maskhadov refusent
de reconnaître le résultat des élections et menacent
de relancer des opérations de terrorisme contre la
Russie. Reste également la question centrale de l’indépendance de la République, dont Moscou ne veut
pas, officiellement, entendre parler, d’autant que la
Tchétchénie est un point de passage obligé pour
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50
l’acheminement du pétrole de la mer Caspienne.
(chrono. 12/05)
29
France
Autodissolution d’un mouvement
nationaliste corse.
Le FLNC-canal habituel, bras armé du Mouvement
pour l’autodétermination (MPA) d’Alain Orsoni, annonce officiellement son autodissolution. Les représentants de cette organisation, qui était en sommeil
depuis plusieurs mois, déclarent que « les dérives
qui sont apparues, la guerre qui a opposé les différents
courants ont largement contribué à faire perdre sa crédibilité à la notion de lutte armée ». Les violences ne
devraient pas pour autant s’arrêter dans l’île, d’autres
organisations clandestines étant déterminées à
continuer leur combat. (chrono. 2/02)
31
Madagascar
Confirmation de la victoire de Didier
Ratsiraka.
Plus d’un mois après le second tour de l’élection
présidentielle, les résultats en sont officiellement
proclamés : M. Ratsiraka l’emporte avec 50,71 % des
suffrages contre son concurrent Albert Zafy. Ancien
chef de l’État de 1975 à 1993, M. Ratsiraka a fait campagne sur le projet d’une « république humaniste et
écologiste ». Il affirme vouloir lutter contre la pauvreté
et organiser un référendum sur la nature unitaire
ou fédéraliste du régime. Âgé de soixante-deux ans
et souffrant d’un fort diabète et d’une quasi-cécité,
M. Ratsiraka n’a été élu, du fait de la forte abstention,
que par moins d’un quart des électeurs inscrits.
Suisse
Levée du secret bancaire dans l’affaire
de l’« or nazi ».
Suite à une pression des Américains qui avaient formé une commission ad hoc dirigée par Paul Volcker,
ancien président de la banque centrale d’outre-Atlantique, les banques suisses acceptent de donner
accès à leurs archives aux organisations juives afin
de leur permettre de retrouver la trace des familles
juives spoliées par les nazis, et dont l’argent avait
été déposé dans les coffres de la Confédération. Au
même moment, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, et le président de la Confédération
helvétique, Arnold Koller, qui s’étaient rencontrés
dans le cadre du forum économique de Davos, décla-
raient vouloir aborder ce dossier « dans une atmosphère de coopération et non de confrontation ».
Les négociations butent sur le projet de financement
d’un fonds d’aide aux victimes de la Shoah à partir
des fonds en déshérence détenus par les banques
suisses et provenant de familles juives disparues. Le
5 mars, M. Koller annonce la création d’une fondation
suisse de solidarité avec, notamment, les victimes
du nazisme, dotée de 28 milliards de francs français.
(chrono. 7/05)
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
51
FÉVRIER
1
France
Licenciement de Gérard Paquet.
Le cofondateur et directeur depuis trente-deux ans
du Théâtre de la danse de Châteauvallon est licencié
après intervention du maire de Toulon, dont dépend
Châteauvallon, Jean-Marie Le Chevallier, membre du
Front national, et du préfet du Var, Jean-Charles Marchiani, un proche de Charles Pasqua.
Après l’élection de M. Le Chevallier à la mairie de Toulon en juin 1995, M. Paquet avait refusé de continuer
à recevoir des subventions en provenance de cette
municipalité. Un an plus tard, il entrait en conflit avec
le préfet qui interdisait, pour des motifs d’ordre public, le passage du groupe de rap Nique Ta Mère, programmé à Châteauvallon. M. Paquet reçoit le soutien
du ministre de la Culture, Philippe Douste-Blazy, et
de centaines d’artistes, qui se rendent en délégation
à Toulon le 13 par le « train de la liberté ».
2
France
« Nuit bleue » en Corse.
Cinquante-six attentats sont perpétrés dans différentes régions de l’île, marquant ainsi la plus importante opération de ce type depuis 1982. Le FLNC-canal historique revendique l’ensemble de ces attentats
afin de prouver qu’il ne désarme pas quelques mois
après l’autodissolution du FLNC-canal habituel.
3
France
Incarcération de Bernard Tapie.
À la veille de l’examen de son pourvoi en cassation
contre la condamnation à huit mois de prison ferme
dans l’affaire du match de football truqué OM-VA,
l’homme d’affaires et député européen est incarcéré à la Santé. Le lendemain, le pourvoi est rejeté et
M. Tapie demeure emprisonné.
Pakistan
Victoire de Nawaz Sharif aux élections.
Ancien Premier ministre de 1990 à 1993 et leader de
la Ligue musulmane, M. Sharif, quarante-sept ans,
est assuré d’avoir enlevé avec sa formation les trois
quarts des circonscriptions lors des élections législatives. Le Parti du peuple pakistanais (PPP) essuie une
lourde défaite sanctionnant l’échec au pouvoir de
sa dirigeante Benazir Bhutto, accusée de corruption
et d’incapacité à régler les problèmes économiques
du pays. M. Sharif, qui représente les intérêts de la
bourgeoisie d’affaires, opposée à la domination des
grandes castes, devra impérativement assainir les
finances publiques afin de reconquérir la confiance,
et le soutien, du Fonds monétaire international (FMI),
clarifier les relations de l’État et de l’armée et normaliser les relations du Pakistan avec son voisin indien.
Zaïre
Défaite des forces gouvernementales.
Les autorités de Kinshasa annoncent que les forces
armées zaïroises ont perdu le contrôle de Kalémié,
un port stratégique situé sur le lac Tanganyika, à
l’est du pays. Les rebelles, commandés par LaurentDésiré Kabila, contrôlent désormais une bande de
800 km environ le long des frontières de l’Ouganda,
du Rwanda, du Burundi et de la Tanzanie. Alors que
le président Mobutu Sese Seko tente de chercher des
appuis à l’étranger, notamment au Maroc, Washington demande officiellement à Kampala, Kigali et
Bujumbura de ne plus intervenir dans le conflit aux
côtés des rebelles. Pris au milieu des combats, des
dizaines de milliers de réfugiés hutus errent misérablement à travers les forêts. (chrono. 16/03)
Les élections au Pakistan
Désenchantement et amertume. C’est ainsi que
la presse internationale a résumé les élections
générales – renouvellement de l’Assemblée
nationale et des Parlements locaux – qui se sont
déroulées le 3 février 1997 dans un pays accablé
par le sous-développement, bridé par la caste
des féodaux et la nomenklatura des militaires,
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
52
miné par la corruption, ensanglanté par les heurts
intercommunautaires.
Appelés aux urnes pour la quatrième fois depuis 1988, bon nombre de Pakistanais auront eu
le sentiment de choisir entre la peste et le choléra. Les deux principaux candidats ont en commun d’avoir été tous les deux Premier ministre et
d’avoir connu l’humiliation d’être destitués par le
chef de l’État. Nawaz Sharif, le leader de la Ligue
musulmane, a conduit le gouvernement de 1990
à 1993 avant d’être brutalement congédié pour
corruption et incompétence. Benazir Bhutto, la
présidente du Parti du peuple pakistanais (PPP),
s’est trouvée à deux reprises en charge des affaires : une première fois entre 1988 et 1990, et
de nouveau entre 1993 et novembre 1996. C’est
au nom des mêmes raisons qu’elle dut céder à
deux reprises le pouvoir. Camouflet suprême,
Benazir Bhutto a été limogée en 1996 par le président Farooq Leghari, celui-là même qui fut l’un
de ses plus fidèles alliés.
Le retour de Nawaz Sharif
Bien que son premier mandat n’ait pas laissé un
souvenir impérissable dans la mémoire des Pakistanais, Nawaz Sharif a pourtant réussi à offrir
une victoire écrasante à son parti, emportant
134 des 217 sièges que compte le Parlement,
devançant donc largement le PPP de Benazir
Bhutto, qui a dû se contenter de 18 représentants. Quant à l’outsider haut en couleur, Imran
Khan, ancienne vedette du cricket, malgré une
virulente campagne menée contre la corruption,
il aura perdu la partie : aucun des candidats du
parti de la Justice ne siège à l’Assemblée nationale ni dans les assemblées régionales.
Nawaz Sharif bénéficiait du soutien du monde
des affaires qui s’est souvenu que sur le plan
économique il fut un bon Premier ministre ; à
l’inverse de Benazir Bhutto dont le bilan économique est jugé désastreux. Sous son règne, le
Pakistan a bien failli connaître la banqueroute :
une dette extérieure de 28 milliards de dollars,
une inflation de 12,3 %, un budget de la Défense
représentant 30 % des dépenses de l’État et des
réserves de devises en chute libre en 1996.
Représentant les aspirations de la haute et
moyenne bourgeoisie face à la puissance des
grands propriétaires féodaux, symbolisés entre
autres par Mme Bhutto, Nawaz Sharif se trouve
confronté à une tâche immense : redresser la
situation d’un pays surendetté, poursuivre la
libéralisation de l’économie et donc regagner
la confiance des investisseurs. Mais c’est sans
doute sur sa volonté réelle de lutter contre la
corruption que le Premier ministre sera jugé.
Au cours de la campagne électorale, Nawaz
Sharif s’est engagé à renouer le dialogue avec
l’Inde : « Nous devons nous asseoir autour d’une
même table avec les Indiens afin de trouver une
solution au contentieux du Cachemire », avait-il
affirmé, ajoutant : « Si l’on dialogue, on est forcé
d’arriver à des résultats. »
Le Premier ministre a également été invité à
donner son sentiment au sujet de l’Afghanistan,
notamment sur le point épineux du soutien du
Pakistan aux talibans, ces musulmans ultra-traditionalistes au pouvoir à Kaboul depuis 1996. À
cette occasion, il a pu avancer que « cette politique devra are révisée car il est hors de question de
soutenir une faction afghane contre une autre ».
Il reste à savoir de quelle marge de manoeuvre
dispose Nawaz Sharif dans un pays aux pouvoirs éclatés, où les services secrets constituent
une sorte d’État dans l’État et où les militaires
demeurent encore tout-puissants. Si l’on en
croit Mme Bhutto, l’espace dont dispose son successeur paraît bien mince, car aucun Premier
ministre, selon elle, ne contrôle totalement les
différentes institutions.
Une démocratisation bien fragile
Outre la dégradation de la situation économique,
Nawaz Sharif est confronté à la montée d’un terrorisme mystérieux – depuis 1996 des attentats à
la bombe ensanglantent la province du Pendjab
– et à la persistance de l’affrontement entre des
membres de la majorité sunnite et de l’importante minorité chiite. Rien n’incite à l’optimisme.
Depuis sa naissance en 1947, le Pakistan, qui
devait être le havre des musulmans de l’Empire
britannique des Indes, n’est pas parvenu à se forger une identité nationale. Aux clivages religieux
s’ajoutent des clivages ethniques – entre Penjabis, Sindhis, Baloutches et Pathans – qui ont des
effets délétères sur le moral d’un pays où il paraît
impossible de se définir autrement que négativement, c’est-à-dire contre l’ennemi héréditaire
indien. Cinquante ans plus tard, c’est peu d’écrire
que la situation y est complexe tant le Pakistan
illustre l’échec d’un nationalisme fondé sur la
seule religion. Le pays a atteint un seuil critique
qui fait que les partisans de la démocratie parlementaire semblent acculés à la défensive. Une
double menace pèse aujourd’hui sur la nation.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
53
Le premier danger serait celui d’une solution
militaire qui marquerait brutalement la fin de la
démocratisation engagée en 1986. Le second serait celui du recours islamiste, qui, lui, sonnerait
le glas de la timide modernisation de la société
civile. De nombreux électeurs qui se sont rendus aux urnes pour choisir leurs élus parmi les
6 289 candidats disent avoir perdu la confiance
en leurs dirigeants, jugent avec sévérité les huit
dernières années de la démocratie retrouvée et
estiment n’avoir aucun contrôle sur ceux qui les
gouvernent. Si un sondage du Herald a pu toutefois mettre en lumière l’attachement de la majorité des électeurs à la démocratie, il reste que ces
derniers n’accordent qu’une relative confiance à
leur nouveau Premier ministre pour conjurer ce
double péril.
P. F.
Nawaz Sharif
Figure-clé du milieu politique pakistanais,
conservateur, Nawaz Sharif est né deux ans
après l’indépendance. Lui-même homme
d’affaires, il est le fils d’un industriel qui,
avec ses six frères, avait créé un modeste
atelier de machines-outils à Lahore en
1936. Aujourd’hui, l’entreprise familiale
emploie quelque 10 000 personnes. Nawaz
Sharif doit à l’ex-dictateur Zia Ul Haq, dont
il fut le protégé, d’avoir été un ministre en
chef de la province du Pendjab. Il accède
une première fois au poste de chef du gouvernement en 1990, à l’issue du limogeage
de Benazir Bhutto. Toutefois son absence
de charisme ne lui pas a permis – contrairement à sa rivale – de devenir une figure
médiatique en Occident.
4
France
Présentation du projet de réforme de
l’Université.
François Bayrou, ministre de l’Éducation nationale,
propose une réorganisation des DEUG, avec la mise
en place de semestres et la création d’un semestre
initial d’orientation ; il prévoit également la généralisation d’expériences professionnelles au niveau des
deuxième et troisième cycles avec une Charte nationale des stages, et la création d’une allocation sociale
d’études, reprenant et simplifiant les aides déjà existantes. L’ensemble des organisations concernées –
enseignants, étudiants, personnels – approuve ces
projets, mais pose la question des moyens qui seront
effectivement alloués à leur concrétisation.
Israël
Accident meurtrier.
73 soldats d’élite trouvent la mort dans la collision
entre deux hélicoptères qui les acheminaient au
Liban sud. Cet accident relance la polémique concernant la présence israélienne chez son voisin du Nord.
En réalité, le problème trouve sa solution en Syrie,
pays qui contrôle toute la vie politique libanaise.
Tant que Jérusalem ne se résoudra pas à évacuer le
plateau du Golan, Damas continuera à encourager le
Hezbollah islamiste à mener des offensives contre Israël à partir de la frontière libanaise, obligeant l’armée
israélienne à acheminer des troupes dans la région.
Serbie
Victoire de l’opposition.
Le président serbe Slobodan Milosevic reconnaît la
victoire de l’opposition dans 14 villes, dont Belgrade,
lors des élections législatives de novembre 1996. La
coalition de l’opposition « Ensemble » reste cependant mobilisée, car elle soupçonne le président de
se livrer à une manoeuvre dilatoire. En effet, celuici veut faire reconnaître les résultats des élections
contestées par une loi votée au Parlement. Cette loi
est cependant votée à la quasi-unanimité le 11. Cinq
jours plus tard, après une grande fête dans les rues de
la capitale, les leaders de « Ensemble » suspendent le
mouvement de protestation, mais donnent jusqu’au
9 mars au régime en place pour procéder à une véritable libéralisation de la presse.
5
Chine
Émeutes de séparatistes musulmans.
Au moins 50 personnes trouvent la mort au cours
d’émeutes menées par des activistes de la minorité
oïgour (musulmans d’origine turque) à Yining, ville
de la province du Xinjiang, au nord-ouest du pays,
vers la Mongolie et le Kazakhstan. Dans les jours qui
suivent, les autorités procèdent à une centaine d’exécutions. Dans cette vaste région, peuplée seulement
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
54
de 16 millions d’habitants, les Chinois de l’ethnie Han
(principale ethnie chinoise) sont minoritaires.
France
Manifeste de magistrats.
Lancé en octobre 1996 à l’initiative de sept magistrats
européens, dont le Français Renaud Van Ruymbeke,
l’Appel de Genève, qui dénonce l’impuissance de la
justice face à la délinquance financière internationale, est signé par 400 des 6 000 magistrats français.
6
Équateur
Destitution du chef de l’État.
Élu en juillet 1996, le président Abdala Bucaram est
destitué par le Parlement pour « incapacité physique
et mentale ». Ancien avocat, chanteur à l’occasion,
M. Bucaram, connu pour son extravagance, est surnommé « el loco » (le fou). Élu sur la base d’une campagne populiste, il pratique ensuite une politique de
rigueur, imposant des hausses vertigineuses des tarifs des services publics. Son départ entraîne d’abord
une confusion à la tête de l’État, mais, finalement,
Fabian Alarcon, président du Congrès, est élu par
celui-ci président intérimaire jusqu’à l’été 1998. Les
observateurs notent la neutralité remarquable des
forces armées tout au long de cette crise politique.
France
Limitation du champ d’application des
abus de biens sociaux.
À l’occasion de l’examen du pourvoi dans le cadre
de l’affaire Botton, la Cour de cassation restreint le
champ d’application de l’ABS, en considérant qu’un
patron, en l’occurrence M. Serge Crasnianski, P-DG de
la société Kis, qui verse un pot-de-vin en vue d’obtenir l’annulation d’un fort redressement fiscal n’est pas
répréhensible dans la mesure où il agit pour le bien
de son entreprise et non pour son enrichissement
personnel. Le champ d’application de l’ABS étant
ainsi verrouillé, il ne reste plus à la justice que la possibilité de prouver le trafic d’influence ou le pacte de
corruption, ce qui est très difficile, car, par définition,
ces transactions sont occultes. Depuis plusieurs années, le CNPF (Centre national du patronat français)
cherchait à limiter la portée de l’ABS, défini par une loi
de 1935, d’autant qu’une jurisprudence de 1967 avait
considérablement allongé son délai de prescription
par rapport au droit commun en le faisant démarrer
au jour où le délit a pu être constaté et non au jour
où il a été commis.
France
Montée en puissance de la Générale
des eaux dans le capital d’Havas.
La Compagnie générale des eaux (CGE), dirigée par
Jean-Marie Messier, porte à 30 % sa participation au
capital d’Havas, le premier groupe français de communication, dirigé par Pierre Dauzier.
France
Rejet des pourvois dans l’affaire Botton.
La Cour de cassation confirme les condamnations
à l’encontre de Pierre Botton, Michel Noir, Michel
Mouillot et Patrick Poivre d’Arvor. Les trois derniers
sont donc reconnus coupables d’avoir profité des
avantages consentis à leur endroit par M. Botton,
au détriment des sociétés dirigées par ce dernier. À
la suite de cet arrêt, M. Noir renonce à son mandat
de député de Lyon, tandis que M. Mouillot, incarcéré
dans le cadre d’une autre affaire, démissionne de son
siège de maire de Cannes. Pour sa part, M. Poivre
d’Arvor continue de présenter le journal de 20 heures
sur TF1.
7
Belgique/France
Retombées du scandale Dassault.
Guy Spitaels, ancien ministre et ancien chef du Parti
socialiste francophone belge de 1981 à 1992, démissionne de la présidence du Parlement régional wallon. Cette décision fait suite à la levée de son immunité parlementaire décidée dans le cadre de l’affaire
Dassault. Il est reproché à l’homme politique d’avoir
accepté un pot-de-vin à destination de son parti, de
l’avionneur français, qui cherchait ainsi à obtenir deux
marchés auprès de l’aviation belge. (chrono. 18/07)
8
Cinéma
Palmarès des 22es Césars.
Le titre du meilleur film français de l’année va à Ridicule (sur la vie de cour au XVIIIe s) de Patrice Leconte.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
55
Celui-ci est également désigné meilleur réalisateur, à
égalité avec Bertrand Tavernier, pour Capitaine Conan
(sur les corps francs de la Première Guerre mondiale).
Microcosmos (document sur la vie des insectes) reçoit
les distinctions de la meilleure musique de film, de la
meilleure photo, du meilleur son, du meilleur montage et du meilleur producteur. Philippe Torreton et
Fanny Ardant sont désignés meilleurs acteurs masculin et féminin.
9
France
Le Font national remporte la
municipalité de Vitrolles.
Catherine Mégret, épouse du no 2 du Front invalidé
pour cause de dépassement du plafond légal des dépenses électorales, bat le maire sortant, le socialiste
Jean-Jacques Anglade, avec 52,48 % des suffrages,
au deuxième tour de l’élection partielle. Le FN ajoute
ainsi une quatrième ville à son palmarès, et, pour la
première fois, à la majorité absolue. L’émotion est
grande dans tout le pays, tandis qu’à gauche on se
demande s’il était opportun de représenter un maire
sortant, mis en examen pour fausses factures et qui
s’était progressivement éloigné de la population. Lionel Jospin décide alors de convoquer l’état-major de
la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône.
L’effet Vitrolles
Pour la première fois de son histoire, le Front
national remporte une élection municipale à la
majorité absolue des suffrages. Le retrait du
candidat de la droite républicaine au deuxième
tour n’aura pas permis à la gauche d’empêcher le
succès de Catherine Mégret.
En ce début d’année, le Front national revient
au coeur du débat politique. En confirmant, le
18 décembre 1996, l’invalidation du maire socialiste sortant, Jean-Jacques Anglade, mis en examen pour une affaire de fausses factures en décembre 1995, et en déclarant inéligible pour un
an son challenger, le délégué général du FN, Bruno Mégret (pour avoir dépassé de 9 % le plafond
autorisé des dépenses de campagne), le Conseil
d’État focalise les projecteurs sur Vitrolles, commune de la périphérie de Marseille, vieux fief de
la gauche qui aime, depuis le milieu des années
80, flirter avec les hommes de Jean-Marie Le Pen.
Lors des municipales de juin 1995, Jean-Jacques
Anglade, pourtant élu au premier tour en 1989,
n’avait pu conserver sa mairie qu’à la majorité
relative (45,02 % des voix), talonné par Bruno
Mégret (42,89 %). Les 2 et 9 février 1997, en dépit
du retrait forcé du délégué général du FN représenté par sa femme Catherine qui mène la liste,
la donne est différente. Au premier tour, avec
46,69 % des suffrages, elle améliore sensiblement le score de son mari (43,04 % en juin 1995),
devance largement le maire sortant (36,99 %)
et enfonce confortablement Roger Guichard
(16,3 %), le candidat de la majorité. En dépit du
retrait de ce dernier, au second tour, le « sursaut républicain » n’aura pas lieu et le 9 février
Catherine Mégret avec 52,48 % devient maire de
Vitrolles, le premier maire Front national élu à la
majorité absolue des suffrages. Pour le parti de
Jean-Marie Le Pen, c’est une incontestable victoire, il gère désormais quatre villes et ce dernier
succès après Orange, Toulon et Marignane est
d’autant plus emblématique qu’il confirme que
le « pseudo-front républicain » décrété plus ou
moins de mauvaise grâce par la classe politique
traditionnelle n’est plus en mesure de mettre en
échec un candidat du FN.
Une succession de maladresses
Test national ou simple péripétie locale ? Sans
doute, ne faut-il pas généraliser. Vitrolles n’est
pas la France. La victoire par épouse interposée de Bruno Mégret – c’est lui qui, de bout en
bout, a mené la campagne – est plus un accident
consécutif au mauvais choix du candidat socialiste et aux atermoiements des partis de droite
entre les deux tours.
Certes, Bruno Mégret laboure cette terre électorale depuis huit ans, sait présenter un « visage »
convenable du Front et bénéficie d’une bonne
implantation locale. Mais l’incapacité du PS,
local et national, empêtré dans ses querelles de
rapports de force internes, y est pour beaucoup.
En ne s’opposant pas, d’abord, à la candidature
de Jean-Jacques Anglade, mis en examen pour
« faux et usage de faux », en décembre 1995, et
peu apprécié par les Vitrollais (une scission au
sein de la section locale socialiste aura même
lieu entre les deux tours) ; en n’assumant pas,
ensuite, réellement ce choix – Lionel Jospin ne
viendra le soutenir que du bout des lèvres entre
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
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les deux tours – le PS a ouvert un véritable boulevard au couple Mégret qui a eu beau jeu de
dénoncer la corruption de la classe politique. Un
des thèmes de prédilection du FN.
À cela, il faut ajouter les hésitations de la droite
traditionnelle. Passe encore que pour faire barrage au candidat lepéniste, elle ne choisisse pas
le meilleur des siens. Mais, à force de s’interroger
sur l’opportunité ou non de retirer son candidat
au deuxième tour, elle a lassé son électorat. Un
électoral que le look polisse de Catherine Mégret
n’effrayait pas. Et la confusion qui s’est ensuivie a
permis au couple Mégret de jouer sur la connivence gauche-droite.
Il est vrai que, pour la majorité de l’époque, le
dilemme ressemblait fort à un piège. Fallait-il, au
nom du « réflexe républicain », quitte à désespérer son électorat et au risque de faire jurisprudence, retirer, pour la première fois, un candidat
en mesure d’être présent au deuxième tour ?
Ou bien ne valait-il pas mieux le maintenir pour
fixer l’électorat de droite avec l’espoir, compte
tenu du rapport de force, d’empêcher le candidat du FN d’empocher une victoire à la majorité
absolue dans le cadre d’un duel avec la gauche.
Finalement, après avoir mesuré les avantages et
inconvénients de l’une et l’autre de ces hypothèses, la droite a préféré faire une « opération
d’image » en retirant son candidat et en ne prenant pas le risque de porter le chapeau de l’élection prévisible dans les deux cas de figure du
couple Mégret.
Une étape pour Bruno Mégret ?
Résultat : le 9 février, Vitrolles s’est retrouvée
pour la première fois de son histoire de gauche
avec une municipalité lepéniste. Un curieux attelage exécutif composé d’un maire fantoche mais
élu tout à fait démocratiquement en la personne
de Catherine Mégret et d’un conseiller très spécial, véritable maître des lieux, Bruno, son mari.
Une élection qui permet au délégué national
du Front national de conforter ses positions
au sein de son parti et de se poser en véritable
challenger de Jean-Marie Le Pen (même si son
échec aux élections législatives de juin et les
débordements médiatiques de son épouse – qui
proclame à la presse allemande sa croyance en
l’inégalité des races – handicapent, au moins
temporairement, sa stratégie politique de rapprochement avec la droite républicaine).
B. M.
Le Front à Vitrolles
39 000 habitants.
1/3 de la population a moins de 25 ans.
Taux de chômage : 17 %.
Législatives, juin 1997, 2e tour : Bruno
Mégret, 45,89 %, battu.
Municipales, février 1997, 2e tour : Catherine Mégret, 52,48 %, élue.
Municipales, juin 1995, 2e tour : Bruno
Mégret, 42,89 %, battu.
Présidentielle, avril 1995, 1er tour : JeanMarie Le Pen en tête avec 23,67 %.
Législatives, mars 1993, 2e tour : Bruno
Mégret, 49,52 %, battu.
Régionales, mars 1992 : la liste FN en
tête avec 28,56 %.
Municipales, mars 1989, 1er tour : avec
11,3 %, la liste FN est en 3e position, celle
du PS l’emporte.
10
Espagne
Reprise des attentats par l’ETA.
L’organisation séparatiste basque assassine à Madrid
un juge de la Cour suprême et un militaire à Grenade.
Ces actions meurtrières, qui font suite à deux autres
assassinats en janvier, interviennent alors que la justice espagnole poursuit le parti politique Herri Batasuna, vitrine légale de l’ETA. Il est reproché à cette
organisation d’avoir diffusé, lors de la campagne législative de 1996, des vidéos exposant le programme
de l’ETA. Les négociations avec le gouvernement
semblent ainsi au point mort, car le gouvernement
rejette toute discussion avec l’ETA tant que celle-ci
n’aura pas renoncé à la violence.
11
Albanie
Recherche d’apaisement.
Poussé par les députés de sa majorité (Parti démocrate, centre droit), le gouvernement renonce à
appliquer l’état d’urgence dans la région de Vlora, au
sud du pays. Cette ville avait été, les jours précédents,
le théâtre d’émeutes ayant entraîné la mort de trois
personnes. Ces troubles avaient pour origine la faillite
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
57
des « pyramides financières » qui promettaient aux
nombreux épargnants crédules de fantastiques intérêts mensuels. (chrono. 2/03)
12
Bulgarie
Annonce d’élections législatives
anticipées.
Le nouveau chef de l’État, élu en novembre 1996, le
centriste Petar Stoïanov, annonce que des élections
anticipées auront lieu le 19 avril. Il marque ainsi la
victoire de l’opposition, soutenue par d’importantes
manifestations de rue, contre le gouvernement
socialiste (ex-communiste) en place jusqu’alors, qui
souhaitait aller jusqu’au bout de la législature. Auparavant, il avait nommé un gouvernement intérimaire
dirigé par le maire de Sofia, l’UFD (Union des forces
démocratiques) Stefan Sofiyanski. (chrono. 19/04)
Corée du Nord
Défection d’un dignitaire de
Pyongyang.
Hwang Jang-yop, dignitaire nord-coréen, se réfugie au consulat de Corée du Sud à Pékin. Âgé de
soixante-treize ans, longtemps chargé de l’idéologie, le transfuge, qui a demandé officiellement
l’asile politique aux autorités de Séoul, reproche aux
partisans de Kim Jong-il d’avoir « bâti une utopie de
régime alors que les ouvriers et les paysans meurent
de faim ». Cette affaire embarrasse Pékin et Séoul et
révèle la fragilité du pouvoir du fils de Kim Il-sung,
qui n’a pas réussi à complètement s’affirmer depuis
la mort de son père, en 1994. Le 15, un dissident
nord-coréen établi à Séoul est assassiné, selon toute
vraisemblance par des agents du Nord, à titre d’avertissement. (chrono. 8/04)
13
Birmanie
Offensive contre les Karens.
Des milliers de réfugiés karens (minorité tibéto-birmane) affluent vers la Thaïlande, alors que l’armée de
Rangoon intensifie son offensive contre les positions
de l’Union nationale karène (KNU). Depuis 1995, la
rébellion a subi de sérieux revers, perdant plusieurs
places fortes et son contrôle sur la région productrice
de bois de teck, source importante de son financement. (chrono. 22/04)
Une nouvelle vie pour
le télescope Hubble
Près de sept ans après sa mise en orbite et un
peu plus de trois ans après avoir été corrigé
de sa « myopie » par des astronautes venus le
réparer dans l’espace, le télescope Hubble reçoit
à nouveau la visite d’un équipage de la navette
américaine. Révisé et modernisé, entre le 13 et le
18 février, il est paré pour une nouvelle moisson
de découvertes.
Plus de 100 000 images transmises, à l’origine
de quelque 5 000 publications scientifiques :
le bilan des observations déjà effectuées par
le télescope spatial Hubble est véritablement
impressionnant. Il s’en est pourtant fallu de peu
que l’instrument, dont les astronomes ont si
longtemps rêvé avant de pouvoir enfin l’utiliser, ne puisse remplir correctement sa mission.
Peu après sa mise en orbite autour de la Terre,
à 600 km environ d’altitude, par la navette
américaine, en avril 1990, on découvrait, en
effet, qu’une erreur de polissage de son miroir
de 2,40 m de diamètre empêchait celui-ci de
concentrer convenablement la lumière. À ce
handicap majeur s’ajoutaient des tremblements du satellite, provoqués par des déformations de ses panneaux solaires lors de leur
passage du jour à la nuit, et des perturbations
de ses enregistreurs de bord par des particules
chargées emprisonnées dans l’une des « ceintures de rayonnement » terrestres. Tout devait
heureusement rentrer dans l’ordre avec la réparation dans l’espace du télescope, en décembre
1993. En particulier, l’installation d’un dispositif
optique correcteur permit alors de compenser
le défaut de courbure du miroir.
Des images exceptionnelles
Depuis, Hubble comble tous les astronomes
au-delà de leurs espérances. Scrutant l’Univers du système solaire aux astres les plus
lointains, il transmet des images d’une finesse
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
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exceptionnelle, qui ont permis une moisson de
découvertes.
On lui doit, par exemple, des informations capitales pour une meilleure compréhension de
la genèse des galaxies. En révélant l’existence
d’une multitude de galaxies très lointaines,
donc très jeunes, rassemblées en grappes, qui
ont une forme irrégulière et paraissent très
perturbées, il a apporté la preuve que l’Univers
primitif était chaotique, que les interactions de
galaxies y étaient plus fréquentes qu’aujourd’hui
et que la morphologie des galaxies (avec, par
exemple, des bras spiraux) s’est développée
ultérieurement.
Hubble a mis aussi en évidence plusieurs spécimens de lentilles gravitationnelles, ces objets
massifs qui permettent de voir des galaxies situées au-delà, dont ils infléchissent la lumière.
Ses observations ont confirmé la présence de
trous noirs géants au centre de certaines galaxies et le fait que les quasars sont les noyaux
de grandes galaxies lointaines, extrêmement
lumineuses et très perturbées. Certaines de
ses observations spectrales ont révélé que de
nombreux nuages, constitués principalement
d’hydrogène, s’interposent entre les quasars et
notre galaxie. Enfin, les données recueillies par
Hubble ont fait une nouvelle fois rebondir le débat sur l’âge de l’Univers : alors que les cosmologistes semblaient désormais s’accorder pour
estimer à une quinzaine de milliards d’années le
temps écoulé depuis le big bang, les évaluations
déduites des observations du télescope spatial
confèrent à l’Univers un âge d’une douzaine de
milliards d’années seulement.
À l’intérieur de notre galaxie, Hubble a fourni des
images saisissantes de « maternités » stellaires,
montrant des étoiles en train d’éclore au coeur
d’immenses nuages de matière interstellaire.
D’autres clichés révèlent la structure étonnamment complexe de nébuleuses issues d’éjections
successives de matière par des étoiles à l’agonie
ou de l’explosion finale d’étoiles massives.
Dans le système solaire, Hubble a inscrit à son
actif la première cartographie de Pluton, la planète la plus éloignée du Soleil, et de fantastiques
clichés des autres planètes, notamment de Mars
et de Jupiter, qui ont permis de très instructives
comparaisons avec ceux recueillis antérieurement par des sondes spatiales, en particulier
pour l’étude des phénomènes sur ces planètes.
Deux nouveaux instruments
L’un des atouts de Hubble est d’avoir été conçu
pour être réparé et modernisé dans l’espace.
C’est ainsi que la mission du satellite a pu être
sauvée en 1993. Cette année, l’intervention d’un
équipage d’astronautes s’inscrivait dans le cadre
des opérations périodiques d’entretien prévues dès l’origine. Il s’agissait de remplacer des
dispositifs de service défectueux et de doter le
télescope d’équipements plus performants. Ce
travail de maintenance a nécessité cinq sorties
extra-véhiculaires d’une durée totale de 33 h
11 min. Lors de la première, deux nouveaux instruments scientifiques ont été installés au foyer
du télescope : 1°) le spectrographe imageur STIS
(Space Telescope Imaging Spectrograph) à très
grande capacité de résolution ; 2°) le système
d’observation NICMOS (Near Infrared Camera
and Multi-Object Spectrometer), qui ouvre à Hubble un nouveau domaine d’investigation avec
ses trois caméras associées à un spectromètre,
qui opèrent dans le proche infrarouge, entre 0,8
et 2,5 micromètres de longueur d’onde. Moins
complexes, les quatre sorties suivantes ont été
consacrées au remplacement de plusieurs équipements de service. En particulier, un enregistreur de données à bandes magnétiques a été
remplacé par une « mémoire solide » qui porte
de 1,2 à 12 gigabits la capacité de stockage de
données a bord du satellite. De même, l’un des
trois capteurs de guidage optique a été remplacé par un modèle de nouvelle génération, qui
permet au télescope de pointer une cible et de
la conserver dans son champ de vision avec une
stabilité telle qu’il pourrait maintenir un faisceau
laser braqué sur une pièce de 1 franc située à
1 000 km de lui. Lors de leur ultime intervention,
les astronautes ont réparé la protection thermique du télescope, dont une inspection avait
révélé la dégradation par endroits.
Hubble, ainsi « remis à niveau », poursuit maintenant son exploration du ciel en attendant sa
prochaine révision, à la fin de 1999.
P. DE LA C.
De Hubble au NGST
Deux autres missions d’entretien du télescope spatial Hubble sont prévues. La première, en 1999, pour installer une caméra
plus performante et des panneaux solaires
neufs, ainsi que pour rehausser l’orbite du
satellite. La seconde, en 2002, pour installer
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
59
au foyer un nouvel instrument non encore
déterminé et pour maintenir le télescope
opérationnel au moins jusqu’en 2005. Après
quoi, la relève sera assurée par un télescope
de nouvelle génération, le NGST (New Generation Space Telescope). Celui-ci pourrait
posséder un miroir déployable de 6 à 8 m de
diamètre et être placé en orbite à 1,5 million
de kilomètres de la Terre, à l’un des points
de Lagrange du système Terre-Soleil.
14
Bosnie
Arbitrage entre Croates, Musulmans et
Serbes.
La Cour d’arbitrage internationale attribue aux
Serbes, pour une durée supplémentaire de treize
mois, la ville de Brcko, située au nord de la Bosnie.
Toutefois, cette ville disputée entre les trois communautés sera placée sous l’autorité d’un superviseur
américain. Celui-ci devrait, théoriquement, garantir
le retour dans la ville des réfugiés croates et musulmans d’ici à l’arbitrage définitif prévu pour mars 1998.
F1
Rachat de Ligier par Alain Prost.
Le quadruple champion du monde rachète la firme
française à Flavio Briatore et signe un accord de partenariat avec Peugeot, qui équipera les voitures de
son écurie à partir de 1998 (elles continueront à rouler avec un moteur Honda pendant la saison 1997).
La nouvelle société s’appellera Prost Grand Prix et
l’écurie Prost-Peugeot.
15
Télécommunications
Ouverture à la concurrence.
Sous l’égide de l’OMC (Organisation mondiale du
commerce), les délégués de 68 pays représentant
90 % du marché mondial (soit 800 milliards de dollars) s’accordent à Genève pour renoncer à leurs monopoles sur leurs services de télécoms et pour autoriser les opérateurs à intervenir sur d’autres marchés
que leur marché national. Impulsé par les États-Unis,
ce mouvement de libéralisation économique pousse
les grands opérateurs à se concentrer, comme l’ont
fait récemment le britannique BT et l’américain MCI
ou le français France Télécom, l’allemand Deutsche
Telekom et l’américain Sprint.
17
Tadjikistan
Libération des otages.
Détenus depuis deux semaines, les 14 otages
(membres de l’ONU, de la Croix-Rouge, journalistes
et le ministre tadjik de l’Intérieur) sont libérés par
les rebelles du groupe Bakhrom Sadirov. Certains
observateurs émettent des doutes sur la nature de
ce groupe, qui semblerait manipulé en sous-main
par Moscou. Les Russes chercheraient à travers lui à
diviser l’opposition islamiste au régime du président
en place, Imamoli Rakhmonov.
Voile
Victoire de Christophe Auguin.
Le skipper granvillais remporte le Vendée Globe
Challenge et bat en 105 jours 20 heures 31 minutes
et 23 secondes le record de cette épreuve de navigation en solitaire autour du monde sans escale et sans
assistance (détenu depuis 1990 par Titouan Lamazou
en 109 j 8 h 48 min et 50 s). Cette troisième édition
de la course a été marquée par plusieurs abandons,
trois sauvetages périlleux dans le Pacifique sud et par
la disparition du marin canadien Gerry Roufs.
19
Chine
Mort de Deng Xiaoping.
Le successeur de Mao Zedong meurt à Pékin à l’âge
de quatre-vingt-douze ans. Fils d’un hobereau du
sud-ouest de la Chine, il est envoyé en France à seize
ans pour s’ouvrir à l’Occident. Il y travaille dans différentes usines, y fait la connaissance de Zhou Enlai
et adhère au Parti communiste en 1924. Recherché
par la police, il quitte la France pour Moscou où il
fréquente l’école des cadres du Komintern. Il rentre
en Chine en 1926, devient secrétaire du Comité central du PC l’année suivante et fait la connaissance de
Mao, dont il devient vite très proche, lui restant fidèle
lors de l’éclipse politique de celui-ci en 1933. PendownloadModeText.vue.download 61 sur 361
JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
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dant la guerre contre le Japon puis contre les troupes
de Tchang Kaï-chek, il est un des chefs militaires
communistes les plus efficaces. Après la création de
la République populaire, il dirige d’abord sa région
natale puis devient vice-Premier ministre chargé de
l’Économie aux côtés de Zhou Enlai. Il critique à mots
couverts la politique du « Grand Bond en avant » de
Mao, à la fin des années 50, et s’efforce d’en limiter les
conséquences désastreuses. Il le paye sous la Révolution culturelle en 1966, accusé d’être « le numéro 2
engagé sur la voie capitaliste ». Il est exilé loin de Pékin
jusqu’en 1973, quand Mao le rappelle pour remettre
de l’ordre dans un pays dévasté. Après la mort du
« grand timonier » en 1976, Deng manoeuvre habi-
lement, d’abord pour éliminer la faction gauchiste
menée par la veuve du leader défunt puis pour
remplacer au bout de deux ans Hua Guofeng, le successeur désigné à la tête du Parti. Arrivé au pouvoir
suprême, Deng s’attache aussitôt à réparer les plus
graves excès du maoïsme (libération des intellectuels emprisonnés) et à installer progressivement les
règles du jeu capitaliste en Chine, à l’exclusion de la
démocratie politique. Tout en proclamant qu’il « est
glorieux de s’enrichir », il s’oppose avec vigueur (et
de nombreux emprisonnements) à tous ceux qu’il
considère comme des tenants du « libéralisme bourgeois ». En 1989, il cautionne la répression sanglante
du « printemps de Pékin », au cours duquel des
centaines de milliers de manifestants réclament la
démocratisation du pays. Avant de se retirer progressivement de toute vie publique, il impose en 1992 à
la tête du Parti Jiang Zemin, homme de compromis
entre les différentes factions conservatrices du PCC.
Le 24, la dépouille de Deng Xiaoping est incinérée
devant une assistance volontairement réduite afin de
prévenir tout risque de manifestation.
20
France
Drame dans le Pas-de-Calais.
Quatre jeunes filles, qui s’étaient rendues au carnaval
traditionnel du Portel, sont découvertes assassinées
et enterrées dans une dune à une quinzaine de kilomètres au sud de Boulogne-sur-Mer. Deux frères habitant la région, des ferrailleurs déjà condamnés pour
meurtre et viol, sont arrêtés. Quelques mois après
l’affaire Dutroux en Belgique toute proche, l’émotion
est intense et l’on entend des voix réclamer le rétablissement de la peine de mort ou, tout au moins, un
réexamen du contrôle et du traitement postcarcéral
des délinquants sexuels.
21
France
Changement de direction au Club
Méditerranée.
Serge Trigano, le fils du fondateur, est remplacé à la
tête de l’organisation de vacances par Philippe Bourguignon, l’homme qui a relancé Euro Disney. Ce remplacement marque la fin d’une dynastie et, plus largement, le contrôle accru des actionnaires sur la marche
des entreprises à direction familiale. En un an, le titre
Club Méditerranée avait perdu 30 % de sa valeur.
22
France
Manifestation à Paris contre la loi
Debré.
Entre 80 000 et 100 000 personnes défilent à Paris pour
protester contre la loi du ministre de l’Intérieur, JeanLouis Debré, sur le contrôle des étrangers résidant en
France, et particulièrement contre la disposition prévoyant pour les personnes hébergeant des étrangers
(venant de pays pour lesquels la demande d’un visa
d’entrée en France est requise) l’obligation de déclarer
le départ de leurs hôtes quand ceux-ci cessent d’habiter chez eux. Le gouvernement socialiste avait institué
en 1982 l’obligation du certificat d’hébergement, mais
l’obligation supplémentaire de déclarer la fin de cet
hébergement conduit de façon obligée à l’institution
d’un fichier des personnes hébergeantes, ce qui est
jugé gravement attentatoire aux libertés. De fait, un
sondage indique que, si la majorité des personnes
interrogées approuve la loi Debré, une majorité
d’entre elles déclare aussi éprouver de la sympathie
pour les manifestants. Devant l’ampleur du mouvement, impulsé par une série de pétitions signées par
des cinéastes puis par des intellectuels et des artistes,
le gouvernement accepte de modifier son texte. Le
président RPR de la commission des Lois à l’Assemblée nationale, Pierre Mazeaud, éprouve de grandes
difficultés à imposer le moindre changement à la fraction la plus dure de la majorité, qui entend rester au
plus près des demandes sécuritaires exprimées par le
Front national. Il parvient cependant à faire adopter un
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
61
amendement faisant porter à l’étranger hébergé l’obligation de déclarer son départ de chez l’hébergeant ;
par ailleurs, l’amendement transfère des maires aux
préfets la compétence en matière de délivrance des
certificats d’hébergement.
La loi Debré sur
l’immigration
Utilisant le prétexte de l’affaire des « sans-papiers » de l’église Saint-Bernard au cours de l’été
1996, le ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré
a su imposer une nouvelle loi sur l’immigration,
plus répressive encore que celle présentée par
son prédécesseur, Charles Pasqua.
L’arrivée inattendue de la gauche au pouvoir en
juin 1997 remet tout en question.
Moins de quatre ans après la loi Pasqua, voilà
la loi Debré « portant diverses dispositions relatives à l’immigration ». En quinze ans, c’est la
dixième modification de l’ordonnance de 1945
sur les étrangers ! Objectif avoué du ministre
de l’Intérieur : parvenir à l’immigration irrégulière zéro afin de « réussir l’intégration que l’on
ne peut mener à bien à frontières ouvertes ». La
philosophie gouvernementale en la matière est
ainsi exposée : « fermeté » à l’encontre de l’immigration clandestine ; « humanisme » à l’égard de
certains sans-papiers. En réalité, à dix-huit mois
des législatives que personne, à l’époque, ne
soupçonne anticipées, l’objectif est de contrer
le Front national sur l’un de ses terrains de prédilection en montrant la détermination en la
matière d’un gouvernement déjà mal en point
dans les sondages.
L’examen de ce texte au Parlement sera révélateur de l’état d’esprit de la classe politique.
D’un côté, une majorité inquiète sur son avenir
et qui n’hésitera pas à durcir le texte initial pour
tenter de séduire les voix lepénistes ; de l’autre,
une gauche, socialiste notamment, étrangement
gênée aux entournures. Ainsi, c’est dans un hémicycle quasi déserté par les députés socialistes
que l’Assemblée nationale adoptera, en première lecture, et en dépit des efforts méritoires
du RPR Pierre Mazeaud, président de la commission des Lois, pour contrer la surenchère sécuritaire, un texte allant au-delà de ce que souhaitait
le gouvernement d’Alain Juppé.
Des dispositions contestées
Les principales dispositions de la loi touchent à
cinq domaines.
Le certificat d’hébergement : Délivré par les préfets, il est indispensable pour obtenir un visa de
visiteur et doit être remis aux autorités de police
lors de la sortie du territoire.
Les contrôles de police : Les policiers sont autorisés à effectuer une « visite sommaire » des véhicules non particuliers dans une bande de 20 Km
autour des frontières de Schengen.
Le passeport : Il peut être retiré à un étranger en
situation irrégulière.
Les empreintes : La loi en autorise le relevé et la
mémorisation des étrangers non européens sollicitant un titre de séjour.
Le retrait du titre de séjour : La carte de séjour
provisoire d’un an comme celle de résident de
dix ans peuvent être retirées par l’autorité admi-
nistrative à toute personne employant un étranger sans titre de séjour.
La réaction de la rue
Le « sursaut citoyen » viendra de 59 cinéastes.
Leur appel à la « désobéissance civique » contre
cette loi « liberticide » qu’ils n’hésitent pas à
comparer aux lois antijuives de Vichy (notamment à propos de la constitution d’un fichier de
demandeurs d’asile et des certificats d’hébergement) sera à l’origine d’une mobilisation sans
précédent. Des dizaines de milliers de Français,
lycéens, intellectuels, médecins... signeront des
pétitions pour réclamer le retrait de ce texte et,
le 22 février, ils seront plus de 100 000 à manifester dans les rues de Paris. La gauche tentera
de raccrocher les wagons, de réparer ce « loupé »
d’abord lors de l’examen du texte par le Sénat
en faisant monter au créneau l’une de ses figures
emblématiques, l’ancien garde des Sceaux, Robert Badinter ; ensuite, en saisissant le Conseil
constitutionnel après l’adoption de la loi par le
Parlement, le 26 mars.
Le 23 avril, les neuf « sages » censureront deux
dispositions de la loi en rejetant les mesures
d’accès des policiers au fichier d’empreintes des
demandeurs d’asile et en s’opposant au non-renouvellement de la carte de résident de dix ans
en cas de « menace pour l’ordre public ». JeanLouis Debré saluera dans cette décision un « sucdownloadModeText.vue.download 63 sur 361
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cès pour le gouvernement », alors que la gauche
estimera le texte toujours « contraire aux principes de la République ».
B. M.
La loi en six dates
3 avril 1996. Une commission d’enquête
parlementaire sur l’immigration clandestine
adopte un rapport durcissant la loi Pasqua.
Principales mesures : relevé des empreintes
digitales de tous les demandeurs de visa,
réduction de l’accès aux soins pour les étrangers en situation irrégulière et allongement significatif du délai de rétention administrative.
23 août 1996. Seulement 8 expulsions effectuées après l’évacuation par la police de 300
« sans-papiers » africains occupant l’église
Saint-Bernard, à Paris, depuis le 23 juin,
confortent le ministre de l’Intérieur dans
l’idée de renforcer les lois Pasqua.
6 novembre 1996. Jean-Louis Debré annonce le dépôt d’un projet de loi « équilibré »
réformant l’ordonnance de 1945 sur les étrangers. Il propose de régulariser la situation
de certains étrangers non expulsables tout
en durcissant les conditions d’entrée et les
moyens de contrôle des étrangers. Le pouvoir
des policiers en la matière est accru.
22 février 1997. Plus de 100 000 personnes
manifestent à Paris contre le projet de loi jugé
« liberticide ». À l’origine de ce mouvement,
l’appel à la désobéissance civile lancé par
59 cinéastes.
25 avril 1997. Adoptée par le Parlement
après correction du Conseil constitutionnel,
la loi est publiée au Journal officiel.
19 juin 1997. Dans son discours de politique
générale, Lionel Jospin, Premier ministre,
réaffirme que le droit du sol est « consubstantiel à la nation française » et remet ainsi en
cause la loi Debré, dont sa majorité réclame
l’abolition.
25
Corée du Sud
Excuses du président.
Kim Young-sam présente ses excuses à la nation
pour l’implication de son fils, d’un ministre et de trois
parlementaires dans le scandale financier du conglomérat sidérurgique Hanbo. Ce groupe avait reçu des
prêts sans intérêt contre le versement de pots-devin. Le lendemain, le Premier ministre Lee Soo Sung
présente sa démission. Il est remplacé par Koh Kun,
dont la nomination indique la volonté du président
de se dégager de l’influence des courants les plus
conservateurs du NKP (Parti de la nouvelle Corée).
26
France
Confirmation de la suspension d’Olivier
Foll.
La Cour de cassation rejette le pourvoi du directeur
de la police judiciaire de Paris qui avait été suspendu
de ses fonctions pour avoir ordonné aux policiers de
ne pas assister le juge Éric Halphen alors que celui-ci
s’apprêtait à effectuer une perquisition au domicile
du maire de Paris, Jean Tiberi. Malgré cette décision
de justice, le ministre de l’Intérieur, Jean-Louis Debré,
maintient sa confiance à M. Foll, qui garde ses fonctions alors que son habilitation d’officier de police
judiciaire lui est retirée pour six mois.
Proche-Orient
Implantations juives dans le quartier
arabe de Jérusalem-Est.
Le gouvernement de Benyamin Netanyahou donne
son accord à l’extension des quartiers juifs de Jérusalem-Est avec la construction de 6 500 logements en
lisière de la partie arabe de la Ville sainte. Aussitôt, les
autorités palestiniennes protestent et reçoivent l’appui de Washington et des capitales européennes qui
condamnent la décision des autorités israéliennes.
Yasser Arafat brandit alors la menace de déclarer
unilatéralement l’indépendance de l’État palestinien.
27
France
Les dirigeants de Bouygues mis en
examen.
Martin Bouygues, P-DG du groupe de BTP, et Patrick
Le Lay, P-DG de TF1 et ancien dirigeant de Bouygues,
sont mis en examen et sous contrôle judiciaire. Ils
sont soupçonnés d’avoir monté un système de
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
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fausses factures avec une société d’études, la Cerail.
Les magistrats supposent que les sommes versées
par la firme Bouygues à cette société auraient été
destinées à des pets-de-vin pour l’obtention de
marchés à l’étranger. TF1 aurait également versé de
l’argent à la Cerail.
Sciences
Création d’un mouton cloné.
La revue anglaise Nature publie le compte rendu
d’une équipe de chercheurs d’Édimbourg, dirigée
par Ian Wilmut, qui a réussi au cours de l’été 1996 le
premier clonage d’un mammifère adulte, en l’occurrence une brebis nommée « Dolly ». Ils ont procédé
de la façon suivante : mise en culture de cellules
provenant de la glande mammaire d’une brebis,
prélèvement d’ovules d’autres brebis, vidés ensuite
de leurs chromosomes, refroidissement des ovules
soumis ensuite à un champ électrique pour les
rendre perméables à l’entrée de la cellule prélevée
sur la brebis donneuse, en lieu et place d’un spermatozoïde, implantation dans une brebis porteuse de
l’ovule contenant la cellule, naissance d’une brebis
rigoureusement identique à la brebis donneuse de
la cellule initiale. Cette expérience, qui à nécessité
300 tentatives, ouvre des perspectives nouvelles aux
éleveurs d’ovins, mais aussi de bovins, qui pourraient
ainsi reproduire à l’identique les meilleures bêtes. Elle
pourrait également servir de base à la production
d’animaux transgéniques dotés de gènes humains
pour leur faire produire des protéines-médicaments.
Certains craignent cependant que ces nouvelles
formes de manipulation génétique soient appliquées
à l’homme, notamment en matière de traitement de
la stérilité masculine, malgré l’interdiction de principe
du clonage humain. Le jour même, Jacques Chirac
saisit le Comité d’éthique pour les sciences de la vie
sur les problèmes du clonage des mammifères, tandis que, le 4 mars, Bill Clinton réclame un moratoire
volontaire sur le clonage humain et annonce qu’il
s’opposera à tout versement de fonds fédéraux destinés aux recherches de ce type.
28
France
Fermeture d’une usine Renault en
Belgique.
Louis Schweitzer, président de Renault, annonce
la fermeture d’une usine près de Bruxelles pour
l’été 1997, ce qui devrait entraîner la disparition de
3 100 emplois. Il justifie cette décision par la volonté
de spécialiser chaque site dans la production d’un
type de véhicule et par la nécessité de préserver
l’ensemble du groupe, dont les pertes pour l’exercice 1996 se montent à 4,5 milliards de francs. Le
Premier ministre belge, Jean-Luc Dehaene, proteste
contre cette décision. Le 5 mars, Alain Juppé reçoit
M. Schweitzer et l’enjoint de se concerter avec les autorités belges. L’entreprise, dont l’État est actionnaire
à hauteur de 46 %, annonce par ailleurs la suppression de 2 700 emplois en France. (chrono. 7/03)
Turquie
Le gouvernement sous surveillance de
l’armée.
Le Conseil national de sécurité (MGK), organe réunissant les plus hautes autorités civiles et militaires du
pays, exige que le gouvernement islamiste de Necmettin Erbakan respecte le principe de la laïcité de
l’État et prenne 20 mesures propres à garantir celleci (mise en application stricte de la législation sur la
laïcité en matière de vêtement, contrôle des confréries et de la presse islamiste, etc.). Le 3 mars, le Premier ministre déclare refuser d’appliquer ce train de
mesures et rappelle que « le gouvernement est formé
par le Parlement, pas par le Conseil national de sécurité ». Il finit cependant par s’incliner, mais sort affaibli
politiquement de l’épreuve, les partis d’opposition
comme Mme Tansu Ciller, son alliée dans la coalition
gouvernementale, ayant exprimé leur désaccord
avec sa position. (chrono. 18/06)
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64
MARS
2
Albanie
État d’urgence.
Face à l’insurrection qui a éclaté dans les villes du sud
du pays et après la démission, la veille, du Premier
ministre, le Parlement réuni en session extraordinaire
décrète l’état d’urgence sur tout le territoire. Les violences ont déjà causé la mon de 13 personnes mais
la tension ne semble pas devoir retomber, malgré
l’assurance réitérée par les autorités que les épargnants spoliés seront remboursés. La plupart des
observateurs doutent en effet de la capacité des
institutions financières albanaises à honorer de tels
engagements. Plus d’un demi-million de personnes
ont été ruinées par les « pyramides financières », qui
promettaient des intérêts mensuels mirobolants
avant de tomber en faillite. À l’occasion de cette crise
ressurgit la traditionnelle coupure entre le nord et le
sud du pays, entre les Guègues septentrionaux (musulmans et catholiques) et les Tosques méridionaux
(musulmans et orthodoxes). Les habitants du Sud reprochent au président nordiste Sali Berisha de favoriser les Albanais d’origine guègue et d’avoir renvoyé
vers le Sud nombre de fonctionnaires tosques, fidèles
au régime de l’ancien dirigeant sudiste et marxisteléniniste Enver Hoxha. (chrono. 9/03)
La crise albanaise
L’Albanie s’est enfoncée dans le chaos. Les
faibles structures de l’État n’ont pas résisté à la
colère d’une population spoliée par l’effondrement des « pyramides financières », de fragiles
constructions spéculatives qui tenaient lieu de
système bancaire. Au-delà du sort des 3,5 millions
d’habitants de l’Albanie, c’est une fois de plus la
stabilité dans les Balkans qui aura été en cause.
On se souvient de la formule de Saint-Simon
au lendemain de l’effondrement de la Banque
royale de Law : « Une infime minorité enrichie par
la ruine de l’ensemble de la population. » Mais
comparaison n’est pas raison, car la banqueroute
provoquée par celui qui fut contrôleur général
des Finances du Régent aura trouvé au pays des
aigles un avatar autrement plus dramatique.
Les pyramides du chaos
Pour une population dont le revenu moyen mensuel moyen ne dépasse pas 70 dollars, l’augmentation des dividendes promise – de 35 % à 100 %
par mois – paraissait être le seul moyen de sortir
de la misère. Aussi, saisis par la fièvre de l’enrichissement rapide, près du tiers des Albanais (et 80 %
des foyers) ont investi leurs maigres économies,
le produit de la vente de leurs troupeaux, voire
de leurs appartements, ainsi que l’argent envoyé
par leurs enfants immigrés en Grèce ou en Italie.
Quand bien même certains déposants ne méconnaissaient pas la fragilité de ces investissements,
ils pensaient toutefois pouvoir les liquidera
temps. Pour les autres, le spectacle de l’enrichissement instantané de leurs voisins, tout comme
l’apparente pérennité de ces pyramides – nombre
d’entre elles existaient depuis plus de deux ans –
tenaient lieu de garanties. Au total, près de 1 milliard de dollars, soit environ le tiers du produit
national brut, a été englouti dans ces pyramides.
Dès les premiers jours de l’année, les établissements les plus fragiles se sont retrouvés en
cessation de paiements. Très vite les rêves de
dividendes mirifiques ont fait place au cauchemar et le gouvernement s’est trouvé confronté
à la colère des épargnants grugés qui lui reprochaient à la fois d’avoir couvert les escrocs et
d’empêcher que soient pratiqués les taux insensés offerts par le groupe Populli et par d’autres.
Début mars, après avoir pillé et incendié la résidence de fonction du président Sali Berisha à
Vlora, les manifestants ont menacé de marcher
en armes sur Tirana si le pouvoir n’acceptait pas
de « rembourser à 100 % les épargnants ruinés » ;
un ultimatum diffusé par la télévision albanaise.
En quelques semaines, la carte du pays s’est couverte de foyers insurrectionnels : à Gjirokaster,
des inconnus masqués ont attaqué la préfecture
de police et se sont emparés des armes sans que
celle-ci n’intervienne ; à Saranda, un millier de
protestataires ont mis le feu aux bâtiments de
la police, du SHIK (police secrète), du tribunal
et à de nombreux magasins. Des scènes iden-
tiques se sont déroulées à Himara, à Delvina, à
Levan. Dans tout le sud de l’Albanie, les manifestants ont établi des barrages, empêchant
jour et nuit toute circulation. Face au chaos, le
Parlement, réuni en session extraordinaire, a
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
65
voté le 2 mars l’état d’urgence dans l’ensemble
du pays. Un couvre-feu a été instauré entre
20 heures et 7 heures, et les rassemblements de
plus de quatre personnes ont été interdits. Devant l’anarchie et la multiplication des violences,
les ambassades occidentales ont commencé, le
13 mars, à organiser le départ de leurs ressortissants. La nomination d’un gouvernement de
« réconciliation nationale », conduit par le socialiste Bashkim Fino, n’aura eu aucun effet sur la
population, uniquement préoccupée par sa sécurité alors que la folie des armes s’est emparée
du pays : presque chaque citoyen possède alors
au moins une arme. Une incroyable confusion
dont témoigne la manière dont Tirana a basculé
dans le camp de l’insurrection. Le premier dépôt
d’armes, celui de l’Académie militaire, a été ouvert par la police secrète ; celle-ci a ensuite livré
d’autres dépôts aux civils avant que la panique
ne pousse ces derniers à se lancer à l’assaut de
n’importe quelle réserve d’armes. De toute évidence, les derniers remparts du régime – soldats
et policiers – ont déserté leurs postes. Tout aussi
invisibles, les gardiens de prison ont abandonné
les maisons d’arrêt, entraînant la fuite immédiate d’un millier de détenus. Le bâtiment de la
présidence albanaise a été balayé par des rafales
d’armes automatiques tandis que des hommes
s’affrontaient sur le boulevard principal, personne ne pouvant prétendre connaître l’enjeu
de ces accrochages. En vérité, que ce soit dans
les villes du Nord ou dans celles du Sud, nul ne
sait pourquoi il s’est emparé d’un fusil.
L’atonie du pouvoir en place
Que s’est-il passé en Albanie ? Qui étaient les
émeutiers ? Quelles étaient leurs revendications ? De toute évidence, le président Sali Berisha et ses partisans ont payé le prix de l’effondrement de l’autorité de l’État. La disparition du
totalitarisme a laissé la place à l’invraisemblable
coalition des communistes et de la mafia albanaise dont les liens d’allégeance avec le crime
organisé en Italie sont avérés. Contrairement
à l’image qu’en ont donnée les médias, la crise
albanaise ne doit rien à un prétendu romantisme révolutionnaire, tel celui qui nimbait la
sierra Maestra de Fidel Castro dans les années
60. Ceux qui se sont emparés d’armes, qui ont
pillé les magasins ne sont pas le « peuple », mais
bien plutôt une foule manipulée par la mafia et
les communistes. Et c’est pour n’avoir pas su affirmer suffisamment son autorité que le gouvernement s’est trouvé aussi rapidement débordé.
L’ordre constitutionnel n’aurait pas été menacé
à ce point si l’opposition conduite par les socialistes n’avait pas soutenu ces manifestations violentes. Quand les Albanais ont accusé le gouvernement de leur refuser la possibilité de s’enrichir
rapidement, on a vu les socialistes abonder dans
leur sens. Si la responsabilité de l’opposition est
indiscutable, elle n’exonère pas pour autant celle
du gouvernement. Celui-ci a eu beau prendre
quelques mesures dès que les pyramides financières se sont écroulées comme un château de
cartes – emprisonnement des promoteurs qui
n’avaient pas encore pris la fuite, blocage des
quelques actifs récupérables –, il était dans
l’esprit du public le principal responsable de la
débâcle. Il est vrai que de nombreux dirigeants
des sociétés d’épargne étaient liés au Parti démocratique (PD) au pouvoir. Les Albanais se sont
aussi souvenus que, lors de la campagne pour
les élections législatives de 1996 – par ailleurs
entachées de fraude –, les candidats du PD appelaient à voter pour le Parti démocratique, affirmant que « tour le monde gagnera ». Comme le
soulignait Ismaïl Kadaré « par réaction au dénuement, aux rigueurs et à l’idéalisme en trompe-l’oeil
du communisme, ont déferlé une rage matérialiste
et une corruption sans précédent » (le Monde du
13 mars 1997). L’une et l’autre ont conduit à
plonger l’Albanie dans le drame. Sans doute aussi, l’ascension fulgurante, puis l’effondrement de
ces pyramides peuvent se lire comme une parabole des espoirs et des déceptions suscités par
le passage à l’économie de marché. Mais l’affaire
des pyramides n’a pu atteindre une dimension
insurrectionnelle qu’en raison de la faiblesse de
l’État, dont toute forme d’autorité est assimilée,
depuis 1992, aux heures sombres de l’oppression
communiste. Incapable donc d’imposer toute
espèce de réglementation – condamnée à droite
et à gauche comme rétrograde –, le pouvoir en
place a laissé communistes et nationalistes reprendre, selon la formule d’Ismaïl Kadaré, « cette
empoignade interrompue par les décennies de la
dictature communiste ».
P. F.
Les pyramides financière
en Europe de l’Est
À quelques différences près, tous les pays de
l’ex-Europe communiste ont connu des scandales semblables à celui qui a plongé l’Albanie
dans une crise d’une particulière violence. Les
populations, appâtées par l’espoir de gains
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66
faciles, constituent une proie toute désignée
pour des financiers imaginants qui mettent à
profit la carence de la loi et « arrosent » les
politiques afin qu’ils cautionnent leurs activités. Les promoteurs des sociétés d’épargne
savent aussi s’attirer la sympathie des populations en se montrant généreux envers les
bonnes causes. Jusqu’à la tragédie albanaise,
la pyramide la plus célèbre était celle de la
société d’investissement russe MMM. Fondée
avec un capital de 1,1 million de roubles, elle
avait émis des actions pour une valeur totale
de 1 000 milliards de roubles.
5
France
Jean Tiberi mis en examen.
Le maire de Paris est mis en examen pour « complicité par aide ou assistance de détournement de fonds
publics » et « recel de détournement de fonds publics ». Il
est soupçonné d’être intervenu auprès de Xavier Dugoin, président (RPR) du conseil général de l’Essonne,
afin que celui-ci fasse verser à son épouse, Xavière
Tiberi, une somme de 200 000 francs en paiement
d’une étude fictive. L’argent aurait été versé sur un
compte commun aux époux Tiberi. Le maire de Paris
se déclare la victime d’un « harcèlement judiciaire »
et n’envisage pas de démissionner. (chrono. 4/07)
6
Népal
Démission du Premier ministre.
Sher Bahadur Deuba démissionne à la suite d’un vote
de défiance du Parlement contre son gouvernement,
une coalition regroupant le parti du Congrès népalais et une formation monarchiste. Cette crise bénéficie au Parti marxiste-léniniste uni (UML), au pouvoir
en novembre 1994 et septembre 1995.
7
UE
« Eurogrève » chez Renault.
Afin de protester contre la fermeture précipitée de
l’usine de Vilvorde en Belgique, les travailleurs des
usines Renault de Vilvorde, Cléon (France) et Valladolid (Espagne) font grève simultanément. Le 16,
près de 30 000 personnes, ouvriers de chez Renault,
syndicalistes européens et hommes politiques (dont
Lionel Jospin), manifestent à Bruxelles pour réclamer
l’instauration d’une « Europe sociale ». Malgré cette
agitation, Louis Schweitzer, président de Renault,
confirme, de façon « irrévocable », sa décision de fermer Vilvorde. En France, dans les partis politiques, adversaires et partisans de la construction européenne
s’opposent : les premiers estiment qu’une telle fermeture d’usine, avec cette brutalité sans précédent,
est le résultat de la dérive technocratique propre à
la logique de Maastricht, tandis que les seconds estiment que c’est au contraire le manque d’Europe et
de solidarité entre les partenaires européens qui provoque de tels phénomènes. (chrono. 4/04)
Russie
Remaniement ministériel.
Jusque-là chef de l’administration présidentielle,
Anatoli Tchoubaïs est nommé au poste de vice-Premier ministre. Âgé de quarante et un ans, il est considéré comme le père du programme de privatisations
massives lancé en 1992, ce qui lui vaut une forte
impopularité chez les communistes et les nationalistes, majoritaires au Parlement. Après le succès des
communistes aux élections de 1995, Boris Eltsine
l’avait écarté du gouvernement pour faire un geste,
mais il l’avait gardé à la tête de son administration
personnelle. Le Premier ministre, Viktor Tchernomyrdine, reste à son poste, tandis qu’une partie des portefeuilles ministériels est redistribuée. On remarque
l’arrivée au ministère des Affaires sociales du jeune
(trente-sept ans), brillant et libéral gouverneur de
Nijni Novgorod, Boris Nemstov. Cette réorganisation
de l’équipe gouvernementale remet politiquement
en selle M. Eltsine, jusque-là handicapé par son état
de santé, et repousse l’idée d’élections présidentielles
anticipées, marginalisant ainsi le héros des sondages,
Alexandre Lebed.
La fermeture de l’usine
Renault à Vilvorde
L’affaire de Vilvorde est exemplaire à plusieurs
égards : elle est un des premiers véritables
conflits sociaux à l’échelle européenne, mobilisant les opinions dans au moins trois pays,
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
67
Belgique, France et Espagne, où Renault est très
présent. Par ailleurs, elle a montré comment la
logique industrielle l’emportait sur la volonté
politique. Malgré l’arrivée d’un gouvernement
de gauche à Paris, il a fallu s’incliner devant une
décision jugée inéluctable par la direction de
l’entreprise.
Le marché automobile français n’affiche pas
une santé florissante. Au premier semestre de
1997, la chute des immatriculations a atteint un
niveau record avec une baisse de 30 %. Le groupe
Renault où l’État, actionnaire de référence, ne
détient plus que 46 % des parts, n’échappe pas
à cette morosité ambiante. Il va mal. En 1996, il
a affiché, après neuf exercices bénéficiaires, une
perte de 5,2 milliards de francs (pour un chiffre
d’affaires de l’ordre de 175 milliards de francs, au
neuvième rang mondial, derrière General Motors
[720 milliards], Ford, Toyota, Nissan, Volkswagen,
Daimler-Benz, Chrysler et Honda). Ses coûts
sont trop élevés, il doit les réduire, ainsi que le
nombre de ses unités de production en Europe.
Une restructuration s’impose pour faire face à la
concurrence internationale, d’autant qu’à l’aube
de l’an 2000, aucun quota ne viendra plus gêner
les constructeurs asiatiques.
C’est dans ce contexte que, en début d’année,
Louis Schweitzer, le P-DG du groupe, ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius à Matignon,
annonce une série de décisions pour tenter de
redresser le groupe : plan social concernant
3 000 salariés en France, mesures d’économie
portant sur 20 milliards de francs, filialisation
du réseau commercial et, surtout, annonce de la
fermeture du site belge de Vilvorde employant
3 100 personnes.
Un sursaut éphémère
La brutalité de l’annonce, sans aucune concertation préalable, provoque l’indignation de la
classe politique française, rafraîchit passablement les relations franco-belges et désigne
comme bouc émissaire de cette logique industrielle implacable l’Europe de Maastricht. Une
Europe qui, selon beaucoup, sacrifie le social au
culte du monétarisme. Mais la première « eurogrève », le 7 mars, dans différents sites du groupe
comme l’impressionnante manifestation de près
de 100 000 personnes, le 16 mars, à Bruxelles, à
laquelle participent syndicalistes, hommes politiques belges et ténors de la gauche française,
et les différentes décisions de justice par les tri-
bunaux de Bruxelles, Nanterre et Versailles, ne
feront pas plier Louis Schweitzer. « Cette fermeture est une question de survie pour le groupe »,
répète-t-il.
Vilvorde devient un symbole – celui d’une Europe guidée par la seule logique économique et
monétaire – et l’un des enjeux de la campagne
électorale qui s’ouvre au mois d’avril en France et
où l’Union européenne, justement, est au coeur
des débats. Le 5 mai, Lionel Jospin, imprudemment, répond favorablement aux syndicalistes
belges qui lui demandent s’il est prêt à revenir
sur la décision de fermeture de l’usine. Le 7 juin,
alors Premier ministre, il doit rectifier le tir face
à son homologue belge, Jean-Luc Dehaene, en
affirmant : « Sur ce dossier, ce n’est pas le gouvernement qui décide. »
Le principe de réalité
Il n’empêche : tenu par ses promesses de candidat et soumis à la pression de sa majorité
« plurielle », Lionel Jospin pour calmer les impatiences et ne pas donner, dix jours après son installation à Matignon, l’impression de se déjuger,
demande, le 10 juin, au P-DG du groupe Renault
de confier à un consultant extérieur la mission
d’étudier toutes les solutions alternatives à la
fermeture. Daniel le Kaisergruber, une normalienne spécialiste de l’industrie, est désignée.
Ses conclusions sont accablantes pour ceux qui
croyaient encore au miracle. Constatant la surcapacité industrielle de Renault et la dispersion
de ses sites. Mme Kaisergruber reconnaît qu’il faut
fermer un site, que la réduction du temps de
travail n’est pas une alternative et que le site le
plus vulnérable s’appelle... Vilvorde. Seule mais
maigre satisfaction : l’amélioration sensible du
plan social envisagé.
Le 28 juin, Louis Schweitzer annonce au conseil
d’administration du groupe automobile que « la
procédure en vue de la fermeture de l’usine de Vilvorde en 1997 sera poursuivie ». Consternation
dans les rangs de la nouvelle majorité. « Une
décision inacceptable », dénoncent les communistes. « Une très mauvaise nouvelle », tonnent les
socialistes de gauche. Face à cet avis de tempête,
M. Jospin est contraint d’aller s’expliquer devant
les siens troublés de constater que l’homme de
Matignon n’a pu s’opposer à une telle issue. Que
la logique industrielle a triomphé de la logique
politique.
B. M.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
68
Chronologie
27 février. Louis Schweitzer, P-DG de Renault, annonce la fermeture de son usine
belge de Vilvorde employant 3 100 salariés
au 31 juillet. Les ouvriers décident la grève.
3 mars. 4 000 manifestants dans les rues de
Bruxelles.
7 mars. Première « euro-grève » dans le
groupe Renault. Débrayages dans les sites
français, belges et espagnols.
16 mars. Les syndicats et la gauche française, Lionel Jospin en tête, défilent à
Bruxelles pour l’emploi et l’Europe sociale
au milieu de 80 000 manifestants.
3 avril. La justice belge déclare irrégulière la
procédure de fermeture.
4 avril. Le tribunal de Nanterre suspend la
procédure de fermeture.
29 mai. Lionel Jospin affirme qu’en cas de
victoire de la gauche aux législatives, les
représentants de l’état « exigeraient que
d’autres mesures soient envisagées, étudiées et préparées ».
10 juin. À la demande du gouvernement,
Louis Schweitzer, confie à un consultant
extérieur, Danielle Kaisergruber, la mission
d’étudier toutes les solutions alternatives à
la fermeture.
28 juin. Après la remise des conclusions
de l’expert, Louis Schweitzer annonce au
conseil d’administration du groupe que « la
procédure en vue de la fermeture de Vilvorde sera poursuivie ».
4 juillet. Un plan social très favorable est
proposé au personnel : pas de licenciements
secs, des primes au départ immédiat entre
150 000 et 300 000 francs, des préretraites,
des maintiens sur le site pour 400 salariés,
des reclassements pour 500 salariés et un
chômage technique garanti pendant deux
ans pour les autres.
8
Tadjikistan
Accord de cessez-le-feu.
Le gouvernement en place et les rebelles démocrates et islamistes réunis à Moscou concluent un
accord militaire qui pourrait servir de base à un
accord politique ultérieur. Selon ce texte, les combattants de l’opposition s’engagent à abandonner
leurs bases en Afghanistan pour être ensuite réintégrés dans les forces régulières tadjikes. En 1992, les
néocommunistes soutenus par Moscou et menés
par Imomali Rakhmonov avaient renversé la coalition démocrates/islamistes au pouvoir, entraînant
ainsi une guerre civile meurtrière. L’arrivée des talibans à Kaboul a modifié la donne géostratégique et
poussé les différentes factions tadjikes a rechercher
un compromis.
9
Albanie
Gouvernement d’union nationale.
Le président Sali Berisha s’engage à nommer un gouvernement ouvert à toutes les tendances de l’opinion albanaise, à amnistier les insurgés, et à organiser
prochainement de nouvelles élections législatives.
Cela ne suffit pas à calmer les insurgés. Selon les observateurs, les gangs du Sud, souvent liés à la mafia
italienne, ont pris la tète de l’insurrection, notamment parce qu’ils auraient eux-mêmes perdu de très
grosses sommes dans les « pyramides financières ».
Dès le 11, la violence gagne la capitale Tirana. Les
autorités, autour du nouveau Premier ministre Bashkim Fino, demandent alors l’aide de la communauté
internationale, tandis que les ressortissants étrangers
sont évacués par l’armée italienne. Malgré l’insistance
de Rome et, accessoirement, de Paris, l’Union européenne est réticente à intervenir en Albanie. Libéré
de prison, le leader de l’opposition ex-communiste,
Fatos Nano, en appelle à la « réconciliation morale de
tout le peuple », sans réclamer pour autant la démission du président Berisha (droite). (chrono. 27/03)
10
Pologne
Limogeage du chef d’état-major.
Le président Alexandre Kwasniewski révoque le
général Tadeusz Wilecki de ses fonctions de chef
d’état-major de l’armée polonaise. Nommé en 1992
par Lech Walesa, qui voulait à l’époque asseoir son
autorité sur un contact direct avec la hiérarchie militaire, celui-ci refusait de voir s’accentuer le contrôle
du pouvoir civil sur la haute direction militaire. Alors
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
69
que la Pologne souhaite intégrer l’OTAN et que la
force du contrôle du politique sur le militaire est une
des conditions de cette adhésion, le président Kwasniewski a tranché.
11
France
Circulation alternée en cas de pollution.
Corinne Lepage, ministre de l’Environnement, annonce la mise en place à Paris et dans sa périphérie
d’une procédure conduisant à la circulation alternée en cas de risque de pollution de niveau 3 (soit
600 microgrammes de dioxyde de soufre par m3 d’air,
400 de dioxyde d’azote et 360 d’ozone). La circulation alternée consiste à faire rouler les véhicules un
jour sur deux en fonction du numéro pair ou impair
de leur plaque d’immatriculation. Des villes comme
Athènes ou Singapour ont institué de façon permanente cette procédure. Pour leur part, les spécialistes
parisiens considèrent que ce système est provisoire
en attendant l’instauration de la pastille verte, c’està-dire une identification des véhicules les moins polluants (disposant par exemple d’un pot catalytique),
et qui, en cas de pic de pollution, seraient les seuls à
être autorisés à rouler.
France
Grève des internes en médecine.
Sur fond de grogne des hôpitaux publics, dont les
personnels s’inquiètent du tassement de leurs ressources et craignent une restructuration, les internes
en médecine et les chefs de clinique entament une
grève des soins. Ils s’opposent à l’application des
nouvelles conventions médicales signées par les
caisses d’assurance maladie et par certains syndicats.
Ces textes prévoient que les médecins devront reverser une partie de leurs honoraires aux caisses en cas
de dépassement de l’objectif des dépenses de santé
fixé par le gouvernement. Même si un moratoire de
cinq ans est institué pour les nouveaux installés, les
grévistes n’acceptent pas que la sanction soit fixée au
niveau régional, ce qui a pour effet, notamment, de
pénaliser un médecin qui aura respecté les objectifs
mais qui exerce dans une région où, globalement,
les objectifs auront été dépassés, alors que dans
une région où ces objectifs auront été observés, un
médecin qui aura, à son niveau, dépassé l’enveloppe,
ne sera pas sanctionné. Le gouvernement refuse
de transiger, estimant que les médecins ont trouvé
ce prétexte pour rejeter tout encadrement des dépenses médicales, alors que les grévistes proclament
qu’ils défendent une conception non strictement
comptable de la médecine.
12
France
Rafle dans les milieux pédophiles.
230 personnes, dont plusieurs enseignants, sont
interpellées à travers tout le pays, et plus de 5 000 vidéocassettes pornographiques sont saisies. (chrono.
18/06)
Nigeria
Inculpations d’opposants.
L’écrivain Wole Soyinka, prix Nobel de littérature, et
14 opposants sont inculpés de trahison, crime passible de la peine de mort, en raison des critiques
qu’ils ont émises envers le régime du président Sani
Abacha.
13
Israël
Assassinat de sept collégiennes.
Un soldat jordanien tire sur un groupe de collégiennes israéliennes qui se promenaient sur un site
touristique à la frontière israélo-jordanienne. Il tue 7
d’entre elles avant d’être maîtrisé par d’autres soldats.
Ce drame intervient alors que la tension ne cesse
de monter au Proche-Orient après que le Premier
ministre israélien a annoncé son intention de faire
construire des logements juifs dans la partie arabe
de Jérusalem-Est. Le 17 mars, les bulldozers commencent à entrer en action, protégés par un fort
déploiement de soldats israéliens. Le 21, un kamikaze palestinien se tue en faisant sauter une bombe
à la terrasse d’un café de Tel-Aviv, tuant 3 personnes
et en blessant 46 autres. Aussitôt après, Yasser Arafat, président de l’Autorité palestinienne, exprime
ses « regrets », mais les autorités israéliennes lui
demandent de contrôler davantage les agissements
des groupes islamistes palestiniens. Le même jour, au
Conseil de sécurité de l’ONU, les États-Unis opposent
pour la deuxième fois leur veto à une résolution exigeant l’arrêt des constructions israéliennes dans les
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
70
quartiers est de Jérusalem. Alors que de jeunes Palestiniens s’opposent violemment aux forces de Tsahal à
Hébron. Ramallah et Bir Zeit, le médiateur américain
Dennis Ross tente de concilier les points de vue, de
plus en plus opposés, de MM. Arafat et Netanyahou.
15
Rugby
Cinquième grand chelem pour le XV de
France.
En battant l’Écosse au Parc des Princes par 47 à 20, la
France empoche son cinquième grand chelem dans
le Tournoi des cinq nations, après 1968, 1977, 1981
et 1987.
16
États-Unis/Russie
Sommet à Helsinki.
Les présidents américain et russe, Bill Clinton et
Boris Eltsine, se rencontrent dans la capitale finlandaise pour traiter des différentes questions
militaires et économiques pendantes entre leurs
deux pays. Au premier rang de celles-ci, la question de l’entrée dans l’OTAN des anciennes républiques socialistes d’Europe centrale et orientale.
M. Eltsine rappelle l’hostilité de son pays à une
telle adhésion mais, en réalité, au terme des
deux jours d’entretien, il entérine l’entrée à terme
dans l’organisation de défense occidentale de la
Pologne, de la République tchèque et de la Hongrie, à condition qu’aucune arme nucléaire n’y soit
stockée et que seules des forces très limitées y
stationnent. Le document consignant ces dispositions doit être finalisé par le secrétaire général de
l’OTAN, Javier Solona, et par le ministre russe des
Affaires étrangères, Evgueni Primakov. Par ailleurs,
les deux présidents s’accordent pour poursuivre
le processus de désarmement nucléaire (achèvement du programme Start II et lancement de
Start III, afin de parvenir, en 2007, à une réduction
effective de 80 % de leurs panoplies nucléaires
respectives) ; d’autre part, ils décident que désormais le G7 s’intitulera le G8 pour y inclure la
Russie, à qui des facilités nouvelles seront accordées pour qu’elle puisse bénéficier davantage des
investissements américains.
Salvador
Poussée électorale de l’opposition
d’extrême gauche.
Le Front Farabundo Marti pour la libération nationale (FMLN), ancienne organisation de guérilla des
années 80, gagne les élections municipales dans
la capitale San Salvador et remporte un tiers des
sièges au Parlement. L’Alliance républicaine nationaliste (Arena, droite) du président Armando Calderón, qui avait attaqué l’opposition sur son passé
insurrectionnel, a vu se retourner contre elle l’inquiétude de la population. Une population rendue
inquiète par la politique néolibérale du gouvernement et touchée par le ralentissement de la croissance économique.
Ski
Luc Alphand vainqueur
de la Coupe du monde.
Après avoir remporté la Coupe du monde de descente et celle de super-G, le skieur de Serre-Chevalier
est meilleur skieur de l’année. Il est le premier Français
à obtenir ce titre depuis Jean-Claude Killy, en 1968.
Zaïre
Prise de Kisangani par la rébellion.
La 3e ville du pays tombe aux mains de l’Alliance des
forces démocratiques pour la libération du Congo
(AFDL) dirigée par Laurent-Désiré Kabila. Les forces
gouvernementales se sont repliées sans pratiquement livrer combat, laissant seuls en première ligne
les 6 000 soldats hutus des anciennes Forces armées
rwandaises (FAR). Le 18, le Premier ministre zaïrois,
Léon Kengo wa Dondo, partisan d’une ligne dure
face à la rébellion, est destitué par le Parlement.
Trois jours plus tard, le chef de l’État Mobutu Sese
Seko revient discrètement à Kinshasa après un nouveau séjour en France. Le 26, des représentants de
MM. Mobutu et Kabila se rencontrent à Lomé, en
marge du sommet extraordinaire de l’Organisation
de l’unité africaine (OUA). Ils acceptent le « principe »
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
71
de négociations qui devraient se tenir en Afrique du
Sud. (chrono. 2/04)
18
États-Unis
Série de revers pour Bill Clinton.
Anthony Lake, le candidat du président à la direction de la CIA, renonce à briguer ce poste face à
l’opposition du Congrès. Il estime être la victime
d’une cabale menée principalement en direction
de M. Clinton. Celui-ci doit, en outre, affronter une
série d’accusations concernant le financement de
sa campagne présidentielle de 1996. Tous ces revers marquent l’échec du projet présidentiel d’une
politique bipartisane, c’est-à-dire d’une politique
menée avec l’appui des deux partis américains,
démocrate et républicain.
19
France
Mort de Jacques Foccart.
Responsable pendant vingt-cinq ans de la cellule
africaine de l’Élysée, Jacques Foccart meurt à l’âge
de quatre-vingt-trois ans. Ancien résistant, appelé à
Matignon puis à l’Élysée dès le retour du général de
Gaulle au pouvoir, il fait vite partie des « barons » du
gaullisme, qui inspirent la politique du président de
la République. Exerçant une influence déterminante
sur les milieux du renseignement, il tisse par ailleurs
un réseau serré de relations privilégiées avec tous les
responsables politiques de l’Afrique francophone,
qui vont faire de lui la plaque tournante des relations
franco-africaines jusqu’à la fin de sa vie. Sa mort intervient au moment où le président zaïrois Mobutu
est en pleine déconfiture politique et où la France
connaît de sérieux déboires diplomatiques sur le
continent noir, son influence décroissant au profit
des Américains.
Peinture
Mort de Willem De Kooning.
Le peintre américain d’origine néerlandaise est mort
dans sa maison de Long Island, à New York, à l’âge
de quatre-vingt-douze ans. Il travaille d’abord dans
la publicité tout en suivant les cours du soir à l’Académie des beaux-arts. À l’âge de vingt-deux ans, il
émigré aux États-Unis. Tout en travaillant pour la publicité, il continue de s’intéresser à la peinture aussi
bien figurative qu’abstraite et pratique un art marqué
par le cubisme et l’abstraction géométrique de Mondrian. Au début des années 50, il impose son style,
qualifié par les critiques d’action painting, c’est-à-dire
une peinture dans laquelle la toile est davantage une
arène qu’un espace de reproduction. L’art de De Kooning est énergie, vitesse, avec un pinceau qui balaie
la toile, laissant volontairement des éclaboussures
de couleurs. Parmi ses toiles les plus connues, on
trouve la série Women (« Femmes »), suite de corps
disloqués, aux yeux immenses et aux dents monstrueuses. Il continue de peindre et de sculpter jusque
dans les années 80, en dehors de tout courant et de
toute famille picturale. En 1989, une de ses toiles a
été vendue 21 millions de dollars (environ 110 mil-
lions de francs).
20
Robert Kotcharian, quarante-trois ans, est nommé
Premier ministre du président Levon Ter-Petrossian.
M. Kotcharian avait été élu en 1996 président de la
république autoproclamée du Haut-Karabakh, où il a
été l’artisan de la conquête d’une zone de sécurité en
terre azerbaïdjanaise. Les autorités de Bakou jugent
négativement cette nomination dont elles craignent
qu’elle ne complique les négociations de paix entre
Arméniens et Azéris.
Arménie
Nomination d’un nouveau Premier
ministre.
France
François Furet à l’Académie française.
L’historien, spécialiste de la Révolution française, est
élu quai Conti au fauteuil de Michel Debré. Ancien
membre du Parti communiste dans les années 50, il
propose une interprétation libérale de la Révolution
comme phase d’installation de la démocratie en
France. En 1994, son ouvrage intitulé le Passé d’une
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
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illusion, essai sur l’idée communiste au XXe siècle connaît
un succès international. (chrono. 12/06)
22
Astronomie
Passage de la comète Hale-Bopp.
Boule de glace et de poussières de 40 kilomètres de
diamètre, la comète Hale-Bopp passe au plus près
de la Terre, soit à environ 200 millions de kilomètres.
Plus elle se rapproche du Soleil, plus elle brille,
déployant une traîne de 70 millions de kilomètres.
L’étude de cette comète devrait permettre de mieux
connaître la période d’avant les débuts du système
solaire (4,5 milliards d’années), quand des planètes
se sont agrégées pour donner naissance à de grands
ensembles rocheux (Mars, Vénus, la Terre) ou gazeux
(Jupiter, Saturne). Le dernier passage de cette comète à proximité de la Terre remonte à 4 000 ans et,
déjà, les astronomes égyptiens avaient scrupuleusement noté le phénomène.
Environnement
Premier Forum mondial de l’eau.
Le premier forum international consacré aux problèmes de l’eau s’ouvre à Marrakech, au Maroc. Les
experts présents poussent un cri d’alarme. Depuis
1970, la quantité d’eau douce disponible par habitant a diminué de 40 % ; en 2025, les deux tiers de
la population mondiale vivront dans des zones où
l’utilisation de l’eau se fera à un rythme plus élevé
que celui de son renouvellement naturel. La solution
passe sans doute par la mise en place d’un dispositif
international de répartition des ressources en eau
et par une politique systématique d’économies ;
d’autres suggèrent qu’un prix de l’eau soit fixé, reflétant sa nouvelle valeur en tant que bien économique
rare.
Sectes
Nouveau suicide collectif.
Cinq membres de l’Ordre du Temple solaire sont
retrouvés morts au Québec. Déjà 74 membres de
cette secte, créée par des Français, s’étaient immolés collectivement en 1994 et en 1995, au Québec,
en Suisse et en France. Quatre jours plus tard, on
découvre les corps de 39 jeunes gens en Californie,
près de San Diego. Ils étaient membres d’une autre
secte, qui avait pour nom WW Source Supérieure. Les
membres de cette secte affirmaient qu’ils venaient
d’une autre planète et qu’ils étaient des anges spécialement dépêchés aux États-Unis.
La comète Hale-Bopp
Hale-Bopp restera dans les annales comme l’une
des comètes les plus brillantes du XXe siècle. Des
millions de personnes ont pu admirer à l’oeil
nu, en mars et en avril, cette splendide gerbe
lumineuse qui se déployait parmi les étoiles.
En la scrutant dans une très large gamme de
longueurs d’onde, à l’aide de toute une batterie
de télescopes au sol et d’instruments spatiaux,
les astronomes sont parvenus à lui arracher de
nombreux secrets.
Lors de sa découverte, dans la nuit du 22 au
23 juillet 1995, par deux astronomes amateurs
américains qui opéraient indépendamment,
Alan Haie au Nouveau-Mexique et Thomas Bopp
en Arizona, Hale-Bopp n’était qu’un pâle objet
100 fois moins brillant que la plus faible étoile
perceptible à l’oeil nu. Mais, sitôt son orbite calculée, il devint manifeste qu’il s’agissait d’une
comète hors du commun : elle avait été repérée
à plus d’un milliard de kilomètres du Soleil, et
affichait donc un éclat 250 fois plus intense que
la comète de Halley, observée à la même distance. Les astronomes ont finalement disposé de
20 mois pour suivre son évolution avant qu’elle
ne passe au plus près du Soleil. Des dizaines
d’équipes de chercheurs à travers le monde ont
mis à profit cette période exceptionnellement
longue pour multiplier les observations dans le
plus large éventail de longueurs d’onde possible.
Une comète volumineuse et très
active
Dès avril 1996, des mesures effectuées avec le
télescope spatial Hubble ont révélé que HaleBopp était une très grosse comète. Des mesures
ultérieures, plus précises, ont conduit à attribuer
à son noyau – c’est-à-dire au conglomérat de
roches, de glaces et de poussières qui constitue
l’élément permanent de la comète – un diamètre
de 40 à 45 km, contre une dizaine de kilomètres
pour le noyau de la comète de Halley et 4 km
seulement pour celui de la comète Hyakutake,
qui frôla la Terre en février 1996.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
73
Ainsi s’expliquent, au moins en partie, non
seulement que Hale-Bopp soit devenue très
brillante (elle a atteint la magnitude -1, surpassant l’éclat d’étoiles comme Capella, Véga ou
Arcturus), mais aussi que les quantités de gaz et
de poussières libérées par son noyau sous l’effet
de la chaleur solaire aient atteint des records. À
plus de 800 millions de kilomètres du Soleil, la
comète perdait déjà 13 tonnes de monoxyde de
carbone par seconde, soit une quantité comparable à celle qu’éjectait la comète de Halley en
1986 quand elle était cinq fois plus proche du
Soleil. Quant à l’émission la plus importante,
celle de vapeur d’eau, elle a atteint début avril,
lors du passage de la comète au plus près du
Soleil, quelque 600 tonnes par seconde (l’équivalent de deux piscines olympiques), soit une
quantité près de 40 fois plus élevée que celle qui
s’échappait du noyau de la comète de Halley lors
de son survol par la sonde européenne Giotto.
Hale-Bopp est l’une des plus grosses comètes
jamais observées. Sa chevelure – la nébulosité
formée autour du noyau par les gaz et les poussières qui s’en échappent – a atteint 1 million de
kilomètres de diamètre et, lors de son passage
au plus près du Soleil, son « atmosphère » d’hy-
drogène atomique, détectée par satellite, s’étendait sur 100 millions de kilomètres de diamètre
(71 fois celui du Soleil), constituant, de loin, le
plus gros objet du système solaire.
Un vestige du système solaire
primitif
L’étude des gaz et des poussières présents dans
la chevelure de la comète s’est révélée extrêmement féconde. Une trentaine de substances
volatiles ont été mises en évidence (outre de la
vapeur d’eau et du gaz carbonique, largement
prédominants, du monoxyde de carbone, du
cyanogène, de nombreux hydrocarbures, etc.),
dont sept n’avaient jamais été décelées auparavant dans une comète. Or, les mêmes substances
se trouvent, en proportions voisines, dans le milieu interstellaire.
De plus, grâce au satellite européen ISO, observant dans l’infrarouge, on a obtenu des spectres
révélant que les glaces cométaires s’étaient formées à la température extrêmement basse de
– 250 °C environ. Cela signifie que leur formation
a eu lieu soit dans le milieu interstellaire, avant
que le Soleil s’allume, soit loin du Soleil, dans la
nébuleuse à l’origine du système solaire. Enfin,
parmi les poussières libérées par Hale-Bopp, le
satellite ISO a détecté de l’olivine, un minéral
riche en magnésium, sous forme cristalline. Or,
ISO avait, quelque temps auparavant, obtenu des
spectres identiques dans le disque de poussières
entourant une étoile très jeune, HD 100546. Cela
accrédite l’idée qu’un lien existe entre le matériau de la nébuleuse solaire primitive, préservé
dans les comètes, et la poussière entourant les
jeunes étoiles. Toutes ces observations confirment, en tout cas, que les noyaux cométaires
sont des vestiges du système solaire primitif.
Sa prochaine visite aura lieu dans
2 400 ans !
Parmi les autres découvertes intéressantes
concernant Hale-Bopp figure celle d’une queue
inattendue, formée d’atomes de sodium. Jusquelà, on ne connaissait que deux types de queues
cométaires : l’une formée de gaz ionisé (ou
plasma), l’autre de poussières. Découverte à la
mi-avril sur des photographies prises à l’aide du
télescope Isaac Newton de 2,50 m de diamètre
de Las Palmas, aux Canaries, la queue de sodium
se présentait alors comme un étroit appendice
de près de 50 millions de kilomètres de long,
légèrement décalé par rapport à la queue de
plasma. Par ailleurs, grâce à l’identification, sur
des clichés, d’un jet de gaz et de poussières particulièrement puissant s’échappant du noyau de
la comète, on a pu établir que ce noyau tournait
sur lui-même en onze heures et demie. Après
avoir ainsi livré aux astronomes une mine inestimable de renseignements, Hale-Bopp est repartie vers les confins du système solaire, et sa prochaine visite n’est attendue que dans 2 400 ans.
PHILIPPE DE LA COTARDIÈRE
Le nom des comètes
Dans la pratique courante, les comètes sont
en général désignées par le nom de celui
ou de ceux (à concurrence de trois) qui les
ont découvertes. Cependant, les astronomes
utilisent une nomenclature plus rigoureuse.
Depuis 1995, ils désignent les comètes par
un matricule comprenant le millésime de
l’année de leur découverte ; une lettre majuscule indiquant le rang, dans l’année, de la
quinzaine où a été effectuée la découverte ;
et un chiffre révélant l’ordre d’annonce de
la découverte dans la quinzaine. Ce matricule est précédé d’un préfixe précisant la
nature de l’objet : P/ pour une comète périodownloadModeText.vue.download 75 sur 361
JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
74
dique décrivant son orbite autour du Soleil
en moins de 200 ans, C/ pour une comète
non périodique ou de période supérieure
à 200 ans, D/ pour une comète périodique
qui ne semble plus manifester d’activité
(comète « défunte »), X/ pour un objet (astéroïde ou comète) dont il est impossible de
calculer l’orbite. Selon cette nomenclature,
la comète Hale-Bopp est désignée sous l’appellation C/1995 01.
23
Taïwan
Première visite du dalaï-lama.
Le chef de l’Église bouddhique tibétaine se rend
pour la première fois en Chine nationaliste. Cette visite constitue un double défi envers Pékin, qui mène
une politique d’assimilation forcée au Tibet et qui
s’oppose à tout ce qui peut être considéré comme
une reconnaissance de Taïpeh.
Papouasie-Nouvelle-Guinée
Démission du Premier ministre.
Après dix jours d’émeute dans la capitale Port
Moresby, le chef du gouvernement, sir Julius Chan,
présente sa démission. Il lui était reproché d’avoir
engagé des mercenaires sud-africains pour lutter
contre les rebelles de l’île de Bougainville. Cette île
recèle de très importantes mines de cuivre et ses
habitants se sentent beaucoup plus proches des
îles Salomon voisines que de la lointaine Papouasie
Nouvelle Guinée. Les combats, qui ont commencé
à la fin des années 80, auraient fait au total plus de
8 000 morts sans que les forces de Port Moresby ne
soient parvenues à mater la rébellion.
25
Cinéma
Cérémonie des 69es Oscars.
Lors de la distribution des trophées du cinéma américain, le film britannique le Patient anglais reçoit l’oscar
du meilleur film, du meilleur réalisateur, de la meilleure direction artistique, du meilleur montage, de la
meilleure prise de vues, des meilleurs costumes, de
la meilleure musique (pour le compositeur français
Gabriel Yared) et du meilleur second rôle féminin
(pour l’actrice française Juliette Binoche). Le film des
frères Coen, Fargo, est crédité de deux distinctions
(meilleure actrice et meilleur scénario original).
27
Albanie
Accord pour l’envoi d’une force
multinationale.
L’Organisation pour la sécurité et la coopération en
Europe (OSCE) approuve l’envoi d’une force d’assistance humanitaire d’environ 5 000 hommes en Albanie. Elle est suivie, deux jours plus tard, par le Conseil
de sécurité de l’ONU. (chrono. 11/04)
Russie
Échec de la grève.
Les grèves et manifestations lancées par les syndicats
pour protester contre les retards dans le paiement
des salaires se soldent par un échec. Moins de 2 millions de travailleurs se mobilisent à travers le pays,
alors que les organisations syndicales avaient annoncé la venue de plus de 20 millions de personnes
indignées par le montant considérable des arriérés
de paiement, qui sont estimés à plus de 9 milliards
de dollars. La nomination d’une nouvelle équipe
gouvernementale et les engagements très fermes
des autorités sur le problème expliquent sans doute
cette faible mobilisation des mécontents.
28
CEI
Réunion des membres de la
Communauté des États indépendants.
Les douze présidents de la CEI (anciens membres
de l’URSS) se retrouvent à Moscou pour faire état de
leurs divergences. L’Ouzbékistan du président Islam
Karimov va entraîner ses troupes en coopération
avec l’OTAN, tandis que les dirigeants ukrainien et
azerbaïdjanais, Leonid Koutchma et Gueïdar Aliev,
décident d’exporter le pétrole du Caucase en évitant
de le faire passer par le sol russe. Les débats opposent
les partisans d’une CEI dominée par Moscou (principalement la Russie, la Biélorussie, l’Arménie, le Tadjkistan et le Kirghizistan) et ceux d’une CEI plus égalitaire
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
75
(Ukraine, Azerbaïdjan,
à la réunion renoncent
ment qui prévoyait une
transport et d’énergie
jusqu’à 2005.
Ouzbékistan). Les participants
finalement à signer un docuintégration des systèmes de
entre les membres de la CEI
Inde/Pakistan
Pourparlers entre les deux pays.
Alors que leurs derniers contacts remontaient à
1994, les deux nations voisines, qui se sont affrontées lors de trois guerres (en 1947, 1965 et 1971), se
rencontrent pour évoquer toutes les questions qui
les opposent. Essentiellement celle du Cachemire,
dont la partie la plus riche demeure sous domination
indienne, et où le Pakistan réclame la tenue d’un référendum d’autodétermination.
29
France
Congrès du Front national à Strasbourg.
Plus de 50 000 personnes manifestent pour protester
contre la tenue du congrès annuel du parti d’extrême
droite. On déplore certains débordements menés
par des militants d’extrême gauche, mais l’opinion
est surprise par l’ampleur de ce « sursaut citoyen ».
30
Cambodge
Attentat meurtrier à Phnom Penh.
Seize personnes sont tuées et une cinquantaine blessées lors d’une manifestation devant le Parlement de
membres du parti de la Nation khmère (PNK), allié au
parti royaliste Funcinpec. Les responsables de ce parti accusent les ex-communistes du parti du Peuple
cambodgien (PPC) d’être à l’origine de la tuerie. Hun
Sen, deuxième Premier ministre et vice-président du
PPC, dément toute implication de son organisation.
Cet épisode sanglant marque la paralysie du pouvoir à Phnom Penh, depuis que les deux Premiers
ministres, Hun Sen et le prince Norodom Ranariddh,
sont rentrés dans une lutte politique sans concession. (chrono. 18/06)
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
76
AVRIL
1
UE
Libéralisation complète du transport
aérien.
Désormais, les compagnies aériennes des quinze
pays membres de l’Union européenne peuvent décoller et se poser comme elles le souhaitent sur tous
les aéroports de l’UE, y compris pour assurer des vols
intérieurs dans les autres pays que le leur. Cette libéralisation ne signifie pas pour autant que toutes les
positions acquises vont disparaître, ne serait-ce qu’en
raison de la non-extensibilité des créneaux horaires
sur les aéroports. Les compagnies en place, qui disposent de ces créneaux, vont les garder et il est donc
difficile pour de nouvelles compagnies de s’imposer.
La stratégie des grandes compagnies consiste alors à
racheter des petites compagnies locales, ou à s’associer avec elles, pour bénéficier de leurs créneaux. En
vingt ans, le nombre des vols intérieurs sur le territoire français a quasiment doublé, passant de 1 million en 1977 à 1,9 million en 1996.
2
Biélorussie/Russie
Signature d’un accord d’union.
Boris Eltsine et Alexandre Loukachenko signent un
nouveau traité d’union entre leurs deux pays. Le
texte prévoit l’instauration d’un Conseil supérieur
réunissant les dirigeants des deux nations et dont
les compétences porteraient sur la coopération
interétatique (harmonisation des législations, des
dispositions douanières et, surtout, des politiques
étrangères et militaires). Les libéraux russes s’opposent à ce traité d’union en raison des tendances
nettement dictatoriales du président Loukachenko
(qui a déclaré un jour admirer Hitler). En Biélorussie
même, une partie de la population s’oppose vigoureusement, malgré la répression, à ce qu’elle considère comme une réintégration du pays dans l’ensemble russe. Moscou souhaite en revanche cette
union pour des raisons militaires (le sol biélorusse
pourrait accueillir des armements russes en réponse
à l’extension vers l’est de l’Otan) et géostratégique
(la construction d’un gazoduc sur le territoire biélorusse priverait l’Ukraine d’un moyen de pression
envers la Russie).
Zaïre
Étienne Tshisekedi Premier ministre.
Opposant depuis plus de vingt ans à Mobutu Sese
Seko, le leader de l’Union des démocrates pour le
progrès social (UDPS) est nommé par celui-ci à la
tète du gouvernement. M. Tshisekedi avait déjà
brièvement occupé ce poste à deux reprises en
1991 et 1992 et se considérait depuis comme le
seul Premier ministre légal du pays. Il déclare vouloir
négocier avec l’Alliance des forces démocratiques
de libération (AFLD) de Laurent-Désiré Kabila, mais
ce dernier déclare que si M. Tshisekedi accepte la
nomination de M. Mobutu il sera considéré comme
un ennemi.
Le nouveau chef du gouvernement déclare alors
qu’il refuse sa nouvelle intronisation, se considérant
comme légalement en fonctions depuis 1992. Aussitôt, les Forces politiques du conclave (FPC, mobutistes) et l’Usoral (Union sacrée de l’opposition
radicale) désavouent Étienne Tshisekedi. Le 9, celuici est remplacé à la tête du gouvernement par le
général Likulia Bolongo, qui forme une équipe composée de mobutistes et d’opposants modérés de la
frange radicale, proche de Kibassa Maliba. Le 16,
dans Lubumbashi récemment conquise, LaurentDésiré Kabila signait des contrats miniers avec la
société américaine America Mineral Fields. (chrono.
27/04)
3
Allemagne
Nouvelle candidature de Helmut Kohl.
Pour son 67e anniversaire, le chancelier allemand, en
poste depuis l’automne 1982, annonce qu’il briguera
un quatrième mandat lors des prochaines élections
législatives, à l’automne 1998. Malgré une chute de
popularité dans les sondages et la menace de devenir le premier chancelier de l’après-guerre à quitter
le pouvoir à la suite d’une défaite électorale, M. Kohl
a pris cette décision car il estime être le mieux placé
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
77
pour conduire l’Allemagne aux grandes échéances
de la construction européenne.
France
Révélations dans, l’affaire des écoutes
de l’Élysée.
Le Monde révèle que dans les archives saisies en février au domicile du préfet Christian Prouteau on a retrouvé des notes émanant de la cellule antiterroriste
de l’Élysée et revêtues du visa de l’ancien président
de la République François Mitterrand. Plusieurs de
ces notes concernaient des écoutes téléphoniques
réalisées sur les appareils de personnalités jugées
dangereuses pour la sécurité du président : l’écrivain Jean-Edern Hallier, le journaliste Edwy Plenel,
la comédienne Carole Bouquet ou l’avocat Antoine
Comte. Le 8 avril, le Premier ministre Alain Juppé ordonne une enquête sur l’affaire. Cette enquête doit
déterminer si les écoutes incriminées ont respecté
les procédures établies par le Groupement interministériel de contrôle (GIC), organisme chargé des
écoutes légales. Mis en cause, Gilles Ménage, ancien
directeur de cabinet de François Mitterrand, décide
de « lever le secret défense » afin de répondre aux attaques, selon lui infondées, menées contre l’ancien
président de la République. Le 25, il déclare au juge
chargé de l’enquête que c’était M. Mitterrand luimême qui avait ordonné en 1985 la mise sur écoute
du journaliste du Monde Edwy Plenel, au motif que
les articles de celui-ci sur les réseaux d’espionnage
soviétiques en France mettaient en péril la sécurité
de l’État et de ses agents. Le journaliste conteste la
déclaration de M. Ménage et estime qu’en réalité il
avait été mis sur écoute parce que ses articles sur l’affaire dite des « Irlandais de Vincennes » (soupçonnés
à tort d’être de dangereux terroristes) avaient déplu
aux autorités de l’époque.
4
France
Renault condamnée pour Vilvorde.
Le tribunal de grande instance de Nanterre
condamne Renault à 15 000 francs d’amende pour
n’avoir pas respecté les procédures d’information des
syndicats à l’occasion de la fermeture de son usine
de Vilvorde en Belgique. Les juges reprochent au
constructeur de ne pas avoir informé ni consulté le
comité de groupe européen (CGE), ce qui confirme
l’aspect transnational du conflit. Le jugement est
confirmé en appel le 7 mai. (chrono. 28/06)
5
Algérie
Nouveaux massacres de civils.
À deux mois des élections législatives, 84 personnes
sont égorgées dans des villages près d’Alger. Ces tueries, attribuées aux Groupes islamistes armés (GIA),
semblent constituer des réponses à l’offensive dans
la région des forces armées gouvernementales. Le
22, 93 villageois, dont plus de la moitié de femmes et
d’enfants, sont à leur tour assassinés dans des conditions atroces, à 25 km au sud d’Alger. Deux jours
plus tard, 42 habitants d’une autre bourgade de la
région algéroise sont abattus, portant à plus de 350
le nombre des victimes en un mois dans cette zone.
6
UE
Divergences institutionnelles.
Réunis à Noordwijk, les quinze ministres des Affaires
étrangères traitent des réformes institutionnelles
à prévoir pour assurer un bon fonctionnement de
l’Union lorsque celle-ci comptera entre vingt et
trente membres. La France s’oppose aux autres, et
notamment à l’Allemagne, en souhaitant qu’une
réforme profonde des institutions assure un rôle
prépondérant aux cinq pays principaux (Allemagne, Espagne, France, Grande-Bretagne, Italie).
Elle préconise un changement dans le système de
vote au Conseil des ministres, faisant observer que
dans le système en cours une voix du Luxembourg
représente 189 000 personnes alors qu’une voix allemande en représente 8 millions. La majorité qualifiée
actuelle est de 62 voix sur un total de 87 (les quatre
« grands » pays ayant chacun dix voix et le plus petit, le Luxembourg, en possédant deux). Les autres
pays que la France, soucieux de préserver les droits
des petites nations, proposent l’instauration d’une
double majorité qualifiée, en voix et en population
représentée. Hervé de Charette, ministre français des
Affaires étrangères, rejette cette solution, estimant
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
78
qu’elle « rendra les décisions encore plus difficiles à
prendre ».
7
Corée du Nord
Graves menaces de famine.
Les autorités reconnaissent pour la première fois que
plusieurs dizaines d’enfants sont morts de malnutrition et que le fléau touche plus d’un enfant sur sept.
Selon des parlementaires américains qui ont mené
une mission d’enquête sur place, six à huit millions de
personnes risquent de mourir de faim.
États-Unis/Israël
Échec de la rencontre Bill Clinton/
Benyamin Netanyahou.
Le président américain ne parvient pas à faire revenir le Premier ministre israélien sur sa décision de
faire construire de nouveaux immeubles destinés
aux Juifs dans la partie arabe de Jérusalem. Face
à cette fin de non-recevoir, M. Clinton repousse la
proposition israélienne de convoquer, sous patronage américain à Camp David, un nouveau sommet
israélo-palestinien.
Blocage du processus de
paix au Proche-Orient
Quatre ans après la conclusion des accords
d’Oslo, force est de constater que les fondations
mêmes de la paix sont bien fragiles. Les Palestiniens ne contrôlent que quelques grandes villes
isolées, coupées de leur arrière-pays, soumises
à des bouclages répétés. La plupart des mesures
de confiance inscrites dans les textes n’ont pas
été appliquées, contribuant à déstabiliser Yasser
Arafat au sein même de son camp.
Tout indiquait donc que, si le plus vieux conflit
du Proche-Orient avait pris fin sur tous les écrans
du monde en 1993, la réalité continuait de buter
sur des faits têtus. La colonisation s’est en effet
poursuivie et intensifiée, rendant illusoire toute
continuité territoriale palestinienne. Depuis les
accords d’Oslo, le nombre des colons en Cisjordanie est passé de 100 000 à 140 000. Le gouvernement israélien a donné son feu vert à la
construction de milliers d’appartements, dont
12 % sont inoccupés, et l’encerclement de Jérusalem-Est s’est trouvé achevé par l’édification
de 6 500 logements à Jabel Abou Ghnaim (Har
Homa pour les Israéliens), une colline située
presque aux portes de Bethléem. Quant à l’espoir d’une paix fondée sur le développement
économique, il s’est envolé : un rapport du Fonds
monétaire international indiquait que le taux de
chômage en Cisjordanie et à Gaza était passé
depuis 1993 de 18 % à plus de 34 %.
Le gel des accords
Retour également sur les écrans de l’Intifada et
de ses images désormais célèbres : jeunes Palestiniens lanceurs de pierres contre jeunes soldats
israéliens tirant grenades lacrymogènes et balles
en caoutchouc. Les travaux de Har Homa, en
mars, ont déclenché des affrontements qui ont
fait 8 morts et 900 blessés parmi les Palestiniens,
3 morts et 67 blessés du côté israélien. Et, pour
la première fois depuis un an, le terrorisme a de
nouveau frappé : le 21 mars, trois personnes ont
trouvé la mort dans l’explosion d’une bombe
dans un café de Tel-Aviv. La « paix contre la sécurité », promise par Benyamin Netanyahou lors de
sa campagne électorale, a trouvé ici ses limites.
La colonisation viole le principe fondateur des
résolutions de l’ONU comme des accords israélopalestiniens, c’est-à-dire l’échange des territoires
contre la paix. Pour les signataires travaillistes
d’Oslo, l’État hébreu devait annexer de 10 à 15 %
de la Cisjordanie. Pour sa part, la droite revenue
au pouvoir en 1996 entend en garder au moins la
moitié dans toutes les colonies. Conscient de l’impopularité de ses positions sur la scène internationale, Benyamin Netanyahou a proposé d’ouvrir
sans attendre la négociation sur le statut définitif
des territoires avec pour objectif de signer « dans
les six à neuf mois », et donc de geler entretemps l’application des accords intérimaires qui
prévoyaient la mise en place en cinq ans (de mai
1994 à mai 1999) d’un « auto-gouvernement
palestinien ». La négociation sur le statut définitif de la Cisjordanie et de Gaza devait s’ouvrir en
mai 1996 et s’achever dans les trois ans ; les questions les plus épineuses – le statut de Jérusalem,
la définition des frontières, l’avenir des colonies,
le sort des réfugiés, la création d’un État palestinien – seraient laissées en suspens en attendant
l’accord final. Pour séduisante qu’elle soit sur le
papier, la proposition du Premier ministre israédownloadModeText.vue.download 80 sur 361
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
79
lien laisse songeur à l’aune de l’affaire d’Hébron :
sachant que le compromis sur Hébron, pourtant
négocié, a pris sept mois, il est difficile d’imaginer qu’il suffirait de quelques mois pour conclure
un accord portant à la fois sur l’État palestinien,
les frontières, Jérusalem, les réfugiés et les colonies. À bien des égards, M. Netanyahou paraît
défendre des positions plus radicales que celles
sur lesquelles il a été élu le 29 mai 1996. En effet,
il doit aussi sa courte victoire à son engagement
de respecter les engagements pris à l’endroit
des Palestiniens. Ainsi, même après l’attentat du
21 mars, un sondage établissait que 55 % des
Israéliens déclaraient soutenir, comme par le
passé, les accords d’Oslo. Selon un autre sondage,
une majorité absolue d’Israéliens juifs (51,3 %)
approuvaient la création d’un État palestinien à
condition qu’elle conduise à une paix juste entre
Israël et la Palestine.
Un bilan de faillite
Sans doute convient-il de rapporter l’attachement des Israéliens à la paix à des soucis prosaïques, ces derniers mesurant le coût économique et social d’un retour en arrière. Inquiets
de l’impasse dans lequel se trouve pris le processus de paix et plus encore de la relance du
boycottage arabe d’Israël, les capitaux étrangers
hésitent à s’investir dans l’État juif, dont ils ont
alimenté depuis 1991 l’essor.
Le blocage paraît d’autant plus grave que les
facteurs extérieurs, pour le moins déterminants
en 1993, semblent avoir perdu toute efficacité.
Les États-Unis, cheville ouvrière des discussions
israélo-palestiniennes, semblent incapables de
ramener le Premier ministre à des positions de
compromis. En raison de la compréhension manifestée à l’égard d’Israël par Washington – qui
n’hésite pas à mettre son veto au Conseil de sécurité des Nations unies contre toute résolution
visant les autorités juives –, les Palestiniens sont
fondés à déplorer de plus en plus ouvertement
la partialité américaine. De son côté, l’Union
européenne, qui assure financièrement la plus
grosse partie du processus de paix, notamment
dans les territoires palestiniens, ne parvient pas
à s’imposer auprès des Israéliens, lesquels dénoncent une égale partialité. Pourtant, l’Union
européenne ne préconise que l’application des
principes arrêtés par les Nations unies : retrait
des troupes israéliennes installées en Cisjordanie
(Jérusalem-Est incluse), à Gaza et également sur
le Golan syrien ; droit à l’autodétermination des
Palestiniens ; droit des Israéliens à vivre en sécurité à l’intérieur de frontières reconnues par la
communauté internationale. Entre les principes
onusiens, contestés par Israël, et l’approche graduelle définie à Oslo, mais décriée par les deux
parties, les espoirs pour que la paix règne enfin
semblent bien minces.
PHILIPPE FAVERJON
La controverse de Har Homa
Le projet de Har Homa présente le risque, aux
yeux des Palestiniens, de compléter l’encerclement de la partie orientale de Jérusalem
par une série de colonies isolant de fait la
Cisjordanie palestinienne de la partie arabe
de la ville, et par conséquent de rendre vain
le rêve d’un État palestinien avec JérusalemEst comme capitale. La Ville Sainte est plus
qu’un symbole : c’est après l’ouverture d’un
tunnel archéologique dans la vieille ville, en
septembre 1996, qu’une flambée de violence
avait provoqué la mort de plus de 70 personnes dans les territoires palestiniens.
9
France
Plan de réforme pour l’université.
François Bayrou, ministre de l’Éducation nationale,
parvient à faire adopter un projet de réforme des premier et deuxième cycles universitaires avec l’accord
de 8 syndicats (dont la CFDT et le CNPF) et l’abstention de 8 autres (FEN, UNEF). Les principales dispositions du texte concernent l’instauration d’un premier semestre d’orientation pour tous les étudiants
rentrant à l’université, la mise sur pied de « stages
diplômants » en entreprises et l’évaluation des enseignants comme des formations par les étudiants. Des
incertitudes demeurent cependant quant au financement de ces mesures.
10
Italie
Vote de confiance pour le
gouvernement.
La coalition de centre gauche de Romano Prodi parvient à obtenir une majorité au Parlement après pludownloadModeText.vue.download 81 sur 361
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80
sieurs jours de crise larvée. Les communistes de Refondation avaient refusé d’appuyer l’envoi de forces
d’intervention italiennes en Albanie, forçant le pouvoir à solliciter l’appui de l’opposition et des députés
de Silvio Berlusconi. Pourtant, M. Prodi avait présenté
la participation de l’Italie à cette opération comme
essentielle et jugé par avance « déshonorante » toute
reculade ; il avait également présenté comme catastrophique, à quelques mois des grandes échéances
européennes, toute nouvelle crise politique. La coalition demeure d’autant plus fragile que la réforme de
la législation sociale risque de déclencher une nouvelle fois un affrontement avec Refondation communiste. Le 21, les autorités sont plongées dans la
consternation après la publication du communiqué
de la commission européenne jugeant l’Italie incapable, dans l’état actuel, de rejoindre le groupe des
pays admis dans l’euro le 1er janvier 1999.
UE/Iran
Condamnation du terrorisme iranien.
À la suite du verdict du tribunal criminel de Berlin
mettant en cause « au plus haut niveau » les autorités de Téhéran dans le meurtre, en 1992, d’opposants
kurdes iraniens réfugiés en Allemagne, les Quinze
décident de suspendre leur « dialogue critique » avec
l’Iran et de rappeler leurs ambassadeurs de ce pays.
Le 29, les Quinze décident de renvoyer leurs ambassadeurs dans la capitale iranienne tout en refusant
de reprendre des relations politiques suivies avec le
régime de Téhéran. Les États-Unis auraient souhaité
que l’UE prenne également des sanctions économiques, mais les Quinze ont refusé, autant pour
des raisons d’opportunisme commercial que par
crainte de renforcer en Iran le clan des durs et des
anti-occidentaux.
11
Albanie
Déploiement de la force multinationale.
Les premiers des 6 000 soldats chargés de convoyer
l’aide matérielle en Albanie (opération « Alba »)
arrivent dans le pays. Les plus gros contingents
sont fournis par l’Italie (3 000 hommes) et la France
(1 000 hommes), puis suivent des détachements
grecs, espagnols, turcs, roumains, autrichiens et
danois. Rapidement, la présence des militaires étrangers contribue à rétablir le calme. (chrono. 16/05)
Inde
Chute du gouvernement.
Dix mois après son installation à la tête d’un gouvernement de centre gauche – coalition regroupant des
centristes, des communistes et des partis régionaux
–, H.D. Deve Gowda est renversé à la suite d’un vote
de censure du Parlement. La crise s’est nouée en raison du refus formulé par le parti du Congrès de continuer à soutenir le gouvernement auquel il reprochait
de ne pas être assez ferme vis-à-vis des nationalistes
hindouistes du Parti du peuple indien (BJP). Le 21,
Inder Kumar Gujral, soixante-dix-sept ans, est nommé à son tour Premier ministre ; il dirigera la même
coalition gouvernementale dite « de front uni », les
partis préférant cette solution à la tenue d’élections
anticipées qui auraient probablement avantagé les
extrémistes du BJP. M. Gujral était jusque-là ministre
des Affaires étrangères. À ce titre, il avait mené une
politique active de rapprochement de l’Inde avec ses
voisins du Népal (règlement du contentieux portant
sur un important barrage), du Bangladesh (règlement d’un autre contentieux sur le partage des eaux
du Gange) et du Pakistan (reprise du dialogue à propos du dossier explosif du Cachemire).
Nouveau gouvernement
en Inde
Le 30 mars, le parti du Congrès décidait de retirer
son soutien à la coalition minoritaire de treize
partis dirigée par le chef du gouvernement Deve
Gowda. À l’exception des nationalistes hindous
du Parti du peuple indien (BJP), personne ne
souhaitait retourner devant les électeurs pour
sortir de l’impasse. Aussi la nomination d’Inder
Kumar Gujral au poste de Premier ministre a-telle permis de mettre un terme à trois semaines
de crise.
La démission de Deve Gowda, dont le Congrès
exigeait le départ, a conduit le parti des NehruGandhi à renouveler son soutien au front uni. Si
le Premier ministre change, le « front » reste toutefois au pouvoir, et la composition du gouvernement demeure pratiquement inchangée : seule
downloadModeText.vue.download 82 sur 361
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
81
modification, mais de taille, le très libéral ministre
des Finances, Palanippan Chindamabaram, n’a
pas souhaité être reconduit dans ses fonctions.
Il appartient au nouveau Premier ministre, qui
conserve le ministère des Affaires étrangères,
de prendre en charge ce délicat portefeuille. Un
cumul des fonctions qui a semblé satisfaire à la
fois les milieux politiques et le monde des affaires.
La « doctrine Gujral »
Après dix mois passés à la tête des Affaires étrangères, I.K. Gujral s’est assuré une flatteuse réputation de négociateur. On lui sait gré d’avoir été
l’architecte d’un rapprochement de l’Inde avec
ses voisins, au terme d’une diplomatie unanimement qualifiée d’imaginative. Au point que l’on
parle volontiers en Inde d’une « doctrine Gujral ». Il est vrai que le bilan de M. Gujral est impressionnant : signature d’un traité avec le Népal
à propos d’un barrage controversé sur la rivière
Mahakali, conclusion d’un accord similaire avec
le Bangladesh liquidant un ancien contentieux
au sujet du partage des eaux du Gange, reprise
du dialogue avec le Pakistan après un silence de
trois ans entre les deux rivaux du sous-continent.
À la fin du printemps, l’évolution des négociations entre New Delhi et Islamabad – jusqu’alors
empoisonnées par la question du Cachemire
– paraissait sur le point de déboucher sur un
véritable apaisement. L’action de I.K. Gujral à
la tête de la diplomatie indienne a contribué à
modifier l’image de l’Inde, souvent perçue par
les pays d’Asie du Sud-Est – à juste titre – comme
un « grand frère » envahissant, incarnation d’un
pouvoir régional sûr de lui et dominateur, qui,
à plusieurs reprises dans le passé, l’a conduit à
dicter ses conditions aux nations plus petites
et plus faibles de la région. De toute évidence,
la « doctrine Gujral » marque une rupture avec
cette tendance. On a pu le vérifier, début avril,
dans un discours prononcé par le nouveau chef
du gouvernement au Sri Lanka. À cette occasion,
ce dernier a défendu une politique de compromis avec ses voisins en affirmant que toute
négociation ne repose pas nécessairement sur
l’espoir d’une « réciprocité ». Peut-être cette
modération de New Delhi parviendra-t-elle aussi
à résorber les guérillas rémanentes qui agitent
toujours les confins du Nord-Est. En proposant,
le 19 mai, à tous les groupes armés de cette région des négociations sans conditions, M. Gujral
aura eu sans aucun doute un geste habile dans
un environnement géopolitique désormais plus
favorable à l’Inde.
Un vote de confiance
Le gouvernement du nouveau Premier ministre
indien a obtenu, le 22 avril, un vote de confiance
du Parlement. Une épreuve sans surprise dans
la mesure où le front uni – coalition de centre
gauche dont il est issu –, même s’il ne dispose pas
d’une majorité à la Chambre, bénéficie cependant
de l’appui du parti du Congrès : ce dernier se sera
prononcé, une fois de plus, pour un « soutien sans
participation ». On ne retiendra de cette formalité que l’opposition active du BJP dont les chefs
voient en M. Gujral un dangereux communiste
– ce qu’il fut en effet au temps de la lutte contre
les Britanniques, avant de décider de rejoindre
le parti du Congrès et de s’en faire expulser par
Indira Gandhi. Les nationalistes hindous lui reprochent également, et ce n’est pas là le moindre
de leurs griefs, de conduire une politique par trop
favorable au rapprochement avec l’ennemi pakistanais. Il reste que, parmi les nombreuses tâches
qui attendent le chef du gouvernement, celle de
convaincre les responsables des treize partis du
front uni de surmonter leurs différences idéologiques et personnelles ne sera pas la moins délicate. On se souvient que de nombreuses dissensions au sein de la coalition avaient bien souvent
compliqué la bonne marche du cabinet dirigé par
son prédécesseur. Sur le plan économique, les
partisans du libéralisme n’ont pas manqué, eux
aussi, de manifester quelques inquiétudes. L’arrivée aux affaires de cet homme, plutôt marqué à
gauche, et qui fut ambassadeur à Moscou lorsque
l’Inde entretenait avec l’URSS des relations privilégiées, pouvait à leurs yeux être lourde de conséquences sur le processus des réformes de l’économie. Aussi I.K. Gujral s’est-il employé à rassurer
les investisseurs en déclarant, le 21 avril, qu’il
entendait « approfondir et élargir » ces réformes
d’inspiration libérale lancées, six ans plus tôt, par
le gouvernement du Congrès sous la direction de
Narasimha Rao.
En s’installant dans le fauteuil du Premier ministre, K. Gujral a pu constater que la plupart des
indicateurs économiques étaient décevants :
déficit budgétaire trop élevé (9 % du PNB), infléchissement de la croissance (6,2 % pour l’année
budgétaire 1995-1996 contre 6,3 % pour 19941995). Par ailleurs, la restructuration du secteur
public était toujours au point mort et le programme des privatisations, guère plus avancé.
Enfin, le budget 1997 a illustré les contradictions
auxquelles le gouvernement se trouve confronté : l’augmentation du prix de l’essence et du
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
82
diesel (respectivement de 30 % et 15 %) y côtoie
le maintien de barrières douanières élevées ainsi
que d’importantes subventions pour les agriculteurs. Désireux de s’attaquer aux vieux réflexes
protectionnistes, K. Gujral devra compter avec
les communistes, hostiles à toute accélération
de la libéralisation.
PHILIPPE FAVERJON
Un diplomate Premier ministre
Cultivé et polyglotte, docteur ès lettres, Inder
Kumar Gujral a fait ses classes de diplomate
comme ambassadeur à Moscou au milieu
des années 70. Même après la chute d’Indira
Gandhi, il sera reconduit dans ses fonctions
d’ambassadeur. Il quitte alors le Congrès
pour rejoindre les dissidents du parti Janata.
Quand Rajiv Gandhi perd les élections de
1989, il devient pour la première fois le chef
de la diplomatie indienne sous le règne de
V.P. Singh, avant d’être renommé au même
poste en 1996, au lendemain de la défaite
électorale du parti du Congrès.
13
Croatie
Élections municipales.
Le parti du président Franjo Tudjman – la Communauté démocratique croate (HDZ) – remporte les
élections municipales à Zagreb (un tiers de la population du pays) et la majorité dans 19 des 21 conseils
régionaux. En voix, l’opposition talonne le parti au
pouvoir. En 1996, le président Tudjman avait refusé
de reconnaître la défaite de son parti et imposé dans
la capitale une administration provisoire.
15
Belgique
Rapport parlementaire sur l’affaire
Dutroux.
Nathalie de t’Serclaes (Parti social-chrétien francophone) et Renaat Landuyt (Parti socialiste flamand), rapporteurs de l’enquête « Dutroux, Nihoul
et consorts », présentent aux députés les 300 pages
du rapport adopté à l’unanimité par les 16 membres
de la commission. Ce document est très sévère pour
les différentes institutions concernées. Les termes
« affligeant », « chaotique » ou « médiocre » sont utilisés à plusieurs reprises. L’affaire Dutroux avait commencé à l’été 1992 avec la disparition d’une petite
fille de neuf ans. Elle avait éclaté quatre ans plus
tard quand était arrêté un pédophile notoire, Marc
Dutroux, et plusieurs de ses complices, mettant au
jour l’existence d’un véritable réseau pédophile opérant depuis la région de Liège. Les enquêteurs parlementaires reprochent à la gendarmerie de ne pas
avoir régulièrement informé les magistrats chargés
de l’affaire du déroulement de leur enquête ; ils incriminent également les lenteurs et le laxisme (Dutroux
avait été libéré par anticipation d’une précédente
condamnation pour « bonne conduite ») de la justice,
notamment celle du procureur du roi de Bruxelles, et
les négligences de la police locale, qui a gravement
failli dans l’accueil des familles des victimes. Ainsi, le
rapport écrit : « Il vaut mieux ne pas se faire enlever pendant les vacances », dénonçant le fait que les chiens
pisteurs ne sont pas disponibles pendant le mois
d’août. Les membres de la commission d’enquête
font un certain nombre de propositions afin d’éviter
que ne se répètent de telles tragédies : réforme complète des services de police et de gendarmerie, et
amélioration des procédures d’accueil des victimes.
Le Premier ministre, Jean-Luc Dehaene, s’engage
personnellement à ce que les recommandations du
rapport soient suivies d’effet.
Israël
Demande d’inculpation du Premier
ministre.
À la suite de son enquête dans l’affaire Roni Bar-On,
la police judiciaire remet un rapport de mille pages
concluant sur une demande d’inculpation pour
« fraude et prévarication » de Benyamin Netanyahou.
L’enquête axait été diligentée à la suite des révélations
d’une journaliste de la télévision, Ayala Hasson. Celleci avait découvert les dessous de la nomination très
contestée d’un obscur avocat, M. Bar-On, au poste
clef de conseiller juridique du gouvernement. Face
au tollé que cette nomination décidée en Conseil
des ministres avait provoquée, M. Bar-On avait été
démis de ses fonctions au bout de deux jours. La
journaliste avait alors découvert que la promotion
de M. Bar-On était le fruit d’un marchandage entre le
Premier ministre et Arieh Deri, chef du parti religieux
séfarade, le Shas. Celui-ci, poursuivi pour corruption,
fraude et détournement de fonds, avait exigé du
Premier ministre qu’il nomme Bar-On afin que ce
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
83
dernier fasse abandonner les poursuites menées à
son endroit ; en échange, il s’engageait à soutenir le
gouvernement, notamment en ce qui concernait le
statut de la ville d’Hébron. Le dossier de la police est
remis au procureur général de l’État. Le 20, les autorités judiciaires décident de ne pas inculper M. Netanyahou, faute de preuves. Ce dernier déclare alors :
« Toute cette affaire a été exploitée par mes adversaires
politiques, tout particulièrement par la première chaîne
de télévision ». Trois recours devant la Cour suprême
sont déposés par l’opposition de gauche.
16
Arabie saoudite
200 pèlerins tués dans un incendie.
Plus de 200 personnes trouvent la mort lors d’un
incendie dans un campement de toile à 5 km au sud
de La Mecque. Plus de 70 000 tentes sont brûlées.
Les victimes provenaient essentiellement d’Asie, du
Pakistan, de l’Inde, de l’Indonésie et de la Malaisie.
17
Brésil
La longue marche des paysans sans
terre.
Plus de 1 500 paysans pauvres arrivent à Brasilia après
un périple de deux mois à pied à travers le pays. Ils
entendent attirer ainsi l’attention de l’opinion sur leur
dénuement, alors que de vastes étendues de terre
appartenant à de riches latifundiaires demeurent
inexploitées. Depuis le début des années 90, plus de
250 militants de la cause des paysans sans terre ont
été assassinés à l’occasion de conflits avec les propriétaires fonciers. Dans les jours qui suivent, l’Église
condamne la politique économique du président
Fernando Henrique Carodoso, la jugeant trop indifférente au sort des déshérités.
19
Bulgarie
Victoire du centre droit.
Les Forces démocratiques unies (FDU, coalition
de centre droit dont la principale composante est
l’Union des forces démocratiques) du président Petar
Stoïanov remportent, avec 52 % des voix, 137 sièges
sur les 240 à pourvoir au Parlement. Les FDU battent
largement le Parti socialiste bulgare (PSB, ex-communiste, qui avait remporté les précédentes élections en
1994), crédité de 22,2 % des voix et de 58 sièges. Pour
la première fois depuis la chute du communisme,
le centre droit dispose d’une nette majorité à la
chambre. La population a ainsi marqué une nette réprobation vis-à-vis des socialistes, au pouvoir depuis
1990 sauf pendant la parenthèse de 1991-1992. Il est
vrai que le niveau de vie moyen s’est considérablement dégradé et que la majorité de la population vit
aux limites de la pauvreté. Le futur Premier ministre,
Ivan Kostov, annonce avant même son intronisation
une sévère politique de restriction budgétaire, seule
à même, selon lui, de sortir le pays de l’ornière dans
laquelle il se trouve.
20
Mali
Élections législatives.
Le premier tour des élections se déroule dans des
conditions confuses. L’opposition conteste la validité
du scrutin et déclare vouloir boycotter le second tour
comme les autres scrutins prévus : présidentielles
en mai et municipales en juin. Le président sortant,
Alpha Oumar Konaré, et son parti, l’Adema (Alliance
pour la démocratie au Mali), resteraient ainsi seuls en
lice. (chrono. 11/05)
21
France
Dissolution de l’Assemblée nationale.
Dans une allocution télévisée, Jacques Chirac annonce que « l’intérêt du pays commande d’anticiper
les élections législatives », qui auront lieu le 25 mai et
le 1er juin. Le président justifie cette anticipation de
dix mois dans le calendrier électoral par l’urgence
et l’importance des négociations européennes. Il
déclare ainsi : « Pour aborder ces échéances en position
de force, votre adhésion et votre soutien sont essentiels. »
Il annonce une politique de réforme de l’État « afin
de permettre une baisse de la dépense publique, seule
façon d’alléger les impôts et les charges ». L’opposition
dénonce une manipulation visant à prendre de court
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
84
le Parti socialiste, qui n’a pas encore fini de mettre au
point son corps de doctrine ni de faire l’inventaire
de l’héritage mitterrandien. Elle dénonce l’aveu d’un
échec politique puisque le gouvernement bénéficiait
jusque-là d’une considérable majorité à la Chambre
de 464 sièges sur un total de 577. (chrono. 25/05)
Soudan
Accord de paix interne.
Les autorités de Khartoum signent un accord de
paix avec différentes organisations autonomistes,
prévoyant l’accroissement de l’autonomie régionale
dans un cadre fédéral unitaire. Toutefois, ce texte ne
devrait pas mettre fin à la guerre civile qui ravage
le sud du pays depuis plusieurs années : l’Armée de
libération des peuples du Soudan (SPLA) du colonel
John Garang, à majorité chrétienne et animiste, n’est
pas partie prenante et poursuit sa rébellion armée
à rencontre du régime islamiste du Nord. La SPLA a
même conclu une alliance avec les deux principaux
partis d’opposition nordiste et ouvert avec eux un
nouveau front à l’est du pays.
La dissolution : chronique
d’un échec et d’un succès
Le 21 avril, pour donner un « nouvel élan au
pays », Jacques Chirac dissout l’Assemblée nationale. Cinq semaines plus tard, la droite fracassée
se retrouve dans l’opposition, et un socialiste,
Lionel Jospin, à l’hôtel Matignon. Un vote sanction
pour le chef de l’État à qui les Français ont reproché, deux ans après son élection à l’Élysée, de
ne pas avoir tenu ses promesses de candidat et
d’avoir soutenu envers et contre tout un Premier
ministre trop impopulaire, Alain Juppé.
« Aujourd’hui, je considère, en conscience, que
l’intérêt du pays commande d’anticiper les élections. J’ai acquis la conviction qu’il faut redonner
la parole à notre peuple afin qu’il se prononce
clairement sur l’ampleur et le rythme des changements à conduire pendant les cinq prochaines
années. Pour aborder cette nouvelle étape, nous
avons besoin d’une majorité ressourcée et disposant du temps nécessaire à l’action. » Quand,
le 21 avril, à 20 heures, à la télévision, le chef
de l’État, usant des pouvoirs que lui confère
l’article 12 de la Constitution et invoquant les
rendez-vous européens à venir, annonce sa
décision de dissoudre l’Assemblée nationale,
son choix surprend. Certes, depuis plusieurs
semaines, les rumeurs allaient bon train, mais
personne ne voulait y croire. Pourquoi, à un an
de la fin de la législature et alors qu’il dispose
d’une large majorité parlementaire (464 députés sur 577), Jacques Chirac courrait-il un tel
risque alors qu’aucune crise majeure ne secoue le pays et que son Premier ministre, Alain
Juppé, bat des records d’impopularité dans les
sondages ? En réalité, le président s’est laissé
convaincre par son entourage – notamment,
Dominique de Villepin, le secrétaire général de
l’Élysée – et par l’Hôtel Matignon qu’attendre
l’échéance normale serait suicidaire pour la
majorité. Selon ces conseilleurs, la nécessité
de répondre aux fameux critères de Maastricht
pour la mise en place de l’euro provoquera,
dès le budget 98, un tour de vis économique
fatal à un gouvernement déjà contesté. D’autant plus fatal que les prévisions relatives aux
comptes sociaux sont mauvaises, qu’aucune
amélioration de l’emploi n’est attendue et que
des investigations judiciaires menacent des
personnalités proches du pouvoir. Dissoudre,
aujourd’hui, plaident-ils, présente plusieurs
avantages : d’abord, éviter l’écueil d’une rigueur programmée ; ensuite, prendre de court
l’opposition de gauche. Et le Front national de
crier au « hold-up électoral ».
Le Parti socialiste connaît, il est vrai, à
l’époque, un passage à vide pour ne pas avoir
su accompagner la mobilisation du « peuple
de gauche » contre le FN ; de plus, son programme n’en est qu’à l’état de projet général,
et aucun accord ou compromis n’est encore
signé avec les communistes et les Verts. En
prime, dans son souci de rénover le parti, Lionel Jospin a choisi, peu de temps avant cette
annonce, de largement renouveler les candidats du PS aux législatives, avec, notamment,
un tiers de femmes. Résultat : face aux députés
de la majorité qui bénéficient de la prime aux
sortants, nombre de candidats socialistes sont
des inconnus.
L’hypothèque Juppé
Les électeurs sont convoqués les 25 mai et
1er juin pour une campagne éclair, en plein mois
de mai, le mois des « ponts », qui ne les passionnera pas vraiment. Pourtant, très vite, sur fond
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
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de modernité de l’État et d’enjeux européens, la
campagne va prendre un tour inattendu. Parfois
brutal et en aucun cas, comme l’avait annoncé le
Premier ministre, « joyeux ». Au « nouvel élan » et
à l’« élan partagé » de la droite, la gauche va opposer son slogan « changeons d’avenir ». Sous-estimant le phénomène de rejet dont Alain Juppé
est l’objet, l’Élysée, en dépit des voix qui s’élèvent
dans la majorité, l’intronise chef de guerre et –
mieux – laisse entendre que, en cas de victoire,
il sera reconduit à Matignon. Pourquoi, dans ces
conditions, dissoudre si rien ne doit changer
après, ironise l’opposition, qui n’aura de cesse
de « cibler » ce Premier ministre si impopulaire ?
Une gauche qui, dans l’urgence, arrive à faire son
unité. Moins de dix jours après l’annonce de la
dissolution, Lionel Jospin signe des accords avec
les communistes et les Verts, et s’impose comme
le leader naturel de cette « gauche plurielle ». La
campagne se personnalise et prend, deux ans
après la présidentielle, des allures de troisième
tour, d’autant que Jacques Chirac volera à plusieurs reprises au secours de sa majorité en difficulté. Sans succès.
En quatre semaines de campagne, et alors
que les sondages la donnent encore victorieuse dans les urnes, la majorité sortante a
perdu toute sa superbe. Les divisions s’étalent
au grand jour, et Alain Juppé est ouvertement
contesté par des Philippe Séguin et autre Alain
Madelin. De son côté, Lionel Jospin, en se donnant comme priorité l’emploi, en émettant des
réserves sur l’union monétaire et en se gaussant des promesses électorales non tenues de
Jacques Chirac, engrange.
La menace FN
Au soir du premier tour, le 25 mai, le locataire
de l’Élysée sait qu’il a joué et perdu le pari – son
pari – de la dissolution. Un échec personnel La
droite parlementaire décroche son plus mauvais score sous la Ve République (15,59 % pour
le RPR, 14,34 % pour l’UDF et 6,52 % pour les
divers droite), le Front national son meilleur
score (15,06 %), et la gauche, avec plus de 40 %
des suffrages, progresse de près de 10 points.
Dans plus de cent circonscriptions, les candidats de Jean-Marie Le Pen sont en mesure de se
maintenir au second tour et de jouer les arbitres
avec une préférence affichée de faire tomber la
droite. Un scénario apocalyptique !
Alain Juppé est la première victime de ce premier tour. Après l’avoir soutenu à bout de bras
pendant la campagne, l’Élysée le lâche. Le
26 mai, dans une interview au quotidien SudOuest, le Premier ministre, président du RPR et
maire de Bordeaux, en ballottage dans sa bonne
ville et qui a focalisé sur sa personne toutes les
rancoeurs, annonce que, « pour ne pas être un
obstacle » à la victoire de la majorité, il ne sera
pas candidat à sa propre succession à l’Hôtel
Matignon. Privé de ce fusible, Jacques Chirac est
alors en première ligne. Le 27 mai, à la télévision,
pour tenter de redresser la barre, le chef de l’État
fait appel aux artisans de sa victoire présidentielle de 1995, Philippe Séguin et Alain Madelin.
À eux, les champions de la réduction de la fracture sociale, de mener la bataille du second tour.
Au président de l’Assemblée nationale sortante
de s’installer à Matignon pour mettre en application les promesses du candidat Chirac à l’Élysée
si... si la droite redresse la tête.
En dépit des efforts des deux nouveaux champions de la majorité sortante, il est trop tard pour
inverser la tendance. À l’issue du deuxième tour,
la droite est défaite, la gauche, triomphante.
Sept ministres sur 33 vont au tapis, Jean-François
Mancel, le secrétaire général du RPR, est balayé,
tout comme la jeune garde d’Alain Juppé. Même
la Corrèze, fief chiraquien, concède deux de ses
trois circonscriptions à la gauche.
L’Assemblée dissoute comprenait 258 RPR,
206 UDF et 13 divers droite ; ils se retrouvent
140 RPR, 109 UDF et 8 divers droite ! Le PS n’avait
que 56 élus, il revient en force avec 245 députés.
Les communistes passent de 24 à 38, et, pour la
première fois, les Verts font entrer 8 d’entre eux
dans l’hémicycle. Au total, la gauche obtient
319 sièges sur 577. Un membre du Front national, Jean-Marie Le Chevallier, le maire de Toulon,
est élu.
Le 2 juin, Jacques Chirac nomme Lionel Jospin
à Matignon et le charge de former le nouveau
gouvernement ; celui-ci comprend 3 ministres
communistes et un Vert, Dominique Voynet.
Une cohabitation inédite dans le pays se met en
place. D’abord, parce que, à l’inverse des précédentes, elle a été provoquée par le chef de l’État,
qui ressort très affaibli de cette dissolution avec
une droite traumatisée par cet échec et minée
par les divisions et les rancoeurs. Ensuite, parce
qu’elle s’installe, en théorie, dans la durée, pour
cinq ans.
B. M.
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86
La cinquième dissolution de
la Ve République
9 octobre 1962. Le général de Gaulle dissout l’Assemblée après l’adoption d’une motion de censure par les socialistes, le MRP
et les indépendants opposés à l’élection du
président de la République au suffrage universel. Sa majorité en sort renforcée.
30 mai 1968. Après la crise sociale du mois
de mai, le général de Gaulle dissout l’Assemblée. Les élections sont un raz de marée
pour la droite. Les gaullistes ont la majorité
absolue.
22 mai 1981. Au lendemain de son investiture à l’Élysée, François Mitterrand dissout
la chambre des députés élue en 1978. Les socialistes ont à eux seuls la majorité absolue.
14 mai 1988. Après sa réélection à l’Élysée, François Mitterrand dissout l’Assemblée nationale élue en 1986. Les élections
ne donnent qu’une majorité relative aux
socialistes.
21 avril 1997. Deux ans après son accession
à la présidence de la République, Jacques
Chirac dissout l’Assemblée élue en 1993. La
majorité sortante est défaite.
22
États-Unis/Birmanie
Sanctions contre le régime de Rangoon.
Bill Clinton interdit aux ressortissants américains
d’investir en Birmanie. Il entend ainsi sanctionner ce
pays pour sa politique de répression systématique
à l’encontre de ses minorités ethniques et pour son
implication dans la production et le trafic d’opium. La
célèbre opposante et prix Nobel de la paix Aung San
Suu Kyi applaudit cette décision.
France
Vol de documents dans l’affaire Elf.
Une information judiciaire est ouverte à la suite du
vol, dans les locaux de la brigade financière à Paris,
de documents saisis lors d’une perquisition menée
quatre jours plus tôt chez un décorateur de Saint-Tropez. Ce dernier avait travaillé à l’aménagement des
différentes demeures d’André Tarallo, P-DG d’Elf Gabon et conseiller spécial auprès du président gabonais Omar Bongo. M. Tarallo avait été mis en examen
le 4 dans le cadre d’une affaire d’abus de biens sociaux impliquant la société Elf. Le 23, un second juge
d’instruction est désigné pour assister le magistrat
Eva Joly chargée de l’enquête sur le groupe pétrolier
Elf, dont l’influence en Afrique est, de l’avis des observateurs, considérable.
Nigeria
Affrontements interethniques.
Près de 80 personnes sont tuées au cours d’affrontements entre Ijaws et Itserekis, deux des principaux
groupes ethniques de la région du delta du Niger, à
200 km à l’ouest de Port Harcourt. Ces violences se
sont déclenchées à la suite de rivalités administratives
et économiques dans la région pétrolifère de Warri.
Le gouvernement central dépêche des troupes pour
rétablir l’ordre, mais sa politique de création d’entités
territoriales spécifiques n’a fait qu’exacerber les tensions entre les différents groupes de population, qui
estiment, par ailleurs, ne pas bénéficier correctement
des retombées de l’extraction pétrolière.
Pérou
Libération des otages de Lima.
L’armée donne l’assaut contre la résidence de l’ambassadeur du japon où, depuis le 17 décembre 1996,
72 personnes demeuraient détenues par le groupe
révolutionnaire Tupac Amaru. Un otage seulement
est tué au cours de l’opération, alors que tous les
membres du commando trouvent la mort. Le président Alberto Fujimori s’approprie aussitôt le bénéfice de la réussite de l’opération qui a demandé une
préparation minutieuse et le creusement d’un tunnel
sous la résidence. Toutefois, une polémique se développe, certains otages assurant que plusieurs des
membres du commando qui s’étaient rendus ont été
délibérément abattus par les militaires.
27
Allié au parti islamiste Islah, le Congrès populaire
général (CGP) remporte les élections législatives.
Le Parti socialiste yéménite (PSY) avait boycotté ce
scrutin, le seul pourtant à être organisé au suffrage
Yémen
Victoire du parti du président Ali
Abdallah Saleh.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
87
universel dans toute la région. Lors des opérations
de vote, 11 personnes ont été tuées à travers le pays.
Zaïre
Délai pour l’évacuation des réfugiés
hutus.
Laurent-Désiré Kabila, chef de l’Alliance des forces
démocratiques de libération (AFDL), donne soixante
jours aux organisations humanitaires pour évacuer
les dizaines de milliers de réfugiés hutus disséminés
dans l’est du Zaïre. L’inquiétude de l’opinion internationale quant au sort de ces populations misérables
avait crû après la disparition en quelques heures de
plus de 50 000 réfugiés évacués par les forces de
l’Alliance des camps de la région de Kisangani. Face
à l’interdiction opposée aux journalistes et aux services humanitaires de venir se rendre compte sur
place de la situation, Kofi Anan, secrétaire général de
l’ONU, avait accusé les forces de M. Kabila de mener
une politique « d’extermination lente » à l’encontre
des réfugiés hutus du Rwanda. Ce soupçon est
d’autant plus fondé qu’il est notoire que l’Alliance a
été appuyée par le Rwanda, dominé par les Tutsis, et
par l’Ouganda, principal soutien du régime de Kigali.
M. Kabila rejette ces accusations et qualifie le sort de
ces réfugiés de « petit problème ». (chrono. 4/05)
28
Canada
Élections anticipées.
Au terme de trois années et demie au pouvoir, le
Premier ministre fédéral Jean Chrétien dissout la
Chambre et convoque des élections générales pour
le 2 juin. Les observateurs estiment que si les libéraux
ont choisi de précipiter ainsi les choses, malgré la
remontée dans l’opinion des conservateurs, du Nouveau Parti démocrate et du Parti de la réforme, c’est
pour prendre de vitesse le Bloc québécois, principal
parti d’opposition, favorable à la cause séparatiste.
(chrono. 2/06)
29
France
Accord PC-PS.
Robert Hue et Lionel Jospin présentent une « déclaration commune » destinée à souligner les convergences entre leurs partis respectifs, sans constituer
pour autant un programme commun de gouvernement. Le texte présente cependant un certain
nombre de propositions (relance du pouvoir d’achat,
création de 700 000 emplois pour les jeunes, diminution du temps de travail à 35 heures par semaine,
réforme fiscale, arrêt des privatisations, abrogation
des lois Debré / Pasqua) tout en reconnaissant des
divergences entre les deux partis sur la question de
l’Europe et de la monnaie commune.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
88
MAI
1
Grande-Bretagne
Victoire des travaillistes.
Aux élections législatives, qui se déroulent comme à
l’accoutumée au scrutin majoritaire à un tour, le Labour obtient 419 sièges sur un total de 659 et 43,17 %
des voix. Il écrase le Parti conservateur sortant, crédité de 165 sièges (178 pertes) et de 30,60 % des suffrages. Avec 46 sièges et 16,71 % des voix les libéraux
démocrates réalisent le meilleur score de toute leur
histoire. Les formations régionalistes et nationalistes
obtiennent pour leur part 29 sièges. Par cette victoire
triomphale, le Parti travailliste sort de près de dix-huit
ans d’opposition, tandis que les conservateurs, qui
ne comptent plus un siège en Écosse et au pays de
Galles, paient leur trop longue présence au pouvoir,
les affaires ayant marqué certains de leurs élus et, surtout, une profonde division, notamment sur la question de la participation de la Grande-Bretagne à la
construction européenne. À l’inverse, les travaillistes
ont su séduire les électeurs en opérant un recentrage
très net de leur programme, qui reprend une partie
de l’héritage du thatchérisme (acceptation des privatisations, diminution du rôle des syndicats, politique
pénale stricte), tout en proposant un infléchissement
à l’ultra-libéralisme des conservateurs (instauration
d’un salaire minimum, adhésion au volet social du
traité de Maastricht, autonomie plus grande pour
l’Écosse et le pays de Galles, amélioration du système éducatif). L’artisan de ce recentrage est Tony
Blair, âgé de quarante-trois ans, avocat de formation,
à la tête du parti depuis 1994. Jeune, séduisant, issu
d’une famille aisée, chrétien pratiquant, s’exprimant
bien en français, M. Blair inquiète cependant les
tenants de la gauche travailliste, qui lui reprochent
son message droitier et sa rupture avec la tradition
ouvriériste du parti. Aussitôt appelé à la tête du
gouvernement, M. Blair constitue une équipe jeune
(9 quadragénaires sur 23 membres du cabinet) et
très légèrement féminisée (5 femmes). Robin Cook,
le nouveau ministre des Affaires étrangères, est plutôt à la gauche du parti et plutôt réservé sur l’Europe,
à l’inverse de Gordon Brown, ministre des Finances,
qui appartient à la droite du parti et à sa tendance
proeuropéenne.
États-Unis
Accord sur l’équilibre budgétaire.
Bill Clinton et les élus républicains, majoritaires au
Congrès, s’entendent sur un processus visant à obtenir l’équilibre du budget fédéral d’ici à 2002. Ce résultat serait obtenu par une réduction des dépenses
sociales (aide médicale aux personnes âgées et
couverture sociale pour les plus pauvres). Une baisse
sensible des impôts est également prévue. Un tel
objectif d’équilibre budgétaire est rendu d’autant
plus envisageable que l’économie américaine passe
par une phase de forte croissance et que les rentrées
fiscales s’opèrent dans des conditions très favorables.
L’Angleterre des
travaillistes
Conformément à tous les sondages, le Parti travailliste conduit par Tony Blair a mis fin à dix-huit
ans de pouvoir conservateur. Une élection sans
surprise qui a soldé une campagne assez terne et
sans vrai débat économique, eu égard aux simili-
tudes des programmes de John Major et de Tony
Blair. Il est vrai que le travaillisme incarné par son
jeune leader n’a plus grand-chose en commun
avec son homologue des années 80.
M. Blair dispose d’une majorité sans précédent à la Chambre des communes, qui lui assure
quasi automatiquement un deuxième mandat. Il faudrait en effet un revirement énorme
de l’électorat pour que les tories reviennent
au pouvoir. Après avoir perdu 178 sièges, les
conservateurs ne peuvent guère prétendre être
autre chose qu’une force d’opposition symbolique. Selon le quotidien The Independant, « un
autre parti est mort. C’est le Parti travailliste des
années 80, avec son attachement aux nationalisations, à une fiscalité redistributive, aux accords
privilégiés avec les syndicats, et son opposition
au Marché commun ». Un diagnostic de nature
à inquiéter les élus de la gauche travailliste. Ces
derniers ne pourront pas peser sur le Premier
ministre dans la mesure où ce dernier n’aura
aucune peine à trouver les 330 voix requises
pour obtenir la majorité d’une Chambre de
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
89
659 élus. Minoritaires, les eurosceptiques du
Labour ne sont pas en mesure de contrarier la
politique européenne que le chef du gouvernement entend mener. De l’Europe, il a été fortement question tout au long de la campagne.
D’ailleurs, tous les commentateurs politiques se
sont accordés pour dire que les tories ont été
victimes de leurs divisions à ce sujet.
Le cabinet Blair
Contrairement à la tradition, plusieurs membres
du cabinet fantôme ont changé d’attribution.
En raison des échéances européennes, la personnalité du secrétaire au Foreign Office, Robin
Cook, a retenu l’attention. Défendant une vision
très personnelle de son rôle, ce dernier a empêché la nomination à un poste ministériel sur
l’Europe du patron de BP, sir David Simon, préférant avoir à ses côtés comme secrétaire d’État
aux affaires européennes un Écossais comme
lui, Doug Henderson, qui passe pour un proeuropéen modéré. Les Affaires sociales ont été
confiées à Harriet Harman. Chargée du dossier
prioritaire de la sécurité sociale, elle fait équipe
avec un secrétaire d’État, Frank Field, connu pour
ses idées révolutionnaires sur le Welfare State et
dont on se souvient qu’il a longtemps présidé la
commission des Communes sur la sécurité so-
ciale. Nomination tout aussi attendue que celle
de Donald Dewar, qui se trouve en charge des
Affaires écossaises. Cet avocat doit superviser la
mise en place du processus de dévolution. Mais
c’est Gordon Brown, le nouveau chancelier de
l’Échiquier, qui a créé la première surprise en annonçant l’indépendance partielle de la Banque
d’Angleterre. Celle-ci est désormais habilitée à
fixer elle-même les taux d’intérêt. Jusqu’alors, le
chancelier de l’Échiquier, et lui seul, pouvait fixer
le loyer de l’argent à court terme après consultation avec le gouverneur. Il appartient désormais à un « comité de politique monétaire » de
la Banque d’Angleterre de fixer le taux directeur.
L’action de ce nouvel organisme est déterminée
par un objectif d’inflation à atteindre, lequel se
trouve fixé par le ministre des Finances. La décision de M. Brown a été rapidement saluée par
les marchés financiers qui ont réagi très favorablement à la hausse du taux de base (fixé à 6 %
depuis le mois d’octobre 1996, il a gagné un
quart de point). Une mesure qui a mis un terme
aux spéculations selon lesquelles le pouvoir travailliste mènerait une politique de dévaluation
compétitive de la livre.
Les premières mesures des
travaillistes
Il n’a pas fallu attendre longtemps pour connaître
les priorités du nouveau gouvernement, ce dernier ayant choisi de commencer son mandat sur
un rythme soutenu. On a pu le vérifier lors du
discours d’intronisation du cabinet travailliste :
jamais la reine Élisabeth II n’avait dû annoncer tant de projets de lois : un total de 22, sans
compter les 4 non cités dans son intervention et
les 3 livres blancs préliminaires à de nouvelles
lois. Parmi les chantiers les plus importants, on
retiendra la priorité donnée à l’éducation, la réforme du système de santé et l’instauration d’un
SMIC. Si le domaine social et les thèmes de la vie
quotidienne ont été au coeur de cette première
salve législative, les réformes constitutionnelles
ont été qualifiées d’historiques : ainsi du référendum en Écosse et au pays de Galles sur la création d’un Parlement local, d’une consultation
populaire sur l’élection d’un maire pour Londres,
un mandat que Mme Thatcher avait aboli. Partie
de la démocratie parlementaire, le RoyaumeUni va en outre être doté d’une déclaration des
droits de l’homme avec l’incorporation de la
Déclaration européenne au droit britannique.
Une première constitutionnelle dans un pays de
tradition qui n’a pas de loi fondamentale écrite.
M. Blair devra sans aucun doute bousculer une
procédure parlementaire complexe pour réaliser
ce programme particulièrement ambitieux.
L’Europe, un chantier délicat
Le 5 mai, le nouveau secrétaire d’État chargé
des Affaires européennes, Doug Henderson, a
donné le ton dès la première session de travail
de la Conférence intergouvernementale (CIC)
chargée de compléter le traité de Maastricht. Il
a pu déclarer à cette occasion : « Nous voulons
tirer un trait sur le passé et donner un nouveau
départ aux relations entre la Grande-Bretagne et
l’Union européenne. » À bien des égards, la position de Londres s’est assouplie concernant certains dossiers, comme l’application de la simple
majorité qualifiée – et faciliter ainsi la prise de
décision au sein du Conseil – ou le souci d’une
Europe plus sociale. Toutes choses qui étaient
loin d’être la tasse de thé du gouvernement sortant. Rupture identique au sujet de la monnaie
unique. Là, l’attentisme a fait place à l’opposition
sans nuances défendue jusqu’alors par les tories.
Dans le même esprit, le chef du New Labour a
confirmé la volonté de son gouvernement de
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renoncer à la clause d’exception, exigée en 1991
par M. Major lors de la conclusion du traité de
Maastricht : il s’agissait alors de ne pas appliquer
les dispositions du protocole social adopté par
ses partenaires. Par ailleurs, le Premier ministre
s’est dit favorable à l’inclusion dans le traité d’un
chapitre sur l’emploi. En revanche, Tony Blair n’a
pas caché le peu d’enthousiasme que lui inspire le projet de fusion par étapes de l’Union de
l’Europe occidentale (UEO, seule organisation
européenne habilitée à traiter des questions de
Défense) dans l’Union européenne. Une position qui est diamétralement opposée à celles
défendues par l’Allemagne et la France. Enfin, au
sujet de la sécurité intérieure, Londres n’entend
pas revenir sur les dispositions concernant le
contrôle aux frontières : les Britanniques veulent
se garder eux-mêmes et refusent de transposer cette mission aux frontières extérieures de
l’Union. Quoi qu’il en soit, les partenaires de la
Grande-Bretagne dans l’UE n’ont pas dissimulé
la satisfaction que leur inspire l’aggiornamento
européen des travaillistes. En résumé, le gouvernement Blair a défini les quatre priorités de
son action : faire de son pays un acteur de premier plan en Europe ; donner comme tâche à ses
ambassadeurs de promouvoir le commerce et la
coopération économique ; placer les droits de
l’homme et l’environnement au coeur de sa politique européenne ; intégrer la politique étrangère dans le débat de politique intérieure. Tony
Blair a rappelé qu’il entendait conduire le changement « sans considération de dogme ni de doctrine ». Un pavé dans le jardin de son aile gauche.
PHILIPPE FAVERJON
Irlande du Nord, l’impasse
L’Ulster a de nouveau paru être au bord
d’une reprise de la guerre civile. Le jour de
la visite de John Major à Belfast (28 avril),
une bombe de forte puissance, sans doute
placée par des terroristes loyalistes protestants, a été désamorcée devant les locaux
du Sinn Fein. Si Tony Blair n’éprouve guère
de compréhension à l’égard de l’IRA, il
paraît toutefois prêt à accepter de parler
avec Gerry Adams, le chef du Sinn Fein, la
branche politique de l’IRA, en cas de nouveau et durable cessez-le-feu. M. Adams qui
a été élu, tout comme le numéro deux du
mouvement, Martin McGuinness, en Irlande
du Nord. Il est certes exclu que le Labour
cède davantage aux terroristes républicains
que les conservateurs, mais sa large majorité lui laisse une marge de manoeuvre dont
ne disposait pas son prédécesseur, contraint
de compter sur le soutien des unionistes aux
Communes.
3
France
Attentat contre Philippe Douste-Blazy.
Alors qu’il se promène sans escorte dans les rues
de Lourdes, ville dont il est le maire, le ministre de
la Culture est victime d’une agression menée par un
déséquilibré mental. Ayant reçu un coup de couteau
dans le dos, il est hospitalisé mais ses jours ne sont
pas en danger. Il reprend ses activités au bout de
quelques jours.
4
Zaïre
Rencontre Mobutu Sese Seko/LaurentDésiré Kabila.
Sous les auspices de Nelson Mandela, les deux
hommes politiques zaïrois se rencontrent à bord
d’un navire sud-africain ancré dans le port congolais
de Pointe-Noire. Le président zaïrois propose à son
rival de laisser le pouvoir à un président issu d’élections libres. Après avoir ordonné à ses troupes de
stopper leur progression. M. Kabila rejette les propositions de M. Mobutu et relance la progression de son
armée. Il déclare ainsi : « Il n’y aura jamais de cessez-lefeu tant que Mobutu ne quittera pas le pouvoir. » Le 7,
M. Mobutu rencontre à Libreville ses homologues du
Gabon, du Cameroun, de Centrafrique, du Congo, de
Guinée et du Tchad. Il tente d’obtenir de leur part un
appui militaire pour arrêter la marche vers Kinshasa
des troupes de l’Alliance.
Les chefs d’État contactés n’accèdent pas à sa demande et lui conseillent alors d’abandonner son
poste. À l’issue de leur réunion, une déclaration suggère que l’archevêque de Kisangani, Mgr Laurent
Monsengwo, négocie la transition du pouvoir avec
M. Kabila. Celui-ci rejette à nouveau cette solution
et réclame le départ sans condition de M. Mobutu.
(chrono. 17/05)
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
91
6
États-Unis/Mexique
Visite de Bill Clinton.
Le voyage du président américain est dominé par la
question de la lutte contre le trafic ces stupéfiants.
Les dirigeants des deux pays signent une « alliance
contre les drogues » visant à réprimer au Mexique le
transit de la cocaïne colombienne comme la production de marijuana et d’héroïne. M. Clinton s’efforce
de donner à cette alliance un aspect réciproque alors
qu’il s’agit en réalité d’une injonction des États-Unis à
son voisin du Sud.
France
Prison avec sursis pour l’ex-P-DG
d’Alcatel.
Pierre Suard est condamné à trois ans de prison avec
sursis et à 2 millions de francs d’amende. Il devra en
outre rembourser 4,9 millions de francs au groupe
Alcatel Alsthom. Déclaré coupable d’abus de biens
sociaux, il lui était reproché d’avoir fait financer par le
groupe des travaux de sécurité à usage personnel, à
ses domiciles, et d’avoir fait indûment salarier une de
ses amies. Pour sa défense, M. Suard avait fait valoir
que ses fonctions l’exposaient à la menace de terroristes éventuels.
7
Suisse
Rapport américain sur l’or nazi.
Un rapport de 400 pages, piloté par Stuart Eizenstat, sous-secrétaire d’État américain au Commerce,
conclut à la complicité des banques suisses dans
la spoliation des Juifs par les nazis. C’est ainsi que
400 millions de dollars or (soit 4,5 milliards de dollars
en valeur actuelle) auraient abouti dans les coffres
des institutions bancaires de la Confédération. Cet
or serait arrivé sous forme de lingots résultant de la
fusion de l’or volé dans les banques centrales des
pays occupés et de l’or provenant des victimes de la
Shoah (bijoux, dents, etc.). Après la guerre, une partie de cet or aurait été rendu aux banques centrales
des pays concernés, mais pas aux descendants des
victimes juives. Le rapport préconise qu’un certain
montant de cet or (notamment celui qui demeure
gelé dans les coffres de la Réserve fédérale de New
York) soit redistribué aux familles juives, notamment
dans les pays de l’Est européen où les victimes n’ont
jamais reçu la moindre indemnisation. Le rapport
reconnaît que le contexte de la guerre froide n’avait
pas contribué à faire le jour sur ces regrettables épisodes de l’histoire (le redressement de l’Allemagne
occidentale primait alors sur toute autre considération), mais espère que désormais la recherche de la
vérité l’emportera. À la suite de la publication du rapport Eizenstat, le gouvernement helvétique réaffirme
« avec force » sa volonté « de vérité et de justice » et sa
détermination à mettre sur pied le Fonds spécial en
faveur des victimes de la Shoah et la Fondation suisse
de solidarité. Encore que cette dernière suppose,
pour être créée, une réforme constitutionnelle, soumise à référendum. D’une façon générale, les autorités de Berne admettent que « de regrettables erreurs »
ont été commises mais refusent les « jugements de
valeur d’ordre moral et politique » contenus dans le
rapport Eizenstat.
8
Moldavie
Accord avec la Transnitrie.
Le président moldave, Petru Lutchinski, et le dirigeant
de la république séparatiste, Igor Smirnov, signent à
Moscou un mémorandum destiné à « normaliser »
leurs relations. La Transnitrie est la région à dominante russophone de la Moldavie, république roumanophone créée par Staline lorsque celui-ci avait
arraché à la Roumanie une partie de son territoire à
laquelle il avait adjoint une zone prise à l’Ukraine. En
1991 et 1992, un conflit avait opposé russophones
(environ 800 000 personnes) et roumanophones, et
fait près de 700 victimes.
9
Cinéma
Mort de Marco Ferreri.
Le cinéaste italien meurt à Paris d’une crise cardiaque
à l’âge de soixante-neuf ans. Auteur, notamment, de
Dillinger est mort (1969), la Grande Bouffe (1973) et de
Rêve de singe (1979), il se définissait lui-même comme
un « cinéaste du mauvais goût ». Son oeuvre est largement consacrée à la folie ordinaire (une femme
qui prend la place du chien de l’homme qu’elle aime,
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92
un homme amoureux de son porte-clefs), aux gens
en marge (une femme à barbe) et à la bouffonnerie (quatre hommes qui se suicident en mangeant),
sans exclure une touche politique et contestataire
(Touche pas la femme blanche et Y a bon les Blancs, sur
le racisme et les ambiguïtés de l’action humanitaire).
10
États-Unis/Caraïbes
Sommet à la Barbade.
Bill Clinton et les dirigeants de quatorze pays de la région se réunissent pour faire le point sur les relations
entre les États-Unis et les membres de la Communauté et marché commun des Caraïbes (Caricom).
Ils constatent que, depuis le reflux des mouvements
révolutionnaires dans la région, l’aide américaine a
baissé de 90 % en douze ans. Par ailleurs, les participants à ce sommet ne trouvent pas de véritable terrain d’entente sur les questions des droits de douane,
de l’embargo à l’encontre de Cuba, de l’immigration
et de l’opposition américaine au traitement préférentiel accordé par l’Union européenne aux exportations de bananes des Caraïbes.
Échecs
Victoire de l’ordinateur.
Le super ordinateur d’IBM, Deeper Blue, gagne
contre le champion du monde en titre, Garry Kasparov, le match qui les opposait en six parties, par
3,5 à 2,5. En 1996, Kasparov était sorti vainqueur de
l’épreuve, mais, cette année, le matériel utilisé était
beaucoup plus puissant, avec 256 microprocesseurs
capables de calculer 200 millions de positions par seconde. Les spécialistes estiment que Kasparov a mal
joué, tentant des coups incertains pour déstabiliser
la machine, sans pratiquer son jeu habituel fondé sur
une vision à long terme.
Vatican
Jean-Paul II au Liban.
À l’occasion de son voyage au pays du Cèdre, le souverain pontife reprend les recommandations du synode de 1995 appelant à la fin de l’occupation israélienne au Sud-Liban, au départ des troupes syriennes
et au retour dans leurs foyers des 500 000 chrétiens
déplacés lors de la guerre civile.
11
Burkina
Succès du parti gouvernemental.
Le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP),
favorable au président en exercice Biaise Compaoré,
remporte largement les élections législatives. La participation est de l’ordre de 50 %. L’opposition, qui a
participé au scrutin, était largement démobilisée
depuis que M. Compaoré avait réussi à faire adopter
une réforme constitutionnelle lui permettant de se
représenter à la présidence un nombre non limité de
fois, rendant ainsi plus improbable toute perspective
de réelle alternance politique.
Mali
Réélection d’Alpha Oumar Konaré.
Le président sortant est réélu à l’issue d’un scrutin
boycotté par l’opposition. La participation se situe
aux environs de 35 %. Elle avait été du même ordre
lors des élections multipartites de 1992. En avril, les
élections législatives avaient été également boycottées par l’opposition avant que d’être annulées par
la Cour suprême. Ces dysfonctionnements électoraux interviennent dans un pays pourtant pacifié
et où l’activité économique se développe de façon
satisfaisante.
12
Russie
Accord de paix signé en Tchétchénie.
Boris Eltsine et Aslan Maskhadov, président élu de
la Tchétchénie, signent, à Moscou, un accord mettant définitivement fin à un conflit qui, en deux
ans, aura coûté la vie à plus de 50 000 personnes.
Ce document finalise le premier accord conclu en
août 1996 par Alexandre Lebed et qui avait organisé
le retrait des troupes russes. Il marque l’échec de la
tendance « dure », favorable à la reprise du conflit et
représentée par le ministre de l’Intérieur, le général
Anatoli Koulikov. Le texte, qui n’entérine pour autant
pas l’existence d’une Tchétchénie indépendante de
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
93
la Russie, devra être ratifié par les deux Parlements
respectifs.
Théâtre
XIe nuit des Molières.
Kinkali, d’Arnaud Bédouet, est désignée comme la
meilleure pièce de création. Myriam Boyer reçoit le
molière de la meilleure comédienne, Pierre Cassignard celui du meilleur comédien et Sandrine Kiberlain celui de la révélation théâtrale.
13
Turquie
Offensive contre les Kurdes.
L’armée d’Ankara lance une nouvelle offensive contre
les militants armés du PKK (Parti des travailleurs du
Kurdistan) à l’est du pays et au nord de l’Irak. Au bout
d’une semaine, les autorités turques annoncent que
plus de 2 000 rebelles ont été tués au cours des
affrontements.
14
Sri Lanka
Offensive anti-tamouls.
L’armée de Colombo lance dans le nord de l’île une
nouvelle offensive contre les combattants séparatistes du mouvement des Tigres de libération de
l’Eelam tamoul (LTTE). Les combats font au moins
300 morts, dont au moins 250 guérilleros.
15
Chine/France
Jacques Chirac en voyage en Chine.
À l’occasion de sa visite, le président français salue le
« retour de la grande Chine sur la scène mondiale » et
inaugure la plus grande exposition de technologie
française réalisée à l’étranger. M. Chirac s’était engagé à ne pas évoquer publiquement la question des
droits de l’homme et avait veillé à ce que la France se
désolidarise de la motion européenne condamnant
Pékin en ce domaine. Il présente toutefois aux dirigeants chinois, en privé, une liste de 17 noms de dissidents chinois emprisonnés dont la France souhaite
la libération. Il signe également une série de grands
contrats industriels, dont la vente d’une trentaine
d’avions.
16
Albanie
Dissolution du Parlement.
Le président Sali Berisha annonce des élections législatives anticipées pour le 29 juin. Face à la pression
de l’opposition, il accepte de confier au gouvernement de réconciliation nationale de Bashkim Fino
(Parti socialiste, opposition) le soin de désigner les
membres de la commission électorale de contrôle.
(chrono. 29/06)
Amérique du Sud/États-Unis
Réticences sud-américaines.
Washington ne parvient pas à convaincre ses trentetrois partenaires continentaux réunis à Belo Horizonte (Brésil) de créer une zone de libre-échange
des Amériques (ZLEA). Les gouvernements sudaméricains ne souhaitent pas une accélération du
processus d’intégration commerciale nord-sud et
privilégient le renforcement du Mercosur, le marché
commun d’Amérique du Sud.
17
Congo-Kinshasa
Chute de Kinshasa.
Les troupes de Laurent-Désiré Kabila entrent dans la
capitale sans pratiquement rencontrer de résistance.
La veille, le président Mobutu Sese Seko avait quitté
la ville. La Suisse décide alors de bloquer les avoirs de
M. Mobutu dans les banques de ce pays. Au milieu
des années 80, les experts estimaient la fortune personnelle de celui-ci à environ 22 milliards de francs
(dont une grande partie a été récemment transférée
de Suisse vers d’autres pays, notamment l’Afrique du
Sud). M. Mobutu possède par ailleurs des propriétés
immobilières dans plus de 11 pays étrangers, dont 2
en France (800 m2 avenue Foch à Paris et une grande
villa sur la Côte d’Azur). M. Kabila décide aussitôt de
débaptiser le Zaïre qui prend le nom de République
démocratique du Congo. Âgé de cinquante-six ans,
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originaire du Kantanga, M. Kabila est un très ancien
militant de la gauche africaine. Dans les années 60,
il suit Patrice Lumumba et s’oppose à la tentative
sécessionniste de sa province natale. Il s’associe un
temps au maquis africain formé par Che Guevara
puis alterne des activités de guérillero hostile au
pouvoir de Mobutu et de lucratives affaires dans l’Est
africain. Proche des dirigeants ougandais et rwandais comme des Banyamulenge (Tutsis du Zaïre),
M. Kabila pratique un discours radical d’extrême
gauche mais multiplie dans le même temps les déclarations favorables à l’économie de marché. Alors
que les Zaïrois s’interrogent sur les intentions de leur
nouveau dirigeant, les organisations humanitaires
dénoncent les massacres perpétrés à rencontre des
réfugiés hutus rwandais au Zaïre et rappellent que
plus de 190 000 personnes sont portées disparues. Le
20, M. Kabila arrive à Kinshasa où deux Français sont
assassinés. (chrono. 29/05)
Le Congo de Kabila
Si la machine militaire a montré qu’elle avait de
bons conducteurs, il reste évident que la machine
politique requiert des experts tout aussi compétents. Laurent-Désiré Kabila et son équipe, au vu
de leurs premiers pas sur la scène intérieure de
la République démocratique du Congo, n’ont pas
donné l’impression de pouvoir prétendre au titre
de pilotes expérimentés.
En octobre 1996, la guerre éclate dans le SudKivu, focalisant l’attention de l’opinion internationale sur la région des grands lacs un peu plus
de deux ans après le drame rwandais. Déjà les
succès militaires de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL)
forcent l’étonnement. Très vite, il va apparaître
que les prévisions de ceux qui limitent le conflit
au « nettoyage » des camps, à la sécurisation de
la frontière avec l’Ouganda et le Rwanda sont
infondées. En effet, Laurent-Désiré Kabila et
les siens ne font pas mystère de leur objectif :
s’emparer de Kinshasa par les armes et chasser Mobutu Sese Seko du pouvoir. L’objectif est
donc clair. Mais nul n’imagine alors que l’armée
de Kabila pourra traverser à pied, d’est en ouest,
un pays aussi vaste que l’Europe occidentale, et
surtout de vaincre une armée réputée – de toute
évidence à tort – bien équipée, véritable colonne
vertébrale du régime depuis trois décennies.
Performances de la « machine
militaire »
Dans sa conquête du pouvoir, l’AFDL dispose de
plusieurs atouts. On retiendra d’abord l’étonnante préparation militaire du noyau dur de ses
combattants.
Certains d’entre eux ont été intégrés depuis
1990 dans les rangs du Front patriotique rwandais, d’autres ont reçu une formation du même
ordre : ces hommes démontreront qu’ils sont capables de se déplacer très vite en parcourant des
distances moyennes de 60 kilomètres par jour.
Ensuite, il est clair que l’état calamiteux des infrastructures joue contre l’armée de Mobutu, qui
se trouve dans l’incapacité de se déplacer efficacement : outre la pénurie d’avions et de carburant, les quelques hélicoptères de combat dont
dispose le régime ne sont pas dotés de cartes du
pays. Enfin, plus que la déliquescence des forces
armées de Mobutu et la détermination de l’AFDL,
le stade avancé de « décomposition » du régime
de Kinshasa aura facilité la tâche des hommes de
Kabila. C’est peu d’écrire que le mobutisme n’est
plus, au moment où les combattants de l’AFDL
effacent un à un les derniers kilomètres qui les
séparent de la capitale, qu’une coquille vide :
littéralement miné par une corruption d’une
ampleur phénoménale, tout aussi inlassablement sapé par l’opposition intérieure qui, durant
les sept années de transition, a su préparer les
esprits au changement, le régime incarné par le
« maréchal » s’offre comme un fruit mûr. Là réside
le principal facteur du succès de l’AFDL. On a pu
le vérifier à la manière dont les hommes de Kabila ont été accueillis dans les principales villes
du pays, salués comme des libérateurs. À Kinshasa, le bain de sang a été évité grâce à l’action
de l’opposition intérieure, notamment celle des
militants du Front patriotique, qui ont réussi à
guider les soldats de l’Alliance lors de leur entrée
dans la ville. Par ailleurs, si l’armée de Mobutu
n’a pas combattu c’est moins par lâcheté ou par
manque de motivation que parce que la plupart
des militaires attendaient, eux aussi, le changement, peu prompts finalement à défendre un
régime discrédité et comptable de très importants arriérés de soldes. Si la campagne éclair
des hommes de Kabila paraît de nature à forcer
l’admiration, la réputation de l’AFDL a sérieusement été ternie par les informations sur le sort
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
95
réservé aux réfugiés rwandais en fuite dans les
forêts zaïroises. Avant même la chute de Kinshasa, on savait de sources onusiennes et huma-
nitaire – à cet égard, le rapport publié le 21 mai
par Médecins sans frontières est accablant – que
de larges groupes de réfugiés, traqués dans la
forêt et « découverts » par les soldats de l’Alliance, avaient été massacrés. Ces derniers ne se
sont pas contentés de mettre hors de combat
miliciens et militaires rwandais (les seuls à leur
avoir opposé une réelle résistance), mais ils ont
également éliminé les civils, femmes et enfants,
entraînés dans la déroute de cette armée.
Incompétence de la « machine
politique »
Maître de la capitale, Kabila était attendu au
pied du mur : il lui fallait en effet se défaire de
sa tenue de combat pour endosser l’habit de
l’homme politique. À considérer l’improvisation
qui a nimbé cette mue, force est de conclure
que le mobutisme reste dangereusement contagieux. Dès la chute de Kinshasa, Kabila s’autoproclame président de la République démocratique du Congo, tandis que, devant des citadins
pour le moins étonnés, les principaux responsables de l’Alliance assurent leur intention de
« faire élire les délégués du peuple par les paysans
afin d’instituer une vraie démocratie à la base ».
Les premières mesures arrêtées par le gouvernement plombent l’épithète « démocratique »
d’une connotation qui ne l’est pas : la nouvelle
équipe, balayant tous les textes juridiques existants, décide de prêter serment sur la base des
statuts de l’AFDL ; la presse publique est décapitée, les partis politique sont suspendus et les
manifestations interdites.
En dépit de quelques déclarations de bonnes
intentions (moraliser la vie politique, mettre
fin à la corruption, relancer l’économie, payer
les salaires des fonctionnaires), l’Alliance n’aura
pas réussi son examen de passage sur le plan
politique. En niant les apports de la Conférence
nationale souveraine, en écartant Étienne Tshisekedi (leader du principal parti d’opposition,
l’Union pour la démocratie et le progrès social),
en faisant table rase des institutions existantes,
Laurent-Désiré Kabila a pris le risque de décevoir ceux qui l’ont fait roi : au début de l’été, la
puissante ethnie des Balubas paraissait prête à
basculer dans l’opposition, rappelant au nouveau maître du pays que, telles des plaques
tectoniques, la mosaïque ethnique est toujours
grosse de mouvements incontrôlables.
PHILIPPE FAVERJON
L’Alliance des forces démocratiques
pour la libération
C’est le 18 octobre 1996 qu’ont été jetées les
bases de l’AFDL à laquelle participent quatre
mouvements : le Parti révolutionnaire du
peuple (PRP) de Laurent-Désiré Kabila ;
l’Alliance démocratique des peuples (ADP)
de Déogratias Burgera, un Tutsi originaire
du Masisi ; le Mouvement révolutionnaire
pour la libération du Zaïre (MRLZ) de Masavu Ningaba, un Bashi, l’une des principales
ethnies du Sud-Kivu ; et le Conseil régional
de résistance pour la démocratie de Kisasse
Ngandu. À l’époque, Kabila ne dispose pas
encore de troupes.
18
Cinéma
Palmarès du 50e Festival de Cannes.
La Palme d’or est attribuée ex-aequo à l’Anguille du
Japonais Shohei Imamura et au Goût de la cerise de
l’Iranien Abbas Kiarostami. L’Égyptien Youssef Chahine reçoit le prix du Cinquantième Festival pour le
Destin. Le Grand Prix du jury va au film du Canadien
Atom Egoyan De beaux lendemains et le prix du jury
à Western du Français Manuel Poirier. La distinction
du meilleur acteur revient à l’Américain Sean Penn
et celle de la meilleure actrice à la Britannique Kathy
Burke. Même si le film du Français Luc Besson, le
Cinquième Élément (qui connaît aussitôt un très gros
succès auprès du public français et américain), est
consacré au divertissement, une grande partie des
films présentés à Cannes font le constat de la faillite
sociale ou présentent une vision extrêmement violente de la réalité.
Mongolie
Élection d’un président de gauche.
Nachagyn Bagabandi, quarante-sept ans, l’emporte
avec 60,8 % des voix contre le président sortant, Punsalmaaguyn Otchirbat. Ancien communiste comme
son concurrent, M. Bagabani se dit social-démocrate
et partisan d’une pause dans le train de réformes
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
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très libérales entreprises depuis le début des années
90. Ce vote à la présidentielle contredit celui de l’an
passé aux législatives, quand les électeurs mongols
avaient désigné une Chambre largement acquise
aux formules libérales en économie.
19
France
Meurtre d’un collégien.
À Bondy (Seine-Saint-Denis), un collégien de quinze
ans est poignardé à mort par quatre autres jeunes
de quatorze à dix-sept ans parce qu’il refusait de se
soumettre à leur racket. Le 22, les enseignants de plusieurs collèges et lycées du département font grève
pour protester contre la violence à l’école.
Voile
Nouveau record du Tour du monde à
la voile.
Olivier de Kersauson et ses six équipiers établissent un
nouveau record de l’épreuve en 71 jours, 14 heures,
18 minutes et 8 secondes. Il bat de plus de trois jours
le précédent record détenu par le Néo-Zélandais Peter Blake. En réalité, Kersauson est allé moins vite que
Blake, mais il a pris une route plus courte.
23
Iran
Élection de Mohamad Khatami à la
présidence.
Le candidat modéré à la succession du président
sortant Ali Akbar Hachemi Rafsandjani est élu dès le
premier tour avec 69 % des voix. Il a été plébiscité
par les jeunes et par les femmes qui voient en lui un
vecteur de changement pour la société iranienne. Il
l’emporte sur le conservateur Ali Akbar Nategh-Nouri, président du Parlement, et sur les autres candidats
ultra-islamistes. Âgé de cinquante-quatre ans, il a été
ministre de l’Orientation culturelle pendant près de
dix ans, un poste clef dans la théocratie iranienne.
Toutefois, il a acquis une réputation de libéral en protégeant certains intellectuels, ce qui l’a contraint à la
démission en 1992. Il a bénéficié pendant sa campagne du soutien contradictoire des Reconstructeurs, partisans d’un certain libéralisme, et des radicaux de la gauche islamique, hostiles à l’Occident et
favorables à une étatisation poussée de l’économie.
Libéralisation en Iran ?
Il a suffi que Mohamad Khatami incarne l’espoir
de petites ouvertures pour que, pour la première
fois dans l’histoire de la jeune République
islamique, l’élection présidentielle du 23 mai soit
le théâtre d’une véritable mobilisation. Contre
toute attente, l’ancien ministre de la Culture l’a
emporté, balayant son rival soutenu par la droite
conservatrice. Principal enseignement du scrutin,
les électeurs ont rejeté la politique du gouvernement.
De l’amélioration des conditions de vie à
une libéralisation des moeurs en passant par la
réforme des structures économiques, la lutte
contre la corruption, le respect des droits de
l’homme ou encore le pluralisme économique,
l’éventail des revendications qui ont porté à la
présidence Mohamad Khatami est bien vaste.
Surtout, il dit qu’être l’heureux candidat de la
société civile cristallise autour de l’impétrant
des aspirations si éclatées et des espoirs si divers
qu’un éventuel échec s’en trouverait d’autant
plus aggravé.
On l’aura compris, la tâche à laquelle se trouve
désormais confronté M. Khatami n’est pas des
plus simples. Porté par une vague de protestations contre la politique du gouvernement,
M. Khatami a bénéficié du soutien des radicaux
islamistes, d’une part, et de celui des libéraux
modernistes, de l’autre. Rappelons toutefois qu’il
s’agit en la matière d’une espèce de collusion
objective de deux factions politiques – partageant une même déception à l’endroit du pouvoir en place – plutôt que d’une alliance entre
forces constituées, du type de celle qui prévaut
en pays de multipartisme. En effet, même si
l’idée commence à faire son chemin, et pourrait
être reprise à son compte par le président, il n’y
a pas de partis en Iran.
Un soutien hétérogène
Le nouveau président devrait pouvoir compter
avec le soutien d’une partie de la hiérarchie religieuse, du moins celle qui se montre fondamentalement hostile à la confusion entre politique et
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
97
religion. M. Khatami pourra sans doute bénéficier de l’appui de ce que l’on appellerait dans la
terminologie chrétienne le « bas clergé », dans la
mesure où il appartient à la lignée du Prophète :
intellectuel musulman respectable, il serait ainsi
en position de récupérer le message « moderniste » de Khomeyni. Enfin, rien ne permet d’exclure que le corps des pasdarans (les désormais
célèbres gardiens de la révolution) se solidarise
avec le président élu. Parce qu’il est lui-même
religieux et fils de religieux, M. Khatami peut
prétendre endosser les habits du rassembleur.
Sa première conférence de presse ès qualités a
montré un homme dont le credo de base est de
respecter tous les droits que la Constitution de la
République islamique reconnaît aux citoyens. En
clair, les abus ne sont que le produit de dérives :
revenir à la Constitution implique une lecture à
la lettre et, donc, un aggiornamento du régime.
Le chef de l’État en a indiqué la pente en se prononçant pour une « société de droit » qui conjuguerait la « diversité des opinions à l’intérieur » et
« l’unité et la solidarité à l’extérieur », une société
où « toutes les libertés civiles, sociales et culturelles
seront codifiées ». Dans son esprit, cette codification se fera par rapport à l’arbitraire qui est toujours la règle et qu’incarnent la police mais aussi
les groupes de pression tels les hezbollahis, tous
« commandeurs du bien » et « censeurs du mal ».
M. Khatami aura rapidement compris qu’il était
sous la haute surveillance du clan des perdants.
L’ayatollah Ahmad Janati, le secrétaire du Conseil
des gardiens, un organisme chargé de s’assurer de la conformité des lois avec les principes
de l’islam, a pu déclarer : « Il faut d’abord plaire
à Dieu. En deuxième position vient notre éminent
dirigeant, l’ayatollah Ali Khamenei. Ensuite vient
l’électorat. » On comprend que, dans ces conditions, sa tâche ne sera guère aisée. Il lui faudra
en effet pallier les insuffisances et les échecs des
réformes économiques engagées par le président sortant dès le début des années 90 tout en
sachant que le débat économique oppose des
forces mues non seulement par l’idéologie, mais
aussi par des intérêts concrets.
L’ouverture sur l’Occident
Concernant la question de l’ouverture en direction de l’Occident, M. Khatami défend une
position qui tranche singulièrement avec les
messages qui parviennent habituellement
de Téhéran. Selon lui, l’ouverture ne doit pas
être vécue comme une aliénation, mais plutôt comme un enrichissement. Dans un article
publié en avril dans le quotidien saoudien El
Hayat, le président pouvait écrire : « Certes la
religion est chose sacrée, mais il faut admettre que
nos représentations de la religion sont forcément
humaines. » Dès lors, soulignait-il, chacun est
amené à faire preuve d’« humilité » ; et d’ajouter :
« Nous [musulmans] devons jeter sur l’Occident un
regard neutre, exempt d’hostilité et d’amour. Nous
devons apprendre à le connaître (...) Nous devons
à la fois être vigilants quant à ses dangers et profiter de ses réalisations et de ses données humaines.
Cela est possible si nous atteignons une maturité
historique et intellectuelle. Nous pourrons alors
(...) choisir et assumer la responsabilité de notre
choix. » Sans doute l’Occident verra-t-il là un
signe encourageant pour l’avenir de ses relations avec Téhéran. Quoi qu’il en soit, celles-ci ne
paraissent pas prioritaires aux yeux du chef de
l’État, et on se méprendrait à attendre quelques
initiatives spectaculaires en la matière. De plus,
sur le front des questions symboliques, comme
l’affaire de la fatwa contre Salman Rushdie ou les
relations avec les États-Unis, nul ne peut ignorer que les adversaires du président conservent
un pouvoir de nuisance dont on ne peut imaginer qu’il disparaisse par la seule volonté d’un
homme, fut-il président de la République. Pour
bien des observateurs avisés de la « chose »
iranienne, M. Khatami passe pour être quelque
peu naïf parce qu’il sous-estimerait les pesanteurs du pays, son conservatisme idéologique,
économique et politique. On peut aussi espérer
qu’il saura ne pas perdre l’élan de la vague qui l’a
porté au pouvoir.
PHILIPPE FAVERJON
L’électorat de Khatami
Alors que l’on estimait qu’ils étaient totalement désabusés par le jeu politique en vase
clos des factions au pouvoir, les jeunes – qui
bénéficient du droit de vote à l’âge de quinze
ans révolus – se sont mobilisés massivement
pour le candidat Mohamad Khatami. Celuici a également bénéficié du soutien d’une
partie de l’électorat féminin et a été plébiscité par les intellectuels. Ces derniers se sont
souvenus du ministre de la Culture dont les
petites ouvertures lui avaient alors valu de
perdre son poste en 1992.
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24
Slovaquie
Référendum confus.
Moins de 10 % des électeurs participent au scrutin
après que le Premier ministre Vladimir Meciar a retiré
au dernier moment une des deux questions posées,
celle relative à l’élection du président de la République au suffrage universel. M. Meciar a agi ainsi par
hostilité envers son rival politique, le chef de l’État,
Michel Kovac. Un tel comportement s’est retourné
contre lui en soudant l’opposition, qui souhaite former un bloc électoral. L’autre question posée portait
sur l’adhésion de la Slovaquie à l’OTAN. 55 % des
votants se sont prononcés contre, mais leur nombre
trop restreint prive le vote de sa signification.
25
Afghanistan
Offensive des talibans.
Les « étudiants en théologie », qui contrôlent la plus
grande partie du pays depuis la prise de Kaboul en
septembre 1996, s’emparent, au nord, de Mazar-e
Charif, jusque-là dominée par le chef ouzbek Rachid
Dostom. Celui-ci a été contraint de lâcher prise après
la trahison d’un de ses principaux lieutenants qui a
rejoint le camp des talibans. Face à ces derniers, il ne
reste plus que le commandant tadjike Ahmed Shah
Massoud, replié dans la vallée du Panshir, vers la frontière nord-ouest. Moins de trois jours plus tard, les
talibans subissent un grave revers à Mazar-e Charif
après que leur allié ouzbek a de nouveau changé de
camp, rejoignant le général Dostom, pourtant trahi la
semaine précédente. Le 30, les troupes du commandant Massoud s’emparent d’une localité stratégique
à moins de 80 km au nord de Kaboul.
France
Premier tour des législatives.
La gauche obtient 42,10 % des suffrages exprimés
(dont 25,66 % pour le PS et les radicaux, 9,86 % pour
le PC et 3,66 % pour les Verts) contre 36,16 % pour
la droite (dont 16,49 % pour le RPR et 14,88 % pour
l’UDF) et 15,24 % pour le Front national, ce qui constitue pour la formation d’extrême droite son meilleur
score aux législatives. Le taux d’abstention s’élève à
32,04 % des inscrits. Ces résultats marquent un échec
net de la majorité sortante, qui est en recul de huit
points par rapport à ses résultats de 1993 et qui atteint ainsi son plus bas étiage depuis la fondation de
la Ve République. Dès le 26, Alain Juppé, dont beaucoup ont mis en avant l’impopularité, annonce qu’il
quittera son poste de Premier ministre quel que soit
le résultat final des élections. Le 28, Philippe Séguin
et Alain Madelin tiennent ensemble un meeting,
laissant entendre qu’ils constitueraient l’armature du
nouveau gouvernement si la majorité était reconduite. (chrono. 1/06)
Pologne
Référendum constitutionnel.
Par 52,71 % de « oui » contre 45,89 % de « non » pour
un taux de participation de 42,86 %, les électeurs
polonais approuvent le projet de nouvelle constitution présenté par le gouvernement social-démocrate
(ex-communiste). L’Église et la mouvance Solidarité
s’étaient violemment opposées à ce texte qui limite
les pouvoirs du président de la République et permet
aux citoyens de saisir le Tribunal constitutionnel sur
les décisions portant atteinte à leurs droits. Le 28, ce
Tribunal déclare inconstitutionnel le droit à l’avortement. Le parti social-démocrate annonce qu’il souhaite organiser un nouveau référendum sur ce point,
sachant que les sondages indiquent que 55 % des
Polonais sont favorables à l’IVG.
Sierra Leone
Coup d’État militaire.
Le président Ahmad Tejan Kabbah, démocratiquement élu en mars 1996, est renversé par un groupe
de militaires. C’est le troisième putsch de ce type que
connaît le pays depuis 1992. Le commandant Johnny
Paul Koroma s’autoproclame chef de l’État. Le président Kabbah doit quitter la capitale Freetown sous la
protection des troupes nigérianes, qui stationnent en
Sierra Leone depuis 1991 pour appuyer les autorités
dans leur lutte contre la rébellion du Front révolutionnaire uni (FRU). Les forces nigérianes présentes à
Freetown dans le cadre de la force d’intervention de
l’Ecomog tentent d’intervenir pour rétablir M. Kabbah dans ses fonctions. Elles sont mises en déroute
par les rebelles, qui font des centaines de prisonniers.
27
OTAN/Russie
Signature de l’accord de Paris.
Bill Clinton, Boris Eltsine, Jacques Chirac et les autres
responsables des pays membres de l’OTAN signent
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
99
à l’Élysée un accord normalisant les relations entre
la Russie et l’organisation militaire occidentale. Les
principaux points de cet accord, dit « Acte fondateur pour une nouvelle organisation de sécurité
en Europe », ont trait à l’instauration d’un conseil
conjoint permanent entre l’OTAN et la Russie, et à
l’affirmation par l’organisation euro-américaine de
son intention do ne pas déployer d’armes nucléaires
sur les territoires de ses futurs nouveaux adhérents.
En échange de son acceptation de voir des anciens
membres du pacte de Varsovie rejoindre l’OTAN, le
Kremlin aurait souhaité un accord ratifié par les Parlements respectifs et l’institution d’un droit de veto au
sein du conseil conjoint. Il aurait souhaité également
un engagement formel, et pas une simple déclaration d’intention, sur le non-déploiement des armes
nucléaires. Il a obtenu seulement la participation à
un processus de concertation.
29
Congo-Kinshasa
Prestation de serment de LaurentDésiré Kabila.
En présence des présidents José Eduardo Dos Santos (Angola), Pierre Buyoya (Burundi), Pasteur Bizimungu (Rwanda), Yoweri Museveni (Ouganda) et
Frederik Chiluba (Zambie), le nouveau dirigeant de
l’ex-Zaïre est intronisé chef de l’État. Il s’engage à
ce que des élections générales soient organisées
en avril 1999. La veille, il avait signé un décret-loi lui
conférant la totalité de l’autorité législative, exécutive
et militaire. Constatant que la nouvelle équipe gouvernementale ne comptait aucun membre de l’ancienne opposition à Mobutu, les partisans d’Étienne
Tshisekedi manifestent dans la rue. Les forces armées
répriment rapidement le mouvement. Le 30, les autorités de Kinshasa s’en prennent à l’ONU, dénonçant
ce qu’elles considèrent comme des « calomnies » lancées par le Conseil de sécurité à propos du massacre
des réfugiés hutus rwandais à l’est du pays. (chrono.
11/07)
Indonésie
Élections sous haute surveillance.
Après une campagne très violente, ayant causé
plusieurs dizaines de morts, le Golkar, parti du président Suharto, obtient 74 % des suffrages exprimés.
Il devance le PPP (parti du Développement uni, de
tendance islamiste), crédité de 23 % des suffrages, et
le PDI (Parti démocrate indonésien), qui s’effondre,
avec moins de 3 % des voix. En 1996, Megawati Sukarnoputri, fille de l’ancien président Sukarno, avait
été écartée de la tête de ce parti, car sa popularité
risquait de faire de l’ombre au chef de l’État. Le PPP
ne manque pas de dénoncer une fraude massive. Au
final, ces élections, destinées à rehausser l’image démocratique du régime, vont exactement dans le sens
inverse. Le rôle important dans la campagne d’une
des filles du président, Siti Hardiyanti Rukmana, a relancé les spéculations sur l’éventuelle candidature de
celle-ci à la succession de son père, âgé de soixantequinze ans.
31
Russie/Ukraine
Signature d’un traité de coopération.
Boris Eltsine et Leonid Koutchma signent un texte
mettant fin à cinq années de frictions entre leurs
deux pays. Depuis 1992, quatre accords avaient déjà
été signés concernant l’épineux problème de la flotte
russe de la mer Noire. Le nouveau texte entérine le
partage de cette flotte entre les deux marines, leur
rattachement au même port de Sébastopol dans
deux baies séparées et le paiement par Moscou à
Kiev d’un loyer annuel. Le compromis s’est d’autant
plus facilement imposé que les Russes ont compris
qu’ils n’avaient pas les moyens d’installer un nouveau
port sur la rive russe de la mer Noire.
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100
JUIN
1
France
Victoire de la gauche.
La gauche obtient 48,36 % des suffrages exprimés
(dont 38,85 % pour le PS) et 319 sièges (dont 245
pour le PS et ses apparentés, 37 pour le PC, 13 pour
les radicaux et 8 pour les écologistes). La droite est
créditée de 46,04 % des voix (dont 23,65 % pour le
RPR et 20,98 % pour l’UDF) et disposera de 257 sièges
dans la nouvelle Assemblée (dont 109 pour l’UDF et
140 pour le RPR). Avec 5,60 % des suffrages, le Front
national obtient un siège pour Jean-Marie Le Chevallier, maire de Toulon. Le taux d’abstention est de
28,61 %. Dès le lendemain, Jacques Chirac nomme
Lionel Jospin au poste de Premier ministre. Dans les
rangs de la majorité sortante, de fort remous se font
sentir. À l’UDF, François Léotard propose sa démission de la présidence de la fédération, qui est refusée,
mais doit laisser la direction du Parti républicain à
Alain Madelin et la présidence du groupe parlementaire à François Bayrou, le leader centriste de Force
démocrate. Au RPR, les tensions sont extrêmes. Une
grande partie des cadres refusent le maintien d’Alain
Juppé à la tête du parti jusqu’aux prochaines assises
du mouvement, prévues pour le mois de septembre.
Les partisans de Philippe Séguin et d’Edouard Balladur s’allient pour exiger le départ immédiat de l’ancien Premier ministre.
Le programme du
gouvernement de gauche
En faisant de l’emploi, et notamment de l’emploi
des jeunes, la priorité de son action, en plaidant
pour une relance salariale et en dénonçant l’Eu-
rope comptable de Maastricht, Lionel Jospin a mis
le social au coeur de sa campagne. Rien de révolutionnaire – un brin moderniste (avec un pari sur
les emplois nouveaux) et un brin traditionaliste
(rejet des privatisations) –, mais le style Jospin –
mélange de conviction, de rigueur affichée et de
modestie proclamée – a su emporter l’adhésion
d’un électorat désabusé et impatient.
Avec pour slogan de campagne « Changeons
d’avenir », le projet de la gauche n’a rien à voir
avec une nouvelle mouture des vieilles recettes
du programme commun de 1981. À l’époque, on
parlait de rupture avec le capitalisme, de redonner à l’État un rôle décisif, de nationaliser tous
azimuts et d’étendre de façon spectaculaire les
droits des salariés. Seize ans plus tard et après la
pratique à éclipse du pouvoir sous les deux septennats de François Mitterrand, rien de tout cela.
La gauche a appris à être modeste, à accepter les
vertus de l’économie de marché et les limites de
la planification. Le pragmatisme vole la vedette
à l’idéologie.
Une gauche d’autant plus modeste que, lorsque
Jacques Chirac annonce sa décision de dissoudre l’Assemblée, elle n’est pas prête. Certes,
depuis l’élection présidentielle de 1995, Lionel
Jospin s’est imposé comme son leader naturel.
Mais, tout occupé qu’il est à rénover le PS pour
lui redonner une crédibilité aux yeux de l’opinion, il veut donner du temps au temps pour
réussir ce vaste chantier et n’a aucun intérêt à
voir le calendrier électoral bousculé.
Sans doute, son parti a-t-il arrêté un programme
et désigné ses candidats quelques semaines
auparavant. Mais le programme n’est qu’un projet très général, repris en partie de ses thèmes
de la campagne présidentielle, et les candidats
– renouvellement politique oblige – sont des illustres inconnus. De plus, si des contacts existent
avec ses partenaires de la « gauche plurielle », les
communistes et les Verts notamment, rien n’est
encore formalisé. Au moment où s’ouvre la campagne, le PC de Robert Hue n’en est-il pas à réclamer un SMIC à 8 500 F ?
Pour un « capitalisme social »
Sans renouer avec les vieilles lunes, mais en
dénonçant le « capitalisme dur », la gauche va
mettre au coeur de son projet, national et européen, le social. Elle fait de l’emploi, et de l’emploi
des jeunes notamment, le fer de lance de sa campagne et n’hésite pas à jouer les iconoclastes en
rompant avec la pensée unique sur l’Europe. « Je
suis pour l’Europe mais pas pour n’importe quelle
Europe. Ne comptez pas sur moi pour le strict res-
pect des critères de Maastricht s’ils doivent imposer une nouvelle cure d’austérité au pays », martèle
Lionel Jospin.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
101
En réalité, le premier secrétaire du PS va surfer pendant cette campagne électorale sur la
vague de désenchantement que connaît le pays
après l’élection de Jacques Chirac à l’Élysée, en
1995. Les Français ont le sentiment d’avoir été
trompés et que ceux qui les gouvernent sont
à mille lieues de leurs préoccupations. On leur
avait promis la réduction de la fracture sociale ?
Après deux ans d’Alain Juppé à Matignon, rien
n’a changé pour eux. Les promesses n’ont pas
été tenues, le chômage continue à augmenter
et la logique d’une Europe monétaire et financière, d’une Europe comptable, semble primer
sur toute autre considération.
Fort de ce constat, de l’image de rigueur morale
dont il bénéficie dans l’opinion, Lionel Jospin
va jouer la carte du contrat de confiance avec
elle sur le thème : « Je dis ce que je fais et je fais
ce que je dis. » Et, inlassablement, il répète aux
siens : « Pas de promesses que nous ne pouvons
pas tenir. » Résultat : ce n’est pas le « grand soir »
programmé mais des mesures concrètes s’étalant sur la durée de la législature.
L’épreuve du réel
C’est d’abord le Plan-Emploi-Jeunes, la priorité
des priorités et la grande attente des Français. La
création de 700 000 emplois, pour moitié dans
le secteur public, pour moitié dans le secteur
privé, réservés aux jeunes de moins de 25 ans
par le biais de contrats à durée déterminée renouvelables pendant cinq ans. C’est l’annonce
d’une relance salariale et d’une loi-cadre sur la
réduction à 35 heures du temps de travail hebdomadaire sans diminution de pouvoir d’achat.
C’est la convocation de tous les partenaires
sociaux à la conférence sur les salaires, l’emploi
et la réduction du temps de travail. L’Europe de
Maastricht impose des privatisations et des restructurations, synonymes de plans sociaux ? Pas
question de nationaliser, c’est passé de mode,
mais la gauche arrête les privatisations en cours
(Thomson, Air France...) et émet des réserves sur
l’euro. Au sommet d’Amsterdam, une fois élu,
Lionel Jospin, pour faire contrepoids au pacte de
stabilité monétaire et de croissance, fera adopter
un volet social au traité.
En matière de fiscalité, si ce n’est pas la baisse
des prélèvements obligatoires, c’est un rééquilibrage entre l’imposition des revenus du travail et ceux de l’épargne et l’assurance qu’une
réforme du crédit contribuera à réduire les
charges financières qui pèsent contre l’emploi,
notamment pour les PME-PMI. Au programme,
également, l’immigration avec la suppression
des lois Pasqua-Debré, le rétablissement du droit
du sol et la garantie du droit d’asile ; l’amélioration de la vie démocratique avec l’annonce d’un
renforcement des pouvoirs du Parlement et de la
limitation du cumul et de la durée des mandats
électifs et, sur fond d’affaires politico-judiciaires,
une meilleure justice avec la suppression du lien
entre le garde des Sceaux et le parquet.
Reste maintenant à un Lionel Jospin, installé à
l’hôtel Matignon, à tenir ses engagements de
candidat... tout en affrontant le réel. L’opinion
qui, avec Alain Juppé, a montré son impatience
et son peu de goût pour les promesses non tenues sera là pour les lui rappeler. Sa « majorité
plurielle » aussi.
BERNARD MAZIÈRES
Les principaux points de la
déclaration commune PS-PC
Salaires : « La France est en état d’urgence.
Une politique fondée sur la relance du pouvoir d’achat, de la consommation et de l’emploi doit être immédiatement engagée. »
Emploi : « La lutte contre le chômage et
pour l’emploi constitue une priorité absolue.
Il est nécessaire de mettre en oeuvre une politique cohérente de création d’emplois, dont
700 000 emplois pour les jeunes. »
Temps de travail : « Adoption d’une loicadre qui abaisse, sans diminution de salaires, l’horaire hebdomadaire de travail à
35 heures. »
Privatisations : « Arrêt des processus de
privatisation de France Télécom, Thomson,
Air France. »
Immigration : « Substituer aux lois PasquaDebré une véritable politique de l’immigration, rétablir le droit du sol et garantir le
droit d’asile. »
Europe : « Redonner du sens à l’Europe en
dépassant le traité de Maastricht. »
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
102
2
Canada
Victoire du Parti libéral.
Le parti du Premier ministre sortant, Jean Chrétien,
obtient de justesse la majorité absolue avec 155 députés sur un total de 301, perdant 19 sièges par
rapport à l’assemblée précédente. Avec 60 sièges, le
parti de la Réforme (RP, droite populiste) devient le
deuxième parti canadien, ravissant le titre d’« opposition officielle » aux souverainistes du Bloc québécois,
qui passent de 50 à 44 sièges. Le Nouveau Parti démocrate (NPD, socialiste) et le Parti conservateur sont
crédités respectivement de 21 et 20 sièges. Le scrutin
semble confirmer le découpage régional de la politique canadienne : le Parti de la réforme s’implante
dans les provinces occidentales, tandis que le Parti
libéral remporte les deux tiers de ses succès et que
le Bloc québécois représente la Belle Province, même
si ses adversaires constatent que 60 % des électeurs
québécois ont voté pour un autre parti que le BQ, ce
qui augure mal des chances que le « oui » l’emporte
dans un éventuel troisième référendum sur l’indépendance du Québec.
3
Allemagne
Recul du gouvernement.
Le chancelier Helmut Kohl et son ministre des
Finances Theo Waigel doivent renoncer à leur idée
de réévaluer le stock d’or de la Bundesbank afin
de trouver de nouvelles ressources permettant
d’équilibrer les finances publiques. Ce projet, motivé par la nécessité de correspondre en 1998 aux
critères fixés par le traité de Maastricht, a rencontré
l’opposition résolue des dirigeants de la Banque
centrale, fort attachés aux principes de l’orthodoxie financière. Cette affaire affaiblit politiquement
le chancelier à un an des élections législatives et
rend plus difficile encore la préparation du budget
1998, alors que le chômage touche plus de 4,4 millions de personnes et que l’activité économique
reste peu soutenue.
Israël
Départ de Shimon Pérès.
Ehud Barak succède a l’ancien Premier ministre à
la tête du Parti travailliste. Âgé de cinquante-cinq
ans, M. Barak est un militaire aux prestigieux états
de service. Il appartient à la mouvance de droite
du parti. Nommé ministre des Affaires étrangères
après la mort de Yitzhak Rabin, il a acquis la réputation d’un politicien favorable au processus
de paix mais à des conditions sévères pour les
Palestiniens.
4
France
Nouveau gouvernement.
Lionel Jospin communique la formation de son nouveau gouvernement. Celui-ci comporte 16 ministres,
dont 2 ministres délégués, et 10 secrétaires d’État.
8 femmes y figurent. Les socialistes et apparentés
occupent 18 postes, les communistes 3, comme les
radicaux, tandis qu’au ministère de l’Intérieur JeanPierre Chevènement représente le Mouvement des
citoyens et qu’à celui de l’Aménagement du territoire
et de l’Environnement Dominique Voynet incarne les
Verts. La moyenne d’âge du gouvernement, le plus
ramassé depuis 1962, est de 51 ans et demi. Les principaux portefeuilles sont occupés par des socialistes :
Martine Aubry, no 2 du gouvernement, à l’Emploi et
à la Solidarité, Élisabeth Guigou à la Justice, Hubert
Védrine aux Affaires étrangères, Dominique StraussKahn à l’Économie (dont le périmètre est étendu à
l’Industrie, avec quatre secrétariats d’État, dont l’un
englobe les Postes et Télécommunications), Alain
Richard à la Défense et Claude Allègre à l’Éducation
nationale et à la Recherche. Catherine Trautmann,
ministre de la Culture et de la Communication, est
porte-parole du gouvernement. On remarque qu’aucun des « ténors » socialistes des années 80, à l’exception de Jean-Pierre Chevènement et de Lionel Jospin
lui-même, ne figure dans la nouvelle équipe gouvernementale, que les ex-fabiusiens n’y sont représentés
que par un seul secrétaire d’État et la gauche socialiste, par personne.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
103
Le gouvernement de
Lionel Jospin
(5 juin 1997)
Premier ministre : Lionel Jospin (PS)
Ministres
Emploi et Solidarité : Martine Aubry (PS)
Garde des Sceaux, ministre de la Justice :
Élisabeth Guigou (PS)
Éducation nationale, Recherche et Technologie : Claude Allègre (PS)
Intérieur : Jean-Pierre Chevènement (MDC)
Affaires étrangères : Hubert Védrine (PS)
Économie, Finances et Industrie : Dominique Strauss-Kahn (PS)
Défense : Alain Richard (PS)
Équipement, Transports et Logement :
Jean-Claude Gayssot (PCF)
Culture et Communication, porte-parole du
gouvernement : Catherine Trautmann (PS)
Agriculture et Pêche : Louis Le Pensec (PS)
Aménagement du territoire et Environnement : Dominique Voynet (Verts)
Relations avec le Parlement : Daniel Vaillant
(PS)
Fonction publique, Réforme de l’État et
Décentralisation : Émile Zuccarelli (PRS)
Jeunesse et Sports : Marie-George Buffet
(PCF)
Ministres délégués
Auprès du ministre des Affaires étrangères.
Affaires européennes : Pierre Moscovici (PS)
Auprès du ministre de l’Éducation nationale, de
la Recherche et de la Technologie. Enseignement scolaire : Ségolène Royal (PS)
Secrétaires d’état
Auprès du ministre de l’Intérieur. Outre-mer :
Jean-Jack Queyranne (PS)
Auprès du ministre de l’Emploi et de la Solidarité. Santé : Bernard Kouchner (PRS)
Auprès du ministre des Affaires étrangères.
Coopération : Charles Josselin (PS)
Auprès du ministre de l’Équipement, des
Transports et du Logement. Logement : Louis
Besson (PS)
Auprès du ministre de l’Économie, des Finances
et de l’Industrie. Commerce extérieur :
Jacques Dondoux (PRS)
Budget : Christian Sautter
PME, Commerce et Artisanat : Marylise
Lebranchu (PS)
Industrie : Christian Pierret (PS)
Auprès du ministre de la Défense. Anciens
combattants : Jean-Pierre Masseret (PS)
Auprès du ministre de l’Équipement, des Transports et du Logement. Tourisme : Michelle
Demessine (PCF)
* Ministre ou secrétaire d’État ayant déjà appartenu à un gouvernement.
PS : Parti socialiste. PCF : Parti communiste français. PRS : Parti radical socialiste.
5
Algérie
Victoire des partisans de Liamine
Zeroual.
Avec une participation officiellement chiffrée à
66,30 %, le bloc gouvernemental obtient 219 sièges,
contre 103 pour la mouvance islamiste et 38 pour
les démocrates. Au sein du bloc gouvernemental, le
Rassemblement national démocratique (RND, parti
du président Zeroual) arrive en tête avec 155 sièges,
devant le Mouvement social pour la paix (MSP, exHamas), 69 sièges, et le Front de libération nationale (FLN), 64 sièges. Dans la mouvance islamiste,
on remarque la percée du mouvement Enhada
(34 sièges), aussitôt interprétée comme un avertissement du pouvoir envers le MSP de Mafoud Nahnah.
Celui-ci, comme les partis démocratiques, dénonce
les fraudes massives du pouvoir qui aurait, selon eux,
arrangé les résultats avant même la tenue du scrutin.
Le 8, la Mission d’observation des Nations unies critique les conditions dans lesquelles se sont tenues
ces élections législatives, mettant en cause les bureaux de vote spéciaux mis à la disposition des forces
armées, soit 1 million d’électeurs sur un total de
17,5 millions. Washington qualifie le scrutin algérien
de « petit pas en avant », faisant observer que le parti
du président n’a pas la majorité à lui seul et qu’une
large partie de l’opposition a pu s’exprimer au cours
de la campagne. Le 25, le Premier ministre sortant,
Ahmed Ouyahia, présente un nouveau gouverne-
ment où figurent sept ministres et secrétaires d’État
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
104
du MSP (contre 2 dans le gouvernement précédent).
(chrono. 15/07)
Congo-Brazzaville
Affrontements armés dans la capitale.
Les partisans de l’ancien président Denis SassouNguesso et du chef de l’État Pascal Lissouba, élu
depuis 1992, s’affrontent armes à la main dans les
rues de la capitale. Les troubles ont commencé
après que la résidence de M. Sassou-Nguesso a été
encerclé par les milices « zouloues » du président Lissouba. Les forces acquises à l’ancien dirigeant, dites
milices « cobras », ont alors riposté en occupant les
quartiers nord de la ville. On déplore rapidement des
centaines de victimes, notamment dans la population civile, et les ressortissants étrangers sont rapidement évacués par les troupes françaises stationnées
sur place ou dépêchées pour l’occasion. La situation
du pays était mauvaise depuis plusieurs années. La
corruption était présente à tous les niveaux et la rivalité entre les compagnies pétrolières française (Elf)
et américaine (Occidental Petroleum) avait attisé les
rivalités ethniques. Après avoir renforcé son dispositif
militaire en le portant à 1 200 hommes afin de mieux
assurer l’évacuation des étrangers, la France se cantonne à une attitude de stricte neutralité. Dans les
semaines qui suivent, les affrontements demeurent,
malgré une tentative de cessez-le-feu. (chrono. 8/08)
6
Irlande
Victoire du centre droit.
La coalition de centre droit dirigée par Bertie Ahern
l’emporte sur la coalition sortante qui regroupait,
sous la direction de John Bruton, le Fine Gael (centre
droit), le Labour et la gauche démocratique. Âgé de
quarante-cinq ans, M. Ahern devra réunir dans sa
coalition le Fianna Fail (populiste), les Démocrates
progressistes (ultra-libéraux) et les indépendants.
Il passe pour plus favorable aux républicains d’Ulster que son prédécesseur. On estime que le changement de gouvernement en Irlande ne devrait
pas faciliter le processus de paix au nord sans le
rendre impossible pour autant. Le 16, on déplore le
meurtre de deux policiers en Ulster. (chrono. 25/06)
7
Indo
nésie
Affrontements au Timor-Oriental.
Des manifestants, favorables à l’organisation séparatiste Fretilin, provoquent des incidents graves dans la
ville de Dilin, mettant le feu à des boutiques tenues
par des commerçants indonésiens.
8
Tennis
Victoire d’Iva Majoli et de Gustavo
Kuerten à Roland-Garros.
À la surprise générale, la joueuse croate et le joueur
brésilien remportent les Internationaux de France en
battant respectivement la Suissesse Martina Hingis et
l’Espagnol Sergi Bruguera.
9
Haïti
Démission du Premier ministre.
Au pouvoir depuis février 1996, Rosny Smarth quitte
son poste de Premier ministre. La crise est née lors
du premier tour des élections législatives et locales
en avril. Les partisans de M. Smarth et de son parti
l’Opération politique Lavalas (OPL) estimaient que
cette consultation avait été truquée par les militants
du mouvement « la Famille Lavalas », favorable à
l’ancien président Jean-Bertrand Aristide. Écarté du
pouvoir sous la pression des Américains, celui-ci
marquait son opposition à la politique jugée trop
« néo-libérale » de M. Smarth. Jean-Bertrand Aristide
se replace ainsi dans le jeu politique haïtien en vue
des prochaines élections présidentielles qui auront
lieu en 2000. (chrono. 28/07)
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
105
11
Religion
Annulation d’une rencontre entre Jean-
Paul II et Alexis II.
Le Saint-Synode de Moscou publie un communiqué indiquant que « les conditions pour organiser une
rencontre fructueuse encre l’Église orthodoxe et l’Église
catholique ne sont pas réunies ». On explique ce grave
revers pour l’oecuménisme par la résistance des
courants conservateurs de l’Église orthodoxe russe.
(chrono. 22/07)
13
Allemagne/France
Désaccord entre les deux
gouvernements.
Réunis au sommet franco-allemand de Poitiers, les
dirigeants des deux pays constatent leurs différences
d’approche à quatre jours du conseil européen
d’Amsterdam. Helmut Kohl rejette le volet social que
Lionel Jospin voudrait faire accepter par l’Union européenne afin de faire contrepoids au pacte de stabilité budgétaire. Il exclut également toute dépense
supplémentaire destinée à faire reculer le chômage,
tout élargissement des compétences de la Commission et tout infléchissement du pacte de stabilité.
(chrono. 17/06)
15
Croatie
Réélection de Franjo Tudjman.
Après une campagne houleuse, le président sortant
l’emporte sur ses deux concurrents, le social-démocrate Zdravko Tomac et le social-libéral Vlado Gotovac. Âgé de soixante-quinze ans, M. Tudjman a axé sa
campagne sur l’approfondissement de la personnalité croate alors que les candidats de l’opposition insistaient davantage sur les problèmes économiques et
sociaux du pays.
17
UE
Sommet en demi-teintes.
Les Quinze aboutissent le 16 à un compromis entre
les thèses françaises et les thèses allemandes sur le
fonctionnement de l’Union économique et monétaire (UEM) à partir de 1999. Le gouvernement socialiste français accepte de signer le pacte de stabilité monétaire élaboré en décembre 1990 (maintien
strict d’un déficit budgétaire inférieur à 3 %) et qu’il
avait fortement critiqué ; en contrepartie, les autorités allemandes acceptent d’ajouter au pacte de discipline budgétaire une résolution sur l’emploi stipulant
que les membres de l’Union doivent coordonner
leurs politiques économiques afin de prendre en
compte davantage les questions liées à l’emploi. Les
observateurs font remarquer que cet engagement
ne signifie pas grand-chose et que, de toute façon,
Helmut Kohl s’est opposé à tout engagement de crédits nouveaux en faveur de la création d’emploi au
niveau européen. Les partisans des thèses françaises
soulignent le fait que, pour la première fois, la dimension de l’emploi a été placée au coeur du dispositif de
l’Union. Le 17, les Quinze ne parviennent pas à s’entendre sur la réforme des institutions européennes
pourtant rendue plus nécessaire par la perspective
de l’adhésion prochaine de nouveaux membres. Les
principaux points d’achoppement touchaient à la
pondération des voix de chaque pays en fonction
de sa population et à la généralisation du vote à la
majorité qualifiée, plutôt qu’à l’unanimité, au Conseil
des ministres. Le chancelier Kohl, déjà en campagne
pour les élections allemandes de 1998, a exigé que le
maximum de matières demeure l’objet d’un vote à
l’unanimité, tandis que les petits pays se sont opposés à toute pondération des voix qui les aurait défavorisés au profit des grands pays plus peuplés.
18
Cambodge
Affrontements à Phnom Penh.
Des militants du Funcinpec, parti royaliste du coPremier ministre le prince Norodom Ranariddh, s’opdownloadModeText.vue.download 107 sur 361
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106
posent les armes à la main à des partisans du Parti du
peuple cambodgien (PPC), dirigé par le second Premier ministre Hun Sen. Ces violences interviennent
alors que des rumeurs persistantes font état de la
reddition, voire de la mort, du dirigeant des Khmers
rouges, Pol Pot. Royalistes et ex-communistes
cherchent à récupérer les dernières troupes khmères
rouges afin de renforcer leurs camps respectifs. L’opinion réclame un procès international contre Pol Pot,
responsable de la mort de 2 à 3 millions de Cambodgiens entre 1975 et 1979, mais beaucoup doutent
de la possibilité d’un tel procès qui mettrait en cause
trop de monde. (chrono. 5/07)
France
Coup de filet dans les milieux
pédophiles.
Les services de gendarmerie procèdent à de nombreuses perquisitions chez des pédophiles possédant
des cassettes vidéo montrant des scènes sexuelles
avec des mineurs. Plus de 200 mises en examen sont
prononcées et 20 personnes sont mises en garde à
vue, notamment Bernard Alapetite, spécialisé dans
l’édition et la vente par correspondance de cassettes
pornographiques. À la suite de cette opération,
cinq hommes mis en examen se suicident. Certains
s’inquiètent alors de l’émotion causée par ces opérations « coup de poing » et craignent une assimilation
trompeuse entre pédophilie et homosexualité.
Turquie
Démission du Premier ministre.
Au pouvoir depuis juin 1996, Necmettin Erbakan,
chef du para de la Prospérité (Refah, islamiste),
démissionne de son poste et recommande son
remplacement par son alliée au gouvernement,
Mme Tansu Ciller, chef du parti de la Juste Voie (DYP,
droite). Depuis plusieurs mois, M. Erbakan était en
butte à l’hostilité du haut commandement militaire,
farouchement attaché à la laïcité de l’État. Le 20, le
président Süleyman Demirel désigne Mesut Yilmaz,
chef du parti de la Mère Patrie (Anap, droite), pour
former le nouveau gouvernement. Âgé de quaranteneuf ans, bénéficiant d’une réputation d’intégrité,
M. Yilmaz est un moderniste attaché à la laïcité. De
mars à juin 1996, il avait dirigé un gouvernement de
coalition avec Mme Ciller, mais leur inimitié réciproque
avait eu rapidement raison de leur alliance politique.
M. Erbakan et Mme Ciller critiquent la décision du chef
de l’État alors que deux partis de gauche se déclarent prêts à soutenir la tentative de M. Yilmaz. Ce dernier a fait savoir qu’il était favorable à des élections
anticipées au printemps 1998. Il forme un gouvernement avec le parti de la Gauche démocratique (DSP,
gauche nationaliste) et la Turquie démocratique (DTP,
droite). Grâce à quelques défections au sein du DYP, il
dispose de la majorité à la Chambre.
19
France
Discours de Lionel Jospin.
À l’Assemblée nationale, le Premier ministre prononce
un discours de politique générale qu’il intitule « nouveau pacte républicain » et « pacte de développement
et de solidarité ». Le programme présenté consiste en
45 mesures. Elles ont trait à la vie politique (parité
hommes-femmes inscrite dans la Constitution, limitation accrue du cumul des mandats, harmonisa-
tion à cinq ans de la durée des mandats électifs), à
l’immigration (réexamen de la loi sur la nationalité,
rétablissement de la loi du sol, examen par les préfets de la situation des sans-papiers), à la justice et
à la police (carrière de tous les magistrats garantie
par le Conseil supérieur de la magistrature, suppression de toute intervention du garde des Sceaux au
cours de l’instruction, renfort de 35 000 emplois de
proximité pour la police, instance indépendante de
contrôle déontologique pour la police), à l’écologie
(abandon de Superphénix, arrêt du projet de canal
Rhin-Rhône) et à la vie sociale (semaine de 35 heures
en cinq ans, hausse du SMIC de 4 %, remise en cause
de la législation sur les fonds de pension, allocation
de rentrée scolaire portée de 420 à 1 600 francs, création de 700 000 emplois pour les jeunes, allocations
familiales placées sous conditions de ressources). Si
la plupart des mesures annoncées étaient attendues,
celle concernant les allocations familiales soulève
aussitôt des protestations. M. Jospin avait annoncé
un plafond de ressources par famille de 25 000 francs
au-delà duquel les allocations n’étaient pas versées.
Les associations, les syndicats et le Parti communiste
s’opposent à ce projet de limitation, alors que les sondages indiquent que 63 % des personnes interrogées
y sont favorables.
France
Jean-François Revel élu à l’Académie
française.
Le journaliste et essayiste, âgé de soixante-treize ans,
est élu au second tour de scrutin, par 16 voix contre
14 au romancier Henri Coulonges. Ancien résistant,
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
107
philosophe de formation, il publie en 1957 son premier ouvrage, Pourquoi des philosophes ? Il travaille
ensuite à l’Express, dont il devient directeur de 19 78 à
1981. Il se fait connaître du grand public avec Ni Marx,
ni Jésus, publié en 1970.
Grande-Bretagne
Nouveau leader au Parti conservateur.
William Hague succède à John Major à la tête du
parti tory. Âgé de trente-six ans, il a été parrainé en
politique par Margaret Thatcher. Il incarne la ligne euro-sceptique opposée à celle de son principal concurrent à la direction du parti, Kenneth Clarke, centriste
et europhile. Après le scrutin, M. Clarke déclare qu’il
ne siégera pas au « cabinet fantôme » (contre-gouvernement), confirmant ainsi l’orientation fortement
droitière de la formation conservatrice.
21
Espagne
Départ de Felipe Gonzalez.
À la surprise générale, l’ancien chef du gouvernement annonce qu’il quitte la direction du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), qu’il dirigeait depuis
plus de vingt-trois ans. Il est remplacé par Joaquin
Almunia, quarante-neuf ans, un de ses proches collaborateurs, qui se situe au centre droit du parti et professe un intérêt marqué pour les idées de Tony Blair.
Ce brusque départ de M. Gonzalez est expliqué par la
volonté de celui-ci de rénover le parti et d’avoir, le cas
échéant, les coudées plus franches pour se présenter
à nouveau à la direction du gouvernement lors des
prochaines élections ou pour prendre des responsabilités au niveau européen.
22
G8
Dissensions euro-américaines.
Le groupe des sept nations les plus industrialisées
du monde, auquel s’est jointe la Russie, achève ses
travaux après deux jours de réunion à Denver, dans le
Colorado. Le sommet, dont l’ordre du jour comptait
un très grand nombre de sujets (économie, santé,
démographie. Afrique, Irak, Bosnie, écologie, etc.),
n’a pu déboucher sur aucune décision concrète. Les
quatre dirigeants européens (l’Allemand Kohl, le Britannique Blair, le Français Chirac et l’Italien Prodi) se
sont sentis parfois agacés par les leçons que n’a pas
manqué de leur infliger Bill Clinton en matière de politique économique et d’emploi, revenant avec insistance sur l’excellence du modèle américain. Jacques
Chirac n’a pu obtenir de son homologue américain
qu’il revienne sur son double refus d’accepter la Roumanie au sein de l’OTAN et de confier le commandement de la zone sud de cette organisation militaire
à un général européen. Par ailleurs, les dirigeants
européens se sont également vu opposer une fin de
non-recevoir par M. Clinton à leur demande d’engagement sur une réduction des émissions de gaz carbonique dans l’atmosphère. Le sentiment général
est que le G7 + 1 ne sert plus à grand-chose sinon à
promouvoir l’idée du leadership américain et, accessoirement, à conforter l’image de Boris Eltsine.
23
États-Unis
Accord avec les fabricants de cigarettes.
En échange de l’abandon des nombreuses poursuites judiciaires intentées par les victimes de la
nicotine et leurs familles, les cigarettiers américains
s’engagent à verser sur vingt-cinq ans 2 200 milliards
de francs au profit de ceux-ci ou à celui d’organismes
de santé. Ils renoncent par ailleurs aux panneaux publicitaires et au sponsoring sportif. Les responsables
sanitaires dans le reste du monde, et notamment en
Europe, s’inquiètent de cet accord qui devrait avoir
pour conséquence d’aiguiser l’agressivité commerciale des fabricants d’outre-Atlantique sur les marchés étrangers.
24
France
Élection d’Alain Madelin.
L’ancien ministre de l’Économie est élu à la tête du
Parti républicain avec 59,9 % des voix, devant Gilles
de Robien, crédité de 37,3 %. La formation change
de nom pour s’appeler Démocratie libérale. M. Madelin était soutenu par le président sortant, François
Léotard, qui compte faire ainsi alliance avec lui afin
de renforcer sa position à la tête de l’UDF contre les
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
108
ambitions du président de Force démocrate, François
Bayrou.
25
France
Mort de Jacques-Yves Cousteau.
L’explorateur et cinéaste des fonds sous-marins,
universellement connu, meurt à Paris à l’âge de
quatre-vingt-sept ans. Officier de marine, il découvre
la plongée dans les années 30. Pendant la guerre, il
participe à la Résistance (ce que certains contestent)
tout en inventant avec l’ingénieur Émile Gagnan le
scaphandre autonome à bouteilles d’air comprimé.
Il commercialise cette invention après la guerre, ce
qui fait sa fortune. À partir des années 50, il lance
des expéditions océanographiques avec son fameux
bateau la Calypso et réalise avec Louis Malle le film le
Monde du silence, qui obtient la palme d’or à Cannes
en 1956. Au cours des années 60, il devient un des
pionniers de l’écologie et met sa notoriété au service
de la défense de la nature. Élu à l’Académie française
en 1988, il continue à être actif jusqu’à la fin de sa
vie, à monter des expéditions à travers le monde et
à réaliser des films pour la télévision. Parfois contesté
pour sa dureté en affaires ou pour le manque de
rigueur scientifique de ses films, il demeure cependant reconnu comme le premier des écologistes,
qui a permis, notamment, de protéger l’Antarctique
de toute exploitation industrielle. Sa disparition est
saluée dans toutes les grandes capitales.
Grande-Bretagne
Ouvertures sur l’Ulster.
Tony Blair propose un compromis en Irlande du
Nord : un cessez-le-feu de l’IRA contre l’ouverture de
négociations. Celles-ci devraient commencer en septembre, six semaines après l’arrêt des violences, et
s’achever en mai 1998. Le désarmement des groupes
nationalistes et unionistes devrait intervenir pendant
ces négociations, et non pas avant, comme le réclamaient les organisations protestantes, ni après, ainsi
que le voulait l’IRA. En présentant ainsi un calendrier
politique, le Premier ministre britannique innove,
mais il est clair qu’il ne propose pas plus qu’une autonomie renforcée pour l’Uster et certainement pas
le rattachement de cette province à la république
d’Irlande.
L’effet Calypso
À l’image des appréciations mitigées et controversées qu’inspira le personnage public, il est
malaisé – et trop tôt – de porter un jugement
serein sur ce que certains hésitent à appeler
l’« oeuvre scientifique » de Cousteau. Pour ce
faire, il faut renoncer au vitriol ou à l’encens,
oublier ses approximations imprudentes au-delà
d’un domaine qui n’était pas le sien. Certes, ses
relations avec les scientifiques, au rang desquels
il ne s’est pas compté (en témoigne la liste de ses
« travaux »), sont devenues, après les années 70,
plus distendues, et même tendues durant sa
« dérive médiatique ». Mais il restera toujours,
entre les chercheurs et lui, la distance et les liens
d’une sympathie agacée, cet homme d’instinct
comprenant mieux que quiconque leurs besoins
en moyens, en engins et en audience.
Dans leur mémoire, il restera le commandant
de la mythique Calypso et un instrumentiste habile, toujours à l’affût d’innovations, de perfectionnements qui, peu à peu, enrichirent, encombrèrent son pont et ses cales. Bricoleur doué, il
se fit, dès les années 50, créateur, promoteur et
exploiteur de ce qu’il appelait des « techniques
secondaires », destinées à faciliter, diversifier,
étendre le travail en station et en croisière. Parmi
ces appareillages, citons le câble de Nylon pour
le mouillage et le dragage de grands fonds ; ou
les émetteurs sonores dont les « tic-tic » localisent les engins à la mer. Même généralisation
de la caméra pour étudier les eaux et les fonds :
la photo prise par le scaphandrier ou par la « troïka » (traîneau tracté au ras du fond) ; la télévision
et le cinéma dont il fut un producteur prolifique.
Dans ce métier de chasseur d’images, il a beaucoup retiré de ses relations avec des Américains,
comme, par exemple, Harold Edgar Edgerton
(1903-1990), appelé « Papa Flash », professeur au
MIT, qui, durant les années 60, construisit pour
la Calypso des caméras sensibles et résistantes,
capables de photographier les animaux pélagiques et benthiques jusqu’à plus de 7 000 m.
C’est par plus de 7 500 m de fond, dans la fosse
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
109
de la Romanche, qu’il établit son record (Atlantique équatorial, juillet 1956).
Le symbole d’une génération
Bien sûr, à ses yeux, la « technique première »
sera toujours l’engin de plongée et la vision humaine directe, par le scaphandre autonome dont
il adapta et popularisa l’emploi hors des sphères
scientifiques (comme dans les maisons sous la
mer des opérations « Précontinent » I, II et III, qui
ont apporté d’utiles informations sur la physiologie de la plongée et la géologie prélittorale)
et, surtout, par le sous-marin, vite appelé « soucoupe plongeante » en ces temps d’engouement
extraterrestre. À plus d’un tiers de siècle de distance, on mesure mal ce que le nouveau type de
submersible apportait, aux pétroliers en quête
d’un véhicule pratique pour reconnaître et visiter
les champs offshore comme aux scientifiques insatisfaits de l’emploi des pesants bathyscaphes.
Conçues vers la fin des années 50, mises au point
et construites durant la décennie suivante, les virevoltantes SP : 350 puis 3 000 (achetée, perfectionnée par le CNEXO qui l’exploita sous le nom
de Cyana) furent à l’image et à l’origine de toute
une généalogie de submersibles en Amérique
et en Europe. Les chercheurs, les prospecteurs,
le public adoptèrent d’emblée ces étonnantes
boules aplaties et légères, élégantes sous leur
coiffe et leur visière de plastique, capables de
toutes les prouesses d’escalade, auxquelles on
doit des découvertes qui firent date (canyons,
vallée centrale des dorsales, sources abyssales).
Ce n’est pas diminuer les mérites pionniers de
Cousteau de dire qu’il illustra et fut porté par un
mouvement semblable en d’autres pays. Sans
l’audience qu’il lui impulsa, peut-être eût-il progressé à pas plus mesurés. Il restera le symbole
d’une époque désormais révolue : celle de la
première génération de l’image, qui eut besoin
de l’émerveillement et du spectacle pour porter
la découverte des profondeurs à l’avant-garde
du savoir moderne ; celle qui précéda l’imagerie satellitaire et automatique, l’invasion de
l’ordinateur et l’informatisation intégrale des navires. C’est en faisant de la plongée en submersible le merveilleux scientifique de ce temps-là
qu’il demeurera à jamais un de nos derniers
« savanturiers ».
JEAN-RENÉ VANNEY
Pour en connaître plus
sur J.Y. Cousteau et l’océanographie de
son temps, lire :
Jacques-Yves Cousteau (en collaboration
avec S. Schiefelbein), l’Homme, la pieuvre
et l’orchidée, Laffont et Plon, 1997.
P. Dupont, les Héritiers de Neptune, Glénat,
1989.
L. Laubier, Vingt Mille Vies sous la mer,
O. Jacob, 1992.
SV de Omanovsky, la Face cachée de Cousteau ou la vie du chef des « Requins associés », Odilon Média, Paris, 1996.
J.-R. Vanney, le Mystère des abysses. Histoires et découvertes des profondeurs
océaniques, Fayard (Coll. « Le temps des
sciences »), 1993.
B. Violet, Cousteau, une biographie,
Fayard, 1993.
Après la « calypsologie »,
« Calypsolog »...
Il est exagéré de dire que Cousteau fut le
créateur de l’océanographie française,
mais la société Campagnes océanographiques françaises (COF), gestionnaire du
petit navire de bois appelé Calypso, justifia
l’immodestie de son appellation, pendant
la quinzaine d’années qui précédèrent les
premiers lancements de la flotte océanographique de l’ex-CNEXO (v. 1965). Les équipes
de toutes disciplines, soutenues par le CNRS
et l’Université, purent y embarquer pour
des campagnes lointaines, de la mer Rouge
(1951) à l’Atlantique sud-américain (1962).
Les résultats scientifiques des campagnes
de la Calypso (biologie, benthique et pélagique, physique, chimie, bathymétrie, géo-
logie et géophysique marines, sans oublier
l’archéologie) parurent en 11 fascicules des
Annales de l’Institut océanographique de la
Fondation Albert Ier de Monaco, entre 1954
et 1979. C’est aussi la période des publications scientifiques de Cousteau, en collaboration le plus souvent. Elles traitent de levés
morphologiques (mer Rouge, Congrès géologique international, Alger, 1953 ; mer Ligure, Bulletin de l’Institut océanographique,
1969) ou sédimentologiques (côte niçoise,
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
110
C.R. Acad. des Sci., 1958), et d’optique de
l’eau de mer (Bull. Inst. océanogr., 1964).
28
Écologie
Échec du Sommet de la Terre.
Cinq ans après le Sommet de Rio, les chefs d’État
réunis a l’ONU reconnaissent leur incapacité à mettre
en oeuvre les recommandations qu’ils avaient alors
édictées pour limiter la pollution de l’atmosphère.
Bill Clinton n’a pu donner de précisions chiffrées
quant à la réduction de l’émission de gaz à effet de
serre aux États-Unis, supposant ainsi aux Européens
qui souhaitaient de nouveaux engagements en ce
domaine. Les pays du Sud ont argué de cette mauvaise volonté américaine pour justifier leurs propres
carences, refusant de limiter leur développement
industriel au nom de considérations écologiques
que les pays nantis refusent eux aussi de prendre en
compte. Au bout du compte, M. Clinton a annoncé
que Washington allait accorder un milliard de dollars
sur cinq ans aux pays du Sud afin de les aider à limiter
les émissions de gaz à effet de serre. En 1992, l’aide
que les pays du Nord devaient apporter à ceux du
Sud pour leur permettre de mettre en oeuvre les recommandations du Sommet de Rio avait été évaluée
à 600 milliards de dollars par an pendant sept ans.
France
Confirmation de la fermeture de
Vilvorde.
Danielle Kaisergruber, l’expert indépendant nommé
par le gouvernement de Lionel Jospin, estime qu’il
n’y pas de solution alternative à la fermeture de
l’usine Renault de Vilvorde, en Belgique. Elle juge cependant que la procédure utilisée par la direction a
été trop brutale et préconise en contrepartie un plan
social exemplaire. Le Premier ministre belge, JeanLuc Dehaene, reproche à son homologue français
d’avoir fait naître de faux espoirs. Le 22 juillet, un plan
social très favorable au personnel est adopté : pas de
licenciements secs, des primes au départ immédiat
entre 150 000 et 300 000 francs, des préretraites, des
maintiens sur le site pour 400 salariés, des reclassements pour 500 salariés et un chômage technique
garanti pendant deux ans pour les autres. Un responsable syndical belge déclare cependant que Vilvorde
restera comme le « symbole d’une Europe qui n’est pas
sociale ».
France
Grande parade homosexuelle.
Plus de 200 000 personnes défilent à Paris pour
défendre les droits des homosexuels, hommes et
femmes. La principale revendication concerne le
contrat d’union civile et sociale (CDUS), qui doit
permettre à « toutes les personnes physiques, quel
que soit leur sexe » et qui ont un « projet de vie commun » de bénéficier des mêmes droits que dans le
mariage pour les questions ayant trait au logement,
à la communauté des biens, à la fiscalité et au legs, à
l’exclusion cependant de tout ce qui touche à la procréation, à la filiation et à l’adoption. Le Parti socialiste
s’est déclaré favorable à ce projet.
29
Albanie
Victoire de l’opposition.
En obtenant des le premier tour 95 sièges sur les 155
à pourvoir (55,3 % des voix), le Parti socialiste (excommuniste) de Fatos Nano et ses alliés de gauche
remportent les élections législatives au détriment du
Parti démocrate (11 sièges et 25,3 % des suffrages) du
président Sali Berisha. Le lendemain, celui-ci reconnaît sa défaite et affirme qu’il respectera « le verdict du
peuple ». Un référendum organisé le même jour sur
le rétablissement de la monarchie en Albanie donne
20 % seulement de « oui » en faveur du retour de la
famille royale. Les observateurs internationaux estiment que le scrutin s’est déroulé dans des conditions
« assez satisfaisantes », avec une participation supérieure à 50 % des inscrits. M. Nano se dit prêt à une
cohabitation avec le président Berisha, tout en faisant observer que, jusqu’alors, celui-ci s’y est toujours
refusé. Le 2 juillet, M. Berisha déclare qu’il démissionnera après l’installation du nouveau gouvernement.
Le 26, il est remplacé par un socialiste modéré âgé de
cinquante-deux ans, Rexhep Medjani.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
111
JUILLET
1
Chine
Rétrocession de Hongkong.
Après cent cinquante-six ans d’occupation britannique, l’île de Hongkong et les territoires lui faisant
face sur le continent sont rétrocédés à la Chine,
en application d’un accord négocié en 1984 entre
Londres et Pékin. Dés la première minute de la journée, 4 000 soldats chinois entrent dans la ville avec
tout leur matériel, notamment des blindés légers
anti-émeute, démontrant ainsi la volonté du gouvernement central de contrôler de près la vie politique de l’ancienne colonie anglaise. Une cérémonie
assez froide réunit le prince Charles, le dernier gouverneur de Hongkong, Chris Patten, et le président
chinois Jiang Zemin. Les responsables britanniques
déclarent qu’ils suivront de très près l’évolution de
leur ancienne possession et qu’ils souhaitent le
maintien des ouvertures démocratiques pratiquées
depuis quelques années. Le chef de l’État chinois
se contente d’affirmer que la ville « maintiendra ses
liens économiques et culturels » avec le reste de la
planète. Des partisans de la démocratie manifestent
dans la rue et exhortent le nouveau chef de l’exécutif
de l’île désigné par Pékin, Tung Chee-hwa, à préserver les libertés publiques.
Cinéma
Mort de Robert Mitchum.
L’acteur de cinéma américain meurt à Santa Barbara
à l’âge de soixante-dix-neuf ans. Après une jeunesse
aventureuse, il entame au début des années 40 une
carrière d’acteur, servi par une silhouette de colosse
et une décontraction naturelle tout à fait étonnante.
En 1947, il obtient son premier grand rôle dans la
Vallée de la peur de Raoul Walsh. Il devient définitivement une vedette, défrayant la chronique par ses
frasques et sa consommation d’alcools et de substances toxiques. Il travaille ensuite sous la direction
d’Otto Preminger (la Rivière sans retour, aux côtés de
Marilyn Monroe) avant de tourner le plus grand rôle
de sa carrière, en 1955, celui d’un pasteur fou terrifiant deux enfants dans la Nuit du chasseur de Charles
Laughton. Il fait sa dernière apparition à l’écran en
1995 dans le très beau Dead Man de Jim Jarmusch.
2
Cinéma
Mort de James Stewart.
L’acteur de cinéma américain meurt à Beverly Hills
à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. Il reste comme
l’acteur américain par excellence, avec sa longue
silhouette dégingandée, sa gaucherie émouvante
et sa ténacité idéaliste. Son premier rôle important
date de 1938 dans Vous ne l’emporterez pas avec vous
de Frank Capra. L’année suivante, il triomphe dans
M. Smith au Sénat, du même Capra, où il incarne un
jeune parlementaire opposé à toute forme de corruption. Excellent pilote, il s’engage dans l’aviation
pendant la Seconde Guerre mondiale, qu’il finit avec
le grade de colonel sur la base de ses états de service. La paix revenue, il reprend le chemin des écrans
et joue à nouveau sous la direction de Capra puis
d’Alfred Hitchcock (la Corde, 1948 ; Fenêtre sur cour,
1955 ; l’Homme qui en savait trop, 1956 ; Vertigo, 1958),
d’Anthony Mann (notamment l’Homme de la plaine,
1955) et de John Ford (entre autres l’Homme qui tua
Liberty Valance, 1962).
3
Bosnie
Crise politique en République serbe de
Bosnie.
Biljana Plavsic, présidente de la RS, dissout le Parlement. Ignorant cette décision, le gouvernement,
contrôlé en sous main par Radovan Karadzic,
convoque le Parlement dans le but de lui faire
condamner la politique de Mme Plavsic, jugée trop
favorable aux thèses américaines et européennes.
Jusqu’à 1996, Mme Plavsic était une collaboratrice fidèle de M. Karadzic. Désormais, elle s’oppose au refus
de celui-ci d’appliquer les accords de Dayton (signés
en 1995 et organisant une administration commune
aux trois communautés de Bosnie) et condamne sa
participation à ce qu’elle considère comme une série
de trafics mafieux en collaboration avec la police
spéciale. À la suite de cette crise politique, l’Union
européenne décide de suspendre son aide non hudownloadModeText.vue.download 113 sur 361
JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
112
manitaire à la RS et Bill Clinton réitère son soutien à la
présidente Plavsic. (chrono. 10/07)
4
Cambodge
Nouveaux affrontements dans la
capitale.
Les partisans des deux Premiers ministres, le prince
Norodom Ranariddh et Hun Sen, échangent des
tirs d’obus et de mortier. Cette nouvelle flambée de
violence intervient alors que les royalistes tentent
de ramener à eux les anciens Khmers rouges que
la mort supposée, ou l’élimination politique, de leur
chef Pol Pot a rendus disponibles. Très rapidement,
les combats tournent à l’avantage du leader du
parti du Peuple cambodgien (PCC, ex-communiste),
tandis que les chefs royalistes tentent de maintenir
la résistance dans le nord du pays et que le prince
Norodom Ranariddh, en déplacement à l’étranger,
s’efforce de mobiliser l’opinion internationale en sa
faveur. Dans les semaines qui suivent, il est éliminé
du jeu politique, puis, le 6 août, remplacé à son poste
de co-Premier ministre par Ung Huot, membre du
parti royaliste Fucinpec. (chrono. 28/10)
Espace
Nouvelle sonde américaine sur Mars.
Vingt ans après les sondes Viking, la sonde Pathfinder se pose sur l’astre rouge à l’issue d’un voyage de
sept mois et de 500 millions de kilomètres. Un petit
véhicule tout-terrain, haut de 30 cm, baptisé Sojourner, s’extrait de l’engin spatial et envoie des clichés
étonnants du paysage martien : une surface désertique, de couleur gris ocre, parsemée de cailloux
et de roches. Ces nombreuses images permettent
aux scientifiques de confirmer une hypothèse qu’ils
avançaient depuis plusieurs années : la présence
d’eau sur Mars il y a environ 3,8 milliards d’années.
France
Annulation des poursuites contre les
époux Tiberi.
La chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris
annule pour vice de forme les poursuites contre le
maire de Paris, Jean Tiberi, et son épouse Xavière, ainsi qu’à l’encontre du président du conseil général de
l’Essonne, Xavier Dugoin. Lors de sa perquisition au
domicile des Tiberi, le juge d’instruction Éric Halphen
n’aurait pas respecté toutes les procédures requises.
Toutefois, dans les jours qui suivent, le procureur
d’Évry ouvre une nouvelle enquête préliminaire sur
l’existence d’« emplois fictifs » au sein du cabinet de
M. Dugoin. Parmi ces emplois fictifs, on retrouverait
les 200 000 F versés à Mme Tiberi pour un rapport dont
la valeur intellectuelle avait été fortement contestée.
Reprise de l’exploration
de Mars
Depuis les sondes américaines Viking, il y a vingt
et un ans, aucun engin de fabrication humaine
ne s’était posé sur Mars. L’exploration de cette
planète voisine, extrêmement fascinante parce
que susceptible d’avoir vu jadis l’éclosion de la
vie, reprend avec l’arrivée à sa surface, le 4 juillet,
de la sonde Mars Pathfinder, porteuse du petit
robot mobile Sojourner, et la mise en orbite
martienne, le 11 septembre, du satellite Mars
Global Surveyor.
Pour appliquer le nouveau slogan de la NASA
– faire mieux, plus vite et moins cher –, les promoteurs de la mission Mars Pathfinder ont dû
prendre des risques. Par souci d’économie, aucun
des instruments de bord de la sonde (y compris
l’ordinateur) n’a été installé en deux exemplaires,
contrairement à l’usage, et pour la première lois
l’atterrissage sur Mars a été prévu au terme
d’une trajectoire balistique, sans mise en orbite
préalable. Le suspense n’en a été que plus grand
lorsque Mars Pathfinder, après sept mois de
voyage et un trajet de 497 millions de kilomètres
dans l’espace interplanétaire, s’est séparé de son
étage de croisière à 13 000 km de son objectif
pour foncer vers le sol martien comme un obus.
Freiné par un bouclier thermique, puis par un
parachute de 12 m de diamètre et enfin par l’allumage de trois rétrofusées, l’engin a touché la
surface martienne le 4 juillet à 17 h 07 (temps
universel), protégé par une grappe de 18 ballons
gonflables, de 5 m de diamètre. Après une quinzaine de rebonds, la sonde s’est immobilisée par
19,33° de latitude nord et 33,55° de longitude
ouest, à moins de 1 km du point visé, dans Ares
Vallis, une vallée martienne qui semble avoir été
le théâtre d’inondations importantes il y a plusieurs milliards d’années. Une heure et demie
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
113
plus tard, l’atterrisseur (rebaptisé Memorial Carl
Sagan, en hommage à l’un des principaux artisans du programme américain d’exploration planétaire, disparu en décembre 1996) s’est ouvert
comme une fleur, déployant au sol 3 « pétales »
pour constituer une station scientifique fixe
équipée d’une caméra couleur pivotante et
de capteurs météorologiques. Fixé sur l’un des
« pétales », un petit véhicule robotisé, Sojourner (nom d’une esclave noire du XIXe siècle qui
lutta contre l’esclavage et mot américain signifiant voyageur), surnommé Rocky, allait devenir
la vedette de la mission après sa descente sur le
sol, le 6 juillet.
Sojourner roule sur Mars
Précurseur des futurs engins d’exploration de
la surface martienne, Sojourner (65 cm de long,
48 cm de large, 30 cm de haut, 10,5 kg) est un
bijou technologique de 25 millions de dollars. Conçu pour se déplacer dans un rayon de
800 m seulement autour du Memorial Carl Sagan, il est télécommandé depuis la Terre, mais,
compte tenu du délai de communication (plus
de 10 min), il se dirige grâce à un système de
navigation par laser et aux images fournies par
deux caméras à vision stéréoscopique. Sa vitesse
maximale est de 1 cm par seconde. Ses 6 roues
indépendantes lui permettent de franchir des
obstacles de 20 cm de haut et de gravir des
pentes atteignant jusqu’à 45°. Grâce à un spectromètre à rayons alpha, à protons et à rayons X,
il peut déterminer la composition chimique du
sol et des roches. Son plan de mission initial
n’était que de 7 jours ; en fonctionnant plusieurs
mois et en parvenant à se dégager de situations
périlleuses, Sojourner a dépassé toutes les espérances de ses concepteurs.
Mars Global Surveyor
Après le succès de la mission Mars Pathfinder,
l’offensive scientifique américaine en direction
de Mars se poursuit avec le satellite de cartographie Mars Global Surveyor. Lancé le 7 novembre 1996 par une fusée Delta, ce véhicule
de 1 062 kg, après un voyage de 750 millions
de kilomètres ponctué de trois corrections de
trajectoire, entame le 11 septembre d’ultimes
manoeuvres d’approche de la planète rouge.
Satellisé d’abord sur une orbite elliptique très
allongée qui l’éloigné jusqu’à 56 000 km de Mars
et qu’il décrit en un peu plus de 2 jours, l’engin
utilise ensuite une méthode de freinage atmosphérique déjà expérimentée avec succès autour
de Vénus par la sonde Magellan. Ralenti naturellement au fil de ses passages dans l’atmosphère
martienne (sous l’effet de la résistance opposée par les gaz constituant cette atmosphère),
il tend à se rapprocher progressivement de la
planète. À la mi-mars 1998, il se stabilisera sur
une orbite quasi circulaire à 378 km d’altitude,
passant au-dessus des pôles de Mars, qu’il parcourra en 118 minutes. Mars Global Surveyor
entamera alors sa mission cartographique en
tournant vers le sol sa caméra à haute résolution
qui lui permettra d’obtenir des images montrant
des détails de l’ordre de 1 mètre seulement. Il
est prévu que cette mission se poursuive durant
une année martienne complète (687 jours terrestres), jusqu’au 31 janvier 2000, avec une couverture de l’ensemble de la surface en 7 jours
martiens, soit 7,2 jours terrestres. Après quoi, le
satellite restera en orbite pour servir de relais de
télécommunications aux sondes et aux robots
mobiles qui exploreront la surface de Mars au
début du siècle prochain.
Peu après sa mise en orbite, Mars Global Surveyor a effectué une première découverte, celle
de l’existence d’un champ magnétique autour
de Mars, 800 fois plus faible que celui de la Terre.
On ignore encore s’il s’agit de la rémanence
d’un champ fossile ou de la manifestation de
la rotation d’un noyau métallique toujours actif
au coeur de la planète. Dans ce dernier cas, il n’y
aurait plus, parmi les planètes principales du
système solaire, que Vénus et, peut-être, Pluton (non encore explorée) à être dépourvues de
champ magnétique. La faible intensité du champ
martien pourrait indiquer que le noyau de la planète rouge s’est refroidi très rapidement, autrement dit que Mars a vieilli prématurément.
PHILIPPE DE LA COTARDIÈRE
Les futures sondes martiennes
Mars Pathfinder et Mars Global Surveyor
inaugurent une série d’une dizaine d’engins
qui doivent atteindre ou survoler Mars d’ici à
2005. Trois nouveaux couples atterrisseur/
orbiteur américains devraient être lancés
respectivement en 1998-1999, 2001 et 2003,
les deux derniers accompagnés d’un robot
mobile pour la collecte d’échantillons du
sol. Puis, en 2005, partiront deux nouvelles
sondes américaines, qui auront pour mission de se poser prés des robots de 2001 et
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
114
de 2003 pour récupérer leur précieuse cargaison et la rapporter sur la Terre. Les Japonais prévoient, quant à eux, le lancement, à
la fin de 1998, d’un satellite dénommé Planète B, pour l’étude de la haute atmosphère
de Mars, tandis que les Européens songent
à lancer en 2003 une sonde appelée Mars
Express.
6
France
Philippe Séguin président du RPR.
Avec 78,85 % des voix, le maire d’Épinal est élu à la tête
du mouvement gaulliste. Âgé de cinquante-quatre
ans, orphelin très jeune d’un père officier et élevé par
une mère institutrice, il est ancien élève de l’ENA. En
1973, il est appelé au cabinet de Georges Pompidou
en tant que chargé de mission pour les questions
agricoles. En 1986, il est ministre des Affaires sociales
dans le ministère Chirac, lors de la première cohabitation. Tenant d’un gaullisme social, voire populiste,
il se rapproche un temps de Charles Pasqua et s’oppose vigoureusement en 1992 à l’adoption du traité
de Maastricht. En 1993, il est élu président de l’Assemblée nationale et prend ses distances par rapport aux
gouvernements RPR d’Édouard Balladur puis d’Alain
Juppé. Au début de 1997, il se déclare publiquement
favorable à la construction européenne et accepte la
logique de Maastricht. Fin mai, entre les deux tours
de la campagne électorale, il est présenté comme le
futur Premier ministre de Jacques Chirac, au cas où
la droite serait reconduite. Nouveau dirigeant de la
formation gaulliste, il se pose d’emblée en rival du
président de la République, envers lequel il affirme
pourtant sa fidélité. Il prend comme principal collaborateur Nicolas Sarkozy, à qui beaucoup de partisans de Jacques Chirac reprochent son engagement
auprès de M. Balladur lors de la campagne de 1995.
Mexique
Défaite historique du Parti
révolutionnaire institutionnel.
Le PRI, au pouvoir depuis 1929, perd la mairie de
Mexico, la majorité à la Chambre des députés et la
direction du plus puissant État industriel de la fédération, le Nuevo Léon, dans le nord du pays. Le poste
de maire de la capitale, qui représente officieusement le deuxième centre de pouvoir de la nation,
va au candidat de gauche Cuauhtémoc Cardenas.
Le PRI demeure encore le premier parti du pays avec
239 députés sur un total de 500, devant le parti de la
Révolution démocratique (PRD, gauche), crédité de
125 sièges, et le parti d’Action nationale (PAN, conservateur), 122 sièges. Il garde également la majorité au
Sénat. Le Nuevo Léon passe aux conservateurs du
PAN. Le chef de l’État, Ernesto Zedillo, engagé à fond
dans la campagne électorale, met en avant que c’est
grâce à lui et à la réforme électorale démocratique
qu’il a fait adopter en 1996 que le scrutin s’est déroule
dans de bonnes conditions, rompant avec une tradition bien établie de fraude électorale et confortant
l’image du Mexique dans le monde, particulièrement
auprès des investisseurs étrangers.
Tennis
Martina Hingis et Pete Sampras
vainqueurs à Wimbledon.
La jeune Suissesse d’origine slovaque devient, à seize
ans, la plus jeune détentrice du titre (depuis l’ère
open) en battant la Tchèque Jana Novotna. L’Américain, pour sa part, remporte son 4e titre sur le gazon
anglais en battant facilement le Français Cédric
Pioline.
Mexique, fin de partie
pour le PRI
Au cours de la campagne électorale, le président
Zedillo, défendant un bilan économique de bon
aloi, avait appelé les Mexicains à faire encore
un effort. Mais le vieux Parti révolutionnaire
institutionnel (PRI) n’a pas trouvé les accents
propres à assurer une fois de plus son hégémonie. En introduisant pour la première fois dans
l’histoire du pays un vrai pluralisme politique, les
élections générales du 6 juillet auront constitué
un véritable tournant.
Si les principaux indicateurs macroéconomiques étaient de nouveau excellents – PIB en
hausse de 5,1 % en 1996, inflation et taux de
chômage officiel en baisse et taux de changes
stables –, pour la majorité de la population, ces
résultats n’ont guère eu de signification : trois
ans après le séisme financier de 1994, la plupart
des nouveaux venus sur le marché du travail
– près de 1 million par an – survivent toujours
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
115
dans le cadre de l’économie informelle, qui occupe plus de la moitié de la population active.
La pauvreté, qui affectait déjà 70 % des Mexicains, s’est encore aggravée, plusieurs millions
de personnes disposant à peine de l’équivalent
de 3 F par jour pour vivre. Mais, en offrant une
cure d’opposition au PRI, les électeurs mexicains ont sans doute davantage voulu exprimer
une lassitude à l’égard d’un régime au pouvoir
depuis près de soixante-dix ans que sanctionner
la conduite des affaires économiques. Parti sans
véritable idéologie, si ce n’est un vague « nationalisme révolutionnaire », le PRI a adopté le
« tout État » jusqu’au début des années 80 pour
se convertir peu à peu à l’économie de marché.
Ces changements de cap successifs, l’insécurité
croissante et la corruption endémique au sein de
la police ont fini par déstabiliser le vieux parti.
La fin d’une époque
Les électeurs étaient appelés à renouveler la
Chambre des députés (500 sièges) et un quart
du Sénat (32 membres sur 128). En même temps,
6 États devaient élire leurs gouverneurs, et, pour
la première fois, les habitants de la capitale allaient choisir leur maire au suffrage universel. En
dépit d’un échec annoncé par tous les sondages,
les candidats du PRI ont tenté d’utiliser les vieilles
recettes, de celles qui naguère leur assuraient le
bonheur électoral. Ainsi, le président du PRI n’at-il pas hésité à accuser le parti d’Action nationale (PAN, conservateur) de fascisme et le parti
de la Révolution démocratique (PRD, opposition
de gauche) de communisme. Parallèlement, des
milliers de cassettes vidéo truquées visant à présenter le PRD comme une formation politique
violente circulaient dans le pays. On se souvient
que des méthodes de ce genre avaient donné
de bons résultats lors des élections générales de
1994, largement remportées par le PRI et par Ernesto Zedillo, qui succédait alors à Carlos Salinas
à la présidence de la République. Mais les conditions étaient tout autres. Le Mexique connaissait
une période particulièrement troublée, littéralement déstabilisé par l’insurrection zapatiste et
l’assassinat du candidat officiel à la présidence
Donaldo Colosio. Il avait suffi au PRI d’exploiter
la peur ambiante pour obtenir des électeurs sa
reconduction au pouvoir. Mais, en décembre
de la même année, la brutale dévaluation du
peso allait avoir de funestes effets pour le PRI :
les Mexicains voyaient leur niveau de vie chuter
brutalement au moment où s’accumulaient les
révélations sur l’enrichissement spectaculaire du
frère de l’ex-président Salinas. Déjà affaiblie par
les profondes divergences entre les partisans du
néolibéralisme et la vieille garde nationaliste, la
formation issue de la révolution de 1910 paraissait incapable de trouver un second souffle.
Un test avant l’élection
présidentielle
Trois ans plus tard, le ton de la campagne électorale a donc montré que les dirigeants du PRI
n’ont pas pris la mesure de la lassitude de la
population, lassitude particulièrement vive dans
les zones urbaines à l’endroit d’un régime marqué par la corruption et l’inefficacité. Et c’est
sans surprise que le PRI a reculé sur presque tous
les fronts, perdant la majorité absolue au Parlement (239 députés sur 500, contre 125 pour le
PRD, 122 pour le PAN, 8 pour les écologistes et 6
pour le parti du Travail) et n’obtenant que 4 gouverneurs dans les 6 États concernés par le scrutin. Seul le Sénat, où le PRI conserve la majorité
(77 sièges sur 128), a résisté au désir de changement exprimé par les électeurs mexicains.
Mais plus que le renouvellement de l’Assemblée
nationale, c’est surtout l’élection du maire de la
capitale qui a retenu l’attention. Au cours de la
campagne électorale, chacun s’accordait à penser que la bataille pour Mexico était le prélude
à celle pour la présidence, en l’an 2000. L’enjeu
était donc de taille. Largement favori au début
de la campagne, le candidat du PAN, Carlos Castillo, n’a pas résisté aux arguments assénés par le
représentant du PRD Cuauhtémoc Cardenas, qui
n’a eu de cesse de rappeler l’« alliance » entre le
PAN et l’ex-président Salinas (1988-1994), rendu
responsable de toutes les difficultés du pays. Au
terme d’un rétablissement spectaculaire, M. Cardenas a réussi à enlever la mairie de Mexico sur
un score sans appel de 47,11 % des voix (contre
25,08 % pour Alfredo del Mazo et seulement
15,26 % pour M. Castillo.
L’entrée en masse des députés du PRD à l’Assemblée nationale marque sans aucune ambiguïté
la lin de l’hégémonisme du PRI. Le choix de
nombre d’électeurs de la capitale, y compris des
sympathisants du PAN, s’est porté sur le candidat du PRD pour barrer la route au vieux parti
révolutionnaire. Certes, ils y ont réussi. Il reste
toutefois que, même vilipendé par des secteurs
de plus en plus importants de la société mexicaine, le PRI n’en finit plus de mourir... tout en
conservant le pouvoir. En dépit du revers électoral du 6 juillet 1997, il contrôlait toujours les
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116
principaux leviers du régime : la présidence de la
République, le gouvernement de la plupart des
31 États de la fédération, le Sénat, les deux tiers
des municipalités et les syndicats.
P. F.
Cuauhtémoc Cardenas,
un homme tenace
La carrière politique de Cuauhtémoc Cardenas a pris son envol en 1980, lors de son
élection à la tête de l’État du Michoacán.
Deux ans plus tard, il crée un « courant
révolutionnaire » qui se sépare du PRI peu
après. En 1988, il se présente à l’élection
présidentielle sous la bannière du Front
démocratique national et remporte un succès inattendu en dénonçant la fraude qui
l’aurait dépossédé de la victoire au profit
de Carlos Salinas. En 1989, il l’onde le PRD,
dont il attend qu’il lui serve de tremplin pour
le scrutin présidentiel de 1998.
7
France
Couvre-feu pour les moins
de douze ans.
Gérard Hamel, maire RPR de Dreux, prend un arrêté
ordonnant aux forces de l’ordre de recueillir au commissariat les enfants de moins de douze ans qui traîneraient dans les rues entre minuit et six heures du
matin. Son exemple est suivi par d’autres maires, à
Sorgues (Vaucluse), Aulnay-sous-Bois (Seine-SaintDenis) ou Gien (Loiret), communes où le Front national a réalisé des scores importants. Le gouvernement
fait savoir qu’il n’est pas favorable à de telles mesures,
tandis qu’un sondage indique que 81 % des Français
approuvent un tel couvre-feu.
8
OTAN
Ouverture aux pays de l’Est.
Lors du sommet de Madrid, la Hongrie, la Pologne
et la République tchèque sont invitées à rejoindre
l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. Contrairement à ce que souhaitaient la France et l’Italie, la
Roumanie et la Slovénie ne font pas partie des nouveaux membres pressentis, les Américains s’y étant
opposés parce qu’ils estimaient que, financièrement
et politiquement, ces pays n’étaient pas encore prêts
pour une telle adhésion. Toutefois, le communiqué
final du sommet indique que ces deux nations devraient, à terme, faire partie de la prochaine vague
d’adhésion à l’organisation militaire occidentale. Par
ailleurs, la France ne réintégrera pas l’OTAN comme
membre à part entière (depuis sa rupture de 1966),
alors que la chose était envisagée depuis plus d’un
an, parce qu’elle estime que Washington n’a pas
répondu à ses demandes de rééquilibrage des
structures de commandement de l’Organisation en
faveur des Européens. Les Américains ont ainsi catégoriquement refusé de transférer à un général du
Vieux Continent la responsabilité de la zone méditerranéenne de l’OTAN. Les scénarios intermédiaires de
partage du pouvoir entre officiers supérieurs européens et américains ont également été rejetés par
Washington.
10
Bosnie
Arrestation de criminels de guerre.
Deux Serbes de Bosnie, un ancien chef de police
locale et un ancien dirigeant politique, recherchés
pour « complicité de génocide », sont arrêtés par les
soldats de la Force de stabilisation de l’OTAN (SFOR).
Le premier est tué lors de l’opération, tandis que le
second est transféré au Tribunal pénal international
de La Haye. Ce succès partiel du droit international
ne peut faire oublier que la plupart des criminels de
guerre recherchés depuis la fin du conflit bosniaque
en 1995 sont encore en liberté, que Radovan Karadzic continue à tirer les ficelles du pouvoir à Pale, la
capitale de l’entité serbo-bosniaque, et que les accords de Dayton prévoyant la mise en place d’une
administration commune aux différentes communautés bosniaques sont régulièrement vidés de leur
contenu. Le 14, le TPI de La Haye condamne un cafetier serbe nommé Dusan Tadic à vingt ans de prison
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
117
pour crimes contre l’humanité, tortures et homicides.
(chrono. 23/08)
France
Remise du rapport sur la réforme
de la justice.
La commission présidée par Pierre Truche, chargée
de réfléchir à une réforme de la justice, remet son
rapport à Jacques Chirac. Les trois principales propositions concernent les relations entre le parquet
et le gouvernement, la présomption d’innocence et
le rôle de la presse. En ce qui concerne le parquet,
la commission rejette l’idée d’une totale indépendance de celui-ci vis-à-vis du garde des Sceaux mais
suggère de renforcer les pouvoirs de nomination
du Conseil supérieur de la magistrature. Pour ce qui
est de la présomption d’innocence, la commission
propose, notamment, la présence d’un avocat dés
la première heure de garde à vue, la séparation des
pouvoirs d’instruction et de mise en détention provisoire en confiant celui-ci à une instance collégiale, et
la publicité des audiences au cours de l’instruction.
Si la commission reconnaît solennellement le droit à
la liberté de la presse, elle réclame une application
stricte de la législation sur la présomption d’inno-
cence – tout particulièrement pour ce qui a trait à la
publication des noms des personnes mises en cause
par une enquête préliminaire de flagrant délit ou
de garde à vue et à la publication d’une photo de
personne menottée. Les commentateurs, s’ils saluent
les suggestions en matière de garde a vue, estiment,
d’une façon générale, que les propositions présentées manquent d’ampleur, qu’en définitive elles ne
font qu’entériner le statu quo pour ce qui est des
rapports entre le pouvoir et le parquet, et que, par
ailleurs, elles risquent de limiter fortement la liberté
de la presse, seul véritable aiguillon de l’indépendance judiciaire. D’autres regrettent également que
n’ait pas été envisagée la séparation nette entre les
magistrats du siège (qui jugent) et ceux du parquet
(qui requièrent).
11
Congo-Kinshasa
Accusations de crime contre
l’humanité.
La mission de l’ONU dirigée par le Chilien Roberto
Garreton et chargée d’enquêter sur le sort des
200 000 réfugiés hutus du Rwanda portés « disparus » estime que ceux-ci ont été victimes des exactions menées par l’Alliance des forces démocratiques
pour la libération du Congo (AFDL) de Laurent-Désiré
Kabila. Elle écrit dans son rapport que « le concept
de crime contre l’humanité pourrait s’appliquer à
la situation qui a régné et qui règne encore dans la
République démocratique du Congo ». Les réfugiés
hutus rwandais (mais aussi burundais ou zaïrois)
auraient été, dans de nombreux cas, soit directement massacrés, soit systématiquement affamés.
Ces crimes auraient été accomplis avec la complicité
de l’Armée patriotique rwandaise (APR). La mission
de l’ONU dénonce également des atrocités commises par des membres des Forces armées zaïroises
(FAZ), alors fidèles à M. Mobutu, et par des mercenaires serbes à leur service. Les autorités de Kinshasa
réfutent ces accusations, dont elles estiment qu’elles
sont propagées par le gouvernement français. Le 25,
l’armée réprime violemment une manifestation dans
la capitale en tirant dans la foule et en tuant trois personnes. Les manifestants, proches du Parti lumumbiste unifié (PALU) d’Antoine Gigenza, protestaient
contre l’interdiction des activités politiques décrétée
par M. Kabila. (chrono. 28/08)
États-Unis
Le dollar à six francs.
Face aux difficultés de la France et de l’Allemagne
à respecter les critères du traité de Maastricht, les
marchés financiers prévoient l’émergence d’un euro
faible en 1999 et favorisent la hausse du dollar et de
la livre sterling. Si les exportateurs européens se félicitent d’une telle évolution, les banques centrales du
Vieux Continent s’inquiètent d’une possible remontée des taux à long terme, les investisseurs réclamant
alors une meilleure rémunération pour leurs capitaux
afin de les couvrir de leurs pertes de change.
12
Espagne
Assassinat par l’ETA
d’un jeune élu municipal.
Miguel Angel Blanco, vingt-neuf ans, conseiller municipal de tendance Parti populaire (conservateur) de
son village de Biscaye, est assassiné de deux balles
dans la tète par un commando de l’ETA. Il avait été
enlevé deux jours plus tôt par l’organisation séparatiste basque, qui avait lancé un ultimatum : la vie de
M. Blanco contre le regroupement au Pays basque
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
118
de tous les prisonniers de l’ETA. 500 000 personnes
manifestent leur indignation à Bilbao, puis près de
un million à Madrid, à l’appel de tous les partis politiques, à l’exception d’Herri Batasuna, vitrine légale
de l’ETA. Le 27, Herri Batasuna parvient à mobiliser
près de 30 000 personnes dans les rues de San Sébastian. De nombreux manifestants défilent aux cris de
« Vive l’ETA ! ».
France
Mort de François Furet.
Le célèbre historien meurt des suites d’une mauvaise
chute au tennis. Récemment élu à l’Académie française, il n’y avait pas encore été officiellement reçu. Il
laisse une oeuvre déterminante, tant pour la compréhension de la Révolution française que pour celle du
phénomène communiste au XXe siècle.
15
Algérie
Libération du chef historique du FIS.
Cinq ans après avoir été condamné à douze ans de
réclusion criminelle pour atteinte à la sûreté de l’État.
Abassi Madani, soixante-six ans, est libéré de prison.
En revanche, le no 2 du Front islamique du salut, Ali
Benhadj, quarante et un ans, considéré comme plus
radical que son aîné, demeure détenu. Cette libération intervient alors que les massacres de civils attribués aux Groupes islamiques armés (GIA) redoublent
d’intensité. M. Madani recouvre la liberté dans un
climat politique très changé depuis cinq ans. Les
GIA font de la surenchère dans l’action, tandis que
deux partis islamistes modérés siègent au Parlement
(Mouvement social pour la paix, ex-Hamas, et Ennahda) et que l’un d’entre eux, le MSP, participe également au gouvernement. (chrono. 1/09)
États-Unis
Assassinat de Gianni Versace.
Le célèbre couturier italien est assassiné devant sa
résidence de Miami, en Floride, alors qu’il revenait de
sa promenade matinale. Il avait cinquante et un ans.
Né dans le sud de l’Italie, d’origine modeste, il présente sa première collection en 1978 et se lance rapidement dans les affaires avec son frère et sa soeur. Ses
lignes de vêtements sexy et clinquants connaissent
un succès mondial et, au milieu des années 90, le
chiffre d’affaires annuel de l’entreprise Versace atteint
les 4,5 milliards de dollars. Le couturier ne cachait pas
son homosexualité et la police de Floride oriente ses
recherches dans cette direction. En quelques jours,
elle acquiert la certitude que l’assassin est un prostitué tueur en série nommé Andrew Cunanan. Celui-ci
est localisé dans Miami et finit, encerclé par les forces
de l’ordre, par se tirer une balle dans la tête.
Yougoslavie
Slobodan Milosevic élu à la présidence.
Le Parlement de la République fédérale de Yougoslavie (RFY, Serbie et Monténégro) élit à une très large
majorité le président sortant de la Serbie. Après deux
mandats successifs, celui-ci, âgé de cinquante-cinq
ans, n’avait plus le droit, constitutionnellement, de se
présenter une troisième fois. Il a donc postulé à cette
fonction, jusque-là plus honorifique que dotée de
réels pouvoirs. Les observateurs s’attendent à ce que
M. Milosevic en fasse le nouveau centre de décision
à Belgrade.
16
France
Confirmation de la privatisation de
Thomson-CSF.
Le processus de privatisation enclenché par Alain
Juppé est maintenu, mais sous une forme différente.
L’État conservera une partie des actions « détermi-
nante » mais non majoritaire. Sa part d’actions (actuellement 58 %) diminuera en fonction des alliances
que le groupe passera avec d’autres entreprises industrielles. Dans un premier temps, le gouvernement
favorisera des alliances dans un cadre national, avec
des groupes comme Alcatel, Dassault, Aerospatiale
ou Matra. (chrono. 13/10)
17
Inde
Un intouchable
président de la République.
Kocheril Raman Narayanan, soixante-seize ans, issu
de la caste des intouchables, est élu à la tête de l’État
par les députés et les élus régionaux. Même si la
fonction est principalement honorifique, la désignation à ce poste d’un représentant de la plus basse des
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
119
castes indiennes constitue un symbole fort, dans la
lignée de la pensée du Mahatma Gandhi.
18
Belgique-France
Rebondissement dans
l’affaire Dassault.
Élisabeth Guigou, garde des Sceaux, transmet à la
justice belge huit des dix scellés concernant l’affaire
Dassault, ce que son prédécesseur, Jacques Toubon,
avait refusé de faire pendant plus d’un an, au risque
de provoquer un incident diplomatique entre les
deux pays. Ces documents concernent des pots-devin qui auraient été versés par l’avionneur français à
des partis politiques belges pour l’obtention d’importants marchés aéronautiques.
19
Liberia
Charles Taylor élu chef de l’État.
M. Taylor, quarante-neuf ans, principal responsable
de la guerre civile qui a ravagé le pays de 1989 à
1996, est élu à la tête de l’État dés le premier tour.
Desservi par sa réputation de corruption et de cruauté, il n’était pas parvenu jusque-là à s’emparer par les
armes du pouvoir à Monrovia, butant sur l’opposition
de la force d’interposition internationale à dominante
nigériane, l’Ecomog. Il a réussi son retour politique en
désarmant publiquement ses troupes et en épousant une banquière proche des autorités de Lagos.
Europe centrale
Meurtrières inondations.
La Pologne, la République tchèque, l’Autriche et l’Allemagne sont très sévèrement touchées par la crue
des fleuves, qui a commencé dès le début du mois
de juillet. On déplore plus de 100 morts en Pologne
et en République tchèque, tandis qu’en Allemagne
des milliers de soldats sont mobilisés pour tenter
d’endiguer le flux des eaux dans la région de Francfort-sur-l’Oder, en ex-RDA. On note que la presse
internationale s’est bien plus intéressée à la situation
allemande, pourtant moins grave, qu’à celle qui a
prévalu dans les anciennes démocraties populaires.
Grande-Bretagne
Appel de l’IRA à un cessez-le-feu.
L’Armée républicaine irlandaise annonce une nouvelle cessation des hostilités en Ulster. Elle l’avait déjà
fait en août 1994, mais les violences avaient repris en
février 1996. (chrono. 15/09)
21
France
Plan de redressement économique.
Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’Économie,
présente le plan de redressement du gouvernement
après que deux magistrats de la Cour des comptes,
Jacques Bonnet et Philippe Nasse, ont présenté leur
audit sur l’état des déficits publics. Selon ces deux
magistrats (et, également, Alain Juppé, qui, début
juin, avait fait parvenir à son successeur une note
sur ce sujet), ces déficits devraient être compris pour
1997 entre 3,5 et 3,7 % du PIB (soit, au total, entre
281 et 298 milliards de francs, et une dérive de 34,4
à 51,4 milliards de francs par rapport aux prévisions
officiellement présentées en mars), au lieu des 3 %
annoncés, conformément aux critères du traité de
Maastricht. Pour tenter de ramener ces déficits entre
3,1 % et 3,3 %, le gouvernement va augmenter ses
recettes en décidant une majoration exceptionnelle
de 15 % sur les sociétés réalisant un chiffre d’affaires
annuel de plus de 50 millions de francs (ce qui devrait rapporter 22 milliards) et diminuer ses dépenses
à hauteur de 10 milliards (notamment en matière
militaire). Le 25, Lionel Jospin affirme que l’État fera
des économies supplémentaires afin que le déficit
ne dépasse pas 3 % en 1998.
22
Russie
Recul de l’Église orthodoxe.
Boris Eltsine refuse d’avaliser une loi qui favorisait
la religion orthodoxe, et, accessoirement, l’islam, le
bouddhisme et le judaïsme, au détriment du catholicisme et du protestantisme. Si, officiellement, l’objet de ce texte était de lutter contre l’influence des
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
120
sectes, nombreuses en Russie, son but réel était de
s’opposer aux églises chrétiennes non orthodoxes.
Celles-ci étaient légalement minorisées et tenues
de se russifier en se mettant sous la tutelle d’autres
confessions reconnues comme établies en Russie.
Conscient des effets d’une telle loi sur l’opinion internationale, M. Eltsine a préféré mécontenter le patriarche Alexis II, lui-même ancien député soviétique.
(chrono. 19/09)
23
Aéronautique
Accord euro-américain sur
l’aéronautique.
La Commission européenne donne son accord à
la fusion signée en décembre 1996 entre les firmes
américaines Boeing et McDonnell-Douglas. Cet
accord permet au nouveau géant américain (70 %
de l’aéronautique civile mondiale, contre 30 % pour
Airbus) d’opérer sur le Vieux Continent. Pour parvenir
à ce résultat, l’avionneur américain a dû renoncer à sa
pratique des contrats d’exclusivité sur vingt ans qu’il
avait déjà mis en oeuvre avec American, Continental
et Delta Airlines. Bill Clinton avait menacé l’Europe de
« guerre commerciale » en cas d’échec de la négociation. Officiellement, la Commission se félicite du
résultat obtenu – soulignant que le géant américain a reculé sur le dossier le plus épineux, celui des
contrats d’exclusivité, véritable entorse au droit de la
concurrence, et rappelant qu’à l’époque où McDonnell-Douglas a été mise en vente, Airbus ne s’est pas
porté acquéreur. Toutefois, certaines voix se font entendre pour fustiger ce qu’elles considèrent comme
un recul face au diktat d’outre-Atlantique.
Boeing/McDonnell-
Douglas : une fusion qui
fait du bruit
Le 42e Salon international de l’aéronautique et
de l’espace, qui s’est tenu au Bourget du 14 au
22 juin, a été particulièrement marqué par la
rivalité entre l’américain Boeing et l’européen
Airbus Industrie, qui s’est traduite par des propos
peu amènes lors de leurs conférences de presse
respectives. Cette rivalité a été exacerbée par la
fusion en cours de Boeing et de son compatriote
McDonnell-Douglas (MDD), troisième constructeur mondial, dont le secteur avions de ligne n’est
plus à présent l’activité dominante, celle-ci étant
désormais principalement à caractère militaire.
Mais, pour le groupe européen et les gouvernements qui le soutiennent, cette fusion est apparue comme un danger majeur de concurrence
insupportable.
C’est, en effet, le 15 décembre 1996 que les
dirigeants de Boeing et de McDonnell-Douglas
avaient annoncé leur intention de fusionner
leurs sociétés, la seconde étant elle-même issue
de la fusion antérieure de Douglas et de MDD.
Ce projet suivait de près la fusion récemment
intervenue entre deux autres géants de l’industrie aéronautique américaine, Lockheed-Martin
et Northrop-Grumman, un mariage d’un montant de 11,6 milliards de dollars, devant créer un
chiffre d’affaires de 3 milliards de dollars dans
le domaine de la technologie de pointe, qui
emploie 230 000 personnes. La fusion des deux
avionneurs américains — Boeing acquérant le
groupe MDD pour un montant de 15 milliards de
dollars — devait aboutir à la création de la plus
grande société aérospatiale du monde, avec un
chiffre d’affaires annuel estimé à 50 milliards de
dollars pour un effectif de 200 000 employés.
Il est bien évident qu’une telle position dominante – permettant à Boeing, qui venait, en
outre, de conclure pour vingt ans des contrats
d’exclusivité de ventes d’avions de ligne à trois
des majors américaines, American Airlines, Delta
Airlines et Continental Airlines, ce qui assure au
groupe un réseau de maintenance et de service
à la clientèle couvrant au total 84 % de la flotte
aérienne mondiale actuelle – ne pouvait que
susciter l’hostilité du groupe Airbus Industrie. En
vingt ans, la firme européenne est devenue pour
Boeing le seul concurrent mondial, capable d’offrir à sa clientèle une famille complète d’appareils court-, moyen-, long- et très long-courriers
dotés de la technologie la plus avancée (commandes de vol électriques, informatique et élec-
tronique de pointe) et une totale communauté
entre la gamme d’appareils biréacteurs à fuselage étroit (A319, A320, A321) et celle des wide
body, biréacteurs A330 et quadriréacteurs A340 ;
ces derniers bénéficient d’une maintenance
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
121
standardisée et peuvent être indistinctement
pilotés par les mêmes équipages techniques,
ce qui n’est pas le cas pour les différents types
de Boeing bi- et quadriréacteurs et MDD bi- et
triréacteurs.
Autre aspect de la querelle : tandis que les avionneurs américains, via les commandes militaires
de la NASA, couvrent largement – et c’était,
en particulier, largement le cas de MDD – les
dépenses de recherches et de développement
ultérieurement utilisées aussi dans le cadre des
avions civils, l’administration américaine ne
s’est pas privée de mettre en cause les avances
gouvernementales consenties au groupe Airbus
Industrie pour l’étude et la réalisation de nouveaux appareils de la gamme, alors qu’il s’agit
là d’avances remboursables et effectivement
remboursées par les avionneurs européens à
l’inverse de leurs concurrents américains ; ce que
les premiers n’ont pas manqué de faire observer
aux seconds.
À l’occasion du Salon, Jean Pierson, administrateur-gérant d’Airbus Industrie, n’a pas été le seul
à monter au créneau. Les quatre ministres des
Transports européens concernés – de France,
d’Allemagne, du Royaume-Uni et d’Espagne –
ont également fait connaître leurs inquiétudes
devant cette situation, suivis par le Comité
consultatif de l’Union européenne sur les fusions et concentrations qui, le 4 juillet, a refusé
(à la quasi-unanimité des quinze pays, l’Italie
exceptée) le projet de rapprochement entre
les deux géants américains (qui constitueront
alors le premier groupe aéronautique mondial
avec un CA, de 280 milliards de francs). Cet avis
défavorable s’opposait à celui rendu le 1er juillet
par la Commission fédérale américaine du commerce. Le Comité a estimé en effet que si MDD
n’est plus un concurrent viable en tant que tel,
il représentait encore 24 % de la flotte mondiale
d’avions commerciaux en service. Il a redouté
par ailleurs que Boeing ne finance ses prochains
programmes civils grâce aux budgets militaires
de MDD, ce qui risquait d’aller à l’encontre des
accords Europe-États-Unis de 1992 sur les aides
industrielles.
La réaction européenne
Annoncé le 4 juillet, cet avis a alors amené
Boeing à revoir sérieusement les conditions de
la fusion prévue, dans l’espoir de modifier favorablement la décision définitive de la Commission européenne, attendue le 23. C’est pourquoi
Phil Condit, P-DG de la Boeing Company, faisait
connaître, peu après, les concessions auxquelles
l’avionneur était prêt pour obtenir le feu vert
européen. En particulier, Boeing acceptait de
céder sous licence les brevets obtenus dans le
cadre des contrats passés avec le gouvernement
des États-Unis aux autres constructeurs aéronautiques, sur une base non exclusive et moyennant le versement de royalties raisonnables ;
de soumettre pendant dix ans à la Commission
européenne un rapport annuel énumérant les
brevets non expirés obtenus dans le cadre de
contrats gouvernementaux ; de ne pas interférer
indûment dans les relations actuelles ou futures
entre ses fournisseurs et les autres constructeurs
aéronautiques ; et de renoncer aux accords exclusifs conclus avec les trois majors américaines.
Après étude de ce dossier, la Commission européenne faisait connaître à Boeing, le 30 juillet,
son approbation définitive à la fusion. Dès le
25 juillet, les actionnaires des deux sociétés
avaient accepté la fusion, par 99,08 % pour
Boeing et par 75,8 % pour MDD. Tout en en
admettant le principe, James McDonnell III, fils
du fondateur de McDonnell Aircraft Corporation, créée en 1939, avait voté négativement
pour protester contre la disparition du nom de
McDonnell du logo de la nouvelle société, qui a
officiellement commencé ses activités le 4 août.
PHILIPPE DELAUNES
25
France
Incendies autour de Marseille.
Le feu ravage 3 500 hectares de forêt autour de la cité
phocéenne. Le sinistre serait né dans une décharge
où des déchets industriels encore chauds auraient
été illégalement déversés. La justice est saisie.
27
Cyclisme
Victoire de Jan Ullrich dans
le Tour de France.
À vingt-trois ans, ce natif de l’ex-RDA est le premier
Allemand à remporter la plus importante course
cycliste du monde. Servi par un physique et une
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
122
puissance musculaire exceptionnels, il est présenté
comme le plus grand coureur des années à venir, le
successeur des Anquetil, Merckx et Hinault. Le Français Richard Virenque se classe deuxième (avec le
maillot du meilleur grimpeur pour la quatrième année consécutive) et l’Italien Marco Pantani, troisième.
28
Cambodge
Réapparition de
Pol Pot.
Le leader des Khmers rouges, responsable dans les
années 70 du génocide d’au moins 2 millions de
ses compatriotes, que l’on faisait passer pour mort,
apparaît à la télévision cambodgienne. Les images le
montrent en train d’être jugé au cours d’un « procès
populaire » qui lui serait intenté par ses anciens compagnons. Le Premier ministre Hun Sen estime que ce
procès est une mise en scène et que Pol Pot reste en
réalité le véritable chef de ce qui reste des Khmers
rouges. Pour d’autres Pol Pot est moribond et les derniers Khmers rouges tentent de se dédouaner en le
condamnant pour ensuite réintégrer le jeu politique
légal.
France
Arrêt favorable à
l’Église de scientologie.
La cour d’appel de Lyon ne conteste pas à l’organisation fondée par Ron Hubbard le titre de « religion ». Tout en condamnant Jean-Jacques Mazier,
ancien président de la branche lyonnaise de l’Église
de scientologie, à trois ans de prison avec sursis et à
500 000 F d’amende (contre 18 mois fermes en première instance) pour avoir poussé au suicide un de
ses adeptes, la juridiction déclare que cette institution peut revendiquer le titre de religion, à condition
que ses activités se déroulent « dans le cadre des lois
existantes ». Les organisations antisectes s’émeuvent
de cette décision de justice, et, le lendemain, le parquet général se pourvoit en cassation.
Haïti
Nouveau chef de gouvernement.
Le président René Préval nomme Premier ministre
Éric Pierre, cinquante-trois ans, une personnalité indépendante, jusque-là haut fonctionnaire à la Banque
interaméricaine de développement. M. Pierre passe
pour un libéral en économie, favorable aux privatisations. Son prédécesseur, Rosny Smarth, l’était également et s’était opposé pour cette raison – mais
aussi pour des questions de fraude électorale – à la
« famille Lavalas », le mouvement de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide.
Lettonie
Démission du Premier ministre.
Andris Shkele, un homme d’affaires indépendant,
quitte son poste de chef de gouvernement à la suite
d’un conflit avec les trois principaux partis de sa coalition. Il leur reprochait de ne pas respecter la nouvelle
législation sur la corruption proscrivant le cumul de
fonctions publiques et de fonctions privées à la tête
d’entreprises. M. Shkele est remplacé par son ministre
de l’Économie, Guntars Krats.
30
Israël
Attentat meurtrier sur un marché
de Jérusalem-Ouest.
Deux jeunes Palestiniens se font sauter avec une
bombe sur un marché de la partie juive de Jérusalem, tuant 15 personnes et en blessant près de 170
autres, dont beaucoup sérieusement. L’attentat est
aussitôt revendiqué par le mouvement islamiste
Hamas. La veille, le gouvernement avait réclamé à
la Knesset (Parlement) des crédits supplémentaires
en faveur des colonies juives de Cisjordanie. Le 25,
cependant, Benyamin Netanyahou s’était opposé
au projet d’un promoteur, Juif américain d’extrême
droite, de construire de nouveaux logements réservés aux Juifs dans un quartier arabe de Jérusalem-Est.
Ces attitudes contradictoires avaient été interprétées
comme une volonté du gouvernement de satisfaire son opinion tout en donnant le change face à
la pression internationale. À la suite de cette tuerie,
la reprise des négociations entre Israéliens et Palestiniens est à nouveau reportée. Yasser Arafat, qui a
condamné l’attentat et fait arrêter un certain nombre
de militants islamistes, est fermement invité à lutter
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
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plus efficacement contre ses extrémistes. (chrono.
4/09)
31
France
Rapport sur l’immigration.
Patrick Weil présente au Premier ministre un rapport
sur la refonte de la politique d’immigration. Le chercheur suggère de ne pas supprimer les lois Pasqua
et Debré, mais d’en éliminer les aspects considérés
comme les plus contestables ou les moins pratiques.
Les 120 propositions qu’il avance visent autant à
rendre les conditions de vie des immigrés en France
moins précaires qu’à restaurer l’image internationale
du pays. Parmi ces propositions, on retiendra l’acquisition automatique de la nationalité française pour
les enfants nés en France de parents étrangers, l’élargissement du droit d’asile et l’affectation prioritaire
de travailleurs étrangers en situation régulière vers
des secteurs économiques employant traditionnellement une forte main-d’oeuvre clandestine.
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AOÛT
1
Musique
Mort de Sviatoslav Richter.
Le pianiste russe meurt dans sa datcha des environs de Moscou à l’âge de quatre-vingt-deux ans. Il
commence une carrière brillante en créant notamment plusieurs oeuvres de Prokofiev et de Chostakovitch. Rapidement, son talent exceptionnel et son
caractère très indépendant le placent à part dans le
monde corseté de la musique classique soviétique,
À partir des années 60, il se produit souvent en Occident, notamment en France, où il réside une partie
du temps. Il est considéré comme l’un des grands
interprètes du siècle.
2
Littérature
Mort de William Burroughs.
L’écrivain américain meurt dans le Kansas à l’âge de
quatre-vingt-trois ans. Après des études de littérature
et plusieurs années de vie aventureuse pendant lesquelles il rencontre toutes les grandes figures de la
beat generation, de Kerouac à Ginsberg, il se lance
dans l’écriture. Inventant la technique du cut-up
(arrangement aléatoire de bouts de phrases découpés au hasard dans des livres ou des journaux), il
décrit un monde scandaleux où régnent la drogue,
qu’il consomme en abondance, et l’homosexualité.
Après Junkie, son premier livre, le Festin nu est refusé
par les éditeurs américains pour être d’abord publié
en France en 1959. Il écrira ensuite notamment la
Machine molle, les Garçons sauvages et les Terres occidentales. Son message paranoïaque et surréaliste,
son allure de clergyman drogué auront une grande
influence sur le monde du rock, où des artistes
comme David Bowie ou les Clash se réclameront
directement de lui.
Musique
Mort de Fela.
Le musicien nigérian meurt à Lagos à l’âge de cinquante-huit ans. Saxophoniste, pianiste, chanteur, Fela
apparaît comme le musicien africain le plus connu
du continent et comme un opposant politique de
première grandeur. D’abord musicien de highlife
(mélange de rythmes traditionnels ghanéens, de jazz
et de fanfare), il découvre la soûl américaine et donne
naissance à l’afrobeat (croisement de la soûl et du highlife). À partir des années 70, il enregistre des dizaines
d’albums, dont le contenu devient de plus en plus
subversif, dénonçant l’autoritarisme et la corruption
des dirigeants militaires nigérians. Il est alors harcelé
par les forces de l’ordre qui envahissent son domicile
et défenestrent sa mère. Cela ne l’empêche pas de se
présenter aux élections présidentielles en 1983. Arrêté
l’année suivante, il reste emprisonné près de deux ans.
Brisé par une vie d’excès et par les tracasseries de la
police, il succombe des suites d’un sida non soigné.
Sri Lanka
Affrontements meurtriers.
Le ministère de la Défense sri-lankais annonce la mort
de près de 250 guérilleros tamouls du LTTE (Tigres
libérateurs de l’Eelam) à la suite d’une vaste opération menée par les forces de Colombo. On estime à
50 000 le nombre des victimes, majoritairement civiles, qui ont péri depuis le début du conflit, en 1972,
entre autorités cinghalaises et rebelles tamouls.
4
France
Mort de la « doyenne de l’humanité ».
Jeanne Calment meurt dans sa maison de retraite
d’Arles à l’âge de cent vingt-deux ans. Son souvenir
est salué par Jacques Chirac qui évoque à son propos
« notre grand-mère à tous » et « une extraordinaire vieille
dame ». En France, on compte environ 5 500 centenaires et on dénombre, en Europe de l’Ouest, pas moins
de 12 millions de personnes de plus de quatre-vingts
ans. La personne officiellement considérée comme la
plus vieille du monde est désormais un Californien de
cent quinze ans, Christian Mortensen.
5
Allemagne
Rejet de la réforme fiscale de Helmut
Kohl.
Le gouvernement ne parvient pas à faire passer son
projet de réforme des impôts (allégement de la presdownloadModeText.vue.download 126 sur 361
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
125
sion fiscale au travers d’une baisse de l’impôt sur les
sociétés et les hauts revenus). L’opposition socialedémocrate, majoritaire au Sénat, s’y oppose vigoureusement et bloque le mécanisme législatif. Le FDP,
composante minoritaire de la coalition au pouvoir,
tente de diminuer l’impôt sur la solidarité, destiné en
priorité aux Länder de l’ex-RDA. Tout cela constitue
un revers pour le chancelier Kohl à un peu plus d’un
an des prochaines élections législatives.
Bolivie
Hugo Banzer élu à la présidence de la
République.
L’ex-dictateur, qui avait dirigé le pays de 1971 à 1978
avant d’être contraint de quitter le pouvoir à la suite
d’un scrutin défavorable, est élu par le Parlement
grâce au vote d’une coalition quelque peu hétéroclite
regroupant des conservateurs, des sociaux-démocrates et des populistes. Âgé de soixante et onze ans,
le général Banzer justifie son autoritarisme des années
70 par la situation tendue d’alors et fait observer qu’il
s’est présenté depuis à plusieurs scrutins avant de revenir au pouvoir. Son succès s’explique par la lassitude
des Boliviens face à la politique libérale du président
sortant, laquelle a appauvri une majorité de la population. M. Banzer s’est imposé en promettant d’« humaniser les conséquences des réformes libérales appliquées dans le pays depuis quatre ans ».
Thaïlande
Plan de rigueur économique et
monétaire.
Trois jours après avoir dévalué le bath, la monnaie
nationale, le gouvernement présente un plan d’austérité comportant le retour à l’équilibre budgétaire,
le contrôle de l’inflation, une réforme fiscale, une
série de privatisations et, surtout, la restructuration
du système bancaire (liquidation des établissements
insolvables, ouverture complète aux capitaux étrangers). Les banques thaïlandaises avaient eu tendance
à investir en priorité dans les secteurs spéculatifs au
détriment de la productivité réelle de l’économie nationale. La croissance du pays, qui dépassait les 8 %
annuels depuis dix ans, devrait s’en trouver sérieusement ralentie. En échange de ce plan de rigueur,
le Fonds monétaire international (FMI) ouvre à la
Thaïlande une ligne de crédit de 4 milliards de dollars
auxquels s’ajoutent 12 autres milliards prêtés par le
Japon et divers pays de la région.
La tourmente monétaire a frappé également d’autres
monnaies asiatiques, comme le peso philippin, le
kyat birman ou le ringgit malais. À cette occasion, le
Premier ministre malais a accusé le financier américain George Soros d’avoir spéculé contre ces monnaies pour « punir » l’ASEAN (Association des nations
du Sud-Est asiatique) d’avoir admis en son sein la Birmanie, gouvernée par une junte dictatoriale. (chrono.
29/08)
6
États-Unis
Rachat partiel d’Apple par Microsoft.
Bill Gates, le patron de Microsoft, annonce qu’il
va acheter pour 150 millions de dollars d’actions
d’Apple, en très mauvaise situation financière
(1,6 milliard de dollars de pertes en dix-huit mois).
Microsoft offrira à Apple un de ses logiciels très prisés
par les entreprises, tandis qu’Apple ouvrira son système d’accès à Internet à son ancien concurrent. En
agissant de la sorte, M. Gates évite à Apple de couler,
ce qui permet à Microsoft de conserver le marché
des utilisateurs de Macintosh ; d’autre part, il atténue
l’image monopolistique de Microsoft (actuellement
sous le coup d’une enquête du département de la
Justice) en venant au secours d’un de ses plus anciens concurrents.
Apple sauvé
par Microsoft ?
Le 7 août 1997, lors de la manifestation annuelle
organisée pour les fanatiques du Macintosh, Steve
Jobs annonce devant un parterre médusé l’entrée
de Microsoft dans le capital d’Apple. C’est la fin
d’une guerre fratricide de près de quinze ans où le
« méchant géant » a fini par triompher du « gentil
nain ».
L’histoire commence en 1985, date à laquelle
Steve Jobs, le cofondateur d’Apple, est sèchement débarqué par son conseil d’administration. Paradoxalement, l’entreprise triomphe. Elle
vient d’écouler plusieurs centaines de milliers de
Macintosh, un ordinateur personnel programmé
pour rendre extrêmement simple (« conviviale »
disait-on alors) son utilisation. Apple dote en
outre le « Mac » d’un outil révolutionnaire, aujourd’hui universellement adopté : la souris.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
126
Mais la firme de Cupertino ne profitera pas longtemps de l’incroyable avance technologique du
Mac sur les autres micro-ordinateurs (ou PC).
Dans les années 80, Apple bénéficie pourtant
pleinement de l’avantage concurrentiel que
lui confère le Macintosh. Son objectif est alors
de conquérir de nouvelles parts de marché. La
firme refuse donc obstinément de rendre compatibles ses matériels avec les PC commercialisés par IBM, son principal concurrent. Là réside
l’erreur stratégique d’Apple. Car, dans le même
temps, le géant informatique adopte une stratégie rigoureusement inverse. Dès 1980, il confie
la conception du système d’exploitation (Ensemble de lignes de code qui permet aux ordinateurs de faire fonctionner les logiciels d’application contenus en mémoire.) de son IBM-PC à
Microsoft. Cette petite société installée près de
Seattle n’a d’ailleurs aucune compétence dans
ce domaine. Elle achète à un obscur informaticien, Tim Paterson, le programme QDOS, qu’elle
rebaptisera MS-DOS (Microsoft-Disk Operating
System). Parallèlement, IBM, qui doute encore
de l’avenir du micro-ordinateur, n’hésite pas à
céder la licence d’exploitation de son PC à des
dizaines de constructeurs. Ce sont ces fameux
« cloneurs » qui, Compaq et Hewlett Packard en
tête, finiront par cannibaliser la part de marché
de Big Blue sur les ordinateurs personnels. Celleci passera en dix ans de 40 % à... 7 %.
Impérialisme du MS-DOS
Désastreuse pour IBM, cette politique systématique de sous-traitance et de cession de licences
est une véritable aubaine pour Microsoft. Elle
oblige en effet les fabricants (Apple excepté), à
adopter le seul système d’exploitation qui équipe
les micro-ordinateurs d’IBM : le fameux MS-DOS.
Sans coup férir, et alors même qu’il possède un
retard technologique important sur son concurrent Apple, Microsoft se trouve donc dès le début
des années 80 à la tête d’un quasi-monopole de
fait. Il ne lui restera plus qu’à « s’inspirer » des
fonctionnalités du système d’exploitation d’Apple
pour conforter ce monopole : en 1990, Microsoft
lance Windows 3,0, un programme doté d’une interface graphique en tout point semblable à celle
du Macintosh, et adopte la souris. Le résultat ne
se fait pas attendre : en dix ans, le chiffre d’affaires
de Microsoft passera de 300 millions à 11,36 milliards de dollars (1997).
Victime de l’absence de compatibilité de ses
matériels, Apple voit dans le même temps sa
part de marché se réduire comme une peau de
chagrin. À tel point qu’en décembre 1996 l’exentreprise phare de la Silicon Valley rappelle en
catastrophe Steve Jobs. La firme est au bord du
gouffre : ses pertes sont abyssales, son chiffre
d’affaires vient d’enregistrer dans la même
année une chute de plus de 30 % et sa part du
marché mondial des ordinateurs personnels est
tombée à 5 %. À titre de comparaison, les microordinateurs équipés des systèmes d’exploitation
Windows représentent aujourd’hui plus de 90 %
des ventes mondiales !
Steve Jobs est un homme plus attiré par la création que par la gestion (il a fondé tour à tour
Next, une compagnie spécialisée dans les logiciels, et Pixar, une société d’animation). Refusant de prendre une responsabilité directe dans
l’entreprise, il se contente d’occuper pendant
les premiers mois de l’année un vague poste de
conseiller, en attendant que Gil Amelio (alors
président) démissionne. C’est chose faite en juillet 1997. Un mois plus tard, Steve Jobs annonce
la spectaculaire entrée de Microsoft dans le capital d’Apple (moyennant 150 millions de dollars,
soit 5 % du capital de son concurrent) et détaille
une série d’accords entre sa société et l’entreprise de Seattle. Le soir même, l’action Apple fait
un bond de 33 % pour atteindre 26,31 dollars.
L’indépendance technologique du fabricant du
Macintosh appartient désormais au passé.
Pour Bill Gates, le PDG de Microsoft, l’entrée
dans le capital d’Apple comporte un avantage
immédiat. Sa stratégie a toujours été de pérenniser, en l’élargissant, le monopole de fait sur
lequel son entreprise a bâti sa fortune. Or, Bill
Gates a tellement bien réussi que Microsoft encourt aujourd’hui les foudres de la commission
antitrust. La prise de participation pour à peine
un milliard de francs dans le capital d’Apple le
préserve momentanément de l’accusation de
position monopolistique : grâce à son geste, Bill
Gates permet en effet à son concurrent Apple de
rester dans la course.
Un pari risqué
Steve Jobs joue quant à lui une partie extrêmement risquée. Non content d’accueillir Microsoft
dans son capital, il a en effet convié Larry Ellison,
le patron d’Oracle (no 2 du secteur aux ÉtatsUnis), à siéger au sein de son conseil d’administration. Or, Larry Ellison ne s’est pas seulement
déclaré intéressé par le rachat d’Apple. C’est
aussi un ennemi juré de Bill Gates. Il rêve de se
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
127
servir d’Apple comme d’un moyen pour imposer
le Network Computer, un dispositif capable de
se connecter à Internet sans passer par l’achat
onéreux d’un de ces PC qui ont fait la fortune
de Microsoft... et sur lesquels Apple fonde ses
espoirs de reconquête. Pour sortir de l’impasse,
Steve Jobs risque de transformer son entreprise
en champ de bataille incontrôlable. Les mois à
venir seront donc décisifs pour la survie, au-delà
du siècle, de la « petite star de Cupertino ».
J.-F. P.
Apple rachète son principal cloneur
En 1995, Apple accepte enfin d’accorder des
licences aux fabricants d’ordinateurs. Mais,
longtemps repoussée, cette décision qui
aurait pu il y a dix ans lui sauver la mise...
a été prise trop tard. Censés développer les
parts de marché du Macintosh, les « clones »
ont eu un effet exactement inverse. Fin août,
Apple annonçait donc le rachat de Power
Computing, un cloneur qui en deux ans s’était
constitué un marché de près de 400 millions
de dollars. Cette opération prouve au moins
qu’Apple n’a pas encore renoncé à son rôle
de constructeur de machines.
7
France
Maurice Papon placé sous contrôle
judiciaire.
L’ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde, de 1942 à 1944, âgé de quatre-vingt-six ans,
accusé d’être responsable de la déportation vers
Auschwitz de 1 560 Juifs de la région bordelaise, est
placé sous contrôle judiciaire jusqu’à son procès en
octobre. Il est tenu de signaler tout déplacement en
dehors de Paris. (chrono. 8/10)
8
Congo-Brazzaville
Reprise des combats.
Les violences reprennent dans la capitale entre
partisans du président en place Pascal Lissouba et
ceux de son prédécesseur Denis Sassou-Nguesso.
Au bout de quelques jours, les combats s’étendent
à la province, où les forces favorables à M. Sassou
Nguesso marquent des points sur leurs adversaires.
Les négociations de paix menées sous l’égide du président gabonais Omar Bongo sont interrompues puis
reprennent difficilement. D’autant que le président
du Congo-Kinshasa, Laurent-Désiré Kabila, propose
l’envoi d’une force africaine d’interposition tout en
accusant Paris de tirer les ficelles des négociations
menées par le président gabonais.
10
Algérie
Nouvelles tueries.
Après l’assassinat de familles entières dans des villages du sud d’Alger, on estime à au moins 800 morts
le nombre des victimes civiles de la violence politique depuis les élections du 5 juin.
Athlétisme
Fin des Championnats du monde.
Avec 2 médailles (l’or de Stéphane Diagana sur 400 m
haies et le bronze du relais 4 × 100 m féminin), la
France finit au 18e rang des 36 nations ayant obtenu
des médailles. Ces Championnats resteront marqués
par la performance exceptionnelle de l’Ukrainien Sergueï Bubka qui, à trente-trois ans, obtient son 6e titre
consécutif à la perche.
L’Algérie, d’horreurs
en drames
De tous les conflits qui ternissent cette fin de
siècle, celui qui endeuille l’Algérie reste sans
aucun doute le plus opaque. On ignore le nombre
des victimes, on identifie mal les responsables,
on ne perçoit plus les objectifs. Les stratégies
des protagonistes se brouillent, les événements
démentent toutes les hypothèses, elles-mêmes le
plus souvent fondées sur des spéculations hasardeuses. L’escalade de la violence qui a marqué
l’été 1997 aura posé son nouveau lot de questions.
La télévision algérienne a longuement couvert la mort de la princesse Diana mais elle n’a
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
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soufflé mot de la tragédie de Béni Messous, une
localité située dans la banlieue d’Alger, où une
cinquantaine de civils auraient été tués et une
soixantaine d’autres blessés. Quelques jours
auparavant, dans la nuit du 29 août, à Raïs, également près de la capitale, entre 100 et 300 personnes – en majorité des femmes et des enfants
– avaient été égorgées par un commando dont
les membres étaient, selon les témoignages de
survivants, habillés à l’afghane et portaient de
longues barbes. D’autres massacres devaient
suivre tout au long du mois de septembre, chacun semblant vouloir dépasser en horreur le précédent. Quelle que soit l’identité des bourreaux,
la guerre civile a revêtu le masque de la barbarie, et les carnages commis au cours de l’été ont
défié l’imagination. Les centaines de personnes
assassinées, le plus souvent égorgées, dans les
wilayas de Blida et d’Aïn Defla, entre le 30 juillet
et le 29 août, et le massacre, le 19 septembre, de
53 villageois – en majorité des femmes et des
enfants – près de Médéa, au coeur de la Mitidja
(baptisée le « triangle de la mort »), ont alimenté
les rumeurs les plus folles. Il est vrai que les facilités d’action des « islamistes » – les terroristes,
selon la terminologie officielle – et l’impunité
dont ont paru bénéficier les assaillants sont pour
le moins troublantes.
Terreur contre terreur
Qui donc pourra s’étonner que de nombreux Algériens soient convaincus que le pouvoir est le
principal instigateur de la violence dans laquelle
baigne le pays depuis 1992 ? Contre toute vraisemblance, la société civile lui impute même des
crimes qu’il n’avait aucun intérêt à commettre,
comme l’assassinat des moines de Tibhirine,
en 1996. Mais une autre question se pose : les
massacres de Raïs et de Béni Messous, à l’ouest
d’Alger, étaient-ils bien l’oeuvre de commandos
islamistes ? La passivité des forces de police, déjà
observée à l’occasion des tueries précédentes, a
été cette fois tellement flagrante qu’elle ne peut
pas être seulement l’horrible avatar de la stratégie menée par le pouvoir depuis plus de deux
ans : laisser une partie de la population sans
défense pour la contraindre à prendre les armes
et à s’impliquer dans la guerre. En effet, il n’a
échappé à personne que ces massacres se sont
déroulés à proximité immédiate des casernes.
De plus, les civils massacrés vivaient dans des
régions acquises aux idées islamistes. On se
souvient que, lors du premier tour des élections
législatives de décembre 1991, le FIS y avait été
littéralement plébiscité. Aussi a-t-on avancé une
hypothèse effrayante : les autorités auraient laissé se faire massacrer par leurs anciens « amis »
ces « mauvais citoyens » pauvres et sans défense
– alors qu’ailleurs des milices armées par le régime ont été crées. Mieux, dans la perspective
des élections locales d’octobre – renouvellement des conseils municipaux –, les militaires
pouvaient penser que les habitants de la Mitidja
n’envisageraient pas de voter pour des candidats
islamistes, fussent-ils modérés.
Des éléments suffisamment troublants pour que
les Algériens, la presse, mais aussi les chancelleries étrangères et plusieurs sources diplomatiques occidentales à Alger évoquent une complicité passive des forces de sécurité, voire leur
participation directe dans le massacre de Raïs. Si
la complexité du drame algérien permet d’envisager toutes les hypothèses – même les plus
folles – et si l’opacité du régime empêche, elle,
de ne rien pouvoir affirmer avec certitude, on retiendra toutefois que les événements du 29 août
et du 19 septembre coïncidaient avec l’avancement des négociations avec le Front islamique
du salut (FIS), un sujet on ne peut plus brûlant au
sein du commandement militaire.
Un bras de fer au sommet de l’État ?
Longtemps, on a bien voulu se représenter le
drame algérien sous un jour manichéen : privés
de leur victoire électorale en 1991, les islamistes
avaient déclaré la guerre au régime militaire, lequel optait pour une « éradication » des groupes
armés, quitte à employer des moyens aussi radicaux que ceux de l’adversaire. Pourtant, très vite,
il est apparu que l’islamisme algérien était multiple et qu’entre le FIS et le GIA, principalement,
la lutte devenait chaque jour un peu plus âpre.
En dépit des attentats à répétition, qui ont porté
la mort jusqu’au coeur d’Alger, les autorités algériennes n’ont cessé d’affirmer que les groupes ar-
més étaient en passe de perdre la bataille. Pour
être donc qualifié de « résiduel », le terrorisme
aura, cette année encore, fait montre d’une
effroyable vitalité, au point que le régime en
paraissait totalement discrédité. Une incapacité
si flagrante que, pour la première fois, on a commencé à évoquer une autre lutte, celle que se
livreraient les militaires, divisés sur leur soutien
au président Liamine Zeroual. L’absence totale
de transparence du pouvoir ne permet pas de
connaître les stratégies de chacun des généraux.
Il n’est pas exclu, dans ces conditions, d’envisadownloadModeText.vue.download 130 sur 361
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
129
ger une révolution de palais. Mais, là aussi, la distribution des rôles n’est pas aussi simple qu’il y
paraît, et les stratégies des généraux ont brouillé
des pistes tenues pour acquises, jusqu’au printemps 1997, il était admis que le chef de l’État
avait engagé une partie de bras de fer avec les
généraux, ceux-là mêmes qui l’avaient porté
au pouvoir, afin de trouver une issue négociée,
quitte à réintégrer le FIS dans le jeu politique.
On présentait le général Mohamed Lamari (le
patron de l’armée) comme l’incarnation des
« éradicateurs », persuadés de pouvoir gagner la
bataille contre les islamistes sur le terrain. Pourtant, plusieurs sources concordantes indiquent
que ce même Lamari aurait renoué le dialogue
avec les chefs de l’AIS (la branche armée du FIS),
une initiative personnelle prise sans l’aval de la
présidence. Alors que L. Zeroual, lui, avait misé
sur le FIS – par la libération à la mi-juillet de son
chef historique, Abassi Madani –, le chef d’étatmajor de l’armée, estimant que le président
n’avait plus le crédit nécessaire pour se faire
obéir de ses troupes, aurait décidé de jouer la
carte de l’AIS, dont les chefs, toujours au contact,
lui paraissent mieux à même d’entraîner leurs
hommes dans une guerre contre les GIA. C’est
donc peu d’écrire que l’Algérie a traversé une période paradoxale : au moment où les massacres
de civils prenaient des proportions insensées,
une solution politique était peut-être en train de
s’esquisser, après plus de cinq ans d’une guerre
civile qui a causé la mort de plusieurs dizaines de
milliers de personnes.
Les Algériens possédaient déjà un président de
la République élu et une Constitution. Depuis le
5 juin 1997, ils ont une Chambre des députés,
étape présentée comme la plus importante de
la relégitimation du régime. Le faible taux de
participation – 4 Algériens sur 10 ne se sont pas
rendus aux urnes – suffit à prendre la mesure du
peu d’illusions que nourrit la population à l’endroit des initiatives « démocratiques » de la présidence. En choisissant de ne pas intervenir lors
des massacres de la plaine de la Mitidja, les « autorités » ont peut-être estimé en retirer un avantage dans la lutte contre les terroristes. Il ne faut
pas oublier trop vite que certains morts pèsent
plus lourds que d’autres et que la mémoire est le
plus fort obstacle à la réconciliation.
P. F.
Des morts sous surveillance
La presse algérienne est très surveillée, et
l’absence de journalistes étrangers permanents en Algérie ne permet pas de vérifier
les informations que le pouvoir consent à
livrer. Dans ces conditions, il est quelque
peu hasardeux de vouloir dresser un bilan
de la violence, encore moins un tableau
des pertes. Par exemple, celles subies par
les forces de sécurité ne sont jamais mentionnées. Selon certaines estimations officieuses, on peut avancer le chiffre de 60 000
à 100 000 morts depuis le début de la guerre
civile. Quant au nombre des personnes
assassinées entre août et octobre, il avoisinerait sans aucun doute le millier, voire
davantage.
12
France
Alerte à la pollution dans les grandes
métropoles.
Du fait de l’ensoleillement et de l’absence de vent, les
stations de contrôle constatent à Paris, Lille, Lyon et
Strasbourg que les pics de pollution par l’ozone ont
dépassé le niveau 2. La police accentue les contrôles
de vitesse des voitures (plus un moteur tourne vite,
plus il produit de gaz d’échappement) et les préfets
décrètent la gratuité du stationnement dans les
zones résidentielles afin de favoriser les transports
en commun. L’ancien ministre de l’Environnement,
Corinne Lepage, réclame que sa loi sur l’air de décembre 1996 soit enfin mise en application. Le texte
prévoit un contrôle accru de la qualité de l’air et la
mise en place de la « pastille verte », réservée aux
véhicules les moins polluants. (chrono. 1/10)
13
Kenya
Violences ethniques.
Sur la côte près de Mombassa, à proximité des installations touristiques, des heurts meurtriers opposent
des membres de l’ethnie côtière à ceux de l’ethnie
venue de l’intérieur du pays. Ces derniers sont pourchassés, et l’on déplore une quarantaine de victimes
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
130
en une semaine. Le président Daniel Arap Moi accuse
l’opposition, majoritaire dans la région, d’attiser, à
quelques mois des prochaines élections législatives,
les oppositions ethniques pour remettre en cause
son pouvoir et pour forcer les membres de l’ethnie
minoritaire à quitter les lieux. En 1992, également
en période préélectorale, des violences similaires
avaient provoqué la mort de 2 000 personnes.
14
Argentine
Succès de la grève générale.
Grève et manifestations mobilisent des foules nombreuses contre les conséquences de la politique
libérale du président Carlos Menem. Les syndicats
avaient reçu l’appui de l’opposition unie au sein de
l’Alliance pour le travail, la justice et l’éducation (regroupant le vieux Parti radical et la nouvelle formation de centre gauche Frepaso). En jetant les bases
d’une coalition de gouvernement, en acceptant les
grandes lignes de la libéralisation de l’économie,
mais en proposant des correctifs sociaux, l’opposition prend une option sérieuse pour les prochaines
élections législatives d’octobre, faisant peser sur le
président Menem la menace de deux ans d’une difficile cohabitation.
Russie
Retour des cosmonautes de Mir.
Après avoir été remplacés à leur poste dans l’espace
puis ramenés par un vaisseau Soyouz, Vassili Tsibliev
et Alexandre Lazoutkine reviennent sur la Terre. Leur
mission a été marquée par une suite d’incidents
sans précédent : collision avec un vaisseau de ravitaillement, panne d’ordinateur, panne d’électricité,
problèmes cardiaques pour Tsibliev, etc. Les deux
hommes sont aussitôt accusés d’incompétence
et l’on évoque même la possibilité de sanctions
financières à leur encontre. Ils se défendent en
évoquant la détérioration générale de l’économie
russe et ses conséquences sur l’industrie spatiale.
Le 22, les cosmonautes russes Pavel Vinogradov
et Anatoli Soloviev parviennent à reconnecter les
câbles électriques qui alimentent la station spatiale
et qui avaient été endommagés en juin. La réussite de cette difficile opération contribue à rétablir
le prestige bien entamé de l’industrie aérospatiale
russe, sérieusement mise à mal depuis les ennuis
à répétition de Mir. Cependant, le 6 septembre, les
cosmonautes échouent dans leur tentative de repérage et de colmatage de la fuite du module Spektr.
La persistance de cette brèche risque de remettre
en cause la suite du programme russe de vols spatiaux humains, d’autant que Spektr était utilisé par
les cosmonautes américains, grands pourvoyeurs
de fonds. Le 8 septembre, l’ordinateur central de
Mir tombe une nouvelle fois en panne, ce qui fait
perdre à la station spatiale le contrôle de son orientation par rapport an Soleil, compromettant ainsi le
rechargement de ses batteries électriques.
15
Chypre
Échec des négociations
intercommunautaires.
Glafcos Cléridès, président de la République de
Chypre, et Rauf Denktash, leader de la communauté
turque de l’île, se séparent sur un constat de désaccord après cinq jours de discussions en Suisse. Des
pourparlers ultérieurs sont prévus, sans qu’une date
précise ne soit arrêtée.
Géorgie
Déclaration de paix entre Tbilissi et
séparatistes abkhazes.
Sous le patronage vigilant du gouvernement russe,
Edouard Chevardnadze, président de la Géorgie, et Vladislav Ardzinba, leader des séparatistes
d’Abkhazie (région située au nord-ouest du pays),
s’engagent « à ne pas recourir aux armes pour régler leurs différends ». Même si les modalités politiques et pratiques de cette déclaration n’ont pas
été abordées, on considère que celle-ci devrait
constituer une bonne base pour en finir avec un
conflit qui, en 1992-1993, a provoqué la mort de
près de 10 000 personnes et l’exil de 250 000 autres.
Moscou, qui dans le passé avait encouragé les
séparatistes abkhazes afin de faire pression sur les
autorités géorgiennes et les forcer ainsi à demeurer au sein de la CEI, s’est largement engagée dans
ce processus de négociations. Les autorités russes
espèrent que la solution abkhaze va constituer un
précédent légal qui facilitera leurs propres négociations avec les indépendantistes tchétchènes.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
131
16
Rock’n’roll
Vingtième anniversaire de la mort
d’Elvis Presley.
Des dizaines de milliers de fans venus du monde
entier se retrouvent à Memphis (Tennessee) et se
rendent à Graceland, la demeure d’Elvis, le « King », afin
d’y célébrer les vingt ans de la disparition du fondateur
du rock’n’roll, mort à l’âge de quarante-deux ans.
18
Proche-Orient
Reprise des bombardements au Liban
sud.
L’armée du Liban-Sud (ALS, force libanaise chrétienne alliée à Israël) bombarde des zones tenues par
le Hezbollah, dans la région de Saïda : 6 civils sont
tués et 43 autres, blessés. Le lendemain, le Hezbollah
réplique par des tirs de roquettes sur le nord d’Israël.
Ce cycle de violences intervient alors que les pourparlers israélo-palestiniens sont plus que jamais au
point mort. Le gouvernement de Benyamin Netanyahou continue de pratiquer un bouclage strict
des zones palestiniennes en représailles à l’attentat
islamiste de Tel-Aviv, le 30 juillet. Le négociateur américain Dennis Ross quitte la région sans être parvenu
à renouer les fils de la négociation. Les Palestiniens
reprochent à Washington de s’aligner complètement
sur la politique de M. Netanyahou, en exigeant de
Yasser Arafat toujours plus de rigueur à l’égard des
mouvements islamistes et en refusant d’exercer la
moindre pression sur les autorités israéliennes afin
de les forcer à reprendre le dialogue.
20
France
Présentation du plan emploi pour les
jeunes.
Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité,
présente en Conseil des ministres son projet de loi
visant à la création de 350 000 emplois, dont 150 000
avant la fin de 1998, pour les jeunes de 18 à 26 ans.
Ces emplois, rémunérés au SMIC (5 240 F nets par
mois), sont prévus pour une période de cinq ans et
régis par des contrats de droit privé. Ils seront proposés par les collectivités locales, les établissements
publics et les associations, financés à 80 % par l’État
et à 20 % par les institutions concernées. Le coût total
de ces emplois sur trois ans a été chiffré à 35 milliards
de francs. Les tâches couvertes par ces emplois
concernent essentiellement des services non assurés
par les administrations existantes : en matière d’éducation (soutien scolaire, prévention de la violence),
de santé (aide au troisième âge), de logement (entretien, sécurité), d’environnement (entretien des espaces naturels, traitement des déchets), etc. Jacques
Chirac fait savoir qu’il approuve la philosophie du
projet mais qu’il s’oppose à un gonflement des emplois publics, estimant que seuls les emplois créés
par le secteur privé constituent des emplois stables
et n’obérant pas l’équilibre des finances publiques.
Le gouvernement
subventionne
massivement
l’embauche des jeunes
Le lundi 13 octobre, l’Assemblée nationale adoptait le projet de loi sur l’emploi des jeunes. Son
objectif : permettre l’accès à l’emploi, dans les
secteurs public et associatif, de 350 000 jeunes de
18 à 26 ans dans le cadre d’un contrat de cinq ans.
Le pari, ambitieux et généreux, n’est pas gagné
d’avance.
Inspirée et défendue par Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité et présidente
de la fondation Agir contre l’exclusion, la loi sur
l’emploi des jeunes a été bâtie sur un double
constat. La France est un pays dont le quart des
jeunes actifs est au chômage. Pourtant, il existerait, à la frontière du public et du privé, des
emplois « dormants » répondant à des besoins sociaux, non satisfaits mais réels, des citoyens : être
mieux accueilli dans les services publics, rassuré
dans les quartiers sensibles, initié aux technologies nouvelles... L’État doit donc inciter les collectivités territoriales, les établissements publics et
le réseau associatif à multiplier ces emplois, tout
en les réservant aux jeunes de moins de 26 ans.
Ce programme, qui conduit le gouvernement de
Lionel Jospin à lutter sur les fronts de l’emploi et
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
132
de la solidarité, est ambitieux. L’objectif est d’offrir en trois ans 350 000 contrats de droit privé à
des jeunes chômeurs, quel que soit leur niveau
de qualification. Volontariste, le gouvernement
entend montrer l’exemple en embauchant,
avant janvier 1998, 40 000 jeunes dans l’Éducation nationale. Afin d’inciter les employeurs visés à suivre, la loi prévoit le versement par l’État
pendant cinq ans d’une aide de 92 000 F par an
et par emploi. Cette aide correspond à 80 % du
SMIC, la rémunération des jeunes embauchés
devant être au moins égale au salaire minimum
(6 663 F bruts à la fin octobre 1997). Au total,
l’ensemble de ces mesures devrait coûter 35 milliards de francs à l’État.
Ambitieuse et généreuse, la loi Aubry recèle
néanmoins un certain nombre d’incertitudes. Le
risque majeur d’un dispositif aussi lourd est de
subventionner des emplois de « seconde zone »,
mal payés et peu qualifiés, au détriment d’emplois publics ou privés qui auraient pu ou dû
être créés. Les dix personnalités mandatées pour
identifier les nouveaux métiers aidés par l’État
se sont pourtant inspirées des contrats emploisolidarité (CES) ou initiative-emploi (CIE) grâce
auxquels des milliers de jeunes ont déjà trouvé
une activité d’agent d’ambiance, d’accompagnement ou d’accueil au sein des collectivités
locales. Mais la plupart de ces contrats incluaient
une formation financée par l’État. Son rôle ? Permettre aux salariés d’acquérir une qualification
reconnue sur le marché du travail.
Vrais ou faux emplois ?
Or, les emplois Aubry, à temps complet, ne prévoient rien de tel. La loi stipule simplement qu’une
formation pourrait « éventuellement » être prévue, sans préciser l’origine de son financement.
La formation pendant le travail, gage d’évolution
et donc de pérennisation d’un poste, sera donc
difficile à mettre en oeuvre, notamment dans les
petites structures telles que les associations, déjà
appelées à financer une part importante du dispositif. Car, si l’État prend en charge 80 % du SMIC
versé au jeune salarié, le complément (1 800 F
majorés des charges patronales) reste à la charge
de l’employeur. Au-delà de cinq ans, lorsque le
dispositif d’aides s’arrêtera, la pérennité des emplois les moins qualifiés et les moins évolutifs sera
de toute façon remise en cause.
Dans les grandes administrations (police ou Éducation nationale), un système inspiré du tutorat
pourrait être envisagé. Mais, cette fois, ce sont les
syndicats et les personnels, très méfiants à l’égard
de tout ce qui pourrait engendrer une fonction
publique « au rabais », qui font blocage. Certains
voient d’un très mauvais oeil l’arrivée, pour la première fois en France, d’un contrat à durée limi-
tée de longue durée (cinq ans). D’autres croient
trouver dans la loi un moyen pour les employeurs
les moins scrupuleux de prérecruter des fonctionnaires, voire d’embaucher à moindre frais des
jeunes diplômés qui auraient peut être trouvé
un travail mieux rémunéré sans cette aide ! Si
tel était le cas, les vagues de recrutements pourraient s’opérer au détriment des jeunes les moins
qualifiés ou des demandeurs d’emploi de plus de
26 ans. Tous ceux qui ont le plus besoin d’un soutien de la part de l’État.
Toute l’ambiguïté du dispositif est bien là. Elle
tient à la nature même des métiers qui bénéficieront du dispositif d’aide publique. Soit ils sont
par nature insolvables et peu « qualifiants » – et,
donc, ils devraient logiquement faire l’objet d’un
financement global assorti d’une formation permettant aux jeunes de « rebondir » sur le marché
du travail –, soit ils répondent à de véritables
besoins sociaux. Dans ce cas, ces « nouveaux
métiers » (aide éducateur, agent d’ambiance,
médiateur familial...) risquent de se substituer à
d’anciens emplois (instituteur, surveillant, assistante sociale) que l’État ne peut ou ne veut plus
rémunérer à leur juste valeur. Ce même effet
d’éviction guette d’ailleurs certains métiers du
secteur privé, notamment dans les domaines du
logement, de l’entretien et de la sécurité. Deux
exemples : la loi Aubry prévoit d’aider les emplois « d’agent de gestion locative » et « d’agent
d’entretien polyvalent ». Or, le premier entre en
concurrence directe avec celui, pourtant traditionnel, de régisseur. L’apparition du second
métier risque de remettre en cause l’ensemble
des contrats liant les offices d’HLM aux sociétés
privées de nettoyage !
C’est pour éviter de tels effets pervers que les députés ont obtenu du gouvernement qu’il dresse
un premier bilan du plan emploi-jeunes au 31 décembre 1998, afin de confirmer ou d’infirmer les
craintes pesant sur le dispositif. Une chose est
sûre, dès le mois de septembre, les jeunes concernés plébiscitaient le projet de loi en déposant
plus de 40 000 candidatures dans les rectorats. Il
reste à espérer que leurs attentes ne seront pas
déçues.
J.F. P.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
133
L’opposition divisée sur
le vote du texte
Partageant la gauche et la droite selon un clivage, désormais traditionnel, entre partisans
de l’intervention de l’État et libéraux purs et
durs, le plan emploi-jeunes était adopté avec
la neutralité bienveillante d’une fraction de
l’opposition. En septembre, lors du premier
vote devant l’Assemblée nationale et alors
même que RPR et UDF appelaient à s’opposer au texte, 38 députés de l’opposition
s’abstenaient de voter, 3 autres, dont JeanPierre Soisson, ancien ministre du Travail,
votaient même en faveur du texte.
22
États-Unis
Bill Clinton poursuivi pour harcèlement
sexuel.
Un juge fédéral décide que le président américain
devra comparaître en mai 1998 devant un tribunal
sous l’inculpation d’avances sexuelles explicites à
rencontre de Paula Jones, une employée de l’État
d’Arkansas, dont M. Clinton était gouverneur. Les faits
remontent à 1991. Les avocats du président américain n’excluent pas un arrangement à l’amiable avec
Mme Jones, dont le dossier présente, aux yeux des
spécialistes, plusieurs lacunes. Les sondages continuent d’être favorables à M. Clinton. Les personnes
interrogées lui savent gré de la bonne situation
économique du pays et, même si elles sont souvent
convaincues de sa culpabilité dans l’affaire, ne lui
en font pas grief. Cela marque une évolution de la
mentalité collective des Américains, jusque-là très
puritaine sur la conduite sexuelle de leurs dirigeants.
23
Bosnie
Rupture au sein de la République serbe
de Bosnie.
Les partisans de Radovan Karadzic, accuse de crimes
contre l’humanité, et le gouvernement des Serbes
de Bosnie, basé à Pale, rompent toute relation avec la
présidente Biljana Plavsic, basée à Banja Luka. Celleci, soutenue par la communauté internationale,
est favorable à la mise en application effective des
accords de Dayton, signés à la fin de 1995. (chrono.
14/09)
24
France
Succès des Journées mondiales de la
jeunesse (JMJ) catholique à Paris.
Le pape Jean-Paul II clôt par une messe célébrée
devant près de un million de fidèles la semaine des
jeunes catholiques à Paris. L’affluence des participants, notamment français, à ces JMJ constitue une
heureuse surprise pour l’Église catholique française
qui craignait une désaffection des fidèles nationaux.
Malgré ce succès, l’opération se solde par un trou
financier de près de 60 millions de francs et il est fait
appel à la générosité des fidèles. Le Premier ministre,
Lionel Jospin, a salué en la personne du souverain
pontife « l’un des grands témoins de notre temps ».
Toutefois, certains regrettent la visite du pape sur la
tombe du professeur Lejeune, ancien partisan des
régimes franquiste et vichyste, adversaire résolu de
l’avortement.
25
Allemagne
Condamnation du dernier président de
RDA.
Egon Krenz, le successeur d’Erich Honecker, est
condamné à six ans et demi de prison et incarcéré.
L’ancien dirigeant communiste a été reconnu coupable d’avoir, en tant que responsable suprême, laissé abattre par les gardes-frontières plusieurs dizaines
de personnes qui tentaient de franchir le « rideau de
fer » afin de gagner la partie ouest du pays.
26
Afrique du Sud
Retraite politique de Frederik De Klerk.
Le dernier président blanc du pays, Prix Nobel de
la paix avec Nelson Mandela, se retire de la vie polidownloadModeText.vue.download 135 sur 361
JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
134
tique. Son départ est salué par M. Mandela lui-même.
M. De Klerk avait quitté le gouvernement en 1996,
deux ans après l’élection de M. Mandela à la présidence. Depuis, son prestige avait décliné après les
révélations sur ses responsabilités passées dans la
politique d’apartheid et du fait de son conservatisme
avéré dans la défense des intérêts de la minorité
blanche. Une faction de son parti, le National Party
(NP), avait même fait sécession pour créer une nou-
velle formation, plus centriste et davantage ouverte
aux courants modérés de la minorité blanche. Il est
remplacé par Marthinus Van Shalkwyk, trente-sept
ans, un ancien agent secret peu ouvert à la nouvelle
donne multiraciale ayant cours dans le pays.
28
Angola
L’Unita sanctionnée par l’ONU.
L’Union nationale pour l’indépendance totale de
l’Angola est sanctionnée à l’unanimité par le Conseil
de sécurité. Il est reproché à l’organisation dirigée par
Jonas Savimbi de ne pas respecter les accords de novembre 1994 signés avec le gouvernement du président Eduardo Dos Santos et de continuer à favoriser
une agitation armée dans les régions qu’elle contrôle.
Un embargo économique est prononcé, tandis que
les mouvements à l’étranger des dirigeants de l’Unita
seront contrôlés. Ces derniers mois, le rapport des
forces s’est sérieusement orienté à la défaveur des
partisans de M. Savimbi : M. Dos Santos est un ami
personnel et politique de son voisin congolais Laurent-Désiré Kabila, et les Américains ont pris davantage leurs distances vis-à-vis d’un mouvement dont
l’utilité politique ne leur semble plus compter.
Congo-Kinshasa
Nouvelles entraves à l’enquête de
l’ONU.
Les autorités de la nouvelle République démocratique du Congo (RDC) multiplient les obstacles
administratifs envers les membres de la commission
d’enquête sur les disparitions de réfugiés hutus du
Rwanda. Convaincus que les partisans du président
Laurent-Désire Kabila cherchent à laisser passer le
temps pour effacer toutes les traces des massacres et
mécontents de la présence de nombreux Rwandais
à la tête des institutions congolaises, les responsables
américains déclarent que si la commission d’enquête
était effectivement entravée cela « affecterait la position de Washington à l’égard du président Kabila ».
Courant septembre, les autorités de Kinshasa continuent de gêner la mission des enquêteurs de l’ONU,
et un ministre s’en prend publiquement au secrétaire
général des Nations unies, Kofi Annan, l’accusant de
« provocation délibérée ».
France
Philippe Séguin contre toute alliance
avec le FN.
Le nouveau président du RPR déclare : « Sauf départ
de ma part, il n’y aura pas d’alliance [avec le Front
national], parce qu’il n’y a pas de proximité de programme politique. » Dans le même temps, la plupart
des responsables de la droite s’opposent au projet de
fusion du RPR et de l’UDF. Les sondages indiquent
cependant que 64 % des sympathisants de l’UDF et
72 % de ceux du RPR y sont favorables, contre 44 %
pour l’ensemble des personnes interrogées.
29
Algérie
Multiplication des massacres.
Entre 200 et 300 personnes sont assassinées dans des
conditions atroces dans la région et dans la banlieue
d’Alger. La violence atteint ainsi son plus effroyable
niveau depuis le début, en 1992, de la guerre civile
larvée. Beaucoup s’étonnent que ces massacres aient
pu se perpétrer à quelques centaines de mètres seulement de casernes sans que l’armée n’intervienne.
Asie du Sud-Est
Début de krach boursier.
Les Bourses de Manille, Hongkong et Djakarta essuient des replis de 5 à 8 %, qui s’ajoutent à des replis
antérieurs de même importance, soit près de 30 % en
moyenne depuis le début de l’année. Les différentes
monnaies de la région se situent toutes à leur niveau
le plus bas. Malgré le plan du FMI en Thaïlande décidé au début du mois, les investisseurs internationaux
sont toujours inquiets. Certains évoquent même une
remise en cause du modèle asiatique, c’est-à-dire
une économie de bas salaires orientée vers l’exportation et associée à un sévère dirigisme politique.
La concurrence chinoise, la spéculation financière
facilitée par la collusion entre les milieux d’affaires et
les milieux politiques, enfin, une politique d’investisdownloadModeText.vue.download 136 sur 361
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
135
sement insuffisante ont remis en cause le « miracle
des Tigres » asiatiques.
31
Grande-Bretagne
Mort accidentelle de lady Diana.
La princesse de Galles, divorcée du prince Charles
et réputée la « femme la plus photographiée du
monde », se tue dans la nuit en voiture, à Paris, aux
côtés de son amant, le milliardaire égyptien Doddi
Al Fayed. Elle était âgée de trente-six ans. Traqué
par les photographes, le couple avait fui l’hôtel Ritz
(dont le père de M. Al Fayed est propriétaire) et s’était
engagé à plus de 150 km/h dans le tunnel du pont
de l’Aima. M. Al Fayed et le chauffeur sont tués sur le
coup, tandis que la princesse décède dans les heures
suivantes à l’hôpital de la Salpêtrière. Seul le garde
du corps survit à l’accident. Plusieurs photographes
sont interpellés et certains d’entre eux sont mis en
examen pour « non-assistance à personne en danger » et « homicide et blessures involontaires ». Il leur
est reproché d’avoir harcelé la princesse et d’avoir
continué à la photographier après l’accident, gênant
ainsi l’arrivée des premiers secours. L’enquête fait
également apparaître que le chauffeur, un agent de
la sécurité de l’hôtel Ritz, conduisait en état d’ébriété,
avec près de 1,75 gramme d’alcool par litre de sang
et après avoir absorbé des produits tranquillisants. Le
décès de lady Diana suscite aussitôt une immense
émotion en Grande-Bretagne. Cette mort met de
nouveau en cause le rôle de la presse à scandale et
des tabloïds, si puissants dans ce pays ; elle constitue
également un désaveu vis-à-vis de la famille Windsor,
qui a constamment rejeté la jeune femme, considérée pourtant comme bien davantage en phase avec
le peuple. Chacun rappelle alors le rôle actif de Diana
comme porte-parole de nombreuses associations
humanitaires, notamment celle militant pour l’interdiction dans le monde des mines antipersonnel.
Dans son ultime interview, accordée au journal français le Monde, la princesse laissait entendre ses préférences pour le nouveau gouvernement travailliste de
Tony Blair. Face à la pression de l’opinion publique, la
reine Élisabeth II fait une déclaration à la télévision où
elle exprime son admiration pour la défunte, tandis
que la famille royale au grand complet sort du palais
de Buckingham pour dialoguer avec la foule venue
déposer devant les grilles une véritable muraille de
bouquets de fleurs. Les funérailles de Diana ont lieu
le 6 septembre à l’abbaye de Westminster. Deux millions de personnes se pressent le long du passage du
convoi funèbre. Des centaines de millions de téléspectateurs à travers le monde suivent la cérémonie
durant laquelle Elton John chante dans l’église une
version spécialement réécrite pour la circonstance
de « Candle in the Wind ». Dans les jours qui suivent,
les dons affluent à l’organisation caritative créée en
souvenir de la défunte, faisant de celle-ci, grâce également aux droits de la chanson d’Elton John, l’association la plus richement dotée du monde.
La mort de Lady Diana
La disparition de la princesse de Galles, morte
à trente-six ans dans un accident de voiture à
Paris, a provoqué une émotion considérable
dans le monde. Elle a également déclenché une
polémique sur le rôle des « paparazzi » et fragilisé encore plus la monarchie britannique, dont
l’étiquette rigide à l’excès est apparue à mille
lieues de la réalité actuelle. La vie de la « princesse du peuple », héroïne d’un conte de fées
des temps modernes, s’est terminée en tragédie
dans un tunnel au cours de la nuit du 31 août au
1er septembre.
« Diana est morte ». Le flash est tombé le
1er septembre sur les fils de l’agence FrancePresse. Il est 5 h 44 min du matin. La princesse
de Galles, « lady Di » pour le monde entier, exépouse du prince Charles, héritier de la couronne
d’Angleterre, et « reine des médias », a trouvé la
mort à l’âge de trente-six ans dans un accident
de voiture, sous le tunnel de l’Alma, le long des
quais de la Seine, à Paris. Le conte de fées dont
la jolie princesse était l’héroïne, et que des millions de lecteurs de la presse tabloïd suivaient
semaine après semaine, s’achève comme une
tragédie des temps modernes. Après une folle
course-poursuite avec des paparazzi qui voulaient une énième photo volée de ses amours
avec son nouvel ami, le milliardaire égyptien
Emad Al Fayed. Amours qui avaient alimenté la
une des magazines à sensation pendant tout
l’été et qui se terminent dans le sang et les tôles
froissées d’une Mercedes « de grande remise »
pilotée à grande vitesse par un chauffeur ivre –
les analyses le révéleront – tentant d’échapper à
la meute de photographes peu scrupuleux. Des
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
136
quatre passagers de la voiture, seul le garde du
corps de celle que l’on a baptisée la « princesse
du peuple » ou la « princesse des coeurs », échappera à la mort.
Dès l’annonce du décès de « lady Di », l’onde de
choc est considérable dans le monde. L’émotion est à son comble et frise parfois l’hystérie
collective, tant la ferveur émotionnelle que provoque cette nouvelle est grande. Rarement, ce
qui reste, en dépit de la personnalité des acteurs
de ce drame, un fait divers n’aura suscité un tel
engouement planétaire. Rarement une enquête
n’aura été accompagnée d’un tel déferlement
de fausses informations et de rumeurs. N’a-ton pas parlé d’un attentat ? Le parquet de Paris
n’a-t-il pas confié d’emblée l’enquête à la brigade criminelle ? Mais, au-delà, si la disparition
tragique de la princesse va relancer avec force
la polémique sur le respect de la vie privée, elle
va surtout provoquer en Grande-Bretagne une
remise en question de la pratique monarchique
de la famille royale, dont l’étiquette trop rigide
et hors du temps est massivement condamnée
par l’opinion.
Les paparazzi en accusation
Bien que rien ne prouve encore que les photographes qui ont pris en chasse à moto la Mercedes de « lady Di » à la sortie du Ritz, (ci-dessus)
le soir du drame, soient directement responsables de l’accident, les sept qui étaient sur place
à l’arrivée des premiers secours et de la police ont
été mis en examen pour homicide involontaire
et non-assistance à personne en danger, et leurs
pellicules, confisquées. A-t-elle été la victime
de ceux qui la pourchassaient ? Sans doute estelle morte traquée par les médias qui l’avaient
mise en scène depuis plus de quinze ans, depuis
que Diana Spencer, jeune fille de dix-neuf ans,
était devenue, en 1981, l’épouse de l’héritier du
trône d’Angleterre avant de redevenir « libre »
en 1992 après un mariage raté. Quinze années
pendant lesquelles elle a été la femme la plus
photographiée de la planète. Sa vie se confondait avec ses images dans les médias. Des médias qu’elle savait utiliser dans sa guerre contre
la famille des Windsor pendant son divorce avec
Charles et pour peaufiner son rôle de princesse
du peuple ou des coeurs. Certes, elle défend les
causes humanitaires, allant vers les victimes du
sida, prend la tête du combat contre les mines
antipersonnel, mais toujours avec une meute de
photographes derrière elle. Par les médias, elle
arrive à gagner son émancipation et sa popularité face aux Windsor, mais Diana Spencer s’enferme dans un système dangereux : elle devient
l’otage de ces médias, ils la harcèlent dans sa vie
publique et surtout dans sa vie privée, dont elle
veut pleinement profiter depuis son divorce.
D’accord, à trente-cinq ans, elle est jeune, libre
et riche, mais elle est victime du système qui lui
a permis d’aboutir à ses fins. Elle est piégée. Les
lecteurs veulent toujours en savoir plus sur le
destin, qu’ils n’imaginent pas tragique, de cette
princesse de conte de fées. Rien ne pouvait
empêcher cette traque qui lui sera fatale. Et, peu
de temps après sa mort, le succès des fameux tabloïds ne se démentait pas, même si ces derniers
– en hommage à celle qui les avait si longtemps
enrichis ? – n’ont publié aucune des photos de
l’accident.
Les Windsor en question
Paradoxe : si, de son vivant, « lady Di » n’aura
pas réussi véritablement dans son entreprise de
dénonciation à peine voilée d’une monarchie
anglaise décalée et ne répondant pas aux at-
tentes du peuple, sa mort va provoquer un véritable séisme dans la famille royale. Alors que
des centaines de millions de téléspectateurs
vont suivre en direct, le 6 septembre, à la télévision, la cérémonie à l’abbaye de Westminster,
qu’une foule d’une ampleur exceptionnelle se
massera sur le passage du cortège funèbre (plus
de 2 millions de personnes selon la BBC. Un record historique !), l’attitude jugée trop distante
observée par la reine et Charles, le prince héritier, va illustrer le fossé grandissant qui existe
entre la Couronne et ses sujets. Jamais, pendant
cette semaine de deuil qui va précéder les obsèques, l’institution monarchique, tel le qu’Élisabeth II l’incarne, n’aura été autant bousculée
et coupée des réalités du pays. Jamais la reine
n’aura été autant critiquée et le protocole « d’un
autre siècle », vilipendé. Dans un sondage pour
le compte du Sunday Times, 72 % de ses sujets
estiment qu’elle est « en dehors du coup », 53 %
veulent qu’elle abdique dès maintenant. Et son
fils Charles, l’héritier de la couronne, ne s’en
tire guère mieux puisque 58 % des sondés ne le
veulent pas comme roi et lui préfèrent Williams,
le fils aîné de Diana, « seul capable de moderniser une monarchie vieillie et de perpétuer
l’image de modernité que sa mère avait insufflée à une institution raidie dans ses traditions.
À croire que, en enterrant Diana, la Grande-BredownloadModeText.vue.download 138 sur 361
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
137
tagne voulait en profiter pour enterrer une certaine idée de la monarchie.
Il est vrai que la famille royale n’aura pas fait
grand-chose pour éviter cette fronde. Se murant, dans un premier temps, dans son château
de Balmoral, en Écosse, et ne délivrant qu’un
communiqué laconique, elle est apparue en
déphasage total avec l’immense majorité de
ses sujets. Et ce n’est que tardivement, sous la
pression de l’opinion, qu’elle s’est enfin décidée
à toucher au sacro-saint protocole et à multiplier les gestes symboliques afin de faire taire
les critiques. Pour la première fois depuis son
couronnement en 1953, Élisabeth II s’est adressée au pays du balcon de Buckingham Palace
pour rendre hommage à Diana, « une femme
exceptionnelle ». Mieux, le jour des funérailles,
les Windsor au grand complet sont sortis devant
Buckingham pour saluer la dépouille mortelle de
Diana et partager l’émotion populaire. Et, pour
la première fois, l’étendard royal a été amené
au mât du palais et remplacé par l’Union Jack
en berne. Peu de chose sans doute. Mais, pour
les Windsor, une révolution sans précédent. Une
révolution nécessaire et dont dépend l’avenir de
la monarchie. Le prince Charles l’a bien compris,
lui qui s’est déjà longuement entretenu avec le
Premier ministre, Tony Blair, pour adapter la Couronne à l’évolution de la société britannique.
Reste à savoir si, une fois l’émotion passée, cette
volonté de moderniser l’institution résistera aux
pesanteurs de la tradition. Il y va de la monarchie
comme des tabloïds : les mauvaises habitudes,
elles, ont la vie dure.
B. M.
Respect de la vie privée : la
législation française,
la plus sévère en Europe
« Chacun a droit au respect de sa vie privée » (article 9 du Code civil).
« Est puni d’un an d’emprisonnement et de
300 000 francs d’amende le (ait, au moyen
d’un procédé quelconque, volontairement,
de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui » (article 226-1 du Code pénal).
Cette législation fait de la France le pays
d’Europe le plus respectueux de la vie privée, d’autant que, n’étant pas incluse dans
la loi sur la presse, elle n’apporte pas les
garanties normalement attachées à la
liberté d’expression. À l’inverse, la GrandeBretagne ne possède pas de loi comparable
et les pouvoirs politiques successifs ont toujours, au nom de la liberté d’expression,
refusé d’aller dans le sens de la législation
française.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
138
SEPTEMBRE
1
Algérie
Abassi Modani assigné à résidence.
Un mois et demi après avoir été libéré de prison, le
chef historique du Front islamique du salut (FIS) est
assigné à résidence et menacé d’être à nouveau
incarcéré. Les autorités lui reprochent d’avoir adressé une lettre à Kofi Annan, le secrétaire général de
l’ONU, dans laquelle il se disait « prêt à lancer un appel
pour arrêter l’effusion de sang immédiatement et pré-
parer l’ouverture d’un dialogue sérieux ». Les militaires
au pouvoir n’ont jamais accepté que la communauté
internationale intervienne dans une guerre civile
considérée comme une affaire strictement intérieure. On s’interroge sur les raisons qui ont poussé
M. Madani à écrire une telle lettre : obtenir une garantie de l’ONU pour une éventuelle trêve entre le FIS
et l’armée ou bien couper ainsi l’herbe sous le pied
aux éléments les plus durs du commandement militaire qui s’opposent à tout accord avec les islamistes.
(chrono. 23/09)
3
Comores
Intervention militaire à Anjouan.
Le gouvernement de Moroni envoie 300 militaires
dans l’île d’Anjouan qui réclame depuis plusieurs
semaines son indépendance, voire son retour à la
France. Ce séparatisme, repris ensuite par les habitants de l’île Mohéli, s’explique par la pauvreté ambiante et par le fait que les Anjouanais s’estiment
lésés, vis-à-vis de la grande Comore, dans la répartition de l’aide internationale. L’exemple de Mayotte,
demeurée dans la mouvance française et bénéficiant
d’une prospérité nettement plus forte, a également
contribué à aiguiser les rancoeurs. Très rapidement,
l’intervention militaire s’avère être une catastrophe,
plus de 40 militaires étant tués par les indépendantistes. Le président comorien Abdoulkarim Taki décide alors de prendre les pleins pouvoirs.
4
Israël
Nouveaux attentats islamistes.
Sept personnes sont tuées au cours d’attentats à la
bombe perpétrés par des militants islamistes dans Jérusalem-Ouest. Le lendemain, onze soldats israéliens
sont tués au cours d’une opération menée au SudLiban. Ils ont été attirés dans un véritable guet-apens.
C’est la plus grosse perte militaire israélienne dans
cette région. Yasser Arafat condamne les attentats,
mais le gouvernement israélien comme les autorités
américaines lui reprochent de ne pas agir avec assez
de vigueur contre les extrémistes islamistes opérant
depuis les territoires palestiniens. (chrono. 29/09)
5
France
Démission du président d’Air France.
Christian Blanc quitte la présidence du groupe de
transport aérien à la suite de son désaccord avec
l’État sur la privatisation de l’entreprise, qu’il appelait de ses voeux. En accord avec son ministre des
Transports, le communiste Jean-Claude Gayssot, le
Premier ministre Lionel Jospin avait informé M. Blanc
que l’État devrait demeurer majoritaire à 51 % dans
le capital du groupe. M. Blanc, qui est parvenu en
trois ans à redresser les comptes de la société, estimait que la privatisation était indispensable pour
permettre des rapprochements internationaux entre
Air France et d’autres transporteurs étrangers. Les
syndicats s’opposaient à la totale privatisation de
l’entreprise dont ils estimaient qu’elle risquait ainsi
de perdre sa fonction de service public, notamment
pour ce qui est de l’exploitation des lignes non rentables. Les observateurs soulignent que le dossier
Air France constituait une priorité pour les communistes et que, par ailleurs, ceux-ci ont tout de même
accepté une privatisation à hauteur de 49 %, ce qu’ils
refusaient jusqu’alors. Le 18, quelques jours après la
fusion définitive d’Air France et de l’ex-Air Inter, JeanCyril Spinetta est nommé à la tête du groupe. P-DG
d’Air Inter de 1990 à 1993, M. Spinetta s’était opposé à
la fusion avec Air France. Ancien membre du cabinet
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
139
du ministre socialiste Michel Delebarre, M. Spinetta
dispose de liens privilégiés avec les syndicats.
France
Nouvelles révélations dans l’affaire de
l’Association pour la recherche sur le
cancer (ARC).
Un rapport d’expertise remis au juge d’instruction
Jean-Pierre Zanoto précise l’ampleur des détournements financiers commis au détriment de l’Association pour la recherche sur le cancer (ARC) par
sa précédente direction et son président, Jacques
Crozemarie. Ces détournements, chiffrés à « plusieurs
centaines de millions de francs », auraient été effectués,
notamment, à travers les sociétés sous-traitantes de
l’association en matière de communication et par le
paiement de nombreux voyages d’agrément au profit de M. Crozemarie et de ses proches.
Inde
Mort de Mère Teresa.
La fondatrice des Missionnaires de la charité meurt à
Calcutta à l’âge de quatre-vingt-sept ans. Née Agnès
Gonxha Bajaxhiu en Macédoine dans une famille
albanaise, elle rejoint la congrégation des soeurs de
Loreto en Irlande avant de partir fin 1928 pour les
Indes. Pendant dix-huit années, elle est contrainte
d’enseigner l’histoire et la géographie à des jeunes
filles de la bonne société de Calcutta. En 1948, elle
décide de se lancer dans l’aide directe aux pauvres
et crée, deux ans plus tard, la congrégation des
Missionnaires de la charité. Elle ouvre alors un puis
plusieurs mouroirs afin de permettre aux plus déshérités d’être soignés ou de mourir entourés. Elle
établira ainsi plus de 200 de ces lieux, ainsi que des
crèches, écoles et dispensaires, tant en Inde que dans
le reste du monde, avant de recevoir le prix Nobel
de la paix en 1979. Elle apporte alors son soutien à
de nombreuses causes : réfugiés palestiniens. Aborigènes australiens, paysans sans terre du Guatemala,
etc. Elle milite également avec beaucoup de ténacité
contre l’avortement, et certains lui reprochent de s’en
tenir à la morale la plus conservatrice de la tradition
catholique. Le 13, après une semaine de veillée mortuaire extrêmement fervente, elle reçoit des funérailles nationales à Calcutta devant un parterre de
personnalités venues du monde entier. Toutefois, la
grande foule n’est pas là, sans doute découragée par
le déploiement d’un trop important service d’ordre.
6
Grèce
Athènes choisie pour les JO de 2004.
La capitale grecque a été désignée par le CIO (Comité international olympique) comme organisatrice
des Jeux de 2004. Elle a été préférée à Rome, Le Cap,
Stockholm et Buenos Aires.
7
Tennis
Martina Hingis et Patrick Rafter
vainqueurs à New York.
La Suissesse et l’Australien remportent les finales
femmes et hommes des Internationaux des ÉtatsUnis en battant respectivement l’Américaine Venus
Williams et le Britannique Greg Rusedski.
Congo-Kinshasa
Mort de l’ancien président Mobutu
Sese Seko.
L’ancien président du Zaïre (rebaptisé, depuis l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila, République
démocratique du Congo) meurt à l’âge de soixantesix ans d’un cancer généralisé à Rabat où il était en
exil. Fils d’un cuisinier, il est enrôlé très jeune dans
l’armée. Quelques années plus tard, il écrit dans les
publications militaires. Il embrasse ensuite la carrière
de journaliste et rencontre à cette occasion le militant indépendantiste de gauche Patrice Lumumba. Il
occupe des fonctions officielles dès l’indépendance
en 1960 quand le président Kasavubu et le Premier
ministre Lumumba lui demandent de reprendre en
main les forces armées. Il est alors promu chef d’étatmajor. Très vite, il organise un premier coup d’État
pour éliminer Lumumba. En 1965, il chasse à son
tour le président Kasavubu, occupe le pouvoir et se
débarrasse physiquement de ses derniers opposants,
MM. Tschombé, Kimba et Mulele. Il prône alors une
« africanisation » des moeurs et pratique une politique
de népotisme et de corruption effrénée. Au début
des années 80, M. Mobutu s’estime lui-même être le
deuxième homme le plus riche de la planète. Il est
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
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malgré tout soutenu par les Occidentaux qui voient
en lui un rempart contre les risques de soulèvement
communiste à partir de l’Angola. En 1990, il annonce
une démocratisation de son régime, mais celle-ci
n’interviendra jamais. Le changement de la donne
géopolitique mondiale et régionale a raison de lui à
partir de 1996, ainsi que, ensuite, l’offensive menée
par Laurent-Désiré Kabila et ses alliés rwandais.
8
France
Privatisation partielle de France
Télécom.
À la suite de la remise du rapport commandé à l’ancien ministre Michel Delebarre, le gouvernement annonce qu’il va procéder à la privatisation d’un tiers du
capital de France Télécom. 20 % seront mis en Bourse
dés le mois d’octobre ; les 165 000 salariés du groupe
pourront devenir actionnaires à hauteur de 3 à 4 % ;
enfin, Deutsche Telekom et France Télécom, déjà unis
dans la possession de 20 % de l’opérateur américain
Sprint, s’échangeront 7,5 % à 8 % de leur capital respectif. En octobre, à la clôture de la mise sur le marché du quatrième opérateur mondial de téléphonie,
3,9 millions d’épargnants français s’étaient inscrits
pour acheter des actions (dont 100 000 salariés de
l’entreprise).
9
BD
Cinquantenaire de Lucky Luke.
Le dessinateur belge Morris (de son vrai nom Maurice de Bevere, soixante-treize ans) sort OK Corral, la
78e aventure du célèbre cow-boy, et fête ainsi les cinquante ans du personnage, dont plus de 250 millions
d’albums ont été vendus à travers le monde.
France
Une journée sans autos à La Rochelle.
Ancien ministre de l’Environnement au début des années 80, le maire de la ville, Michel Crépeau, interdit
le centre-ville pour une journée à tous les véhicules
à moteur thermique, à l’exception des ambulances
et des autobus. Il déclare à cette occasion : « Je suis
convaincu que d’ici à une dizaine d’années, il ne faudra
plus de voitures dans les centres-villes, notamment dans
les villes historiques comme La Rochelle, alors il faut
expérimenter. » (chrono. 1/10)
11
Grande-Bretagne
Référendum en Écosse.
Sur proposition du Premier ministre Tony Blair, qui
a pris parti en faveur du « oui », les électeurs écossais se prononcent par référendum sur un statut
d’autonomie de leur nation. Par 74,29 % des voix ils
approuvent la création d’un Parlement régional et
par 63,48 % le projet de doter cette institution de
pouvoirs fiscaux limités (3 % de l’impôt sur le revenu
et sur les sociétés). Le nouveau Parlement entrera en
fonction en l’an 2000. (chrono. 18/09)
13
UE
Confirmation de l’euro.
Réunis au Luxembourg, les quinze ministres des
Finances de l’Union européenne décident que les
parités des monnaies de la future zone euro seront
fixées en même temps que sera décidée la liste des
pays admis au sein de cette zone. Une telle décision
devrait permettre aux banques centrales de mieux
gérer la phase d’installation de la monnaie commune
en permettant de connaître huit mois avant le 1er janvier 1999, date de l’entrée en vigueur de l’euro, la
valeur de chaque monnaie européenne par rapport
aux autres ; elle constitue également un message fort
pour ceux qui doutaient de la mise en oeuvre de la
monnaie commune dans les délais prévus.
14
Bosnie
Élections municipales.
2,5 millions d’électeurs appartenant aux trois communautés de Bosnie (Croates, Musulmans, Serbes)
élisent près de 5 000 responsables locaux de
136 municipalités. Ce scrutin est censé pérenniser les
accords de Dayton (1995) et permettre aux réfugiés
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
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de voter dans leurs villes ou villages qu’ils avaient été
obligés d’évacuer pendant la guerre civile. En réalité,
le vote ne permet pas de résoudre les problèmes de
cohabitation entre les communautés et se solde par
un renforcement des partis nationalistes.
Proche-Orient
Fin de la tournée de Madeleine
Albright.
Le secrétaire d’État américain achève sa tournée sur
un demi-échec. Elle déclare qu’Israël a « entendu son
message » et s’est engagé à « redonner de l’énergie
au processus de paix ». Le Premier ministre israélien,
Benyamin Netanyahou, a, en effet, décidé de lever
le bouclage des villes palestiniennes autonomes, de
permettre le transfert d’une partie des fonds dus aux
Palestiniens et d’instituer le gel d’une nouvelle colonie juive à Jérusalem-Est. Des responsables israéliens
et palestiniens devraient se retrouver à New York fin
septembre pour discuter des moyens de relancer le
processus d’Oslo. En marge du voyage de la responsable de la diplomatie américaine, Hubert Védrine,
ministre français des Affaires étrangères, a estimé
« catastrophique » la politique du gouvernement
israélien, précisant que son appréciation était « extrêmement répandue ». Dès le 15, la tension monte à
nouveau à la suite de l’installation de trois familles
de colons juifs extrémistes dans une maison située
au coeur de la Jérusalem arabe, à l’est de la ville. La
demeure avait été rachetée discrètement par un
milliardaire juif américain, proche de l’extrême droite
sioniste. M. Netanyahou condamne l’opération mais
ne conteste pas son caractère légal. Le compromis
consistant à transformer ces habitations en école
talmudique ne satisfait en rien l’opinion arabe. Le 24,
le Premier ministre israélien annonce la construction
de 300 nouveaux logements juifs en Cisjordanie et
déclare qu’il va accélérer les travaux de ce type dans
toute la région.
Bosnie, des élections
sous haute surveillance
Au vu des premiers chiffres sortant des urnes, il
apparaissait que les trois partis nationalistes –
croate, serbe et musulman –, déjà vainqueurs en
1996 des premières élections générales d’aprèsguerre, étaient en passe de s’imposer à l’occasion
du scrutin municipal des 13 et 14 septembre.
Pourtant, au fur et à mesure que les résultats
s’affinaient, on enregistrait un léger effritement
de leur électorat au profit d’une opposition
hétérogène.
Destinées à constituer des administrations
locales dans 136 municipalités, les élections municipales en Bosnie-Herzégovine ont finalement
été organisées « à l’arraché » par la communauté
internationale, après avoir été reportées à quatre
reprises. Un pari dont c’est peu d’écrire qu’il présentait des risques certains, eu égard aux pressions et aux moyens déployés. C’est ainsi que
l’on a vu les États-Unis multiplier les navettes
diplomatiques entre Belgrade, Pale, Banja Luka,
Zagreb et Sarajevo afin de convaincre Serbes,
Croates et Musulmans de respecter leurs engagements. Un contexte déjà tendu, aggravé par
les tensions au sein de l’entité serbe entre les
ultranationalistes de Pale – fidèles à Radovan
Karadzic – et les légitimistes, partisans de la présidente Biljana Plavsic. Cette « guerre des chefs »
a contraint la force multinationale à mettre en
oeuvre trois avions capables de brouiller les
émissions des médias de Pale pour leur interdire
de lancer des appels à la violence et à la rébellion contre les forces de l’OTAN. En plaçant le
scrutin sous haute surveillance, la Force multinationale de l’OTAN (SFOR) et l’Organisation pour
la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en
ont démontré l’importance : il s’agissait, in fine,
de concrétiser la normalisation instaurée par les
accords de Dayton (fin 1995) dans des domaines
aussi sensibles que le retour des réfugiés et le
partage des responsabilités et où le retard des
engagements pris était pour le moins avéré.
Des manoeuvres de dernière minute
Il suffisait que chacun recense les patronymes
sur les listes électorales pour se faire une idée
assez précise du rapport des forces, et donc des
résultats probables du scrutin. Aussi, la veille
des élections, les communautés serbe, croate et
musulmane tentaient encore d’obtenir de l’OSCE
de nouvelles concessions dans les secteurs clés.
Ce furent les Serbes qui, pour améliorer leurs
positions à Brcko, s’essayaient à des manoeuvres
de dernière minute, les Musulmans qui énonçaient des conditions pour Mostar, en brandissant la menace d’un boycott, tandis que les
Croates promettaient que leur drapeau flotterait
toujours sur Drvar, quel que soit le résultat du
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scrutin. Sans doute pour donner plus de poids
à leurs manoeuvres « diplomatiques », les nationalistes de toute obédience n’ont pas hésité à
faire entendre des arguments plus détonants.
La veille du scrutin, le centre-ville de Banja Luka,
principale municipalité de l’entité serbe, était
secoué par le fracas d’un engin qui explosait à
proximité d’un véhicule de l’OSCE. Le même jour,
un pont, que devaient emprunter des réfugiés
musulmans pour aller voter en zone serbe dans
le nord-est de la Bosnie, était à son tour endommagé par une bombe. Enfin, un engin détruisait
les locaux du HDZ, le principal parti des Croates
de Bosnie, à Sarajevo. En dépit de ces divers
attentats, les élections se sont déroulées dans
le calme : selon l’OSCE, qui avait déployé sur le
terrain près de 2 500 observateurs, seulement 3
des 2 229 bureaux de vote n’avaient pas ouvert
le dimanche 14 septembre ; tous trois situés à
Zepce – une ville croate de la Bosnie centrale.
Enfin, l’OSCE relevait un taux de participation
supérieur aux estimations les plus optimistes.
Victoire en demi-teinte des
nationalistes
La mobilisation s’explique par le vote massif des
réfugiés (environ 800 000 en Bosnie). Quelque
35 000 d’entre eux avaient émis le désir d’aller
voter là où ils habitaient avant la guerre. Il reste
que, pour la majorité de ces candidats au voyage,
le vote ne pouvait guère être autre chose qu’un
prétexte pour revoir leur ancienne habitation :
en dépit de la protection de la SFOR, beaucoup
n’ont pas eu ce plaisir, les bureaux de vote étant
très souvent installés à la périphérie des villes,
voire en lisière des forêts.
Sans surprise, les trois partis nationalistes au
pouvoir – le SDA musulman, le SDS serbe et le
HDZ croate – sont arrivés en tête, bien que dans
les deux entités de Bosnie-Herzégovine (Fédération croato-musulmane et République serbe
de Bosnie) les trois formations ne puissent pas
prétendre avoir fait le plein des voix. Ainsi, on retiendra la défaite du SDS (Parti démocrate serbe)
à Banja Luka, la principale ville de RS (République serbe de Bosnie), où réside sa présidente
Mme Plavsic, dont les candidats ont obtenu 45
des 70 sièges, contre seulement 7 au SDS. Un résultat de nature à affaiblir un peu plus les partisans de R. Karadzic, littéralement « bunkérisés » à
Pale et dont l’impopularité s’accroît chaque jour
un peu plus. Mme Plavsic doit de toute évidence
son succès au soutien d’une douzaine de partis
de l’opposition qui ont fait de la liquidation du
SDS l’axe majeur de leur campagne. Au sein de
la Fédération croato-musulmane, on attendait
avec impatience les résultats concernant, d’une
part, Mostar, et, de l’autre, Tuzla. Si dans la première ville les Musulmans du SDA ont obtenu la
majorité, leur campagne agressive ne leur aura
pas permis, par contre, de reprendre la seconde.
Brcko faisait également figure de test. Bien que
les Musulmans aient échoué dans la reconquête
de ce port stratégique du nord-est de la Bosnie
– pris par les Serbes en 1992 –, l’OSCE a annoncé
qu’une administration multiethnique sera mise
en place pour contenir les tensions. Globalement, ces élections auront mis en évidence une
progression – certes timide – de l’opposition
non nationaliste. Quoi qu’il en soit, la situation
demeure complexe, et l’application des résultats
pour le moins délicate.
P. F.
Le retrait des troupes étrangères :
incertitude
La veille du scrutin municipal, les ÉtatsUnis faisaient savoir que le retrait de leurs
troupes, prévu pour 1998, était loin d’être
réglé. C’est ainsi que le secrétaire d’État
William Cohen n’a pas exclu la possibilité
du maintien d’une présence militaire étrangère en Bosnie pour quelques années de
plus. Le chef de la diplomatie américaine
s’est dit persuadé que les alliés européens
des États-Unis participant à la Force multinationale de l’OTAN estimaient eux aussi
nécessaire de maintenir cette force en Bosnie afin d’éviter une reprise de la guerre.
15
Grande-Bretagne
Reprise des négociations en Ulster.
Les premiers pourparlers multipartites en Irlande
du Nord depuis 1921 s’ouvrent à Belfast. Les protestants unionistes (favorables au maintien de l’union
avec le Royaume-Uni) n’y assistent pas, estimant
que toutes les garanties concernant le contrôle des
armes de l’IRA (Armée républicaine irlandaise) ne
sont pas encore réunies. La base des négociations
porte sur quatre points : la création d’une assemblée
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
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régionale élue à la proportionnelle, la mise sur pied
de nouvelles institutions Nord-Sud, la révision des
accords anglo-irlandais de 1985 sur le contrôle de
l’Ulster et la renonciation par la république d’Irlande
à sa prétention de souveraineté sur l’Ulster. Le 16,
un attentat, non revendiqué par l’IRA, provoque la
colère des organisations protestantes. Cependant,
le 23, unionistes et catholiques du Sinn Féin finissent
par se retrouver autour de la table et commencent à
négocier sous la présidence du sénateur américain
George Mitchell.
Norvège
Échec électoral des travaillistes.
Premier ministre depuis le départ en octobre 1996
de Mme Gro Harlem Brundtland, Thorbjoern Jagland
démissionne de son poste après l’échec relatif du
Parti travailliste aux élections législatives : 35,2 % des
voix (en recul de 1,7 % par rapport aux précédentes
élections de 1993) et 65 sièges (sur un total de 165).
La coalition de centre droit, dirigée par Kjell Magne
Bondevik, obtient 26,1 % des voix et 42 sièges. Avec
15,3 % des suffrages et 25 sièges, le parti du Progrès de Carl Hagen, populiste et xénophobe (mais
officiellement hostile aux thèses de Jean-Marie Le
Pen), se place en position d’arbitre. Bien que minoritaire et très divisée entre ses diverses composantes
(conservateurs, centristes agrariens et chrétiens-démocrates), la coalition centriste envisage de prendre
la direction du pays. Les observateurs estiment que la
coalition ne pourra pas rester longtemps au pouvoir,
ce qui permettrait aux travaillistes de revenir rapidement après une salutaire cure d’opposition. À moins
que le message du parti du Progrès ne s’impose un
peu plus dans une opinion norvégienne, notamment populaire, qui s’estime insuffisamment bénéficiaire des retombées de la manne pétrolière.
16
France
Le nucléaire en question.
Le gouvernement décide, conformément aux engagements de campagne du Parti socialiste, de renoncer au projet de centrale nucléaire du Carnet, dans
l’estuaire de la Loire. Dans le même temps, Dominique Voynet, ministre de l’Environnement, reproche
à la Cogema, l’entreprise qui exploite l’usine de retraitement des combustibles nucléaires de la Hague, de
ne pas avoir respecte toutes les consignes de sécurité lors des opérations de détartrage des conduites
de rejet. Ces remises en question de l’industrie nucléaire interviennent alors que les pouvoirs publics
prennent de plus en plus conscience de la nécessité
de diversifier davantage les sources d’énergie de la
France, dont, actuellement, 80 % de l’électricité provient de l’atome.
France
Jean-Louis Debré à la tête du groupe
parlementaire RPR.
Jean-Louis Debré, l’ancien ministre de l’Intérieur du
gouvernement dirigé par Alain Juppé, est élu à la tête
du groupe parlementaire RPR par 81 voix contre 57 à
Frank Borotra. Cette élection est considérée par certains observateurs comme une première tentative de
reprise en main du RPR par l’Élysée depuis la défaite
électorale de juin, M. Debré étant proche de Jacques
Chirac et M. Borotra, de Philippe Séguin.
Indonésie
Incendies géants.
Des feux mal maîtrises sur prés de 800 000 hectares
de forêt à Sumatra et à Kalilantan dégagent un nuage
de fumée qui, dans les jours qui suivent, obscurcit
l’atmosphère dans toute la région : Brunei, Singapour, la Malaisie, les Philippines et la Thaïlande sont
touchés. Des dizaines de milliers de personnes sont
incommodées et, faute de visibilité, les transports
aériens sont perturbés. L’opinion met en cause les
grandes compagnies forestières, accusées de pratiquer des brûlis à grande échelle afin de faire repousser des essences plus rentables. Ces incendies se sont
propagés d’autant plus facilement que règne une
sécheresse très forte, liée à un phénomène météorologique qui revient régulièrement tous les cinq à
dix ans. Le 26, un Airbus transportant 234 passagers
s’écrase au nord de Sumatra. On soupçonne l’épaisse
fumée recouvrant la région d’être à l’origine de cette
catastrophe.
17
États-Unis
Rejet du traité d’interdiction des mines
antipersonnel.
Bill Clinton annonce que les États-Unis ne signeront
pas le projet de « traité Diana » (ainsi nommé en raison de l’implication pour cette cause humanitaire
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de la défunte princesse de Galles), pourtant adopté,
à Oslo, par 89 autres nations. Il justifie ce refus, qui
provoque un effet déplorable dans l’opinion, par la
position particulière des États-Unis, dont de nombreux soldats assurent à travers le monde la sécurité
internationale et ont besoin, de ce fait, notamment
en Corée, d’une protection par des glacis de mines.
On estime à 26 000 le nombre annuel des victimes
civiles des mines antipersonnel.
France
Forte majoration de la CSG.
Lionel Jospin décide de majorer le taux de la contribution sociale généralisée de 4,1 %, le faisant passer
à 7,5 %. En contrepartie, la cotisation maladie perçue
sur les salaires passera de 5,5 % à 0,75 %. Au bout du
compte, les salariés bénéficieront d’un gain de pouvoir d’achat de l’ordre de 1,1 %. Instituée en 1990 par
Michel Rocard, la CSG diffère de l’impôt sur le revenu
de deux façons : elle porte sur l’ensemble des revenus, épargne comprise ; elle s’applique selon un taux
uniforme et non progressif. Critiquée au départ aussi
bien par une partie de la gauche – qui en rejetait le
côté non progressif et qui y voyait un moyen de fiscaliser davantage les ressources du système de protection sociale, et donc de diminuer l’influence des syndicats dans la gestion de celui-ci – que par la droite
– qui craignait une pénalisation de l’épargne –, la CSG
a été ensuite reprise et augmentée par MM. Balladur
et Juppé. Sa forte progression décidée par M. Jospin
va faire passer son produit à plus de 330 milliards de
francs, ce qui devrait lui faire rapporter davantage
que l’impôt sur le revenu (290 milliards). Cela devrait
contribuer également à augmenter la part globale
des impositions du revenu dans l’ensemble de la
fiscalité et rapprocher ainsi la fiscalité française des
autres fiscalités européennes. (chrono. 24/09)
France : croissance
économique et déficit
budgétaire
Bien que bénéficiant d’un environnement
international exceptionnellement favorable
(hausse du dollar, parité de la livre et de la lire
plus conformes aux réalités, etc.), le nouveau
gouvernement issu des élections législatives du
1er juin 1997 a agi avec beaucoup de prudence en
n’essayant pas de tirer parti immédiatement des
avantages qu’il pouvait en attendre. S’étant fixé
comme priorité la croissance et surtout l’emploi,
il a craint de gâcher les chances qui lui étaient
ainsi offertes. Si toutes les conditions ou presque
sont réunies pour que la croissance reparte
effectivement et qu’avec elle les créations
d’emploi se multiplient, le gouvernement Jospin
estime cependant qu’il ne dispose pas d’une
marge de manoeuvre et de moyens suffisants pour
résoudre le problème majeur qui se pose à très
court terme, celui des déficits publics. Avec un tel
problème, il se trouve placé devant une double
exigence contradictoire : d’un côté, pour réduire
les déficits et se conformer par là même au
critère des 3 % du produit intérieur brut du traité
de Maastricht, le gouvernement doit s’efforcer
d’éviter que la croissance économique soit affectée à la baisse ; d’un autre côté, il doit pouvoir
compter sur la reprise de l’activité pour obtenir la
réduction des déficits.
Retour de la croissance
À partir de 1992-1993, l’évolution économique
de la France a été marquée par des changements
radicaux : d’une part, un excédent commercial
substantiel se substitue à un déficit chronique
des échanges ; d’un autre côté, la désinflation
compétitive se transforme en déflation des prix.
Entre ces deux changements, l’économie française se trouve prise au piège de la croissance
lente ou molle où la montée du chômage et
la médiocrité des perspectives de profit engendrent des comportements restrictifs, tant sur
la consommation que sur l’investissement. Alors
que dans les années 1980 le problème consistait
à contenir la demande intérieure, maintenant
c’est l’inverse, il faut la stimuler.
Face à une telle situation d’anémie de la demande intérieure et donc de la croissance, le
nouveau gouvernement s’est demandé s’il pouvait dégager les marges de manoeuvre de la
politique économique pour stimuler l’activité
et faire reculer le chômage. Or, en raison de la
persistance voire de l’aggravation des déficits
publics et aussi de la nécessité de se conformer à
la norme des 3 % du PIB du traité de Maastricht,
il lui est pratiquement interdit de se servir de la
politique budgétaire pour redistribuer du pouvoir d’achat à travers une hausse de certaines
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
145
dépenses publiques : pour retrouver des marges
d’action en cette matière, il faut qu’il commence
par comprimer le déficit tout en veillant à ne pas
casser le démarrage éventuel de la croissance.
En second lieu, le gouvernement ne peut pas
compter sur la baisse des taux d’intérêt, vieille
de 18 mois : même si les industriels sont incités
à investir, les résultats de leurs décisions ne se
font pas sentir immédiatement ; il faut attendre
parfois plusieurs mois. En troisième lieu, l’arme
de la hausse généralisée des rémunérations est
quelque peu émoussée : dans une situation quasi déflationniste, le resserrement des coûts de
revient imposé par la concurrence interdit toute
augmentation des salaires du secteur privé.
Ces dernières conditions condamnent le gouvernement à agir avec prudence et pragmatisme
pour résoudre le problème à la fois urgent et
incontournable de la réduction du déficit public.
En fait, pour cette dernière tâche, le gouvernement va être servi par des circonstances encore
favorables. En effet, depuis plusieurs années, les
échanges extérieurs dégagent des excédents
record, grâce aux exportations. Or pour le mois
d’août l’excédent de la balance commerciale
subsiste, malgré une montée en puissance des
importations. D’aucuns y voient le signe confirmant le retour de la croissance en raison de
l’amélioration du climat général, du regain d’optimisme des chefs d’entreprise et surtout à cause
du redressement spectaculaire de la confiance
des consommateurs après le changement de
gouvernement. Certains s’inquiètent, cependant, des conséquences que pourraient avoir
sur les échanges économiques internationaux la
crise en Asie du Sud-Est.
C’est donc dans l’espoir d’un soutien apporté par
la reprise économique que le gouvernement va
s’attaquer au problème des déficits publics et se
rapprocher de la barre des 3 % du PIB. Il espère
ainsi consolider la reprise de l’activité économique, lutter contre le chômage et envoyer à
ses autres partenaires européens un message
selon lequel il entend participer effectivement
au fonctionnement de l’euro.
Cohérence des choix budgétaires
Comme l’activité économique a plafonné à 1,5 %
en 1996 et sans doute 2,3 % en 1997, la Direction
du budget a estimé, dans une note confidentielle
d’avril 1997, que les déficits pourraient atteindre
3,7 % du produit intérieur brut en 1997 et plus
de 4,5 % en 1998 – ou seulement 4 % en cas de
mesures de redressement. De cette première
constatation, il faut déduire que les marges de
manoeuvre budgétaires sont restreintes : le défi-
cit du budget ne se rapprochera de la limite des
3 % que dans la mesure où, dans les circonstances actuelles, la croissance est durablement
soutenue. Inversement, « la croissance faible que
notre pays a connue depuis le début des années 90
a contribué à déséquilibrer les finances publiques
au-delà de ce qui serait résulté d’évolutions économiques plus normales » (audit sur les Finances
publiques remis par deux magistrats de la Cour
des comptes au Premier ministre le 21 juillet
1997). Si, en 1997, le budget s’avère déficitaire,
c’est à cause de rentrées d’impôts et de cotisations sociales moindres que prévu et de la dérive
des dépenses de l’État et de la Sécurité sociale.
Pour le budget de 1997, le gouvernement a en
quelque sorte paré au plus pressé en adoptant
un plan de rigueur. Il a procédé de façon très orthodoxe à des annulations de crédit (du côté de
la défense par exemple) et à un rééquilibrage de
la fiscalité entre le travail et le capital, entre les
ménages et les entreprises (relèvement du taux
de l’impôt sur les sociétés faisant plus de 50 millions de chiffre d’affaires). Quant au budget
1998, le gouvernement a fait preuve d’une extrême cohérence par le fait que pour financer ses
priorités (emploi des jeunes, justice, éducation)
il frappe davantage les entreprises et les épargnants que les ménages. Ainsi, sur 14 milliards
d’impôts nouveaux en 1998, la plus grosse part
(9 milliards) pèse sur les entreprises à travers la
modification de l’impôt sur les sociétés. Quant
aux ménages, leur contribution nette s’élève à
une quinzaine de milliards (5 pour l’État et une
dizaine pour la Sécurité sociale) recouvrant une
forte ponction sur les revenus du capital et un
allégement de la fiscalité des revenus d’activité.
Ceux qui ne reçoivent que des revenus salariaux
gagnent près de 1 % de pouvoir d’achat grâce
au remplacement des cotisations maladie par
la CSG. Le gouvernement s’efforce de favoriser
la consommation en avantageant les bas revenus. D’autre part, il baisse la rémunération de
l’épargne pour la rendre moins attrayante et
ainsi encourager la consommation. En définitive,
le gouvernement lance un pari en espérant que
la croissance fera oublier aux entreprises l’augmentation de l’impôt sur les sociétés. Le gouvernement espère que la croissance contribuera à
redresser les comptes publics, rendant moins
nécessaire le recours à des mesures restrictives :
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
146
« le cercle vicieux dans lequel le pays est enfermé
serait enfin brisé. » (F. Monier.)
G. R.
La montée en puissance de la CSG
(contribution sociale généralisée)
La CSG a été créée en 1990 au taux de
1,1 % et pèse sur l’ensemble des revenus,
notamment les revenus de l’épargne. Les
cotisations sociales ont été alors réduites à
due concurrence. L’opération, qui voulait répondre à un double souci de justice sociale
et d’efficacité économique, avait entraîné
un gain de pouvoir d’achat pour les salariés.
Le produit en avait été affecté à la branche
famille de la Sécurité sociale. Pour redresser les comptes de la Sécurité sociale, le
gouvernement Balladur a porté le taux de la
CSG à 2,4 % en 1994. Cette hausse d’environ
50 milliards de francs a permis de financer
le fonds de solidarité vieillesse. Le gouvernement Juppé a décidé d’augmenter la CSG de
1 point (3,4 % au total). Il l’a rendue déductible tout en réduisant de 1,3 % la cotisation
maladie des salariés. La décision du gouvernement Jospin (4,1 points de CSG affectés
à l’assurance-maladie) devrait permettre un
gain de pouvoir d’achat.
18
Chine
Renforcement du président
Jiang Zemin.
À l’issue du 15e congrès du Parti communiste chinois
(ci-dessous), le chef de l’État renforce son pouvoir. Il
obtient le départ du comité permanent du bureau
politique de son rival Qiao Shi, jusque-là président
de l’Assemblée nationale et no 3 du régime. Ce dernier s’était opposé à lui lors des funérailles de Deng
Xiaoping en réclamant une extension des pouvoirs
du Parlement et un renforcement de l’État de droit,
un peu à la façon de Gorbatchev dans l’URSS des
années 80. Les observateurs estiment qu’il devrait
être remplacé à son poste par Li Peng, qui, selon la
Constitution, ne peut briguer un troisième mandat
de chef du gouvernement. Zhu Rongji, ancien maire
de Shanga Jiangaï et responsable de l’économie, serait alors propulsé à la tête du gouvernement. Jiang
Zemin déclare qu’il entend s’atteler à l’immense
problème des entreprises publiques, dont la plupart
sont déficitaires mais qui emploient plus de 100 millions de personnes à travers le pays. L’entourage du
président affirme qu’il est « hors de question de privatiser » et que la méthode pour obtenir une meilleure
rentabilité du secteur passe par des « ajustements
stratégiques » et par une « diversification de la propriété ». Les observateurs estiment que Jiang Zemin, s’il
a conforté sa place à la tête de l’État, devra de plus
en plus s’entendre avec les généraux et les technocrates du gouvernement, qu’il ne contrôle que très
partiellement.
Égypte
Nouvel attentat islamiste.
Neuf touristes allemands et un Égyptien sont tués
dans l’attaque d’un bus au Caire. Aux cris de « Allah
Akbar » (« Dieu est le plus grand »), les terroristes islamistes ont jeté sur le véhicule des cocktails Molotov
avant de le mitrailler. Depuis dix-huit mois, à la suite
d’une répression très sévère menée par les autorités, les agressions contre les touristes s’étaient arrêtées. Les autorités tentent bien de faire passer cette
attaque meurtrière pour l’oeuvre de demeurés mentaux relâchés de l’asile, mais personne n’est dupe.
Grande-Bretagne
Succès serré du référendum au
pays de Galles.
Le « oui » l’emporte par 50,3 % (soit une marge de
7 000 voix) seulement au référendum présenté par
Tony Blair sur l’autonomie limitée de la province. Ce
succès mitigé s’explique par le fait que l’autonomie
proposée est beaucoup moins importante qu’en
Écosse (pas de pouvoirs fiscaux) et aussi parce que le
sentiment de singularité vis-à-vis de l’Angleterre, surtout dans le sud de la province, est nettement moins
fort que dans les Highlands.
19
Russie
Limitation envers les religions « non
nationales ».
Les députés russes adoptent à une très large majorité
un projet de loi limitant la liberté des religions « non
traditionnelles » en Russie, c’est-à-dire les religions
autres que l’orthodoxie, l’islam, le bouddhisme et le
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
147
judaïsme. Ainsi, les confessions qui ne peuvent prouver une ancienneté sur le territoire russe supérieure
à quinze ans se voient interdire de développer leur
culte, d’ouvrir des écoles ou de diffuser leur presse.
Les sectes protestantes (pourchassées sous le régime
soviétique) et les ordres catholiques comme ceux
des Jésuites ou des Franciscains sont particulièrement visés.
20
Italie
Mobilisation contre la Ligue du Nord.
Près d’un million d’Italiens défilent à Milan et à Venise pour s’opposer à la démarche sécessionniste
d’Umberto Bossi. Quelques jours auparavant, celuici n’avait réuni que quelques milliers de personnes
pour fêter le premier anniversaire de la « République
fédérale de Padanie », amorce d’une indépendance
de l’Italie du Nord.
21
Pologne
Victoire des conservateurs.
La coalition de droite (AWS) fédérée par Marian Krzaklewski autour du syndicat Solidarité remporte les
élections législatives avec 33,8 % des suffrages. Les
sociaux-démocrates (ex-communistes) arrivent en
deuxième position avec 26,8 %, suivis des centristes
de l’Union de la liberté, créditée de 13,4 % des voix.
Regroupant une partie de l’intelligentsia du pays
(on y retrouve, notamment, Bronislaw Geremek),
l’Union de la liberté, dirigée par Leszek Balcerowicz,
ancien ministre des Finances, revendique le poste
de Premier ministre au sein d’un gouvernement
de coalition avec l’AWS. En tout état de cause, les
sociaux-démocrates, avec la présence d’Aleksander
Kwasniewski à la tête de l’État, vont constituer une
puissante opposition.
Serbie
Échec des partisans de
Slobodan Milosevic.
Le successeur désigné de M. Milosevic à la tête de
l’État serbe, Zoran Lilic, arrive en tête au premier tour
de l’élection présidentielle avec 35,70 % des voix, devant Vojislav Seselj, un nationaliste d’extrême droite
(crédité de 27,28 %), et le leader du Mouvement du
renouveau serbe, l’écrivain monarchiste Vuk Draskovic. Son avance apparaît comme faible et le second
tour s’annonce très serré. Aux élections législatives, le
Parti socialiste (SPS, ex-communiste) perd la majorité
absolue à la Chambre mais garde sa majorité relative
devant le Parti radical (extrême droite) de M. Seselj et
le Mouvement du renouveau serbe. La coalition de
l’opposition démocratique, qui avait imposé ses vues
à M. Milosevic en début d’année, s’est désagrégée
avec le départ de M. Draskovic au point que Zoran
Djindjic, le jeune maire de Belgrade pour lequel des
milliers de Serbes avaient manifesté pendant des
semaines, est destitué de son poste. (chrono. 5/10)
Les pays de l’Europe
centrale aux portes
de l’Europe
Les anciens pays communistes de l’Europe centrale (Pologne, Hongrie et République tchèque)
qui, depuis la chute du mur de Berlin, ont poursuivi des « transitions » économiques et politiques
inédites et courageuses ont vu enfin leurs efforts
récompensés. Le sommet de l’OTAN à Madrid,
en juillet, et le sommet de l’Union européenne
à Amsterdam, en septembre, ont définitivement
tranché la question de leur intégration au sein de
ces deux organismes (symboles à l’Est de stabilité et de prospérité). Les négociations devront
toutefois prendre en compte les ambitions et les
susceptibilités de tous les autres pays candidats
de la région qui n’ont pas été sélectionnés. Elles
s’annoncent difficiles et délicates. Un élargissement de l’Union européenne et de l’OTAN à
tous ces pays apparaît en effet inconcevable sans
d’importantes réformes internes de ces deux
organismes.
Pour les pays d’Europe centrale, coincés depuis
des siècles entre deux puissances (l’Allemagne
et la Russie), les problèmes de sécurité ont toujours représenté un enjeu majeur. D’où leur insistance pour intégrer le plus rapidement possible
les structures de l’Alliance atlantique, position
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
148
souvent mal comprise par les pays de l’Europe
occidentale.
Malgré l’opposition de certains pays (en particulier de la France), les États-Unis ont finalement
réussi à imposer leur position. Le choix des pays
faisant partie de la première vague d’élargissement (la Pologne, la Hongrie et la République
tchèque) ainsi que le calendrier précis de l’adhésion (le processus devant s’achever en 1999) ont
été annoncés par les responsables américains
bien avant le sommet de Madrid. Celui-ci n’a eu
qu’à entériner ce choix ouvrant officiellement
la voie aux négociations. Précédée par la signa-
ture à Paris, fin mai, de l’Acte fondamental Russie-OTAN (instaurant notamment un « Conseil
conjoint permanent OTAN-Russie »), cette réunion a mis fin symboliquement à un demi-siècle
de guerre froide. Pourtant, la question est loin
d’être définitivement réglée. D’importants problèmes subsistent, en particulier le financement
des coûts de l’élargissement et la redéfinition du
rôle de l’OTAN en Europe. Par ailleurs, les résultats d’un éventuel référendum sur l’adhésion
à l’OTAN en Hongrie et surtout en République
tchèque restent largement incertains, l’opinion
publique étant partagée sur cette question.
Dans l’antichambre de
l’Union européenne
L’intégration au sein de l’Union européenne
constitue une autre priorité pour les pays de
l’Europe centrale. Après un premier « avis » de
la Commission de Bruxelles en juillet, le sommet d’Amsterdam a décidé d’ouvrir, dès 1998,
les négociations d’adhésion avec cinq pays de
l’Europe de l’Est (la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovénie et l’Estonie) de
même qu’avec Chypre. Le Conseil européen de
décembre doit indiquer comment, concrètement, l’élargissement devra se réaliser. Bien que
les Quinze considèrent cette question comme
inéluctable, d’importantes divergences en leur
sein persistent, chaque pays voulant éviter d’en
faire les frais. Par ailleurs, afin de ne pas démotiver les pays ne faisant pas partie de la première
vague d’élargissement, la France a proposé la
mise en place d’une Conférence permanente
rassemblant les Quinze et l’ensemble des pays
candidats.
Dans l’attente d’une décision finale, tous les pays
candidats s’efforcent de donner la meilleure
image d’eux-mêmes afin de prouver qu’ils méritent d’être traités comme des pays « normaux »
et dignes d’intégrer l’UE. Cela est particulièrement visible au niveau des relations entre les
pays voisins. La Pologne a entrepris d’importants
efforts pour « normaliser » ses relations avec ses
voisins de l’Est : l’Ukraine et la Lituanie se présentant volontiers comme ses avocats auprès de
Bruxelles. Le Premier ministre tchèque, Vaclav
Klaus, a rencontré en octobre son homologue
slovaque Vladimir Meciar, la dernière rencontre
officielle entre les deux dirigeants ayant eu lieu
en 1992. Au même moment, le Premier ministre
hongrois, Gyula Horn, en visite en Roumanie, a
tenu à rappeler que les relations entre les deux
pays étaient exemplaires « tant sur le plan économique qu’en matière de protection des minorités ». Seules les relations entre la Slovaquie et
la Hongrie posent encore quelques problèmes,
les penchants autoritaires de Vladimir Meciar ne
facilitant pas le dialogue.
Une alternance démocratique
en Pologne
Parmi les pays faisant partie de la première
vague d’élargissement de l’Union européenne,
la Pologne fait figure de poids lourd, avec 62 %
de la population, 57 % du PIB total (en parités
de pouvoir d’achat) et 34 % des exportations
vers l’UE (données de 1996). C’est pourquoi les
élections parlementaires de septembre étaient
particulièrement attendues. D’autant plus que le
pays de Solidarnosc et de Lech Walesa (symboles
de la lutte anticommuniste) était gouverné depuis 1993 par une coalition « postcommuniste »
(formée par deux partis politiques, héritiers des
partis au pouvoir avant 1989). La victoire d’un
ancien apparatchik communiste, Aleksander
Kwasniewski, aux élections présidentielles de
1995 n’avait fait que renforcer les anciens clivages historiques et la bipolarité de la scène
politique. Les passions qui s’étaient exprimées
au printemps, à l’occasion du débat et du référendum sur la nouvelle Constitution (adoptée
finalement de justesse), laissaient craindre une
possible déstabilisation de la situation.
Les résultats des élections ont contribué à clarifier le paysage politique, bien qu’un très faible
taux de participation (48 %) indique un état
de profonde frustration et de déception d’une
partie de la société polonaise. L’Action électorale Solidarnosc (AWS) a créé la surprise en
obtenant 33,8 % des voix, devançant de plus de
sept points son principal adversaire, l’Alliance
de la gauche démocratique (SLD), arrivé second
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
149
avec 27,1 % des voix. L’Union de la liberté (UW),
formation libérale regroupant les personnalités historiques de Solidarnosc, a réalisé un bon
score avec 13,3 % des voix. Les deux formations
prônant une attitude plus réservée sur la question de l’intégration européenne, le Parti paysan
(PSL) et le Mouvement pour la reconstruction
de la Pologne (ROP), apparaissaient comme les
grands perdants de ces élections avec respectivement 7,3 % et 5,5 % des voix. L’AWS a obtenu
par ailleurs la majorité absolue des sièges dans
le nouveau Sénat.
Il a fallu cependant plus d’un mois de négociations parfois dramatiques et difficiles entre les
deux formations « héritières du mouvement
Solidarnosc », l’AWS et l’UW, pour qu’un nouveau gouvernement voie le jour. Dirigé par un
universitaire de Solidarnosc, Jerzy Buzek, le cabinet comprend plusieurs personnalités de premier plan, membres de l’UW, dont la présence
légitime la nouvelle coalition gouvernementale
aux yeux des observateurs étrangers. L’historien
Bronislaw Geremek s’est vu confier le ministère
des Affaires étrangères, le mathématicien Janusz
Onyszkiewicz, celui de la Défense, et l’ancien
Premier ministre Hanna Suchocka, celui de la
Justice. La présence au poste de vice-Premier
ministre de l’économiste Leszek Balcerowicz,
principal artisan de la réforme polonaise, permet de croire que le nouveau gouvernement
va poursuivre et même accélérer le mouvement
des réformes libérales. Pourtant, le caractère
hétérogène de la coalition, les nombreuses suspicions qui existent entre les deux partenaires,
la nécessité de « cohabiter » avec un président
de la République « postcommuniste » ouvrent
le champ à de nouveaux conflits. D’autant plus
que la Pologne (de même que les autres pays
de la région) se trouve confrontée à des défis
majeurs : réforme du système des retraites et
de la sécurité sociale, poursuite des privatisations, ouverture des négociations avec l’Union
européenne.
MARTIN FRYBES
AWS
Akcja Wyborcza Solidarnosc (Action électorale Solidarnosc), formation politique
créée officiellement en juin 1996 autour du
syndicat NSZZ « Solidarnosc ». Fortement
hétérogène, elle regroupe plus de 30 partis politiques et organisations différentes,
en particulier les partis politiques dits « de
droite », formés après 1989 dans la foulée
du mouvement Solidarnosc. Ces formations
s’étaient présentées en ordre dispersé aux
élections parlementaires de 1993, qu’elles
avaient perdues (aucun parti ne réussissant
à lui seul à dépasser la barre des 5 %). Ce
conglomérat comprend aussi bien des démocrates-libéraux, anciens membres de l’Union
de la liberté (UW), que des catholiques
conservateurs et nationalistes de l’Union
chrétienne nationale (ZChN). L’unité de
l’AWS est assurée par la position dominante
qu’y occupe le syndicat et, tout particulièrement, son président, Marian Krzaklewski.
23
Algérie
Nouvelles tueries.
Près de 200 personnes (87 selon les chiffres officiels)
sont sauvagement assassinées dans un faubourg
d’Alger. Le Front islamique du salut (FIS) condamne
ces atrocités, avant que son bras armé, l’Armée islamique du salut (AIS), annonce, le 24, un arrêt des
combats. De plus en plus d’observateurs s’interrogent sur l’attitude du pouvoir face à cette épouvantable violence et évoquent les rivalités au sein de
l’exécutif entre le président Liamine Zeroual et le chef
d’état-major, le général Mohamed Lamari.
Le 26, les Groupes islamiques armés (GIA) revendiquent la responsabilité des tueries, présentées
comme des « offrandes a Dieu », et rejettent toute
intervention étrangère dans le conflit, qu’elle soit le
t’ait de l’ONU ou de la France. Celle-ci est particulièrement prise à partie et menacée de représailles, c’està-dire d’attentats.
24
Espace
100e tir réussi pour Ariane.
Le lanceur européen Ariane-4 place sur orbite un
satellite de l’organisation européenne Intelsat. C’était
le 100e tir (et le 29e succès consécutif) d’une fusée
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150
Ariane depuis le 25 décembre 1979, date du premier
tir.
France
Présentation du budget pour 1998.
Le gouvernement présente le budget 1998 :
1 331,8 milliards de francs de recettes et 1 585,3 milliards de francs de dépenses, ce qui représente
257,8 milliards de francs de déficit, soit 3 % du PIB,
conformément aux critères d’adhésion à la monnaie
unique européenne. La fiscalité augmente de 5 milliards pour les ménages (suppression de certains
avantages sur l’épargne) et 9 milliards pour les entreprises (modification de l’assiette de l’impôt sur les
sociétés). En matière de Sécurité sociale, le plan gouvernemental pour résorber le déficit des comptes
sociaux (37,7 milliards de francs en 1997) porte sur
le plafonnement des allocations pour les familles les
plus aisées et la prolongation du remboursement de
la dette sociale (RDS).
26
Italie
Séismes dans la région d’Assise.
Dix personnes sont tuées et des milliers d’autres sont
sans abri à la suite de deux secousses telluriques
dans la région d’Assise, en Italie centrale. Dans la
ville d’Assise même, la basilique Saint-François et des
fresques de Cimabue, Martini, Lorenzetti et Giotto
datant de la pré-Renaissance sont plus ou moins gravement endommagées. Une polémique naît aussitôt
sur l’absence de toute politique anti-sismique dans la
région et sur la lenteur des secours mis en oeuvre par
les autorités italiennes.
28
France
Accord économique avec l’Iran.
La compagnie pétrolière française Total, associée aux
pétroliers russe Gazprom et malais Petronas, signe
avec les autorités iraniennes un accord pour le développement d’un très important gisement gazier situé
dans les eaux du Golfe. Total bénéficie du soutien du
gouvernement français face à l’interdiction posée par
les États-Unis à toute espèce de commerce avec le
régime de Téhéran. Total comme les autorités françaises estiment que, en dehors d’une disposition
explicite des Nations unies, une loi américaine – en
l’occurrence la loi D’Amato – ne saurait s’appliquer à
des sujets de droit non américains.
29
Israël
Relance des négociations avec
les Palestiniens.
Les autorités israéliennes confirment leur volonté
de reprendre les négociations avec l’Autorité palestinienne sur la continuation du processus de paix.
Cette décision intervient après que Yasser Arafat a
lancé une grande opération de police dans les territoires palestiniens contre le mouvement islamiste
Hamas. Bien que le mouvement de colonisation juive
continue dans les zones arabes et que la question du
retrait des forces israéliennes de Cisjordanie ne soit
pas à l’ordre du jour de la négociation, les responsables palestiniens saluent ce « pas positif ».
Peinture
Mort de Roy Lichtenstein.
Le peintre américain meurt à New York à l’âge de
soixante-treize ans. D’abord marqué par le cubisme,
il passe par l’abstraction puis par l’expressionnisme
avant de devenir, à partir des années 60, une des
grandes figures du pop art. Il reste célèbre pour ses
détournements d’images de bande dessinée.
30
France
Excuses de l’Église de France envers
les Juifs.
Par la voix de Mgr Olivier de Berranger, évêque du
diocèse de Saint-Denis (où se trouve Drancy, lieu
du départ des convois vers les camps de la mort
pendant l’Occupation), les évêques des régions qui
comptaient des camps d’internement (et seulement
eux) présentent leurs excuses a la communauté
juive pour la passivité de l’Église française face à la
politique de Vichy envers les Juifs. Le prélat déclare
ainsi : « Devant l’ampleur du drame et le caractère inouï
du crime, trop de pasteurs ont, par leur silence, offense
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
151
l’Église elle-même et sa mission. Aujourd’hui, nous
confessons que ce silence fut une faute. » Les représentants de la communauté juive se félicitent de cette
prise de position des prélats français que, pour sa
part, Jean-Marie Le Pen, leader du Front national,
juge « absolument scandaleuse ». Dans les jours qui
suivent, le Syndicat national des policiers en tenue
exprime ses regrets pour la participation des forces
de l’ordre aux mesures antijuives et l’Ordre des médecins regrette officiellement d’avoir, durant l’Occupation, exclu de ses rangs les praticiens d’origine juive.
Allemagne : une
économie vulnérable
Depuis le « miracle économique » des années
1950 jusqu’à la réunification du pays en 1989,
l’Allemagne de l’Ouest a accumulé une impressionnante série de performances : excédents
commerciaux, stabilité monétaire, inflation
réduite, plein emploi de la main-d’oeuvre. Elle
a ainsi donné au monde extérieur, et au fil du
temps, l’image d’une réussite sans pareil de son
économie, présentée comme celle d’un modèle
original appelé « économie sociale du marché »
ou encore « capitalisme rhénan ».
Cependant, à partir des années 90, avec la
réunification du pays et la mondialisation des
échanges, ce modèle est apparu de moins en
moins adapté aux exigences du temps, à un
point tel qu’on a pu soutenir qu’il devait être
remis en cause avant d’envisager le rebond de
l’économie allemande.
Remise en cause
Dès le début des années 1990, consécutivement
à la réunification du pays, l’économie allemande
a été brutalement confrontée à des difficultés
structurelles et persistantes : vieillissement de la
population, détérioration du marché de l’emploi,
hausse des coûts et chute de la compétitivité,
dégradation des finances publiques.
Le vieillissement de la population résulte du
gonflement de la pyramide des âges en son
sommet : le nombre des décès dépasse celui des
naissances ; le taux de fécondité est le plus bas
du monde (1,3 naissance contre 1,7 en France).
Entre 1980 et 1995, la population de l’Allemagne
de l’Ouest âgée de 60 à 65 ans est passée de 12
à 16 millions (+ 33 %) alors que la population
totale croissait de 61,5 à 65 millions (+ 6 %). Pour
réduire les coûts dus au vieillissement, le gouvernement a introduit des réformes allant depuis le relèvement des cotisations sur les salaires
et l’encadrement des dépenses de santé jusqu’à
l’abaissement du niveau des pensions de 70 %
des salaires nets en 1997 à 64 % en 2030.
Dans l’ensemble du pays, la détérioration du
marché de l’emploi, amorcée depuis 1995, s’est
accélérée à la fin de 1996 : de 10,3 %de la population active en 1990, le taux de chômage s’est
envolé à 10,8 % en 1996, soit 4,15 millions de
sans-emploi. Le 10 septembre 1997, le chancelier
Kohl a qualifié de « dramatique » le chiffre record
du chômage qui a frappé en août 1997 4,72 millions d’individus, soit 11,4 % de la population
active. Cette hausse due aux restructurations et
aux gains de productivité inquiète, alors même
que l’activité économique montre des signes de
reprise. La situation est particulièrement préoccupante dans l’ancienne Allemagne de l’Est
(19,2 % de la population active en 1997). Malgré un transfert vers l’Est de sommes considérables (160 milliards de marks nets des impôts
en 1995), elle ne cesse pas de se dégrader : ont
été recensés 1 380 000 chômeurs en août 1997
(contre 1 365 000 en juillet). Il n’est pas attendu
d’amélioration à l’avenir à cause de la réduction
des aides publiques à l’emploi et de la récession
dans le secteur du bâtiment.
Finalement, compte tenu de ces différentes évolutions, « la hausse du taux de chômage en Allemagne occidentale est nettement supérieure entre
1979 et 1995 non seulement à celle des États-Unis
et du Japon, mais aussi à celle de pays gravement
touchés comme l’Italie ou la France ».
Le manque de productivité extérieure dont
souffre l’Allemagne depuis 1990, révélé par l’effritement des parts de marché de l’exportation,
tient au fait que les firmes exportatrices sont
pénalisées par la répercussion des fortes hausses
des coûts salariaux sur les prix, par la surévaluation du mark (sauf ces deux dernières années)
et enfin par la faiblesse des investissements et
des innovations technologiques (microélectronique, biotechnologie et surtout informatique).
À la suite des hausses intervenues entre 1989
et 1996, les coûts salariaux de l’Allemagne ont
dépassé de 18 % ceux de ses onze principaux
partenaires économiques. De même, les innovations mises en oeuvre en Allemagne relèvent
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152
davantage de la moyenne sinon basse technologie que de la haute, ce qui ne lui permet pas de
conquérir certains marchés extérieurs, faute de
produits novateurs.
Le dérapage des finances publiques depuis 1990
s’est manifesté par le creusement du déficit budgétaire dû au gonflement des aides à l’ancienne
Allemagne de l’Est et des charges sociales (chômage, dépenses de santé, retraites, etc.) ; entre
1989 et 1993, le déficit public annuel consolidé
est passé de 0,4 % à 5,4 % du produit intérieur
brut, malgré une pression fiscale accrue. Après
1993, le gouvernement n’est parvenu à se rapprocher de la limite de 3 % imposée par le traité
de Maastricht qu’au prix d’un envol extraordinaire de la dette publique : celle-ci a atteint
dangereusement la limite de 60 % du PIB autorisée par Maastricht. En effet, elle est passée de
928,9 milliards de marks en 1989 (41,8 % du PIB)
à 2 208,9 milliards en 1996 (59,6 %). En comparaison, celle de la France s’élevait en 1992 de
2 746 milliards de francs (soit 39,3 % du PIB) à
4 360 milliards en 1996, soit 57,7 %.
Avec une telle croissance de la dette publique,
l’Allemagne a été contrainte non seulement
d’emprunter sur les marchés internationaux
de capitaux, mais aussi de gagner la confiance
des investisseurs étrangers. Placée ainsi devant
une situation historiquement inédite, l’économie allemande est condamnée à exécuter un
rebond consistant d’abord à garder et encore
plus à conquérir de nouveaux débouchés extérieurs par d’autres moyens que ceux définis par
le modèle rhénan.
Rebond
De cette remise en cause pendant les années
1990 du modèle rhénan provoquée par la forte
poussée des coûts salariaux et des charges sociales, l’économie allemande est sortie affaiblie
surtout sur le plan extérieur : entre 1990 et 1996,
la part allemande dans les exportations mondiales a baissé de 12,2 à 9,9 %.
Depuis la fin de l’année 1996, les instituts de
conjoncture, notamment celui de Cologne, ont
pu observer de nombreux signes de redressement de l’activité économique : amélioration du
climat des affaires, hausse des commandes et
de la production industrielle et surtout progression des exportations (plus de 9,6 % au premier
semestre 1997), facilitée d’ailleurs par la montée du dollar. Ces mêmes instituts ont vu dans
ces résultats favorables le début d’une adaptation des firmes aux nouvelles conditions de la
concurrence internationale et l’amélioration de
la productivité et de la qualité des produits.
Pour gagner la bataille de la compétitivité, les
firmes ont joué sur plusieurs tableaux. Pour
échapper à des coûts intérieurs trop élevés,
les firmes ont délocalisé vers « les marchés de
l’avenir » (Asie) ou ont implanté des chaînes de
montage automobile d’une plus grande échelle,
donc plus rentables, en Europe de l’Est, au Brésil et même aux États-Unis. En second lieu, elles
réclament davantage de flexibilité à la maind’oeuvre : ainsi Daimler-Benz a conclu en octobre
1997 un accord avec les syndicats maison pour
contenir le prix d’un nouveau modèle de voiture
(Classe A), à travers une politique d’économies
et d’aménagement des horaires ; 14 000 salariés
ont été ainsi recrutés dans l’année. En troisième
lieu, des grands groupes diversifiés comme
Thyssen, Siemens, Hoechst, Daimler-Benz se
concentrent sur les métiers les plus rentables
et se séparent des activités marginales (cas du
sidérurgiste Mannesmann se tournant vers le
marché des télécommunications). En quatrième
lieu, pour échapper à la tutelle des banques,
les firmes cherchent à séduire les actionnaires
comme les clients en vue d’une plus grande
autonomie financière. Enfin, les groupes les plus
puissants tentent de s’allier à des ensembles
équivalents d’autres pays (cas de Siemens et
de British Nuclear Fuels ou Deutsch Telekom et
France Télécom).
GILBERT RULLIÈRE
Modèle rhénan ou
Sozialmarktwirtschaft
(économie sociale du marché)
Depuis la guerre, l’Allemagne a réussi
d’abord sa reconstruction puis un développement économique sans précédent et
enfin la réunification avec sa partie orientale grâce à un modèle original dont on fait
remonter l’origine à Bismarck. La « Sozialmarktwirtschaft » correspond à une forme
de capitalisme appelé également rhénan,
de caractère libre-échangiste, mais marquée
par une association des syndicats de travailleurs à la cogestion de l’entreprise. Ces derniers négocient à intervalles plus ou moins
réguliers les revalorisations des salaires, les
horaires de travail et les avantages sociaux
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
153
au niveau des branches professionnelles. En
contrepartie, la paix sociale a été garantie
pendant longtemps. Avec la mondialisation, ce modèle est sérieusement ébranlé
parce que moins concurrentiel au plan
international.
Bibliographie :
Allemagne : la fin d’un modèle, Serge Milano, Aubier 1996, 418 p., 145 F.
L’Économie allemande, Jean-Pierre Gougeon, Le Monde-Éditions-Marabout, 1993.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
154
OCTOBRE
1
Congo-Brazzaville
Internationalisation du conflit.
Laurent-Désiré Kabila, président de la République
démocratique du Congo (RDC), menace d’envoyer
des troupes de l’autre côté du fleuve, à Brazzaville,
deux jours après que des obus, lâchés depuis cette
ville, sont tombés sur Kinshasa, tuant 21 personnes.
Denis Sassou-Nguesso, leader des Forces démocratiques et patriotiques (FDP), s’oppose à la venue des
militaires de Kinshasa, estimant que l’opération serait,
en réalité, destinée à appuyer son rival, le président
de la république du Congo, Pascal Lissouba. (chrono.
16/10)
France
Circulation alternée à Paris.
La pollution de l’air ayant atteint le niveau 3, le ministère de l’Environnement a décidé que, pendant
la journée du 1er octobre, seules les voitures dont la
plaque d’immatriculation finit par un numéro impair
pourraient rouler dans la capitale. Les transports en
commun sont gratuits pendant toute la journée dans
l’ensemble de l’Île-de-France. L’opération se déroule
de façon satisfaisante : on enregistre 20 % de voitures
en moins (les automobilistes contrevenants n’étant
pas sanctionnés) et une baisse de la pollution (due
également à une amélioration des conditions atmosphériques). Le 8, Dominique Voynet, ministre de
l’Environnement, annonce qu’à l’avenir les limitations
de circulation seront déclenchées dès le niveau 2 de
pollution : circulation alternée, mais aussi restriction
envers tous les véhicules qui ne disposeront pas de
la pastille verte, c’est-à-dire d’un certificat non-pollution (faisant état de l’ancienneté et de l’entretien du
véhicule, de l’équipement en pot catalytique, etc.).
La pollution des villes et
la circulation automobile
Le 1er octobre, à la suite d’un pic de pollution au
dioxyde d’azote, a été expérimentée à Paris, pour
la première fois en France, la circulation automobile alternée : sauf dérogation, seuls les véhicules
à moteur munis d’un numéro d’immatriculation
finissant par un chiffre impair ont été autorisés
à circuler dans la capitale et dans 22 communes
limitrophes. Cette mesure spectaculaire a relancé
le débat sur l’avenir de l’automobile en ville.
Comment éviter que l’air des villes ne devienne
irrespirable avec la circulation automobile ? La
question se pose désormais avec acuité. En effet,
la pollution de l’air en milieu urbain, principalement liée aux phénomènes de combustion, est
particulièrement préoccupante en raison de son
impact sur la santé. Or, depuis une vingtaine
d’années, tandis que les émissions nocives dues
aux installations industrielles ou de chauffage
régressent, celles imputables aux moyens de
transport augmentent, les progrès réalisés au niveau des véhicules ne compensant malheureusement pas l’effet de l’accroissement du trafic.
Les polluants dus à l’automobile
La combustion incomplète des carburants dans
les moteurs produit du monoxyde de carbone,
un gaz très toxique, particulièrement dangereux
dans un espace clos, ainsi que des particules de
carbone. Les pots d’échappement libèrent aussi
des oxydes d’azote et des hydrocarbures imbrûlés qui favorisent la formation au voisinage du
sol, par réaction photochimique, d’un gaz très
irritant, l’ozone. Quant aux moteurs Diesel (qui,
en France, équipent le quart du parc existant), ils
dégagent de très fines particules auxquelles se
lient des produits dangereux, métaux lourds et
hydrocarbures aromatiques polycycliques ; ces
particules pénètrent dans les voies respiratoires
et peuvent être cancérigènes.
Les quantités maximales de monoxyde de carbone, d’oxydes d’azote, d’hydrocarbures imbrûlés et de particules que peuvent libérer les véhicules font l’objet de réglementations de plus en
plus sévères. En France, par exemple, les voitures
à essence immatriculées depuis 1993 et celles à
gazole mises en service depuis 1997 disposent
obligatoirement d’un pot d’échappement à
catalyse, qui limite fortement leurs émissions
polluantes.
Les mesures de restriction de la
circulation
Dans la plupart des grandes villes, la qualité
de l’air est surveillée en permanence. Selon la
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
155
teneur en chacun des polluants qui font l’objet
d’un suivi systématique, on définit plusieurs
niveaux d’alerte. En cas de pic de pollution,
des mesures de restriction de la circulation automobile sont en vigueur dans de nombreuses
villes d’Europe. Athènes impose depuis 1982
une circulation alternée, un jour sur deux, en
fonction du dernier chiffre, pair ou impair, de
la plaque d’immatriculation. De plus, lorsque
les teneurs en dioxyde d’azote, en monoxyde
de carbone et en ozone atteignent respectivement 500, 25 et 300 micro-grammes par mètre
cube d’air, le centre de la ville est interdit à la
circulation. En Italie, la circulation alternée a
été adoptée à la fin des années 80 à Brescia,
puis à Milan, Bologne, Turin, Naples et Rome.
Bien vite, cependant, cette mesure s’est révélée insuffisante et les municipalités ont dû
mettre en oeuvre d’autres solutions : installation de nombreux parkings à la périphérie et
développement des transports publics, restrictions de la circulation aux résidents et à
certaines catégories professionnelles, plan de
circulation contraignant, etc. Les villes allemandes jouent la carte des parkings de dissuasion à la périphérie, restreignent le stationnement réservé aux riverains et disposent d’un
important réseau de voies cyclables. Le covoiturage est largement pratiqué aux Pays-Bas,
où il représente un quart des déplacements
domicile-travail. Le péage urbain n’a la faveur
que des Scandinaves.
Le cas de la France
En France, on compte une bonne quinzaine de
grandes agglomérations où la qualité de l’air se
trouve régulièrement altérée par l’automobile.
La loi sur l’air adoptée en 1997 sous le gouvernement d’Alain Juppé, à l’initiative du ministre
de l’Environnement Corinne Lepage, prévoit la
mise en place dans toutes les villes de plus de
100 000 habitants de « plans de déplacement
urbains » (PDU) établissant le partage de la ville
entre les piétons, les voitures particulières et
les transports en commun. L’instauration éventuelle de mesures limitant la circulation automobile lors d’un pic de pollution pose moins
de problèmes dans la capitale qu’en province.
À Paris, le réseau de transports en commun est
si dense que l’on peut sans difficulté basculer
sur lui un nombre très important de déplacements. De plus, le manque à gagner résultant
de la mise en gratuité de ce réseau est assuré
par l’État. La plupart des grandes villes de province, en revanche, ne disposent que d’une ou
deux gares SNCF desservies par une seule ligne
ferroviaire, et le parc d’autobus qui y assure généralement la quasi-totalité des transports en
commun n’est pratiquement pas extensible. De
surcroît, leur mise en gratuité serait à la charge
des collectivités locales. À Lyon, par exemple,
on estime que la mise en gratuité du métro,
des bus et des trains locaux, en cas d’immobilisation des voitures, coûterait 2,4 millions de
francs par jour en perte de recettes, somme à
laquelle s’ajouteraient plus de 500 000 francs
liés au renforcement de la capacité du réseau
de transport public.
Dans l’immédiat, on attend l’instauration d’une
« pastille verte » qui désignera les véhicules
non polluants : outre les voitures électriques ou
à gaz de pétrole liquéfié (GPL), celles fonctionnant à l’essence sans plomb et disposant d’un
pot catalytique ainsi que les véhicules à moteur
Diesel mis en service depuis 1997. Sans préjuger de restrictions de circulation qui pourront
être décidées en fonction des niveaux de pollution, ces véhicules « propres » seront autorisés
en priorité à circuler en ville les jours de forte
pollution atmosphérique.
PHILIPPE DE LA COTARDIÈRE
Les niveaux de pollution
En France, trois niveaux de pollution ont
été définis, pour chacun des contaminants
atmosphériques faisant l’objet d’une surveillance permanente. Le niveau 1 n’intéresse que les autorités ; l’information du
public intervient au niveau 2 ; le niveau 3
constitue le seuil d’alarme. Ces niveaux se
mesurent en microgrammes (μg) de polluant
par mètre cube d’air. Le niveau 3 est atteint,
par exemple, pour une teneur de 600 μg/m 3
en dioxyde de soufre, ou de 400 μg/m 3 en
dioxyde d’azote ou de 360 μg/m 3 en ozone.
La procédure de circulation alternée à Paris
et dans sa couronne a été décidée à la suite
du dépassement, le 30 septembre, du seuil
de pollution au dioxyde d’azote de niveau 3
dans le 12e arrondissement de la capitale
ainsi qu’à Yvry-sur-Seine et à Vitry-sur-Seine.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
156
2
France
Pétition anti-Chevènement.
Un appel signé par 1 300 artistes et intellectuels,
autour, notamment, de l’écrivain Dan Frank et de
la cinéaste Pascale Ferran, critique la politique du
ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, à
l’égard des étrangers et réclame la régularisation de
tous les sans-papiers qui en ont fait la demande. À
cette « gauche morale » s’oppose une « gauche réaliste » qui, aux côtés, entre autres, notamment, du
philosophe Alain Finkelkraut et du diplomate, très
impliqué dans les questions relatives au statut des
étrangers, Stéphane Hessel, approuve globalement
la politique du gouvernement et reconnaît la nécessité de définir des critères permettant d’accepter ou
de refuser la présence d’étrangers sur le sol français.
3
Congo-Kinshasa
Expulsion des organisations
humanitaires.
Le gouvernement de Kinshasa ordonne à toutes les
organisations humanitaires qui s’occupaient des réfugiés rwandais de quitter au plus vite l’est du pays ; il
expulse également tous les réfugiés rwandais entrés
récemment en République démocratique du Congo.
Au même moment, la mission de l’ONU chargée
d’enquêter sur les massacres de Hutus rwandais en
1996-1997 (environ 200 000 victimes) quitte la RDC
en constatant que son travail a été constamment
gêné par les autorités.
4
Espagne
Mariage princier.
L’infante Cristina, fille de Juan Carlos d’Espagne,
épouse à Barcelone Iñaki Urdangarin, un jeune
handballeur basque, devenu duc de Majorque. La
cérémonie est suivie par un public fervent et par près
d’un milliard de téléspectateurs, ce qui démontre la
popularité de la famille royale espagnole, bien différente, à cet égard, de son homologue britannique. En
tout état de cause, le monarque espagnol demeure
extrêmement populaire depuis sa conduite exemplaire lors de la tentative de coup d’État fasciste, en
février 1981, qu’il contribua, de façon décisive, à faire
échouer. Par ailleurs, la bonne tenue de la famille
royale a fait le reste.
États-Unis
Rassemblement
des « Promise Keepers ».
Plus de 500 000 hommes se réunissent à Washington à l’appel des Promise Keepers (« teneurs de promesse »), une organisation chrétienne conservatrice.
C’est un des plus importants rassemblements jamais
réalisés dans la capitale fédérale. À l’instar du fondateur de l’organisation Bill McCartney, proche des
républicains, ces milliers d’hommes, en très grande
majorité blancs mais pas exclusivement, promettent
d’être de meilleurs chefs de famille (étant entendu
que leurs épouses doivent leur obéir) et de meilleurs
fidèles (résolument engagés dans la lutte contre
l’avortement). Présenté comme une réaction masculine à l’effacement relatif des hommes dans la
société, le mouvement des Promise Keepers est vio-
lemment critiqué par les organisations féministes.
Prudent, Bill Clinton rend hommage à la « sincérité »
des manifestants.
Sénégal
Offensive en Casamance.
L’armée sénégalaise lance une vaste offensive contre
les indépendantistes casamançais. En août, 25 soldats des troupes de Dakar avaient été tués au cours
d’une embuscade qui marquait la fin du cessez-lefeu décrété en 1995 par l’abbé Augustin Diamacoune, leader du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC). Le conflit a débuté
dans les années 70, quand des agriculteurs venus du
Nord se sont installés dans cette région méridionale
isolée par la Gambie du reste du pays. Les nouveaux
arrivants, souvent d’ethnies lebou, mankagne ou wolof, ont été incités à cultiver la noix de cajou, destinée
à l’exportation, au détriment de la riziculture vivrière
traditionnelle pratiquée par la population diola.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
157
5
Serbie
Élections présidentielles annulées.
Pour cause de participation insuffisante (48,97 %), le
deuxième lourde l’élection présidentielle est annulé.
Il a été remporté par le candidat ultranationaliste
Vojislav Seselj, crédité de 49,1 % des suffrages, qui
devance Zoran Lilic (47,9 %), le candidat de la coalition des ex-communistes favorables au président
sortant, Slobodan Milosevic. Ce résultat constitue
un grave revers pour ce dernier qui avait appuyé la
candidature Lilic, car celui-ci lui était tout dévoué et
lui aurait permis de continuer à exercer le pouvoir
réel en Serbie. Président de la république de Yougoslavie (regroupant la Serbie et le Monténégro),
un poste purement honorifique, M. Milosevic, qui,
constitutionnellement, ne pouvait se présenter à un
troisième mandat en Serbie, se voit dans l’obligation
de trouver un nouveau candidat à la fois assez énergique pour contrer efficacement M. Seselj – ce que
n’avait pu faire M. Lilic – et assez soumis pour, une fois
élu, lui laisser la réalité du pouvoir. Au Monténégro,
où se tient le premier tour de l’élection présidentielle,
Milo Djukanovic, Premier ministre sortant, candidat
opposé à la politique de M. Milosevic, arrive en tête
devant le président sortant, Momir Bulatovic, resté
fidèle au maître de Belgrade. Le 19, M. Djukanovic
remporte l’élection présidentielle. En Serbie, un nou-
veau scrutin sera organisé en décembre.
Tennis
Première victoire française dans la Fed
Cup.
L’équipe de France, composée de Sandrine Testud,
Mary Pierce, Nathalie Tauziat et Alexandra Fusai, et
entraînée par Yannick Noah, remporte pour la première fois la Fed Cup en battant les Pays-Bas par
4 victoires à 1. Créée en 1963, la Fed Cup est l’équivalent pour les femmes de la Coupe Davis.
6
France
Scandale et diffamation.
François Léotard et Jean-Claude Gaudin, anciens
ministres et élus UDF de la Région Provence-AlpesCôte d’Azur, dénoncent une opération de déstabilisation politique et une grave atteinte à leur honneur
menées à leur endroit. Sous des pseudonymes transparents, ils sont mis en cause dans le livre de deux
journalistes, Jean Michel Verne et André Rougeot
(ce dernier appartenant à la rédaction du Canard
enchaîne). L’ouvrage, qui a pour titre l’Affaire Yann Piat,
laisse entendre que MM. Léotard et Gaudin auraient
commandité le meurtre, en 1994, de la députée du
Var. Celle-ci aurait été abattue parce qu’elle aurait
mis au jour une vaste opération immobilière frauduleuse dans la région : des terrains appartenant à
l’armée auraient été vendus à des opérateurs contrôlés par la mafia, alors même que M. Léotard était
ministre de la Défense, et M. Gaudin, président de la
Région PACA. M. Léotard demande et obtient la mise
hors commerce de l’ouvrage (déjà vendu à plus de
50 000 exemplaires), tandis que M. Gaudin attaque
les auteurs en diffamation. Avant même que le procès ne s’ouvre, la direction du Canard enchaîné prend
ses distances par rapport au livre, tout en validant les
enquêtes publiées dans l’hebdomadaire sur l’affaire
Yann Piat par M. Rougeot, et en faisant observer que
l’enquête officielle menée sur cette affaire l’avait été
dans des conditions suspectes. Certains mettent en
cause des militaires, proches de l’extrême droite, qui
auraient mené une opération de désinformation en
direction des deux journalistes, tandis que d’autres
observent que le RPR tient là une bonne occasion
pour empêcher M. Léotard de prendre la tète de la
liste de droite pour les élections régionales en PACA.
(chrono. 28/10).
Israël
Échec d’une opération secrète.
Benyamin Netanyahou, Premier ministre d’Israël, est
contraint de se justifier d’une opération ratée menée,
fin septembre, par les agents secrets du Mossad
contre un dirigeant de seconde zone du mouvement
islamiste palestinien (Hamas) basé en Jordanie. L’élimination physique de ce dernier devait constituer
une riposte aux attentats perpétrés récemment par
les islamistes en Israël. L’opération s’est soldée par un
échec complet et par l’arrestation des agents israéliens introduits clandestinement en Jordanie. Pour
obtenir la libération de ceux-ci, M. Netanyahou a dû
consentir à l’élargissement du cheikh Ahmed Yassin,
leader historique du Hamas, et d’une vingtaine de
militants de ce mouvement. Le retour triomphal du
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
158
cheikh Yassin à Gaza constitue, par ailleurs, une nouvelle mise en cause du pouvoir de Yasser Arafat.
Médecine
Prix Nobel à l’Américain Stanley
Prusiner.
Âgé de cinquante-cinq ans, le chercheur de San Francisco est distingué pour ses travaux sur les prions, ces
protéines mal repliées qui deviennent infectieuses et
se propagent dans l’organisme. Grâce à Prusiner, la
connaissance des encéphalopathies spongiformes
(tremblante du mouton, maladie de la « vache folle »,
maladie de Creutzfeldt-Jakob) a considérablement
progressé ; toutefois, ses hypothèses sur les prions,
agents transmissibles atypiques défiant les lois ordinaires de la biologie, sont attaquées par plusieurs
chercheurs internationaux qui privilégient l’existence
de virus cachés.
7
Proche-Orient
Rencontre Arafat-Netanyahou.
Le chef de l’Autorité palestinienne et le Premier ministre israélien se rencontrent pour la première fois
depuis le mois de février. Rien de concret ne sort
de cette entrevue, sinon la possibilité de démontrer
à leurs opinions respectives que les deux leaders
demeurent des interlocuteurs incontournables dans
leurs pays.
8
France
Ouverture du procès de Maurice Papon.
Le procès de l’ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde pendant l’Occupation, accusé de
crime contre l’humanité pour avoir organisé la déportation vers Drancy de plus de 1 500 Juifs de la région
de Bordeaux, s’ouvre devant la cour d’assises de cette
ville. Conformément à la procédure, l’accusé a dû, la
veille, se constituer prisonnier. Les premiers débats
sont consacrés à la demande de mise en liberté de
M. Papon, âgé de quatre-vingt sept ans et qui a subi,
il y a peu de temps, un triple pontage coronarien :
son avocat, Me Jean-Marc Varaut, la réclame avec insistance, mettant en avant l’état de grande fatigue de
son client, qui, par ailleurs, a été conspué à la prison
où il était incarcéré. Le 10, la cour décide d’accorder
la liberté à M. Papon, inaugurant ainsi une véritable
jurisprudence favorable au principe d’innocence.
Indignés, deux avocats des parties civiles décident
de quitter le procès, sachant qu’en cas de condamnation M. Papon, s’il introduit alors un pourvoi de la
Cour de cassation, demeurera en liberté jusqu’à l’examen de son affaire par la haute juridiction. L’opinion
s’émeut de voir ensuite M. Papon prendre pension
dans un hôtel de luxe et se promener face à la presse,
apparemment en bonne forme physique.
Corée du Nord
Intronisation de Kim Jong-il.
Trois ans après la mort de son père, leader historique
du pays, Kim Jong-il devient secrétaire général du
Parti communiste nord-coréen. Le poste de chef de
l’État demeure toujours vacant. Âgé de cinquantecinq ans, Kim Jong-il est le premier dirigeant communiste à bénéficier d’un transfert dynastique de pouvoir. Malgré la grave crise économique et la famine
qui sévissent dans le pays, son leadership ne semble
pas devoir être contesté à court terme.
Cyclisme
Nouveau titre mondial pour Jeannie
Longo.
En gagnant le contre-la-montre aux Championnats
du monde de San Sebastian, la cycliste française remporte son 12e titre mondial. Lors de ces championnats, Laurent Jalabert s’adjuge le titre du contre-lamontre masculin, et Laurent Brochard, celui sur route.
9
La coalition de centre gauche, au pouvoir depuis
avril 1996, se disloque à la suite de la défection
de sa composante communiste : les Refondateurs
communistes (PRC) avaient fait savoir qu’ils refusaient de voter le budget si le gouvernement ne
renonçait pas à son projet de réforme du système
de protection sociale et, notamment, du régime
des retraites, particulièrement avantageux en Italie.
Soucieux de répondre aux critères de la monnaie
unique européenne, M. Prodi avait refusé de se plier
Italie
Chute momentanée du gouvernement
de Romano Prodi.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
159
aux exigences de ses alliés d’extrême gauche et
se voit donc contraint de présenter sa démission.
Cinq jours plus tard, le 14, le leader des Refondateurs communistes, Fausto Bertinotti, revient sur
sa volonté de ne pas voter le budget en échange
d’un engagement du gouvernement de faire adopter, à la date du 1er janvier 2001, une loi-cadre sur la
semaine de travail de 35 heures, comme en France.
M. Prodi constate alors la fin de la crise ministérielle
qu’il qualifie lui-même de « plus folle du monde ».
Cette péripétie politique démontre à la fois l’attachement des autorités – comme de l’opinion – italiennes à la construction européenne et les effets
pervers du système électoral italien qui soumet les
majorités parlementaires à la merci des petits partis.
Judo
Nouvel exploit de David Douillet.
Le judoka français remporte son quatrième titre
mondial, le troisième consécutif dans la catégorie
des plus de 95 kg. Il devient ainsi le judoka le plus
titré de l’histoire. Avec un total de neuf médailles
(dont 4 en or), la France obtient son meilleur résultat
en championnat du monde. Elle finit seconde, juste
derrière le Japon (10 médailles, dont 4 en or).
Littérature
Le prix Nobel à l’Italien Dario Fo.
Comédien et dramaturge de soixante-et-onze ans,
il s’est fait connaître dès la fin des années 50 en
créant une compagnie théâtrale. Sa notoriété grandit au cours des années 60, quand il met sur pied un
« collectif » de spectacle. Ses pièces – notamment,
Mort accidentelle d’un anarchiste et Faut pas payer –
constituent autant de critiques de l’injustice et de
l’ordre établi. Certains – comme le journal du Vatican
l’Osservatore Romano, la critique littéraire du Monde
ou le lauréat du prix Nobel 1980, l’écrivain polonais
Czeslaw Milosz – critiquent l’attribution du prix à un
simple « bateleur » ou, pour le moins, à un homme
estimable pour sa sincérité, mais qui n’aurait pas
l’étoffe d’un véritable Nobel de littérature.
Italie : une semaine folle
Le 16 octobre, la Chambre des députés vote la
confiance au gouvernement de centre gauche de
Romano Prodi, mettant un point final à la crise
qui venait de secouer l’Italie pendant huit jours à
propos des mesures d’austérité prévues dans le
budget 1998. Les députés de Rifondazione comunista, à l’origine de la crise, auront finalement
apporté leur soutien au gouvernement. Retour sur
une semaine folle.
Acte I : la démission de
Romano Prodi
En refusant de voter le 7 octobre le projet de
budget adopté par le gouvernement le 27 septembre, les communistes endossent la responsabilité d’une crise politique dont ils ne pouvaient
pas mesurer l’ampleur. Et sans doute la question
du budget n’est-elle que secondaire. En effet,
les communistes auront estimé que l’adoption
du budget et la probable entrée de l’Italie dans
l’euro, avec une situation économique favorable,
ainsi que les réformes institutionnelles qui aboutiront avec le renforcement du système bipolaire, risquaient de limiter leur marge d’action.
Une analyse qui aura conduit Fausto Bertinotti
à refuser le budget du gouvernement pour tenter de barrer la route à cette gauche réformiste
qui, en Italie aussi, a compris quel est son chemin. À l’aune de cette analyse, le revirement des
communistes s’apparente plutôt à une défaite
cuisante.
Tandis que le chef de l’État, Oscar Luigi Scalfaro,
commence ses consultations – la mort dans
l’âme, le président du Conseil avait été contraint
de démissionner le 9 octobre après avoir constaté qu’il ne disposait plus d’une majorité suffisante pour gouverner à la suite du lâchage de
Rifondazione –, Fausto Bertinotti crée de nouveau la surprise en laissant la porte ouverte
à un possible accord, puis en annonçant, le
11 octobre, qu’il propose officiellement la poursuite de la coalition de centre gauche avec un
programme de un an. Une idée pour le moins
fraîchement accueillie par R. Prodi qui déclarait
alors : « Bertinotti a changé d’avis, c’est son problème, pas le mien. » En dépit de la fermeté dont
fait encore montre l’ex-président du Conseil, on
commence à envisager une sortie autre que de
nouvelles élections. Et, le 13, les communistes
refondateurs acceptent de voter le budget sans
que celui-ci soit profondément modifié. Le lendemain, le président de la République prend
acte de la réconciliation et de la renaissance de
la majorité pour rejeter la démission du président du Conseil.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
160
Acte II : le retour
Tout est donc rentré dans l’ordre jusqu’à la fin
de 1998 dans la mesure où les alliés communistes acceptent de voter le projet de budget prévoyant une réduction des dépenses
de 500 milliards de lires, compensée par des
rentrées provenant de la lutte contre la fraude
fiscale. Le gouvernement s’engage à présenter
en janvier 1998 un texte de loi prévoyant la réduction de la semaine de travail à 35 heures au
1er janvier 2001. En ce qui concerne la délicate
question des retraites d’ancienneté – qui fait
que chaque Italien ayant travaillé 35 ans peut
toucher sa retraite quel que soit son âge –, il
est décidé de ne rien modifier. Enfin, un pacte
de consultation est établi afin de définir, par
le biais d’une consultation permanente, une
action commune sur les principaux problèmes
politiques et économiques entre le gouvernement, la coalition de l’Olivier et Rifondazione
comunista. Toutes choses dont se félicite bien
sûr F. Bertinotti. Il reste que, en jouant les
maximalistes, le secrétaire de Rifondazione
comunista aura commis une lourde erreur. Le
pays tout entier lui a en effet fait comprendre
qu’il ne voulait pas de cette crise. Ainsi, F. Bertinotti est copieusement sifflé le 12 octobre
lors de la marche pour la paix à Assise. Les
syndicats n’ont pas manqué de lui faire savoir
qu’ils désapprouvaient cette rupture qui mettait un terme à une expérience de gauche. Les
militants de Rifondazione comunista ont littéralement inondé de fax très critiques le siège
du parti. La direction a connu des tensions, le
bien-fondé du coup de force de son secrétaire
étant contesté, alors que le gouvernement
affichait un bilan globalement positif. D’ailleurs, les responsables communistes ont pris la
mesure de cette formidable erreur stratégique
en apprenant que le Parti de la gauche démocratique (PDS) était décidé à retourner devant
les électeurs pour leur demander de trancher.
Ayant eu suffisamment de preuves de leur
impopularité dans cette affaire, les dirigeants
de Rifondazione comunista ne pouvaient que
s’attendre à une sanction en forme de débâcle.
Il reste que cette semaine folle permet un renforcement du gouvernement de R. Prodi. Son
retour agrémenté de la certitude de pouvoir
agir sans entrave pendant une année constitue un nouvel atout. Contraint de démissionner alors qu’il avait pratiquement atteint le but
qu’il s’était fixé – les trois « R » : risanamento,
riforme et ripresa (assainissement, réformes et
reprise) –, R. Prodi peut reprendre l’ouvrage là
où l’avait laissé la crise.
La population, à laquelle il avait demandé de
se serrer la ceinture afin que l’Italie fasse partie du premier train des pays qualifiés pour
la monnaie unique, lui a envoyé un message
d’assentiment par défaut en accusant les
communistes refondateurs d’avoir joué avec
le feu. Au cours du mois de novembre, des
élections locales auxquelles personne n’aurait
prêté grande attention en temps normal suscitent subitement l’intérêt des Italiens, des
commentateurs politiques et bien sûr des
diverses formations. Tous les scrutins sans
exception montrent une percée plus ou moins
significative des candidats de la coalition gouvernementale de centre gauche. Au bout du
compte, la population a validé par les urnes ce
qu’elle avait exprimé dans la rue aux premiers
jours de la crise : pour la première fois dans
l’histoire politique récente de l’Italie, l’opinion
publique, d’habitude indifférente à l’instabilité gouvernementale ; fait pression pour dire
« assez ! ». Ce n’est pas là le moindre enseignement de la crise d’octobre.
PHILIPPE FAVERJON
Romano Prodi : « Il Professore »
Grand commis de l’État, amateur de bonne
chère et de bicyclette, ami de Jacques Delors avec lequel il partage une profonde
foi chrétienne, Romano Prodi restera, quel
que soit son bilan, le rescapé de la politique
italienne. Ancien ministre de l’Industrie,
cet économiste s’est surtout fait remarquer
en tant que président de l’IRI (Institut pour
la reconstruction industrielle), dont il parviendra à redresser les comptes entre 1982
et 1989. Son nom avait déjà été avancé
par le chef de l’État après la chute du gouvernement de Silvio Berlusconi. Mais il ne
sera appelé qu’après l’intermède du cabinet
Lamberto Dini, au lendemain des élections
de 1996.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
161
10
France
Principe d’une loi sur la semaine de
35 heures.
Le gouvernement, le patronat et les syndicats se réunissent toute la journée à Matignon pour aborder les
problèmes de l’emploi et du temps de travail. La tension est grande, car, dans les semaines qui ont précédé la conférence, chacun s’est largement exprimé
devant l’opinion pour défendre son point de vue. Le
gouvernement s’est déclaré favorable au principe
des 35 heures, mais Lionel Jospin a pris soin de préciser que le slogan « 35 heures payées 39 » était en
soi « antiéconomique ». La CGT réclame précisément
l’application de ce programme, tandis que la CFDT
milite en faveur de la réduction du temps de travail,
mais sans réclamer une stricte compensation salariale. Le CNPF, quant à lui, se déclare opposé au principe des 35 heures, même si, dans les faits, plusieurs
de ses dirigeants l’appliquent dans leurs propres entreprises. En tout état de cause, l’organisme patronal
refuse le principe d’une loi indiquant une date butoir.
À l’issue de la journée, le gouvernement annonce les
mesures suivantes : mise au point d’un projet de loi
qui « fixera l’objectif de la durée légale à 35 heures au
1er janvier pour les entreprises de plus de 10 (dans les
jours qui suivent, le seuil est porté à 20) salariés », l’objectif étant que « la durée légale soit à 35 heures pour
tous avant la fin de l’actuelle législature ». Au second
semestre de 1999, une deuxième loi organisera les
modalités concrètes de mise en application de cette
baisse générale du temps de travail. La loi Robien
sera remplacée par de nouvelles dispositions (aide
de l’État pour toute embauche compensant une
baisse du temps de travail dans l’entreprise). À l’issue
de la réunion, les syndicats se déclarent globalement
satisfaits, tandis que le président du CNPF, Jean Gandois, estime qu’il a été « berné » par le gouvernement.
M. Gandois assure qu’il n’avait accepté de venir que
parce qu’on lui avait assuré qu’aucune loi contraignante n’était envisagée. (chrono. 13/10)
Paix
Prix Nobel à la Campagne
internationale pour l’interdiction des
mines antipersonnel.
En la personne de l’Américaine Jody Williams, les
jurés de Stockholm récompensent l’action contre un
des fléaux du monde moderne (25 000 personnes
tuées ou mutilées par ces mines chaque année) et
critiquent indirectement le président américain Bill
Clinton qui a refusé de ratifier le traité d’interdiction.
La quadrature du siècle
Le débat sur les 35 heures qui s’est engagé fin
1997 illustre tout à la fois la très forte inquiétude
des Français face au chômage, la volonté de la
société de se réformer et sa difficulté à entrer
dans le XXIe siècle. Après avoir été tabous, les
concepts de partage et de flexibilité sont de
mieux en mieux acceptés. Ils pourraient même
devenir les principes fondateurs d’un nouveau
système social, en complément ou remplacement
d’un modèle républicain qui montre ses limites.
Le chômage est sans doute le seul véritable
problème de la France, tant il conditionne tous
les autres : inégalités ; pauvreté ; délinquance ;
drogue ; climat de méfiance ; inquiétudes individuelles... Au sein de l’Union européenne, seules
l’Espagne et la Finlande connaissent une situation de l’emploi plus difficile. Ce mal français est
lié à des spécificités nationales qui sont encore
apparues avec force au cours de l’année 1997.
La réalité ignorée
Dans un monde où le réalisme et la capacité
d’adaptation deviennent des vertus cardinales
des nations, l’incapacité de la France à appréhender le réel est sans doute l’une des causes
principales de ses difficultés. Il semble d’ailleurs
que ce handicap soit au moins aussi fréquent
chez les gouvernants et les grands acteurs sociaux que parmi les citoyens.
L’histoire récente en fournit une illustration. Les
Trente Glorieuses (1945-1974) ont été suivies
en France d’une période singulière : pendant
dix années, que l’histoire retiendra peut-être
comme les Dix Paresseuses, notre pays a voulu
ignorer l’existence d’une crise économique dont
les effets étaient pourtant visibles partout. Par
aveuglement ou par démagogie, partis politiques et syndicats se sont efforcés de faire croire
qu’on pouvait l’arrêter aux frontières de l’Hexagone (une illusion que l’on retrouvera en 1986,
lors de la catastrophe de Tchernobyl). Une sorte
de consensus national implicite s’est alors établi
pour que l’on continue de privilégier l’accroissedownloadModeText.vue.download 163 sur 361
JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
162
ment du pouvoir d’achat, sans se rendre compte
qu’il serait obtenu au détriment de l’emploi.
La France est encore en train de payer, au prix
fort, ce coupable aveuglement. Les chômeurs en
sont évidemment les premières victimes. Mais
c’est l’ensemble de la société qui a été traumatisée par ce fléau.
Le partage accepté
Après s’être interrogées sur les causes de ce chômage lancinant, les « élites » ont expliqué aux
citoyens que la solution viendrait avec la croissance économique. Cette autre illusion leur a
permis de « gagner » encore quelques années,
en attendant des lendemains qui chantent pour
le PIB.
Mais la croissance enregistrée vers la fin des
années 80 n’a pas créé les emplois attendus et il
a bien fallu se rendre à l’évidence. Le débat toujours avorté sur le « partage » du travail a donc
été relancé. Par la droite d’abord, qui soutint du
bout des lèvres, et contre ses convictions profondes, la « loi Robien ». Puis récemment par la
gauche, avec son projet de réduction de la durée
du travail à 35 heures.
Les discussions sur ce projet sont une nouvelle
illustration des singularités françaises. Certains
continuent de s’arc-bouter sur les solutions classiques, qui ont pourtant fait la preuve de leur
inefficacité. D’autres se contentent de critiquer
toutes les propositions, de refuser toutes les expériences, notamment celles faites à l’étranger.
La flexibilité reconnue
Dans ce contexte d’affirmations sans preuves, de
procès d’intention et de subjectivité, les Français
ont longtemps hésité à se prononcer. Leur attitude est à la fois sceptique et pragmatique.
Si l’acceptation de l’idée de partage progresse
depuis 1993 dans l’opinion, celle de la flexibilité
est plus récente. Les Français ont constaté que
les mesures imposées d’en haut et identiques
pour tout le monde ne fonctionnent plus dans
un monde en permanente mutation. L’adaptation, plus que la conservation, leur apparaît
donc de plus en plus comme la condition de la
survie.
Ils sont d’ailleurs de plus en plus flexibles dans
leurs comportements, qu’il s’agisse de la vie
familiale, de leur vie professionnelle ou de leur
consommation. On constate ainsi un « zapping »
dans les modes de vie, qui est à l’origine d’une
infidélité croissante aux produits, aux marques
ou aux enseignes de distribution, mais aussi aux
partis politiques et aux institutions.
La fin du modèle républicain
Deux mots longtemps considérés comme tabous
ont donc récemment trouvé ou retrouvé la faveur des Français : partage et flexibilité. On peut
se demander s’ils ne constituent pas les maîtres
mots du système social en train de naître, en
substitution à un « modèle républicain » qui ne
correspond plus aux réalités du moment.
Ce modèle se caractérisait par la volonté d’intégrer chaque citoyen à travers l’école, le service
militaire et le travail, et de lui donner un sentiment d’appartenance à la nation. Il impliquait
une certaine uniformisation des attitudes et des
comportements, un alignement sur un système
de valeurs supposé commun.
Force est de constater aujourd’hui que l’école ne
joue plus son rôle traditionnel de formation à la
vie et à la citoyenneté. Si le service militaire a pu
être supprimé sans réaction populaire, c’est qu’il
n’assumait plus sa fonction intégratrice. Il en est
de même du travail, qui ne constitue même plus
un droit puisqu’une fraction importante de la
population en est privée. Quant à l’idée de nation, elle n’est plus au centre des préoccupations
de beaucoup de Français, écartelés entre leur
appartenance microsociale (famille, quartier,
commune), nationale, européenne et, de plus en
plus, planétaire.
Les fondements du modèle républicain ont
donc cédé sous les coups de boutoir de la crise
sociale, politique, culturelle qui sévit depuis une
trentaine d’années. La notion de collectivité,
jugée abstraite et inopérante par certains, recule
devant celle d’individu. La forte revendication
libertaire et identitaire oblige désormais à placer
celui-ci au centre de la société.
Un nouveau modèle en gestation
L’émergence d’un système de valeurs susceptible
de remplacer le modèle républicain défaillant
est-elle possible ou probable ? On pourrait en
douter si l’on voit la société actuelle comme une
somme d’individualités sans lien ou ayant des
appartenances multiples et éphémères. Pourtant, si les Français cherchent à développer leur
autonomie et à accroître leur indépendance par
rapport aux institutions, ils ne souhaitent pas
vivre en totale autarcie. Ils veulent au contraire
reformer le tissu social distendu et retrouver une
convivialité disparue.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
163
C’est pourquoi ils remplacent les filets de protection institutionnels devenus inefficaces par
de nouvelles formes de solidarité. Bien sûr,
celles-ci s’exercent d’abord à l’égard de l’entourage proche. Mais les Français se montrent aussi
capables de solidarités plus éloignées, comme
en témoigne par exemple le travail réalisé par
les associations.
Les comportements sociaux tendent donc à se
fédérer sur quelques grands principes, qui font
office de valeurs et pourraient remplacer demain
la devise de la République. Ainsi, le partage serait l’expression moderne de la fraternité ; il se
mettrait en même temps au service de l’égalité.
La flexibilité serait quant à elle la version réaliste
de la liberté.
Tel est peut-être l’aboutissement de cette période douloureuse de plusieurs décennies, préalable peut-être nécessaire à un changement
d’époque. Après avoir longtemps cherché, les
Français auraient enfin trouvé la « quadrature du
siècle ».
GÉRARD MERMET
AUTEUR DE FRANCOSCOPIE 1997 ET DE TENDANCES 1998,
LAROUSSE
35 heures : les Français sceptiques
mais ouverts
Le sondage le Monde/Sofres réalisé en
octobre 1997 fait apparaître un large scepticisme des Français à l’égard de la semaine des 35 heures : 69 % estiment que la
réduction de la durée du travail sera sans
conséquences sur l’emploi, car elle sera
compensée par des gains de productivité
dans les entreprises (on travaillera plus en
moins de temps) ; seuls 28 % pensent que
les 35 heures permettront une augmentation
des embauches.
Près de deux citoyens sur trois (61 %) préfèrent que des négociations soient faites
entreprise par entreprise ; seuls 25 % sont
favorables à une réduction décidée sur le
plan national et imposée à tous. La flexibilité apparaît aujourd’hui plus souhaitable
que la rigidité.
12
Cameroun
Élection présidentielle.
Le président sortant Paul Biya est réélu pour un
mandat de sept ans avec une majorité de 92,51 %
des suffrages exprimés. La participation est de 75 %.
L’opposition, qui avait boycotté le scrutin, dénonce
des fraudes massives.
13
France
Démission de Jean Gandois.
Le président du CNPF annonce qu’il quitte la présidence de l’organisation patronale. Convaincu de ne
pas avoir été suivi par le gouvernement sur la question de la diminution du temps de travail, il estime
qu’au négociateur qu’il a voulu être doit succéder un
« tueur » prêt à s’opposer pied à pied à une politique
rejetée par les chefs d’entreprises. Certains observateurs analysent cette démission comme le signe
d’une réelle désunion au sein du CNPF et comme la
montée en puissance des tenants d’un libéralisme
plus affirmé. Dans les jours qui suivent, l’Association
française des banques et une des organisations patronales du bâtiment font savoir qu’elles sont intéressées par la mise en application des 35 heures dans
leurs secteurs.
France
Thomson sous le contrôle d’Alcatel.
Le gouvernement choisit de rapprocher Thomson
CSF du groupe Alcatel Alsthom. Ce nouveau pôle
d’électronique professionnelle et de défense sera en
outre renforcé par Dassault électronique et Aerospatiale (satellites). Alcatel et Dassault détiendront
chacun 20 à 25 % de Thomson. Le précédent gouvernement d’Alain Juppé avait tenté d’opérer ce
regroupement autour du groupe Lagardère (MatraHachette). Serge Tchuruk, président d’Alcatel, estime
pour sa part qu’une telle concentration autour de son
groupe était indispensable avant d’aborder la phase,
nécessaire dans un second temps, des alliances européennes. Le 18, le groupe allemand Siemens fait
savoir qu’il cède ses activités de défense à un consortium germano-britannique, constitué de DASA et
de British Aerospace, de préférence à Thomson, qui
avait présenté également sa candidature. Cette déci-
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
164
sion est interprétée comme une réaction de défiance
face à la « forteresse France » qui, selon les Allemands,
vient d’être constituée autour de Thomson.
15
Chimie
Prix Nobel à trois chercheurs de l’ATP et
de ses collatéraux.
L’Américain Paul D. Boyer (né en 1918) et le Britannique John E. Walker (né en 1941) sont distingués
pour leurs travaux sur l’adénosine triphosphate
(ATP), transporteur universel d’énergie de la cellule
et véritable combustible pour toute réaction vivante
consommatrice d’énergie. Le Danois Jens C. Skou (né
en 1918) est récompensé, pour sa part, pour ses travaux sur l’enzyme « AT-Pase », transporteuse d’ions,
essentielle, elle aussi, au fonctionnement de la cellule
chez tous les êtres vivants.
Physique
Le prix Nobel au Français Claude
Cohen-Tannoudji.
Il partage cette distinction avec les Américains Steven Chu (né en 1948) et William D. Phillips (né en
1948). Leurs travaux portent sur l’immobilisation des
atomes à l’aide de lasers et devraient permettre la
mise au point d’horloges ultraprécises. Né en 1933,
M. Cohen-Tannoudji est professeur au Collège de
France depuis 1973 et développe ses recherches
dans le cadre du laboratoire Kastler-Brossel de l’École
normale supérieure. Il est le dixième Français à recevoir le Nobel de physique.
Pologne
Jerzy Buzek nouveau Premier ministre.
Désigné par l’Action démocratique de Solidarité
(AWS), vainqueur des élections du 21 septembre,
M. Buzek est officiellement candidat au poste de
Premier ministre. Âgé de cinquante-sept ans, c’est un
scientifique, de religion protestante (ce qui n’est pas
sans importance dans un pays où l’Église catholique
occupe une place éminente), militant de longue
date du syndicat Solidarité. M. Buzek aura pour missions principales de continuer à réformer l’économie
polonaise afin de lui permettre de rejoindre un jour
l’UE et, d’autre part, de lutter contre la corruption et
la mainmise des anciens apparatchiks communistes
sur les grandes entreprises privatisées.
16
Congo
Denis Sassou-Nguesso vainqueur de la
guerre civile.
Déjà président de 1979 à 1992, il l’emporte sur son
rival, le président en exercice Pascal Lissouba, à la
suite d’une guerre civile de quatre mois ayant fait
entre 5 000 et 10 000 victimes. Cette victoire a été
acquise grâce au soutien militaire du voisin angolais.
Depuis longtemps, M. Sassou-Nguesso entretenait
avec le président angolais, Edouardo Dos Santos, de
bonnes relations : tous deux sont issus de la mouvance marxiste africaine ; par ailleurs, M. Dos Santos
était opposé à M. Lissouba depuis que celui-ci avait
ouvert le territoire congolais aux troupes de Jonas
Savimbi, leader de l’Unita, organisation politicomilitaire opposée au régime de Luanda. M. SassouNguesso a également bénéficié du soutien politique
du président gabonais, Omar Bongo, dont il est un
allié par mariage. Le nouveau chef du Congo promet
qu’il organisera des élections libres dans un délai non
précisé.
France
Rachat du Point.
Jusqu’alors propriété du groupe CEP, lui-même absorbé dans Havas depuis septembre, l’hebdomadaire
est racheté par l’industriel François Pinault, patron du
groupe Pinault-Printemps-La Redoute.
19
Religion
Thérèse de Lisieux élevée au titre de
« docteur de l’Église ».
Après Thérèse d’Ávila et Catherine de Sienne, la sainte
française est la troisième femme à recevoir ce titre (et
la trente-deuxième personne).
À ceux qui s’étonnent qu’une telle distinction soit accordée à une simple paysanne morte à vingt-quatre
ans, les autorités catholiques font observer que le
titre ne concerne pas seulement les « grands esprits »
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
165
de l’Église, mais aussi les personnalités les plus rayonnantes et suscitant le plus de ferveur.
23
Algérie
Victoire du parti présidentiel aux
élections locales.
Le Rassemblement national démocratique (RND)
du président Liamine Zeroual remporte 55 % des
sièges des élections communales, loin devant le
Mouvement social pour la paix (MSP, ex-Hamas) et
le Front de libération nationale (FLN). Le Front des
forces socialistes (FFS) et le Rassemblement pour la
culture et la démocratie (RCD), nettement en retrait,
dénoncent un trucage massif du scrutin. Après l’élection présidentielle de 1995, le référendum constitutionnel de 1996 et les élections législatives de juin
1997, ce scrutin local est le dernier épisode du grand
processus de légitimation démocratique voulu par le
pouvoir en place.
25
États-Unis
Marche des femmes noires.
Plus de 500 000 Afro-Américaines défilent dans les
rues de Philadelphie pour s’opposer à la désintégration de leurs familles, aux ravages de la drogue et à
la discrimination sociale. Cette marche intervient un
an après la marche des hommes noirs encadrée alors
par l’organisation islamisante de Louis Farrakhan.
26
F1
Le Canadien Jacques Villeneuve
champion du monde.
À l’issue d’une course mouvementée qui l’oppose à
l’Allemand Michael Schumacher, qui court sur Ferrari, le Québécois remporte à vingt-six ans son premier titre mondial sur Williams Renault. Après vingt
années de présence en F1, le motoriste français se
retire de la compétition en ayant engrangé 9 titres
constructeurs et 7 titres pilotes.
Argentine
Victoire de l’opposition.
Aux élections législatives partielles, l’Alliance – coalition de centre gauche regroupant l’Union civique
radicale (UCR) de l’ancien président Alfonsin, des
péronistes dissidents et des militants de la gauche
modérée – dépasse nettement le Parti justicialiste
du président en exercice Carlos Menem. L’Alliance
remporte son plus beau succès dans la province de
Buenos Aires, qui regroupe plus du tiers de la population argentine. En place depuis 1989 et réélu en
1995, M. Menem paie moins les duretés de sa politique économique d’inspiration libérale – largement
reprise à son compte par l’opposition – que les affaires de corruption et de mainmise sur la justice qui
entachent sa gestion du pouvoir.
Colombie
Élections locales sous la menace.
Les autorités font état d’une participation globale
de l’ordre de 40 %, alors que les mouvements de
guérilla – Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et Armée de libération nationale (ELN)
– menaçaient de mort candidats et électeurs. Ces
menaces ont surtout joué dans les campagnes et les
petites villes, moins contrôlées par les forces armées.
Globalement, le Parti libéral du président en exercice
Ernesto Samper maintient ses positions, même s’il
perd cinq des plus importantes villes du pays.
27
Finances internationales
Krach boursier.
Annoncée depuis plusieurs semaines par la mise en
lumière d’une bulle spéculative dans plusieurs pays
asiatiques, en Thaïlande notamment, une forte baisse
frappe l’ensemble des places boursières de la planète
(– 4,3 % à Tokyo, – 13,7 % à Hongkong, – 7,2 % à New
York, – 11 % à Francfort, – 9 % à Paris). Cependant, en
quelques heures, la situation se rétablit et l’ensemble
des Bourses repartent à la hausse. Les analystes estiment que cette purge devrait permettre aux cours,
jusqu’alors surévalués, de retrouver un niveau plus
réaliste. L’économie française, assez peu engagée sur
les marchés asiatiques, ne devrait pas être trop affecdownloadModeText.vue.download 167 sur 361
JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
166
tée par cette crise express. Toutefois, elle bénéficiera
d’un environnement international moins porteur.
28
France
Condamnation du livre accusant
François Léotard.
Le tribunal des référés de Paris ayant enjoint à la maison d’édition Flammarion l’ordre de supprimer les
passages du livre l’Affaire Yann Piat mettant en cause
François Léotard, celle-ci décide de retirer de la vente
le livre tout entier. M. Léotard poursuit, par ailleurs, en
diffamation les auteurs de l’ouvrage. Le 5 novembre,
le président de la cour d’assises du Var annonce qu’il
va procéder lui-même à des investigations supplémentaires, ce qui laisse penser que le procès des
assassins de Mme Piat, prévu pour mars 1998, pourrait
être reporté.
29
France
Présentation d’un projet de réforme de
la justice.
Élisabeth Guigou, garde des Sceaux, présente un
texte ayant pour objectif de garantir l’indépendance
de la justice en interdisant au gouvernement de
transmettre au parquet toute forme d’instruction
dans les affaires individuelles. Il est prévu également
une réforme du Conseil supérieur de la magistrature
(CSM), une meilleure accession du public à la justice
(multiplication des aides juridiques, réforme de la
carte judiciaire, simplification des procédures civiles)
et une meilleure garantie des libertés individuelles
(présence d’un avocat dès la mise en garde à vue,
accélération des délais d’enquête et d’instruction,
instauration d’audiences publiques pour certains
actes de procédure). Si les intentions du texte sont
généralement bien accueillies, beaucoup doutent de
sa mise en application, notamment pour des raisons
financières.
L’ambitieuse réforme de
la justice
Le jeudi 29 octobre, Élisabeth Guigou présentait au Conseil des ministres une proposition
de réforme de la justice. Ce vaste programme
sera mis en discussion au Parlement dès
janvier 1998. Donnera-t-il lieu à une « révolution
judiciaire »... ou à un « classement sans suite » ?
L’avenir nous le dira.
En ce début 1997, la mise en oeuvre d’une
réforme de la justice s’impose à l’ensemble du
corps politique. Pauvre, mal équipée, surchargée d’affaires mineures traitées hâtivement par
le système de la « comparution immédiate »,
encombrée au point qu’un litige au civil doit attendre des années avant d’être tranché, la justice
française est au mieux malade, au pire exsangue.
Les manoeuvres du garde des Sceaux Jacques
Toubon pour étouffer, fin 1996, certaines « affaires » ont par ailleurs ravivé aux yeux de l’opinion publique l’éternel soupçon de connivence
entre un parquet docile et un pouvoir exécutif
tout-puissant. Pire : l’épisode malheureux de
l’hélicoptère, dans l’affaire Xavière Tiberi, menace de déconsidérer l’ensemble de la majorité
de l’époque – tout comme de semblables errements avaient en leur temps discrédité les socialistes. L’heure est pourtant à la mobilisation des
troupes. Les élections législatives sont proches.
Il faut agir vite, juste avant la dissolution, le président de la République confie à Pierre Truche la
mission de mener à bien une réflexion sur l’indépendance de la justice.
Las ! La commission rend un rapport jugé insuffisant, voire attentatoire à la liberté de la presse.
En marge de la commission Truche, l’association
des magistrats instructeurs mène sa propre réflexion. Ses conclusions, livrées en pleine campagne électorale, ont la vertu de la clarté : il faut
« moderniser la justice » et surtout empêcher
toute intervention des préfets et des ministres
dans les enquêtes « politico-financières ». Ces
thèses trouvent un écho favorable auprès de Lionel Jospin, l’indépendance de la justice étant dedownloadModeText.vue.download 168 sur 361
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
167
venue un axe majeur de sa campagne. Un mois
plus tard, la droite sort laminée des législatives.
La réforme sera donc celle du gouvernement de
Lionel Jospin. Mais quelle réforme ? Une « réformette » destinée à toiletter les dysfonctionnements les plus apparents du système judiciaire
tout en préservant les prérogatives d’un État
régalien, comme le souhaitent les « jacobins »
de tous bords ? Ou une réforme ambitieuse dont
l’objectif serait non seulement de couper le lien
entre les magistrats du parquet et le gouvernement, mais aussi de modifier de fond en comble
la procédure pénale ? Interrogées sur cette question par le nouveau ministre de la Justice Élisabeth Guigou, certaines personnalités de gauche,
et notamment Robert Badinter, insisteront sur le
danger d’une « République des juges », dont l’indépendance pourrait signifier un abandon de la
souveraineté de l’État. Fin septembre, Élisabeth
Guigou élabore un pré-projet qui recèle la promesse d’une indépendance mesurée. Le texte
prévoit que la chancellerie s’interdira toute intervention directe dans les dossiers individuels.
Mais, sur les dossiers où les intérêts de l’État
seraient en jeu, le ministre de la Justice conservera son pouvoir de donner des instructions. Le
1er octobre, une ultime réunion se tient rue de
Solférino. À cette occasion, l’ancien ministre socialiste de la Justice Henri Nallet, celui-là même
qui avait dessaisi le juge Jean-Pierre du dossier
Urba, plaide à la surprise générale pour l’indépendance du parquet. Lionel Jospin penche
alors définitivement pour une réforme radicale :
le projet de loi, présenté en Conseil des ministres
le 29 octobre, prévoira la suppression totale des
instructions individuelles.
Une indépendance sous contrôle
À l’arrivée, les députés plancheront en 1998
sur une imposante série de textes dont la mise
en oeuvre devrait s’étaler jusqu’en l’an 2000. Le
projet d’Élisabeth Guigou s’attache d’abord à
donner quelque réalité à l’indépendance du parquet, qui ne sera pas totale. Car si le texte prévoit
la suppression des instructions individuelles,
ainsi qu’une série de recours contre d’éventuels
« classements sans suite », la nomination des
procureurs et le déroulement de leur carrière
resteront à l’initiative du gouvernement, même
si le Conseil supérieur de la magistrature (CSM)
est associé aux décisions. Une modification de
la composition du CSM est d’ailleurs prévue : il
devrait compter dans ses rangs, sur 21 membres,
11 non-magistrats. Le deuxième volet du projet
vise à garantir un meilleur respect de la présomption d’innocence. Première innovation : le
texte met fin aux pouvoirs du juge d’instruction
en matière de détention provisoire (aujourd’hui,
près de 40 % des détenus sont des « prévenus »).
Désormais, c’est un autre juge qui décidera de
l’incarcération comme de la mise en liberté du
prévenu. Par ailleurs, des audiences publiques
pourront avoir lieu en cours d’instruction, une
procédure qui est actuellement (en principe)
secrète. Autre changement, qui sera sans doute
difficile à mettre en oeuvre : l’avocat pourra être
présent dès la première heure de garde à vue.
Le troisième volet de la réforme, qui a pour titre
« une justice au service des citoyens », fourmille
d’un nombre impressionnant de mesures visant
à rendre le système judiciaire plus efficace et
plus rapide. Révision des procédures civiles,
développement de l’aide juridique, rénovation
du droit des sociétés, modification des règles
de saisie immobilière... le programme est ambitieux ! Il sous-tend la mise en oeuvre d’une autre
réforme de fond, celle de la carte judiciaire, jugée inadaptée par la plupart des observateurs.
Or, cette réforme se heurtera immanquablement
aux baronnies locales (la France compte 181 tribunaux de grande instance !) et à la grogne des
élus locaux et nationaux. Passé au crible du Parlement, le « plan d’urgence pour la justice » d’Élisabeth Guigou gardera-t-il toute sa force innovatrice ? Réponse début 1998.
JEAN-FRANÇOIS PAILLARD
Un problème budgétaire ?
La fameuse indépendance de la justice,
antienne qui court depuis que la justice
française est liée, par le parquet, au pouvoir
exécutif, ne doit pas cacher un problème
tout aussi grave : celui de la dégradation
continue de la « justice au quotidien ». Les
tribunaux civils et les juridictions pénales
sont en effet débordés, voire « asphyxiés »
pour reprendre les conclusions du rapport
des sénateurs Jolibois et Fauchon présenté
en 1996. Depuis dix ans, le volume des affaires traitées par le système judiciaire a en
effet crû bien plus vite que les moyens financiers et humains mis à sa disposition par
l’État. L’élan réformiste initié par Élisabeth
Guigou sera-t-il brisé par de simples raisons
budgétaires ?
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
168
30
Algérie
Manifestation de l’opposition.
Près de 20 000 personnes manifestent dans les rues
d’Alger pour protester contre ce qu’elles considèrent
comme « la fraude massive » perpétrée par les autorités lors des élections locales. On remarque que
défilent côte à côte des militants du FLN (Front de
libération nationale), du parti islamiste modéré MSP
(Mouvement de la société pour la paix) et des partis
de la gauche démocratique (FFS et RCD, Front des
forces socialistes et Rassemblement pour la culture
et la démocratie). Le président Liamine Zeroual rejette en bloc toutes ces accusations.
Espace
Succès du lancement d’Ariane 5
Après l’échec de juin 1996, le deuxième lancement
de la fusée européenne permet à l’Europe spatiale
de s’affirmer par rapport à ses concurrents américains, chinois, japonais et russes. Destinée à mettre
sur orbite des satellites à 36 km d’altitude, Ariane 5
(745 tonnes et 51,40 m de haut) a nécessité un
budget de 40 milliards de francs Lancé en 1979, le
programme Ariane a permis l’envoi de 135 satellites,
avec un taux de succès de 96,4 %. En dix-sept ans,
les contrats conclus ont représenté 76 milliards de
francs.
Irlande
Mary McAleese élue à la présidence.
Candidate du Fianna Fail (centre droit), professant
des idées nationalistes et conservatrices en matière
de moeurs, cette avocate de quarante-six ans l’emporte avec 59 % des voix sur sa concurrente du Fine
Gael (centre). La fonction présidentielle demeure
largement honorifique dans la république d’Irlande.
Premier succès du lanceur
européen Ariane 5
Dix-sept mois après l’échec de son premier vol
de qualification, le lanceur lourd européen Ariane
5 a réussi, le 30 octobre, à placer en orbite sa
charge utile, constituée de deux plates-formes
d’instruments de mesure et d’un petit satellite
technologique. Le succès de ce second vol
d’essai a redonné confiance à l’Europe spatiale
et lui ouvre de nouvelles perspectives alors que
s’intensifie la concurrence internationale sur le
marché des lanceurs de satellites.
De l’avis de tous les commentateurs, l’Europe
n’avait, cette fois-ci, pas droit à l’erreur. Il lui
fallait absolument effacer la terrible déconvenue du vol inaugural d’Ariane 5, le 4 juin 1996,
où la nouvelle fusée européenne avait explosé
37 secondes après son décollage, à la suite d’une
défaillance informatique des centrales inertielles
assurant son pilotage.
Pour éviter à tout prix un second échec, les partenaires industriels du programme n’ont pas
ménagé leurs efforts. L’ensemble du lanceur a
été passé au crible, à la recherche du moindre
dysfonctionnement. Des modifications ont été
apportées à certaines pièces pour les rendre
plus résistantes à diverses pannes. De nombreuses imperfections ont été corrigées. Des
vérifications ont même conduit à remplacer le
gros moteur Vulcain du premier étage monté initialement sur le deuxième spécimen de la fusée,
après la découverte d’un défaut de fabrication
sur un autre moteur de la même série. La multitude de vérifications et de contrôles effectués a
provoqué à plusieurs reprises le report du lancement. Mais tous ces efforts n’ont pas été vains.
Un vol satisfaisant mais pas parfait
Le 30 octobre, après trois quarts d’heure de
suspense dus à un problème mineur dans les
opérations de commutation électrique entre le
sol et la fusée, le compte à rebours a repris pour
son ultime séquence. À 13 h 43 UT (10 h 43 à
Kourou, 14 h 43 à Paris), le lanceur a arraché ses
740 tonnes du sol, dans un panache de fumée
et un bruit assourdissant. Puis les différentes
phases du vol se sont succédé comme prévu :
deux minutes après le décollage, séparation des
deux énormes propulseurs à ergols solides (une
étape cruciale, testée en vol pour la première
fois) ; au bout de trois minutes de vol, largage
de la coiffe ; dix minutes après le décollage,
allumage de l’étage supérieur chargé d’assurer
l’injection sur orbite ; enfin, après vingt-sept
minutes de vol, satellisation de la charge utile,
constituée de deux maquettes de satellites
porteuses d’instruments d’analyse du comportement en vol du lanceur, Maqsat-H (masse :
2,3 t) et Maqsat-B (1,4 t), et du petit satellite
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
169
technologique Teamsat (350 kg) destiné aux
radioamateurs.
Pour son deuxième vol de qualification, Ariane 5
a donc rempli sa mission, à la plus grande satisfaction de l’Agence spatiale européenne, dont
les États membres ont investi environ 40 milliards de francs dans le programme depuis
1987, et des quelque 150 firmes européennes
(occupant 6 000 salariés) impliquées dans la
fabrication du lanceur. La plupart des craintes
des techniciens ont été levées, notamment en
ce qui concerne le comportement des propulseurs à poudre et leur séparation d’avec l’étage
principal de la fusée. Cependant, un mouvement
de roulis intempestif de l’étage principal après
la séparation des deux propulseurs à poudre a
ralenti la vitesse du lanceur ; aussi la charge utile
a-t-elle été satellisée sur une orbite plus basse
que prévu. De plus, l’étage principal, qui devait
retomber dans le Pacifique, au large des côtes de
l’Amérique centrale, a plongé quelque 8 000 km
plus à l’ouest, au nord de la Nouvelle-Guinée, et
n’a donc pu être localisé et repêché pour expertise. Enfin, les deux gros propulseurs à poudre
(31 m de long, 3 m de diamètre, 40 t), retombés,
comme prévu, à 400 km environ des côtes guyanaises, ont coulé avant d’avoir pu être repêchés,
les parachutes chargés de freiner leur descente
dans l’atmosphère ne s’étant pas ouverts. Plusieurs mois seront nécessaires aux spécialistes
pour dépouiller le flot de données recueillies
lors du vol par les quelque mille capteurs disposés sur la fusée et procéder à toutes les améliorations qui s’imposent avant le troisième vol
de qualification (prévu au printemps 1998), en
principe le dernier avant qu’Ariane 5 n’entame sa
carrière commerciale.
La relève progressive d’Ariane 4
Dix ans exactement après qu’ait été prise, à la
Conférence ministérielle de La Haye, la décision
d’engager le développement d’Ariane 5, il est
urgent pour l’Europe de disposer de ce lanceur
lourd. Lui seul lui permettra de préserver sa compétitivité sur le marché mondial des lancements
de satellites alors que s’intensifie la concurrence
internationale. Dans un premier temps, la nouvelle fusée européenne sera utilisée en complément des Ariane 4. Capable d’embarquer une
charge utile de 5,9 à 6,8 t, alors qu’Ariane 44 L,
la plus puissante des Ariane 4, plafonne à 4,7 t,
elle sera surtout chargée de placer en orbite des
paires de satellites lourds : il est prévu de lancer
2 ou 3 Ariane 5 en 1998, 4 ou 5 en 1999, 5 ou
6 en 2000, et ainsi de suite jusqu’aux 8 tirs programmés pour 2002. Ce n’est qu’au-delà de cette
échéance qu’Ariane 5 assurera complètement la
relève des Ariane 4.
Dès 1995, Arianespace, la société européenne
chargée de commercialiser les fusées Ariane,
a commandé à l’industrie 14 exemplaires
d’Ariane 5, pour un coût de 12 milliards de
francs. À brève échéance devrait intervenir une
nouvelle commande de 50 exemplaires en deux
lots, le premier de 20 lanceurs, le second de 30.
Commercialisé pour commercer aux alentours
de 120 millions de dollars pièce, contre 90 à
110 millions de dollars pour une Ariane 4, le nouveau lanceur mettra le prix de revient du « kilo
de satellite géostationnaire placé en orbite »
entre 25 000 et 30 000 dollars. Ce n’est qu’après
le tir des 14 premières fusées que la barre pourra
descendre à 18 000 dollars par kilo en orbite,
un niveau qui risque d’être tout juste compétitif face à la concurrence américaine, russe ou
chinoise. Quoi qu’il en soit, la rentabilité du
programme ne devrait être assurée que vers le
20e lancement.
Malgré les progrès de la miniaturisation, les
satellites ne cessent de grossir. En 1994, 60 %
des satellites à lancer pesaient moins de 2,4 t. En
2004, ils seront autant à faire plus de 2,5 t et 20 %
à dépasser 3,5 t. Or, Ariane 5 ne sera rentable que
si elle est capable d’effectuer des lancements
doubles. Aussi des projets d’amélioration des
performances de la fusée sont-ils déjà engagés :
ils devraient permettre à Ariane 5 d’emporter
1 000 kg de plus en 2002, puis encore 1 000 kg
supplémentaires l’année suivante, et d’être finalement capable, en 2006, après diverses modifications, d’expédier 11 t dans l’espace.
PHILIPPE DE LA COTARDIÈRE
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
170
NOVEMBRE
1
Chine
Évolution sur les libertés.
À l’occasion de son voyage aux États-Unis, le président Jiang Zemin laisse entendre que la répression
de la place Tiananmen de juin 1989 aurait pu être une
« erreur ». Même si la phrase est construite de façon
ambiguë, les observateurs notent avec intérêt cette
inflexion dans le discours officiel chinois sur la question des libertés. Simple affirmation de circonstance,
alors que de nombreux manifestants n’ont cessé de
clamer leur indignation tout au long du voyage du
dirigeant chinois, ou amorce de changement poli-
tique majeur ? Il est trop tôt pour se prononcer. La
libération, le 16, du célèbre contestataire Wei Jingsheng semble aller dans la deuxième direction. Celuici, qui a été emprisonné pendant plus de dix-huit ans
pour avoir traité Deng Xiaoping de « despote », est
aussitôt expulsé vers les États-Unis, alors qu’il souhaitait rester dans son pays. Certes, cette expulsion
ne va pas dans le sens d’une réelle libéralisation des
moeurs politiques chinoises ; cependant, elle constitue, malgré tout, un deuxième signe fort en à peine
plus de deux semaines.
France
Accord en Nouvelle-Calédonie.
Le gouvernement approuve le rapport remis par Philippe Essig sur l’avenir de l’industrie du nickel dans
le territoire du Pacifique. Ce rapport prévoit un partage des ressources minières entre les deux principales sociétés exploitantes (SMSP et Eramet-SLN),
qui satisfait à la fois les acteurs économiques et les
forces politiques canaques et caldoches. Toutefois, la
mise en pratique de cet accord dépend de la volonté
d’investissement du groupe minier canadien Falconbridge, lequel veut attendre de connaître l’évolution
à long terme du marché mondial du nickel avant de
prendre la décision de construire une usine de traitement en Nouvelle-Calédonie. Quoi qu’il en soit, cet
accord minier permet d’aborder dans de meilleures
conditions le référendum sur l’avenir du territoire
prévu pour 1998.
Irak
Bras de fer avec Washington.
Le gouvernement de Bagdad affirme que l’expulsion
des experts américains chargés de contrôler le désarmement (chimique, biologique et balistique) du
pays est « irrévocable ». Ce nouveau raidissement du
président Saddam Hussein s’explique par la volonté
de celui-ci de galvaniser son opinion publique et
de tailler une brèche au sein du Conseil de sécurité
de l’ONU. La France et la Russie réclament, en effet,
depuis plusieurs années un assouplissement de
l’embargo qui frappe l’Irak et entraîne des privations
très dures pour la population. Le président irakien
pense qu’en provoquant ainsi une crise il accentuera l’opposition entre Washington, Paris et Moscou
(d’autant que d’importants contrats pétroliers sont
en négociation avec Elf et Total). Cependant, le 12, le
Conseil de sécurité vote à l’unanimité une résolution
« exigeant » l’annulation de l’expulsion des experts.
Les Américains, soutenus par la Grande-Bretagne,
font alors savoir qu’ils sont prêts à affronter militairement, seuls s’il le faut, les forces irakiennes. Le 22,
les experts internationaux remettent leur rapport
à l’ONU : selon eux, même si le désarmement de
l’Irak est effectif, ce pays garde de fortes capacités
de nuisance, notamment en matière biologique. Le
Conseil de sécurité s’accorde pour reconnaître que le
feu vert global des experts est nécessaire pour lever
définitivement l’embargo pesant sur l’Irak. Grâce à la
médiation du ministre russe des Affaires étrangères,
Evgueni Primakov, le président Saddam Hussein accepte alors le retour des experts internationaux – et
américains – sur le sol irakien. Le 26, il semble accepter que ces experts puissent accéder aux « sites présidentiels » – des résidences officielles du dirigeant
–, où seraient stockés des produits particulièrement
dangereux, puis il revient sur sa décision, prétendant
que les experts étrangers n’ont pas à espionner les
lieux mêmes du pouvoir irakien.
La crise irakienne
En novembre, il semblait que les ingrédients
qui avaient été à l’origine de la guerre du Golfe
étaient de nouveau réunis : coup de poker de
Saddam Hussein, cette fois sur le tapis onusien –
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
171
soit un pavé dans le jardin américain –, raidissement du Conseil de sécurité, rhétorique musclée
des États-Unis. Mais il est apparu très vite que la
Maison-Blanche peinait à enrôler les alliés d’hier
dans un conflit contre un pays littéralement mis à
genoux par un blocus dont la population civile est
la seule victime.
En mai 1996, le Conseil de sécurité de l’ONU
avait adopté la résolution 986 (dite « pétrole
contre nourriture ») qui devait permettre à Bagdad d’exporter 2 milliards de dollars de pétrole
tous les six mois pour acquérir des vivres et des
médicaments. On se souvient que le cours des
événements – notamment l’intervention des
chars irakiens dans le Kurdistan, au nord du
pays – avait une première fois retardé l’entrée
en vigueur de la résolution 986. Finalement, en
novembre 1996, Saddam Hussein avait fini par
accepter « toutes les conditions » du Conseil
de sécurité de l’ONU. Un an plus tard, pourtant,
l’Irak, attendant toujours que soient distribués
la nourriture et les médicaments, engageait
l’épreuve de force avec l’ONU, c’est-à-dire avec
les États-Unis.
Détermination irakienne contre
résolution onusienne
Le 27 octobre, le Parlement irakien, exigeant
que le blocus auquel est soumis le pays depuis la
guerre du Golfe soit levé dans un délai « précis et
rapproché », recommandait le gel des relations
avec l’Unscom. Le 30, trois experts américains de
l’Unscom étaient refoulés, le gouvernement irakien se déclarant prêt à s’opposer par les armes à
une éventuelle riposte de Washington. Le 1er novembre, le Conseil de sécurité de l’ONU, qui,
quelques jours plus tôt, évoquait « des conséquences graves », repoussait l’idée d’employer la
force contre l’Irak et préconisait l’envoi de trois
émissaires à Bagdad. Une proposition acceptée par l’Irak sous réserve que les émissaires
en question ne fussent pas américains. Et, pour
appuyer sa détermination, Saddam Hussein
prévenait qu’il ferait abattre tout appareil des
États-Unis en mission de reconnaissance dans
le ciel irakien. À la détermination de Bagdad, les
États-Unis répliquaient par un déploiement de
forces impressionnant : le porte-avions GeorgeWashington avec dix-sept navires de la VIe flotte
quittait la Méditerranée pour rejoindre les eaux
du Golfe, tandis que 50 chasseurs, des bombardiers furtifs et des bombardiers B 52 étaient placés en état d’alerte sur la base turque d’Incirlik.
Toutefois, il apparaissait alors que la réaction de
la Maison-Blanche s’écartait singulièrement du
cadre des résolutions de l’ONU : en effet, Bill Clinton venait de déclarer que l’Irak resterait soumis
au blocus tant que S. Hussein serait au pouvoir.
Rappelons qu’aucune résolution onusienne n’a
jamais conditionné la fin du blocus au départ du
numéro un irakien. De son côté, ce dernier rassemblait des « volontaires » autour de sites pouvant faire l’objet de bombardements. On connaît
la suite. La guerre que l’on pouvait craindre n’a
pas eu lieu. Au moment de compter leurs alliés
potentiels, les États-Unis se sont retrouvés pour
le moins isolés, seule la Grande-Bretagne leur
apportant un soutien appuyé. Fait hautement
significatif, la Ligue arabe se prononçait contre
un recours à la force, de même que la Turquie
et les pays de la péninsule arabique. Le fait que
même le Koweït se soit désolidarisé de Washington a montré à quel point les États de la région
pouvaient craindre une épreuve de force qui,
une fois de plus, aurait eu pour conséquence de
dresser leur opinion publique contre les ÉtatsUnis. La voie était donc ouverte à une solution
négociée. Dans la nuit du 19 au 20 novembre, les
ministres des Affaires étrangères russe, américain et français, réunis à Genève, faisaient savoir
que l’Irak consentait au retour des inspecteurs
de l’Unscom, y compris les Américains. De son
côté, la Russie s’engageait à « contribuer activement à lever le plus rapidement possible les
sanctions » imposées à l’Irak en 1991.
Un poker sans vainqueur ?
Si les événements se sont enchaînés avec une
certaine prévisibilité – de la réaction épidermique des États-Unis à la mobilisation d’importants moyens militaires en passant par les « boucliers » humains irakiens –, les motivations de
chacun sont assurément plus complexes. Que
voulait S. Hussein ? Bill Clinton pouvait-il raisonnablement espérer rééditer le « coup » de la coalition de 1991 ? À plusieurs reprises, la communauté internationale a pu estimer par le passé
que la politique extérieure du leader irakien était
maladroite – et encore est-ce là un sophisme –
ou suicidaire. Les premières analyses se nourrirent de ce constat. En considérant la situation
à l’aune de l’épilogue de la crise de novembre
1997, on conviendra que la nuée ne porte pas
toujours l’orage.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
172
À cause du blocus, l’Irak connaît une situation
économique et sanitaire dramatique ; la résolution « pétrole contre nourriture » est perçue
comme une aumône humiliante et les États-Unis
pratiquent une ingérence quotidienne sous le
couvert de l’Unscom. Finalement, en s’opposant
à l’ONU, S. Hussein aura réussi à braquer les projecteurs sur un pays plutôt menacé que menaçant. Quant au risque d’une nouvelle guerre, s’il
est fort probable que Bagdad ne l’a pas écarté,
convenons que, dans le contexte régional et
international, les probabilités de l’embrasement
étaient plutôt minces. B. Clinton n’a pas réussi à
être l’artisan de la paix au Proche-Orient (échec
de la relance des négociations israélo-palestiniennes) et a échoué à enrôler ses alliés habituels, Japon et pays européens, dans le boycottage de l’Iran. Enfin, on savait que la conférence
de Doha sur le développement économique de
la région allait être marquée par l’absence de la
plupart des pays arabes. L’isolement des ÉtatsUnis n’a pas échappé à l’Irak. Bagdad a donc fait
le pari que la Maison-Blanche ne pourrait pas
reconstituer la coalition de 1991 sous le seul prétexte que les experts de l’ONU avaient « envahi »
l’Irak.
PHILIPPE FAVERJON
L’Unscom
(United Nations Special
Commission)
Créée en avril 1991 en vertu de la résolu-
tion 627 imposant le cessez-le-feu dans la
guerre du Golfe, la Commission spéciale de
l’ONU chargée du désarmement de l’Irak
(Unscom, United Nations Special Commission) est chargée de supprimer les armes de
destruction massive dont dispose Bagdad et
de veiller à ce que le régime du président
Saddam Hussein ne puisse reconstituer son
arsenal. Lorsque l’Unscom a commencé ses
premières inspections, on estimait qu’en six
mois l’Irak serait désarmé : six ans plus tard,
personne n’était en mesure de conclure que
l’Unscom avait rempli sa mission.
2
France
Grève des routiers.
Estimant que le patronat n’a pas tenu ses engagements après le conflit de 1996, les routiers cessent
le travail et bloquent la circulation pour tous les
transporteurs, fiançais et étrangers. Ils bloquent
également l’accès des principaux dépôts d’essence,
menaçant de paralyser à terme l’ensemble de
l’activité du pays. Les grévistes réclament pour les
« grands routiers » (plus de six nuits par mois hors de
chez eux) un salaire mensuel de 10 000 francs bruts
pour une durée de travail plafonnée à 200 heures
par mois (contre 8 700 francs et plus de 240 heures
actuellement), et le paiement d’une prime exceptionnelle de 3 000 francs promise l’année précédente
et jamais versée depuis. Ils réclament également des
hausses de salaire immédiates de l’ordre de 5 % pour
les autres catégories de chauffeurs. Très divisées, car
représentant une myriade d’entreprises de tailles très
différentes, les organisations patronales abordent les
négociations avec réticence. Très vite, le gouvernement intervient dans les discussions, tandis que le
ministre des Transports, le communiste Jean-Claude
Gayssot, s’active auprès des syndicats pour calmer les
esprits. Le 7, un accord est finalement signé entre les
organisations patronales et la CFDT, syndicat majoritaire dans la profession, tandis que FO, la CGT et la
CFTC le rejettent. L’accord prévoit des augmentations
de 3 à 6 % immédiates et de 21 % en trois ans, ce
qui correspond aux demandes initiales des syndicats.
Toutefois, il est à prévoir que les primes, jusque-là
extérieures au salaire, y seront intégrées, ce qui absorbera de fait les hausses salariales, mais ce qui aura
tout de même l’avantage de garantir ces sommes.
Les entreprises devront mettre en application ces
décisions avant le 30 juin 1998. Par ailleurs, le gouvernement présente un projet de loi réglementant
la profession, en généralisant l’obligation de formation professionnelle et en renforçant les contrôles sur
l’application de la législation. Les syndicats sortent
divisés de cette épreuve et le contentieux entre FO
et la CFDT demeure plus fort que jamais. Le gouver-
nement, pour sa part, se félicite d’être sorti si rapidownloadModeText.vue.download 174 sur 361
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
173
dement d’un conflit qui risquait de paralyser toute
l’économie nationale, voire européenne.
3
Nouvelle-Zélande
Changement de Premier ministre.
Jim Bolger, en place depuis sept ans à la tête d’une
coalition conservatrice, est écarté du pouvoir en
faveur de son ministre des Transports, Jenny Shipley.
Celle-ci, cataloguée comme plus à droite que M. Bolger, devrait accentuer la politique néolibérale mise
en oeuvre par le gouvernement. Dans les sondages,
le Parti travailliste a repris la tête et se place ainsi en
position favorable pour les prochaines élections prévues pour 1999.
Jordanie
Succès du bloc gouvernemental.
Les partis proches du gouvernement du roi Hussein
remportent 64 sièges sur un total de 80. L’opposition,
créditée de 16 sièges, est en recul par rapport à la
précédente consultation. Critiquant le manque de
liberté et d’égalité politiques lors de la campagne,
les islamistes et plusieurs partis d’opposition avaient
décidé de boycotter le scrutin.
6
France
Exhumation décidée du corps d’Yves
Montand.
La Cour d’appel de Paris décide de faire exhumer le
corps du chanteur, décédé en 1991, afin de faire pratiquer un test d’ADN. Cette décision fait suite à une
demande de reconnaissance en paternité défendue
depuis plusieurs années par une jeune femme qui
affirme être la tille de Montand. La Cour justifie sa
décision en affirmant que « en l’état actuel des investigations, la paternité (d’Yves Montand) ne peut pas
être formellement exclue ». Beaucoup s’indignent de
cette procédure qui va à l’encontre du respect que
l’on doit aux morts ; d’autres font remarquer que de
telles exhumations pour tests sont fréquemment
pratiquées – notamment par les compagnies d’assu-
rances –, et que le respect des morts ne devrait pas
dispenser un homme, même disparu, de ses obligations paternelles.
8
10
Chine
Lancement du plus grand barrage du
monde.
Le président Jiang Zemin commande le comblement
des 40 derniers mètres restants, pour bloquer le
cours du fleuve Yangzi Jiang, qui coule désormais par
un canal de dérivation. Ce chantier gigantesque – le
plus grand jamais lancé en Chine – devrait permettre
la réalisation pour 2009 de la plus grande usine hydroélectrique du monde, capable de produire l’énergie de 20 centrales nucléaires. Le projet entraînera le
déplacement de plus de 1,2 million de personnes et
la disparition de plus de 4 500 villes et villages. Il a
été l’objet de fortes critiques, sur un plan tant écologique qu’économique. De nombreux spécialistes
ont affirmé que le futur barrage allait représenter un
danger considérable pour l’environnement et pour la
sécurité de la population. D’autres estiment qu’il ne
sera jamais rentable tant est élevé son coût – chiffré à
65 milliards de francs –, mais beaucoup pensent que
la note finale s’élèvera au moins au triple.
Israël
Hommage à Yitzhak Rabin.
Une foule très nombreuse, estimée à 200 000 personnes, se réunit à Tel Aviv pour saluer l’anniversaire
de l’assassinat du Premier ministre travailliste en
1995. Les orateurs s’en prennent à Benyamin Netanyahou à qui ils reprochent d’avoir lancé, à l’époque,
de véritables appels au meurtre contre M. Rabin.
Littérature
Le Goncourt à Patrick Rambaud.
Le journaliste et écrivain Patrick Rambaud reçoit le
prix Goncourt pour son roman la Bataille, qui reprend
le projet inachevé de Balzac de raconter la défaite
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174
d’Essling en 1809, tandis que le Renaudot va à Pascal
Bruckner, pour les Voleurs de beauté.
11
Génétique
Déclaration universelle sur
le génome humain.
Face au développement de la biologie moléculaire
et de la génétique, l’Unesco adopte une déclaration
de 25 articles ayant pour objet d’établir des critères
précis en matière de recherche scientifique sur le génome (ensemble des gènes) humain. La Déclaration
entend protéger la dignité humaine contre toute
tentation de manipulation : sont ainsi proscrits le clonage humain et l’utilisation des données génétiques
individuelles sans le consentement de la personne
(sont visées les sélections de candidats à l’embauche
ou les demandes de compagnies d’assurances).
14
France
Relaxe de Gérard Longuet.
L’ancien ministre et actuel président du Conseil
régional de Lorraine, poursuivi pour recel d’abus de
crédit, est relaxé par le tribunal de Paris. Il lui était
reproché d’avoir obtenu des conditions de paiement
anormalement avantageuses pour la construction de
sa villa de vacances de Saint-Tropez de la part d’une
entreprise de la Meuse, département dont il était le
député. Cette affaire l’avait obligé à démissionner du
gouvernement Balladur en octobre 1994. Le parquet
fait appel de ce jugement. Par ailleurs, M. Longuet
reste mis en examen dans d’autres dossiers concernant le financement du Parti républicain et la gestion
des sociétés Investel et Avenir 55, notamment par
rapport au financement de sa résidence secondaire.
Maroc
Succès de l’opposition de gauche
aux élections.
L’Union socialiste des forces populaires (USFP) arrive
en tête aux élections législatives. Toutefois, le paysage politique marocain reste bloqué entre trois
forces d’importance comparable : l’opposition de
gauche, très divisée, le bloc gouvernemental et les
petits partis de centre droit, parmi lesquels on note
une progression des islamistes modérés. La solution
d’une coalition entre le bloc gouvernemental et le
centre droit semble la plus évidente, mais nombre
d’observateurs prêtent au souverain Hassan II la vo-
lonté de pratiquer une expérience de gauche, afin
de réconcilier le peuple avec la vie politique. En effet,
on déplore une faible participation des électeurs au
scrutin, de l’ordre de 58 %. Plus que jamais, le souverain chérifien demeure au centre du système politique marocain.
16
France
Mort de Georges Marchais.
L’ancien secrétaire du Parti communiste français
meurt à Paris à l’âge de soixante-dix-sept ans. Sa jeunesse reste marquée par plusieurs zones d’ombre.
Officiellement, alors qu’il n’avait aucune activité
politique, il fut envoyé en Allemagne, en 1942, pour
travailler dans les usines Messerschmitt, au titre du
STO (Service du travail obligatoire). Certains historiens pensent qu’il militait déjà au PC et qu’il se
serait fait volontairement envoyer outre-Rhin pour
espionner au profit de l’URSS. Après la Libération, il
est embauché comme ouvrier dans l’aéronautique à
Issy-les-Moulineaux. Il rejoint le Parti en 1947 et devient permanent au début des années 50. En 1956, il
entre au Comité central et devient, trois ans plus tard,
membre suppléant au bureau politique. En 1961, il
occupe le poste clef de secrétaire à l’organisation ;
huit ans plus tard, les Soviétiques l’imposent à la direction de fait du Parti dont il devient officiellement
le secrétaire général en 1972. Il va alors pratiquer une
suite de coups d’accordéon politiques, hésitant entre
l’ouverture du PCF aux courants rénovateurs et sa fermeture sur sa tradition stalinienne. En 1972, il signe
l’accord de gouvernement PC-PS avec François Mitterrand, dont il appuie la candidature à l’élection présidentielle en 1974. Il rejette ensuite le stalinisme et
le principe de la dictature du prolétariat. À l’inverse,
en 1977, il rompt avec les courants rénovateurs de
l’eurocommunisme et dénonce l’alliance avec le PS,
puis approuve, en 1980, l’invasion de l’Afghanistan
par les troupes soviétiques. Les années 80 marqueront le déclin de l’ère Marchais et le recul électoral du
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
175
PC. En 1993, Georges Marchais laisse la direction du
Parti à Robert Hue.
Francophonie
Fin du sommet de Hanoï.
Le sommet des pays « ayant le français en partage »
s’achève dans la capitale vietnamienne sur la nomi-
nation à la nouvelle fonction de secrétaire général
de l’Égyptien Boutros Boutros-Ghali, âgé de soixantequinze ans. La nomination de cet ancien secrétaire
général de l’ONU de 1992 à 1996, qui avait vu son
mandat non renouvelé sur demande pressante
des États-Unis, est imposée par Jacques Chirac. De
nombreux pays africains s’y étaient opposés : ils
auraient préféré un candidat issu du continent noir
et rejetaient un homme dont le rôle avait été vivement contesté lors de l’intervention de l’ONU dans le
conflit somalien. Ils s’indignent aussi de la façon dont
le président français a imposé son candidat, au mépris, selon eux, de toute concertation. Pour sa part, le
nouveau président du Congo-Kinshasa – deuxième
pays francophone du monde –, Laurent-Désiré Kabila, avait boycotté le sommet.
Hongrie
Référendum favorable à l’adhésion
à l’OTAN.
Le « oui » l’emporte, avec 85,33 % des suffrages. La
participation a été de 49,24 %. Ces résultats constituent un succès pour le Premier ministre Gyula Horn.
Ils lui permettent de s’affranchir définitivement de
son passé communiste et d’aborder avec confiance
les échéances électorales de 1998. Le gouvernement
était largement intervenu lors de la campagne référendaire pour expliquer les avantages de l’adhésion
à l’organisation militaire occidentale et pour justifier
que la Hongrie était le seul des pays pressentis à organiser à ce sujet une consultation électorale.
17
Égypte
Carnage a Louxor.
67 personnes, dont 57 touristes étrangers (en majorité suisses), sont tuées à la suite d’un raid terroriste
islamiste sur le site de Louxor, devant le temple de
Hatshepsout. C’est l’attentat le plus sanglant depuis
la reprise des actions islamistes en 1992. Le président
Hosni Moubarak limoge aussitôt son ministre de
l’Intérieur, marquant ainsi sa volonté de montrer le
prix qu’il donne à la sécurité des visiteurs étrangers.
Le tourisme constitue la plus grosse ressource en
devises du pays.
Russie
Libération des otages français.
4 militants humanitaires travaillant au Caucase et
enlevés au Daghestan depuis le début août sont libérés, officiellement sans qu’aucune rançon n’ait été
versée. Beaucoup d’observateurs doutent de cette
affirmation, sachant que les Français avaient été enlevés non par des militants indépendantistes mais par
de simples bandits locaux.
19
France
Création d’une haute autorité
des forces de police.
Sous la présidence de Lionel Jospin, le Conseil de
sécurité intérieure décide de la création d’un Conseil
supérieur de la déontologie de la sécurité (CSDS). Cet
organisme, qui fera l’objet d’un projet de loi, sera chargé de veiller au respect des règles déontologiques
par l’ensemble des forces de sécurité en France
(police, gendarmerie, douanes, police administrative,
polices privées). Il sera indépendant du ministère de
l’Intérieur, composé d’un président nommé par le
chef de l’État, de 2 parlementaires et de 3 magistrats ;
ses moyens seront étendus ; il pourra être saisi par
tout citoyen témoin ou victime d’abus de pouvoir. Il
aura le pouvoir d’adresser des recommandations aux
administrations et organismes concernés et de faire
des remontrances publiques au cas où ces recommandations n’auront pas été suivies d’effet.
20
Russie
Revers pour Anatoli Tchoubaïs.
Compromis dans le « scandale du livre » (une avance
de 450 000 dollars pour un livre qui n’a jamais été rédigé, versée par une maison d’édition contrôlée par
la banque Onexim, proche du ministre des Finances),
Anatoli Tchoubaïs perd son portefeuille des Finances
et voit trois de ses amis politiques quitter le gouverdownloadModeText.vue.download 177 sur 361
JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
176
nement, mais il demeure vice-Premier ministre. La
politique libérale de M. Tchoubaïs n’est pas abandonnée pour autant, puisque son successeur, Mikhaïl
Zadornov, est également un partisan de la réforme
économique et des privatisations. Les ennuis de
M. Tchoubaïs ont commencé après qu’il ait obtenu,
début novembre, le limogeage du gouvernement du
financier Boris Berezovski. Celui-ci a alors braqué les
journaux qu’il contrôle centre son rival et contribué à
mettre en épingle l’affaire des 450 000 dollars. Même
si beaucoup le considèrent comme politiquement
fini, Anatoli Tchoubaïs ne disparaît pas, du moins à
court terme, du paysage gouvernemental russe. Il
continue d’être apprécié par Boris Eltsine pour sa
puissance de travail ; par ailleurs, il constitue désormais un excellent « fusible » politique pour le président russe : politiquement affaibli, M. Tchoubaïs peut
constituer un excellent bouc émissaire au cas où les
prochains résultats économiques, compromis par la
crise financière asiatique, s’avéreraient nettement
moins bons que prévu. Jusqu’à nouvel ordre, M. Eltsine garde l’équilibre entre deux principaux clans de
son gouvernement : celui de M. Tchoubaïs (autour
de la banque Onexim) et celui du Premier ministre
Viktor Tchernomyrdine (autour du groupe pétrolier
Gazprom).
UE
Sommet sur l’emploi.
Les chefs d’État et de gouvernement des Quinze
se réunissent à Luxembourg pour discuter des problèmes de l’emploi et des 18 millions de chômeurs
que compte l’Union européenne. Ce sommet fait
suite à la demande présentée en juin par le gouvernement français de chercher les moyens de coordonner les politiques des différents pays en ce domaine
afin d’obtenir une réduction en cinq ans du taux de
chômage moyen en Europe à 7 % (12 millions d’emplois à créer). Le texte présenté par le gouvernement
luxembourgeois constitue un compromis entre
l’approche socialiste et étatiste du gouvernement
français et l’option plus libérale des gouvernements
conservateurs allemand et espagnol. Il propose une
réduction des charges pesant sur le travail, l’offre
d’une formation de réinsertion à tout chômeur avant
qu’il n’ait été douze mois au chômage (six mois pour
les jeunes), le développement de la formation permanente. Propre à rassurer les dirigeants allemands,
ce texte fait la part belle aux thèses des nouveaux
travaillistes de Tony Blair : il insiste sur la notion
d’« employabilité », qui signifie que la lutte contre le
chômage passe par des mesures concernant directement les chômeurs plutôt que par des mesures
d’aide générale édictée par l’État ; il insiste pour que
le dialogue social s’opère prioritairement au niveau
des secteurs d’activité et des entreprises plutôt qu’au
niveau interprofessionnel et national. À l’occasion de
ce sommet, Jacques Chirac critique le projet du gouvernement sur les 35 heures en fustigeant les « expérimentations hasardeuses » en matière de création
d’emploi. Dans les deux jours qui suivent, Lionel Jospin réplique en reprochant au Président de se livrer
depuis l’étranger à des commentaires sur la politique
intérieure française et il ironise sur l’« expérimentation
hasardeuse » en matière politique que constitua, en
avril, la dissolution de l’Assemblée nationale.
Luttes de pouvoir e
n Russie
De la « garde » rapprochée qui avait permis à
Boris Eltsine d’être réélu en 1996, le général
Lebed avait été le premier remercié. Le retour
aux affaires d’Anatoli Tchoubaïs et de Boris Nemtsov en mars 1997 a été fatal à Boris Berezovski. Le
plus étonnant reste que le Premier ministre Viktor Tchernomyrdine ait réussi à surnager dans le
marécage de la politique russe. L’éternel fusible
du chef de l’État pourrait jouer le premier rôle si
la rechute de ce dernier se révélait grave.
En Russie, l’idée que les médias déterminent
les votes est largement partagée. Depuis la
spectaculaire remontée de Boris Eltsine dans
les sondages avant sa réélection en 1996, le
contrôle des médias a occupé la poignée d’oligarques qui se disputent les premiers rôles. Le
Premier ministre Viktor Tchernomyrdine, régulièrement épingle par les médias en raison de
son élocution primaire, de ses manières d’apparatchik ou de l’incroyable sous-évaluation de sa
déclaration de revenus, l’a finalement compris.
C’est ainsi que l’on a pu le voir très à son aise,
interrogé par un journaliste pour le moins conciliant sur la chaîne privée NTV, dont Gazprom, le
monopole gazier géant proche du Premier ministre, possède 30 % des parts. Ses deux rivaux,
les réformateurs Boris Nemtsov (vice-Premier
ministre, depuis mars 1997) et Anatoli Tchoubaïs
(vice-Premier ministre et ministre des Finances,
depuis mars 1997), se sont eux aussi assuré de
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
177
la docilité de nombreux médias en achetant
journaux et chaînes de télévision. Quant à Boris
Berezovski, numéro deux du Conseil national
de sécurité, présenté dans la presse occidentale
comme un « puissant homme d’affaires », c’est
peu d’écrire qu’il dispose depuis longtemps de
relais médiatiques influents. Mais au bout du
compte, chacun disposant de moyens similaires,
il est apparu plus important d’avoir l’accès direct
à B. Eltsine plutôt qu’aux organes de presse.
Exit Boris Berezovski
C’est au cours du printemps que les réformateurs se sont mis en tête d’obtenir la « tête » du
numéro deux du Conseil national de sécurité.
B. Berezovski et Anatoli Tchoubaïs, le « père des
réformes », que l’on avait connus complices sans
état d’âme un an plus tôt quand il s’était agi d’as-
surer la réélection de B. Eltsine, ont commencé
à vouloir jouer l’un contre l’autre dès la reprise
des grandes privatisations. L’heure des réalignements politiques avait sonné. Deux empires
financiers et médiatiques, ceux de B. Berezovski et de Vladimir Goussinski, ont alors choisi
de s’allier avec V. Tchernomyrdine, contre leur
grand rival Onexim, premier groupe « privé » du
pays. A. Tchoubaïs se rangeait au côté d’Onexim.
L’enjeu de l’affrontement : le rachat de sociétés
pétrolières, comme Rosneft. Alors que le ministre des Finances prenait langue avec British
Petroleum, B. Berezovski approchait Gazprom et
le pétrolier russe Loukoïl. Le 5 novembre, B. Berezovski intervenait devant ses médias pour se
faire l’avocat du capitalisme russe « prêt à investir
à long terme dans le pays » face à la « menace que
représentent, à cette étape initiale, des capitaux
spéculatifs étrangers ». En s’attribuant ainsi le
rôle du « chevalier blanc », B. Berezovski a sans
doute tenté de faire oublier qu’il a bâti sa fortune
en précipitant la ruine du premier constructeur
automobile russe Avtovaz et en plaçant en
Suisse une part non négligeable des revenus
de la compagnie nationale Aeroflot. Ses adversaires n’auront pas manqué de lui rappeler que
le magazine américain Forbes l’a un jour qualifié
de « parrain » de la mafia russe. Le jour même
où il défendait au nom d’un nationalisme moralisateur l’alliance de son groupe avec Gazprom,
B. Berezovski apprenait qu’il était limogé par
B. Eltsine, lequel avait fini par céder aux conseils
désintéressés des deux vice-Premiers ministres.
Son renvoi était présenté comme une opération
de moralisation de l’État par B. Nemtsov : « On
ne peut mêler activités commerciales et service
public. » Mais, plus que le limogeage d’une personnalité de la politique, les deux réformateurs
ont parallèlement obtenu du chef de l’État qu’il
signe un oukaze plus décisif pour l’avenir de la
Russie : désormais, un décret autorise les étrangers à « participer à 100 % » (et non plus à hauteur de 15 % du capital) aux privatisations des
sociétés pétrolières russes.
L’étonnante santé
de Tchernomyrdine
C’est moins le limogeage du numéro deux du
Conseil national de sécurité qui a surpris les
Russes que sa date bien tardive. Quant à savoir
pourquoi B. Eltsine ne s’est pas décidé plus tôt à
se séparer de cet encombrant collaborateur, on
ne peut avancer que des hypothèses. Retenons
celle-ci. Il pourrait s’agir d’un nouvel avatar de
sa tactique habituelle d’équilibre des pouvoirs :
considérant que la lutte entre les clans Tchernomyrdine-Berezovski et Tchoubaïs-Nemtsov pre-
nait un tour trop intense aux yeux de l’opinion
publique, B. Eltsine devait trancher. Il ne pouvait
pas sacrifier A. Tchoubaïs après la promotion
de V. Tchernomyrdine lors de la crise parlementaire d’octobre sans donner trop de poids au
Premier ministre. En limogeant B. Berezovski, le
chef de l’État aurait donc rétabli l’équilibre à son
avantage. Quoi qu’il en soit, l’annonce le 12 décembre de « l’infection respiratoire virale aiguë »
dont souffrait B. Eltsine a de nouveau ramené
V. Tchernomyrdine, auquel échoit l’intérim en
cas d’incapacité du président, sur le devant de
la scène. Les grands clans financiers ont paru se
résigner à accepter le jeu constitutionnel. Mais
si la « convalescence » du président devait se
prolonger, la Russie pourrait entrer de nouveau
dans une période de troubles et les rivalités
entre prétendants au rôle d’héritier auront toute
latitude de s’exacerber, avec l’opposition comme
masse de manoeuvre. Certes, les temps ont changé depuis 1993, quand les haines poussaient les
uns à attaquer le siège de la télévision, les autres
à bombarder le Parlement. Il reste que la pacification de la vie politique est étroitement liée à la
Constitution, c’est-à-dire au président.
P. F.
Le vide du pouvoir
La Constitution russe du 12 octobre 1993
instituant un régime présidentiel fort est une
arme à double tranchant pour Boris Eltsine.
Lorsqu’il exerce pleinement ses pouvoirs
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très étendus, le chef de l’État, au-dessus des
mêlées parlementaires et des affaires de
corruption, assure une continuité de l’État.
Mais, lorsque la maladie le tient éloigné
des affaires et de la scène politique, l’arme
se retourne contre lui. C’est ainsi que des
quatre coins de l’échiquier politique montent des voix réclamant une révision de la
Constitution visant à rééquilibrer les pouvoirs entre le président, le gouvernement,
les Cours suprême et constitutionnelle et les
deux chambres du Parlement.
21
Japon
Chute du quatrième courtier national.
Fondée il y a un siècle, employant près de 7 500 per-
sonnes, la maison de titres Yamaichi, l’un des plus
prestigieux organismes financiers du pays, gérant
plus de 1 200 milliards de placements, est acculée à
la faillite. Elle est la troisième maison de ce type à se
retrouver dans cette situation en un seul mois. Cette
déconfiture est la conséquence à la fois des langueurs
de l’économie nipponne (victime de la spéculation
boursière et immobilière) et de la volonté gouvernementale d’assainir le secteur financier en proscrivant
les aides bancaires aux organismes défaillants. Les
financiers internationaux s’inquiètent car ils savent
que le Japon est le plus gros créancier du monde, qui
a prêté beaucoup d’argent à ses voisins asiatiques
comme aux États-Unis. Une brutale crise de liquidités à l’intérieur de l’archipel pourrait conduire les
banques japonaises à réclamer le remboursement de
leurs prêts, ce qui aurait pour conséquence immédiate de dérégler en profondeur l’ensemble du système des paiements internationaux. Profitant de la
situation, les autorités de Washington s’empressent
de recommander à Tokyo de pratiquer une profonde
transformation de l’économie japonaise pour la rapprocher du modèle américain.
France
Congrès du Parti socialiste.
La grande majorité des délégués approuvent la
motion présentée par les amis de Lionel Jospin et
confirment son remplacement à la tête du parti par
François Hollande.
25
France
Mort de Barbara.
La chanteuse meurt à Neuilly à l’âge de soixantesept ans. Elle avait commencé sa carrière à la fin des
années 40, encouragée par le compositeur Jean Wiener. Après un séjour de deux ans à Bruxelles, elle se
produit au cabaret L’Écluse à Paris, où elle chante des
chansons de Léo Ferré, Mac Orlan et Brassens. Elle
enregistre son premier disque en 1958 et sort sa première chanson trois ans plus tard, « Dis, quand reviendras-tu ? ». Elle impose alors plusieurs succès comme
« Pierre », « Göttingen », « Ma plus belle histoire
d’amour, c’est vous », « Moi, j’m’balance ». En 1970,
elle connaît un immense succès avec « l’Aigle noir »,
une chanson marquée par des arrangements musicaux complexes. Elle est désormais suivie par un public nombreux et fervent qui se presse à ses tours de
chant à Bobino, à l’Olympia, au Châtelet, à Pantin et à
Mogador. Dans les années 80, elle s’engage en faveur
de François Mitterrand et milite activement contre le
sida en créant la chanson « Sid’amour à mort ». Elle
donne son dernier récital en 1993 et enregistre son
treizième et dernier album, Barbara, en 1996.
Inde
Démission du gouvernement.
La coalition de centre gauche, dite « de Front uni », au
pouvoir depuis sept mois, est contrainte à la démission après que le parti du Congrès a fait savoir qu’il lui
retirait sa confiance. La crise est née après la publication d’un rapport sur l’assassinat en 1991 du Premier ministre de l’époque, Rajiv Gandhi. La Chambre
reste divisée en trois groupes d’importance comparable : les nationalistes hindous du BJP et leurs alliés
(193 sièges), la coalition de Front uni (177 sièges) et le
parti du Congrès (144 sièges). Les observateurs s’inquiètent de cette nouvelle crise (la troisième en dixhuit ans) et de l’éventuelle dissolution qui pourrait
en découler : ils redoutent une nouvelle progression
du parti extrémiste BJP, alors que l’opinion semble
regretter le départ du Premier ministre Inder Kumar
Gujral, un homme de soixante-quinze ans, qui avait
su s’imposer pour sa volonté de paix, notamment
avec le voisin pakistanais (pays dont il est lui-même
issu).
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
179
26
Iran
Luttes politiques au sommet.
Le « guide spirituel de la République islamique », l’ayatollah Ali Khamenei, accuse l’ayatollah Hossein Ali
Montazeri de « trahison ». La veille, celui-ci avait remis
en cause le principe du velayat e faquih, c’est-à-dire
la suprématie du guide spirituel par rapport à toutes
les autres autorités politiques et administratives.
Cette querelle politico-théologique prend tout son
sens quelques mois après l’élection à la tète de l’État,
à une très large majorité, d’un candidat connu pour
son libéralisme, le religieux moderniste Mohamad
Khatami. Curieusement, celui-ci prend parti pour
le guide spirituel, mais les observateurs expliquent
cette prise de position par le souci de M. Khatami de
donner la priorité à la reconnaissance du respect du
droit dans les moeurs, abandonnant provisoirement
le front politique aux forces conservatrices.
27
France
Autorisation du maïs transgénique.
Le gouvernement autorise la culture en France du
maïs transgénique, c’est-à-dire d’un maïs qui produit
artificiellement une protéine supplémentaire lui permettant d’avoir certaines caractéristiques résistance
aux herbicides, à certains parasites, etc. Les enquêtes
scientifiques commandées par le gouvernement
concluent à l’innocuité de cette plante. Toutefois,
certains s’inquiètent de conséquences possibles à
long terme sur la santé humaine. C’est pourquoi les
autorités prescrivent un étiquetage visible sur les
emballages prévenant le consommateur qu’il s’agit
d’une plante génétiquement modifiée. Par ailleurs,
le gouvernement n’autorise pas, dans l’immédiat, la
culture de colza et de betterave transgéniques.
29
Tennis
Succès suédois à la Coupe Davis.
Par 5 victoires à 0 face aux États-Unis, la Suède remporte la sixième Coupe Davis de son histoire.
30
Italie
Succès de la coalition de centre gauche
aux élections locales.
Après avoir vu la réélection facile de ses candidats
à Rome, Venise et Naples dès le premier tour, le
16 novembre, la coalition au pouvoir confirme son
succès au deuxième tour : à l’exception de Milan, elle
contrôle la plupart des grandes villes de la péninsule.
Proche-Orient
Nouveau plan israélien pour la
Cisjordanie.
Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, présente un nouveau plan de retrait des forces
israéliennes de Cisjordanie. Contredisant l’accord du
15 janvier – dit « accord d’Hébron », qui prévoyait un
redéploiement significatif des troupes israéliennes
en trois étapes entre le printemps 1997 et le printemps 1998 –, le plan Netanyahou propose un retrait
unique sur une portion très limitée du territoire, estimée à environ 6 % du total. L’Autorité palestinienne
rejette ce plan qualifié de « manoeuvre minable », destinée à calmer les autorités de Washington irritées
par l’intransigeance du gouvernement hébreu.
République tchèque
Démission du gouvernement.
Mis en cause dans une affaire de financement occulte
de sa formation, le Parti démocratique civique (ODS,
conservateur libéral), le Premier ministre depuis
1992, Vaclav Klaus, démissionne, entraînant la chute
de son gouvernement. Malgré sa volonté de constituer rapidement un nouveau gouvernement, le président de la République, Vaclav Havel*, est contraint
d’accepter d’attendre la réunion en décembre du
prochain congrès extraordinaire de l’ODS, afin que
celui-ci entérine le principe d’une participation du
parti à une nouvelle coalition gouvernementale.
Gastronomie
La diététique américaine admet désormais qu’en
Europe on se porte bien en mangeant des plats
élaborés et en buvant du vin. Les vertus de la cuisine méditerranéenne, qui privilégie le poisson,
l’huile d’olive, les légumes et les plantes arodownloadModeText.vue.download 181 sur 361
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matiques, viennent d’être reconnues. Le régime
crétois a même été retenu comme un modèle de
comportement alimentaire.
La conservation
La conservation attentive et passionnée du
savoir-faire, le goût préservé des produits
de tradition, le maintien des liens entre fête
et consommation alimentaire ont favorisé la
constitution d’un véritable patrimoine culinaire participant à l’identité culturelle. La
bouillabaisse et la bourride sont des recettes
achevées : à Marseille, la cuisson des poissons dure exactement dix-huit minutes. Très
diverses à l’origine, ces soupes de pêcheurs
admettent des variantes – à Martigues, on
introduit des calmars, et à Toulon, on ajoute
la pomme de terre –, mais ne tolèrent aucune
fantaisie. Au contraire, les supions (seiches),
les pouprious (poulpes) et les calmars appellent de nombreuses préparations locales.
À partir des ressources de la mer, des artisans
élaborent aussi des produits qui mériteraient
d’enrichir un musée de la gastronomie au lieu
de susciter des tentatives de réglementation
européenne tatillonne. Martigues prépare encore la poutargue, composée d’oeufs de mulets
salés et séchés, ou les mélets, petits anchois
salés, poivrés, mêlés de fenouil et transformés
en pâte. Entre Antibes et Menton, les alevins
de sardines et de nonnats sont transformés en
poutine, qui donne du goût aux soupes et aux
omelettes. À Nice et à Antibes, la purée de sardines, le pissalat, relève le goût des légumes
et des salades et donne son nom à la pissaladière. Dans les collines et les montagnes de
l’arrière-pays, on reste fidèle au mouton et à
l’agneau, élevés sur les espaces laissés libres
par la polyculture, qui fournissent aussi les
champignons, sanguins ou cèpes, les truffes,
le miel et les plantes aromatiques de la garrigue. Au coeur des terroirs, la culture de l’olivier et de la vigne est stimulée par la politique
de qualité qui se marque par l’intérêt porté à
l’appellation contrôlée, attribuée, entre autres,
à l’olive noire et à l’huile de Nyons.
Céréales et légumineuses ont disparu, mais la
fougasse et les compositions à base de pois
chiches, sous forme de beignets, comme les
panisses, ou de crêpes, comme la socca, perpétuent les habitudes alimentaires d’une époque
où l’on consommait ce que l’on produisait.
L’illustration
L’illustration de l’attachement aux produits
naturels d’origine locale, aux tours de main des
maîtresses de maison et des artisans et même à
un genre de vie est fournie chaque jour, sur les
marchés, dans les épiceries immuables de Pinto,
à Montpellier, ou de Bataille, à Marseille, dans les
confiseries, Richaud, à Apt, ou Auer, à Nice, sous
les voûtes où mûrit l’authentique charcuterie
corse, dans les cabanons des calanques ou dans
les cantines comme La Merenda, à Nice, dont le
cadre modeste n’a pas rebuté Le Stanc, le chef
à deux étoiles qui a abandonné le restaurant
du Negresco pour cette auberge de quartier.
Les menus des restaurants honorent partout
la tradition, tout en proposant les multiples
variantes laissées par des époques où l’on circulait peu. L’Escale, à Carry-le-Rouet, prépare toujours la soupe de poissons de roche, et Suzanne
Quaglio, chez Patalain, à Marseille, la soupe de
favouilles, de petits crabes verts aux pâtes percées. L’anchoïade conserve partout des amateurs ; l’anchois est présenté aussi, à Collioure,
avec une composée d’oignons, de poivrons et
de courgettes, ou, par Franck Cerutti, à Nice
et à Monte-Carlo, en tarte fine avec poivrons à
l’huile, câpres et olives. Les sardines sont farcies
d’épinards selon la tradition. Le rouget est rôti
sur canapé de courgettes ; grillé, parfois avec
tomates à l’origan ; poêlé, avec des panisses
ou avec un flan de courgettes et d’aubergines ;
pressé, aux poivrons et tomates confites, fricassée à l’estragon ; ou même couché sur une tarte
fine avec une ratatouille croquante.
Comme par le passé, le mouton et l’agneau ins-
pirent les plats de viande les plus appréciés. La
selle d’agneau de Sisteron rôtie est accompagnée d’un ragoût d’artichauts violets au Chantecler de Nice, d’une purée de pois chiches au
cumin à La Mirande d’Avignon. Le gigot est traité
à l’ail en casserole, en croûte, aux Baux, à l’Oustaù de Baumanière, et même en daube. L’art de
la table, soigneusement préservé, fait l’objet
d’investigations attentives, amorcées par Morard
et par Reboul à la fin du siècle dernier. Guy Gedda, patron du Jardin des Perlefleurs, à Bormesles-Mimosas – qui vient de fermer – est, à notre
époque, l’exemple même de ces chefs curieux,
qui ont rassemblé les éléments d’un véritable
corpus gastronomique.
L’innovation constitue la troisième force de la
cuisine méditerranéenne.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
181
L’innovation
La richesse de son patrimoine, patiemment accumulé, est telle qu’elle aspire les chefs étoiles
attirés par la Côte d’Azur et les contraint à renouveler sans trahir. Aussi, nul ne s’étonne que
Maximin, maintenant installé à Vence, vienne
du Nord, que Chibois soit Limousin, Tarridec, un
Breton ancré à Saint-Tropez, et Ducasse, d’origine landaise. Dans une ambiance qui pousse
au perfectionnisme, le talent créateur de jeunes
chefs d’origine locale est stimulé, si bien que Ducasse, prenant la succession de Robuchon, à Paris, n’hésite pas à confier le Louis XV de MonteCarlo au Niçois Franck Cerutti. L’émulation née
de ces contacts suscite le renouvellement. Inspiré par les pieds et parquets, René Alloin, à Marseille, propose un feuilleté de pieds de mouton
au basilic et aux anchois. Au Clos de la Violette, à
Aix, Banzo traite le chapon (la rascasse de fond)
sous la forme d’une saucisse de ménage, avec
pommes boulangère, tomates et rouille. Les
frères Pourcel, au Jardin des Sens, à Montpellier,
affinent les encornets farcis avec une fine ratatouille aux langoustines et leur jus en vinaigrette
de soja. Épris de simplicité, Ducasse réunit des
légumes de l’été, fenouil, oignons, courgettes,
tomates, artichauts violets et des champignons,
les traite à l’huile d’olive, à l’ail, au vin blanc, au
jus de citron et au vinaigre de Xérès et compose
une grecque présentée glacée. Au Louis XV, il
prépare le loup en pavés croustillants, dispose
des panisses chaudes sur le poisson, qu’il parsème de basilic frit, et assortit le tout avec des
tomates confites aux olives. Ainsi, des chefs in-
ventifs, suscitant l’intérêt des meilleurs fournisseurs, prospectant une aire d’influence étendue,
réussissent à exalter des produits qui figurent
depuis toujours dans les compositions culinaires
et à combler de plaisir les exigeants pèlerins de
la gastronomie.
GEORGES GRELOU
Jacques Chibois
Cuisinier de l’année pour Gault-Millau, élu
par ses pairs chef de l’année 1997, couronné
de trois toques et de deux étoiles, Jacques
Chibois dispose désormais du cadre qu’il
désirait pour mettre en valeur l’épanouissement de son talent : il vient de s’installer
à Grasse, parmi les oliviers, dans une belle
demeure du XVIIIe siècle, la Bastide SaintAntoine. Limousin d’origine, Chibois s’est
aisément adapté à la cuisine méridionale,
comme en témoignent ses grosses crevettes
en chiffonnade de mesclun ou son pageot
à l’huile d’olive, jus de fenouil à l’oignon
nouveau. Mais son intervention enrichit ou
épure.
La rentrée à la télévision
Chaque rentrée donne l’occasion à la télévision
de s’apparenter un peu plus à l’univers du football
en fin de saison. La rubrique des transferts
prime désormais sur les grilles, les programmes,
les nouveautés. Si, en 1996, le va-et-vient des
animateurs-producteurs et, à la clef, les chiffres
de leurs contrats avaient fait les gros titres, la
concurrence s’est jouée cette année autour de
l’information. Un jeu de chaises musicales dont
le grand perdant fut Bruno Masure, présentateur
préféré des téléspectateurs mais écarté du journal de 20 heures de France 2. Son remplacement
ne semble cependant pas en mesure d’éviter la
spectaculaire évasion de téléspectateurs : selon
un sondage Médiamétrie publié en mai, 1,3 million
d’entre eux manquaient à l’appel des grandes
chaînes généralistes par rapport à 1996.
La valse des stars de l’information
La « quête de sens » annoncée l’an dernier sur
TF1, formule qui avait fait sourire, se seraitelle enfin manifestée ? Lagaf’, Morandini, Pradel, Bouvard et Dorothée, anciens piliers de la
chaîne, ont disparu de la grille, qui s’est ouverte
pour Michel Field. Le transfert le plus inattendu
de la saison. L’ancien prof de philo dont l’image
de trublion intellectuel collait assez bien à Canal
Plus s’est vu offrir carte blanche et tapis rouge
pour succéder avec « Public » au « 7/7 » de Anne
Sainclair, devenue directrice générale adjointe
de l’antenne. Des débuts mitigés pour Michel
Field avec des audiences moyennes de 22 %, loin
des 26 % enregistrés par l’épouse du ministre
des Finances (après une émission orageuse
avec François Léotard, l’audience de l’émission
remontera spectaculairement).
Sur France 2, l’arrivée d’Albert Du Roy, ancien
éditorialiste de l’Événement du Jeudi, marquait
la priorité annoncée de renouveler l’information et de redynamiser un journal de 20 heures
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
182
qui, depuis 1996, a perdu 500 000 téléspectateurs. Le nouveau projet rédactionnel prévoyait donc des journaux moins suivistes par
rapport à TF1, moins « populistes » avec un
présentateur s’effaçant davantage devant les
spécialistes de la rédaction ou des consultants extérieurs. Quelle ne fut pas la surprise
lorsque la chaîne annonça mi-septembre que
Bruno Masure, présentateur le plus apprécié du
public, était écarté du journal du soir au profit
de Béatrice Schönberg, transfuge de... TF1. Une
éviction difficilement compréhensible et largement commentée par le premier intéressé,
« profondément amer ». Pour sa part, la direction
de la chaîne publique se borna à « assumer cette
décision ». Que reprochait-on à Masure ? Une
certaine usure après treize années de journal ?
Une trop grande indépendance d’esprit ? Un
humour et une décontraction de dandy ? Ces
questions demeurèrent sans réponse même si
les deux derniers « reproches » avaient plutôt
tendance à séduire les Français.
Dans le même registre et sans plus d’explications, Henri Sannier, dont le journal de la nuit
sur France 3 obtenait d’excellents résultats, fut
lui aussi débarqué et recasé à la présentation de
« Tout le sport » bien que, de son propre aveu,
il ne connaisse pas grand-chose aux joutes
sportives...
Toujours au chapitre de l’information dans le
service public, retour de Paul Amar avec « D’un
monde à l’autre » sur France 2 et arrivée sur
France 3 de Patrick de Carolis, ex-directeur
de l’information de M6 dont la mission est de
coordonner l’ensemble des magazines de cette
chaîne. Un transfert qui déboucha immédiatement sur une remise en cause de la périodicité
hebdomadaire de « La marche du siècle ». Au
terme d’un psychodrame comme sait en générer
l’audiovisuel, une solution de compromis aboutit à un rythme bi-mensuel pour l’émission de
Jean-Marie Cavada en alternance avec d’autres
magazines.
Alternance en douceur par contre sur Canal Plus
où Guillaume Durand succéda à Philippe Gildas
dans le fauteuil d’un « Nulle Part Ailleurs » plus
ouvert sur l’actualité. De son côté, Gildas a pris la
place de Michel Field pour présenter « L’hebdo »
rebaptisé « Le grand forum », et Jérôme Bonaldi
reprend à son compte « La grande famille » devenue « Tout va bien ». La chaîne cryptée continue
à naviguer loin des tempêtes médiatiques.
Où sont passés les téléspectateurs
perdus ?
Vent de panique au printemps chez les annonceurs. En France, mais aussi en Espagne, en Italie,
au Portugal et au Royaume-Uni, des millions de
téléspectateurs manquaient à l’appel. Disparus.
Volatilisés. Chez nous, la baisse d’audience était
évaluée à – 2,8 %, soit 1,3 million de personnes
« petits consommateurs de télé issus de deux
catégories très précises, les 15/24 ans et les socioprofessionnels élevés », désormais attirées vers
d’autres loisirs... ou d’autres chaînes. En vrac, on
accusa la météo particulièrement clémente puis
le câble ou le satellite. Le succès des « bouquets
numériques » lancés par Canal Plus, TF1 ou AB
Production, le raz de marée sur le décodeur numérique de La Lyonnaise Câble (90 000 vendus
fin 1997 alors qu’elle tablait sur 100 000 fin 1998)
démontrent qu’un certain nombre de téléspectateurs avertis ne se contentent plus de la seule
offre généraliste. Lassés du peu d’audace des
programmes, les rediffusions de films archiconnus, ils se tournent vers d’autres offres, mais se
montrent à nouveau fidèles lorsque les chaînes
généralistes savent prendre des risques. En témoignent les succès des séries « Urgences » et
« PJ » diffusées en prime time par France 2 (26 %
et 23,3 % d’audience) ou « Les filles du maître de
chai » sur France 3 (23,2 %).
Résultats inquiétants, pour ne pas dire catastrophiques, en revanche des animateurs-producteurs. Avec « Du fer dans les épinards », Christophe Dechavanne sur France 2 est, au début,
devancé par la série « Hollywood Night » de TF1
où Nagui a dû rapidement arrêter les frais de
« Tous en jeu » pour être remplacé, là encore, par
une série américaine. Quant à Jean-Luc Delarue,
son double talk-show « C’est l’heure » / « C’est
toujours l’heure » fut « reformaté » autour du jeu
« Qui est qui ? » et de la série à succès « Friends » puis carrément raccourci, sans pour autant
retrouver l’audience réalisée auparavant sur
France 2 par Michel Drucker. À la même heure,
le 19/20 de France 3 continue de crever les plafonds (36,9 %).
Une rentrée télévisée serait incomplète sans un
scandale. Il est venu d’où on l’attendait le moins,
de l’increvable « Intervilles » avec les accusations de tricherie portées par le Canard enchaîné
contre un des animateurs, Olivier Chiabodo, suspecté d’avoir, par des gestes, favorisé la victoire
du Puy-du-Fou en finale de ce jeu inscrit au patrimoine audiovisuel. Licencié sur-le-champ par
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
183
TF1, l’animateur, la chaîne et les gagnants ont
porté l’affaire devant la justice qui s’est déclarée... incompétente.
Quelques semaines plus tôt, la première chaîne
avait été secouée par le départ de Corinne Bouygues, directrice générale de TF1 Publicité. En
conflit avec Patrick Le Lay, P-DG de TF1, la fille du
fondateur du groupe a préféré claquer la porte.
Depuis 1993, TF1 a perdu six points d’audience,
passant de 41 % à 35,4 %, une baisse répercutée sur les recettes publicitaires. L’abandon d’un
certain nombre d’émissions bas de gamme mais
fortes en audience aurait donc envenimé un
conflit latent entre la responsable de la régie
publicitaire et la direction de la chaîne. Le prix
de la quête de sens...
MICHEL EMBARECK
Presse écrite : le point vendu
Mis officiellement en vente mi-juin par
Jean-Marie Messier, P-DG de la Générale
des eaux, actionnaire de référence d’Havas,
dans le cadre de la restructuration du groupe
vers l’audiovisuel, le Point a été vendu en
octobre au financier François Pinault. Ami
personnel du président Jacques Chirac, cet
homme possède des enseignes comme la
Redoute, les magasins du Printemps, Prisunic, Conforama et la FNAC.
Par contre, le groupe Havas a renoncé à
céder l’Express. Une décision intervenue au
terme d’un long suspense et qui a été interprétée comme un match nul politique. En
effet, l’Élysée était favorable à l’offre de reprise présentée par le groupe Dassault alors
que Matignon préférait celle du quotidien le
Monde.
Enfin, outre la suppression de l’abattement
fiscal de 30 % des journalistes, les députés
ont voté une taxe sur le hors-média (journaux gratuits, prospectus publicitaires, catalogues, etc.), qui devrait rapporter entre 300
et 400 millions de francs au bénéfice de la
presse quotidienne nationale et régionale
ainsi qu’aux hebdomadaires régionaux.
Radios : RTL toujours leader
Si les stations généralistes ont continué à
perdre du terrain face aux programmes
musicaux nationaux, RTL demeure toutefois en tête des sondages avec 17,9 points
d’audience cumulée. NRJ se place à la deuxième place avec 11,4 % alors que l’érosion
de France-Inter se confirme 110,8 % et une
perte de 325 000 fidèles). Malgré leurs nouvelles grilles, Europe 1 (8,6 % stable) et RMC
(3,3 %) ne redécollent pas.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
184
DÉCEMBRE
1
Espagne
Condamnation de dirigeants politiques
basques.
Dix-neuf dirigeants d’Herri Batasuna (HB, vitrine politique de l’organisation indépendantiste basque ETA)
sont condamnés à sept ans de prison pour « collaboration à une bande armée ». Ce verdict sévère portant
sur des responsables politiques, dont plusieurs sont
des élus, fait suite à la vague d’indignation qui avait
parcouru l’Espagne après l’assassinat, en juillet, d’un
jeune élu municipal par les terroristes basques. Les
observateurs s’interrogent sur la question de savoir
si ces condamnations auront pour effet de marginaliser HB (qui représente 13 % des voix au Pays basque)
ou de le forcer à rompre avec la lutte armée. (chrono.
11/12)
France
Adoption à l’Assemblée nationale de la
loi sur la nationalité.
Par 267 voix contre 247 (24 communistes et 5 Verts
s’étant abstenus), le projet de réforme du Code de
la nationalité présenté par le garde des Sceaux, Élisabeth Guigou, est adopté en première lecture par
les députés. Il prévoit l’acquisition de plein droit de
la nationalité française à l’âge de 18 ans pour tout
enfant né en France de parents étrangers, sous la
condition d’au moins cinq ans de résidence. Qualifié d’« inutile et nuisible » par Jean-Louis Debré, président du groupe RPR, le projet revient sur l’obligation,
prévue par la loi Méhaignerie en 1993, qui instaurait
l’obligation pour tout jeune né en France de parents
étrangers de déclarer formellement sa volonté de
devenir français entre 16 et 21 ans. La réforme Guigou ne revient cependant pas à la situation d’avant
1993 – régime de la loi de 1889 –, nettement plus
libérale. Elle prévoit toutefois la possibilité pour les
jeunes d’au moins 13 ans de demander, avec l’accord
de leurs parents, la naturalisation, ce qui devrait permettre de résoudre un certain nombre de problèmes
pratiques, notamment pour les voyages ou les colonies de vacances à l’étranger.
Jazz
Mort de Stéphane Grappelli.
Le violoniste français meurt à quatre-vingt neuf
ans. Fils d’un immigré italien, il commence par se
produire dans les cinémas muets puis intègre un
groupe de swing et découvre alors le jazz. Dans les
années 30, il fonde le Hot Club de France avec le guitariste Django Reinhardt. Ils inventent alors un style
musical sautillant, incroyablement gai et rythmé, qui
fait le tour du monde. Des morceaux comme Minor
Swing ou Nuages marqueront des générations de
musiciens et de mélomanes. Après la guerre, Grappelli joue avec tous les plus grands instrumentistes
de jazz et de classique, interprétant des duos fameux
avec Yehudi Menuhin. Après lui, toute une lignée de
violonistes français, parmi lesquels Jean-Luc Ponty et
Didier Lockwood, suivra son exemple.
2
Grande-Bretagne
Conférence sur l’or nazi.
Réunissant les représentants de 42 pays et le Congrès
juif mondial (CJM), la conférence de Londres a pour
objet la restitution aux victimes spoliées encore vi-
vantes du reliquat – soit 5,5 tonnes – de l’or confisqué
aux Juifs par les nazis. Les participants s’accordent
pour décider de cette restitution dans un très court
délai par les trois principaux pays concernés, à savoir
les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, qui
possèdent les plus gros stocks de l’or confisqué. Des
oppositions se font jour cependant sur les modalités de cette restitution : les Français privilégient une
solution nationale et graduelle, tandis que les Américains et les Anglais souhaitent une restitution rapide
par l’intermédiaire d’un fonds international créé à cet
effet. La Suisse et le Vatican sont mis en cause par
le CJM, qui souhaite que les autorités helvétiques
contribuent pour un montant de 3 milliards de dollars au fonds d’indemnisation. La conférence aborde
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
185
également les questions relatives à la restitution des
objets d’art et à l’indemnisation des Tsiganes.
Pakistan
Démission du chef de l’État.
Farouk Leghari est contraint de quitter son poste
après que l’armée a tranché en sa défaveur dans le
conflit qui l’opposait depuis plusieurs mois au nouveau Premier ministre Nawaz Sharif. Ancien proche
de Benazir Buttho (qu’il avait cependant poussée à
la démission pour « corruption » en novembre 1996),
M. Leghari s’était très vite opposé à Nawaz Sharif.
Celui-ci, conforté par une très nette victoire aux élections de février, avait aussitôt cherché à diminuer les
prérogatives du chef de l’État en faisant adopter un
amendement constitutionnel privant ce dernier de la
possibilité de dissoudre le Parlement. Le conflit avait
rebondi ces dernières semaines quand M. Leghari
avait menacé de poursuivre en justice M. Sharif pour
outrage à magistrat. L’armée a finalement tranché,
donnant sa préférence à un Premier ministre récemment élu avec une confortable avance. Pour raisonnable qu’il soit, ce choix témoigne une nouvelle fois
du poids de l’armée dans le système politique et,
donc, de la fragilité de la démocratie pakistanaise.
3
Corée du Sud
Plan de sauvetage international.
57 milliards de dollars vont être débloqués par les
États – dont, pour la première fois en Asie pour ce
type d’opération, ceux de l’Union européenne – et
les institutions financières internationales pour venir
en aide à Séoul. C’est le plan le plus important jamais
coordonné par le Fonds monétaire international
(FMI), qui y contribuera, pour sa part, à hauteur de
21 milliards. Pour mémoire, le Mexique avait bénéficié, début 1995, d’un plan se montant à 50 milliards
de dollars. Le plan sud-coréen prévoit : la réorganisation des conglomérats familiaux (Chaebols, Samsung, Hyundai, LG, Daewo, Sunkyong), privilégiant
une plus grande recherche de la rentabilité au détriment de la seule recherche des parts de marché,
la fin des collusions entre groupes, l’abandon des
activités sans rapport avec leur métier principal et
l’ouverture de leur capital ; la restructuration du secteur bancaire, pléthorique et routinier ; l’introduction
d’une plus grande flexibilité sur le marché du travail
avec l’introduction, en parallèle, d’un système de protection sociale. (chrono. 18/12)
4
Canada
Signature du traité sur les mines
antipersonnel.
120 pays, dont la France, signent le traité d’interdiction sur les mines antipersonnel, dit « traité Diana »,
par référence à la campagne de sensibilisation
qu’avait menée en ce domaine la défunte princesse
de Galles. Une trentaine de pays, dont la Chine,
les États-Unis et la Russie, ont refusé de parapher
le traité, sous la pression des fabricants de ce type
d’armement. En marge de ce traité, un vaste effort a
été demandé à l’ensemble de la communauté internationale pour éliminer la centaine de millions de ces
mines installées à travers le monde.
5
France
Jacques Chirac et le devoir de mémoire.
Invite au Mémorial du martyr juif inconnu à Paris, le
président de la République rappelle que « la France
de l’Occupation a existé » et que « les arrestations, les
rafles, les convois ont été organisés avec le concours
de l’administration française ». Dans le contexte du
procès Papon, il réitère ses propos de 1995 sur la responsabilité française dans le drame de la déportation
des Juifs. Symboliquement, il remet aux autorités
de la communauté juive le « fichier juif » établi sous
Vichy. Tout en saluant la démarche du Président, certains historiens critiquent cette initiative, s’opposant
au fait que l’on « communautarise » ainsi un pan de
la mémoire nationale ; ils auraient souhaité que ce
fichier demeure sous la responsabilité des Archives
nationales.
France
Jean-Marie Le Pen récidive
sur le « détail ».
Invité en Allemagne par le leader du mouvement
d’extrême droite des républicains, l’ancien SS Franz
Schoenhuber, le président du Front national reprend
la formule qu’il avait utilisée en 1987 (et pour laquelle
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
186
il avait été condamné en justice), selon laquelle la
question de savoir si les Juifs ont été exterminés dans
des chambres à gaz était un « détail » de l’histoire
de la Seconde Guerre mondiale. Les observateurs
soulignent que M. Le Pen a de nouveau utilisé cette
formule alors que certains dirigeants de la droite
républicaine envisageaient des alliances locales avec
le FN pour les prochaines élections régionales. En se
coupant ainsi de toute « respectabilité » politique, il
conforte sa stratégie de seule alternative à la gauche,
s’opposant à Bruno Mégret, no 2 du Front, partisan
d’une alliance avec les partis de la droite républicaine. Le 26, M. Le Pen est condamné en référé à
payer 1 franc symbolique de dommages et intérêts
à onze associations antiracistes ; il devra, en outre,
consigner une somme de 300 000 F pour la publication du jugement dans la presse.
Procès Papon :
la France vichyssoise
devant ses juges
L’ancien secrétaire général de la police René
Bousquet ayant été assassiné avant son procès,
Maurice Papon est le premier haut fonctionnaire
de Vichy à être jugé en France pour « complicité
de crime contre l’humanité ». Comparaissant
depuis le 8 octobre 1997 devant la cour d’assises
de Bordeaux, il est accusé d’avoir contribué entre
1942 et 1944 à la déportation de dizaines de Juifs
vers Drancy, antichambre des camps d’extermination allemands. À l’origine, le verdict était attendu
le 23 décembre 1997. Mais les interruptions et le
déroulement souvent interminable des audiences
ont transformé l’affaire Papon en un procèsfleuve. Dès lors, tout autant que l’enlisement,
c’était la lassitude, voire l’indifférence, des
médias et de l’opinion publique qui guettait fin
décembre le plus long procès jamais organisé
en France et dont le dénouement est désormais
attendu au printemps 1998. Si le procès arrive
jamais à son terme.
Selon l’arrêt de la chambre d’accusation par
lequel Maurice Papon est renvoyé devant la cour
d’assises de Bordeaux, ce dernier est accusé de
s’être « rendu complice des meurtres avec préméditation commis par des (...) agents du gouvernement allemand à l’encontre de personnes d’origine
juive en fournissant sciemment aux auteurs de ces
crimes l’aide et l’assistance nécessaires à la préparation ou à la consommation de leur action (...) ».
Quelle aide Maurice Papon a-t-il apportée aux
autorités allemandes ? Qu’a-t-il signé ? Sur ordre
de qui ? Sa fonction lui permettait-elle d’agir
directement sur les événements dramatiques
de l’été 1942 ? C’est ce que les jurés de la cour
d’assises auront à déterminer.
C’est au mois de mai 1942 que Papon fait son
entrée à Bordeaux. Nommé préfet régional par
Laval, Maurice Sabatier, qui a connu Papon en
1936 au ministère de l’Intérieur, demande au
jeune sous-préfet de première classe de l’épauler dans ses nouvelles fonctions. En qualité de
secrétaire général de la préfecture de Bordeaux,
Maurice Papon hérite d’une dizaine de services,
essentiellement administratifs. Mais il coiffe
également le bureau des affaires juives, chargé
d’inventorier les biens juifs. Papon a trentedeux ans. Il prend ses fonctions au plus mauvais
moment. Car c’est pendant l’été 1942 que la
capitale girondine connaîtra sa première grande
rafle. Les 15 et 16 juillet 1942, deux mois après
l’arrivée de Papon, 70 personnes d’origine israélite seront arrêtées sur une liste de 105 noms.
L’opération, placée sous contrôle allemand, est
menée par le commissaire Norbert Téchouyères,
assisté de 80 policiers français. Internées dans le
camp de Mérignac, les victimes sont emmenées
par train à Drancy, d’où elles seront déportées
vers Auschwitz.
Décidée à Berlin, lors de la conférence secrète
Wannsee, la « solution finale » est en effet en
marche. Eichmann, son instigateur, est venu à Paris réclamer des moyens logistiques pour mettre
en oeuvre son programme d’extermination. C’est
René Bousquet, alors secrétaire général de la police de Vichy, qui signera au printemps 1942 avec
le chef SS de la police allemande en France, Karl
Oberg, les accords autorisant les transferts des
Juifs aux autorités allemandes. Il sacrifiera les
Juifs étrangers ou apatrides (sans passeport) en
échange de juifs français. Depuis octobre 1940,
date à laquelle le gouvernement français, épaulé
par un quarteron de juristes, échafauda toute
une législation de spoliation, ces derniers ne
sont d’ailleurs plus que des citoyens de seconde
zone. En mai 1942, ils sont déjà exclus de toutes
les professions au contact du public, ce qui implique « l’aryanisation de leurs biens » selon la ter-
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
187
minologie de l’époque. Ils n’ont plus le droit de
déménager, de posséder un téléphone, un poste
de TSF ou une bicyclette ; ils doivent respecter le
couvre-feu de 20 heures à 5 heures. Ils sont mis
en fiche depuis déjà deux ans.
En ce mois de juillet 1942, l’administration
préfectorale prend à sa charge l’organisation
des premières déportations décidées par les
Allemands. Le 6 juillet, Maurice Papon signe un
ordre de transfert à Drancy de Léon Librach et
de deux autres juifs de nationalité polonaise.
Puis viendront les premiers comptes rendus
des opérations d’arrestation et de transport des
Juifs. Certains sont signés par Papon, d’autres
par Pierre Garat, le chef du bureau des questions
juives. En qualité d’adjoint, ce dernier agit sous
couvert de Maurice Papon qui lui a donné délégation de signature. Un mois plus tard, le 22 août
1942, une deuxième rafle est ordonnée par les
Allemands. Cette fois-ci, 443 personnes sont
dans le convoi pour Drancy, dont 186 Français.
Pierre Garat se rendra sur place pour intervenir
en faveur des « cas intéressants », une formule qui
désignait à l’époque les personnes remplissant
les conditions pour être radiées des listes (mutilé de guerre, ancien combattant, etc.). Et puis
la machine s’emballe : le convoi de septembre
1942 comprendra 70 Juifs, dont 13 enfants ; celui
d’octobre, 128, dont 10 enfants. Dès 1943, la préfecture n’est plus avertie des rafles par l’autorité
allemande, qui s’adresse directement aux policiers français.
L’après-guerre
Puis vient la Libération. Maurice Papon n’est
pas inquiété. Mieux : il est officiellement entré
dans la Résistance le 1er janvier 1943, comme
membre du réseau Jade-Amicol, ce que certains contestent aujourd’hui. C’est Roger Bloch,
un des dirigeants de ce réseau hébergé, fin
1943, à quatre reprises par Maurice Papon, qui
le recommandera auprès du commissaire de la
République clandestin Roger Cusin. Ce dernier
nommera Maurice Papon préfet des Landes. Papon conservera cette fonction jusqu’en octobre
1945, avant de poursuivre une carrière qui le
mènera jusqu’au poste de ministre du Budget
du gouvernement Barre d’avril 1978. Cette nouvelle charge le place-t-elle trop « à découvert » ?
Trois ans plus tard, le scandale éclate. À quatre
jours du second tour de l’élection présidentielle,
le Canard enchaîné affirme que Papon a autorisé
et contrôlé la déportation de plusieurs centaines
de Juifs étrangers et français. Derrière ces révélations, il y a Michel Slitinsky. L’homme est un
miraculé. Quand le 20 octobre 1942 les policiers
frappent à la porte du 3, rue de la Chartreuse, à
Bordeaux, le jeune homme de dix-sept ans, fils
d’un couple ukrainien, s’échappe par les toits.
Son évasion figure d’ailleurs dans les rapports
officiels. Dès la parution de l’article, Maurice
Papon dénonce « une manoeuvre électorale de
dernière heure ». Il décide de s’en remettre à un
jury d’honneur, composé de cinq « résistants
authentiques ». Si ces derniers affirment que des
poursuites pour crime contre l’humanité sont
injustifiées, ils concluent : « M. Papon aurait dû
démissionner de ses fonctions au mois de juillet
1942. »
Le 8 décembre 1981, quatre plaintes seront déposées par des parents de victimes de déportation. Beaucoup d’autres suivront. Mais la justice
traîne les pieds. Pire : l’enquête est arrêtée net en
février 1987, date à laquelle la Cour de cassation
annule la quasi-intégralité des actes de procédure. Motif ? Dès l’apparition du nom de l’ancien
préfet Robert Sabatier, le juge Nicod, chargé de
l’enquête, aurait dû lui transmettre le dossier.
Nonagénaire, Robert Sabatier décède en 1990,
non sans avoir déclaré « assumer l’entière responsabilité de la répression anti-juive » dans le ressort
de sa préfecture. La procédure est reprise par la
chambre d’accusation de Bordeaux. « Sans préjuger de sa culpabilité », elle rend le 27 juin 1996 à
rencontre de Maurice Papon un arrêt que la Cour
de cassation valide le 23 janvier 1997.
Le tribunal
Le 8 octobre 1997, Maurice Papon est enfin
devant ses juges. La salle est comble. En face de
lui, sous les ors du tribunal de Bordeaux, trônent
le procureur général Henri Desclaux et l’avocat
général Marc Robert, grand connaisseur de l’administration sous Vichy. À sa gauche, une vingtaine d’avocats des parties civiles, parmi lesquels
le bouillant Arno Klarsfeld et trois « piliers » du
dossier : Mes Gérard Boulanger, Michel Zaoui et
Alain Lévy. Aux côtés de Papon, un jeune avocat
de vingt-neuf ans, Francis Vuillemin. En contrebas, le second avocat de la défense, Me JeanMarc Varaut. Plus loin, à gauche encore, derrière
la foule des parties civiles d’où émaneront régulièrement les exclamations de Michel Slitinsky et
de Maurice-David Matisson, les deux hommes
qui ont initié la procédure, se tient le public,
essentiellement composé des familles des vicdownloadModeText.vue.download 189 sur 361
JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
188
times. Plus haut, au niveau des écrans où seront
projetées les pièces du dossier, quarante journalistes se serrent au « poulailler ». Au milieu de la
salle, le dossier. Un monstre de 30 000 pages que
manipulera un appariteur. Enfin, à la droite de
l’accusé, le président Jean-Louis Castagnède, en
col d’hermine, entouré de quatre assesseurs. Et
des neuf jurés populaires.
De ces neuf jurés, cinq hommes et quatre
femmes, aucun n’a vécu les années noires de
l’Occupation. Six d’entre eux ont moins de quarante ans. Il y a là un vendeur, un électrotechnicien, un comptable, un employé, un chef du personnel. Le plus jeune est un maître auxiliaire de
vingt-cinq ans. Que retiendront-ils de ce procès
marathon, auquel ils seront associés pendant de
longs, d’interminables mois ? Le mini-scandale
qui éclatera au deuxième jour du procès lorsque,
à la suite de l’habile dramatisation de l’état de
santé de Maurice Papon orchestrée par Me Varaut, la cour ordonnera la mise en liberté, Maurice
Papon pouvant désormais comparaître libre ? Le
calme apparent de celui-ci au cours de la lecture
du très long acte d’accusation ? La façon quasi
rituelle avec laquelle il placera méthodiquement sur le pupitre de son box, à chaque début
d’audience, son sous-main en cuir, ses piles
pour Sonotone, ses blocs-notes, ses chemises
cartonnées, ses lunettes à monture d’écaillé ?
Sans nul doute se souviendront-ils longtemps
des suspensions d’audience répétées dues aux
problèmes de santé récurrents de l’accusé. Elles
feront de l’affaire Papon le procès le plus long
que la France ait jamais connu. Ils retiendront
les plaidoiries sans fin de certains avocats, leurs
querelles picrocholines, leurs effets de manches
devant les caméras. Ils garderont pareillement
en mémoire certaines récupérations médiaticopolitiques. La façon dont, à la fin octobre, le président du RPR profita du procès pour défendre le
gaullisme et mobiliser ses troupes à l’approche
des élections régionales, par exemple.
Le procès d’un « fonctionnaire »
Mais que retiendront-ils de « l’exceptionnelle
leçon d’histoire » appelée de ses voeux par le
président Castagnède ? Le défilé impressionnant, interminable de fonctionnaires, d’anciens
ministres, de résistants appelés à la barre, chacun insistant peu ou prou sur le chaos de 1940,
le désarroi d’une population affamée, privée de
tout ? Les explications, parfois laborieuses mais
toujours éclairantes, des historiens Robert Pax-
ton, Jean-Pierre Azéma, Marc-Olivier Baruch, ou
Michel Bergès, ce dernier affirmant que Papon
jouait à Bordeaux un « rôle secondaire », après
avoir contribué à alimenter le dossier à charge ?
Tous insisteront sur la responsabilité de Vichy
dont les lois anti-juives avaient « anesthésié les
fonctionnaires ». Les jurés noteront-ils également
l’application, la minutie, voire l’entêtement, avec
lesquels le président Jean-Louis Castagnède,
totalement oublieux du temps, alignera les
nombreux documents d’archives et disséquera
les paroles de l’accusé, afin de tenter de démontrer la prépondérance du service des questions
juives de la préfecture dès les premières arrestations de juillet 1942 ? À la mi-décembre, après
deux mois d’audience, viendront les premiers
noms, les drames personnels, les témoignages
des rescapés et de leurs familles, sobres et poignants. Parfois déchirants, « Je m’incline avec
respect devant M. Librach », dira Maurice Papon à
l’issue du récit du cousin de Léon Librach, transféré à Drancy sur son ordre. Mais jamais il n’exprimera de remords quant à son attitude.
Dès les premiers jours, Me Jean-Marc Varaut
plaidera l’acquittement. Sa ligne de défense ne
variera plus d’un pouce : « Comment condamner
un homme qui a obéi à la loi, alors que le gouvernement ne peut pas l’être ? » À travers le procès
de Maurice Papon, celui de la haute fonction
publique du gouvernement de Vichy se dessinera peu à peu. « J’étais un intermédiaire », un
« rouage », « j’ai agi sur ordre », répétera inlassablement l’accusé. Jamais il ne remettra en cause
les procédures, les ordres, les règles « édictées
par d’autres ». Il se contentera de leur trouver une
« diligence inopportune ». Un fonctionnaire est-il
responsable pénalement de ses actes ? « Mieux
valait alimenter les fichiers, répondra-t-il curieusement un jour, que laisser les gens dans l’illégalité se laisser ramasser par les Allemands. » Au
fond, cet homme de quatre-vingt-sept ans, qui,
malgré son état de santé précaire, se défendra
pendant des mois avec la dernière énergie, cet
homme hautain, cassant, attentif, ergotant sur
un point de droit, une peccadille, ne fait-il pas
un coupable idéal ? Ce sera aux jurés de puiser
dans leur intime conviction pour le dire. Ils ne
jugeront ni Klaus Barbie ni René Bousquet, mais
un fonctionnaire. Un fonctionnaire ordinaire et
zélé. Trop zélé ? Tard dans la journée, alors que
tout le monde est parti, on rapporte que Maurice
Papon s’attarde souvent dans la salle des assises,
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
189
annotant ses dossiers de son écriture ronde. Ver
dict au printemps 1998.
J.-F. P
L’homme
L’avant-guerre
– 3 septembre 1910 : naissance à Gretz,
Seine-et-Marne.
– 1924-1929 : élève à Louis-le-Grand, Paris.
– Mai 1935 : reçu au concours de rédacteur
au ministère de l’Intérieur.
– Juin 1936 – mars 1938 : attaché au
cabinet du sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil (gouvernements Blum et
Chautemps).
La guerre
– 1939-1940 : mobilisé au 2e régiment
d’infanterie coloniale. Puis affecté comme
sous-chef de bureau à l’administration
centrale.
– Février 1941 : sous-préfet de 1e classe.
– Mai 1942 : secrétaire général de la préfecture de Bordeaux et directeur de cabinet du
préfet Sabatier.
– Juillet 1942 : premières rafles effectuées
par la police française sur ordre des
autorités allemandes. Au total, 76 000 des
300 000 Juifs de France seront déportés
entre juillet 1942 et mai 1944.
– Août 1944 : préfet des Landes et directeur de cabinet du commissaire de la
République nommé par le Gouvernement
provisoire.
L’après-guerre
– Octobre 1945 : chargé de mission à la
sous-direction de l’Algérie au ministère de
l’Intérieur.
– Janvier 1947 : préfet de la Corse.
– Octobre 1949 : préfet de Constantine.
– Octobre 1951 : secrétaire général de la
préfecture de police de Paris.
– 1954-1958 : nouvelles missions à Constantine, en Algérie, au Maroc.
– Mars 1958 – janvier 1967 : préfet de
police de Paris.
– Janvier 1967 : P-DG de Sud Aviation.
– Juin 1968, député UDR (droite gaulliste)
du Cher. Réélu en 1973 et 1978.
– Avril 1978 – mai 1981 : ministre du Budget
du 2e gouvernement Barre.
L’affaire
Mai 1981 : révélations de l’hebdomadaire le
Canard enchaîné.
Décembre 1981 : un jury d’honneur estime
que Maurice Papon aurait dû « démissionner de ses fonctions en juillet 1942 ».
Dépôt des premières plaintes de parents de
déportés.
Janvier 1983 : inculpation de Maurice
Papon pour crime contre l’humanité.
Février 1987 : la Cour de cassation annule
une partie de l’instruction pour vice de
procédure.
Juillet 1988 : première inculpation de Maurice Papon pour crime contre l’humanité.
Octobre 1990 : nouvelle inculpation pour
crime contre l’humanité.
Juin 1992 : troisième inculpation pour
crime contre l’humanité.
Décembre 1995 : le parquet général de la
chambre d’accusation de la cour d’assises
de Bordeaux requalifie l’inculpation en
« complicité de crime contre l’humanité ».
Septembre 1996 : la cour d’assises de Bordeaux est déclarée compétente pour juger
Maurice Papon.
Octobre 1997 : début du procès.
13 octobre : l’accusé obtient de comparaître libre au procès.
Fin décembre : le procès s’enlise...
Au commencement, le procès était prévu
pour une durée de trois mois. Celle-ci était
déjà considérée comme particulièrement
longue au regard des procès de personnalités jouissant pourtant d’une tout autre « stature historique » et dont la responsabilité
pour crime contre l’humanité apparaissait
plus nettement. Il fallut trois semaines pour
juger Philippe Pétain en 1945, huit semaines
pour Klaus Barbie en 1987 et six pour Paul
Touvier en 1994. Pourtant, il faudra sans
doute six mois pour juger Maurice Papon.
Dès le mois de décembre, de suspensions en
audiences interminables, le procès menaçait
de s’enliser dangereusement. Ce n’est d’ailleurs qu’à cette date, soit deux mois après
son ouverture, que les audiences détaillaient
enfin les charges pesant sur l’accusé ! Conséquence inattendue de cette « routinisation »
procédurale : une deuxième cour d’assises
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190
sera mise en place à Bordeaux au début
1998 afin déjuger la cinquantaine d’affaires
criminelles qui attendent depuis l’automne.
9
France
Lionel Jospin favorable aux fonds de
pension.
Le Premier ministre indique que le gouvernement
étudie la possibilité de créer des fonds de pension.
Jusqu’alors le PS s’était opposé à ces formes d’assurance privée et à toute forme de retraite par capitalisation et avait enterré la loi présentée en début d’année par le député UDF Jean-Pierre Thomas. M. Jospin
justifie ce revirement par la nécessité de renforcer
l’épargne et le marché des actions afin de relancer
l’investissement des entreprises.
France
Toyota à Valenciennes.
Le constructeur japonais, troisième constructeur
automobile au monde, choisit le nord de la France
pour installer sa nouvelle usine d’assemblage : un
investissement de 3,5 milliards de francs (pour environ 300 millions d’aides publiques françaises) pour
une production de 100 000 véhicules par an à partir
de 2001. L’implantation devrait créer 2 000 emplois
directs et près de 3 000 emplois induits, une vraie
manne pour cette région fortement touchée par
le chômage. Le site de Valenciennes a été choisi de
préférence à des sites en Grande-Bretagne ou en
Pologne. La décision de Toyota s’explique par les qualités de l’infrastructure locale, l’implantation au coeur
de l’Europe et par la volonté de conquérir le marché
français, le deuxième de l’UE, en « francisant » le prochain modèle construit à Valenciennes. Le gouvernement se félicite de cette décision qui lui permet
de dire que la future législation sur les 35 heures
n’effarouche pas les grands investisseurs étrangers.
Les constructeurs français s’inquiètent de ce revirement complet de la position française face aux implantations japonaises et prédisent que les emplois
créés à Valenciennes se traduiront à terme par des
débauchages dans plusieurs usines françaises du
secteur, qui auront tendance à se délocaliser encore
davantage.
10
France
Élections prud’homales.
Marquées par un taux d’abstentions record (34,4 %
seulement de votants), les élections prud’homales
se caractérisent par une stabilité d’ensemble des
positions acquises : la CGT demeure la première
centrale syndicale représentée dans les juridictions
du travail avec 33,11 % des voix ; elle devance la
CFDT (25,35 % des suffrages), qui est la seule grande
centrale à progresser par rapport au scrutin de 1992
(+ 1,5 %) et FO (20,55 %). Les listes proches du Front
national recueillent en moyenne 6,5 % des voix là
où elles étaient présentes et obtiennent un total de
17 sièges sur un total de 7 169. Ces résultats, même
s’ils peuvent s’expliquer par une insuffisante mobilisation des électeurs et par une organisation matérielle des bureaux de vote parfois défaillante, signifient un recul de l’audience globale des syndicats, qui
ne réunissent que 5 % des salariés du privé et 9 % de
l’ensemble des personnes actives.
11
Environnement
Fin de la conférence de Kyoto.
Après onze jours de négociations houleuses, les représentants des 159 nations participantes à la conférence sur les Changements climatiques achèvent
leurs travaux sur un compromis : les 38 pays industrialisés – et seulement eux – s’engagent, d’ici à 2012,
à diminuer de 5,2 % en moyenne leurs émissions de
gaz à effet de serre. Si rien ne change, les spécialistes
estiment que la température moyenne du globe
devrait monter de 1 à 5 degrés Celsius en un siècle ;
plus cette hausse serait forte, plus les conséquences
(tempêtes, sécheresses, inondations, disparitions
de terres littorales, de deltas et de petites îles) en
seraient incontrôlables. Selon eux, pour obtenir une
vraie disparition du risque, il faudrait une baisse de
70 % des émissions de gaz ; la baisse de 5,2 % ne fait
que repousser de quelques années la date à laquelle
le seuil de sécurité sera atteint. Les oppositions ont
été particulièrement marquées entre Américains –
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
191
qui souhaitaient seulement stabiliser à leur niveau
actuel les niveaux d’émission – et Européens – qui
voulaient une diminution de 15 %. Les Américains
souhaitaient également que soit mis sur pied un système de « permis négociables » de polluer, c’est-àdire l’organisation d’un marché de droits d’émissions
supplémentaires achetés par les pays fortement pollueurs auprès de pays faiblement émetteurs de gaz
à effet de serre. Les Européens et les pays en voie de
développement se sont associés pour, sinon contrer
cette proposition, du moins en diminuer fortement
les effets.
Espagne
Assassinat par l’ETA.
Un conseiller municipal d’Irun est abattu par l’organisation séparatiste basque. Des dizaines de milliers
de personnes manifestent leur indignation à SaintSébastien et à Bilbao.
Grande-Bretagne
Rencontre entre Tony Blair et Gerry
Adams.
Pour la première fois depuis soixante-seize ans, le
Premier ministre britannique rencontre un dirigeant
républicain irlandais. Cette entrevue historique, qui
n’a pas été photographiée, marque à la fois la volonté de M. Blair de trouver une solution au problème
de l’Ulster et la confiance retrouvée du Sinn Féin, le
parti de M. Adams, qui a pu surmonter les menaces
de scission. Dans les jours qui suivent, de violentes
échauffourées opposent à Londonderry, deuxième
ville d’Ulster, des manifestants catholiques, ulcérés
par les provocations d’extrémistes protestants, à la
police.
Iran
Fin de la conférence islamique.
À l’issue de trois jours de travaux, la conférence islamique, qui a réuni dans la capitale iranienne les représentants de 55 États musulmans, s’achève sur une
condamnation très ferme d’Israël et de sa politique
de remise en cause du processus de paix israélo-palestinien. La tenue de cette conférence constitue un
succès pour Téhéran, qui a réussi à réunir l’ensemble
des États musulmans, même ceux qui, comme l’Arabie saoudite, sont réputés proches des États-Unis.
A contrario, la conférence constitue un revers pour
Washington, qui paye ainsi l’indécision de sa politique au Proche-Orient. Par ailleurs, la conférence
est aussi le théâtre de l’opposition entre la ligne
« libérale » du président Mohamad Khatami et celle,
très anti-occidentale, du guide de la révolution, Ali
Khamenei.
12
France
Fin de la grève à France 3.
En grève depuis le début du mois, les salariés de la
chaîne publique reprennent le travail après avoir
obtenu satisfaction sur l’ensemble de leurs revendications : garanties sur les emplois menacés par les
nouvelles technologies et sur les productions de programmes régionaux, rattrapage des salaires par rapport à ceux de France 2. Cette grève qui aura coûté
à la chaîne près de 60 millions de francs de pertes
de ressources publicitaires, fait apparaître un certain
décalage entre les revendications des équipes régionales et celles des équipes nationales.
Mauritanie
Réélection de Maaouiya Ould Taya.
Le président sortant, au pouvoir depuis 1984, est
réélu à la tête de l’État mauritanien avec 90 % des
voix. L’opposition dénonce une fraude massive lors
de cette élection.
UE
Compromis sur la monnaie et sur les
nouveaux membres.
Réunis à Luxembourg, les dirigeants des Quinze parviennent une nouvelle fois à un compromis sur la
mise en place du Conseil de l’euro, c’est-à-dire l’institution chargée de résoudre les problèmes posés
par la nouvelle monnaie commune. Les pays qui
ne participeront pas à cette entreprise à partir de
1999 – soit faute de correspondre aux critères exigés,
comme la Grèce, soit par refus de principe, comme
le Danemark, la Grande-Bretagne et la Suède – souhaitaient cependant être associés à ce conseil, ce à
quoi la France, notamment, s’opposait en rappelant qu’on ne pouvait à la fois refuser de participer
à un processus et vouloir en contrôler l’exercice. Il a
été finalement décidé que les « in » informeront les
« out » de leurs ordres du jour et que les « out » pourront alors faire savoir qu’ils considèrent telle ou telle
question comme « étant d’intérêt commun » ; dans ce
cas, elle pourra être abordée dans le cadre du groupe
Ecofin. Par ailleurs, il a été décidé que des négociadownloadModeText.vue.download 193 sur 361
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192
tions en vue de leur adhésion prochaine à l’Union
seront ouvertes avec Chypre, l’Estonie, la Hongrie, la
République tchèque et la Slovénie. Des pré-négociations seront ouvertes également avec la Bulgarie, la
Lettonie, la Lituanie, la Roumanie et la Slovaquie. La
Turquie demeure, pour l’instant, exclue des candidatures à l’adhésion.
14
Chili
Reconduction de la majorité
de centre gauche.
La Concertation démocratique du président Eduardo Frei conserve la majorité avec 50,54 % des voix et
70 sièges sur 120 à l’Assemblée nationale. L’opposi-
tion de droite progresse de 3 % et garde la majorité
au Sénat, où entre l’ancien dictateur Augusto Pinochet. Grâce au système constitutionnel qu’il a mis
en place, le général Pinochet et ses amis de la droite
conservatrice continuent de contrôler de près l’action de l’exécutif et bloquent tout projet de réforme
de la Constitution.
16
France
Condamnation
d’Henri Emmanuelli.
La Cour de cassation confirme la condamnation à
18 mois de prison avec sursis et à deux ans de privation de ses droits civiques du député des Landes
dans le cadre de l’affaire Urba. Il était reproché à
M. Emmanuelli d’avoir couvert, alors qu’il était trésorier du PS à la fin des années 80, les agissements de
ce bureau d’études qui servait de pompe à finances
pour le parti. Soulignant que le délit d’enrichissement
personnel n’était en aucun cas constitué, les responsables socialistes proclament leur solidarité envers le
député et président de la commission des Finances
à l’Assemblée nationale. François Hollande, premier
secrétaire du PS, envisage de solliciter la grâce présidentielle. Craignant qu’une telle procédure serve de
prétexte à de nouvelles diatribes de l’extrême droite
envers le système, M. Emmanuelli préfère démissionner aussitôt.
France
Ernest-Antoine Seillière élu à la tête du
CNPF.
Succédant à Jean Gandois, M. Seillière est désigné
à la tête de l’organisation patronale avec 82 % des
voix. Âgé de soixante ans, le nouveau président est
un héritier de la famille de Wendel, la grande dynastie
des maîtres des forges lorrains. Ancien élève de l’ENA,
il commence sa carrière au ministère des Affaires
étrangères, où il partage un bureau avec Lionel Jospin. Après un passage par les cabinets ministériels,
dont celui de Jacques Chaban-Delmas, il entre en
1976 dans les affaires familiales, à la tête de la holding
CGIP, qu’il développe avec succès. Opposant résolu
à la loi sur les 35 heures, il déclare vouloir s’opposer
frontalement au gouvernement.
République tchèque
Josef Tosovsky nouveau Premier
ministre.
Le président Vaclav Havel désigne le gouverneur de
la Banque centrale tchèque pour succéder à Vaclav
Klaus à la tête du gouvernement. Ce choix est salué
par la quasi-unanimité de la classe politique, à l’exception de M. Klaus. Selon les observateurs, M. Tosovsky ne devrait être qu’un chef de gouvernement
par intérim avant les prochaines élections qui, selon
toute vraisemblance, devraient intervenir avant le
30 juin 1998.
17
Afrique du Sud
Thabo Mbeki élu à la tête de l’ANC.
Jusqu’alors vice-président de la République,
M. Mbeki succède à Nelson Mandela aux commandes du Congrès national africain. Âgé de cinquante-cinq ans, Thabo Mbeki est le fils d’un des
plus anciens compagnons de M. Mandela. Pendant
près de trente ans, il a assumé des tâches de représentation internationale au sein de l’ANC. Sa carrière
s’est accélérée après la fin de l’apartheid. En 1994,
il accède à la vice-présidence en éliminant Cyril
Ramaphosa, ancien secrétaire général du syndicat
des mineurs. Apprécié pour son intelligence et son
savoir-faire, M. Mbeki souffre cependant d’un déficit
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
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d’image auprès des masses noires les plus déshéritées. Il devra sans doute faire face à l’opposition de
Winnie Mandela, l’ex-femme du président, qui a été
écartée de la vice-présidence, mais qui entend bien
utiliser sa popularité au sein de la fraction défavorisée de la population.
France
Adoption de la loi sur l’immigration.
Par 276 voix contre 254 (les communistes et les
Verts s’étant abstenus, jugeant le texte trop timide),
le projet de loi sur l’immigration est adopté en première lecture à l’Assemblée nationale. Les principales
dispositions du texte concernent : l’affirmation du
droit d’asile, la motivation du refus des visas par les
consulats, la suppression des certificats d’hébergement, les titres de séjour (de dix ans pour les retraités, de un an pour les chercheurs et pour toutes les
personnes ayant des « liens personnels et familiaux
en France ») et des assouplissements sur les mariages « mixtes », le regroupement familial, les droits
sociaux et l’interdiction du territoire pour les étran-
gers condamnés. La droite sénatoriale demande au
président Jacques Chirac d’organiser un référendum
sur la nationalité, ce qui, constitutionnellement, est
impossible, l’article 11 de la Constitution excluant du
champ référendaire les questions relatives aux libertés publiques. Il s’agit en réalité, pour l’opposition, de
retarder l’adoption des textes sur la nationalité et sur
l’immigration afin de conserver un thème de débat
mobilisateur à droite d’ici aux élections régionales du
printemps 1998.
18
Bosnie
Arrestation de deux criminels de
guerre.
Deux Croates de Bosnie recherchés pour « nettoyage
ethnique » par le Tribunal pénal international de La
Haye (TPI) sont arrêtés par un commando occidental dans la zone contrôlée par les Britanniques. Une
liste de 52 Serbes et 3 Croates recherchés par le TPI
est officiellement publiée. L’opération fait suite à une
semaine de polémiques durant laquelle le procureur de La Haye, Louise Arbour, avait reproché aux
troupes internationales, notamment françaises, de
ne pas chercher réellement à mettre la main sur ces
personnes dont l’identité et la domiciliation sont
connues. Le même jour, Bill Clinton annonce le maintien des troupes américaines en Bosnie après la date
d’expiration du mandat de la force de stabilisation
(SFOR), en juin 1998.
Corée du Sud
Victoire du candidat d’opposition.
Kim Dae-jung, chef du Parti démocrate, est élu chef
de l’État avec 40,3 % des voix, contre le candidat officiel, Lee Hoi-chang, crédité de 38,7 % des suffrages.
C’est la première fois depuis 1948, date de la fondation de la République, que la présidence du pays
échappe au parti gouvernemental. De tendance sociale-démocrate, Kim Dae-jung a été élu avec l’appui
du centre droit, ce qui diminuera d’autant sa marge
d’action. Âgé de soixante-treize ans, il s’est déjà présenté trois fois aux élections présidentielles (en 1971,
1987 et 1992), a été emprisonné plus de six ans, exilé
aux États-Unis, deux fois menacé d’assassinat et une
fois condamné à mort. De formation commerciale,
il s’est lancé dans la vie politique en luttant pour les
libertés publiques et en appuyant le combat des
étudiants. Ces dernières années, il a recentré son
discours en acceptant le principe de l’économie de
marche, mais en continuant de prôner l’État de droit
et une politique sociale. Il aura fort à faire dans un
pays très gravement touché par la crise financière
et face à un Parlement dominé par l’ancien parti
gouvernemental.
21
Serbie
Élection de Milan Milutinovic.
Le candidat de Slobodan Milosevic (qui ne pouvait
constitutionnellement se présenter une troisième
fois) est élu à la présidence de la République serbe.
Il l’emporte avec près de 60 % des voix sur le leader
d’extrême droite Vojislav Seselj. Le taux de participation est tout juste supérieur à 50 % ; ce chiffre
n’avait pas été atteint lors du précédent scrutin en
octobre, ce qui avait obligé les autorités à organiser
de nouvelles élections. Âgé de cinquante-cinq ans,
M. Milutinovic était ministre des Affaires étrangères
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de la Serbie depuis 1995. À ce titre, il avait participé
aux négociations de Dayton.
22
Mexique
Massacre d’Indiens au Chiapas.
45 Indiens Tzotzils sont tués et 25 autres blessés
dans le village d’Acteal, au Chiapas, cette région du
Mexique où s’est développée, depuis 1994, la rébellion de l’Armée zapatiste de libération nationale
(AZLN). On soupçonne des Indiens liés au Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, au pouvoir) d’avoir assassiné des victimes connues pour être favorables à
l’AZLN. L’opposition reproche aux autorités de ne pas
avoir agi à temps et réclame la démission du ministre
de l’Intérieur. Craignant des représailles, des centaines d’Indiens des deux bords politiques quittent
leurs villages.
24
France
Condamnation à perpétuité du
terroriste Carlos.
Illitch Ramirez Sanchez, dit Carlos, le terroriste d’origine vénézuélienne, est condamné à la réclusion à
perpétuité pour le meurtre à Paris, en 1975, de deux
inspecteurs de police venus l’arrêter et de leur infor-
mateur libanais. Carlos, qui avait été extradé du Soudan en 1994, devrait passer de nouveau en procès en
1998 pour d’autres actes de terrorisme commis sur
le sol français.
25
Algérie
Intensification des violences.
À l’approche du ramadan, les tueries contre la population civile redoublent d’intensité. On déplore la
mort de plus de 200 personnes, dont de nombreux
enfants, massacrées en une semaine. L’attribution
par le Parlement de Strasbourg d’un prix des droits
de l’homme à une journaliste algérienne, favorable
à une solution négociée à la crise, est vivement critiquée par les autorités d’Alger.
France
Mesures en faveur de certaines
catégories de chômeurs.
Faisant suite aux mouvements de protestation d’associations de chômeurs qui réclament une prime de
Noël de 3 000 F pour tous les sans-emploi, le gouvernement prend les mesures suivantes : une circulaire
demandant aux préfets d’apporter une aide exceptionnelle aux personnes les plus en détresse ; l’allocation de 1 500 F supplémentaires pour les chômeurs
de plus de cinquante-cinq ans ayant cotisé plus de
40 ans ; une revalorisation de 3 % de l’allocation de
solidarité spécifique. Les chômeurs en lutte estiment
que ces mesures sont insuffisantes et continuent
leurs occupations d’antennes d’Assedic. Un sondage
indique que 63 % des Français interrogés comprennent le mouvement des chômeurs.
28
Grande-Bretagne
Violences en Irlande du Nord.
Faisant suite a plusieurs échauffourées, la violence
monte d’un cran en Ulster : un leader extrémiste protestant est assassiné en prison par des militants catholiques ultras et, en représailles, une discothèque
fréquentée par des catholiques est mitraillée, ce qui
provoque la mort d’une personne. Malgré la tension,
les organisations modérées catholiques et protestantes appellent à la continuation du processus de
négociation.
30
Serbie
Manifestation au Kosovo.
Plusieurs milliers d’étudiants manifestent à Pristina
pour réclamer un enseignement en albanais, la majorité de la population de cette province sous contrôle
serbe étant de culture albanaise. La police réprime
sévèrement la manifestation.
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195
Dossiers
Art et
Culture
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
196
La rétrocession
de Hongkong à
la Chine
Cent jours après la rétrocession
de Hongkong à la Chine, le
chief exécutive du territoire
réaffirmait solennellement que
d’ici une décennie, les Hongkongais
pourraient élire au suffrage
universel aussi bien leurs députés
que le chef du gouvernement
local. Lointaine perspective... En
attendant, les affaires continuent,
vaille que vaille.
Depuis plus de deux ans, une horloge digitale avait été installée
sur la façade du musée de la
Révolution, place Tian’anmen, à
Pékin. Elle égrène les minutes et les secondes
séparant les habitants de la capitale chinoise
de la restitution de Hongkong à la mère patrie
de Hongkong ; Hongkong dernière possession
britannique en Asie. Lorsque, quelques instants
avant minuit, le lundi 30 juin 1997, l’Union Jack
et le drapeau colonial ont été amenés et remplacés par le drapeau rouge de la République
populaire de Chine, les dizaines de milliers de
spectateurs massés sur la place ont laissé éclater leur joie. Dans le même temps, Chris Patten,
dernier gouverneur britannique du territoire,
adressait un câble à Londres : « Je renonce à
l’administration de ce gouvernement. God save
the Queen. »
Préparée de longue date, la rétrocession
s’est déroulée selon un cérémonial compassé,
mais sans incidents. Tandis que M. Patten et le
prince Charles, spécialement débarqué d’un
navire de guerre pour l’occasion, assuraient
les Hongkongais que le gouvernement britannique demeurerait soucieux de leur destin,
le président Jian Zeming, chef du gouvernement continental, réaffirmait l’engagement
pris par les autorités chinoises de conserver à
Hongkong son statut de port franc, de centre
financier, commercial et maritime, conformément à la doctrine « un pays, deux systèmes ».
Boycottées par le Premier ministre britannique
Tony Blair et par le chef de la diplomatie américaine Madeleine Albright en raison de la dissolution par Pékin du Conseil législatif élu sous les
Britanniques, les cérémonies d’intronisation du
nouvel homme fort du territoire, le tycoon Tung
Chee-hwa se sont déroulées loin des foules qui
avaient envahi les rues, hésitant entre doute et
excitation. Peu avant minuit, le porte-parole
des démocrates hongkongais, l’avocat Martin Lee, s’était adressé du haut du balcon du
Conseil législatif à une foule de quelques milliers de fidèles, rappelant que la Chine ne serait
vraiment « une grande nation » que lorsque « les
droits de chaque individu seraient respectés ».
Six heures après la rétrocession du territoire,
quelque 4 000 soldats chinois y pénétraient,
s’installant dans les casernes abandonnées par
les troupes britanniques.
Le 1er juillet, les nouvelles autorités célébraient dans le faste leur installation en faisant tirer à Hongkong un gigantesque feu
d’artifice – festivités à peine troublées par une
maigre manifestation (autorisée) de l’opposition démocratique. Puis, rapidement, une fois
que l’immense majorité des 8 000 journalistes
venus « couvrir » l’événement fut repartie, les
Hongkongais sont retournés à leur labeur et à
leurs affaires, tandis que les nouvelles autorités
s’efforçaient à la discrétion.
Cent cinquante-six ans
de présence britannique
Au terme de la première guerre de l’Opium
(1840-1842), l’île de Hongkong est cédée à
perpétuité à la Couronne britannique par
l’empereur de Chine. En 1860, le traité de Pékin
stipule l’abandon de la péninsule de Kowloon
au Royaume-Uni, puis, en 1898, les « Nouveaux Territoires » sont cédés par bail, pour
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
197
une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans. En
1941, les Japonais s’emparent de Hongkong
et y demeurent jusqu’à la fin de la guerre. En
1984, Hongkong, devenue la seconde place
financière d’Asie, fait l’objet d’une déclaration conjointe de Margaret Thatcher, Premier
ministre britannique, et du gouvernement
chinois : la rétrocession de la colonie à la
Chine est annoncée pour le 30 juin 1997, date
d’expiration du bail de quatre-vingt-dix-neuf
années. L’accord prévoit l’instauration d’un
statut de Région administrative spéciale (RAS)
pour les cinquante années à venir. En 1992,
Chris Patten est nommé gouverneur de Hongkong, qu’il va s’efforcer, non sans arrièrepensées, de transformer en « vitrine démocratique » face à la Chine communiste.
Des lendemains incertains
Les observateurs s’accordent pour considérer qu’un assez long délai – deux ans au
moins – sera nécessaire pour que retombe la
« poussière » de la rétrocession et que se dessinent clairement les nouvelles perspectives
de l’ancienne colonie – en matière de libertés
publiques, d’économie et du point de vue des
relations avec la puissance continentale. Au
cours des mois suivants la rétrocession, néanmoins, quelques signes sont venus donner le
ton de ce qui s’annonçait pour le proche avenir.
Avant leur départ, soucieux de planter
quelques banderilles démocratiques dans le
flanc de la puissance appelée à leur succéder,
les Britanniques ont fait adopter par le Parlement différents textes législatifs destinés à la
protection des travailleurs. Il s’agissait de lois
portant sur la notion de négociation collective
des salaires, instituant la protection des droits
syndicaux ou réglementant l’utilisation de
fonds financiers collectifs à des fins politiques.
Deux semaines après le retour à la Chine, les
nouvelles autorités ont indiqué clairement
qu’elles n’entendaient pas se laisser lier les
mains par une législation sociale susceptible
de nuire à la « compétitivité » de Hongkong.
Elles ont suspendu les trois textes portant sur
la législation du travail. Il apparaît ainsi que l’alliance conclue entre les milieux d’affaires appelés à prendre la relève des Britanniques et Pékin
ne saurait être perturbée par quelque legs que
ce soit de l’ultime et paradoxal épisode « colonial-démocratique » de l’histoire de l’ancienne
possession.
Dans l’esprit des nouveaux maîtres, Hongkong ne doit en aucun cas devenir un foyer
de contestation sociale ou politique, susceptible d’« infecter » les territoires proches,
vecteurs de l’essor économique de la Chine
continentale.
Au reste, les nouvelles autorités s’efforcent
d’entretenir parmi la population davantage le
sentiment de la continuité que celui de l’ordre
nouveau : les 4 000 soldats de l’armée populaire de libération casernes dans le territoire ne
circulent pas en ville, et l’effectif des troupes
stationnées de l’autre côté de l’ex-frontière et
appelées à intervenir en cas de troubles demeure secret. En ville, les nombreuses petites
manifestations habituelles (organisées par les
démocrates, les militants syndicaux...) sont
autorisées. Les médias qui, certes, ont appris à
se discipliner lors des derniers temps de l’occupation britannique ne subissent pas de pressions directes. Enfin, les Églises chrétiennes,
très présentes à Hongkong (on estime à un
demi million de personnes le nombre de leurs
fidèles sur le territoire), n’ont pas vu jusqu’alors
leur liberté d’expression menacée : la Fédération luthérienne mondiale a tenu, à la fin de
juillet 1997, sa neuvième assemblée mondiale
sans que cela n’ait suscité de tensions avec la
nouvelle Administration. Aussi longtemps que
ne sont pas abordées dans l’espace public les
questions sensibles de la répression au Tibet,
du massacre de la place Tian’anmen ou de la
souveraineté de Taïwan, les autorités semblent
décidées à laisser persister une certaine liberté
de ton. Dès avant le 1er juillet, le nouvel administrateur Tung Chee-hwa ne s’était-il pas
engagé « à respecter les droits et les libertés des
Hongkongais », et, de surcroît, à organiser des
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
198
élections démocratiques pour le renouvellement du Parlement local dès mai 1998 ?
Plus discrètement, donc, ce sont d’autres
signes, faisant référence au passé, qui sont venus rappeler qu’une page s’est tournée : pour
la première fois depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale, la date anniversaire de la capitulation japonaise n’a pas été commémorée
à Hongkong, au mois d’août. On peut y voir,
de la part des nouvelles autorités, une attention à l’endroit du puissant voisin japonais qui
a adopté une attitude compréhensive à l’égard
de Pékin à propos du dossier honkongais, et
qui est le premier investisseur étranger dans
l’ancienne colonie. Dans le même sens, c’est
avec un certain faste qu’a été célébré à Hongkong, le 1er octobre 1997, le 48e anniversaire
de la fondation de l’État communiste chinois :
on a pu y voir Tung Chee-hwa, radieux, passer
en revue des rangées d’étudiants agitant des
drapeaux de la Chine populaire, tandis que
l’orchestre de la police exécutait la Marche des
volontaires.
Une population peu concernée
La population de la colonie a accueilli avec
une grande prudence et une surprenante
froideur le retour du territoire dans le giron
de la Chine. Un sondage, réalisé le 30 juin
1997 par le centre de recherches sociales de
l’université de Hongkong, faisait ressortir
que 59,1 % des 546 personnes interrogées se
déclaraient « neutres » vis-à-vis du retour du
territoire sous souveraineté chinoise, tandis
que 29,1 % disaient éprouver un sentiment
positif et seulement 4,7 %, des sentiments
négatifs. Un autre sondage faisait apparaître que le Parlement, élu par la population
en 1995, jouissait d’un beaucoup plus grand
prestige que l’Assemblée désignée par Pékin
pour lui succéder : 62,5 % d’opinions favorables contre 19 %. Enfin, la cote de popularité du gouverneur sortant, Chris Patten
(54 %), dépassait celle de son successeur
Tung-Chee-hwa (47 %), magnat du commerce maritime intronisé par le gouvernement chinois. Interrogée par un journaliste la
veille du rattachement, une caissière de supermarché résumait sans doute le sentiment
dominant parmi les petites gens : « Pour moi,
c’est un dimanche comme les autres. Pour célébrer ou déplorer quoi que ce soit, il faudrait
avoir eu son mot à dire ! »
Sceptiques et optimistes
Qu’en est-il désormais de l’avenir politique
et économique du territoire ? Pour certains,
le retour à la Chine signifie l’érosion rapide de
la situation d’exception qui rendit possible le
formidable essor économique de Hongkong.
L’arrivée d’un nombre toujours croissant de
Chinois de l’intérieur à Hongkong (on spécule
sur le chiffre de 50 000 par an) signifierait le
recul de la langue anglaise, l’affaiblissement
du statut de ville internationale de Hongkong
et, à terme, l’effacement de ce qui la distingue
d’une métropole en expansion comme Shanghai. La Région administrative spéciale (RAS)
perdrait progressivement son statut de point
de passage obligé pour l’exportation des marchandises chinoises et de lieu de transit pour
les investissements étrangers en Chine. « La rapidité du déclin de Hongkong pourrait surprendre
tout le monde », prédit un banquier occidental.
Certains indices tendent à accréditer cette
thèse : dès les lendemains de la rétrocession,
le tourisme local s’est effondré, les transactions
immobilières ont chuté de 40 %, l’activité de
la Bourse s’est ralentie ; signe avant-coureur
d’une dépression durable ou simple passage à
vide lié à la transition ?
D’autres observateurs, en effet, soulignent
la solide résistance du dollar de Hongkong
– dorénavant « protégé » par Pékin – à la
tourmente monétaire qui a secoué les marchés d’Extrême-Orient durant l’été 1997 ; ils
voient l’avenir de l’ex-colonie tout tracé : celui
d’une intégration économique à la Chine
continentale déjà largement acquise, portée
par l’ouverture accélérée du marché chinois.
L’interaction entre cette intégration rapide et
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
199
la poursuite du processus de réformes dans
l’État chinois dessinerait alors le chemin d’une
évolution de la RAS conforme au modèle
singapeurien. Le territoire se développerait
comme plaque tournante du miracle économique chinois, demeurant le carrefour des
investissements étrangers et des exportations continentales, processus piloté par un
pouvoir fort, assurant ordre et prospérité en
contrepartie d’une restriction draconienne
des libertés publiques...
L’avenir de l’ancienne colonie demeure,
plus que jamais, ouvert et incertain. Une telle
indétermination trouve son expression dans
la façon dont se perçoivent les habitants de
la cité : 60 % d’entre eux se refusent, au lendemain de la rétrocession, à se dire « fiers d’être devenus des citoyens chinois », 40 % se définissant,
tout simplement, comme des « citoyens de
Hongkong ». C’est que, note une intellectuelle
hongkongaise, « nous sommes certes une ville
peuplée de Chinois, mais nous n’avons jamais été
une ville chinoise »...
Changement et continuité
Sauf remise en cause par Pékin des engagements pris par l’Assemblée populaire de
Chine en avril 1990, la Région administrative
spéciale (RAS) conservera son autonomie
jusqu’à 2047, à l’exception de ce qui concerne
les affaires étrangères et la défense, du ressort
du gouvernement chinois. Le territoire sera
géré par le gouvernement de la RAS, choisi
par la population locale. Le pouvoir exécutif,
législatif et judiciaire demeure entre les mains
des autorités locales. Le gouvernement du
territoire demeure responsable de la politique
monétaire et fiscale. Pékin n’y lève pas l’impôt.
Hongkong reste un port franc et le territoire,
une zone douanière autonome. Les monnaies
de Chine populaire et de Hongkong sont toujours séparées. Le rattachement du dollar de
Hongkong au dollar américain n’est pas remis
en cause.
Le « poids » de Hongkong
D’une superficie de 1 000 kilomètres carrés,
Hongkong est formée par l’île du même nom,
la péninsule de Kowloon, les « Nouveaux Territoires » et de nombreux îles et îlots. Sa population est de 6,3 millions d’habitants ; 95 %
d’entre eux étant d’origine chinoise. Le produit
intérieur brut (PIB) par tête y est d’environ
24 000 dollars, contre moins de 400 dollars
dans le reste de la Chine.
Hongkong est la septième place boursière du
monde. 367 banques y sont implantées et la
capitalisation boursière y est de 3 000 milliards de francs (presque l’équivalent de la
place de Paris). Le dollar de Hongkong est
lié au dollar américain (1 dollar américain =
7,80 dollars de Hongkong), mais il est de plus
en plus tributaire de l’économie et des choix
politico-financiers de la Chine populaire.
Au cours des dernières années, Hongkong a
connu une rapide révolution industrielle : la
plupart des usines qui y étaient implantées
ont été délocalisées dans la « zone économique spéciale » de Shenzhen ; l’industrie
n’emploie plus que 370 000 personnes, contre
870 000 il y a deux décennies, et ne représente
que 9 % de son PIB. Durant ces mêmes années,
les liens économiques entre Hongkong et la
Chine continentale sont devenus toujours
plus étroits : 48 % des exportations chinoises
passent par Hongkong, et 60 % des investissements étrangers en Chine proviennent de
groupes de Hongkong.
ALAIN BROSSAT
Bibliographie
Après Hongkong : un pays, deux
systèmes. Philippe Le Corre, Autrement,
1997
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
200
Le grand virage
économique
d’Internet
L’extension d’Internet, irréversible,
repousse les frontières de la
communication, des loisirs et de
la culture, mais bouleverse aussi
l’organisation du travail avec l’essor
des réseaux privés Intranet pour
les entreprises, et détermine l’essor
d’un nouveau champ d’activité, le
commerce électronique, dont les
États-Unis entendent bien faire une
zone de libre-échange, un « duty
free » planétaire.
Les grands de la téléphonie, de
l’audiovisuel et de l’informatique
sont engagés dans une complexe
et effervescente bataille technologique. Le but est de diversifier l’accès au
réseau pour s’affranchir du micro-ordinateur
multimédia jusqu’à présent nécessaire aux
connexions. Des ordinateurs très « simplifiés »
et bon marché, les NC (Network Computers),
remplaceront les actuels PC, et Internet sera
très vraisemblablement également accessible
depuis les décodeurs des téléviseurs, les téléphones et de nombreux terminaux et appareils
domestiques. Ces ouvertures technologiques
vont conforter l’irrésistible extension du Web.
Certains comparent l’impact de cette révolution médiatique, au tournant de notre siècle, à
celle de l’avènement de l’imprimerie à la fin du
Moyen Âge. D’autres y voient la seconde révolution industrielle après celle du machinisme.
La mutation du Minitel vers Internet
Le gouvernement français a annoncé fin août
des mesures pour renforcer l’équipement des
écoles en ordinateurs multimédia et multiplier
les connexions à Internet. Le Premier ministre
a fermement incité France Télécom à « faire
évoluer le Minitel vers un terminal d’accès au
réseau ». Les options ne sont pas tranchées car
le Minitel, dont le principal handicap est d’être
fermé à l’international, bénéficie d’avantages
acquis : il rapporte 6,3 milliards de francs
dont la moitié reversée aux fournisseurs des
25 000 services proposés. Outre les utilisateurs
des 6,3 millions de Minitels, 1,3 million de possesseurs de micro-ordinateurs accèdent à ses
services.
Des logiciels d’accès au Minitel par Internet
sont déjà disponibles, comme France Explorer, qui fonctionne sur le même principe de
la tarification du kiosque selon la durée de
connexion. Internet est aussi couplé au téléphone par un boîtier interface comme celui de
la société Applio, et les premiers téléphonesterminaux à écran sont à l’étude chez Alcatel
(Screen-Phone), Matra, Northern Telecom... Ils
restent des appareils téléphoniques évolués et
n’assurent aucune des fonctions classiques de
l’ordinateur.
De puissants logiciels pour extraire
l’information des bases de données
Créé au départ par des chercheurs et des
universitaires, Internet est jusqu’à présent resté
un vecteur d’échanges d’informations et un
espace de convivialité. Le courrier électronique
constitue toujours l’essentiel de son utilisation
avec ses « e-mail » (boîtes aux lettres).
Pour « surfer » sur le Web, structure foisonnante et délibérément « ouverte », on utilise
des logiciels de navigation comme Explorer
de Microsoft ou Communicator de son rival
Netscape. L’accès aux données réserve toutefois des surprises au néophyte, rapidement
englouti sous la masse des documents disponibles. Tel un gigantesque noeud d’autoroutes,
le réseau est vite saturé à l’entrée des serveurs
les plus demandés. L’Internet pour tous prôné
par les pionniers du Web reste une utopie pour
qui ne dispose pas d’outils informatiques de
recherche et de sélection des informations.
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
201
L’utilisation du réseau se professionnalise depuis l’avènement des réseaux Intranet
développés sur les protocoles Internet et
dédiés aux entreprises. Ces réseaux croissent
désormais plus vite que ceux de l’Internet car
ils répondent à des besoins concrets et quotidiens, comme le courrier électronique interne,
les transferts de données d’un site à l’autre et le
travail par équipes « projet ».
Exemple de ces nouveaux outils, la famille
des logiciels « Push media » qui permettent à
l’utilisateur de recevoir dans sa boîte aux lettres
les seules informations qui l’intéressent. Des
« moteurs de recherche », puissants logiciels
conçus à l’origine par les services secrets pour
extraire l’information sensible des bases de
données (Topic développé par la CIA ou Taïga
en France) vont aussi bouleverser le métier
des documentalistes d’entreprise. Les spécialistes en « intelligence économique », nouvelle
appellation de l’espionnage industriel, restent
à l’affût entre les mailles d’Internet comme le
montre le livre-enquête de Jean Guisnel.
Contrôler le contenu et verrouiller le
réseau
La nébuleuse Internet a fait aussi l’actualité
par ses abus comme la diffusion de données
classifiées, la propagande intégriste et révisionniste, les photos de lady Diana mourante, la
pornographie, ou plus simplement la diffusion
d’ouvrages interdits. En janvier 1996, le livre du
docteur Gubler sur la maladie du président
Mitterrand a ainsi été « publié » sur le Web aussitôt après son retrait des librairies par décision
de justice. Une journée suffit au patron d’un
cybercafé de Besançon pour numériser, « imprimer » et « diffuser » ce texte dans le monde
entier, au mépris du copyright. Certes, le cybernaute indélicat fut condamné, suite à la plainte
des professionnels de l’édition, mais l’affaire
n’en a pas moins mis en relief des problèmes
d’éthique et un vide juridique. S’il est trop tard
pour réglementer l’accès et le développement du réseau, sa surveillance s’effectue par
la « visite » des sites les plus fréquentés par les
services du ministère de l’Intérieur (douanes,
répression des fraudes...).
Des informaticiens, revendeurs sur le Web
de logiciels piratés, ont ainsi été interceptés.
Sécuriser les échanges de données
avec la carte à puce
De l’autre côté de l’Atlantique, où les « hackers », pirates informatiques, sont organisés
et actifs, les autorités – notamment la CIA –
s’inquiètent aussi des dérives. Des logiciels de
cryptage des données et de sécurisation des
échanges sont ainsi disponibles aux États-Unis,
alors qu’en France la cryptographie, héritière
de prérogatives militaires, reste soumise à
autorisation gouvernementale (cette législation est en voie d’être assouplie dans le cadre
européen).
La protection des données a pris un relief
particulier avec l’avènement du commerce
« en ligne » qui implique le télépaiement électronique par carte bancaire. Outre les pistes
magnétiques de codage, la carte française
dispose d’un niveau supplémentaire de sécurité avec une clé cryptographique d’authentification intégrée dans la « puce ». Utilisée en
porte-monnaie électronique, cette carte pourrait devenir l’outil privilégié des transactions
financières sur le réseau. Des expériences ont
démarré en France à la fin 1997.
Le virage commercial d’Internet est d’ores
et déjà un fait. Livres et CD, produits financiers,
information et logiciels, billets d’avion, cadeaux
et marchandises... s’achètent sur Internet. Pour
la France, ce « cybercommerce » encore balbutiant représenterait dès l’an 2000 quelque
8 milliards de francs dans le domaine du grand
public et 48 milliards de francs pour les flux
d’affaires générés via les réseaux Intranet des
entreprises.
Internet, cheval de bataille du
libéralisme américain
Les 40 à 60 millions de clients potentiels
dans le monde pour ce commerce électrodownloadModeText.vue.download 203 sur 361
JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
202
nique font figure de nouvel eldorado. Les
États-Unis l’ont bien compris. Le 1er juillet, le
président Clinton a souligné qu’Internet doit
contribuer à la prospérité mondiale : « Chaque
écran d’ordinateur deviendra une fenêtre ouverte
sur chaque entreprise, petite ou grande, n’importe
où dans le monde » a-t-il déclaré devant un parterre d’industriels.
Cette ligne politique libérale confirme l’effacement croissant de la Maison Blanche devant
l’initiative privée et le rôle moteur joué par les
technologies de l’information et par les services
dans l’économie américaine. Internet devient
un cheval de bataille pour les industriels américains qui entendent prolonger dans le « cybermonde » leur politique libre-échangiste.
Cette libéralisation du commerce électronique va de pair avec celle des télécommunications. La constitution de puissants groupes
industriels se poursuit, dont l’exemple le plus
récent, en novembre 1997, est la fusion des
deux géants américains de la téléphonie
longue distance MCI et WorldCom. Le nouveau groupe, qui pèse le chiffre record de
37 milliards de dollars, est né du plus important regroupement de l’ère industrielle. Les
conséquences de ces concentrations se feront
sentir sur l’économie d’Internet en mettant par
exemple de l’ordre parmi les 4 000 fournisseurs
d’accès actuellement trop dispersés et trop
petits.
Le cybercommerce a également des incidences fiscales qui jouent aussi en faveur des
fournisseurs américains. On peut commander
aux États-Unis via Internet un ouvrage ou tout
produit peu encombrant qui sera expédié
en Europe par des messageries privées (DHL,
United Parcel, Federal Express, etc.). Au prix
d’achat en dollars s’ajoutent les frais d’expédition, mais l’acheteur français « échappe » aux
20,6 % de TVA. Les douanes s’inquiètent de
cette nouvelle forme d’évasion fiscale, mais les
contrôles s’avèrent difficiles. De nombreux produits immatériels, comme les études de marché, les logiciels ou les banques de données
qui constituent la nouvelle « matière grise » de
nombreuses entreprises, peuvent, en effet, être
commercialisés et « livrés » directement sous la
forme de données.
Les ordinateurs de réseaux
Alors que les ordinateurs classiques ne se
connectent que temporairement sur Internet,
pourquoi ne pas étudier un appareil qui le serait en permanence et fonctionnerait grâce au
réseau ? Le NC (Network Computer) est né de
cette idée du président d’Oracle, société amé-
ricaine spécialisée dans la gestion des bases
de données et les serveurs.
Simplifié à l’extrême, dépourvu de disque
dur et doté d’une mémoire limitée, le NC ne
comporte aucun des coûteux accessoires
des actuels portables, ce qui justifie son prix,
qui devrait être inférieur à 3 000 F. Selon ses
concepteurs, il sera le véritable « ordinateur »
domestique. Comme le téléphone ou le Minitel, le NC se connecte aux réseaux et joue le
rôle d’un terminal informatique évolué qui
se limite à traiter les données d’affichage sur
l’écran. Ce sont les serveurs du réseau qui disposent des programmes informatiques et des
logiciels d’exploitation et exécutent les tâches
lourdes. Ce concept novateur et audacieux
inquiète les tenants de l’informatique, menacés dans leur course effrénée aux nouveaux
modèles plus puissants, plus plats, avec des
logiciels en constante évolution. Ce transfert
du coeur de l’ordinateur vers le réseau met en
avant les spécialistes de la gestion des bases de
données et des télécommunications et vient
révolutionner le monde de l’informatique.
CLAUDE GELÉE
Bibliographie
Michel Alberganti, le Multimédia, la
révolution au bout des doigts. JeanClaude Guédon, La Planète Cyber,
Internet et cyberespace. Jean Guisnel,
Guerres dans le cyberespace, services
secrets et Internet.
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
203
La montée du
bouddhisme
Au XIXe siècle marqué par l’expansion
missionnaire chrétienne a
succédé un XXe siècle où l’islam,
les religions et les philosophies
asiatiques s’installent de façon
durable en Occident. Si l’islam
suscite des réflexes de crainte, les
secondes sont plutôt considérées
avec sympathie. Le bouddhisme,
particulièrement, exerce une
séduction croissante.
Sans être absolument nouvelle, cette
attirance pour le bouddhisme est
relativement récente. Au XVIIe siècle,
les Lumières reprochèrent au
bouddhisme de favoriser la passivité. Hegel
et certains penseurs français le traitèrent avec
mépris, y voyant un « culte du néant ». Les
romantiques eurent une vision beaucoup plus
positive. Schopenhauer mit en valeur l’idéal
bouddhique de fin de la souffrance par la cessation de l’égocentrisme.
Parallèlement, les pionniers des sciences religieuses étudièrent des textes fondamentaux.
En 1845, Eugène Burnouf publia une histoire
du bouddhisme indien qui devint un classique. Certains ont, alors, une perception assez
rationalisante de cette religion non théiste.
Jules Ferry, par exemple, invoque la morale
bouddhique, « plus exigeante » à ses yeux que
celle du christianisme, comme preuve qu’il
n’existe aucun rapport « entre les dogmes et la
conduite (morale) ».
En 1893, des « messes bouddhistes »
(sic) sont célébrées au musée Guimet. Un
« bouddhisme de salon » remporte un certain
succès. En exagérant, le Figaro prétend cette
même année que « le Bouddha compte à
Paris plus de cent mille amis et au moins dix
mille adeptes ». La presse catholique s’alarme.
Une société se crée, au Japon, pour la propagation du bouddhisme en Europe. Inutile
d’édifier des temples, affirme-t-elle : on peut
méditer le message du Bouddha dans les
églises. Une certaine influence bouddhique
se propage par des cercles ésotériques. Un
Britannique devient moine bouddhiste, en
1902, en Birmanie et, à Ceylan, un monastère permet à des Européens de s’initier à la
pratique du bouddhisme theravada. Les premières rencontres de bouddhistes d’Europe
sont organisées dans les années 1930 (Berlin,
1933 ; Londres, 1934 ; Paris, 1937).
Bouddhisme et christianisme
Le dialogue interreligieux n’est pas un syncrétisme. Bouddhisme et christianisme
restent conscients de leurs différences. Pour
les bouddhistes, il existe une contradiction
dans l’affirmation chrétienne d’un Dieu
personnel tout-puissant, car la personnalisation signifie la limitation. De même, le
monde imparfait ne peut pas être l’oeuvre
d’un Dieu créateur. Le bouddhisme évite
donc tout discours sur les origines et cherche
essentiellement à libérer l’être humain par
le non-attachement total. Les chrétiens,
de leur côté, rappellent la distance entre la
résurrection (reconnaissance de l’unité de
chaque personne, victoire de l’amour sur le
destin) et la réincarnation qui risque, selon
eux, d’asservir les existences humaines à
l’engrenage de la rétribution. Mais les deux
religions prônent, chacune, des pratiques
de compassion envers le prochain.
La présence bouddhiste en France
Le nombre de bouddhistes en Europe est
estimé, actuellement, à environ trois millions.
Outre la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne notamment possèdent des communautés d’une certaine importance. Depuis
quelques années, le bouddhisme progresse
en Europe de l’Est. Créée en 1975, affiliée
à l’Unesco comme ONG, l’Union boudddownloadModeText.vue.download 205 sur 361
JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
204
histe d’Europe veut représenter les diverses
communautés auprès des institutions européennes. Elle souhaite aussi faire connaître le
bouddhisme dans le respect de la diversité
de ses traditions. Quatorze unions nationales
y sont affiliées, dont l’Union française, fondée
en 1986.
Avec un ensemble estimé à 600 000 personnes (la moitié aurait la nationalité française, un quart serait constitue de Français de
souche), la communauté française s’est beaucoup développée depuis vingt-cinq ans. Elle
comporte trois pôles : un pôle tibétain, un pôle
japonais et un troisième qui rassemble des
gens originaires d’Asie du Sud-Est.
Le rayonnement du bouddhisme tibétain
en France résulte d’un double mouvement :
les voyages de jeunes Français en Inde et au
Népal (à partir, surtout, de 1968) où ils rencontrèrent des moines tibétains exilés, l’arrivée de
certains de ces moines en France. Près d’une
centaine de centres tibétains de diverses
écoles assurent un accueil ponctuel ou constituent de véritables monastères. L’école Kagyupa (transmission par l’oralité) prédomine, mais
l’ensemble du bouddhisme tibétain bénéficie
du prestige du dalaï-lama, chef de l’école des
Guelougpas (vertueux).
Ce bouddhisme s’inscrit dans la tradition vajrayana (ou Véhicule du Diamant), au
panthéon complexe et au rituel foisonnant.
L’accent est mis sur l’éveil total. Le corps
est partie prenante, de façon visible, de la
quête spirituelle. Les lieux les plus connus du
bouddhisme tibétain sont le temple des Mille
Bouddhas en Bourgogne et le centre de Karma Ling en Savoie, où des textes fondamentaux sont traduits en français.
De tradition mahayana (Grand Véhicule), le
bouddhisme japonais est présent, en France,
de deux manières différentes. Le zen a été implanté par Maître Deshimaru Taisen, de 1967 à
sa mort (1982). Depuis, la pratique du « zazen »,
ou méditation assise, s’est répandue au-delà
des centres zen. Ces derniers proposent, selon
le spécialiste du bouddhisme Dennis Gira, de
« faire l’expérience directe de la vérité ultime,
sans l’intervention de la parole ou même du
symbole ».
Parfois contestée, la Soka Gakkai (ou « Société pour la création de valeurs ») considère
le moine japonais Nichiren (qui vécut au
XIIIe siècle) comme le Bouddha fondamental.
Réciter journellement et avec foi le mantra
devant le Gohonzon (ensemble de symboles
graphiques) doit donner l’énergie nécessaire
pour surmonter les diverses difficultés de
l’existence. Il peut en résulter une action dans
le monde, notamment en faveur d’idéaux
pacifistes.
La majorité de la communauté bouddhiste
en France provient de l’Asie du Sud-Est. On
trouve une branche vietnamienne mahayana
et une branche laotienne et cambodgienne
theravada (ou bouddhisme des Anciens). Ce
bouddhisme d’exil, lié aux événements dramatiques des années 1960 et 1970, a d’abord
renforcé l’identité de réfugiés brutalement
déracinés. Les temples s’occupèrent aussi
des difficultés matérielles de leurs membres.
Une proportion non négligeable appartient,
aujourd’hui, à la deuxième génération, et une
certaine « francisation » s’opère.
La loi de séparation de 1905 établit l’éga-
lité juridique des cultes. Il n’existe donc pas, en
France, de culte reconnu. Par contre, on assiste
à un processus par lequel une religion importée s’intègre dans le paysage religieux et culturel du pays. La récente création de l’émission
« Voix bouddhistes », dans le cadre des émissions religieuses télévisées, est un des indices
de cette intégration.
Un attrait ambigu mais fécond
La profondeur de l’attrait qui se manifeste
en France comme dans d’autres pays occidentaux envers le bouddhisme frappe l’observateur. Le succès du livre du philosophe J.-F. Revel et de son fils, brillant scientifique devenu
moine tibétain, en témoigne. Plus largement,
selon un sondage CSA, 46 % des jeunes Français estiment que le bouddhisme « favorise
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l’épanouissement personnel » (29 % pour le
christianisme), qu’il est la religion la plus tolérante et la plus adaptée au monde moderne
(la Vie, 27/03/1997).
Cet attrait n’est pas dépourvu d’ambiguïté, comme le souligne D. Gira : les conflits
internes sont largement méconnus (par
exemple, la tension au sein des écoles tibétaines quand il s’agit de décider qui est la véritable réincarnation d’un maître renommé).
De même se trouvent ignorés les « aspects
sombres » de l’histoire du bouddhisme – les
moines guerriers – et de son présent – ainsi
au Myanmar (ex-Birmanie), où un bouddhisme dominant s’accommode d’atteintes
à la liberté religieuse envers les chrétiens et
les musulmans. Par ailleurs, la réincarnation,
croyance en hausse en Europe (21 % selon
l’enquête européenne sur les valeurs en
1990, 24 % en France), est interprétée, pour
l’essentiel, comme de nouvelles chances
d’accomplissement offertes à chacun alors
que, dans les traditions bouddhiques, le but
ultime consiste, au contraire, à briser le cycle
des renaissances.
Il existe, cependant, des malentendus
culturellement créateurs et, si l’attrait du
bouddhisme ne dépasse pas, chez beaucoup,
une vague sympathie, il en conduit d’autres
à participer à des sessions de formation dans
divers centres. Des travailleurs sociaux, des
paramédicaux, des médecins, confrontés au
mal être et à la souffrance, se demandent si
l’insistance du bouddhisme sur la compassion ne pourrait pas contribuer à améliorer
leur pratique. Dans différents milieux, certains
veulent intégrer des éléments bouddhiques
dans une identité religieuse sans appartenance qui mélange diverses traditions. Enfin,
d’autres veulent « se transformer » et devenir
véritablement bouddhistes. Les uns et les
autres apprécient une approche spirituelle
qu’ils estiment ni dogmatique ni formaliste.
Fondamentalement expérimentale, elle leur
propose une voie d’accès à l’ultime transcendance fondée sur une méthode de transformation de soi.
Les différences culturelles occidentales
se retrouvent dans la diversité de l’attrait
exercé par le bouddhisme. En France, le dalaïlama apparaît souvent comme un équivalent
bouddhique de la figure charismatique de
Jean-Paul II. Dans des terres plus protestantes
– de Genève aux États-Unis –, on s’intéresse
à l’école japonaise de la Terre pure, où la foi
en Amida est un élément suffisant, qui peut
être rapproché du salut par la grâce de Luther.
Conscient de l’attrait qu’exerce le bouddhisme, le centre de Karma Ling propose, lui,
d’organiser les « traditions unies » (comme on
parle des « nations unies ») où chacun garderait son identité dans le dialogue et une tolérance réciproque.
L’Union bouddhiste de France
Fondée en juin 1986, elle rassemble environ 80 % des pagodes, centres et instituts
bouddhiques existant en France, autour de
4 objectifs :
– être un interlocuteur représentatif pour les
pouvoirs publics, les autres communautés religieuses, les instances sociales et universitaires,
– défendre les droits et les intérêts communs
des cinq traditions bouddhistes,
– contribuer au rapprochement de ces
traditions,
– oeuvrer à présenter le bouddhisme et la
modernité.
Les centres bouddhistes tibétains
Les centres constituent la forme la plus socialement visible du bouddhisme en France. Leur
nombre dépasse 80 et les plus importants
donnent la possibilité de retraites de durée
diverse.
La plupart ont été créés dans les années 1970 :
en 1974, le centre Kagyu Ling a été fondé en
Bourgogne (et son temple des Mille BoudddownloadModeText.vue.download 207 sur 361
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has, 14 ans plus tard). En 1977 s’est établi, en
Dordogne, le centre Dhagpo Dagyu Ling. Et,
depuis 1980, le centre Karma Ling s’est installé
en Haute-Savoie et il a vocation d’être un lieu
de dialogue entre le bouddhisme et les religions occidentales.
JEAN BAUBÉROT
PRÉSIDENT HONORAIRE À LA SECTION DES SCIENCES RELIGIEUSES À
L’ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES
Bibliographie
John B. Cobb, Bouddhismechristianisme, au-delà du dialogue ?
Labor et Fides, 1988.
Bruno Étienne, Raphaël Liogier : Être
bouddhiste en France aujourd’hui,
Hachette, 1997. Dennis Gira dans Esprit,
juin 1997), « les Bouddhistes français ».
Jean-François Revel, Mathieu Ricard : le
Moine et le Philosophe ; le bouddhisme
aujourd’hui, NIL, 1997.
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Les Aubrac :
fausse affaire
mais vrai débat
La sortie sur les écrans du film
de Claude Berri Lucie Aubrac et
la publication du livre de Gérard
Chauvy Aubrac. Lyon, 1943 ont placé
le mythique couple de résistants
au coeur d’un véritable tourbillon
médiatique, et, entre hagiographie
et injonctions soupçonneuses,
mis sous pression la réflexion
historienne.
L’année 1997 a, de la sorte, pris figure de véritable année Aubrac, et
donné une singulière confirmation
aux mots qui ouvrent les Mémoires
de Raymond Aubrac, publiés en 1996 : « Quelle
chose étrange que la mémoire ! » Mais il n’a
pu en être ainsi que parce que les deux événements, le film et surtout le livre, sont venus
alimenter et porter à son paroxysme une polémique déclenchée quatorze ans auparavant,
en 1983, à la faveur de l’arrestation de Klaus
Barbie. Relancée lors du procès de ce dernier
en 1987, cette polémique, autour d’insinuations graves sur l’action réelle du couple en
1943, avait d’ores et déjà rebondi en 1991,
quand filtrèrent des bribes du « testament
de Barbie », déposé l’année précédente par
Jacques Vergés, l’avocat du tortionnaire, chez
le juge Hamy : il s’agit d’un texte de 63 pages,
que l’on dit rédigé par maître Vergés lui-même
dans le cadre d’une nouvelle instruction réclamée par des familles de résistants contre le
responsable du Sipo SD de Lyon qui purgeait
alors la peine de réclusion criminelle à perpétuité à laquelle il avait été condamné pour
crimes contre l’humanité.
De la prison Saint-Paul au fort
de Montluc
Lucie et Raymond Aubrac (de son vrai nom
Samuel) sont des résistants de la première
heure. Ils entrent dans la Résistance, dès 1940,
à Lyon, et Raymond Aubrac est l’un des fondateurs d’un des grands mouvements de Résistance, Libération-Sud. En 1943, cet ingénieur
des Ponts et Chaussées est l’un des dirigeants
de l’Armée secrète, l’organisation militaire de la
Résistance.
Le 15 mars 1943, Raymond Aubrac, sous la
fausse identité de Vallet, est arrêté, en compagnie d’autres responsables de la Résistance.
Interné à la prison Saint-Paul, il est libéré le
10 mai suivant. À quoi Raymond Aubrac doit-il
cette libération ? Selon le récit qu’en fit Lucie,
elle aurait fait pression sur le procureur lyonnais Ducasse, affirmant représenter le général
de Gaulle, le menaçant de mort si, le 14 au ma-
tin, Aubrac n’était pas libéré. Pourtant, l’avocat
de Raymond Aubrac, Maître Fauconnier, avait
déposé une demande de mise en liberté de
son client pour raisons médicales, demande
transmise par le juge d’instruction Cohendy
au procureur de la République. L’intervention
du juge suffit-elle à expliquer la libération de
Raymond Aubrac ?
Le 21 juin 1943, Raymond Aubrac, sous le
pseudonyme d’Ermelin, est à nouveau arrêté
dans la maison du docteur Dugoujon à Caluire,
une banlieue de Lyon (voir encadré). Enfermé
à la prison de Montluc, il est interrogé et battu
par Klaus Barbie, mais n’est pas transféré à Paris.
Il est finalement condamné à mort. Le 21 octobre 1943, un groupe de résistants, parmi
lesquels Lucie Aubrac, libère des prisonniers
au cours de leur transfert du fort de Montluc
à l’école de santé militaire. Raymond Aubrac
est du nombre. C’est pour lui qu’a été préparée
cette opération des groupes francs, grâce à un
scénario mis sur pied par Lucie.
Après cette évasion, Lucie et Raymond Aubrac doivent quitter la France pour Londres, où
ils parviennent en février 1944.
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Les arrestations de Caluire
Le 21 juin 1943, huit hauts responsables de
divers mouvements de Résistance sont arrêtés dans la maison du docteur Dugoujon à
Caluire : Henry Aubry, le colonel Lacaze, Bruno
Larat, André Lassagne, le colonel Schwartzfeld, Raymond Aubrac, Jean Moulin et René
Hardy. L’objet de leur réunion : le remplacement du chef de l’Armée secrète, le général
Delestraint venant d’être arrêté à Paris par la
Gestapo (le 9 juin). René Hardy s’évade dans
des conditions que certains résistants jugeront suspectes, alors que les autres sont internés à Montluc. Affreusement torturé par Klaus
Barbie, Jean Moulin meurt lors de son transfert en Allemagne, probablement le 8 juillet.
Ces arrestations surviennent en pleine crise,
alors que Jean Moulin vient, le 27 mai, d’unifier mouvements de résistance, partis politiques et syndicats dans le Conseil national de
la Résistance (CNR).
La montée de la polémique,
de 1983 à son explosion en 1997
L’« affaire Aubrac » commence en 1983,
quarante ans après les faits, avec l’arrestation
de Klaus Barbie et son transfert à Lyon. En 1984,
dans un film réalisé par Claude Bal, René Hardy
affirme que Raymond Aubrac et le général de
Bénouville ont concouru à trahir Jean Moulin.
Le film est condamné pour diffamation. En
guise de réponse, Lucie Aubrac écrit et publie
Ils partiront dans l’ivresse, un récit de sa vie et de
sa résistance de mai 1943 à février 1944. Le livre
rencontre un immense succès. De leur côté,
Klaus Barbie et Me Jacques Vergés peaufinent
leurs accusations. En 1987, la thèse de Vergés
est au point : Jean Moulin aurait été livré par les
chefs de la Résistance, Aubrac en tête. Aubrac
serait l’agent qui renseignait les Allemands,
et qu’évoque le rapport d’Ernst Kaltenbrunner, le chef du RSHA, le Bureau central pour
la sécurité du Reich, du 27 mai 1943. Il y aurait
un lien entre les arrestations de mars et celles
d’octobre 1943, car, dès sa première arrestation, Raymond Aubrac serait devenu un agent
au service de Barbie. Ces accusations, précisées
dans le « testament » de Barbie, amènent Raymond Aubrac à déposer auprès du juge Hamy
puis à réclamer, en vain, qu’une commission
d’historiens se prononce.
Lucie Aubrac, le film de Claude Berri, subventionné par le ministère de l’Éducation nationale
et lancé avec un impitoyable battage médiatique, agace les historiens par la médiocrité de
la reconstitution historique et par l’accumulation de tous les poncifs sur la Résistance sur
fond de passion amoureuse. Dans le même
temps est annoncée la parution de l’ouvrage
d’un journaliste lyonnais, Gérard Chauvy, déjà
auteur d’un Lyon 1940-1944 (1993) et d’une
Histoire secrète de l’Occupation (1991). La sortie
de l’ouvrage est différée, mais certaines revues
s’en font l’écho. Quand il paraît, la polémique
reprend de plus belle. L’ouvrage reproduit une
série de documents, pour l’essentiel ceux que
le juge lyonnais Jacques Hamy a rassemblés
dans le cadre de l’instruction du second procès
Barbie, instruction stoppée par la mort de l’accusé. Il dresse aussi le catalogue systématique
des déclarations et récits successifs de Lucie et
Raymond Aubrac, insistant sur leur caractère
erratique. Pourtant, la conclusion de Chauvy
est sans ambiguïté : aucune pièce d’archives
ne permet « de valider l’accusation de trahison proférée par Klaus Barbie à l’encontre de
Raymond Aubrac ». Parmi les historiens de la
Résistance, l’appréciation sur le livre de Chauvy
est nuancée, et celle de Dominique Veillon
semble assez représentive. Pour cette dernière,
la démarche de Gérard Chauvy « procède
davantage d’un règlement de comptes que
d’une simple méthodologie historique. Le style
est celui d’un inquisiteur, les insinuations sont
malveillantes. En particulier, les doutes que
l’auteur laisse planer sur une éventuelle responsabilité des époux Aubrac à propos de la
tragédie de Caluire sont dignes de mépris. Tout
cela est détestable et je réprouve cette façon
de procéder. Pour autant, je ne peux passer
sous silence que le livre rassemble un nombre
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important de documents, dont certains, inédits, conduisent inévitablement à se poser des
questions, à demander à Lucie et Raymond
des compléments d’informations, des éclaircissements. » Dix-neuf résistants, dont Jean
Mattéoli, Geneviève Antonioz-de Gaulle, Pierre
de Bénouville et Henri Rol-Tanguy s’élèvent
quant à eux dans un appel public contre les
« historiens ou prétendus tels qui s’attaquent
à la mémoire des morts et à l’honneur des survivants ». D’autres, comme Daniel Cordier, ne
s’y associent pas. Pour lui, comme il le déclare
dans une interview publiée par Libération, les
Aubrac n’ont pas, « sur l’année 1943, dit toute la
vérité » et doivent s’expliquer « non devant des
tribunaux, bien sûr, mais face à une commission d’historiens ».
René Hardy, personnage clé
René Hardy, du mouvement Combat, responsable de la Résistance Fer, qui n’avait pas été
convié à la réunion de Caluire mais s’y était
néanmoins présenté, est soupçonné d’avoir
livré la réunion. Il sera toutefois acquitté lors
de deux procès, en 1947 devant la Cour de
justice de la Seine et en 1950 devant un tribunal militaire. Pourtant, dans l’état actuel des
connaissances, et compte tenu des sources
disponibles, la plupart des historiens considèrent à ce jour qu «il est bien le responsable
de l’arrestation de Jean Moulin, mais insistent
aussi sur la complexité des problèmes politiques qui se posaient alors à la Résistance
et sur l’importance des divergences entre ses
divers mouvements.
Table ronde et recadrage du débat
À la place d’une commission d’historiens,
Libération organise, à la demande de Raymond
Aubrac, une table ronde à laquelle participent
Laurent Douzou, auteur d’une thèse sur Libération-Sud, l’ancien et l’actuel directeur de
l’Institut d’histoire du temps présent, ainsi que
François Bedarida, Henry Rousso, Dominique
Veillon, Jean-Pierre Azéma et Daniel Cordier, ce
dernier en sa double qualité d’ancien résistant,
secrétaire de Jean Moulin, et d’auteur d’une
monumentale biographie encore inachevée
sur l’unificateur de la Résistance, l’Inconnu du
Panthéon. Se joignent à eux deux éminents
historiens, non spécialistes de la période mais
amis des Aubrac : Jean-Pierre Vernant et Maurice Agulhon. Le 9 juillet 1997, Libération publie
les minutes de la table ronde qui s’est tenue
dans les locaux du journal le 17 mai et dont les
débats ont porté sur les points jugés obscurs
par Gérard Chauvy : l’arrestation du 15 mars et
la libération d’Aubrac au premier chef. La table
ronde n’éclaircit guère les modalités de cette
libération. Les Allemands ont-ils cru qu’Aubrac
n’était qu’un petit trafiquant de marché noir,
comme il a tenté de le leur faire croire ? Ontils eu conscience d’avoir un résistant dans leurs
mains, et si oui, ont-il perçu l’importance de ses
responsabilités ? Sa libération est-elle due à la
magnanimité du juge Cohendy, sympathisant
de la Résistance ? Aux menaces de Lucie Aubrac ? Daniel Cordier signale qu’il n’a pas trouvé
trace, dans les archives de la BBC, du message
« continuer de gravir les pentes », prouvant
au procureur Ducasse que Lucie Aubrac était
bien l’envoyée du général de Gaulle. Quant à
la seconde libération d’Aubrac, la table ronde
met là encore en évidence, comme l’avait fait
Chauvy, les variations du récit de Lucie Aubrac
et pose un certain nombre de questions : pourquoi, à la différence de six autres résistants arrêtés à Caluire, Aubrac n’a-t-il pas été transféré
à Paris ? Pourquoi Klaus Barbie ne s’est-il pas
acharné sur lui comme sur tant d’autres ? Surtout, Daniel Cordier émet l’hypothèse que les
Aubrac seraient indirectement responsables
de la déportation des parents de Raymond
à Auschwitz. Conjecture que beaucoup ont
jugée scandaleuse.
L’ensemble des historiens concluent cette
table ronde par une affirmation, qu’ils ont répétée avec force dans d’autres publications : il
n’y a aucune responsabilité d’Aubrac dans les
arrestations de Caluire. L’insinuer est, selon les
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termes de Jean-Pierre Azéma, une « rumeur
infâme ». Il n’y a donc pas d’affaire Aubrac.
Mais ils soulignent, comme Chauvy, l’existence
de « zones d’ombre » et l’inconstance des témoignages des deux résistants. Lucie Aubrac
reconnaît d’ailleurs sa propension à inventer
et à fabuler. Cette agrégée d’histoire se définit comme « une historienne qui enseigne ».
« Pour enseigner, dit-elle, s’adressant à Maurice
Agulhon et Jean-Pierre Vernant, je me suis servie de ces études très formelles que vous avez
faites sur le XIXe siècle et sur l’Antiquité. Puis j’ai
brodé autour avec les monographies, les biographies qui entouraient cela, parce que la
pédagogie nécessite qu’on rende les choses
vivantes. » « Ma vie de professeur, précise-t-elle
encore, est une vie de militante, ce n’est pas
une vie qui s’accroche à chercher l’heure, le
prénom et la date. »
En vérité, l’« affaire Aubrac » est devenue
le point de convergence de nombreux problèmes : celui du statut de l’histoire de la Résistance ; celui du statut historique, voire juridique du témoignage ; celui des rapports entre
témoins et historiens et entre l’historien et les
médias. Et sur ces questions, les historiens se
divisent : à ceux qui ont participé à la table
ronde de Libération s’opposent ceux qui en récusent le principe, comme Antoine Prost. Pour
ces derniers, les salles de rédaction ne sont pas
le lieu où peut et doit s’élaborer le savoir historique. Certains historiens s’indignent particulièrement de la façon dont ont été traités les Aubrac. Comme l’écrivent Claire Andrieu et Diane
de Bellescize dans le Monde du 17 juillet 1997,
« un principe de suspicion, qui procède de la
présomption de culpabilité, a été ainsi substitué au doute méthodique, celui de l’historien
qui construit et valide ses questions avant de
les livrer au public ».
La médiatisation de l’« affaire » durant des
mois, alors que tous les historiens s’accordent
à dire que le récit des événements de Caluire
n’en sort guère modifié, montre, d’une part,
que l’intérêt du public pour les années noires
ne faiblit pas et, d’autre part, comme le note
Jean-Pierre Azéma dans la revue l’Histoire, que
« la Résistance est paradoxalement [...] le pan
de la France des années noires qui pose le plus
de problème ».
ANNETTE WIEVIORKA, HISTORIENNE, AUTEUR, NOTAMMENT, DE
Déportation et génocide, HACHETTE, 1995
Bibliographie
Ils partiront dans l’ivresse et Cette
exigeante liberté. Entretiens avec
Corinne Bouchoux : Lucie Aubrac.
Où la mémoire s’attarde : Raymond
Aubrac.
Aubrac. Lyon 1943 : Gérard Chauvy.
La Désobéissance. Histoire du
mouvement Libération-Sud : Laurent
Douzou
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L’Inde, cinquante
ans après
L’Inde a fêté, le 15 août 1997, le
cinquantième anniversaire de son
indépendance dans une atmosphère
d’autosatisfaction teintée de
profonde amertume. Le chemin
parcouru apparaît impressionnant,
mais l’avenir de ce gigantesque pays
reste hypothéqué par de nombreux
problèmes, celui que posent les
tensions entre communautés n’étant
pas le moindre.
Satisfaction : en un demi-siècle, celle
qu’il est convenu d’appeler la « plus
grande démocratie du monde » a
atteint plusieurs des objectifs qu’elle
s’était fixés au lendemain du démantèlement
du British Raj, l’empire des Indes britanniques :
autosuffisance alimentaire, relative maîtrise de
sa croissance démographique, et élévation de
l’Inde au statut d’incontournable puissance
régionale, tant sur le plan économique que
militaire.
Amertume : les dirigeants de l’Inde se sont
montrés incapables d’éradiquer la pauvreté,
d’en finir avec les préjugés de caste de leurs
concitoyens, d’empêcher que les antagonismes socioculturels entre la majorité hindoue et la minorité musulmane ne dégénèrent
en de sanglantes et récurrentes émeutes.
Pour comprendre l’aspect mitigé de ce bilan, il faut remonter à l’heure où l’Inde vient de
recouvrer sa liberté, au lendemain de la partition de l’empire, quand du raj vont naître deux
pays : l’Inde, à majorité hindoue, et le Pakistan,
à majorité musulmane. Le pandit Jawaharlal
Nehru, héros de la lutte contre les Britanniques
et premier chef de gouvernement de l’Inde indépendante, a de grandes et utopiques idées.
Avant la guerre, celui qui passera des années
dans les geôles du colonisateur anglais était
revenu suffisamment impressionné de son
court voyage en URSS pour rêver de bâtir une
Inde plus juste libérée de ses carcans sociaux.
Une nation nouvelle où l’État jouerait un rôle
central, où l’industrie lourde symboliserait les
nouveaux « temples de l’Inde moderne », où
le développement mènerait ce gigantesque
pays sur les chemins de l’émancipation et de
la justice.
Les castes au pouvoir
Brahmanes (prêtres), kshatriya (guerriers),
vaishya (commerçants) et shudra (serviteurs)
constituent la segmentation hiérarchique du
système des castes hindou. Un système qui
régit la vie des adeptes d’une croyance qui
reste par ailleurs plus une philosophie de la
vie qu’une religion au sens judéo-chrétien
du terme. On a beaucoup glosé en Occident
sur le caractère impitoyable d’un système
qui conditionne l’existence de tout hindou
depuis la naissance jusqu’à la mort. Les sociologues indiens nous apprennent cependant
que la mobilité sociale intercastes est sans
doute plus grande qu’il n’y paraît, même si la
rigidité inhérente à cette stratification reste
indéniable. Le phénomène est d’autant plus
intéressant que l’on assiste depuis plusieurs
années à la montée en puissance des gens
de basse caste, voire même des intouchables
« horscaste » : certains d’entre eux, qui ont vu
leur niveau de vie augmenter, occupent même
(ou ont occupé) les postes de Premier ministre
de certains États de la fédération indienne. Le
président de la République, Narayanan, est
lui-même d’origine intouchable, issu donc de
cette communauté que le Mahatma avait familièrement surnommée les Harijans, les « fils
de Dieu ».
Succès et revers
du « modèle nehruvien »
Ainsi naquit un modèle certes bien différent
de celui qui prévalait alors dans les démocraties populaires alignées sur l’Union soviétique
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mais néanmoins résolument imprégné des
idéaux du « paradis des travailleurs », comme
il était d’ailleurs fréquent à cette époque où le
tiers-monde, dans son ensemble, accédait à
l’indépendance. Les priorités de Nehru étaient
claires. Les efforts pour les faire passer dans les
faits allaient être durables, transformant parfois en tare, comme dans les pays de l’Est, ce
que d’aucuns pensaient alors être vertu : planification, accent mis sur le secteur étatique
dans l’industrie, contrôle de la production
et des importations (imposition de quotas),
protectionnisme, etc. Au fil des ans, la « plus
grande des démocraties » devint ainsi la plus
gigantesque des bureaucraties. Et la fierté
nationale d’un pays qui se targue d’avoir réussi
à « ne dépendre de personne » allait souvent
se conjuguer avec les maux inhérents à une
planification excessive et à son cortège de
lourdeurs administratives, de lenteurs à se développer, d’inefficacité économique. D’autant
que, sur les plans stratégique et militaire, New
Delhi s’aligna de plus en plus résolument sur
Moscou...
Devenu Premier ministre en 1947, Nehru
avait hérité, il est vrai, d’une situation socioéconomique pour le moins délicate : les trois
quarts des 353 millions d’Indiens vivaient en
dessous du seuil de pauvreté ; l’espérance de
vie à la naissance était de 32 ans ; 84 % de la
population était analphabète ; l’Inde restait
dépendante du monde extérieur ; le taux de
croissance démographique était alarmant, faisant craindre aux plus pessimistes une explosion de la population avant la fin du siècle.
Le pire était donc à craindre. Or, la catastrophe redoutée n’a pas eu lieu : un demi-siècle
plus tard, l’Inde est autosuffisante sur le plan
alimentaire, grâce notamment a la fameuse
« révolution verte » lancée dans les campagnes
durant les années 1960. Les grandes famines
ont disparu même si des disettes ont eu lieu
çà et là dans des régions très pauvres ou éloignées. La moitié des 950 millions d’Indiens
savent lire et écrire ; certains États de la fédération comme le Kerala (Sud-Ouest) sont même
parvenus à l’alphabétisation totale de leur
population. L’espérance de vie est aujourd’hui
de 62 ans. Reste un échec de taille : 300 millions d’Indiens environ continuent à vivre dans
des conditions de misère presque totale, en
dépit de la montée en puissance économique
de Bharat Mata, la « Mère Inde », comme l’appellent les Hindous.
Ce revers de la médaille est-il à mettre sur le
compte de la faillite du « modèle nehruvien »
de développement ? Les avis sont partagés,
mais, de toute façon, la querelle relève d’ores
et déjà de l’histoire : ce modèle a en effet été,
dans les temps récents, totalement remis en
question.
Une ébauche de révolution
économique
Les nouveaux chefs de l’Inde moderne
ont sacrifié les idéaux du passé sur l’autel de
la mondialisation. En 1991, sous la pression
du FMI et alors que l’Inde est en état de quasi
banqueroute, le Premier ministre Narasimha
Rao lance son pays sur la voie de la libéralisation économique. Certes, six ans plus tard,
on est encore loin du compte, loin de ce que
les tenants du libéralisme auraient voulu voir
imposé au pays de Gandhi. L’Inde sera le siècle
prochain la nation la plus peuplée de la planète (elle atteindra le milliard d’habitants en
l’an 2000 et dépassera la Chine aux alentours
de 2025, estiment les démographes) et reste
donc soumise à un ensemble d’impératifs
socio-économiques particuliers qui empêche
un brusque passage à une économie complètement ouverte.
L’Inde de Nehru n’était cependant pas
qu’une copie du modèle soviétique. Le Pandit,
qui fut l’un des architectes du mouvement des
non-alignés, pensait à un système original, qui
combinerait le rôle de l’État avec le dynamisme
des « grandes familles » du secteur privé. Et où
la priorité donnée à l’industrie lourde n’empêcherait pas l’amorce d’une réforme agraire. La
voie choisie par Jawaharlal Nehru reposait en
fait plutôt sur une sorte de capitalisme d’État
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
213
propre à assurer la transition entre une société
restée profondément agraire et une puissance
industrielle capable de rattraper son retard par
rapport aux pays développés tout en réduisant
les inégalités sociales.
En dépit de tout un système de protections
et de subventions, les carcans bureaucratiques
et l’accent trop persistant mis sur l’industrie
lourde n’ont pas réussi à faciliter le décollage
d’une campagne aux 600 000 villages où les
paysans ont vu leurs terres morcelées en raison de la croissance démographique tandis
qu’ils voyaient leurs revenus baisser. Quant à
la production industrielle, elle n’est pas parvenue à assurer le développement du pays,
à permettre aux campagnes de rattraper leur
retard alors que le secteur industriel devenait
une sorte de monstre largement improductif
et déficitaire. Durant des années, et au grand
dam des consommateurs, l’Inde a réussi à
produire du savon qui ne moussait pas, des
clous qui se tordaient, des allumettes qui ne
s’allumaient pas. Le tout au nom du concept
sacro-saint d’indépendance nationale et d’autosuffisance... Un exemple parmi d’autres : il y
a encore quelques années, le secteur public
absorbait 40 % de l’investissement du pays et
réalisait seulement 27 % du PNB tout en employant 70 % de la force de travail.
L’ébauche de révolution économique initiée
au début des années 1990 est donc en train
de transformer en profondeur ce pays longtemps isolé économiquement. L’assassinat, en
1991, de Rajiv Gandhi, héritier d’une dynastie
politique (il était le petit-fils de Nehru et le fils
d’Indira Gandhi), met fin au « règne » d’une
famille qui a presque toujours dirigé l’Inde
indépendante. Cette mort marque un tournant qui va avoir des répercussions sur le plan
économique. C’est à ce moment que le pragmatisme des nouveaux dirigeants fait amorcer
un tournant sans doute irréversible au géant
de l’Asie du Sud. Dérégulation généralisée,
baisse des barrières douanières, convertibilité
partielle de la roupie, encouragement aux investissements étrangers : les séries de mesures
prises par le ministre des Finances Man Mohan
Singh, un brillant économiste de religion sikh,
ouvrent des portes longtemps fermées ou simplement entrebâillées. Indiens et étrangers se
prennent aujourd’hui à rêver au « marché du
siècle », ce marché de centaines de millions de
consommateurs que laisse espérer la montée
en puissance d’une classe moyenne estimée à
200 millions de personnes.
Tensions entre communautés
La remise en cause du modèle nehruvien
n’a pas eu que des implications économiques.
L’idéal d’une Inde unie autour d’une nation
pluriethnique et multiconfessionnelle a été
sérieusement battu en brèche ces dernières
années.
L’inexorable émergence des partis de la
mouvance nationaliste et/ou extrémiste hindoue a provoqué de nombreux et sanglants
heurts entre les communautés hindoue et
musulmane, culminant, en 1992, avec la destruction d’une mosquée par une foule de
fanatiques et provoquant ultérieurement des
milliers de morts dans de nombreuses villes.
Le parti des nationalistes, le Bharatiya Janata
Party (BJP, parti du Peuple indien), est même
devenu, à l’issue des élections de 1991, la plus
grande formation parlementaire de l’Assemblée nationale – avant de faire une rapide incursion au pouvoir au lendemain du scrutin de
1996, quand le BJP a remporté, sans pourtant
dégager une majorité suffisante, les dernières
élections législatives.
En dépit de la coalition de centre gauche
et de communistes qui est aujourd’hui au
pouvoir, l’implication de l’émergence d’un tel
mouvement a des conséquences importantes
sur l’évolution de la plus grande démocratie du
monde. Si l’élite indienne et de nombreuses
forces politiques restent résolument attachées
au principe de laïcité, les succès électoraux des
nationalistes font redouter à certains que l’Inde
de la tolérance ne laisse place à une « Inde aux
hindous », mot d’ordre des nationalistes. Au
grand dam des 120 millions de musulmans
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et de tous ceux qui croient encore aux idéaux
énoncés il y a plus d’un demi-siècle par un certain Mahatma Gandhi qui prêcha, au péril de sa
vie, l’harmonie entre communautés...
L’Inde aux hindous...
Depuis le milieu des années 1980, le nationalisme hindou est devenu un mouvement
politique et social qui a bouleversé les règles
du jeu politique indien. En fait, dès les années
1920, une organisation hindoue, le « Corps
national des volontaires » (RSS), qui reste
aujourd’hui la formation « mère » des groupes
hindous ultranationalistes ou extrémistes,
s’oppose au colonisateur britannique tout en
refusant de s’allier au Congrès de Nehru et de
Gandhi. Ses objectifs : imposer l’ordre hindou,
refuser le caractère pluriconfessionnel d’un
pays où cohabitent également musulmans et
chrétiens, s’opposer à cet islam dont les zélateurs ont dirigé le pays pendant des siècles, en
détruisant les temples hindous et menaçant
la culture originelle de l’Hindoustan. Les musulmans et les autres minorités, s’ils veulent
trouver leur place dans l’Inde indépendante,
devront se plier aux lois, aux désirs de la majorité hindoue (85 % des Indiens). C’est ce que
veulent toujours aujourd’hui les parlementaires et militants du parti hindou BJP, qui a
fait un bref passage au pouvoir en 1996.
Le système politique indien
Les 950 millions d’habitants de la fédération
indienne jouissent d’un système démocratique copié sur le modèle du parlementarisme
anglo-saxon : les élections législatives permettent au parti qui a recueilli le plus grand
nombre de voix de nommer pour cinq ans un
gouvernement et un Premier ministre. Le président de la République, élu par un Congrès
réunissant la chambre haute et la chambre
basse ainsi que par les parlementaires des
Parlements régionaux, n’a que des fonctions
honorifiques, sauf en cas de crise politique
où il peut dissoudre les chambres et appeler à
de nouvelles élections. Le parti du Congrès, la
formation des Nehru-Gandhi, a presque tout
le temps dirigé le pays, à l’exception de deux
parenthèses où l’opposition réussit à s’imposer. Ce fut le cas en 1996, quand une coalition
de différents partis de centre gauche et de
communistes infligea sa plus grande défaite
au Congrès tout en parvenant à faire barrage
aux nationalistes hindous du parti BJP. L’Inde
est donc entrée aujourd’hui dans l’ère des
coalitions, aucune des grandes formations
politiques n’étant pour l’instant capable de
dégager à elle seule des majorités parlementaires suffisantes. Résultat : les partis régionaux prennent de plus en plus de pouvoir et le
« centre », New Delhi, apparaît de plus en plus
affaibli.
BRUNO PHILIP, JOURNALISTE AU Monde
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Elvis Presley : un
culte américain
Vingt ans, nul ne l’ignore, est le
plus bel âge de la mort. Même si
ce n’est qu’un « vingt ans après »,
l’anniversaire de la disparition
d’Elvis a donné lieu le 16 août
1997, à Memphis, à un pèlerinage
grandiose. L’Amérique et la diaspora
des fans ont ressuscité le King, le
temps de communier dans
ce qu’il représente...
Car le culte d’Elvis, c’est d’abord et
avant tout la célébration du rêve
américain, dans une version « petit Blanc » au-delà de toutes les
caricatures. Liturgie du rock, si l’on veut, mais
avec un mot d’ordre : provinciaux du Sud profond et de tous les pays, soyez unis en Elvis, le
pauvre gosse souffreteux venu au monde sous
le toit de tôle d’une cabane en planches, et qui
mourut – enfin, cela se discute – allongé sur le
marbre de son palais plaqué or !
Il eut bien du mérite...
Comme tous les enfants nés le même jour,
Elvis a eu sa chance : on a toujours sa chance
aux États-Unis. Lui a su la saisir. Sa chance ? Une
voix noire à peau blanche. Capable de chanter gospel ou country avec une identique ferveur. Presley n’a pas inventé le rock’n’roll. Il l’a
blanchi, par hasard, en enregistrant dans une
cabine à cent sous un disque destiné à sa mère
adorée. Bon fils. Malgré sa moue de voyou et
son déhanchement subliminal, ce coup de
reins qui rend folles les filles. En quelques apparitions télévisées, Presley a donné du rythme
aux frustrations de la jeunesse américaine tout
en lui offrant une image présentable.
Plus besoin d’aller s’encanailler dans le
« quartier chocolat », comme on nomme
alors les ghettos noirs où se jouent depuis le
tout début des années 50 rhythm’n’blues et
rock’n’roll. Les adolescents blancs possèdent
désormais leur idole. Un jeune homme exemplaire. Plus mignon que ce gros dodu de Bill
Haley. Moins sauvage que Jerry Lee Lewis,
pervers affiché, brièvement marié à une vague
cousine mineure. Elvis donne concert sur
concert. Le travail ne lui fait pas peur. Elvis vénère sa famille. Avec ses premiers gains, il offre
à sa mère une Cadillac (ni une Chevrolet, ni une
Plymouth, une Cad’, signe extérieur absolu de
réussite). Elvis se plie aux exigences de la patrie
en effectuant son service militaire en Allemagne. Carrément le front de l’Est, alors qu’il
aurait pu se la couler douce à Fort Lauderdale.
Elvis s’impose décidément comme un des
rares héros planétaires des années 50. Le culte
du héros gentil et sexy vient narguer, dirait-on,
celui rendu au vilain « oncle Joseph » (Staline),
parfaitement dépourvu de ces deux qualités et
tapi derrière son rideau de fer. Petite parenté
de destin entre ces deux grandes figures médiatiques, une certaine « dépresleysation » fait
écho à la déstalinisation quand Elvis rentre au
pays, après deux ans passés sous les drapeaux.
De navets hollywoodiens en bluettes sucrées, il
se fait damer le pion par une nouvelle génération de rockers (Beatles, Rolling Stones) moins
orthodoxes. Mais vêtu de son habit de lumière,
cuir noir et sourire de diamant, le King devenu
loser triomphe finalement de l’ingratitude des
siens. Il effectue en 1968 un retour fracassant
lors d’un show télévisé qui le propulse sur la
route du panthéon américain : Las Vegas.
Il fut à l’image de son peuple
De la baraque en planches (l’étable), où il vit
le jour, à ce mausolée de la culture populaire (la
croix sur laquelle doit être expié le très répandu
péché d’obésité) en passant par sa résurrection
au NBC Show et Graceland, sa villa kitsch de
Memphis (Terre sainte jamais échangée contre
les hauteurs babyloniennes de Beverly Hills),
la trajectoire christique vaut bien un culte
indéfectible. Peut-être et certainement parce
que Presley, bon p’tit gars, fils du dieu dollar
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resté près de son peuple, s’est lui même nourri
(jusqu’à ce que mort s’ensuive) des mythes
américains, avec tout ce que cela sous-entend
de clichés et d’hypocrisie.
Managé par le « colonel » Parker, faux colonel mais vrai immigré clandestin, Presley n’a
jamais manifesté la moindre reconnaissance
envers Sam Philips, le patron des disques Sun
qui l’a découvert puis vendu pour une poignée
de cacahuètes à RCA. Loi du business. Loi du
contrat.
Mari officiellement modèle et obsédé
sexuel notoire, il ne déflore sa femme Priscilla
(fille d’un vrai colonel, le père du régiment, rencontrée en Allemagne où il effectua en réalité
un service d’opérette) qu’au soir de leurs noces,
mais il l’avait initiée auparavant à de multiples
« petits jeux » avec caméras et Polaroids.
Collé devant les télévisions qui meublent
Graceland jusqu’au plafond de sa chambre à
coucher et amateur d’armes, Elvis défonce les
écrans lorsque les programmes le lassent. Un
must du fantasme américain lorsqu’il vire au
cauchemar.
Fait agent fédéral de la lutte contre les narcotiques par Richard Nixon, Elvis, comme les
populaires coureurs cyclistes, ne se drogue
pas. Il se « soigne » selon les prescriptions de
multiples médecins pour supporter les tournées. Le King ingurgite des dizaines de pilules
par jour. Somnifères, amphétamines, coupefaim, laxatifs, etc.
Riche à millions, ce qu’aucun de ses concitoyens ne songerait à lui reprocher, et prodigue envers de multiples oeuvres caritatives,
Presley demeure jusqu’à sa disparition l’archétype d’une certaine authenticité américaine,
au même titre que Billy Smith, qui tient le X
Press Body Shop à Nashville, ou Pamela Marshall, vendeuse chez Sear’s à Oakland. Se gavant
de lard frit devant les séries télévisées. Chez lui.
Home. Memphis. Jamais converti au surf californien, aux salades de fruits hawaïennes, aux
costumes italiens de New York, aux voitures anglaises. Il est resté obstinément « Made in Tennessee ». Avant d’être « Dead in Tennessee ».
Sa seule concession à l’exotisme fut le karaté.
Accroc cher payé puisque Priscilla le quitta
pour le professeur d’arts martiaux. Sacré bon
gars bien de chez lui. Marié. Une fois. Divorcé.
Une fois. Normal, en quelque sorte. S’il n’y avait
eu cette voix... Une voix à tirer des larmes d’une
statue. Y compris dans les versions les plus
pompeuses d’un hymne nationaliste comme
« American Trilogy » ou d’une bondieuserie de
seconde zone telle que « I Believe in The Man
in The Sky ».
La sainte onction du dollar
On ne peut reprocher à la culture populaire américaine la moindre indulgence envers
les chanteurs sans voix. Héritage religieux par
excellence, cette reconnaissance des timbres
bien trempés n’a viré au culte qu’en de rares
occasions toujours justifiées : Hank Williams,
Frank Sinatra ou Presley. Trois Blancs essentiels
ayant aussi flirté avec le blues. Le premier était
officiellement trop défoncé (et trop franchement rustre) pour faire un héros de marketing posthume. Sinatra ? Trop latin. Et puis, la
majorité de ses fans sont morts avant lui. Déjà
soigneusement organisée de son vivant, l’elvismania, véritable matière première de Mem-
phis, exploitée par une impeccable machine
financière (Elvis Presley Enterprise, fondée en
1980, vaut aujourd’hui 250 millions de dollars),
a donc inexorablement surfé sur le culte mortuaire. Ils étaient 100 000 fans, essentiellement
Américains (3 000 Anglais et 300 Français) lors
de la retraite aux flambeaux de Graceland, le
16 août dernier, point culminant d’une semaine de pèlerinage. D’authentiques fans du
chanteur mais aussi de sacrés bons gars du
Dakota et de bonnes filles du Nebraska, pour
qui, dans ce pays trop jeune pour posséder
une histoire, la tombe d’Elvis représente davantage que les pyramides. Car, même pour un
million de dollars, personne ne pourra jamais
se faire photographier à côté d’un ex-garde du
corps de Toutankhamon. À Memphis, George
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Klein, copain d’enfance du King, vous signe un
autographe contre deux billets verts...
Elvis Presley en quelques dates
8 janvier 1935 : Naissance à Tupelo
(Mississippi)
8 janvier 1947 : Vernon, son père, lui offre sa
première guitare
1949 : La famille s’installe à Memphis
(Tennessee)
Août 1953 : Pour 4 dollars, Elvis enregistre
deux chansons à l’intention de sa mère.
La secrétaire Marion Keisker remarque sa voix
et donne ses coordonnées à Sam Philips, patron des disques Sun
19 juillet 1954 : Sortie du premier disque
(« That’s allright Mama » et « Blue Moon of
Kentucky ») sur le label Sun
24 mars 1958 : Début du service militaire en
Allemagne
14 août 1958 : Décès de sa mère Gladys
25 mars 1961 : Concert à Honolulu. Début
d’une éclipse musicale de huit ans
1er mai 1967 : Mariage avec Priscilla Beaulieu
3 décembre 1968 : Retour triomphal lors du
show télévisé NBC Special
1er août 1969 : Retour sur scène à Las Vegas
14 janvier 1973 : Show “Aloha from Hawaii”,
en mondiovision, au profit de la recherche
contre le cancer. Un milliard de téléspectateurs
26 juin 1977 : Dernier concert, à Indianapolis
16 août 1977 : Mort à Memphis
1996 : 750 000 personnes visitent Graceland
(10 dollars l’entrée).
MICHEL EMBARECK,
JOURNALISTE À la Nouvelle République, ÉCRIVAIN
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La
mondialisation
L’émotion suscitée, dans le monde
entier, par la mort de lady Diana,
le 30 août 1997, a surpris par son
ampleur. En Inde et au Pakistan,
plusieurs personnes se sont même
immolées par le feu. En Chine,
la nouvelle n’a été donnée qu’en
bref dans les journaux, mais les
Occidentaux se faisaient arrêter
dans les rues de Pékin par des
habitants assoiffés d’information.
Plusieurs milliards d’êtres humains
connaissaient l’existence de
lady Di et les détails de sa vie
sentimentale. Un tel événement
aurait été impossible il y a encore
dix ans. Entre-temps, les frontières
politiques et commerciales se
sont estompées, les technologies
de l’information ont connu une
révolution : les distances ont
raccourci. Jamais l’expression
« village global », imaginée dès
1967 par le visionnaire Graham
MacLuhan, n’a paru aussi pertinente.
Le couronnement d’Elisabeth II
avait été la première émission en
mondovision, l’enterrement de lady
Di a été la première émotion en
« mondialisation ».
Apparu au début des années 90,
le mot « mondialisation » est
désormais entré dans le langage
courant. Un peu comme le grand
méchant loup, la mondialisation fait peur sans
qu’on sache trop la décrire. Le phénomène
est aussi abstrait que ses manifestations sont
tangibles : les délocalisations d’entreprises se
banalisent, les chefs d’entreprises sont de plus
en plus exigeants, les produits de consommation sont de plus en plus homogènes, la télévision est envahie d’images exotiques, l’usage
du courrier électronique devient courant, les
grands groupes internationaux fusionnent
sans fin, leur ancrage national s’estompe, la
flexibilité du travail s’amplifie sans relâche, la
puissance des marchés financiers ne cesse
de s’accroître... C’est un peu tout cela, la
mondialisation.
En France, on a pris l’habitude de lui associer le chômage, les inégalités, l’exclusion, les
difficultés pour maintenir un État providence :
une diabolisation qui arrange bien les gouvernants. Extérieure et irrépressible, elle est un
bouc émissaire idéal pour faire oublier leurs
responsabilités. Pourtant, d’autres pays – et pas
forcément les plus libéraux – ont réussi à s’y
adapter, préservant tant leur emploi que leur
protection sociale.
Utilisée au singulier, l’expression de « mondialisation » (ou « globalisation ») est trompeuse. Il faudrait dire « les mondialisations ».
Car, en réalité, trois phénomènes distincts sont
à l’oeuvre.
Premier phénomène, la fusion
des marchés financiers
Pendant les années 80, la libération des
mouvements de capitaux a conduit peu à peu
tous les marchés financiers à n’en former qu’un
seul, ouvert jour et nuit. Les capitaux se déplacent au gré des risques et des résultats, façonnant le monde. Tout dérapage, toute fragilité
est sanctionné par une fuite des investisseurs :
ce fut la crise du Mexique en 1995, celle des
pays asiatiques en 1997.
Le marché est roi. Puissant, unifié, sans
autorité de régulation digne de ce nom. C’est
probablement la nouveauté majeure de cette
fin de siècle, qui explique en partie les difficultés que rencontrent les Européens pour
réduire leur chômage. En effet, avec la fusion
des marchés financiers, les taux d’intérêt à long
terme se sont unifiés, et stabilisés autour de
niveaux réels élevés (environ 6 %). Quelle que
soit leur nationalité, les entreprises, pour satisfaire leurs actionnaires, sont obligées d’afficher
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une rentabilité au moins aussi élevée que ces
taux d’intérêt. Pour s’adapter à la nouvelle
donne économique et financière et dégager
des bénéfices conformes aux standards mondiaux, les grandes entreprises se sont assainies
à marche forcée. Quant aux petites, elles se
heurtent à des difficultés de financement.
Deuxième phénomène,
la progression du commerce
international
Alors que la richesse mondiale progresse
d’environ 3 % par an depuis 1994, le commerce, lui, augmente de 8 %. Ce boom des
échanges tient en partie aux décisions prises
à l’issue des dernières négociations commerciales (l’Uruguay Round, signé en avril 1994),
mais aussi à la disparition du communisme :
plus d’un milliard d’humains (des consommateurs, mais aussi des producteurs) ont basculé
d’un coup dans l’économie de marché.
Contrairement à une idée reçue, la France
en profite largement. Au cours du premier
semestre 1997, l’excédent commercial a dépassé 80 milliards de dollars, autant que sur
l’ensemble de l’année 1996 (hors DOM-TOM).
La croissance a été essentiellement tirée par les
exportations. Le procès fait contre « la concurrence des pays à bas salaires » tient difficilement
la route : le commerce français est équilibré
avec la plupart des pays en question. Certes,
certains secteurs industriels, par exemple le
jouet ou la chaussure, ont été frappés de plein
fouet par la concurrence des pays émergents.
Mais la France vend d’autres produits à ces pays
qui s’enrichissent : du champagne, des Airbus,
des biens d’équipement. La quasi-totalité des
études menées sur le sujet minimisent l’impact
de la concurrence de ces pays à bas salaires sur
le taux de chômage. Selon les experts les plus
pessimistes, la France aurait perdu, du fait de
leur concurrence, 300 000 emplois, soit moins
de 1 % de la population active.
Enfin, il ne faut jamais oublier que les dragons, Chine comprise, sont encore très loin
derrière la France en terme de développement
économique. Sait-on que 58 millions de Français produisent autant que 1,5 milliard d’Asiatiques à bas salaires ?
Le développement des échanges passe
aussi par l’investissement. Les grands groupes
n’hésitent plus à construire des usines dans
d’autres pays, afin de se rapprocher de leurs
clients finaux : Hoover délocalise en Écosse ;
Toyota s’installe dans le Nord, etc. En France,
les investissements hors des frontières sont
mal perçus, surtout s’ils prennent la forme
de délocalisations pures et simples d’usines.
Mais, là encore, le procès est trop expéditif. Les
investissements à l’étranger permettent, la plupart du temps, aux groupes de s’implanter sur
des marchés nouveaux et donc de prolonger
leur action commerciale. Les délocalisations
proprement dites restent très marginales :
seulement 5 % des investissements français à
l’étranger.
Ni le développement du commerce ni celui
des investissements hors des frontières n’ont
donc d’impact direct sur l’emploi. Par contre, ils
modifient profondément les comportements
des entreprises et poussent les États à se réformer. En effet, l’ouverture des frontières oblige
entreprises et États à être de plus en plus
compétitifs. Les entreprises se spécialisent,
sous-traitent tout ce qui n’est pas leur métier
de base, affûtent leur gestion au maximum ;
les États, de leur côté, sont soumis à une pression terrible afin d’alléger le plus possible leurs
dépenses, à commencer par leurs dépenses
sociales.
Commerce international et inégalités
Le rapport 1997 de la Conférence des Nations
unies pour le commerce et le développement
(CNUCED) est un réquisitoire contre les effets
pervers de la mondialisation. Selon cet
organisme, l’intégration des économies n’a
pas réduit les inégalités qui, au contraire, ne
cessent de s’accroître depuis trente ans, à la
fois entre les pays et à l’intérieur de chaque
pays. En 1965, le revenu par habitant des
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7 pays les plus industrialisés était 20 fois plus
élevé que celui des 7 pays les plus pauvres.
Ce chiffre a doublé depuis. Pour la CNUCED,
cet accroissement des inégalités n’est pas un
phénomène transitoire de la mondialisation,
et il serait erroné de croire que la libération
totale des marchés conduira forcément à une
réduction des écarts entre riches et pauvres. Il
est donc de la responsabilité des États de jouer
leur rôle de régulation et de redistribution, et
d’accroître les efforts déformation.
Troisième facteur, le développement
foudroyant des technologies
numériques
De nouveaux modes de communication
se diffusent rapidement : Internet, la télévision
par satellite, etc. C’est l’aspect le plus nouveau
et le plus spectaculaire de la mondialisation.
Plus aucun obstacle technique n’entrave la circulation des données : textes, images ou sons.
Les pays les moins démocratiques peuvent difficilement empêcher leurs habitants de s’informer de ce qui se passe dans le reste du monde.
Sauf à faire du fax un objet interdit, comme en
Birmanie... Dans de nombreuses capitales, les
antennes paraboliques envahissent les toits.
L’organisation des entreprises est profondément modifiée par la « médialisation », selon
le néologisme inventé par Erik Izraelewicz (in le
Monde qui nous attend, Grasset). Les possibilités
de vidéoconférences, le télétravail, l’échange
de données par les réseaux « Intranet », la multiplication d’objets nomades, tels que l’ordinateur portable ou le téléphone mobile, toutes
ces innovations bouleversent la conception
que l’on avait jusque-là du travail.
Mondialisation et libéralisme
Selon les libéraux, la réduction des dépenses publiques constitue le seul moyen de
réduire le poids des prélèvements obligatoires
sur l’économie et de redonner des forces aux
entreprises françaises. Le « moins d’État » n’est
pas une voie sans dangers. Il risque de conduire
à des sociétés plus fragiles, car moins solidaires.
Ajoutons que le calcul économique est contestable. Les pays dont les infrastructures sont les
mieux entretenues et la protection sociale la
plus sérieuse sont également les mieux placés
pour attirer des entreprises étrangères.
De même, la mondialisation permet à certains de prôner une extrême flexibilité du
travail. Ce dernier devient une marchandise
comme une autre, dont le prix – le salaire –
doit pouvoir être fixé librement. Le résultat est
pourtant contre-productif : en développant la
précarité et l’incertitude, on ne fait qu’affaiblir
les sociétés et creuser ce que l’économiste
Jean-Paul Fitoussi appelle le « déficit d’avenir ».
Davos, la Mecque
de la mondialisation
La mondialisation a sa Mecque : Davos. Tous
les ans, vers la fin du mois de janvier, une
bonne partie de l’élite politique et économique mondiale se retrouve dans une station de ski suisse alémanique, Davos. Ces rencontres, encadrées par les meilleurs experts,
sont organisées par le World Economie Forum,
un organisme suisse présidé par un universitaire, Klaus Schwab. Vers la fin des années 80,
l’élite de Davos, la première, a pris conscience
de l’enjeu capital de la mondialisation. À
écouter les participants à ce symposium, rien
n’échappera au processus : tout devient global. Certaines interventions sont déroutantes.
Il n’y a qu’à Davos que l’on peut entendre un
orateur expliquer que si un groupe comme
Alcatel ferme une usine de 1 000 personnes en
France pour en ouvrir une autre de 5 000 salariés en Inde, « c’est finalement une bonne
nouvelle en termes globaux ».
De rencontres en rencontres, ces hommes
ont forgé une analyse commune de la mondialisation, un credo qu’ils récitent en choeur
chaque année. La planète ira bientôt mieux,
assurent-ils. Mais, attention, quel que soit
son niveau de développement, un pays n’a
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
221
qu’une seule façon de tirer son épingle du jeu
de la globalisation : ouvrir ses frontières, déréglementer son marché du travail, réduire les
dépenses publiques... Davos est devenu le
laboratoire mondial des idées libérales.
Une fois rentrés chez eux, les responsables
d’entreprises ou de partis politiques distillent
ensuite cette doctrine. Une sorte de pensée
unique planétaire.
Mondialisation = américanisation ?
Force est de constater que le phénomène
de la mondialisation coïncide avec le triomphe
des États-Unis. Non seulement leur système
économique est présenté comme « le » modèle
à suivre, mais ils ont également une longueur
d’avance en ce qui concerne la révolution du
multimédia. Bill Gates, le patron de Microsoft
aux airs de bon garçon, est considéré dans le
monde entier comme un héros moderne. Face
au messianisme américain (dont l’efficacité est
renforcée par une conjoncture nationale flatteuse), face à la toute-puissance des marchés,
les Européens reposent tous leurs espoirs sur
l’euro, présenté comme un « bouclier ». Seule
la poursuite du projet de monnaie unique per-
mettra, selon eux, de préserver leur modèle
économique redistributeur.
Les dangers du « MacMonde »
L’idéologie de la mondialisation porte en elle
le danger d’entraîner des réactions antidémocratiques. Elle véhicule, en effet, des valeurs
creuses, et conduit à des comportements de
consommation standardisés. C’est ce que
l’universitaire Benjamin Barber appelle le
McWorld (contraction de McDonald, McIntosh, DisneyWorld) : un monde baignant dans
la recherche du “fun”, dans lequel tous les habitants de la planète devraient aimer les Nike
et la famille Simson, les pulls Benetton et le
Coca-Cola, Madonna et MTV. L’omniprésence
de ce McWorld entraîne des réactions identitaires, que Barber résume sous le nom de Djihad Les mouvements islamistes ne sont pas les
seuls en cause : en France, le Front national,
qui fustige les « bacilles du mondialisme », est
aussi une manifestation du Djihad. Pour
Barber, Djihad et McWorld forment une seule
et même menace contre la démocratie.
PASCAL RICHE
JOURNALISTE À Libération
Bibliographie
Alain Mine, la Mondialisation heureuse,
Plon, 1997.
Daniel Cohen, Richesse du monde,
pauvreté des nations, Flammarion, 1996.
Erik Izraelewicz, Ce monde qui nous
attend, Grasset, 1997.
Benjamin Barber, McWorld contre
Djihad, Desclée de Brouwer, 1997.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
222
La réduction du
temps de travail
Les 35 heures comme remède
au chômage qui mine la société
et comme moyen de satisfaire
l’aspiration des Français au
mieux vivre : le gouvernement
Jospin respecte ses engagements
électoraux. La controverse est
vive. Avancée raisonnable ou folie
économique ?
Le vendredi 10 octobre 1997 au matin, encadré par ses ministres Martine Aubry (Emploi) et Dominique
Strauss-Kahn (Économie), Lionel
Jospin reçoit la plupart des partenaires sociaux
à Matignon, soit dix organisations patronales
et syndicales. Cette « conférence de l’emploi,
des salaires et du temps de travail » se déroule
dans une bonne ambiance. Mais, lorsque le
Premier ministre clôture la réunion en annonçant qu’il présentera une loi-cadre qui fixera,
pour les grandes et moyennes entreprises, les
35 heures légales au 1er janvier 2000, le président du CNPF s’étrangle : « Si c’est la guerre,
c’est la guerre ! ». Sur le perron de Matignon, il
déclare : « Nous avons été bernés ! ». Trois jours
plus tard, il démissionne de son poste, pour,
dit-il, laisser la place à un « tueur ».
En mettant le cap sur les 35 heures, le Premier ministre sait qu’il lance la France dans une
nouvelle aventure, dont l’enjeu considérable
explique à lui seul la réaction dramatique du
CNPF. Jamais un pays n’a tenté la gageure, et
l’expérience française est observée avec un
mélange de curiosité et d’inquiétude par l’ensemble des pays occidentaux.
Au départ, le gouvernement Jospin ne croit
pas aux seules vertus des mécanismes du marché pour résoudre la crise actuelle. En effet,
même une croissance très solide ne suffirait
pas à faire baisser sensiblement le taux de chômage. Si l’activité augmentait de 3 % par an, le
taux de chômage serait encore à deux chiffres
au bout de cinq ans : autour de 11 % ! La seule
façon d’aller plus loin est donc de partager
le travail, de faire de la place aux chômeurs,
par la contrainte légale et par les incitations
financières.
35 heures ou 32 heures ?
De plus en plus nombreux sont ceux qui
estiment qu’il est à la fois plus simple pour
les entreprises et plus efficace pour l’emploi
de passer non pas aux 35 heures mais aux
32 heures (avec une légère baisse du salaire,
cependant). Pierre Larrouturou*, un ingénieur-conseil chez Andersen consulting, est
devenu le principal apôtre de « la semaine de
quatre jours ».
Premier argument : l’effet sur le niveau de
chômage du passage aux 32 heures serait
plus marqué. Une baisse de 4 heures de travail par semaine (soit moins d’une heure par
jour) pourrait, dans certaines entreprises, être
entièrement compensée par des gains de productivité ; ce serait beaucoup plus difficile si
c’était une journée de travail par semaine qui
disparaissait.
Deuxième argument : il serait plus facile
pour une entreprise de s’organiser si tous ses
salariés font tous une semaine de 4 jours.
Remplacer une personne pendant une journée semble souvent plus simple que de complètement réorganiser l’entreprise pour que
tout le monde travaille 7 heures par jour. Déplus, le temps d’utilisation des équipements
(bureaux, machines...) ne baisserait pas.
Troisième argument : les cadres, qui travaillent plus de 10 heures par jour, ne profiteraient pas du passage aux 35 heures. En revanche, ils pourraient s’organiser pour libérer
une journée par semaine.
Quatrième argument : les 35 heures risquent
de ne se traduire que par « une heure de télé
de plus par jour ». Permettre à chaque salarié
de profiter d’une journée de plus par semaine,
consacrée aux loisirs, à l’éducation ou à des
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
223
activités associatives, pourrait, au contraire,
déboucher sur un vrai changement de société.
Le schéma gouvernemental
Le plan proposé par le Premier ministre se
veut pragmatique : une première loi lance le
processus en accordant des aides aux entreprises qui passent aux 35 heures ; puis la négociation prend le relais dans chaque entreprise ;
enfin, une seconde loi, prévue pour la fin de
1999, fixe une fois pour toutes la durée légale
du travail et le tarif des heures supplémentaires.
Cette loi sera plus ou moins contraignante en
fonction de l’avancée des négociations et de
la santé des entreprises. Si le processus est mal
engagé, elle permettra de corriger le tir. La
durée légale du travail n’a pour conséquence
que d’imposer l’octroi d’un salaire supérieur
(de 25 % actuellement) pour les heures effectuées au-delà de celle-ci. Si, au moment de la
seconde loi, fin 1999, le gouvernement tient
à ménager les entreprises, il pourra toujours
décider de ne facturer que très légèrement
les « nouvelles heures sup » (celles comprises
entre la 36e et la 39e heure) : 10 % au lieu de
25 %, par exemple.
La question du partage du travail est
de celles qui fâchent, car il faudra bien que
quelqu’un fasse un sacrifice. Soit les 35 heures
s’accompagnent d’une baisse de salaire équivalente à la baisse de la durée du travail, soit
les entreprises doivent elles-mêmes supporter ce surcoût, ce qui nuit à leur compétitivité.
L’équipe de Lionel Jospin a cherché à répartir
les efforts. D’abord, le gouvernement subventionne l’opération : c’est financièrement possible puisque, a priori, celle-ci doit entraîner
une baisse des dépenses liées au chômage (en
moyenne, un chômeur « coûte » 120 000 F par
an à la collectivité). Ces incitations financières
prennent la forme d’une baisse des charges ;
elles sont fixées à 9 000 F par salarié, la première année, et sont dégressives.
Ensuite, Lionel Jospin rejette l’idée d’une
baisse de salaire, mais il demande en échange
aux salariés de modérer leurs revendications
salariales. S’ils acceptaient, en échange des
35 heures, de renoncer par exemple à 1,2 point
de pouvoir d’achat par an pendant quatre ans,
cela permettrait à terme aux entreprises d’économiser près de 5 % de masse salariale.
Enfin, la réduction du temps de travail doit
s’accompagner de gains de productivité. Du
moins est-ce le pari des autorités. Si la durée
du travail est baissée de 10 %, l’entreprise n’est
pas forcément obligée d’augmenter ses effectifs de 10 %. Elle peut profiter de l’opération
pour réorganiser sa production, pour négocier
« l’annualisation de la durée du travail » avec
les syndicats (c’est-à-dire la possibilité de faire
travailler ses salariés 48 heures en période
de forte activité, et 30 heures en période de
basses eaux...). Selon les experts du gouvernement Jospin, ces gains de productivité induits
devraient permettre aux entreprises de participer à l’effort demandé sans que leur compétitivité ne soit mise à mal.
Les grandes étapes de la réduction du
temps de travail
Le débat sur les 35 heures n’est pas nouveau.
Depuis un siècle et demi, la place du travail
dans la vie des Français diminue constamment. La durée du travail a été divisée par
deux, passant de plus de 3 000 heures par an
à 1 650 actuellement pour les salariés à temps
plein (et ce, sans parler de la baisse de l’âge de
la retraite ou de l’allongement de la durée des
études...)
Voici les principales étapes de cette
évolution :
1814 : dimanches et jours de fêtes catholiques chômés.
1841 : travail des enfants de moins de 12 ans
limité à 8 heures par jour.
1848 : journée de 12 heures.
1900 : passage progressif (en quatre ans) à la
journée de 10 heures.
1906 : semaine de 60 heures avec repos
dominical obligatoire.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
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1919 : journée de 8 heures, semaine de
48 heures.
1936 : deux semaines de congés payés.
Semaine de 40 heures sans perte de salaire
(qui restera très théorique jusqu’en 1968).
1956 : troisième semaine de congés payés.
1963 : quatrième semaine de congés payés.
1968 : semaine de 40 heures transcrite dans
les conventions collectives.
1982 : semaine légale de 39 heures. Cinquième semaine de congés payés.
1996 : la loi Robien subventionne par
des baisses de charges les entreprises qui
réduisent le temps de travail pour créer ou
sauver des emplois.
Le patronat s’oppose, l’Europe
s’interroge
Malgré tout, le moins qu’on puisse dire, c’est
que le schéma proposé n’a pas convaincu le
patronat français. Ce dernier n’est pas hostile à
une baisse du temps de travail négociée entreprise par entreprise, mais il considère qu’une
loi s’appliquant à toutes les entreprises, sans
distinction, fera subir une nouvelle contrainte à
l’économie française. Les économistes libéraux
crient casse-cou, en pronostiquant des fermetures ou des délocalisations d’entreprises.
Dans les jours qui suivent la conférence du
10 octobre, le débat a franchi les frontières. En
Italie, c’est en promettant les 35 heures en 2001
que le président du Conseil, Romano Prodi, a
réussi, le 14 octobre, à dénouer une crise politique qui l’opposait aux communistes du mouvement Refondation, élément essentiel de la
coalition gouvernementale. En Allemagne, la
CDU de Helmut Kohl, en congrès à Leipzig,
a rejeté catégoriquement cette voie : « Une
réduction générale du travail ne peut contribuer à lutter contre le chômage, car elle nuirait
encore à la compétitivité de l’Allemagne », dit
une motion. Au contraire, le chancelier Kohl a
proposé au contraire de travailler plus, et sans
hausse de salaire...
PASCAL RICHÉ
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
225
Elle est née, la
brebis clonée !
La nouvelle a éclaté en février 1997
et a fait l’effet d’un coup de tonnerre
dans le ciel de la biologie. Dans le
monde entier, les médias en ont
fait leurs choux gras des semaines
durant, les comités d’éthique l’ont
retournée en tous sens dans le
monde entier. Devant tant de tapage,
l’opinion publique s’est émue. Puis
tout est rentré dans l’ordre. La
recherche continue.
Avec la naissance de Dolly a été
franchie une étape essentielle
dans l’histoire de la biologie. Pour
la première fois, un mammifère
(en l’occurrence une brebis) a été cloné de
main d’humain à partir d’une cellule adulte
prélevée sur sa « mère » biologique – soit, génétiquement parlant, sa copie conforme. Pour
la première fois, la performance technique
imaginée par Aldous Huxley en 1932 dans le
Meilleur des mondes (1932) est devenue réalité. Des animaux sélectionnés sur des critères
vétérinaires peuvent désormais être reproduits
à volonté, et rien ne s’oppose plus, techniquement, à ce que le clonage soit demain pratiqué
sur l’homme.
Portée à la connaissance du monde via la
revue scientifique Nature du 27 février 1997,
cette prouesse historique est l’oeuvre d’un
groupe de chercheurs écossais travaillant
sous la direction de Ian Wilmut pour le Roslin Institute d’Édimbourg – établissement de
recherche public – et pour PPL Therapeutics,
firme privée spécialisée dans les biotechnologies. La technique, pour résumer, consiste
à prélever une cellule dans les glandes mammaires d’une brebis adulte, puis à en extraire
le noyau porteur du matériel génétique (ADN).
Ce noyau, qui contient l’intégralité du patrimoine héréditaire de l’organisme, est ensuite
fusionné, moyennant un léger choc électrique,
avec un ovocyte (cellule sexuelle femelle) de
brebis préalablement énucléé. Le tout est enfin réimplanté dans l’utérus d’une brebis porteuse, qui mènera à terme le développement
d’une agnelle génétiquement semblable à la
brebis d’origine.
Au plan scientifique, l’avancée est immense. Pour les biologistes, le fait que Dolly
soit née d’une cellule adulte signifie en effet
que l’impossible est devenu vrai : pour la première fois, une cellule adulte replacée dans un
contexte favorable a pris à rebours le chemin
de l’enfance. Déjà différenciée, cette cellule est
redevenue totipotente – soit aussi puissante,
quant à son pouvoir de création, qu’une cellule
originelle.
Le clonage humain jugé inacceptable
Tous les biologistes le savent : si le clonage
des ovins est réalisable, celui des êtres humains peut l’être également. « Le meilleur des
mondes » est-il pour demain ? En 1993, déjà,
une tentative de clonage d’embryon humain
(qui s’était révélé porteur de graves anomalies
chromosomiques) avait été effectuée et publiquement annoncée. Et le développement des
techniques de la procréation médicalement
assistée est désormais tel que le clonage ne
peut qu’alimenter le désir de certains de créer,
« à la carte », un enfant génétiquement semblable à eux-mêmes – à moins qu’il ne s’agisse,
plus simplement, d’apporter une réponse thérapeutique à la stérilité.
Dès lors, où situer les bornes de l’inacceptable ? Confrontés à l’existence de Dolly
l’agnelle, responsables politiques et comités
d’éthique ont été à ce jour unanimes : le clonage humain, à quelque fin que ce soit, est
inacceptable. Dès la nouvelle annoncée par
les chercheurs écossais, le secrétaire général
du Conseil de l’Europe, Daniel Tarchys, réagit
en déclarant que cette réalisation scientifique,
au demeurant « impressionnante », montrait
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
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« combien des règles plus strictes de bioéthique sont nécessaires ».
Aux États-Unis, où les lois sont très libérales en
matière de manipulations génétiques, le président Bill Clinton fit rapidement savoir qu’il
interdisait que des fonds fédéraux puissent
être consacrés aux recherches sur le clonage
humain. Et de se prononcer, dans la foulée,
en faveur d’un moratoire volontaire de la
communauté scientifique, en précisant que
les hommes ne doivent pas « essayer de se
prendre pour Dieu ». En France, le président
Jacques Chirac a également saisi le Comité
consultatif national d’éthique sur le problème
du clonage des mammifères, et il s’est inquiété
de savoir si les lois relatives à la bioéthique
votées en 1994, qui font figure de modèle en
Europe, permettaient d’éviter « tout risque
d’utilisation de ces techniques de clonage sur
l’homme ».
Une étape clé :
le transfert d’embryons
La victoire mérite d’autant plus d’être savourée qu’elle représente l’aboutissement d’une
longue quête, commencée il y a près d’un
demi-siècle. Les chercheurs, en effet, étaient
déjà persuadés dans les années 1950 qu’il devait être possible de reproduire un individu à
partir d’une seule de ses cellules. Les progrès
de la génétique aidant, on savait que chaque
cellule somatique (non sexuelle) contient, dans
son noyau, le double jeu complet de chromo-
somes constituant son programme génétique.
Il suffisait donc, en théorie, de prélever un de
ces noyaux et de l’introduire dans un oeuf préalablement énucléé pour obtenir, à la naissance,
un individu génétiquement identique au
donneur. À condition, bien sûr, que la cellule
somatique utilisée ait conservé ses potentialités d’origine, et qu’elle soit capable de se dédifférencier pour redevenir embryonnaire.
Ce fut là, précisément, que le bât blessa.
Des décennies durant, les cloneurs en herbe se
heurtèrent à la même barrière : sur les amphibiens, et plus encore sur les mammifères, leurs
efforts donnaient des résultats d’autant plus
décevants que les cellules employées étaient
âgées-autrement dit spécialisées. Dans le meilleur des cas, les oeufs obtenus ne dépassaient
pas le stade des premières divisions.
Il fallut attendre les années 80, et la maîtrise du transfert d’embryons d’animaux d’élevage, pour que la perspective du clonage se
concrétise véritablement. En 1986, l’équipe
britannique du docteur Willadsen (Cambridge) annonçait la naissance d’un agneau
issu d’un « clonage embryonnaire par transfert de noyau ». Dans les années suivantes, la
technique (qui, comme son nom l’indique,
utilise des cellules embryonnaires et non pas
somatiques) fut reproduite sur des femelles
de plusieurs espèces : vaches, lapines, truies
et chèvres. En 1993, l’institut français de la
recherche agronomique (INRA) annonçait à
son tour avoir obtenu par ce procédé, sous la
direction de Jean-Paul Renard (Jouy-en-Josas,
Yvelines), la naissance de cinq veaux à partir
d’une seule cellule embryonnaire.
Entre les veaux de l’INRA et la naissance de
Dolly, il y eut encore une étape. Franchie, déjà –
et ce n’est pas un hasard –, par l’équipe du Roslin Institute d’Édimbourg. En 1996, l’équipe de
Ian Wilmut présentait à la communauté scientifique deux agnelles, Megan et Morag, exactes
copies génétiques l’une de l’autre. Fait remarquable, elles provenaient des cellules d’un
embryon de mouton âgé de neuf jours, soit
un embryon comptant plus de cent cellules
déjà partiellement différenciées. Dolly, fille
d’une cellule somatique entièrement adulte,
était déjà en germe dans Megan et Morag... Il
ne manquait plus que quelques mois de recherches, auxquels s’est peut-être ajouté, pour
les chercheurs d’Édimbourg, ce « petit plus »
que l’on nomme la chance.
Dolly, une vieille agnelle ?
Tombée au coeur de l’été 1997, l’information
ne fit cette fois que peu de bruit. Et pour cause.
Si elle se confirmait, elle mettrait à coup sûr un
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
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frein aux rêves grandioses de ceux qui considèrent déjà le clonage comme l’avenir de l’élevage animal. Mais elle fut donnée par celui qui
a, dans cette affaire, le moins intérêt à jouer
les oiseaux de mauvaise augure. D’après le
créateur même de Dolly, l’embryologiste Ian
Wilmut, l’agnelle la plus célèbre du monde
pourrait sous certains aspects avoir l’âge de sa
“mère” biologique. Non pas un, mais sept ans.
Comme la cellule qui lui a donné naissance.
Mauvais scénario de film de science-fiction ?
Pas si sûr. Si les études menées sur les chromosomes de Dolly sont encore préliminaires,
elles laissent entendre que ces derniers présentent de légères modifications de structure,
d’infimes altérations que l’on ne retrouve, en
temps normal, que dans les cellules d’animaux nettement plus âgés. Ce qui, au plan
biologique, n’aurait rien d’absurde. L’animal
dont on fêtait en juillet 1997 le premier anniversaire pourrait en effet avoir gardé dans ses
gênes la mémoire de ses origines : une cellule
de glande mammaire prélevée sur une brebis
adulte âgée de six ans.
Même si cette cellule a su redevenir embryonnaire et donner naissance à un organisme
parfaitement constitué, aucun biologiste ne
peut aujourd’hui affirmer qu’elle a perdu, pour
autant, tout signe de maturité, et effacé de ses
chromosomes toutes les marques du temps.
Dolly connaîtra-t-elle, dans les années à venir,
une sénescence précoce et accélérée ? Il est encore trop tôt pour le prédire. Si tel était le cas,
la recherche ne s’arrêterait pas pour autant
– ni même, sans doute, les applications du
clonage animal. Mais il serait plus que souhaitable, pour ne pas dire indispensable, que les
recommandations éthiques visant à interdire
le clonage humain soient suivies d’effet.
De réelles perspectives économiques
Dès l’annonce de la naissance de Dolly,
l’action de sa maison mère, la société privée
PPL Therapeutics, s’est envolée à la Bourse de
Londres. Au-delà de la prouesse fondamentale, la possibilité de cloner des mammifères
comme on bouture des végétaux pourrait
en effet avoir des conséquences importantes
dans un domaine essentiel des biotechnologies, dans lequel s’est précisément spécialisée la firme PPL : la création d’animaux
transgéniques.
Depuis une dizaine d’années, les progrès
de la biologie moléculaire permettent en effet
de modifier le patrimoine héréditaire de pratiquement n’importe quel organisme vivant, en
introduisant dans ses cellules un ou plusieurs
gènes étrangers. Mais cette technique de
transgenèse, aujourd’hui très bien maîtrisée
chez les végétaux, est nettement plus difficile à réaliser chez les animaux, et plus encore
chez les gros mammifères d’élevage. La manipulation – qui consiste à injecter dans un oeuf
fécondé une solution contenant de l’ADN, puis
à transplanter l’embryon ainsi transformé dans
l’utérus d’une mère porteuse – reste lourde,
et son rendement, extrêmement faible : de 1
à 5 % chez la souris, nettement moins encore
chez les animaux de grande taille.
On conçoit, dans ce contexte, l’intérêt que
trouveront les chercheurs au clonage animal.
Transformer génétiquement en laboratoire
une unique cellule adulte, la laisser se reproduire en autant d’exemplaires qu’il en est besoin, puis introduire chacun d’entre eux dans
un ovocyte énucléé, voilà qui devrait changer
considérablement le rendement de l’opération.
L’enjeu est d’autant plus grand que les animaux
transgéniques sont porteurs d’espérances non
négligeables dans le domaine biomédical.
Outre qu’ils sont employés comme modèles
expérimentaux de maladies humaines (hypertension, athérosclérose, mucoviscidose, etc.),
les sociétés de biotechnologies sont de plus en
plus nombreuses à miser sur leur exploitation
commerciale.
Leurs objectifs ? Ils sont de deux ordres.
Le premier, auquel travaillent des entreprises
comme PPL Therapeutics ou Genzyme Transgenics Corp. (États-Unis), consiste à faire produire à ces animaux des protéines humaines
d’intérêt pharmaceutique, en leur greffant le
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gène
dans
dans
plus
correspondant de manière qu’il s’exprime
un liquide facile à traiter, par exemple
le lait de vache ou de chèvre. Le second,
futuriste, ouvre un nouveau et fascinant
secteur de recherche biomédicale : celui des
xénogreffes. L’idée, actuellement développée
par Alexion Pharmaceuticals Inc. (États-Unis) ou
Novartis (Suisse), est de transférer à des porcs
des gènes humains susceptibles de rendre les
cellules de ces animaux tolérables par notre
système immunitaire. Les organes des porcs –
physiologiquement très proches des nôtres –,
devenus compatibles avec l’espèce humaine,
pourraient ainsi être utilisés, en quantités quasiment illimitées, pour pratiquer des greffes de
coeur, de foie ou de poumon.
Grâce à Dolly, voici donc les animaux transgéniques promis à un bel avenir. La première
étape de ce prévisible essor ne s’est d’ailleurs
pas fait attendre. Le 25 juillet 1997, la même
équipe écossaise (Roslin Institute et PPL Therapeutics) annonçait la naissance de Polly, première brebis obtenue par clonage d’une cellule
adulte et dotée d’un gène humain. Dans son
lait : le gène d’une protéine humaine à usage
thérapeutique, qui, une fois extraite, pourra
être administrée à des malades. Annoncée par
le Financial Times (le fait qu’il s’agisse d’un journal économique est significatif ), cette nouvelle
performance signe à n’en pas douter l’entrée
dans l’ère commerciale des animaux clonés
transgéniques. D’autant qu’on peut déjà prédire, même si les chercheurs durent effectuer
près de 300 tentatives pour obtenir Dolly, que
l’efficacité de la technique ira croissant.
Un danger pour
la diversité génétique
Dans une autre perspective, agronomique
cette fois, un second secteur pourrait également bénéficier du clonage animal : celui de
l’amélioration génétique des animaux d’élevage. Dans ce domaine, toutefois, les perspectives sont encore assez floues. Agronomes,
sélectionneurs, éleveurs sont unanimes : dans
l’état actuel de sa pratique, le clonage animal
reste trop cher, trop lourd à mettre en oeuvre,
en un mot trop peu rentable pour être sérieusement envisage à grande échelle. Dans le
cas des bovins notamment, tous s’accordent
à penser que le clonage des mâles ne présenterait aucun intérêt, puisque les taureaux
réservés à l’insémination artificielle, dont un
faible effectif suffit à assurer la reproduction
d’immenses cheptels, sont d’ores et déjà hautement sélectionnés.
En annonçant en 1993 l’obtention de ses
premiers veaux par « clonage embryonnaire »,
la direction de l’INRA n’en avait pas moins
annoncé la couleur. Son objectif, à terme :
« la production d’embryons bovins en grand
nombre, sélectionnés pour leurs qualités
agronomiques, à un prix compétitif avec celui
d’une paillette de semence congelée ». Le clonage à partir d’une cellule somatique pourrait,
à cet égard, se révéler plus intéressant encore,
puisqu’il permettrait de reproduire en quantités infinies un individu déjà adulte, aux qualités
agronomiques parfaitement connues.
Qu’il s’agisse de contrôler la qualité fromagère des laits de vache ou de chèvre, l’hypertrophie musculaire ou l’acidité de la viande
de porc, la technique du clonage, associée
aux progrès actuellement enregistrés dans la
connaissance du génome des animaux d’élevage, laisse ainsi envisager la production de
véritables « bêtes de concours », parfaitement
adaptées aux besoins de l’homme. Cette perspective ne présente guère qu’un seul risque,
mais il est de taille : appauvrir un peu plus la
diversité génétique des animaux d’élevage,
seule garante de leur survie à long terme.
Au coeur de l’embryogenèse
Sur un plan purement fondamental, le clonage par transfert de noyaux offre une situation idéale pour étudier l’un des aspects
les plus mystérieux de la biologie : les mécanismes qui président aux toutes premières
étapes du développement de l’oeuf. En
confrontant le noyau donneur (porteur du
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
229
programme génétique du futur individu) au
cytoplasme d’une autre cellule que l’ovocyte
originel, les chercheurs disposent en effet d’un
modèle expérimental naguère inconcevable,
pour étudier des processus naturels... dont ils
ignorent encore presque tout.
Quel est le rôle du cytoplasme au tout début
du développement embryonnaire ? Comment les cellules originelles, au départ toutes
identiques (totipotentes), deviennent-elles
progressivement des cellules du foie, du pied
ou de la peau – autrement dit des cellules
spécialisées ? Et, dans ces cellules (qui, toutes,
conservent l’intégralité de leur patrimoine
génétique), quels sont les mécanismes qui
président à l’expression ou à la répression des
gènes ? À toutes ces questions, la naissance
de Dolly n’a pour le moment apporté qu’une
réponse, en forme de nouvelle énigme. Car
l’impossible, on l’a vu, est devenu vrai : la cellule différenciée dont elle est issue est redevenue totipotente.
Pourquoi, comment les gènes qui étaient en
sommeil dans cette cellule adulte ont-ils été
réveillés ? Les chercheurs donneraient cher
pour pouvoir le dire. « La voie royale pour
savoir si une cellule est capable de se dédifférencier, c’est le clonage », confirmait dès la
naissance de Dolly le président français de
l’INRA, M. Guy Paillotin, pour qui la réussite
du Roslin Institute annonce une nouvelle ère
de recherches. Qu’il s’agisse de travaux fondamentaux ou appliqués, une chose est sure : si
Dolly est sortie de la boîte de Pandore, elle n’y
retournera pas.
CATHERINE VINCENT
JOURNALISTE SCIENTIFIQUE AU Monde
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
230
Le sport au défi
des nouveaux
dopages
Les progrès réalisés en biologie et
en médecine font que l’on dispose
aujourd’hui de nouvelles molécules
capables d’augmenter notablement
les performances physiques.
Ces substances hormonales sont,
en toute illégalité, utilisées par
de nombreux sportifs, alors que
les techniques disponibles ne
permettent pas de mettre toujours
en évidence cette nouvelle
forme de dopage.
C’est, pour l’essentiel, la mise sur le
marché il y a une dizaine d’années
de deux hormones humaines
produites par les techniques du
génie génétique, l’érythropoïétine (EPO) et
l’hormone de croissance, qui a révolutionné
la pratique du dopage. Excessivement variées,
souvent toxiques lorsqu’elles étaient efficaces,
les substances dopantes utilisées jusqu’alors
(et qui continuent encore souvent à l’être)
empruntaient à différentes familles pharmacologiques mais pouvaient assez facilement
être détectés, notamment par dosage dans
les urines. Ainsi, le dernier cas spectaculaire de
dopage mis en évidence ces dernières années,
celui du sprinter canadien Ben Johnson – privé
de son titre olympique en 1988 avant d’être
suspendu une nouvelle fois en 1993 –, avait
pour origine la prise de testostérone, hormone
sexuelle mâle connue pour ses propriétés anabolisantes ; à l’époque déjà, les spécialistes de
l’endocrinologie et de la médecine du sport
n’avaient pas caché leur surprise de voir un
athlète de ce niveau recourir à des procédés
aussi... démodés.
L’érythropoïétine (EPO)
Cette hormone a, de manière naturelle, la
propriété de décupler la production par l’organisme de globules rouges et, ainsi, en augmentant la quantité d’air transportée par le
sang aux tissus musculaires, d’améliorer les
performances physiques. En médecine, l’EPO
est utilisée chez les malades placés en hémodialyse (ou rein artificiel) souffrant d’une
production insuffisante de globules rouges.
Les techniques disponibles font que l’EPO
prise à des fins dopantes n’est pas détectable
dans les petites quantités d’urine prélevées
lors des contrôles antidopage. La prise d’EPO
peut avoir de graves effets secondaires dans
la mesure où elle modifie les paramètres de
la viscosité sanguine, exposant ainsi à la
survenue d’accidents cardio-vasculaires. Les
spécialistes estiment que l’EPO a commencé
à être utilisée par certaines équipes cyclistes
italiennes au début des années 80 avant que
l’usage de cette hormone ne se répande largement dans les milieux cyclistes. On estime
aussi que d’autres produits d’origine sanguine,
comme les hémoglobines de substitution toujours en expérimentation chez des malades
et pas encore commercialisées, sont d’ores et
déjà détournés de leur usage et utilisés à des
fins dopantes.
L’hormone de croissance
Synthétisée au niveau de l’hypophyse, elle a,
outre sa fonction de stimuler la croissance
chez l’enfant et l’adolescent, des propriétés
anabolisantes, augmentant notamment,
comme la testostérone, la masse musculaire et
réduisant la masse graisseuse de l’organisme.
Commercialisée pour les enfants souffrant
d’insuffisance hypophysaire, elle est détournée de son objet et utilisée sous forme d’injections intradermiques par certains adeptes des
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
231
sports de puissance ou d’endurance, ainsi que
dans les milieux du culturisme.
Une autre version de cette hormone (fabriquée à partir d’extraits cérébraux humains)
présente de sérieux risques sanitaires dans la
mesure où elle peut (à la différence de l’autre
issue des techniques du génie génétique)
transmettre l’agent de la maladie neurodéeénérative de Creutzfeldt-Jakob.
Vers de nouvelles méthodes
de dépistage
Les responsables des fédérations sportives
concernées par le dopage et surtout ceux du
Comité olympique international (CIO) ont rapidement pris conscience de la menace que représentent l’émergence et le développement
de ces nouvelles possibilités, hormonales,
d’amélioration artificielle des performances
musculaires. Outre l’atteinte à l’éthique sportive, ces pratiques sont particulièrement dangereuses. Alors qu’elles modifient nombre de
paramètres biologiques, elles sont le plus souvent mises en oeuvre en dehors d’une véritable
surveillance spécialisée.
Pour le professeur Peter Soenksen, membre
de la sous-commission « Dopage et biochimie
du sport » du CIO et endocrinologue à l’hôpital
Saint-Thomas de Londres, on devrait enregistrer des progrès importants en matière de dépistage d’ici aux Jeux de l’an 2000, à Sydney. Un
million de dollars ont été engagés par le CIO et
par l’Union européenne dans la recherche. La
mise au point d’une méthode de dépistage de
la prise d’hormones de croissance est attendue
pour la fin 1998, et, s’agissant de l’EPO, deux
méthodes de recherches, complémentaires,
sont selon Alexandre de Mérode*, président
de la commission médicale du CIO « en passe
d’aboutir ». L’une porte sur les signes extérieurs
de prise d’EPO et l’autre sur l’identification du
produit.
La lutte contre les nouvelles formes de
dopage a aussi été marquée, en mars 1997,
par les sanctions prises contre trois coureurs
cyclistes professionnels convaincus – premier
effet de l’autorisation accordée par l’Union cycliste internationale de procéder à des prélèvements sanguins – de s’être administré de l’EPO
au cours de la course Paris-Nice. Jusqu’alors, les
seuls prélèvements effectués lors d’épreuves
sportives étaient urinaires (ce qui de facto in-
terdisait pratiquement toute mise en évidence
de prise de substances hormonales), les sportifs – ainsi souvent que leurs fédérations – s’opposant aux prélèvements sanguins comme
susceptibles de réduire leurs performances.
Une option discutable,
le « dopage » sous contrôle médical
La course-poursuite entre l’innovation en
matière de dopage et la mise au point de
nouveaux outils de dépistage des fraudeurs
ne saurait masquer une question essentielle
qui touche à la définition même du dopage
et au statut du sportif professionnel dans une
société où les enjeux financiers du sport de
haut niveau n’ont jamais été aussi élevés. L’un
des principaux arguments avancés par ceux
qui estiment que l’administration de certaines
hormones ne devrait pas être prohibée, mais
médicalement contrôlée, est que la pratique
intensive de la plupart des sports – a fortiori
lorsque cette pratique est de haut niveau –
provoque chez le sportif différents déficits
hormonaux.
C’est notamment le cas, chez la femme,
pour la progestérone et les oestrogènes et,
chez l’homme, pour la testostérone. Pourquoi
ne pas compenser, lorsqu’ils surviennent, ces
déficits hormonaux et prévenir les troubles
afférents ? Pourquoi, en d’autres termes, ne pas
autoriser la mise en place d’un « dopage médicalement assisté » ?
Saisis de cette question essentielle pour
l’avenir de nombreux sports professionnels,
les sages du Comité national d’éthique pour
les sciences de la vie et de la santé sont venus,
dès 1993, au secours de ceux qui se refusent à
s’engager dans cette voie. Pour ce comité, « les
déficits hormonaux associés à la pratique sportive intensive sont la conséquence du caractère
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excessif de celle-ci, ils en constituent des symptômes d’alarme. » Aussi doit-on mieux « porter
remède aux causes des déficits et non pas les
compenser en maintenant les conditions qui les
ont provoquées ». « Une telle attitude pourrait être
préjudiciable à la santé des sportifs auxquels on
ferait prendre un risque, souvent sous la pression
des nécessités du spectacle et d’intérêts économiques », faisaient valoir les sages au terme
d’une démonstration qui n’a rien perdu de son
actualité et de sa pertinence.
Il n’en reste pas moins vrai que les pratiques
dopantes se perpétuent et se répandent dans
de nombreux sports, tout se passant comme si
notre société ne parvenait pas à choisir entre
le respect de la morale sportive traditionnelle
et le plaisir du spectacle de ces nouveaux gladiateurs que sont, bien souvent, les sportifs de
haut niveau.
JEAN-YVES NAU, JOURNALISTE AU Monde
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
233
Sida : réalité
et limites d’un
tournant
Le recours à des associations
de médicaments efficaces s’est
généralisé dans les pays développés,
mais, pour considérables et rapides
qu’ils semblent, ces progrès ne
doivent pas laisser méconnaître
l’émergence de résistances virales
aux traitements nouveaux ni faire
oublier le drame qui frappe toujours
plus cruellement les pays en voie de
développement.
Un rappel de l’état des lieux s’impose : on estimait fin 1996 que
près de 23 millions de personnes
étaient infectées par le VIH ;
14 millions en Afrique, 5,2 millions en Asie,
750 000 en Amérique du Nord et 500 000 en
Europe. Le sida, stade ultime de l’infection, ne
cesse de progresser dans les pays en voie de
développement : les progrès thérapeutiques
comme l’impact de la prévention y demeurent
ténus. De fait, dans certains pays, l’espérance
de vie a commencé à décroître sensiblement
(d’au moins 5 ans, par exemple, en Thaïlande).
La maladie concerne de façon plus importante
des sujets très jeunes. Sur la seule année 1996,
400 000 nouveaux cas d’infection par le VIH ont
été enregistrés chez des enfants de moins de
quinze ans. À la fin de l’année 1997, plus d’un
million d’enfants de ce groupe d’âge étaient
touchés par cette maladie, dont plus de 90 %
dans les pays en voie de développement. Depuis le début de l’épidémie, presque trois millions d’enfants de moins de quinze ans, infectés par le VIH, sont décédés. Si l’on extrapole les
valeurs de 1997 aux années à venir, la mortalité
des moins de cinq ans sera doublée d’ici l’an
2010 dans les pays les plus touchés alors que
la mortalité infantile, tous âges confondus, sera
accrue de 75 %.
En France, le nombre de nouveaux cas de
sida a augmenté jusqu’en 1994, atteignant
alors 2 958 cas au premier semestre, puis a diminué de façon rapide. Il s’est limité à 1 390 cas
au premier semestre 1997, contre 1 667 cas
au deuxième semestre de 1996 et 2 358 au
premier. Cette diminution semble concerner
surtout les hétérosexuels et les usagers de
drogues injectables, moins les homosexuels
et bisexuels. Elle bénéficie de façon majoritaire
aux patients séropositifs traités médicalement
avant que ne se déclare la maladie. Ces chiffres
ne permettent pas de connaître le nombre de
sujets contaminés mais ne manifestant encore
aucun signe clinique. Comme le nombre de
patients séropositifs connus et traités par des
médicaments avant que ne surviennent les
premiers signes de la maladie a augmenté
depuis 1993, on peut supposer que la diminution des nouveaux cas de sida est due à
l’efficacité des stratégies antivirales adoptées
chez des patients encore asymptomatiques.
Le nombre de décès dus au sida a connu une
évolution comparable à celle des cas de maladie déclarés, augmentant jusqu’en 1994 (avec
4 131 décès en France pour l’année) pour diminuer ensuite (2 802 cas en 1996 et 670 pour le
premier semestre de 1997).
Pays en voie de développement :
le drame obligé
L’épidémie de sida pose dans le tiers-monde
des problèmes psychologiques et sociaux
majeurs, d’une ampleur considérable : mi1996, plus de 9 millions d’enfants de moins de
quinze ans avaient vu leur mère en décéder,
dont 90 % des cas en zone subsaharienne.
L’accès à un simple traitement par AZT pourrait faire passer d’environ 25 % à seulement
8 % le taux de transmission mère-enfant.
Encore faut-il une réelle volonté politique et
économique pour mettre en place ce type
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
234
de prévention : le protocole thérapeutique
par AZT, incluant le traitement de la femme
enceinte puis de son(ses) enfant(s), représente un investissement d’environ 6 000 F. Des
actions de prévention plus directes et moins
coûteuses demeurent encore mal comprises
de populations qu’elles blessent parfois dans
leurs croyances. La sensibilisation de la population féminine de ces pays constitue vraisemblablement l’une des actions les plus efficaces
en ce domaine (associant la prévention à
l’égard des MST par usage du préservatif, l’assurance pour la femme de disposer de façon
inaliénable de son corps, l’obligation morale
et économique de limiter les naissances).
Les bénéfices cliniques et sociaux
des associations de médicaments
C’est en 1986 que l’on a administré le premier médicament antiviral actif contre le VIH,
l’azidothymidine (AZT), dont on avait rapidement montré qu’il ralentissait la progression
de la maladie. Mais les effets de ce traitement,
comme de ceux institués dans les années suivantes avec des médicaments comparables
(ils inhibent le fonctionnement d’une enzyme
indispensable à la multiplication du virus, la
transcriptase-inverse), demeuraient modérés
et, surtout, transitoires. Le développement,
depuis le début des années 90, d’une nouvelle
classe thérapeutique, celle des antiprotéases
(des médicaments actifs sur une autre enzyme
indispensable à la multiplication virale), a modifié radicalement ce paysage.
Des résultats spectaculaires furent rendus
publics lors du congrès de Washington en janvier 1996 : une trithérapie (traitement reposant
sur l’administration de trois médicaments) par
des produits agissant par des voies différentes
sur le VIH améliorait considérablement l’état
des malades. En juillet 1996, lors du congrès
de Vancouver, l’efficacité de ce schéma thérapeutique fut confirmée. Fin 1997, plus de
23 000 patients français sur 80 000 personnes
séropositives suivies dans notre pays, bénéficiaient d’une trithérapie. La trithérapie constitue donc désormais le traitement « standard »
de l’infection par le VIH. Elle cumule plusieurs
avantages théoriques : les effets thérapeutiques des médicaments – qui n’agissent pas
tous de la même façon sur le virus – s’additionnent ; l’apparition d’une résistance du virus
au traitement est inhibée ou retardée ; l’action
thérapeutique porte sur les cellules nouvellement infectées comme sur celles déjà porteuses du VIH.
Les données sur la physiopathologie de
l’infection par le VIH constituent autant d’arguments privilégiant le recours à l’association de
plusieurs médicaments (on étudie aujourd’hui
des associations de quatre, voire cinq, médicaments actifs sur le virus). La réplication du
VIH est intense à tous les stades de la maladie
(1 000 à 10 000 millions de copies du virus
sont ainsi fabriquées chaque jour), même chez
les sujets encore asymptomatiques. Un virus
sur deux est détruit par l’organisme dans les
quelques heures qui suivent sa fabrication.
Les mutations étant fréquentes, la population
virale d’un patient donné devient rapidement hétérogène. Plus la contamination est
ancienne, plus les mutants sont nombreux et
plus l’organisme contient de virus capables de
résister aux médicaments. Il est donc nécessaire de promouvoir un traitement aussi précoce et puissant que possible, afin d’enrayer
la multiplication du virus et donc de limiter la
probabilité de mutations.
Mais la régression parfois considérable des
manifestations cliniques et biologiques de
l’infection ne doit pas faire mésestimer des
questions qui demeurent en suspens : il reste
impossible d’affirmer qu’une élimination totale
du virus chez un individu contaminé est possible et, même si l’efficacité du traitement peut
être matérialisée par l’augmentation de la population des cellules sanguines détruites par le
virus (lymphocytes CD4) et la diminution de la
quantité de virus dosable dans le plasma, une
reconstruction immunitaire normale ne paraît
pas pouvoir être obtenue aujourd’hui chez
tous les patients.
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
235
Cependant, l’intérêt de la trithérapie est tel
qu’une circulaire autorise, depuis juillet 1997,
le traitement préventif par cette voie de sujets
ayant risqué une contamination, notamment
lors d’un rapport sexuel non protégé. Et, depuis le 30 octobre 1997, les traitements antirétroviraux de prescription initiale hospitalière
peuvent être renouvelés par des généralistes
et dispensés en officine.
Charge virale : un outil
de premier ordre
La charge virale reflète la quantité de virus
présente chez un individu. Il est désormais
possible de la mesurer dans les cellules du
sang (charge virale cellulaire qui renseigne sur
le réservoir viral) ou dans le plasma (quantité
de virus libre dans le plasma, reflétant l’importance de la multiplication du virus dans l’organisme). Associée à la numération des lymphocytes, elle permet de suivre la progression de
la maladie (elle est prédictive du risque de
survenue d’infections opportunistes), de poser
l’indication du traitement antiviral puis d’évaluer son efficacité. Le ministère de la Santé a,
dès janvier 1996, recommandé de l’utiliser
pour assurer le suivi des personnes infectées.
S’agissant des essais cliniques, la mesure de
la charge virale plasmatique est devenue un
critère d’évaluation aussi précoce qu’essentiel
pour de nombreux essais de médicaments
chez des sujets simplement séropositifs. Elle
a permis de valider la trithérapie, qui assure
souvent une réduction rapide et considérable
de la quantité de virus circulant dans le sang
et contenue dans le tissu lymphoïde.
Ne pas baisser la garde
De nouveaux médicaments actifs contre
le VIH sont en voie de commercialisation et
beaucoup d’autres sont actuellement évalués
dans les laboratoires. Actifs à diverses étapes
de la multiplication du virus, ils confortent
l’espoir de disposer dans un futur proche
d’armes encore plus efficaces. D’importants
progrès permettent d’élaborer des molécules
mieux tolérées et plus faciles à administrer
aux patients asymptomatiques qui, indemnes
de toute manifestation clinique de la maladie,
vivent comme une contrainte parfois insupportable l’obligation d’absorber plusieurs fois
par jour des produits qui leur occasionnent
souvent des nausées, des maux de tète ou des
malaises. Certains patients prennent ainsi entre
huit et douze comprimés ou gélules chaque
jour, répartis de façon stricte. Une observance
insuffisante de la prescription aboutit rapidement, à une perte majeure des possibilités
de traitement, car elle favorise la sélection de
souches virales résistantes aux médicaments.
Le patient infecté par le VIH figure donc, plus
encore que pour d’autres maladies, au centre
même du processus thérapeutique : il est l’acteur principal de la réussite de son traitement.
Mais il faut aussi pour ce malade apprendre
à gérer l’espoir nouvellement redonné. L’avancée thérapeutique bouleverse l’existence de
beaucoup de patients : il s’agit moins désormais de se préparer à l’idée de mourir du
virus que de se faire à celle de vivre avec. De
composer avec. De supporter l’injustice biologique qui fait que certains, parmi des enfants,
des amis, des proches atteints eux aussi par la
maladie, ne réagissent pas suffisamment aux
traitements actuels (ils sont entre 10 et 30 %) :
ceux chez lesquels les résultats sont évidents
supportent souvent mal une amélioration
vécue comme quasi miraculeuse par rapport
à ceux qui se voient précipités vers la mort.
Beaucoup de malades, affaiblis et déprimés,
ont progressivement abandonné toute activité salariée, vivant de l’allocation pour adulte
handicapé. Nombre d’entre eux, recouvrant de
façon inespérée des forces et une espérance
nouvelle, aimeraient retrouver un travail : mais
comment réintégrer des personnes qui ont
longtemps perdu contact avec l’entreprise ?
Comment justifier auprès d’un employeur un
vide de quatre, cinq ou six ans dans un curriculum vitae ? L’association Act Up va jusqu’à
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craindre qu’un sida considéré comme maladie
chronique n’ait plus le même impact médiatique et ne parvienne plus à mobiliser les volontés politiques, les responsables de la santé
publique ou l’industrie pharmaceutique.
Pire : le sentiment que le danger est écarté
incline certaines personnes, des homosexuels
essentiellement, à ne plus prendre les précautions élémentaires. Alors même que les
mesures prophylactiques ne s’étaient mises
en place que trop lentement dans la communauté gay française, face au lobby que représentait au début des années 80 l’ensemble des
activités centrées sur l’homosexualité (discothèques, saunas, bars et restaurants, médias,
etc.), beaucoup ne songent déjà plus à utiliser
systématiquement un préservatif. Le safe sex
(sexe « sans risque », un concept popularisé
aux États-Unis il y a déjà quinze ans qui invite
à une pratique préférant la masturbation à la
pénétration) n’est plus privilégié de façon aussi
rigoureuse dans tous les établissements fréquentés par la communauté homosexuelle.
DENIS RICHARD, PHARMACIEN DES HÔPITAUX, UNIVERSITÉ, CENTRE
HOSPITALIER HENRI-LABORIT, POITIERS.
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
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L’eau menacée
L’eau est une ressource abondante,
en principe renouvelable, mais
très inégalement répartie. Les
prélèvements nécessaires à
l’agriculture, à l’industrie et à la
consommation d’une population
mondiale sans cesse croissante font
qu’elle pourrait finir par manquer.
De plus, la qualité des eaux
naturelles et de consommation se
dégrade du fait de la pollution.
Le renouvellement naturel des eaux
superficielles continentales s’explique par le climat, lui-même résultat d’un équilibre entre l’hydrosphère, l’atmosphère, la biosphère et l’énergie
solaire. Cette dernière est le moteur du cycle
de l’eau : elle entretient les mouvements ininterrompus de l’eau entre continents, océans
et atmosphère. Le cycle se déroule ainsi : sous
l’effet de l’évaporation des eaux océaniques et
continentales et de la transpiration des êtres
vivants, l’eau s’accumule dans l’atmosphère.
Au cours de son ascension, la vapeur d’eau,
en se refroidissant, se condense partiellement
sous forme de nuages ; l’atmosphère se charge
alors en eau à l’état de liquide, de vapeur ou
de cristaux de glace. Les gouttes de pluie, les
grêlons ou la neige retombent sous l’effet de
la gravité, sur les océans et les continents. Une
partie des eaux précipitées est soumise à l’évaporation et à l’évapotranspiration, tandis que
l’autre ruisselle à la surface ou s’infiltre dans
le sol et le sous-sol. Les eaux de ruissellement
se concentrent dans les cours d’eau avant de
rejoindre mers et océans, lacs et mers continentaux. Et le cycle reprend. L’inégale répartition des eaux superficielles s’explique par
la dynamique du cycle de l’eau, elle-même
déterminée par l’énergie solaire, les échanges
énergétiques Terre-Soleil et Terre-atmosphère, le champ de pression atmosphérique,
et par des facteurs astronomiques et géographiques. Les précipitations sont inférieures à
l’évaporation dans les régions subtropicales
et polaires, et supérieures dans les régions des
basses et moyennes latitudes. Il n’est donc pas
étonnant que la carte des ressources en eaux
superficielles soit superposable à celle des
précipitations.
La ressource
La réserve totale en eau de la planète, estimée
entre 1,4 et 1,7 milliard de km 3, est constante.
Elle est constituée par les eaux océaniques,
par les eaux que retiennent les calottes glaciaires et enfin par les glaciers et les eaux
continentales. Soit, respectivement, 97,2 %,
2 % et 0,6 % de l’ensemble (les 0,2 % restants
correspondent au cumul de l’eau du sol et de
l’eau atmosphérique). Sur les 100 000 km 3
d’eau qui retombent chaque année sur les
continents, 15 000 s’infiltrent dans les sols ou
sont absorbés parla végétation, 60 000 s’évaporent et 35 000 alimentent lacs et rivières.
L’homme n’utilise que la moitié environ de ces
eaux de surface, soit de 15 000 à 20 000 km 3.
Ce volume est très supérieur aux besoins actuels et il n’y a pas de risque de pénurie à court
terme. Précisons cependant que la répartition
spatiale des eaux douces superficielles est
aussi inégale que celle des précipitations et
que de grands gisements d’eau souterraine –
généralement fossile donc non renouvelable
– existent aussi bien dans les régions désertiques que dans les régions très pluvieuses.
L’eau douce, à l’échelle de la planète, ne se
trouve pas toujours où il faudrait au regard de
la répartition de la population.
Les eaux superficielles
Il s’agit de l’ensemble des eaux de surface (eaux fluviales et lacustres) ainsi que des
nappes phréatiques situées à moins de 100 m
de profondeur. Ces eaux, là où elles existent,
sont renouvelées dans les conditions climatiques actuelles. Leur abondance peut être afdownloadModeText.vue.download 239 sur 361
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fectée par des sécheresses aggravées, comme
c’est souvent le cas dans les régions subtropicales et tropicales sèches (Sahel).
La qualité naturelle de ces eaux est fonction de leur contexte géologique, biogéographique et climatique. Les eaux courantes,
en l’absence de toute influence humaine,
contiennent et transportent des matières dissoutes et des matières en suspension : les premières proviennent de l’altération des roches,
du lessivage des sols, des apports atmosphériques d’origine volcanique et océanique ; les
secondes sont fournies par l’érosion mécanique des roches, des sols et des berges des
rivières, ainsi que par la végétation.
La nature des terrains géologiques détermine la teneur moyenne des eaux fluviales
en sels dissous, qui peut varier entre 10 et
5 000 mg/l. Si l’altération des granités, des
gneiss et des grès libère peu de sels, celle des
calcaires ou des roches sédimentaires riches
en évaporites (chlorure de sodium, sulfate et
carbonate de calcium) rend les eaux dures. Les
eaux de certaines rivières du Jura sont séléniteuses (riches en gypse), d’autres très calcaires.
La composition ionique des eaux superficielles
est, elle aussi, très variable. La présence de certains ions permet de distinguer, par exemple,
des eaux sulfatées sodiques (rivières des Black
Shales, au Montana), des eaux chlorurées
sodiques, comme celles de rivières bretonnes
ou landaises, ou encore des eaux sulfatées
magnésiennes.
Les eaux recèlent également de nombreux
éléments minéraux, chimiques et organiques
en quantité variable. Il s’ensuit qu’à l’état naturel elles peuvent être potables, moyennement
potables ou totalement impropres à certains
usages humains : tout ne doit donc pas être
imputé à la pollution. Ce qui n’enlève rien au
caractère préoccupant de celle-ci.
La pollution, un risque majeur
Une eau est dite polluée lorsque sa qualité a été modifiée par les activités humaines,
agricoles et industrielles. Or, les eaux superficielles, qui représentent l’essentiel de la ressource exploitée, sont précisément celles qui
sont les plus affectées par la pollution ou, plus
exactement, par des pollutions de plus en plus
variées. Le programme des Nations unies pour
l’environnement a classé les modifications de la
qualité des eaux en neuf catégories selon leurs
origines et/ou leurs effets : pollution fécale, pollution organique biodégradable, salinisation,
pollution par les nitrates, les métaux lourds, les
micropolluants organiques, l’eutrophisation,
l’acidification, les pollutions thermiques et la
contamination radioactive. Ce caractère pluriel
de la pollution explique qu’elle soit devenue,
en cette fin de siècle, si préoccupante.
Les eaux naturelles, rarement potables, sont
le lieu de pollutions multiples ; elles peuvent
être souillées par des déchets d’origine végétale, animale et humaine. Les eaux fluviales et
lacustres véhiculent et renferment des germes
pathogènes, vecteurs de la typhoïde, du choléra ou de la dysenterie, des virus comme
ceux de la poliomyélite et de l’hépatite. À ces
pathologies liées à l’eau il faut ajouter les maladies parasitaires transmises par les insectes
(paludisme, onchocercose, trypanosomiase...)
ou par les mollusques (bilharziose), maladies
qui affectent des centaines de millions de personnes dans les pays tropicaux et subtropicaux.
Dans les pays développés, la pollution est le
fait des activités agricoles et industrielles et de
la production – accumulation d’un volume de
plus en plus considérable de déchets ménagers très variés, et pour certains toxiques. La
concentration des substances dangereuses
dans les rivières et les nappes phréatiques
atteint localement des valeurs critiques. Les
métaux lourds (plomb, mercure, cadmium,
cuivre...), les produits chimiques de synthèse
comme les pesticides, les engrais (phosphates
et nitrates), les solvants, les produits pétroliers,
les poussières industrielles sont aujourd’hui
des polluants banals. Les pluies elles-mêmes,
lorsqu’elles sont acides, sont des polluants
ordinaires dans les pays industriels et dans cerdownloadModeText.vue.download 240 sur 361
DOSSIERS DE L’ANNÉE
239
tains pays d’Amérique du Sud, d’Europe centrale, d’Asie du Sud et du Sud-Est.
La pollution par les seuls nitrates est importante dans les régions d’élevage intensif. En
Bretagne, dans le Morbihan ou les Côtes-d’Armor, la concentration en nitrates atteint et dépasse souvent les 100 mg/l ; aux Pays-Bas, on a
relevé des teneurs supérieures à 450 mg/l alors
que la directive de la CEE de 1982, réglementant la qualité des eaux, fixe comme teneurseuil 50 mg/l ! Or, ces nitrates que l’on retrouve
dans les légumes seraient cancérigènes pour
l’homme et l’animal et menaceraient les bébés
de méthémoglobinémie, la maladie bleue, qui
se traduit par des difficultés respiratoires et des
vertiges.
Les cours d’eau, dans lesquels on prélève
ce qui est nécessaire pour alimenter de très
nombreuses villes, sont eux-mêmes pollués
au point que leur faune et leur flore sont très
appauvries. Le Rhin, par exemple, transportait
jusqu’en mer du Nord, au début des années 80,
1 100 000 tonnes de chlorures, 3 500 de phosphates, 450 de cuivre, 10 de cadmium... Le saumon, pour ne citer que cette espèce, avait disparu des eaux rhénanes (il y a réapparu en 1996
après que les 5 pays riverains ont pris, en 1987,
des mesures draconiennes). La pollution par
les pesticides ne cesse de s’aggraver tant dans
les pays industriels que dans les pays tropicaux,
où l’utilisation des insecticides et des fongicides croît au rythme des productions d’exportation vers les pays riches (café, cacao, fruits et
fleurs). En France, où plus de 100 000 tonnes
de pesticides sont utilisés chaque année, des
enquêtes ont révélé la présence, dans les eaux
distribuées dans plusieurs villes, de lindane,
d’atrazine et même d’haloformes provenant
de la chloration de l’eau lors de son traitement.
Affectant les eaux fluviales, la pollution
atteint, par voie de conséquence, les eaux marines côtières où est concentré l’essentiel des
ressources marines renouvelables mais non
illimitées.
Ces eaux, où sont pratiquées la pêche,
l’ostréiculture, la mytiliculture ou l’aquaculture, comme les littoraux, où se développent
les activités portuaires, industrielles, balnéaires
et touristiques, sont donc menacés. La fréquence des intoxications des parcs à huîtres et
des bassins mytilicoles par la salmonelle ou la
dinophysis, les marées vertes en Bretagne ou
en Vénétie, la qualité médiocre des eaux de
baignade sont les preuves les plus manifestes
de la dégradation des milieux aquatiques (sans
parler des marées noires).
La production d’eau potable à partir des
eaux naturelles insuffisamment pures ou
d’eaux polluées implique donc la gestion,
le suivi permanent et le traitement de la ressource eau de façon à fournir aux consommateurs un produit conforme à des normes de
qualité de plus en plus exigeantes.
Le traitement des eaux
Compte tenu du nombre des substances et
des micro-organismes présents dans les eaux
superficielles d’où est tirée l’eau destinée à la
consommation, il est aisé d’imaginer la somme
de compétences et de technicité à mettre en
oeuvre pour produire l’eau alimentaire. Traiter les eaux consiste à maîtriser les éléments
qu’elles contiennent pour les rendre propres
à la consommation ou à tout autre usage que
l’on souhaite en faire, et pour rejeter finalement
dans le milieu naturel des eaux usées en partie
épurées.
Une eau potable doit correspondre à
des normes bactériologiques, physiques,
chimiques et radiologiques ainsi qu’à des critères organoleptiques (l’eau doit être incolore,
inodore, insipide) stricts édictés par l’Organisation mondiale de la santé et précisés par les
services de santé nationaux. Les eaux captées,
soumises préalablement à un suivi analytique,
subissent une série de traitements d’épuration
et d’affinage permettant d’extraire, de détruire
ou de modifier les corps qu’elles contiennent.
Les stations d’épuration des eaux captées,
encore insuffisamment nombreuses dans les
pays industriels et très rares dans les pays du
tiers-monde, réalisent à peu de chose près les
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
240
mêmes traitements : coagulation et floculation, décantation, flottation et filtration, désinfection, ozonation et désodorisation (élimination des facteurs de dureté).
Dans les pays dépourvus de ressources en
eau, c’est-à-dire les pays désertiques à façade
océanique, l’eau alimentaire est obtenue par
dessalement de l’eau de mer, technique simple
mais très onéreuse. La capacité de ces unités
de dessalement varie entre quelques centaines
et 30 000 à 40 000 m3/jour. Les eaux usées
doivent être, elles aussi, épurées avant d’être
rejetées. Les eaux usées sont ainsi soumises à
des traitements variés comme le dégrillage, la
décantation, le lagunage, la filtration, la nitrification, la chloration, l’ozonation, autant d’opérations qui permettent d’éliminer aussi bien les
matières en suspension que les matières organiques ou certains produits chimiques plus ou
moins toxiques.
Le prix de l’eau
« L’eau du robinet » a été extraite du sous-sol,
d’une rivière ou d’un lac, artificiel ou non,
transportée jusqu’à la station d’épuration,
traitée dans celle-ci puis acheminée chez le
consommateur. Rien d’étonnant donc à ce
que son prix soit élevé et ne cesse d’augmenter (d’autant qu’il inclut le traitement après
utilisation). En France, il varie d’une région à
l’autre, d’une ville à l’autre ; le prix moyen du
mètre cube est actuellement de 10 F. Au prix
de revient s’ajoutent les diverses redevances
(d’assainissement, communale, de puisage,
de pollution, de solidarité, départementale)
et la TVA. Les 6 Agences de bassin sont des
établissements publics chargés de la gestion
rationnelle des ressources ; elles accordent des
prêts et des subventions pour la réalisation
d’ouvrages améliorant la qualité des eaux et
perçoivent des redevances (la redevance de
la pollution) auprès des usagers. Elles ne se
substituent pas aux maîtres d’oeuvre que sont
l’État, les collectivités locales et les sociétés
privées. Si, en France, l’eau du robinet est globalement bonne, les consommateurs sont de
plus en plus enclins à boire de l’eau de source
ou de l’eau minérale, dont le prix, courant
1997, se situe entre 1,37 et 4,52 F le litre, soit
entre 1 370 et 4 520 F le mètre cube...
Une ressource à partager
Le réseau hydrographique de certains
grands fleuves draine parfois tout ou partie du
territoire de plusieurs États, qui sont condamnés à s’entendre pour gérer ce bien commun
et développer la pêche, la navigation ou la production d’énergie tout en respectant l’environnement. C’est ainsi que des organisations interétatiques ont vu le jour au cours de ces trois
dernières décennies. En Afrique de l’Ouest par
exemple, l’OMVS (Organisation pour la mise
en valeur du fleuve Sénégal), qui regroupe le
Sénégal, le Mali et la Mauritanie, a déjà réalisé
le barrage de Manantali, barrage hydroélectrique et régulateur de débit, et le barrage
de Diama, destiné à stopper la remontée des
eaux mannes dans la basse vallée. En Asie du
Sud-Est, le Viêt Nam, le Laos, le Cambodge et
la Thaïlande, 4 des 6 États riverains du Mékong,
ont, en janvier 1995, ratifié un accord sur l’exploitation de ce fleuve de 4 180 km.
En Europe, l’Espagne et le Portugal ont
engagé au printemps 1997 des pourparlers en
vue de l’exploitation plus rationnelle des eaux
du Tage, du Douro et du Guadiana.
En septembre 1997, 130 experts de 25 pays,
réunis à Copenhague, ont présenté les résultats
les plus récents sur la gestion des ressources
de la planète. La conférence a notamment
abordé le problème du manque d’eau dans le
bassin de la Méditerranée et la pollution par
les nitrates et les pesticides. Au Proche-Orient,
compte tenu de la situation politique, l’utilisation et le partage des eaux du Jourdain, du
Tigre ou de l’Euphrate s’avèrent pour le moins
problématiques. L’eau a, dans ce cas précis, une
importance vitale et stratégique.
L’avenir de l’eau, considérée comme une
ressource indispensable à la vie et au bien-être
de l’humanité, est d’ores et déjà compromis. Il
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s’avère urgent de développer, tant au niveau
de chaque État qu’au niveau des régions et des
sous-régions, des politiques adéquates et pertinentes permettant de rationaliser l’exploitation des gisements, d’améliorer la gestion de la
ressource eau, et son traitement, et de réduire
au maximum toutes les formes de pollution
des eaux superficielles.
Les eaux souterraines
Les différents continents renferment des
réserves d’eau souterraine, gisements très
importants dont la localisation est inféodée à
des structures géologiques particulières et qui
doivent leur existence aux conditions climatiques actuelles ou passées. Parmi ces aquifères profonds, dans lesquels les eaux peuvent
se déplacer à différentes vitesses sur de longues distances, on distingue les nappes libres,
c’est-à-dire les nappes d’eau à niveau variable
qui sont surmontées de terrains sédimentaires
perméables, et les nappes captives, qui sont
situées sous des terrains imperméables.
Si les premières ont des rapports, même ténus, avec le cycle de l’eau, les secondes, dites
« fossiles », n’ont plus aucun rapport avec les
climats actuels et leur renouvellement n’est
donc plus assuré. Autrement dit, l’exploitation
des nappes fossiles peut conduire à leur tarissement à plus ou moins long terme. Au Texas,
par exemple, les réserves des High Plains, exploitées depuis le début du siècle au rythme de
6 milliards de m3 par an, seront épuisées vers
2030. En Arabie saoudite ou en Libye, l’essentiel de l’eau consommée ou utilisée à des fins
agricoles et industrielles est extrait des nappes
fossiles. À quelle source d’approvisionnement
fera-t-on appel lorsque ces gisements seront
épuisés ?
PHILIPPE CHAMARD
Bibliographie
Dossiers dans : Sciences & Avenir,
no 354 ;
le Nouvel Observateur, collection
« Dossiers », no 11 ;
Actuel Développement, no 56/57 ;
la Recherche, no 221.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
242
Combattre la
douleur
La volonté de soulager la douleur
est désormais à l’ordre du jour.
La France s’est fixé un objectif :
diminuer de moitié d’ici à l’an 2000
le nombre de malades déclarant
souffrir au cours du cancer, du sida
ou à la suite d’une intervention
chirurgicale.
Notre culture a cessé d’exalter
la douleur et son acceptation
comme une valeur spirituelle.
Mais peut-on enfermer la souffrance dans les limites d’une stricte définition ?
Elle renvoie à un vécu avant tout subjectif.
Comment traduire ce qui est vécu dans les
situations cliniques par ceux qui s’expriment
avec difficulté : enfants, sujets âgés, handicapés mentaux ? Comment prendre en compte
toute la palette du senti et du ressenti douloureux ? Fréquente, complexe dans ses origines,
la douleur liée à un cancer ou au sida préfigure,
par exemple, au-delà de sa dimension physique, pour le patient comme pour sa famille,
les moments difficiles d’une fin de vie. La combattre avec efficacité est une préoccupation
médicale de plus en plus importante. C’est
même devenu une véritable exigence éthique.
Les cicatrices de la douleur
Nombre de travaux actuels sont consacrés à
l’effet d’une douleur sur un système immature
en période ante- ou périnatale. Divers arguments suggèrent l’induction d’une vulnérabili-
té acquise à la sensation douloureuse lorsque
existe une modification structurelle des récepteurs impliqués dans cette sensation. Cela
revient, en termes plus accessibles, à envisager qu’un conditionnement douloureux de
l’enfance puisse provoquer des douleurs chroniques ultérieurement dans l’existence, sans
que le sujet ait, bien sûr, conscience de leur
origine. C’est ainsi que 30 à 60 % des patients
se plaignant de douleurs abdominales, pelviennes, céphaliques ou lombaires auraient
vécu une enfance traumatisante, avec, le plus
souvent, sévices sexuels. Cette agression précoce, enfouie dans l’inconscient, serait parfois
revécue à l’âge adulte à l’occasion d’un traumatisme générateur de névrose et de douleur
chronique.
Une politique consensuelle
La multiplication des recommandations
issues de conférences de consensus témoigne
de l’exigence de soulager la douleur. S’agissant
de la douleur cancéreuse, les recommandations de l’Agence nationale pour le développement de l’information médicale (ANDIM)
ont été adressées à l’ensemble des médecins
généralistes de France. C’est en 1995 que cet
organisme a défini ses « recommandations
pour la prise en charge de la douleur du cancer ». Elles stipulent une utilisation graduelle
des produits disponibles en les adaptant au
degré de la souffrance, un recours accru à
l’administration d’opiacés puissants comme la
morphine et la précocité de l’intervention thérapeutique, qui doit toujours prévenir la douleur plus que la tarir.
La douleur, notamment chez le patient
cancéreux ou sidéen, reste souvent évocatrice
d’une progression de l’affection. Elle engendre
en elle-même anxiété, dépression, repli sur soi.
Cette situation d’angoisse met en branle des
mécanismes de défense sur lesquels le thérapeute doit savoir s’appuyer, car il s’agit là de
mécanismes adaptatifs : transfert de l’angoisse
sur un élément substitutif (agressivité vis-à-vis
du corps médical tenu pour responsable du
diagnostic, demande successive de divers traitements, etc.). Le médecin doit veiller à écouter
attentivement la plainte du patient, à ne pas
lui mentir gratuitement, à l’informer et à l’aider
ainsi que sa famille à gérer le désinvestissement. Un accompagnement correct pourra
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
243
lever les mécanismes de défense et installer
la relation dans l’authenticité. Il importe d’ailleurs de ne pas mésestimer l’importance de
cet accompagnement, pour le patient comme
pour ses proches. Le médecin doit y demeurer
particulièrement attentif. Il ne doit pas abolir la
dynamique psychologique mise en place à la
faveur de cette démarche par une prescription
inadaptée de psychotropes et d’analgésiques,
dont l’accumulation priverait un malade, alors
moins conscient, de la possibilité de continuer
à s’approprier sa propre existence, en dépit des
conséquences de sa maladie.
Toutes les douleurs...
La médecine actuelle apprend à reconnaître
des douleurs qui, trop longtemps, sont demeurées sous-estimées, en raison de facteurs
culturels mais aussi d’habitudes de soins. La
douleur du nourrisson fait l’objet désormais
de traitements préventifs et curatifs, négligés
pendant des années au prétexte que le bébé
était immature neurologiquement. L’enfant
était victime de sa petitesse, de son langage
rudimentaire et, surtout, de l’absence de sens
critique des médecins. Les données récentes
de la médecine font justice de cette conception et imposent que toute souffrance natale
ou périnatale soit prévenue et combattue par
des médicaments adaptés. D’autres types de
souffrance physique sont aujourd’hui reconnus et intégrés par la pratique médicale. Un
sujet désocialisé, en situation d’extrême précarité, un SDF, par exemple, n’exprime pas sa
douleur comme un autre individu. La désocialisation entraîne souvent une dépersonnalisation : même lorsqu’ils ressentent la douleur,
les exclus la vivent comme si elle leur était
extérieure. Une existence passée dans des
conditions rudes, une exposition fréquente
au froid, une consommation très importante
d’alcool expliquent une certaine diminution
des perceptions douloureuses. En fait, le SDF
voit sa douleur physique s’inscrire dans une
souffrance plus globale, touchant son existence tout entière. S’il n’est pas à cet égard de
solution immédiate, il n’en reste pas moins
fondamental qu’il bénéficie d’une prise en
charge médicale globale et de qualité.
La douleur, du centre spécialisé
au domicile
Si la douleur aiguë reste le plus souvent du
ressort du généraliste, la douleur chronique
relève d’une prise en charge spécialisée. Les
structures de lutte contre la douleur ont été
hiérarchisées : on distingue désormais des
consultations, des unités et des centres. La
consultation constitue la première destination
des patients souffrant de douleurs chroniques
adressés par un médecin de ville. L’unité antidouleur correspond à la présence conjointe
d’un plateau technique permettant la réalisation d’actes. Le centre y associe des lits d’hospitalisation. Chacune des régions sanitaires dispose d’un schéma régional de prise en charge
de la douleur, lequel organise en réseau les
médecins généralistes et les structures hospitalières spécialisées. La loi du 1er février 1995
a fait obligation aux hôpitaux d’inscrire dans
le projet d’établissement les moyens de lutter
contre la douleur. Le traitement de la douleur
s’inscrit donc pleinement dans la démarche
de qualité des soins désormais imposée à
chaque hôpital. Les résultats de l’évaluation de
cette qualité sont pris en compte dans l’accréditation : une démarche de labellisation des
centres antidouleur est actuellement en cours.
La douleur devenue chronique influe sur
le patient lui-même mais aussi sur le comportement de son entourage familial ou médical.
C’est pourquoi, dans plusieurs grandes villes,
des programmes d’évaluation et de traitement
de la douleur à domicile ont été mis en place
dans le cadre plus général de l’hospitalisation
à domicile (HAD). La population concernée
était d’abord celle des patients sidéens, puis
celle des cancéreux ; désormais, elle s’étend
à tout sujet souffrant physiquement. L’effet
conjugué de la demande des patients et de
leurs proches, des progrès de la technique
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médicale et des contraintes économiques de
plus en plus lourdes tend à privilégier le traitement à domicile. Celui de la douleur cancéreuse en constitue une indication privilégiée si
les équipes médicales sont bien formées, des
enquêtes ayant montré qu’encore 30 à 40 %
seulement des patients soignés à domicile
s’estimaient suffisamment soulagés de leur
douleur.
Oser la morphine
Au 39e rang mondial en 1987 pour la consommation par habitant de morphiniques, la
France figure aujourd’hui au dixième rang...
Il s’agit là d’un excellent indicateur indirect
de la qualité de prise en charge de la douleur.
Ces progrès récents sont l’oeuvre de médecins
mais aussi de parlementaires, notamment de
Lucien Neuwirth, sénateur de la Loire.
Il a été trop longtemps enseigné que la morphine ne devait être administrée qu’en cas
de nécessité absolue, au terme même de
l’existence, sous prétexte d’un risque majeur
de dépression respiratoire et, bien sûr, d’une
accoutumance menant à la toxicomanie.
Son administration est désormais facilitée :
la durée maximale de prescription des présentations orales a été doublée, passant
de 14 à 28 jours. Mais le système demeure
contraignant au plan administratif. Peut-être
l’informatisation des dossiers médicaux des
patients permettra-t-elle de voir disparaître le
système actuel du carnet à souche. Quoi qu’il
en soit, la vente de morphiniques, aux hôpitaux comme aux officines, s’est régulièrement
accrue dans les années 90, ce qui témoigne
d’une modification du comportement des
médecins, qui hésitent moins à recourir à des
produits efficaces. Par ailleurs, les progrès réalisés dans l’électronique et la miniaturisation
permettent d’instaurer à domicile une analgésie contrôlée par le patient lui-même. Outre
la perfusion continue de l’analgésique constituant la dose de base, le malade peut, grâce
à un pousse-seringue ou à une pompe électronique, s’administrer des doses supplémentaires dans des conditions prédéterminées par
le médecin.
DENIS RICHARD
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
245
Face à la
criminalité
sexuelle
La société française a ouvert les
yeux sur les violences sexuelles, en
particulier à l’encontre des enfants.
L’horreur de crimes récents et
l’écho de l’affaire Dutroux ont
provoqué un sursaut, dont les
conséquences sont une répression
accrue et un effort d’adaptation du
dispositif de soin pour les criminels.
Une exigence : porter assistance
aux victimes.
La médiatisation quasi systématique
dont font désormais l’objet les
crimes sexuels donne le sentiment
d’une augmentation du nombre de
ceux-ci dans notre pays. En fait, il y a surtout
évolution des mentalités : de plus en plus, les
victimes et leurs proches déposent plainte,
dans un contexte de meilleure compréhension et de meilleur accompagnement des démarches entreprises pour obtenir réparation.
Globalement, les chiffres fournis par l’administration pénitentiaire permettent de constater
une augmentation de 25 % des affaires jugées
pour atteinte aux moeurs entre 1984 et 1994
(contre + 8 % pour l’ensemble de la criminalité
sur la même période). La durée moyenne des
peines prononcées par les cours d’assises pour
viols sur mineurs est passée de 8,5 à 11 ans. Les
établissements pénitentiaires qui accueillaient
3 717 condamnés pour crimes et délits sexuels
le 1er décembre 1993 en comptaient 4 545 le
1er janvier 1996. Parmi ceux-ci, on constate une
prépondérance de viols et autres agressions
sur mineurs (2 858 condamnés) ; il s’agit à plus
de 80 % d’incestes.
Trois types d’auteurs de délits
Plusieurs études de criminologie clinique
conduisent à distinguer, par ordre de fréquence : les auteurs d’incestes, les auteurs de
viols et les pédophiles.
L’inceste, crime de l’intimité familiale par
excellence, se produit dans la majorité des
cas en milieu rural et/ou défavorisé (ce qui ne
signifie nullement qu’il ne se rencontre pas
dans les agglomérations et au sein des familles
aisées, très réticentes de surcroît à la dénonciation). Il est en général le fait du père, parfois du
beau-père ou du concubin ; l’inceste mère-fille
se rencontre exceptionnellement. Les pères
incestueux sont le plus souvent bien insérés et
n’ont jamais été condamnés pour des infractions antérieures, sexuelles ou non. Ils tendent
à minimiser ou à dénier leurs passages à l’acte,
qui ont pu se répéter sur de longues périodes
et sur plusieurs enfants successifs. Selon plusieurs études, leur risque de récidive sexuelle
est relativement limité (il n’en est pas moins
indispensable d’assurer, chez les condamnés libérés, la protection des enfants) ; ils présentent
très fréquemment un alcoolisme chronique
(facteur de risque qui doit faire l’objet d’une
prise en charge spécifique). La victime, elle,
est en situation de vulnérabilité ; il s’agit parfois d’enfants en difficulté sur le plan scolaire
et présentant une insuffisance intellectuelle ou
des troubles prépsychotiques. L’isolement social de la famille, qui se protège des intrusions
d’un monde vécu comme menaçant, est une
constante. L’autorité paternelle est souvent
sans partage, face à une mère passive et soumise (cependant, l’augmentation actuelle de la
précarité fait que les incestes surviennent aussi
dans des familles disloquées et marginalisées,
où père et mère sont déchus, la mère contribuant alors de façon active aux pratiques incestueuses). L’émoi sexuel de l’auteur d’inceste
survient au moment de l’éveil de la féminité de
sa victime conjugué au repli de la vie sexuelle
du couple. Il n’est pas rare, enfin, que le sujet
(ou ses soeurs) ait subi des violences sexuelles
de la part de ses propres père, oncle ou granddownloadModeText.vue.download 247 sur 361
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père, secrets de famille bien cachés. Soigner les
victimes revient donc à prévenir les abus dans
la génération suivante.
Les auteurs de viols présentent des caractéristiques différentes. Leur victime est en règle
générale une femme. Ils dénient leur acte ou
l’évoquent de façon déformée, persuadés que
leur victime était consentante, ou qu’elle n’a
pas lutté. Ils ont souvent des antécédents judiciaires, associés à une fréquence particulière
d’infractions non sexuelles (vols, violences). On
trouve chez eux plus de troubles de la personnalité, en particulier limites, parfois à expression psychopathique ; alcoolisme, toxicomanie
et conduites à prise de risque sont très représentés. Les récidivistes peuvent présenter des
perversions au sens clinique du terme.
Chez les pédophiles, qui agissent en dehors
de la cellule familiale et doivent être clairement
différenciés des pères incestueux, on constate
plus de condamnations antérieures pour infractions sexuelles et moins de condamnations
pour atteintes contre les biens que chez les
auteurs de viols. La reconnaissance de l’infraction est habituelle, de même que la demande
de prise en charge et de traitement. La culpabilité ou la honte sont souvent verbalisées.
Par contre, le sujet a tendance à minimiser
l’incidence de son comportement sur la victime, décrite comme demandeuse sur le plan
affectif. Les pédophiles, volontiers infiltrés dans
des professions les mettant en contact continu avec des enfants, ont souvent subi dans
leur propre enfance des violences sexuelles
et physiques, et présentent couramment
des troubles psychiques liés à des carences
affectives et éducatives (ce qui témoigne de
l’importance du travail social et médico-psychologique de prévention chez l’enfant victime de maltraitance). Les auteurs de passage
à l’acte pédophilique ont de longue date des
relations difficiles aux adultes : la femme est
vécue comme menaçante et dévoreuse, et les
rapports avec les hommes sont marqués par la
soumission ou l’affrontement. Les actes criminels surviennent souvent dans des moments
de crise, marqués par un désarroi qu’il convient
d’apprendre au sujet à reconnaître.
Trois types de personnalités
Trois types de personnalités sous-jacentes
peuvent être isolés chez les auteurs d’atteintes
aux moeurs. On rencontre, tout d’abord, des
sujets ayant souffert d’une carence affective et
éducative lors de l’enfance, au psychisme peu
organisé et présentant en général une insuffisance intellectuelle. Leur passage à l’acte est
souvent de l’ordre de la violence par défaut de
maîtrise pulsionnelle, parfois favorisée par l’alcoolisme ou des moments de détresse sociale.
Leur prise en charge sera avant tout éducative
et sociale, associée à un accompagnement
médico-psychologique.
On peut identifier, ensuite, des sujets fragiles, toujours en quête d’identité à l’âge adulte,
personnalités limites chez qui l’on retrouve
passages à l’acte violents, besoin de séduction,
défaillance du narcissisme primaire (sentiment
de ne jamais avoir été aimé) et hyperexcitation
sexuelle à certains moments de leur existence.
On peut mettre à part, enfin, des sujets
pervers, stables, intelligents, bien organisés et
insérés, qui ont besoin de séduire et peuvent
multiplier les passages à l’acte. Ils sont violeurs,
pédophiles, rarement pères incestueux. Si
l’apport de la psychanalyse est indispensable
pour aborder les auteurs de crimes sexuels
présentant une structure perverse ou une perversion au sens clinique du terme (à partir des
bases jetées par Freud dans ses Trois Essais sur
la théorie de la sexualité), les limites de celle-ci,
d’un point de vue thérapeutique, apparaissent
vite, au point que la perversion est considérée
par certains comme une contre-indication à
un traitement analytique.
Prévenir plus encore que punir
ou guérir
La prise en charge des auteurs de crimes
et délits sexuels doit prendre en compte tout
à la fois les données de criminologie clinique
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
247
et l’analyse psychopathologique. Elle ne peut
être que multipartenariale et bien des auteurs
de crimes sexuels relèveront avant tout d’une
prise en charge socio-éducative associée au
suivi psychiatrique. Elle nécessite au préalable
une évaluation clinique soigneuse, prenant
en compte la reconnaissance éventuelle des
faits et recherchant aussi la capacité du sujet
à entreprendre un travail de psychothérapie.
Elle ne peut s’entrevoir en cas de déni complet
du passage à l’acte. C’est là un des problèmes
liés au fonctionnement judiciaire français, qui,
contrairement, par exemple, à celui en vigueur
au Canada, assoit la défense non pas sur la
reconnaissance des faits, la volonté d’amendement et une demande authentique de soins,
mais sur l’irresponsabilité partielle ou le déni
de l’acte.
L’action des pouvoirs publics
Depuis 1994, trois rapports réalisés par des
professionnels à la demande des ministres de
la Santé et de la Justice ont contribué à l’étude
des conditions nécessaires à la mise en place
d’un dispositif de soins : ils ont été présentés
par les psychiatres Thérèse Lempérière et
Claude Balier et par la pénaliste Marie Élisabeth Cartier. Centré sur la prévention des récidives, le projet de loi présenté en janvier 1997
par Jacques Toubon, alors garde des Sceaux,
fut très critiqué par les médecins, qui ne pouvaient accepter le principe d’une condamnation aux soins. Repris par Élisabeth Guigou, il
prévoit un suivi socio-judiciaire qui peut comporter une injonction de soins. Par ailleurs a
été engagée une politique d’assistance et de
soutien aux victimes. Sur le plan judiciaire,
les auditions des enfants agressés devraient
être limitées, le projet Guigou ayant plutôt
retenu l’enregistrement des déclarations de
l’enfant. Sur le plan sanitaire, il rend possible
le remboursement des frais occasionnés par
les soins consécutifs à l’agression et la mise en
place de structures d’accueil médico-psychologiques développées.
DOCTEUR JEAN-LOUIS SENON
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
248
Pas de solution
miracle à
l’obésité
Après la découverte de la leptine,
il y a trois ans, on a cru que les
mutations génétiques de certaines
lignées de souris obèses pourraient
expliquer cette maladie chez
l’homme. C’est raté... Les humains
obèses ont des gènes normaux.
Les études sur les souris mutantes
permettent néanmoins de mieux
comprendre la régulation du poids
corporel. Il est plus que temps :
l’obésité est en passe de devenir un
problème majeur de santé publique.
L’ère des « bons gros » est révolue.
L’obésité est désormais reconnue
pour ce qu’elle est, une véritable
maladie en train de déferler sur une
bonne partie de la planète. Au point que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a décidé en 1996 d’établir une banque de données
sur la prévalence mondiale de cette affection,
et que de nombreuses équipes de recherche
publiques ou privées se lancent dans la course
aux traitements. Depuis trois ans, la génétique
et la biologie moléculaires ont permis de
mieux comprendre la régulation du poids corporel. Les généticiens espèrent ainsi expliquer
ce que beaucoup d’obèses ressentent comme
une injustice : pourquoi grossissent-ils à ce
point alors que d’autres restent minces dans
un environnement comparable ?
Il convient tout d’abord de faire la différence entre le simple embonpoint et l’obésité,
voire entre les diverses formes de la maladie.
Pour l’OMS, il y a obésité vraie lorsque l’indice
corporel, que l’on calcule en divisant le poids
(exprimé en kilos) par le carré de la taille (exprimée en mètres), dépasse trente. On a alors
affaire à une véritable maladie, aux conséquences graves. L’obésité accroît en effet les
risques d’hypertension, d’athérosclérose et de
maladies cardio-vasculaires, d’hyperuricémie,
d’arthrose et de calculs biliaires. On évoque
aussi une liaison avec les cancers du sein et de
l’endomètre chez la femme et de la prostate
chez l’homme, bien que ce dernier lien soit
plus discuté. Enfin, environ 40 % des obèses
souffrent de diabète non insulino-dépendant.
Obésité, obésités
À quel moment l’embonpoint devient-il une
menace pour la santé ? On mesure la corpulence par l’indice de masse corporelle (Body
Mass Index, BMI), ou indice de Quételet, égal
au poids en kilogrammes divisé par le carré
de la taille en mètres. L’optimum se situe vers
21-22. Au-delà de 25, il y a « sur-poids », et audelà de 30, obésité vraie. Les obésités « massives » ou « extrêmes » correspondent à des
BMI supérieurs à 40.
Ces chiffres ne rendent toutefois pas compte
de la diversité des obésités. Outre la forme
courante, dans laquelle le dépôt adipeux est
réparti sur tout le corps, on distingue le « type
gynoïde », sans grand danger et caractérisé
par une accumulation de graisse autour des
hanches, du « type androïde », associé à des
risques médicaux certains, où l’excès est localisé sur le tronc et l’abdomen. La variante dite
viscérale de ce dernier type, difficile à détecter
car la graisse se dépose à l’intérieur de la cavité abdominale, est la plus dangereuse.
On distingue également les obésités précoces
(préoccupantes) ou tardives, brusques ou progressives... La tendance à développer telle ou
telle de ces formes en réponse à un déséquilibre alimentaire a sans doute des bases génétiques, que les chercheurs s’efforcent actuellement d’éclaircir.
Un phénomène en expansion
Le nombre des obèses atteint des proportions dramatiques dans certaines régions du
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
249
monde. L’OMS estime que 20 % des adultes
européens et des Américains blancs sont
obèses. Une proportion qui s’élève à 40 % chez
les femmes d’Europe de l’Est ou les Afro-Américaines. Les Amérindiens, les Hispano-Américains et les habitants de certaines îles du Pacifique paient un tribut plus lourd encore. Et les
pays émergents commencent à connaître les
mêmes problèmes : la proportion d’obèses au
Brésil, à Cuba ou au Pérou, par exemple, rejoint
celle des pays occidentaux. Et cette situation
déjà préoccupante va s’aggraver sérieusement
dans les années à venir : l’obésité progresse à
pas de géant chez les enfants occidentaux.
Même dans les pays à la population adulte
jusqu’ici relativement épargnée, comme la
France, le phénomène prend une ampleur
inquiétante. La répartition géographique de la
maladie et son explosion durant les dernières
années ne peuvent que rappeler l’évidence :
l’obésité est bien due au déséquilibre entre une
alimentation surabondante et une dépense
énergétique restreinte. Reste à savoir pourquoi
certains y sont plus sensibles que d’autres...
Leptine : au-delà des interprétations
hâtives, les recherches se
poursuivent
En 1994, une photo montrant côte à côte
deux souris dont l’une, obèse, semblait appartenir à une autre espèce que sa compagne,
fit le tour du monde. « On a trouvé le gène
de l’obésité ! » clamaient les médias les moins
scrupuleux, annonçant des médicaments
enfin efficaces pour les années à venir. C’était
aller un peu vite. En fait, Jeffrey Friedman, chercheur à l’Institut Howard Hugues (université de
New York, États-Unis), venait de découvrir un
gène porteur d’une mutation chez une lignée
de souris obèses, dites ob/ob. Il montra que,
chez les souris normales, ce gène intact induit la production d’une protéine qu’il appela
« leptine » (leptos signifiant « mince » en grec).
Sécrétée par le tissu adipeux, celle-ci va se fixer
sur des récepteurs spécifiques situés dans le
cerveau, plus précisément dans l’hypothalamus, véritable centre régulateur du fonctionnement de l’organisme. Administrée aux souris
mutées qui en sont dépourvues, cette protéine diminue leur appétit et augmente leur
dépense énergétique de base, déclenchant la
fonte de la masse graisseuse. Injectée à doses
massives, elle fait même maigrir des souris normales rendues obèses par suralimentation. On
a trouvé et séquence quelques mois plus tard
l’homologue humain de ce gène, qui code une
protéine pratiquement identique à la leptine
murine. On pensait donc tenir la clé de l’obé-
sité : elle serait due à une carence en leptine.
L’espoir retomba vite quand on s’aperçut
que seules les souris de cette lignée ob/ob
étaient dépourvues de cette protéine. D’autres
lignées tout aussi obèses avaient au contraire...
plus de leptine que la normale. C’est en particulier le cas des souris db/db, une lignée obèse
et diabétique qui porte une mutation affectant le gène du récepteur hypothalamique de
la leptine. De manière générale, que ce soit
chez la souris, le rat ou l’homme, la quantité de
leptine circulante augmente avec la masse adipeuse. À tel point qu’on attribue maintenant
à cette protéine un rôle central dans la régulation du poids corporel. Elle renseigne le cerveau sur l’état des réserves graisseuses et, en
retour, celui-ci module l’appétit et la dépense
énergétique via divers messagers chimiques :
hormones, neurotransmetteurs, peptides
(protéines de petite taille). Le nombre de ces
messagers présumés augmente sans cesse. Le
dernier peptide en date a été découvert en octobre 1997 à partir d’un gène dit Agouti, dont
certaines variantes provoquent l’obésité et le
diabète chez les souris qui les portent. Baptisé AGRP (Agouti Related Protein), ce peptide
interviendrait en aval de la leptine. L’hypothèse
la plus couramment admise actuellement
attribue cependant le rôle central à cette dernière : l’obésité serait due à une insensibilité
à la leptine. C’est évident pour les souris db,
dépourvues de récepteur, mais le mécanisme
reste encore à trouver dans les autres cas, en
particulier chez l’homme.
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Injustice génétique peut-être,
mais sur fond de comportements
alimentaires aberrants
En effet, c’est là que le bât blesse : bien
que tous les gènes découverts chez les diverses lignées mutées de souris ou de rats
aient des homologues humains, les hommes
obèses ne portent aucune des mutations
repérées. La seule exception connue a été
révélée en juin de cette année : une paire de
jumeaux atteints d’obésité sévère précoce,
et issus d’une famille hautement consanguine, sont carences en leptine suite à une
mutation génétique. Totalement dénué de
signification pour le reste de la population
des obèses, ce cas unique a néanmoins apporté la première confirmation du rôle de la
leptine dans la régulation du bilan énergétique chez l’homme.
Est-ce à dire que la génétique ne joue
aucun rôle dans l’obésité humaine ? Certainement pas. De nombreuses études portant
sur des jumeaux ainsi que sur des familles
d’obèses l’ont prouvé : de façon incontestable, la variabilité du poids corporel des
hommes dépend pour une part de facteurs
génétiques. Le problème est qu’il ne s’agit
pas d’un mécanisme simple. On estime actuellement qu’au moins une vingtaine de
gènes seraient « associés » à l’obésité, ce qui
ne signifie pas qu’ils en sont responsables. Et
les mutations fonctionnelles n’ont, semblet-il, rien à y voir. Utilisant les méthodes de la
génomique contemporaine, qui permettent
de lire (« séquencer ») les gènes et de repérer les variantes, des équipes de chercheurs
scrutent des banques d’ADN recueillies auprès de populations d’obèses et de témoins.
Il est ainsi apparu que le gène normal de la
leptine serait statistiquement « lié » à l’obésité extrême (indice corporel supérieur à quarante), mais qu’il n’en va pas de même avec
l’obésité courante. Une autre de ces études a
montré qu’un gène codant le récepteur d’un
neurotransmetteur impliqué dans la régulation de la dépense énergétique est muté
chez un homme sur dix... qu’il soit obèse
ou non. Il semble cependant que, parmi les
sujets atteints d’obésité massive, les porteurs
de la mutation soient encore plus gros que
les non-porteurs. Reste que la mutation est
tellement minime qu’on ne comprend pas
encore comment elle pourrait affecter le
fonctionnement du récepteur...
De fait, si l’on excepte certaines formes
rares de la maladie, l’obésité pourrait bien
être la conséquence d’une combinaison
malencontreuse de gènes parfaitement
« normaux », qui rend certains individus plus
sensibles à un environnement pathogène.
En clair : la principale cause de l’obésité
reste bien la conjugaison d’une alimentation inadaptée et d’une activité physique
insuffisante. L’« injustice génétique » tient
à ce qu’un excès, même léger, de l’apport
nutritionnel peut selon les individus n’avoir
aucun effet pathologique ou, au contraire,
mener au fil des années à une accumulation
de tissu adipeux. Les découvertes actuelles
mèneront certainement à la mise au point
de molécules à l’efficacité partielle pour
certaines obésités, mais il n’existera probablement jamais de traitement uniquement
médicamenteux de cette maladie.
Enfants : un bilan préoccupant
Les résultats d’enquêtes s’accumulent, plus
alarmistes les uns que les autres. Partout la
proportion d’enfants obèses dépasse celle des
adultes, et les dix dernières années ont vu une
véritable explosion du phénomène : augmentation de 50 à 60 % au Japon, aux États-Unis
et en Grande-Bretagne, voire doublement à
Singapour... Même en France, pays traditionnellement épargné, l’augmentation atteint
30 %. Plus grave : elle concerne surtout les
formes massives de l’obésité.
Pas question d’invoquer une brusque évolution génétique : cette flambée s’explique par
une modification des modes de vie. La déstructuration des repas, la consommation indownloadModeText.vue.download 252 sur 361
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cessante de friandises et de boissons sucrées,
ainsi que la baisse d’activité physique due à
la télévision et aux consoles vidéo en sont les
causes premières. Les remèdes passent donc
par une éducation alimentaire, délicate pour
des sujets en croissance qui ont besoin de
manger, et par l’activité physique.
Beaucoup de praticiens insistent : un enfant
n’est pas un adulte en miniature. Il doit même
paraître maigre, au moins jusqu’à six ans.
C’est à cet âge que se produit le « rebond adipeux » et que l’enfant commence à évoluer
vers sa corpulence d’adulte, même si les cartes
sont en partie redistribuées à l’adolescence. Il
faut donc agir très tôt si l’on veut éviter plus
tard des complications médicales...
PATRICK PHILIPON
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Fernand Léger
au musée
national d’Art
moderne
De juin à septembre, au Centre
Georges-Pompidou, une exposition
a présenté avec une grande rigueur
pédagogique l’oeuvre de cet artiste
qui s’est attaché à traduire une
vision humaniste et optimiste du
monde de l’ère industrielle.
L’exposition s’ouvre par un rassemblement, dans la première salle,
d’oeuvres « cézaniennes ». De Cézanne, Fernand Léger a retenu une
volonté de reconstruire la forme défaite par
les impressionnistes : « Sans Cézanne, je me
demande parfois ce que serait la peinture actuelle. Cézanne m’a appris l’amour des formes
et des volumes, il m’a fait me concentrer sur
le dessin. » Léger reconnaît cependant les
limites plastiques d’une gamme trop sombre,
refuse les camaïeux cubistes et revendique très
tôt, aux côtés de Robert Delaunay, un usage
instinctif de la couleur qui annonce l’importante série des Contrastes de formes de 1913. Il
n’abandonne pas pour autant l’architecture
du « dessin ». La salle des esquisses préparatoires aux Contrastes est ainsi très révélatrice
de la méthode adoptée par l’artiste. Elle révèle
un visage de Léger souvent ignoré, celui d’un
dessinateur hors pair, que l’on retrouve tout au
long de l’exposition dans quelques salles d’art
graphiques remarquables. « Traiter la nature
par le cône, la sphère... » disait Cézanne. Léger
prend cette prescription à la lettre. Il passe
toutes les formes organiques et vivantes sous
le filtre géométrique d’arêtes délimitant les
surfaces où viendront ensuite se lover des
couleurs vives et pures, primaires et tricolores
(bleu, blanc et rouge). Léger emprunte cette
gamme peu ordinaire au vocabulaire attractif
des affiches de la ville nouvelle. Peintre de la
vie moderne, il transcrit sur la toile l’état de la
sensibilité contemporaine.
D’une rétrospective à l’autre
Une précédente rétrospective de l’oeuvre de
Fernand Léger avait eu lieu au Grand Palais
en 1971. Elle rassemblait plus de 200 toiles
et avait remporté un large succès auprès du
public. L’exposition organisée par le musée
national d’Art moderne s’est voulue plus sélective, plus sobre aussi. Avec 200 toiles, dessins
et maquettes de projets d’art monumental,
cette exposition a pris le parti d’offrir une anthologie sélective de l’oeuvre, réunissant, dans
un ordre chronologique scrupuleux, la plupart des oeuvres majeures dans un parcours
aéré, doté d’un éclairage soutenu qui accompagne l’esthétique des contrastes défendue
par l’artiste. Le choix, plus restreint, des toiles
est distribué par « périodes » ; il propose un
découpage didactique de l’oeuvre, qui permet
d’en saisir plus facilement les ruptures et les
évolutions.
Un réalisme poétique
où l’humain garde sa place
C’est la représentation de ce monde nouveau qui occupe la seconde partie de l’oeuvre
de Léger, à partir de l’expérience de la guerre
où, fasciné par la beauté plastique des canons
(« la magie de la lumière blanche sur le métal »), il trouve une confirmation de la valeur
esthétique des formes « dures », des surfaces
métalliques et polies, ce qu’il appelle « l’absolu
polychrome, net et précis, beau en soi ». L’objet prend alors une place décisive dans son
oeuvre, avec une prédilection pour l’acier des
hélices et des outils de la société industrielle.
La modernité, telle que l’entend Léger, est
marquée par la transformation de l’individu au
contact d’une mécanique de plus en plus présente dans les habitudes quotidiennes. À cette
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
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fin, Léger évacue tout sentimentalisme du projet de la représentation. Cela se traduit par l’apparition de figures inexpressives, simplifiées,
archétypes : « Pour moi, la figure humaine, le
corps humain n’ont pas plus d’importance que
des clés ou des vélos. C’est vrai. Ce sont pour
moi des objets valables plastiquement et à disposer suivant mon choix. »
Cette équivalence plastique entre l’objet et
l’individu ne traduit pas l’inhumanité et la dépersonnalisation du monde moderne ; elle est
au contraire chargée d’un optimisme « populaire » face au changement. Il s’agit seulement
pour le peintre, directement concurrencé
par les techniques modernes de fabrication,
de produire un « état d’intensité plastique »
susceptible de rivaliser avec la beauté rationnelle des productions industrielles. Dans cet
esprit, Léger mise sur la valeur expressive des
oppositions et des contrastes : « J’oppose des
courbes à des droites, des surfaces plates à des
formes modelées, des tons locaux purs à des
gris nuancés. » L’oeuvre fait apparaître un ordre
dans le chaos apparent des contrastes grâce à
ce que Léger appelle les « trois grandes qualités
plastiques » : lignes, formes et couleurs. L’une
des toiles-manifestes de ce parti pris formel
est la Ville, peinte en 1919. Deux personnages,
réduits à des formes géométriques aux couleurs métallisées, montent un escalier, au milieu d’un paysage urbain peuplé d’affiches et
de poutrelles métalliques, de pignons bigarrés
et d’inscriptions publicitaires qui retranscrivent
l’intensité pulsative des multiples excitations
sensorielles de la ville. Derrière la séduction
réelle des couleurs, Léger tente une synthèse
entre l’humanisme social et l’esthétique industrielle. Le corps présenté comme un ensemble
parfaitement coordonné s’inscrit en harmonie
avec son nouvel environnement.
De nombreux motifs de ses oeuvres sont
empruntés directement à des images publicitaires, à l’instar du Siphon. Ce dialogue avec
l’affiche n’est pas gratuit. Il révèle une volonté
partagée avec le publicitaire de communiquer
au plus grand nombre par le choix du langage
universel de la couleur. Le peintre cherche à
capter, sans médiations intellectuelles, l’attention d’un spectateur de plus en plus sollicité
par une multitude d’images, de messages et
d’informations. Son vocabulaire s’est simplifié
sur le modèle de la sténographie : « L’homme
moderne enregistre cent fois plus d’impressions que l’artiste du XVIIIe, par exemple, à tel
point que notre langage est plein de diminutifs et d’abréviations. La condensation du
tableau moderne, sa variété, sa rupture des
formes est la résultante de tout cela » (1914).
Cette simplification le conduit très naturellement, au début des années 20, vers le purisme
défendu par Amédée Ozenfant et Le Corbusier,
avec lesquels il partage un même intérêt pour
l’harmonie géométrique du monde moderne.
Le motif de l’architecture y est d’ailleurs omniprésent. Des ouvriers, des ingénieurs et des
mécaniciens animent cet univers de bâtisseurs.
Puis, peut-être au contact du surréalisme, les
formes deviennent plus libres, plus mobiles.
Elles flottent dans un espace neutre, aérien, qui
libère le corps des pesanteurs de la gravitation.
L’inexpressivité des visages de ses personnages
se charge d’une ambiguïté proche de l’inquiétante étrangeté chère à Freud.
Léger ne cherche pourtant pas à souscrire
à l’expression subversive du rêve mais à coller
au plus près à une réalité poétique. Ce sens du
réel coïncide avec la « querelle du réalisme »
ouverte au milieu des années 30. Elle conduit
Léger vers la définition d’une peinture monumentale et « populaire », intégrée à l’architecture : « La classe ouvrière a droit, sur ces murs,
à des peintures murales signées des meilleurs
artistes modernes. » Dès 1925, Léger décorait
l’intérieur du pavillon de l’Esprit nouveau, conçu
par Le Corbusier pour l’Exposition des Arts décoratifs. Son séjour prolongé aux États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale (1940-1945)
confirme son goût des grandes dimensions.
De cette rencontre avec New York naîtront des
grandes fresques de la modernité en hommage à une classe de travailleurs heureuse et
apaisée, montant les structures d’un grattedownloadModeText.vue.download 255 sur 361
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ciel qui évoque la victoire de l’homme sur une
nature désormais maîtrisée (les Constructeurs,
1950). Fernand Léger meurt en 1955, en plein
début des « Trente Glorieuses », convaincu de
la réalisation d’une harmonie inédite entre la
technique libératrice et l’homme des « loisirs ».
Relever le défi de la technologie
Léger rapporte l’anecdote de sa visite, en 1912,
au Salon de l’aéronautique en compagnie du
sculpteur Brancusi et de Marcel Duchamp qui,
devant un stand, se serait exclamé : « C’est fini
la peinture. Qui peut faire mieux que cette hélice ? ». Pour Léger, contrairement à Duchamp,
la peinture n’est pas impuissante devant ce
monde technologique ; elle doit seulement
assimiler les nouvelles données plastiques
introduites par la rationalisation de l’objet et
de l’information.
Le Ballet mécanique :
Léger et l’image animée du
cinématographe
Léger, fasciné par les nouvelles conditions
de la vision, s’intéresse naturellement au cinéma. Il fréquente très tôt les salles obscures, se
passionne pour le personnage de Charlot qu’il
fait découvrir en 1916 à Guillaume Apollinaire.
À la sortie de la guerre, il fréquente certains
réalisateurs proches de la scène avant-gardiste
parisienne. Il assiste, en 1921, au tournage de la
Roue d’Abel Gance, publie un an plus tard un
article sur le film où il salue le rôle protagoniste
donné à la machine : « Ce sera l’honneur d’Abel
Gance d’avoir imposé avec succès au public
un acteur objet. C’est un événement cinématographique considérable. » Le cinéma devient
une pure « image projetée », mobile et colorée,
débarrassée du récit théâtral et de la domination sentimentaliste de l’acteur. Léger veut
créer les conditions d’un spectacle moderne,
en prise avec la fulgurance du monde nouveau
(« Le spectacle, lumière, couleur, image mobile,
objet-spectacle », 1924). En 1924, il décide de
réaliser lui-même un film. Cette oeuvre, intitulée le Ballet mécanique, est présentée en permanence dans une salle de l’exposition. On y
retrouve une succession syncopée d’images
où apparaissent, à des vitesses variables, des
éléments mécaniques en mouvement (bielles,
roues, engrenages...) superposés à des fragments de visages et de corps, à de multiples
objets : « Contraster les objets, des passages
lents et rapides, des repos, des intensités, tout
le film est construit là-dessus. Le gros plan, qui
est la seule invention cinématographique, je
l’ai utilisé. Le fragment d’objet lui aussi m’a servi ; en l’isolant on le personnalise. » Le cinéma
est, par cet effet de grossissement du réel, une
façon plus immédiate d’atteindre cette réalité
brute de l’objet : « J’ai fait du cinéma pour montrer les objets tout crus. »
PASCAL ROUSSEAU
Bibliographie
Fernand Léger, Fonctions de la
peinture, Gallimard, 1997 ; (dir.)
Kodinsky, Fernand Léger, 1911-1924. Le
rythme de la vie moderne, Flammarion,
1997 ; (dir.) Christain Drouet, Fernand
Léger, catalogue de l’exposition
de 1997, Flammarion, 1997. Hélène
Lassalle, Fernand Léger, Flammarion,
1997. Arnauld Pierre, Fernand Léger,
peintre de la vie moderne, Gallimard,
1997.
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
255
Georges de La
Tour au Grand
Palais
D’octobre 1997 à janvier 1998, la
quasi-totalité de l’oeuvre retrouvé
et nombre de copies de tableaux
disparus invitent à pénétrer l’univers
à la fois épuré, énigmatique et
profondément émouvant d’un
peintre aujourd’hui classé parmi les
plus grands.
L’exposition, qui se veut didactique,
est divisée en trois sections. Les
oeuvres sont présentées sur des cimaises de couleurs plutôt sombres,
mais la scénographie, d’une grande sobriété,
ne joue pas sur des effets de pénombre qui
seraient redondants. La première section comprend des oeuvres originales des débuts du
peintre (jusqu’à 1647), montrées dans un ordre
chronologique, malgré un regroupement par
thèmes qui enfreint parfois la hiérarchie des
dates. On y retrouve les premières oeuvres, plus
austères dans leur sujet et la facture, puis la
Rixe, les Mangeurs de pois, les séries des Vielleurs
et des Tricheurs, la Diseuse de bonne aventure.
La Tour peint des scènes diurnes, n’adopte pas
encore les clairs-obscurs qui le rendront fameux, à l’exception de l’Argent versé, où La Tour
distribue déjà ses personnages autour d’une
chandelle irradiante, révélant une possible
influence des Hollandais. L’oeuvre est marquée
par la présence des gueux et des roublards,
peuplée d’une humanité plutôt sombre.
La Tour vit dans une Lorraine durement touchée par la guerre de Trente Ans (1618-1648).
Il est lui-même probablement victime de l’incendie de Lunéville lors de l’entrée des Français
en 1638. Les misères qui accompagnent ces
dévastations expliquent directement le choix
de ses sujets, comme celui des Mangeurs de
pois, conservés à Berlin. Avec les Tricheurs et la
Diseuse de bonne aventure, la facture se fait plus
virtuose, les habits plus luxuriants, les contrastes
de lumière plus riches. La pose gelée des personnages est animée par des regards complices qui animent la lecture de l’oeuvre. Puis
viennent les « nuits » qui constituent l’essentiel de la production après 1635, avec notamment l’admirable suite des Madeleine. Après
les gueux, l’humanité se repent, abandonne
la convoitise pour se vouer à une contemplation dans la lueur d’une flamme qui marque la
fragilité de l’être. La répartition contrastée des
ombres et des lumières ne sert pas un réalisme
critique comme chez Caravage. Elle illustre
une dualité plus spirituelle entre le corps et
l’âme, entre la condition trouble de la matière
(douleur, faim, cupidité, luxure) et l’aspiration
contemplative de l’esprit. L’importance accor-
dée aux parties sombres nous parle de cette
fragilité de l’être mais aussi de l’image ellemême, menacée de revenir à la nuit originelle.
La deuxième section regroupe des copies
anciennes d’oeuvres de La Tour aujourd’hui
disparues dont le Saint Jérôme lisant, acquis
par le Louvre en 1935 comme un original.
Cette section pose la question de l’aura de
l’oeuvre. Certaines oeuvres signées montrent
des moments de faiblesse : certaines copies
sont des morceaux de virtuosité. C’est le cas
de l’Éducation de la Vierge de la Frick Collection,
longtemps considérée comme un original. Les
versions diffèrent bien sûr, avec plus ou moins
de goût, ce qui parfois, comme devant les huit
copies du Saint Sébastien, peut agacer le visiteur. La troisième section rassemble les oeuvres
plus tardives (1647-1652), où originaux et copies d’atelier sont plus difficiles à distinguer,
compte tenu d’une participation de plus en
plus importante de l’atelier. Les historiens attribuent en effet aujourd’hui avec prudence des
tableaux tardifs même signés, en insistant sur
la part importante prise par des collaborateurs
d’atelier, notamment celle de son propre fils,
Étienne, qui est l’une des principales mains du
Reniement de saint Pierre. La dernière redécouverte faite à ce jour – celle du Saint Jean-BapdownloadModeText.vue.download 257 sur 361
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tiste dans le désert, acheté en 1993 pour le futur
musée Georges-de-La-Tour de Vic-sur-Seille,
ville natale du peintre – confirme ce sentiment
que l’oeuvre, immense, cache encore des pans
entiers d’un territoire beaucoup plus complexe
que l’image classique et réductrice du maître
du clair-obscur.
Un exercice de reconstitution
Il y a déjà un quart de siècle (1972), une importante rétrospective Georges de La Tour
avait déjà été organisée au Grand Palais. Elle
avait rassemblé 350 000 visiteurs. Vingt-cinq
ans plus tard, 45 toiles sont présentées, aux
côtés de 33 copies anciennes de tableaux de
La Tour, disparus aujourd’hui, notamment
le Saint Sébastien à la lanterne qui valut au
peintre la reconnaissance de Louis XIII : les
commissaires de l’exposition se sont livrés à
un remarquable exercice de reconstitution,
tel qu’il peut être mené dans l’état actuel des
connaissances.
Le mythe de la redécouverte tardive
Georges de La Tour (1593-1652) fait partie
des ! quelques artistes que l’histoire récente
a redécouverts. Peintre oublié pendant deux
siècles, très connu à sorti époque, aimé du
roi, il n’est réhabilité, tout comme Vermeer,
qu’au début du siècle. Avant cela, ses tableaux,
remarqués, sont attribués aux maîtres espagnols, à Murillo ou Ribera, voire au Français Le
Nain, pour ses sujets misérabilistes. Reconnue
seulement par quelques érudits régionalistes,
l’oeuvre est ignorée avant que Hermann Vross,
historien de l’art allemand, n’établisse en 1915
le rapprochement entre deux tableaux signés
La Tour, conservés au musée des Beaux-Arts de
Nantes et le Nouveau-né du musée de Rennes.
À sa suite, Louis Demonts puis l’italien Roberto Longhi dressent un premier catalogue de
l’oeuvre. De nombreux auteurs augmenteront
petit à petit ce premier corpus complété par
une importante thèse de François-Georges
Pariset, rédigée durant l’entre-deux guerres.
Des copies sont retrouvées dont certaines
seront attribuées au peintre lorrain, qui connaît
une première consécration populaire lors
de l’exposition des « Peintres de la Réalité en
France », organisée à l’Orangerie en 1934. La
Tour y est représenté par 13 toiles. La grande
exposition de 1972, au Grand Palais, confirma
cet engouement.
Bien des inconnues encore...
La biographie de La Tour reste toujours très
mystérieuse. Il est né à Vic-sur-Seille en 1593,
est mort à Lunéville en 1652... Ce qu’on sait
de sa vie est, pourrait-on dire, aussi dépouillé
que le fond sur lequel se détachent les personnages de ses tableaux. Trace est restée de
divers événements familiaux ou sociaux. De
même est parvenue jusqu’à nous la réputation
assez fâcheuse qu’on lui fit : aspiration coûte
que coûte à la noblesse, cupidité, insensibilité
aux malheurs des autres. Mais c’est peut-être
pure calomnie, à rapporter aux conflits entre
partisans de la France, parmi lesquels se rangea La Tour, et fidèles de la Lorraine ducale.
En tout cas, on sait très peu sur le principal :
sa vie de peintre. S’est-il formé à Rome ? A-t-il
vu les oeuvres de Caravage ? Comment et sous
quelles influences, selon quelles préoccupations, quelles conceptions, quelles croyances
a-t-il évolué ?
PASCAL ROUSSEAU
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
257
César au Jeu de
paume
De juin à octobre, la galerie
nationale du Jeu de paume, installée
dans les jardins des Tuileries
désormais restaurés, a organisé
une rétrospective César, réunissant
quelque 150 oeuvres et retraçant
ainsi près d’un demi-siècle de
création du plus célèbre sculpteur
français vivant.
Consacré à la Biennale de Venise
en 1995, César avait opté pour
la monumentalité en proposant
une énorme compression de ferraille de plus de 500 tonnes, occupant tout
l’espace du pavillon français. Surenchère ou
aboutissement, cette oeuvre qui, par sa démesure, devenait performance, avait marqué une
étape dans la réception critique récente de
l’oeuvre. Par ce remplissage d’espace, l’oeuvre
rappelait « l’Exposition du plein », que son ami
Arman avait réalisée en octobre 1960 dans la
galerie Iris Clair, en réponse à « l’Exposition du
vide » organisée, quelques mois plus tôt, dans
le même lieu par Yves Klein. Réunissant des
débris de carcasses d’automobiles, l’oeuvre de
Venise jouait sur l’obsolescence de la marchandise, l’accélération des procédures de recyclage, la transformation des matériaux et, plus
généralement, sur le principe de destruction.
Sans doute avec un excès de lyrisme, l’écrivain
Philippe Sollers, dans son commentaire intitulé
« Guerre de César », assimilait ces compressions aux figures allégoriques de la dévastation
guerrière, aux vestiges des bombardements,
notamment ceux de Bosnie. L’oeuvre se chargeait d’une gravité que l’on avait probablement oubliée, tant l’auteur, qui ne dément pas
ses origines marseillaises, est connu pour son
goût rabelaisien de la vie. Deux ans plus tard,
alors qu’il avait reçu entre-temps le prestigieux
Praemium Imperiale (l’équivalent japonais d’un
prix Nobel des arts), César a donc de nouveau
été mis à l’honneur, par une exposition de premier plan.
César et la presse...
César s’approvisionnait en ferraille découverte à la décharge de Gennevilliers. C’est
là qu’il se laisse subjuguer par une machine
à laquelle nul n’avait songé encore à prêter
des vertus créatrices... la presse industrielle.
Témoignage : « Une tonne de métal sortie
de la presse hydraulique, ça a de quoi vous
étonner, quand on passe une vie à imprimer le fer de sa marque, à en percer l’intime
secret, à en surmonter les exigences. Moi, je
n’en suis pas revenu. J’ai d’abord été sensible
à la présence de ces balles compressées (...).
Certaines étaient plus belles encore que les
autres. Je les ai choisies parce qu’elles étaient
belles, et, un jour, je les ai exposées. » (César,
l’Express, 2 juin 1960).
Un parcours par étapes
Le choix opéré par Daniel Abadie, conservateur du Jeu de paume, aura été sélectif,
rigoureux, plutôt malthusien au regard d’une
production particulièrement prolifique au
cours de ces dernières années. Le parcours
retenu pour l’exposition est un parcours chronologique, dans une succession maîtrisée
de grands ensembles (fers soudés, compressions, empreintes, expansions...). Les petits
fers soudés de la première époque, notamment la série des Insectes des années 50, accueillent le visiteur à l’entrée. Ils sont enfermés
dans des boîtes de Plexiglas qui leur donnent
un caractère objectal inoffensif : le Scorpion
devient Sauterelle. On aurait aimé être mis en
état de danger, mais on comprend déjà que
les oeuvres ne menacent plus. Ces animaux
sont réalisés à partir de petits morceaux de
ferraille soudés entre eux. Ce matériau, peu
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
258
coûteux, offrait à l’artiste une liberté d’incision
dans le vide que les techniques traditionnelles ne permettaient pas. Tous ces petits
éléments composites forment un squelette
organique, ouvert au regard. Des animaux et
monstres dépecés, César passe au squelette
décharné de l’Homme dans l’importante série
des Nus et des Torses. Des corps fragmentaires
comme l’Homme de Villetaneuse (1957-1959)
campent sur des jambes filiformes qui fragilisent leur équilibre. La facture, plus sculpturale, est influencée par les oeuvres de Germaine Richier.
Au tout début des années 60, les oeuvres
deviennent moins anthropomorphiques, à
l’instar du Portrait de Patrick Waldberg (1961),
réalisé à partir de tôles de voitures compres-
sées contre une plaque monumentale d’acier.
Le langage plastique de l’artiste devient délibérément plus abstrait. De ses débuts, César
semble retenir un sens intuitif des matériaux
alternatifs. Le sujet devient accessoire devant
la présence du fer, de l’acier ou bientôt, sous
une forme plus sensuelle, des plastiques et
matières composites. C’est à cette époque
qu’apparaissent les premières compressions qui font la réputation internationale
de l’artiste. Il décide de se servir d’une presse
industrielle pour compresser des épaves de
voitures accidentées. Ses oeuvres deviennent
plus compactes, plus géométriques aussi,
même si le hasard intervient de plus en plus
dans un processus devenu industriel. Le relatif désengagement physique de l’artiste déléguant le « modelage » à la machine s’inscrit
dans une certaine tradition dadaïste que revendique en partie le groupe des « nouveaux
réalistes », auquel César adhère en 1960, aux
côtés de Yves Klein, Arman, Villéglé, Hains...
réunis par le critique d’art Pierre Restany.
L’artiste n’est plus un démiurge qui forge la
matière pour faire apparaître la forme. Il opère
un choix dans la complexité du réel. Les trois
premières grandes Compressions présentées
au Salon de mai de 1960 sont à nouveau réunies dans l’enceinte du Jeu de paume. Elles
surprennent moins aujourd’hui ; elles sont
devenues un « trophée ». Le sculpteur a décliné ces compressions sur toutes les dimensions, et souvent à une échelle plus domestique comme l’indiquent quatre d’entre elles
posées sur socle.
César joue sur les effets scalaires avec la
série des Empreintes où il monumentalise son
pouce ou un sein, agrandis au moyen d’un
pantographe. Son Pouce fait l’objet d’une
multitude de versions, dans une gamme de
matières nobles (bronze) ou pauvres (résine),
durables (marbre), fragiles (cristal) ou périssables (sucre). Le Sein (1966), surdimensionné,
en polyester rouge, est posé à même le sol
comme le sont, un an plus tard, les Expansions. Ces oeuvres sont réalisées à partir de
polyuréthane, matière chimique dont la particularité est de se solidifier au contact de l’air.
Avec les Expansions, César exploite à nouveau la force du hasard. La matière s’épanche
cette fois au sol ; elle ne se dresse plus contre
le spectateur mais occupe son territoire de
marche. Un esprit de liberté souffle sur ces
oeuvres dont le projet est incontrôlable. Celles
qui sont présentées ici, recouvertes souvent
de laine de verre, ont une remarquable qualité plastique. La surface luisante du polyuréthanne leur donne un caractère pop que l’on
retrouve ensuite dans les Compressions de
Plexiglas des années 70, dont les couleurs sucrées (rosé, orangé, violet) confirment un certain caractère ludique. Revenant aux sources
plus trash de l’esthétique du rebut, César réalise une série de Compressions murales avec
des cageots, des fils de laine, des jeans, ou des
cartons. Mais cette fois, les cartons et affiches,
plus récents, ont perdu la trace de l’usure du
temps, révèlent ouvertement leur caractère
décoratif, demandent trop à s’accoupler avec
la commode Louis XV. La très bonne sélection
des oeuvres découvre l’esthétisme de l’oeuvre,
tout comme dans les récupérations d’Arman
ou de Chamberlain. C’est ce que confirme,
plus récemment, la série des Hommages
à Morandi, où César compresse des brocs
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
259
émaillés sur des toiles afin de reconstituer, à
sa manière, l’ambiance feutrée des natures
mortes du peintre italien. Le sculpteur cite
alors de plus en plus l’histoire de l’art, fait des
clins d’oeil à la sculpture antique et au genre
classique de la vanité dans des Autoportraits
qui associent toutes les techniques de l’assemblage composite. L’oeuvre parle de plus
en plus d’elle-même, avec parfois la tentation
d’un narcissisme contenté.
PASCAL ROUSSEAU
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260
La querelle
de l’art
contemporain
L’année 1997 a vu rebondir une
polémique déjà ancienne sur l’art
contemporain. Prises de position
tranchées, lourds sous-entendus
et distributions d’anathèmes ne
sauraient tenir lieu d’un débat, qui
apparaît à la vérité aussi complexe
que souhaitable.
Même si elle a rebondi en 1997,
la polémique sur l’art contemporain est un feuilleton déjà
ancien, ce dont témoignent à
eux seuls les propos iconoclastes d’un Claude
Lévi-Strauss dans ses conversations avec
Georges Charbonnier (1961) ou le pamphlet
d’Yves Michaud sur les fonctionnaires de l’art
(1991). Si récurrente soit-elle, cette polémique
hexagonale a pourtant atteint son paroxysme
après la publication en novembre 1996 d’articles de Jean Clair, conservateur du musée
Picasso, des essayistes Jean Baudrillard et JeanPhilippe Domecq, de Marc Fumaroli, professeur
au Collège de France, et du peintre Ben dans la
revue de la nouvelle droite Krisis, une publication dirigée par Alain de Benoist qui avait fait
en 1993 l’objet d’une campagne d’un comité
de vigilants. Intitulé Art-non-art », le dossier de
Krisis de novembre 1996 est à l’origine d’un article publié par le critique d’art Philippe Dagen
dans les colonnes du Monde sous le titre « L’art
contemporain sous le regard de ses maîtres
censeurs » (15 février 1997). Si ce texte a mis le
feu aux poudres, la polémique couvant depuis
des années s’est déplacée une fois de plus : les
« maîtres censeurs » avaient nécessairement
tort puisqu’ils défendaient leur point de vue
dans une revue idéologiquement contestable
et dont, si l’on en juge par un récent dossier
d’Art Press, les goûts esthétiques pour certains
artistes des années 30 étaient douteux. Dans
ce contexte, le débat s’est figé, avant de se
réduire à des attaques personnelles.
Mais l’erreur est de répondre aux sommations en prenant position d’un côté ou de
l’autre, ou bien en affirmant que l’esprit français
a toujours éprouvé un sentiment proche de la
haine envers l’art. Mieux vaut s’apercevoir que
la querelle de l’art contemporain n’a jusqu’à
maintenant guère donné lieu à des échanges
et à des arguments raisonnes, comme si le
débat était « interdit ». S’y opposent brutalement ceux qui hurlent dès qu’une plume
s’autorise la moindre critique, et des esprits
critiques qui sont tous mis dans le même sac
comme si la polémique se résumait à une
guerre idéologique confrontant réactionnaires
et avant-gardistes, anciens et modernes. Or,
cette polémique noue plusieurs fils que l’on
ne cherche pas à démêler en la personnalisant
outrancièrement ou en la politisant hypocritement. Il faut en tirer quelques-uns si l’on veut
prendre la mesure d’une querelle qui cristallise
des interrogations variées.
Une querelle franco-française ?
Si la crise du marché de l’art est ressentie dans
toutes les grandes capitales de l’art (New York,
Londres, Paris, Venise...), la querelle esthétique
hexagonale apparaît cependant comme une
nouvelle version de la bataille d’Hernani.
Faut-il s’en étonner ? Alors que l’intervention
de l’État – au double sens d’un État « acheteur » et d’un État qui taxe galeries et salles
de ventes – est particulièrement lourde en
France, des pays comme les États-Unis ou
l’Allemagne bénéficient pour leur part d’une
vieille tradition de mécénat et d’une politique
culturelle fortement décentralisée qui ne
polarisent pas automatiquement le débat de
l’art sur le rôle de l’État. En Italie cependant, la
polémique est plus sensible en raison du rôle
contesté des commissaires des grandes expositions, comme la Biennale de Venise. Mais,
dans les années à venir, la tendance au modownloadModeText.vue.download 262 sur 361
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261
nopole mondial de l’achat et de la vente des
oeuvres d’art par deux salles de ventes anglosaxonnes (Sotheby’s et Christie’s) relancera les
polémiques sur le marché de l’art.
Le marché de l’art et l’État culturel
La controverse porte en grande partie sur
l’économie de l’art, c’est-à-dire sur le rôle du
marché et de l’État dans l’achat des oeuvres
d’an contemporaines. Dès lors que la production esthétique, du tableau au ready-made, se
vend et s’achète, il est légitime de se demander quel est le rôle du marché de l’an – dont
les galeries, les collectionneurs et les mécènes
sont les fers de lance – dans le succès d’un certain nombre de peintres comme Basquiat et
dans la spéculation financière sur les oeuvres
d’art qui a fait fureur durant les années 80. Si
le jeu de l’offre et de la demande institue des
critères « économiques » de hiérarchie esthétique, il est contrebalancé dans certains pays
par l’intervention des musées qui achètent des
oeuvres et de « l’État culturel » qui soutient des
peintres. Plus que partout ailleurs, la polémique
s’est focalisée en France sur le rôle des musées
et des fonctionnaires de l’an (voir Raymonde
Moulin, l’Artiste, l’institution et le marché, paru en
1992 chez Flammarion). Dès lors que l’État, non
sans lien avec une vieille tradition de soutien
aux beaux-arts, privilégie le soutien aux créateurs, les peintres en l’occurrence, en même
temps qu’il développe les musées, le rôle des
conservateurs et des diverses instances (les
Drac – directions régionales d’art contemporain – par exemple) destinées à prendre la
décision d’acheter se trouve posé. Tout au long
des années 80, des ouvrages ont instruit un
procès des conservateurs et fonctionnaires de
l’art (voir Jean Clair, Considérations sur l’état des
beaux-arts : critique de la modernité, paru chez
Gallimard en 1989, et Yves Michaud, l’Artiste et
les commissaires, paru aux éditions Chambon
en 1991).
Ce débat sur le marché de l’art correspond
implicitement à une première interrogation
relative aux critères de jugement et d’appréciation esthétique. Le fonctionnaire de l’art doit-il
se retrancher derrière une déclaration de neutralité et le galeriste invoquer le jeu de l’offre et
de la demande ?
Le jugement esthétique
Tel est le registre principal d’une controverse
où l’économique et l’esthétique sont indissolublement liés : l’aptitude à juger d’une oeuvre
sans céder à la querelle des Anciens et des Modernes, c’est-à-dire à une alternative opposant
défenseurs des valeurs académiques et reconnues du Beau et partisans d’un relativisme débouchant sur un éloge du subjectivisme. Cette
interrogation concerne aussi bien le créateur,
le récepteur que le critique d’art. Le contemporain – l’individu des démocraties – dispose-t-il
encore de critères esthétiques lui permettant
de juger les oeuvres qu’il regarde ? Si les critères
de jugement font défaut, faut-il alors en accuser le relativisme démocratique, où le point de
vue de l’individu l’emporte inéluctablement,
ou bien la qualité de tableaux et d’oeuvres qui
sont conçus, selon Anne Cauquelin dans son
Petit Traité d’art contemporain (Seuil, 1996), pour
décevoir, et exigent de la part du visiteur de
musée préparation et formation ? Dans cette
perspective, des auteurs réfléchissent, non
sans lien avec la troisième critique de Kant –
la Critique de la faculté de juger –, sur la possibilité d’établir les conditions d’un jugement
de goût (voir Jean-Marie Schaeffer, l’Art de l’âge
moderne : l’esthétique et la philosophie de l’art du
XVIIIe s. à nos jours, Gallimard, 1991).
« Quand y a-t-il de l’art ? »
Si l’oeuvre ne donne plus prise à un jugement esthétique autre que subjectif, il ne faut
pas s’étonner que la réflexion théorique se
déplace de la question esthétique portant sur
les critères du Beau à une tentative de description « analytique » de l’oeuvre d’art. Pour les
penseurs anglo-saxons marqués par la philosophie analytique, il est essentiel de dissocier
le débat esthétique de celui qui porte sur l’indownloadModeText.vue.download 263 sur 361
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tention artistique. Il ne faut plus se demander :
« Qu’est-ce que l’art ? » mais : « Quand y a-t-il
de l’art ? » Alors que les auteurs influencés par
Heidegger et la phénoménologie considèrent
toute « oeuvre » comme participant du Grand
Art, la pensée analytique, relayée en France par
Gérard Genette, s’efforce de décrire le plus rigoureusement possible les intentions qui président à la production d’une oeuvre artistique.
Le ready-made est alors considéré comme
une oeuvre d’art en raison de l’intention de
son auteur et non pas parce qu’elle souscrit à
des critères esthétiques. Pour Arthur Danto, la
manière dont un contenu se présente est aussi
importante que le contenu lui-même.
Qu’il s’agisse du débat esthétique ou de la
réflexion portant sur l’intention artistique, le
rôle de la pensée et de la philosophie apparaît
décisif. Ou plutôt démesuré, répliquent ceux
qui mettent en cause le poids du discours et
la rhétorique destinés à justifier conceptuellement des oeuvres. Souvent excessive, la polémique touche pourtant juste dans ce cas : la
plupart de ceux qui dénoncent les « maîtres
censeurs » sont des critiques d’art ou enseignants qui bénéficient du développement
récent de l’enseignement de la peinture et de
l’histoire de l’art tout en asseyant leur légitimité
sur un subjectivisme débridé.
Par ailleurs, des polémiques qui tendent
à dépasser la confusion de l’art moderne et
de l’art contemporain et dénoncent le rôle
des avant-gardes esthétiques interviennent
simultanément. Cependant, la critique de l’art
contemporain, dès lors que celui-ci est assimilé à une défense et illustration de l’avantgardisme, peut déboucher aussi bien sur une
défense de l’académisme que sur un éloge
intrépide de la production postmoderne
revendiquant l’absence de tout jugement
universel.
Une galaxie de mouvements
Plus qu’à des artistes singuliers ou à des lieux
privilégiés (New York remplaçant Paris dans
les années 60 comme capitale de la peinture)
l’art contemporain renvoie essentiellement
à des groupes (groupe Zebra, groupe Zero,
groupe Untel, groupe N, Cobra), à des mouvements esthétiques revendiquant un projet se
distinguant radicalement de ce qui a précédé.
Est considéré comme « contemporain » depuis
Marcel Duchamp ce qui se démarque, d’où
l’inflation de préfixes (néo, trans) et d’adjectifs (nouveau, super) destinés à souligner le
caractère inédit de ces pratiques artistiques :
néo-dadaïsme, néo-expressionnistes, nouveaux fauves, nouveau réalisme, nouvelle
figuration, nouvelle subjectivité, Nul Groep,
Super-realism, trans-avant-garde, Post Painterly Abstraction, ou leur exacerbation (hyperréalisme, hypermaniérisme). L’art contemporain se distingue donc par un choix esthétique
ou politique déterminé (art brut, Arte Povera,
art cinétique, art conceptuel, art informel, art
minimal), ou par une extension de la pratique
artistique au corps ou au paysage (Body Art,
Action Painting, Earth Art, Land Art, Sky Art,
spatialisme). L’erreur est de concevoir l’art
contemporain comme une galerie de figures,
Andy Warhol ou Daniel Buren par exemple,
alors qu’il correspond à une galaxie de
mouvements.
Une autre perception
Mais la réflexion sur l’oeuvre d’art peut-elle
échapper à celle qui porte sur l’expérience du
regard et de la vision ? La question : « Quand
y a-t-il de l’art ? » est-elle séparable de celleci : « Que voit-on ? » « La seule chose que fait
l’esthétique, c’est d’attirer l’attention sur une
chose », écrit Wittgenstein. Si des « intérêts »
spécifiques aux divers protagonistes expliquent en partie la violence de la « querelle
de l’art contemporain », celle-ci participe d’un
désarroi plus profond si l’on considère qu’il
porte sur l’expérience même de la vision, sur
l’aptitude à regarder le monde et à le transfigurer. Même si l’avant-gardisme est mis en
cause, l’art conserve la mission de modifier et
de perturber le regard et la perception. Dans
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cette optique, la querelle de l’art contemporain prend une autre dimension : elle traduit
les métamorphoses de la perception. Celles
qu’évoque Yves Michaud, ancien directeur
de l’École nationale des beaux-arts, quand il
écrit : « L’expérience esthétique qui est la nôtre
est tout à fait froide, distanciée, ironique, brutale, inattentive et pourtant fascinée. » C’est
une « expérience proche du zapping, du voyage
supersonique, du déphasage horaire et du tourisme qui correspond au milieu des décideurs de
l’art et à son hyperempirisme moderniste. ». Mais
la création contemporaine n’a-t-elle que cette
expérience d’un monde post moderne à nous
proposer ? N’y a-t-il pas d’autres « mondes de
l’art » que celui de l’art contemporain que
privilégie l’État culturel ? Si d’autres mondes
artistiques existent indéniablement, en dépit
de leur faible visibilité, les transformations de
la perception à l’oeuvre peuvent également
être à l’origine d’expériences artistiques inédites. Si la polémique, au-delà de l’anecdote
et des coups de griffe, porte autant sur le marché de l’art que sur le jugement esthétique
et l’oeuvre artistique, elle oppose aussi ceux
qui croient en un « monde » transfigurable et
ceux qui n’y croient plus.
OLIVIER MONGIN
DIRECTEUR DE LA REVUE Esprit
Bibliographie
Jean Clair, Considérations sur l’état des
beaux-arts : critique de la modernité,
Gallimard, 1989.
Philippe Simonnot, Doll’art, Gallimard,
1990.
Yves Michaud, l’Artiste et les
commissaires (Quatre essais non pas sur
l’art contemporain mais sur ceux qui
s’en occupent), J. Chambon, 1991.
Raymonde Moulin, l’Artiste, l’institution
et le marché, Flammarion, 1997.
Jean-Marie Schaeffer, l’Art de l’âge
moderne : l’esthétique et la philosophie
de l’art du XVIIIe à nos jours, Gallimard,
1991.
Philippe Urfalino, l’Invention de la
politique culturelle, la Documentation
française, 1996.
Philippe Dagen, la Haine de l’art,
Grasset, 1997.
Anne Cauquelin, Petit Traité d’art
contemporain, Le Seuil, 1996.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
264
Les cinquante
ans du Festival
de Cannes
Destiné à l’origine à concurrencer le
Festival de Venise (fondé en 1932),
jugé alors trop partial, le Festival
de Cannes, après un faux départ
en 1939, s’impose, à partir de 1946,
comme la grande manifestation
socioculturelle de la seconde partie
du XXe siècle. De ses premiers
pas hautement diplomatiques à
sa bataille sans merci contre les
médias (télévision en tête) qui se
servent de lui comme d’un tremplin
autopromotionnel en passant
par l’ère des stars, l’apparition
des nouvelles vagues, des films
politiquement engagés, des oeuvres
venues des quatre coins de la
planète, le Festival de Cannes a été
le sismographe privilégié d’un 7e art
en pleine mutation.
Pour le spectateur de 1998, le Festival de Cannes paraît être une vaste
foire où les défilés de vedettes
succèdent aux grandes fêtes arrosées de champagne. Cette image, aujourd’hui
fallacieuse, est essentiellement façonnée par
les émissions télévisées, qui ne retiennent que
cet aspect de la manifestation. Exactement
comme si les journalistes de l’audiovisuel commentaient l’actualité politique avec la langue
de bois qui prévalait à l’époque de la guerre
froide.
Une identité difficile à trouver
En 1939, le jeune diplomate Philippe Erlanger rêve d’une rencontre internationale de films
qui pourrait rivaliser avec Venise, dont les choix
cinématographiques sont fortement orientés
politiquement. Il trouve les soutiens institutionnels et financiers nécessaires, et le premier
Festival doit s’ouvrir en septembre 1939, à
Cannes. La guerre éclate : il n’aura pas lieu. Sept
ans plus tard, le projet se concrétise et connaît,
malgré quelques difficultés de démarrage, un
grand succès. En 1946, la diplomatie prévaut.
La plupart des pays invités – jusqu’en 1976, ce
sont les nations qui choisissent leurs représentants – reçoivent une parcelle du grand prix du
Festival international du film, qui ne deviendra
palme d’or qu’en 1955, à nouveau grand prix
en 1964 puis définitivement palme d’or à partir
de 1975. L’Amérique est présente avec le Poison
de Billy Wilder, l’URSS avec le Tournant décisif de
Fridrih Ermler, l’Italie avec Rome, ville ouverte de
Roberto Rossellini, seul film réellement novateur du Festival, annonciateur du néoréalisme,
et qui se trouve quelque peu noyé dans le lot.
René Clément est distingué par le prix international du jury pour la Bataille du rail, film qui
évoque la guerre encore toute proche. Alfred
Hitchcock (les Enchaînés) et Jean Cocteau (la
Belle et la Bête) sont oubliés. L’année suivante, il
n’y aura pas de grand prix du Festival, peut-être
en réaction à la pléthore de récompenses de
la première édition, mais des prix fantaisistes,
comme celui du meilleur film psychologique
et d’amour ou celui du meilleur film d’aventures et policier.
On peut considérer les années 1946-1951
comme une période de tâtonnements, où
le Festival se cherche une identité. Parallèlement à la sélection, diplomatique, de films, la
manifestation a besoin d’un lieu. L’édition 1946
se déroule dans la grande salle du casino. En
1947, les invités sont accueillis dans un palais
en pleine construction. Les éditions de 1948 et
1950 sont annulées par manque de moyens
et, aussi, parce qu’on estimait qu’une année
n’est pas suffisante pour recevoir assez de bons
films.
C’est au début des années 50 que le Festival va acquérir son profil. Une véritable équipe
permanente se structure autour de Robert
Fabre Le Bret, cofondateur de la manifestation
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
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avec Philippe Erlanger, qui devient délégué
général en 1952.
Deux phénomènes, apparemment divergents, vont l’aider à se forger une identité.
D’une part, le cinéma sera légitimé comme art
grâce au mouvement des ciné-clubs, qui se
fédèrent en 1946, et à la consolidation d’une
presse spécialisée exigeante (la Revue du cinéma, Image et son, les Cahiers du cinéma, Positif,
Cinéma...). Ces partenaires indispensables du
festival, à la fois juges et commentateurs, le
feront évoluer et changer. La critique de son
académisme par François Truffaut en 1958 et
la sélection de l’opéra prima de ce dernier, les
Quatre Cents Coups, l’année suivante, ouvrent
le Festival au cinéma moderne. D’autre part, la
libéralisation des moeurs doublée par l’ouverture des frontières et le miroir aux alouettes
que constitue désormais le cinéma va initier
l’ère des starlettes, où nouvelles stars, dont la
présence prime sur les films qui leur servent
d’écrin : Martine Carol, Brigitte Bardot, Grace
Kelly, Gina Lollobrigida donneront ainsi à
Cannes, par les échos médiatiques qu’elles suscitent, cette image de fête permanente qui lui
colle encore à la peau. Elles en recevront, en
contrepartie, une gloire inespérée.
Cinémas décentrés
et nouvelles vagues
Dans les années 50, le cinéma est sorti de sa
période d’« innocence » : la guerre, les débuts
de la décolonisation, l’apparition de cinématographies lointaines (Amérique latine, Afrique,
Europe de l’Est) modifient son identité. Autant
il était facile de juger jusque-là un film bâti
autour d’un scénario bien structuré, généralement immuable sous toutes les latitudes et
bourré de conventions psychologiques censées reproduire une tranche de vie, autant
il devenait difficile d’isoler des critères pour
apprécier le surréalisme naturaliste de Buñuel
(Los Olvidados, 1951), la saga égyptienne de
Youssef Chahine (le Fils du Nil, 1952) ou le néoréalisme bengali de Satyajit Ray (Pather Panchali, 1956), tous films qui défiaient le modèle
occidental de narration. D’Occident même, de
nouvelles manières de traiter le matériau dramatique apparaissent : le présent et le passé
sont montrés sur le même plan, sans césure
formelle comme à l’accoutumée, par le Suédois Alf Sjöberg (Mademoiselle Julie, grand prix
du jury 1951, ex aequo avec Miracle à Milan de
Vittorio De Sica) ; les conventions dramatiques
sont niées par Robert Bresson, qui pratique la
distanciation (Un condamné à mort s’est échappé, prix de la mise en scène en 1957). Une manière novatrice d’aborder certains sujets se fait
jour : l’acte pictural est restitué dans sa durée
même (Le Mystère Picasso, d’Henri-Georges
Clouzot, Prix spécial du jury en 1956), tandis
que Nuit et brouillard d’Alain Resnais, réflexion
sous forme documentaire sur les camps de la
mort, est projeté hors compétition, en 1956,
à cause d’une plainte de la délégation ouestallemande. Les grands prix reflètent rarement
– jusqu’en 1960, où La Dolce Vita de Federico
Fellini reçoit la récompense suprême – ces mutations qui s’opèrent dans le cinéma. Jusqu’en
1964, les présidents du jury sont des écrivains
ou des académiciens qui, à l’exception de Jean
Cocteau, sont peu au fait de l’univers filmique.
À partir de 1964, et la présidence de Fritz Lang,
cinéastes et acteurs tiendront majoritairement
ce rôle.
Jusqu’à l’aube des années 60, les démarches novatrices étaient disséminées au
milieu d’oeuvres traditionnelles, voire conventionnelles. Après la présentation des Quatre
Cents Coups de François Truffaut, en 1959, la
venue de plus en plus grande de journalistes
et de critiques spécialisés (Aldo Kyrou, Robert
Benayoun, Jean Douchet, Georges Sadoul,
Jean-Louis Bory... pour s’en tenir aux Français,
tout en signalant que des personnalités aussi
exigeantes venaient de tous les horizons), le
Festival devient de plus en plus une rencontre
cinéphilique. En 1962, des journalistes fondent
la Semaine de la critique, première des sections parallèles, consacrée à la découverte de
premiers et seconds films du monde entier,
en général négliges par la sélection officielle.
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Bemardo Bertolucci, Jerzy Skolimowski, Philippe Garrel, Otar Iosseliani, Alain Tanner entre
autres y présentent leurs films de jeunesse. De
nombreux cinéastes remarqués dans ce cadre
concourront plus tard en compétition. En 1969,
sur les brisées de Mai 68, une autre section, la
Quinzaine des réalisateurs, voit le jour : ce sont
les cinéastes qui, à travers le délégué général de
la rencontre, Pierre-Henri Deleau, choisissent
les films en toute liberté. Cannes devient une
fête essentiellement dévolue aux films et à la
découverte de nouveaux talents, tandis qu’un
aréopage d’« auteurs maison » (Martin Scorsese, Wim Wenders, Nikita Mikhalkov, Shohei
Imamura, Emir Kusturica, Abbas Kiarostami...)
voient chacun de leurs films présentés dans
une section ou une autre. En 1978, le nouveau
délégué général Gilles Jacob crée Un certain
regard, une section parallèle « officielle », et
aussi le prix de la caméra d’or, qui récompense
un premier film dans n’importe quelle sélection, tandis que Cinémas en France (anciennement Perspectives du cinéma français) montre
les meilleurs films hexagonaux.
De l’utilité des festivals
Dans les années 20, des critiques comme Louis
Delluc ou Riccioto Canudo tentaient de légitimer le cinéma en tant qu’art à part entière.
Dix ans plus tard, face à une industrie toutepuissante qui détruisait les vieux films, des
jeunes gens enthousiastes, tel Henri Langlois,
en France, fondèrent des cinémathèques
pour préserver la mémoire du cinéma. À cette
même époque, d’autres pionniers pensaient
qu’il serait intéressant de créer des lieux destinés à confronter les oeuvres modernes de
différents pays. Ces manifestations se sont appelées « festivals ». Bien qu’il y ait eu une tentative allant dans ce sens à Milan, dès 1910, le
premier véritable festival, celui de Venise, est
fondé en 1932. Malgré une censure vigilante,
Venise accueille en 1934 des films aussi surprenants que le Grand Jeu de Jacques Feyder,
la Reine Christine de Rouben Mamoulian et
Extase de Gustav Machaty – un des premiers
films à montrer une nudité féminine. Mais au
fur et à mesure de l’approche de la guerre,
l’Italie a tendance à primer des films du puissant allié allemand. En 1938, les Dieux du
stade de Leni Riefenstahl, une bande-fleuve
sur les jeux Olympiques de Berlin de 1936, est
primée en dépit du règlement du festival qui
interdit de récompenser un documentaire.
Dans plusieurs pays, dont la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis, on rêve d’un
festival du monde libre. Ce festival sera celui
de Cannes.
Il faudra attendre 1976 pour que Cannes
puisse sélectionner les films qu’il désire. Avant,
les pays eux-mêmes envoyaient les films qu’ils
souhaitaient. On se souvient toutefois de la
bataille que mena Robert Fabre Le Bret contre
les Soviétiques pour obtenir qu’Andreï Roublev, de Tarkovski, fût projeté hors compétition en 1969. Défait, une sélection à Cannes
permet à des cinéastes vivant sous des latitudes peu clémentes, tel l’Iranien Abbas Kiarostami, de bénéficier d’une certaine intouchabilité. Mais, pour autant, la bataille pour
la liberté d’expression n’est pas gagnée. Ainsi,
les Chinois refusèrent, en 1997, l’année du cinquantenaire, de laisser concourir Keep Cool, le
film de Zhang Yimou.
Un festival reflet du monde
À l’instar de certaines demeures japonaises
où le design côtoie les estampes du XVIe siècle
ou le mobilier de l’ère Meiji, tout s’ajoute à
Cannes. Le temps des films d’auteur n’a pas
pour autant chassé les vedettes : les visites d’Elizabeth Taylor, d’Isabelle Adjani, de Jeanne Moreau ou de Sharon Stone constituent encore
des événements, mais qui n’intéressent qu’une
fraction des festivaliers : les photographes, les
gens de télévision (qui souvent ignorent les
films au profit d’une couverture people du
Festival) et les Cannois pour qui la montée des
marches du Palais constitue le must de la journée. Depuis la fin des années 60, le Festival s’est
clivé en une foultitude de petites tribus. Si la
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Semaine de la critique a créé une brèche, celleci concernait surtout les gens de cinéma.
Après 1968 (date où la manifestation fut
interrompue au bout de quelques jours) et la
création de la Quinzaine des réalisateurs, des
étudiants, de simples cinéphiles firent le pèlerinage jusqu’à Cannes pour voir des films. En
même temps que tombait le costume trois
pièces au profit des jeans, un autre mode de
vie, d’autres attitudes sociologiques naissaient :
on pouvait aller à Cannes en stop avec cinq
cents francs en poche, on campait chez des
amis... Jusqu’en 1983 et la construction du nouveau palais, dénommé, fort à propos, le bunker,
il était relativement facile de se procurer des
invitations pour les séances.
Créé en 1959, destiné aux producteurs et
acheteurs, le Marché du film deviendra, entre
1969 et 1976, un lieu de découverte de cinémas marginaux : série B, auteurs scandaleux
comme John Waters, et aussi cinéma porno
(pas encore appelé X) – très prisé alors des
intellectuels – y feront la joie des spectateurs
soumis à la censure encore en vigueur (les festivals sont, en principe, exonérés de censure).
Si on veut résumer l’historique du Festival de Cannes, on peut dire qu’il a vécu deux
périodes d’innocence : de sa création à 1960,
avec l’ère des stars et des apparats, et de 1969
à l’aube des années 80, où on consommait de
la pellicule d’une manière désordonnée, pulsionnelle. Les films reflétaient l’air du temps
jusqu’à la caricature. Ainsi, en 1972, la récompense suprême est partagée entre deux films
politiques : La classe ouvrière va au paradis d’Elio
Petri et l’Affaire Mattei de Francesco Rosi, tandis que le très underground dessin animé Fritz
the Cat de Ralph Bakshi faisait un triomphe à la
Semaine de la Critique et que les séances de
minuit avec Pink Flamingos de John Waters ne
désemplissaient pas au Marché du film.
Les choses se normaliseront ensuite. Alors
que les plus culturels des auteurs audacieux
(Jean-François Davy, Dusan Makavejev, Paul
Morissey...) rejoignent les diverses sections du
Festival, les films érotiques sont progressivement bannis du Marché du film ou présentés
en vidéo à de réels acheteurs.
Ces périodes d’innocence sont suivies par
des phases de repositionnement, de redéfinition des enjeux. Dans les années 60, trouver et défendre de nouveaux cinéastes ou de
nouvelles écritures n’est plus laissé au hasard
des projections. Appelé nouvelle vague,
ou jeune cinéma, le film d’auteur de cette
époque-là invente une écriture qui met à mal
la syntaxe cinématographique traditionnelle :
plus de champ/contrechamp au service de
drames psychologiques mais un foisonnement d’images dans lequel présent et passé
se confondent (Hiroshima mon amour, Alain
Resnais, 1959), où l’objectif et le subjectif sont
traités sur le même plan (le Dieu noir et le Diable
blond, Glauber Rocha, 1964). Mais, quel que soit
le style adopté, ces films expriment totalement
l’univers de leur auteur. Vingt ans plus tard, ce
style « dysnarratif » dégénérera à son tour en
nouvel académisme qui dispense les cinéastes
paresseux de faire l’effort de bien structurer
leurs films. Viendront alors des metteurs en
scène qui travailleront sur la distanciation,
la relecture des genres populaires, l’ironie, le
second degré : Steven Soderbergh (Sexe, mensonges et vidéo, palme d’or 1989), David Lynch
(Sailor et Lula, palme d’or 1990), les frères Coen
(Barton Fink, palme d’or 1991), Quentin Tarantino (Pulp Fiction, palme d’or 1994). Ces gens
qui oeuvrent sur des trames policières ou fantastiques détournées, sur du matériau recyclé
sont considérés, dans une perspective postmoderne, comme les artistes les plus aptes à
restituer l’atmosphère cynique des années 90.
Mais, comme la vérité n’est pas une mais
multiple à Cannes, le jury de cette 50e édition,
présidée par la glamoureuse Isabelle Adjani,
a distingué, par une double palme d’or, des
cinéastes qui, comme les grands maîtres des
années 60, travaillent sur une réalité concrète,
tangible, à laquelle ils appliquent leur grille de
lecture : Shohei Imamura (l’Anguille) et Abbas
Kiarostami (le Goût de la cerise). Les paillettes de
la présidente Isabelle Adjani se sont mariées
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avec des films d’une grande rigueur. Les paparazzi avaient une grande star à photographier
et les critiques, des films sérieux à commenter.
Des stars
Contrairement à ce qui est admis, le Festival
de Cannes rendit les stars plus proches du
public. Leur seule présence dans l’« arène »
cannoise, là où la concentration de journalistes et d’échotiers est la plus forte, permit à
tout un chacun de connaître les moindres faits
et gestes de celles-ci. C’est Cannes qui créa le
mythe Bardot, ce nouveau type de femme qui
n’avait plus la distance lointaine d’une Marlene Dietrich, bien avant le film de Vadim Et
Dieu créa la femme (1956). Il permit aussi à
Grace Kelly, actrice fétiche d’Alfred Hitchcock,
de quitter la scène cinématographique pour
celle de la jet set – en devenant princesse de
Monaco. Le Festival peut aussi être néfaste à
l’apprentie starlette : en 1954, Simone Silva
pose nue dans les bras de Robert Mitchum.
Ses clichés de la pose indécente font le tour
du monde, et les ligues puritaines américaines
s’en offusquent. Une dépression nerveuse
conduit la jeune femme au suicide...
Après La Dolce Vita de Federico Fellini (1960),
qui livre, à travers la magnifique prestation
d’Anita Ekberg, une réflexion sur les gran-
deurs et misères du star-system, les choses
changent. Sophia Loren en 1961 avec La Ciociara (Vittorio De Sica) et Claudia Cardinale,
deux ans plus tard, avec le Guépard (Luchino
Visconti) mettent leur image au service de
chefs-d’oeuvre.
Un peu bousculées dans leurs habitudes,
quand triomphait dans les années 60 et 70
le cinéma d’auteur, les stars sont revenues
depuis une dizaine d’années, peut-être parce
que l’acteur a repris une place importante
dans le coeur des cinéphiles. On peut dire que
la présentation de Basic Instinct de Paul Verhoeven en 1992, à Cannes, a permis à Sharon
Stone de devenir une superstar, après dix ans
de vaches maigres, ou à John Travolta, dont la
cote était au plus bas, de remonter au sommet
grâce à Pulp Fiction de Quentin Tarantino, qui
obtint la palme d’or en 1994.
RAPHAËL BASSAN
Bibliographie
D’or et de palmes, le Festival de
Cannes : Pierre Billard (Découvertes
Gallimard, 1997). Cannes, cris et
chuchotements : Michel Pascal (Nil
éditions, 1997). Histoires de Cannes
1939-1996 : numéro spécial des Cahiers
du Cinéma (avril 19971. 40 révélations
en 50 ans : numéro hors série du Nouvel
Observateur (mai 1997).
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L’année
littéraire 1997
Si la littérature offre, cette année
comme les précédentes, une
prolifération d’ouvrages où le
récit l’emporte sur une forme plus
romanesque, c’est que le monde
lui-même est perçu comme un chaos
opaque. Les réponses personnelles,
privilégiant l’approche subjective,
prennent le pas sur l’analyse
rationnelle. Plus que jamais
pourrait s’appliquer la référence
shakespearienne dont Faulkner fit
titre et matière : bruit et fureur.
Pouvoir des mots ? De ce bruit ambiant Nathalie Sarraute, doyenne
des lettres françaises avec ses
quatre-vingt-dix-sept ans, fait
danse dans son Ouvrez : entre la parade des
mots changés en personnages. Couronnement d’une oeuvre appréhendant le monde
comme un tohu-bohu de phrases qui à la
fois enivrent et emprisonnent. Claude Simon
(notre dernier prix Nobel de littérature) aligne
des colonnes sur les pages de son Jardin des
Plantes, rangées de mots-fleurs dont les diaprures, par le jeu des visions imprévues, font
s’interpénétrer les angoisses rencontrées au
cours d’une vie et les respirations plus enivrées.
J.M.G. Le Clezio rechercherait plutôt « les mots
de pouvoir » (la Fête chantée), empruntant les
chemins du mythe dans une quête à demi onirique, à demi mystique des quelques paroles
amérindiennes préservées, avant de se purifier
dans les mirages du désert nu, au cours de son
pèlerinage au Sahara (Gens de nuage).
Les liens brisés
Mais les mots s’obstinent aussi à dire la sensation que la trame du tissu social se délite. Souvent ce sont des écritures féminines, héritières
sans le dire d’une tradition anglo-saxonne
où la narratrice s’astreint à une notation des
convulsions secrètes du monde conjugal ou
familial. Dans cette perspective Claire Fourier,
malgré la brutalité accrocheuse du titre : Je vais
tuer mon mari, campe une femme analysant,
non sans fiel, vingt ans d’incompréhension
maritale. Grâce au recul de l’écrit, elle parvient à une sagesse fondée sur la résignation.
Le champ d’observation s’élargit avec Sophie
Tasma dont le Désolation et destruction (un titre
double à la manière du célèbre Orgueil et préjugés de Jane Austen) dresse un constat sévère
de nos égocentrismes. La forme brève de la
nouvelle convient à Suzanne Lafont (Passions
mineures) pour émouvoir par des plans quasi
cinématographiques d’une précision cruelle.
Plus vastes sont les ambitions de Linda Lê qui,
dans les Trois Parques, marie burlesque, satire
et émotion afin de camper ses trois soeurs aux
liens rompus, comme tant d’autres, avec le
pays d’origine, ici le Viêt Nam.
La blessure de l’éphémère
Cette rupture des liens affectifs s’inscrit parfois dans la tradition de la peinture des fugitives passions amoureuses. Michel Besnier les
évoque avec nostalgie dans la Roseraie et place
au coeur de l’intrigue un généalogiste des roses
luttant symboliquement contre l’éphémère de
la floraison. À l’amoureux des rosés répond le
Maître des paons de Jean-Pierre Milovanoff,
où, au-delà de l’amour impossible, s’impose
la présence d’un personnage fasciné par les
irisations des ocelles des paons. Ces romans
vibrent d’une perte des certitudes de l’être qui,
à la lisière de la folie, s’éprend de signes vaguement symboliques.
Ainsi revient-on à l’interrogation sur l’absence : Alain Spiess, dans ses nouvelles, au titre
évocateur : Pourquoi, met en scène des disparitions d’être cher. Bernard Chambaz prend du
recul avec sa propre expérience du deuil et,
sous la forme d’une chronique romanesque,
recrée la présence du fils disparu. Il emprunte
son titre au panneau orné des dernières dédownloadModeText.vue.download 271 sur 361
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coupes de Matisse qui, à demi paralysé, s’efforçait encore de faire chanter les couleurs : la
Tristesse du roi. La douleur d’une vie dépourvue
de sens conduit plusieurs auteurs à prendre
comme personnage central un homme âgé,
tel le cinéaste désenchanté dans la Nostalgie
des singes de Patrick Tudoret. Alain Bosquet
met dans la bouche d’un septuagénaire un
réquisitoire amer contre la société (Portrait d’un
milliardaire malheureux). Chez Pascal Bruckner
(les Voleurs de beauté), si la beauté est également éphémère, elle devient paradoxalement
haïssable et ses héros la forcent à se faner plus
vite par la réclusion des belles victimes qu’ils
séquestrent.
Errance et immobilité
Le constat de l’éphémère de la vie ne
constitue pas une nouveauté ! En y ajoutant le
désespoir latent ne restent alors que l’errance
ou l’enfermement. De la thématique du vagabondage (chère à la beat generation), certains
encore font roman, l’ancrant parfois dans la
réalité par l’entremise d’une menace empruntée à la fiction policière, comme chez JeanClaude Pirotte qui titre Cavale. Il en fait prétexte
à divagation littéraire tandis qu’il peuple la solitude de son héros de passantes et de copains
de zinc. Christian Gailly (les Évadés) joue sur
des pistes multiples, qui ne peuvent conduire
qu’à la mort du fuyard, héros soudain tragique.
Hervé Prudon reprend le chemin de l’aventure
(la Femme du chercheur d’or), mais son héros
« porte en bandoulière [son] enfance qui ressemble à un petit singe mort ». Quand l’appel
de la mer réapparaît avec Coup de lame de Max
Trillard, l’océan se referme sur l’enfer du thonier
où le personnage principal baptisé « Démon »
joue sadiquement avec le jeune étudiant, victime sacrificielle. L’errance, loin de représenter
une initiation, saisie par le cauchemar se fige,
et conduit à la dilution de l’être dans l’univers
anonyme du Lieu dit de Raymond Bozier.
Ego et éros
Donner une primauté au « Je » conduit à
ignorer les questions qui agitent notre monde.
Cette année, l’ego triomphant se contente
souvent de s’étourdir des vertiges de la chair,
jusqu’à l’érotisme complaisant qui se délecte
de jouer d’un vocabulaire cru, non sans afféteries involontairement comiques.
Christophe Donner, qui ne cache pas son
propos : « J’écris sur le désir, sur la folie du
désir... », en use avec talent. Prolifique, il publie
quatre livres cette année. Si les trois premiers
répondent à son projet, le quatrième ouvre
d’autres perspectives : Le voile, le visage et l’âme
confronte une Américaine défigurée par un
accident et une Égyptienne dont les souffrances suggèrent le sort des femmes dans de
trop nombreux pays. Éric Neuhoff se contente
d’ébaucher une mince intrigue (la Petite Française) qui ne parvient qu’à faire résonner de
faibles échos de Lolita. Quant à Dominique Noguez, son narrateur décrit avec conviction son
envoûtement pour une strip-teaseuse (Amour
noir).
La tentation de l’histoire
Plutôt que de peindre une fresque d’aujourd’hui, certains situent cette tentative dans
le passé. Ils trouvent une distance en s’enfonçant dans le temps, confondant leur art avec
celui des anciens historiens qui entendaient,
en retraçant d’anciens événements, éclai-
rer le présent. La Bataille de Patrick Rambaud
illustre cette démarche : l’auteur s’efforce de
reprendre le flambeau des romanciers du
XIXe s. illuminant la société. Il retrace la bataille
d’Essling (1809), massacre plutôt que victoire.
Et la peinture de l’entêtement de Napoléon
insoucieux du nombre des victimes devient
une accusation indirecte des responsables
des massacres contemporains. Une expédition scientifique du XVIIIe s. au Pérou permet à
Patrick Drevet (le Corps du monde) de redonner
vie à un représentant du Siècle des lumières, le
botaniste Joseph de Jussieu, tentant de récondownloadModeText.vue.download 272 sur 361
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cilier l’affectif et la raison. Le rapport à l’histoire
est plus complexe chez Philippe Le Guillou qui
présente le deuxième panneau de son « triptyque » flamboyant les Sept Noms du peintre
(le premier évoquait le foisonnement des légendes celtiques de la Table ronde). S’inspirant
de la vie du peintre anglais Bacon, il s’immerge
dans le passé de la peinture et pose la question
intemporelle de la création face au vertige du
pourrissement des chairs.
Les spectres du passé
Lorsque l’histoire contemporaine est source
d’inspiration apparaissent les spectres décharnés et mutilés qui la hantent. Leur présence
évoquée, loin de dévoiler des secrets, défie
l’analyse, renvoie l’image du néant. L’esprit pétrifié ne peut ni comprendre ni pardonner. « Je
n’ai plus rien », constate simplement un survivant de l’Holocauste dans la saga d’une famille
juive ashkénaze contée par Sarah Frydman (la
Marche des vivants). Namokel titre Catherine
Lépront dont l’héroïne, lorsque son frère est
tué en Algérie, reste interdite devant le mot
mystérieux qu’utilisait son grand-père pour
faire référence à l’indicible – les charniers des
camps. Il suffit à Lydie Salvayre, signant un des
livres forts de la rentrée, de la visite d’un huissier d’aujourd’hui et surgit aux yeux d’une mère
affrontée à sa fille la Compagnie des spectres.
Fin de millénaire (essais et
documents)
L’annonce de la fin d’une époque se précise, parfois avec un sourire de triomphe, mais
le plus souvent avec une grimace teintée de
millénarisme. Pour beaucoup, le temps est
venu des bilans et des analyses des fautes du
passé. Et, tout d’abord, il faut lever le voile qui
entourait le régime de Vichy. La soumission
de l’Administration est détaillée par Marc Olivier Baruch dans Servir l’État français. Le procès
du préfet Maurice Papon donne l’occasion à
Bernard Violet d’établir le Dossier Papon. Denis
Peschanki examine l’esprit de la période (Vichy
1940-1944, Contrôle et Exclusion) et Jean-Pierre
Azéma et Olivier Wieworka en dressent un
tableau d’ensemble : Vichy, 1940-1944. Yves
Durand élargit le champ des investigations
et propose Une histoire générale de la Seconde
Guerre mondiale. Dans cette perspective globale, l’ouvrage collectif le Livre noir du communisme tire les conséquences tragiques d’une
vaste illusion. Un livre à compléter par l’Histoire
de l’Internationale communiste de Pierre Broué.
« Mondialisation », maître mot encore des
réflexions sur la domination de l’économie. Les
uns la dénoncent, tel Ignacio Ramonet (Géopolitique du chaos), d’autres la célèbrent, comme
Alain Mine (la Mondialisation heureuse). Mais
Michel Musolino souligne : « l’art de se tromper » dans l’Imposture économique, tandis
qu’Isabelle Stengers s’en prend à « l’expertise
scientifique » (Sciences et Pouvoirs).
Dans un monde paradant sa violence, la
recherche d’un modèle conduit à célébrer
la grande figure de Gandhi : de Guy Deleury,
Gandhi, et de Jean Marie Muller, Gandhi l’insurgé ; ou à s’intéresser à l’éthique du « philosophe
à posture modeste » : Paul Ricoeur, les Sens d’une
vie de François Dosse. À quoi opposer l’autre attitude, celle de Cioran et sa « frivolité désespérée » avec la publication des Cahiers 1957-1972
de ce flâneur du néant, qui se serait peut-être
amusé des attaques portées par deux physiciens contre la pensée postmoderne (Impostures intellectuelles, Alan Sokal, Jean Bricmont).
Science contre philosophie, camps contre
camps et face au silence des idéologies les
fanatiques de la foi : utile donc, la publication d’une Encyclopédie des religions avec son
deuxième tome aux fertiles regroupements
thématiques, ou encore le grand oeuvre posthume d’Alphonse Dupront : le Mythe de croisade, partant d’une enquête événementielle
pour tenter d’appliquer « une pensée historique d’ensemble » aux prolongements du
mythe.
À l’importance donnée à l’être singulier
correspond l’essai consacré par Aliette Armel à
Michel Leyris qui écrivait : « Je me suis aperçu
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un jour que ce livre relatif à ma vie était devenu
ma vie même. » Les difficultés du jeu avec le
Je sont présentées dans le traité de Jacques et
Éliane Lecarme : l’Autobiographie.
Figures de l’« étrangeté »
La diversité des origines et celle des dates
de naissance ont tendance à faire de chaque
ouvrage un esseulé, un immigrant qui a pour
tout papier la louange de l’éditeur. Les regrouper ne fait qu’accroître les disparités et, comme
dans un kaléidoscope secoué, de multiples
figures peuvent apparaître. Cependant, de
l’ensemble se dégage un tableau saisissant des
difficultés et violences du globe et de l’importance moindre accordée au narcissisme. Beaucoup d’auteurs ne craignent pas de témoigner
de leur monde, parfois de l’affronter.
Du Don Quichotte (1605) dépoussiéré par
Aline Schulman la vie resurgit, exubérante, de
tout un petit peuple cependant placé sous la
domination d’une autorité soupçonneuse ;
comme elle bouillonne encore aujourd’hui
sous la plume d’auteurs africains. Ainsi des
Nigérians Ben Okri (Un amour dangereux, 1991)
et Wole Soyinka (Ibadan, les Années pagaille,
1994), prix Nobel 1986 et contraint à l’exil. Et
tel Cervantès, leurs héros respectifs sont des
reflets d’eux-mêmes, sans la distance ironique,
mais, voyant leurs illusions se défaire, ils s’obstinent encore, croyant toujours possible de
libérer leur continent de ses contradictions et
tyrannies sanglantes.
Résister joyeusement pour survivre : l’histoire de l’Irlande en témoigne, non sans accès
d’humeur noire ou d’abandon aux brumes
et tourbières. Robert Mc Liam Wilson suit ses
deux lascars, l’un protestant, l’autre catholique,
dans les rues de Belfast, sur fond d’attentats :
Eureka Street (1995), tandis que Roddy Doyle
(trois livres republiés cette année) peint les
efforts de la verte jeunesse de Dublin qui tente
d’échapper à la pauvreté. Mais des brumes
anciennes resurgissent les effrois tramés par
Sheridan Le Fanu, un des inspirateurs du fantastique moderne (l’Oncle Silas, 1858).
Des ombres plus récentes se manifestent
en Allemagne avec Günter Grass, qui, par l’artifice littéraire, met en parallèle (Toute une histoire, 1995) la réunification considérée comme
annexion et la première unification de 1871,
tout en dénonçant le matérialisme contemporain. Christa Wolf (écrivain de l’ex-RDA) se sert
de l’écran du mythe (Médée, voix, 1995) pour
suggérer des conclusions semblables.
Une hégémonie
Assurément l’hégémonie américaine se
taille toujours la part du lion avec l’inévitable
présence du road movie et de sa violence : les
Hommes de proie (1994) d’Edward Bunker, et
celle d’ordre métaphysique de Cormac Mc Carthy, le Grand Passage. Signalons encore l’écriture de Robert Olen Butler imprégnée des parfums d’Orient : la Nuit close de Saïgon (1981) et
la présence de l’écrivain du Sud que fut Eudora
Welty, Oncle Daniel le généreux (1953).
Nous avons conscience d’avoir négligé bien
des livres de valeur en tentant d’esquisser des
tendances. Il apparaît cependant que la littérature française a trop tendance à se refermer sur
elle-même, qu’elle est peut-être trop éprise de
son moi et qu’elle fuit les combats que l’on voit
se dessiner dans la section étrangère. Certains
attendent de la « créolité » un renouveau et il
serait bon de mentionner le travail d’Édouard
Glissant (Traité du tout-monde-Poétique IV),
l’écrivain antillais qui tente d’établir la dialectique de la création poétique et de la pensée
politique. Et nous voudrions pour conclure
emprunter son titre à Vaclav Havel qui, faut-il
le rappeler, demeure le seul écrivain dissident
devenu chef d’État, Il est permis d’espérer.
Une forêt en péril ?
La littérature comme forêt, telle est la proposition métaphorique de l’essayiste espagnol
Juan Goytisolo (la Forêt de l’écriture, recueil
d’essais et d’articles 1995-1996), et cette
image s’impose lorsque nous voulons saisir
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
273
un panorama de l’année. Dans cette forêt
broussailleuse aux mille surgeons les repères
s’évanouissent – de même qu’ils semblent
invisibles dans la société tout entière ! Où est
la robustesse du chêne ? –, tandis que, de nouveau, surgissent les inquiétudes : cette trompeuse exubérance pourrait étouffer la croissance. Et les éditeurs de s’alarmer d’un recul
des ventes (évaluation du Syndicat national
de l’édition : 6 % en moins par rapport à l’année précédente. Plus, affirment certains). Mais
faut-il accuser la prolifération des titres, qui
semblait le premier remède à la crise annoncée ? Aujourd’hui la politique du livre moins
cher, sinon jetable, sur le modèle anglo-saxon,
gagne sans cesse des partisans.
Les prix 1997
Prix Goncourt et grand prix du roman de
l’Académie française : la Bataille, de Patrick
Rambaud, Grasset
Prix Renaudot : les Voleurs de beauté, de Pascal Bruckner, Grasset
Prix Femina : Amour noir, de Dominique Noguez, Gallimard
Femina étranger : la Capitale déchue, de Jia
Pingua, Stock
Prix Médicis : les Sept Noms du peintre, de
Philippe Le Guillou, Gallimard
Essai Médicis : le Siècle des intellectuels, de
Michel Winock, Gallimard
Médicis étranger : America, de T.C. Boyle,
Grasset
Prix Interallié : la Petite Française, d’Éric Neuhoff, Albin Michel.
Le prix Nobel de littérature est allé à l’Italien
Dario Fo, pour son oeuvre dramatique.
HENRI DURAND
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
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Des chefsd’oeuvre
d’art khmer au
Grand Palais
Pour la première fois, les chefsd’oeuvre des deux plus célèbres
collections d’art khmer – celles du
musée national de Phnm-Penh, au
Cambodge, et du musée national
des Arts asiatiques, à Paris – ont
été réunis. Le Grand Palais a ainsi
présenté un admirable ensemble
de sculptures du VIIe au XVIe siècle,
dont certaines ont été spécialement
restaurées pour l’occasion.
Il aura fallu de longues tractations avec
le Cambodge, toujours secoué par
des conflits, pour réaliser cette exposition qui relève d’un véritable défi :
rassembler les plus belles oeuvres du musée
de Phnom Penh – soixante-six au total – avec
celles du musée Guimet, à Paris. La fascination
exercée depuis le siècle dernier par les énigmatiques temples d’Angkor, enfouis sous une
végétation luxuriante, ainsi que par l’histoire de
cette civilisation de l’Asie du Sud-Est a donné
tout son attrait à l’exposition.
Le résultat est à la hauteur de l’attente : dix
siècles d’art khmer ont été résumés dans les
salles fonctionnelles du Grand Palais, permettant de découvrir de gigantesques statues aux
proportions parfaites, de fascinants visages
dont les sourires reflètent toute l’intériorité
bouddhique et des éléments d’architecture
issus des monuments de l’ancienne capitale
khmère. Exclusivement d’inspiration religieuse,
ces oeuvres en bronze, bois et surtout en grès,
se caractérisent par leur grandeur, leur perfection formelle et une iconographie d’une
grande richesse, illustrant un art beaucoup plus
complexe qu’on ne le pense généralement.
L’art khmer appartient à la famille des arts
dits « indianisés ». Les échanges commerciaux
entre le sous-continent indien et l’Asie du
Sud-Est, dans les premiers siècles de notre ère,
entraînèrent l’adoption par le Cambodge de la
langue sanskrite et des religions – le bouddhisme et l’hindouisme – de l’Inde. Au cours des
siècles et notamment à partir du VIIe siècle, la
sculpture khmère se libéra cependant du modèle indien pour trouver un langage plastique
tout à fait original, empreint tour à tour de majesté et de force, de sérénité et parfois même
de sensualité, telles les fameuses apsaras, ces
nymphes visibles sur les bas-reliefs.
Les trois périodes de l’art
de l’ancien Cambodge
L’art khmer est traditionnellement divisé
en trois grandes périodes, que l’exposition a
suivies chronologiquement : la période préangkorienne (du début de notre ère au VIIIe s.),
la période angkorienne (IXe-XVe s.) et la période
postangkorienne (du XVe s. à nos jours).
Le premier temps fort de l’exposition était
marqué par des sculptures réalisées entre le VIe
et le VIIIe siècle : elles comptent parmi les plus
belles de l’art khmer, avec leur visage d’une
grande humanité, telle la sereine Devi de Koh
Krieng (début VIIe s.), une représentation de
l’épouse de Siva, en grés, ou le célèbre Harihara de Prasat Andet (dernier quart du VIIe s.),
représentation syncrétique des deux grands
dieux hindous, Visnu et Siva, également en
grès. Cette période préangkorienne est divisée
en trois principaux styles, dont les noms (styles
de Sambor Prei Kuk, de Prei Kmeng, de Kompong Preah) – tout comme ceux de la période
angkorienne – reprennent celui du monument
le plus caractéristique de l’époque.
À partir du IXe siècle, la sculpture angkorienne entra dans sa pleine maturité : les styles
se succédèrent, innovant sans cesse comme
ceux de Kulên, de Preah Kô, du Bakheng,
caractéristique par la stylisation des visages
et des corps, ou celui du Baphuon, aux corps
allongés et aux visages souriants. Autre temps
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fort de l’exposition, l’art du règne de Jayavarman VII (fin XIIe-début XIIIe s.) est représenté par
les oeuvres du style du Bayon, fortement marquées par l’empreinte bouddhique. Les sculpteurs de cette époque ont réussi à associer réalisme et extraordinaire expressivité des visages.
Rayonnante à la fois de force intérieure et de
plénitude, la tête de Jayavarman VII en est sans
doute la plus belle expression de cet art représentant l’apogée de l’Empire khmer.
Tout en gardant une filiation avec la grande
époque d’Angkor, l’époque postangkorienne
montre des affinités avec l’art thaï du royaume
d’Ayuthaya. La plupart des oeuvres, en bois, ont
disparu. Celles qui restent, tel l’admirable Orant
agenouillé d’Angkor Vat, illustrent le bouddhisme theravada, fait d’humilité et de sérénité.
Angkor, patrimoine mondial
Lorsqu’elle fut, durant plusieurs siècles, le site
d’une brillante civilisation, Angkor développa
un urbanisme, une architecture et une statuaire qui comptent parmi les chefs-d’oeuvre
de l’histoire de l’humanité. À partir des ruines
qui subsistent et des statues rescapées des
guerres et des pillages, l’on peut aujourd’hui
imaginer ce que fut Angkor, au temps de sa
splendeur. L’ensemble architectural d’Angkor
(300 km 2) comprend plusieurs capitales fondées au cours des siècles par les souverains
successifs. Du VIIe au XIIIe siècle furent ainsi
édifiés d’innombrables monuments au décor
sculpté extrêmement riche, symbolisant la
puissance d’un empire qui, à son apogée,
comprenait la quasi-totalité de la péninsule
indochinoise. Angkor fut abandonné en 1431
devant les invasions des souverains thaïs. En
1860, le site fut découvert par un jeune naturaliste français : Henri Mouhot. Aujourd’hui,
archéologues et historiens d’art font revivre ce
site, classé au Patrimoine mondial de l’Unesco
et considéré comme la huitième merveille du
monde.
AUDE DE TOCQUEVILLE,
JOURNALISTE, AUTEUR DU Guide des musées, MINERVA,
1997
Bibliographie
le catalogue de l’exposition (coédition
RMN/AFAA/National Gallery of Art,
Washington), Angkor, la forêt de pierre :
Bruno Dagens. Cambodge. Angkor.
Temples en péril : Albert Le Bonheur. Un
pèlerin d’Angkor : Pierre Loti, l’Histoire
d’Angkor : Madeleine Giteau.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
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L’année
Schubert
Le bicentenaire de la naissance
de ce musicien qui occupe une
place si particulière dans l’Olympe
des compositeurs et dans le coeur
des mélomanes a été marqué par
de nombreuses manifestations
musicales de grande qualité.
Certes, il ne fallait pas s’attendre à
ce que ce bicentenaire atteigne
l’éclat de celui de la mort de
Mozart. Même si on peut le juger
d’égale importance. Mais, malgré son impressionnante fécondité, Schubert s’est surtout
illustré dans des formes discrètes et intimistes.
C’est dans la mélodie, la mise en musique d’un
poème que son génie monte au plus haut. Il
n’a laissé aucun opéra célébrissime, dont la
reprise fastueuse aurait pu mobiliser la critique
internationale et déplacer les foules.
Les célébrations à l’étranger
Pour autant, sa contribution au genre (Schubert a écrit quatre opéras ou féeries musicales
en plusieurs actes, six singspiels en un ou deux
actes, et de nombreuses oeuvres inachevées)
n’a pas été oubliée.
Faute de reprendre Fierabras, tiré de l’oubli
avec éclat en 1988, l’Opéra de Vienne a présenté durant les Wienerfestwochen, le grand festival du mois de juin, une nouvelle production
d’Alfonso und Estrella, dans une mise en scène
de Jürgen Flimm, sous la direction de Nikolaus
Harnoncourt (avec Luba Orgonasova et Olaf
Bär). Dans ce cadre fut donnée également,
en version concert, la féerie Die Zauberharfe,
alors que l’Opéra de Zurich venait présenter
sa superbe réalisation du Teufels Lustschloss (le
Diable et son palais des plaisirs), toujours sous la
direction de N. Harnoncourt, dans une mise en
scène de Marco Arturo Marelli, avec Eva Mei,
Reinaldo Macias et Robert Holl.
En Suisse, c’est d’ailleurs Zurich qui a rendu le plus éclatant hommage à Schubert,
aussi bien sur la scène de l’Opernhaus que
dans la salle de musique de la Tonhalle, lors
de récitals, de concerts symphoniques ou de
musique de chambre. L’Orchestre de la Suisse
romande, quant à lui, a donné durant le Festival d’Athènes, sous la direction d’Armin Jordan,
une vibrante interprétation de la symphonie
en do majeur, dite la « Grande » (D 944).
Salzbourg et Lucerne avaient choisi de
confier certaines des pages de musique de
chambre les plus représentatives du génie de
Schubert à de grands solistes groupés, à Salzbourg, autour de Gidon Kremer, et à Lucerne,
autour d’Andreas Schiff. Gérard Mortier avait
de surcroît programmé l’intégrale des symphonies par Claudio Abbado, à la tète de
l’Orchestre de chambre d’Europe, certaines
étant même doublées par Muti, Norrington et
Gardiner. Enfin, l’inventif et bouillant directeur
du Festival de Salzbourg avait souhaité que les
chanteurs inscrivent au programme de leur
récital leurs lieder de prédilection. La palme
revint à Renée Fleming qui, après Ann Murray,
Hermann Prey et Thomas Hampson, disséqua
avec une science et un charme infinis des
lieder aussi rares que Viola, accompagnée au
piano par Christoph Eschenbach.
Renée Fleming participa également au
Week-end Schubert organisé par l’Opéra
national belge et la Société philharmonique
de Bruxelles, avec le concours de l’Orchestre
symphonique de la Monnaie, sous la direction
d’Olaf Henzold, de l’Ensemble Musiques Nouvelles, sous la direction de Patrick Davin, et du
ténor Scot Weir dans la version de la Winterreise, repensée par Hans Zender.
En Allemagne, Berlin a rendu un hommage
particulier à Schubert. À la Philharmonie,
Claudio Abbado avait choisi de donner trois
fois Fierabras, en version concert. À la Deutsche
Oper, Götz Friedrich, pour sa part, a eu l’idée
piquante de suivre le canevas de Das ViermädownloadModeText.vue.download 278 sur 361
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derlhaus. (Il faut se souvenir que, en 1916, le
compositeur hongrois Heinrich Berté, élève
de Bruckner, proposa au public viennois une
opérette basée sur une biographie romancée
de Schubert, en se servant de ses thèmes les
plus connus. Das Viermäderlhaus devint très
vite le plus grand succès commercial que
Schubert ait jamais connu... L’opérette fut présentée en 1921 à Paris, sous le titre Chanson
d’amour ou la Maison des trois jeunes filles. Elle
fit le tour de la France et du monde, baptisée
Lilac Time à Londres et Blossom Time à New
York ! Pour l’Opéra de Berlin, un comédien lisait
les souvenirs d’Anna et Kathi Fröhlich, ainsi
que des textes d’Adorno, de Johann Mayrhofer et des poèmes de Grillparzer, alors que de
jeunes musiciens interprétaient les pages de
Schubert, mais telles qu’il les avait réellement
composées !
Une exceptionnelle Belle Meunière
Parmi la production discographique motivée
par le bicentenaire, un disque retient particulièrement l’attention : Die schöne Müllerin,
par le haute-contre Jochan Kowalski et le
pianiste Markus Hinterhäuser, pour la maison Cappriccio. Il devient banal d’admirer
la musicalité de Kowalski et son intelligence
dans l’énoncé d’un texte ; pourtant, son travail sur les vers de Wilhelm Müller et l’éclairage
que leur confère la musique de Schubert font
basculer notre imaginaire. Sa voix blanche, si
intérieure et belle, rend la Belle Meunière pour
ainsi dire fantomatique, la transforme en rêve
d’impossible.
En France aussi
Franz Schubert est le dernier des grands
romantiques viennois qui aient conquis la
France ; difficilement, d’ailleurs, et selon des
voies souvent étranges. Cela explique sans
doute la résonance curieuse de ce bicentenaire. Si initiative il y eut, on en est pour une
large part redevable à France-Musique qui, à
l’instar d’autres radios européennes, organisa
au sein de ses programmes un mini « Festival
Schubert ». Festival d’un grand intérêt puisque
y furent ainsi donnés en concert à la salle Pleyel,
et retransmis sur les ondes, Fierabras (avec Soile
Isokoski et Gunnar Gudbjornsson) et la création en version française du Château de plaisir
du Diable (avec Ruth Ziesak, Michèle Lagrange,
Rodrigo Orrego et Hans Sotin), accompagnés
par le Choeur de Radio France et l’Orchestre
philharmonique sous la direction de Marek
Janowski, qui choisit de clore ce cycle Schubert par la Symphonie no 5 (D 485) et la Messe
en mi bémol majeur (D 950). Pendant ce temps,
et durant six mois, Mildred Clary présenta quotidiennement un feuilleton schubertien, « Le
Wanderer », rediffusé l’été même.
À cette même époque, la Fondation Royaumont consacra quatre week-ends à Schubert,
avec trois récitals de lieder et la présentation
en version concert de deux opéras en un acte,
Der vierjährige Posten, D 190 (« Quatre Ans de
garde ») et Die Zwillingsbrüder, D 647 (« les
Jumeaux »).
Deux villes françaises ont célébré avec éclat
ce bicentenaire. À Nantes s’est tenue une « Folle
Journée Schubert » avec la participation de
centaines d’artistes, de milliers de mélomanes ;
la musicologue Brigitte Massin a raconté Schubert. La vieille ville était devenue le lieu d’une
une vraie « schubertiade », comme d’ordinaire
la Radio Suisse romande sait en organiser (mais
désormais tous les deux ans seulement). Lille,
pour sa part, grâce à l’Orchestre national de
Lille et à son chef Jean-Claude Casadessus, organisa une série de sept concerts dans toute la
région, des deux côtés de la frontière (de Liège,
Namur et Waregem à Dunkerque, de Tournay
à Jeumont), avec des solistes de la qualité de
Cyprien Katsaris, le Quatuor Lalo, les premiers
pupitres de l’Orchestre national et les chefs
Michaël Stern, Vassily Sinaisky, Heinz Wallberg
et, bien sûr, Jean-Claude Casadessus.
À Paris, le théâtre du Châtelet a affiché un
important cycle Schubert qui a débordé sur
toute la programmation, des Midis musicaux
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aux concerts du soir, avec la participation de
Gidon Kremer et de sa Kremerata Musica, de
Nikolaus Harnoncourt à la tête du Concertgebouw d’Amsterdam pour l’intégrale des
symphonies, et, les dimanches matin, avec les
solistes de l’Orchestre de Paris.
Mais le plein feu le plus original sur l’oeuvre
et l’interprétation de Schubert a été réalisé,
d’une part, à la Sorbonne, où s’est réuni un
colloque international sur l’Évolution du style
instrumental de Schubert, des sources musicologiques à l’analyse musicale, avec la participation du Quatuor Arpeggione, et, d’autre
part, à la Maison de la Poésie. Dans cet ancien
théâtre Molière, devenu un des plus beaux
lieux de spectacle de la capitale, Michel de
Maulne a présenté une semaine de concerts
organisés par la pianiste Dana Cioccarlie : sonates, duos, fantaisies, moments musicaux et
autres impromptus ont relayé lieder et trios, en
une élégante semaine de schubertiades, alors
qu’Éric Auvray mettait en scène Schubert et ses
poèmes, dits par Marc Chouppart et chantés
par Gérard Théruel. Tout le parcours ésotérique
du voyage humain, avec cet énigmatique
Wanderer qui passe trente-deux ans sur terre
à rechercher la beauté, à côtoyer les poètes, à
questionner l’au-delà : « Ai-je une place sur cette
terre ? » s’interrogeait Franz Schubert.
Dietrich Fischer-Dieskau à l’honneur
Pour marquer le bicentenaire de Franz Schubert, la presse musicale internationale a
décerné son grand prix annuel au baryton
Dietrich Fischer-Dieskau pour son travail
exemplaire, à la fois musical et musicologique,
en faveur des lieder de Schubert. Ce grand prix
récompense, chaque année, une personnalité
du monde musical dont le travail a obligé la
critique à réviser ses critères d’appréciation,
donc à reconsidérer une oeuvre, un compositeur ou une époque.
Le Naïf et la Mort
Tel est le titre révélateur du livre publié par
Rémy Stricker chez Gallimard pour marquer ce
bicentenaire. Venant après de remarquables
ouvrages sur Schumann, Mozart et Liszt, ce
Schubert se signale par une résonance très
particulière, comme si la sensibilité de l’auteur
se trouvait soudain en étroite symbiose avec
celle du compositeur. Il y a ainsi dans les analyses des dernières oeuvres, et surtout de Mein
Traum – ce texte mystérieux d’un Schubert de
vingt-cinq ans –, une profondeur et une émotion qui n’ont d’égal que la clarté de l’expression et l’intelligence du commentaire.
ANTOINE LIVIO
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L’explosion de la
technoculture
Après Berlin, où ils furent un million
à défiler derrière les chars de la
Love Parade en se déhanchant sur
des rythmes frénétiques, Dunkerque,
la Défense, les Saintes-Maries-dela-Mer, Saint-Nazaire, Montmartinsur-Mer, Marseille, Montmoiron,
Concarneau, Annecy, Saint-Aygulf
et, surtout, Montpellier, les 9 et
10 août, avec les Nuits Borealis, ont
également succombé au phénomène.
Pas de doute, 1997 restera comme
l’année de la reconnaissance d’une
nouvelle culture : la technoculture !
Du coup, les organisateurs d’Amplitudes 97 (Festival des tendances
musicales actuelles, à Annecy)
s’interrogent : « Simple Boum
Boum réverbéré ou musique du IIIe millénaire
explorant de nouveaux territoires sensoriels ? »
Et répondent : « La techno, qui changea dix
fois de nom à mesure qu’elle implosait, new
beat ou house dans les années 80, garage,
ambient, hardcore plus tard, suscite les plus
chaudes passions de cette fin de siècle. Provoquant les mêmes commentaires indignés que
le jazz ou le rock en leur temps, le mouvement
cyber s’associe facilement à une jeunesse
marginale, exubérante ou irresponsable et ne
grignote que, petit à petit, crédibilité et légitimité. Puissions-nous montrer que cette jungle
électronique cache un réel esprit festif fondé
sur un profond respect d’autrui. ». De son côté,
le toujours alerte Jack Lang précise : « Il faut
libérer la techno, c’est une vraie culture musicale
populaire... une source de convivialité, d’échange,
de tolérance. » Dans la foulée, Catherine Trautmann, le ministre de la Culture, surenchérit :
« Le mouvement techno est extrêmement prolixe et créatif en France : sachons accompagner
cet élan. »
Portrait-robot des amateurs
Selon des ethnologues et des sociologues intervenant les 5 et 6 juin 1997, à Poitiers, lors
d’un très sérieux colloque intitulé « La techno,
d’un mouvement musical à un phénomène de
société », les adeptes de techno ont, à 90 %,
entre 18 et 30 ans, la plupart ayant de 18 à
23 ans. Avant tout urbains, ils sont généralement issus de la petite et moyenne bourgeoisie d’origine européenne. Économiquement
plutôt aisés, ils ont les moyens d’assister à des
rassemblements dont le billet d’entrée peut
coûter jusqu’à 250 francs. Ils se retrouvent
autour de thèmes consensuels comme la
fraternité, la tolérance, la désacralisation de
l’argent, l’amitié entre les peuples et le refus
de la violence, qui ne sont pas sans évoquer le
vieux slogan hippie, « Peace and Love ». Moins
macho que le rock ou le rap, la techno séduit
autant les filles que les garçons... D’après une
enquête des Renseignements généraux, les
raves ont enregistré 9 millions d’entrées en
1995...
Sous la musique et la danse, des
aspirations communautaires
Aujourd’hui, « techno » est un terme générique désignant tous les genres et sous-genres
des nouvelles musiques électroniques : house,
acid house, garage, trance, goa, trip-hop, deep
house, jungle, növo dub, ambient, etc. À l’origine, en 1986, c’est une fusion entre une disco
exsangue et une pop européenne électro-
nique (Kraftwerk, Depeche Mode) que des
DJ noirs mettent au point dans un club de
Chicago, le Warehouse. En 1988, les Anglais
s’emparent de cette musique avec machine et
sans parole, la transformant en acid house et
créant, du coup, les premières raves, ces fêtes
illégales qui rassemblent jusqu’à l’aube 2 000
à 3 000 danseurs impénitents frustres par la
fermeture à 2 heures du matin des boîtes de
nuit. Manchester devient la capitale de ce phénomène qui, l’année suivante, débarque en
France. « La génération chimique » décrite par
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l’écrivain Irvine Welsh dans son roman Trainspotting, qui donnera matière à un film culte,
émerge dans toute l’Europe : « L’idée majeure
qui sous-tend cette culture est celle du « Do it
yourself ». C’était une occasion pour les gens
en décalage avec une société conservatrice et
minée par le chômage, de se réapproprier leur
propre vie à travers la fête », explique Welsh.
Fortement teintée d’utopie communautaire
(d’où l’importance du monde virtuel représenté par Internet et le multimédia, autre vecteur fondamental de la technoculture, que l’on
nomme aussi cyberculture), la techno se veut
une sorte d’espéranto musical où le son prime
sur le sens, où les vertus transgressées de la
fête renouent avec des rituels communautaires ancestraux. Ce qui fait dire à ses détracteurs qu’elle n’est que la bande-son d’un film,
voire d’une mode, sans jamais être le moteur
artistique ou social, contrairement au jazz ou
au rock, de quoi que ce soit. Du Pierre Henry
qui jerke, en quelque sorte, pour accompagner
la fin du siècle, en dansant... « C’est pas de la
nostalgie ou du mieux que rien. C’est l’époque,
justement, qui passe à la table de maquillage,
qui se pare, se grime et s’affûte. Simplement.
Pour vivre le Dernier Bal. Et avoir vingt ans à la
Fin du Monde, c’est un joli destin » commente
le journaliste Patrick Eudeline dans son récent
livre Ce siècle aura ta peau (aux éditions Florent
Massot).
Une pluralité de « looks »
Monde de fantaisie et de liberté, la planète
techno se caractérise par une brassée de looks
plus variés les uns que les autres. On peut
néanmoins en dégager quelques tendances
fortes où dominent, pour les garçons et les
filles, pantalon et tee-shirt XXL (marques préférées : Cimarron, Beckaro, Pash, Gas, Rusty,
etc.) portés avec de grosses baskets. Les cheveux hérissés de petites nattes, les filles les
plus sophistiquées se drapent dans de longues
robes imprimées à motifs indiens. Quant aux
garçons, ils arborent tatouages et piercings,
tout en ne dédaignant pas une apparence
militaire donnée par des cheveux ras et des
pantalons treillis. Éternelle résurgence des années 70, le look baba cool s’offre une seconde
jeunesse en toute impunité...
Des perspectives d’évolution,
en France notamment
Consciente de cette impasse (du bruit, de
la sueur, des machines mais pas de paroles),
une nouvelle génération de groupes (Chemical Brothers, Prodigy, Underworld) a décidé de
jeter un pont entre rock et techno. Avec des
attitudes de mauvais garçons. Des guitares au
son sale. Des rythmes haletants. Comme si le
rock du IIIe millénaire était en train de surgir là.
Du croisement d’un échantillonneur de sons,
d’une Fender saturée et d’un ordinateur sous
ecstasy. En tout cas, la France, dont les rockers ont été splendidement ignorés hors des
frontières, a su s’engouffrer dans cette nouvelle brèche. La techno « made in France », qui
n’hésite pas à mélanger des influences aussi diverses que le raï, le reggae ou le rhythm’n’blues, suscite intérêt et admiration de Londres à
Oslo, en passant par Barcelone ou Rome, sans
oublier New York et Tokyo. Des DJ comme
Laurent Garnier, Manu le Malin ou Dimitri
From Paris, des groupes tels que Daft Punk, La
Funk Mob ou Ollano donnent ainsi de l’Hexagone une image novatrice et audacieuse. Ils
renouent ainsi avec une tradition inaugurée
par Charles Trenet, qui, dans « le Jardin extraordinaire », chante : « Il y a des statues qui se
tiennent tranquilles le jour, mais moi je sais que
la nuit, elles vont danser sur le gazon. »
Petit glossaire
Acid jazz : métissages de funk et de jazz en
clin d’oeil aux années 70.
Ambient : version actuelle des musiques
planantes des années 70, avec moult nappes
synthétiques pour instaurer une ambiance
cotonneuse.
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
281
Dance : fille naturelle de la disco, la dance
naquit au début des années 80 dans le secret
des studios d’enregistrement de producteurs
cherchant à donner du bon temps aux amateurs de discothèque.
DJ : abréviation de disc-jockey. Destiné à
l’origine à animer les soirées en passant des
disques, le DJ est désormais l’égal d’un créateur et la star de la musique techno.
Dub : variante instrumentale d’un morceau
reggae qui se caractérise par une accentuation rythmique, lourde et dépouillée, sur une
mélodie réduite à sa plus simple expression, et
surtout par des effets sonores (écho, phasing,
réverbération, etc.) qui permettent au DJ d’inventer son propre spectacle.
Easy listening : la musique d’ascenseur et
de supermarché des années 50-60, remise au
goût du jour dans les années 90.
Ethno techno : mélange de musique traditionnelle et de rythmes techno.
Flyers : carton, toujours artistiquement décoré, annonçant une rave.
Garage : une des versions de la house la plus
inspirée par la musique soul. Typique des bars
gay.
Hardcore : la tendance la plus radicale et la
plus violente de la techno. On peut dire que le
hardcore est à la techno ce que le punk était
au rock...
Hip-hop : mouvement culturel mêlant danse,
graffitis, tags et rap.
House : née au milieu des années 80 à Chicago, cocktail de dance et de sonorités électroniques, elle fut la première incarnation de
la techno. Très répétitive, très rapide et sans
paroles, elle explosa surtout en Angleterre et
en Belgique.
Jungle : variante de la techno originelle, faite
de cassures rythmiques et d’emprunts au reggae, à la soul ou au rap.
Rave : rassemblement géant, plus ou moins
clandestin, dans des endroits aussi divers que
des entrepôts désaffectés, des parkings de supermarchés, des catacombes ou des clairières,
des fans de techno pour « délirer » ou « s’extasier » en dansant jusqu’à plus soif.
Remix : un même morceau remanié par di-
vers producteurs qui en donnent des versions
différentes.
Sample : échantillon de sons prélevé par un
appareil nommé sampler ou échantillonneur
afin de les intégrer dans d’autres mélodies.
Trance : variante allemande de la techno
qui mêle rythmique enlevée et plaintes
synthétiques.
Trip-hop : sur un rythme rap, qui aurait perdu
en agressivité ce qu’il a gagné en nonchalance, fusion audacieuse de jazz, de reggae,
de techno, de musiques de films...
YANN PLOUGASTEL
JOURNALISTE, COORDINATEUR DU Dictionnaire Larousse de
la chanson mondiale, 1996.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
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La mode Cuba
Les chiffres le prouvent, Cuba est
devenue, en quelques années,
une destination à la mode.
750 000 touristes en 1995, 1 million
en 1996 (avec un apport en devises
équivalent à 1,3 milliard de dollars).
Une progression de 20 % environ est
prévue pour 1997. Cette expansion
spectaculaire a une explication
avant tout politico-économique. La
chute du mur de Berlin, en 1990, a
levé, comme le disent joliment les
Cubains, le rideau de canne à sucre,
qui comme l’autre, celui de fer,
séparait le monde de l’Est du monde
occidental. Car même si Cuba est
la plus grande des îles antillaises,
elle faisait figure, jusqu’alors, de
cousine, pas si lointaine en esprit,
de l’Albanie ou de la Roumanie.
Aujourd’hui, Italiens, Canadiens,
Espagnols, Allemands, Français
et Sud-Américains abordent
sans crainte l’île dont Christophe
Colomb, la découvrant en 1492, s’est écrié
« C’est la plus belle ». Le développement du
tourisme représente une priorité nationale
et une grande part d’investissements étrangers. Parallèlement à l’infrastructure cubaine
– 60 000 Cubains travaillent pour le tourisme
–, l’Espagne et la France occupent une bonne
part de l’industrie hôtelière. Avec, comme symbole d’ouverture, la présence du Club Med qui a
inauguré son premier village cubain à Varadero
en 1996.
« Essayez Cuba, ça vous changera », tel
pourrait être le slogan des agences de voyage.
En effet, l’île offre une multitude de tourismes
possibles. Plages exotiquement sauvages et
préservées aux palmiers royaux, dentelles
d’architecture coloniale, réserves naturelles,
musées, jardins tropicaux flamboyants. À Cuba,
on peut tout faire. De l’écotourisme « loin des
sentiers battus », du farniente total, du trekking,
de la spéléologie, de la randonnée, du rafting
ou de la plongée. Ou alors préférer observer les
oiseaux ou suivre les traces du géant Hemingway. Et puis il y a le soleil, la vie et les gens,
les métissages chaleureux, la cuisine créole, la,
ou plutôt les musiques – de la rumba à la salsa,
en passant par le boléro et le mambo –, les superstars des cigares et l’art de varier les plaisirs
avec le meilleur rhum des Caraïbes, Daiquiri,
Mojito ou Cuba Libre.
Cuba-repères express
1959 : la révolution socialiste de Fidel Castro
est instaurée.
1962 : Kennedy décrète un blocus politique et
économique à l’encontre de Cuba.
1990 : légalisation du dollar US. Les Cubains
peuvent manipuler “le sang vert”, ce qui réduit le marché noir et détend les échanges
avec les étrangers. Le tourisme et l’apport des
devises sont à l’ordre du jour depuis la chute
du COMECON et l’arrêt des relations économiques avec le bloc de l’Est.
1996 : les États-Unis ajoutent une loi au blocus de 1962 dans le but de gêner les investissements et le commerce cubains, loi désavouée
par l’Union européenne.
22 % : proportion des métis dans la
population.
66 % : Cubains d’origine européenne. Majorité d’Espagnols et de Français.
12 % : Noirs.
4,5 millions de tonnes : production de canne
à sucre dont Cuba est un des leaders mondiaux pour l’année 1996.
260 : nombre des entreprises européennes
et sud-américaines ayant investi à Cuba afin
1996.
Itinéraires
Longue de 1 250 km, avec des largeurs allant de 32 à 145 km, Cuba a une population
de 11 millions d’habitants, dont 2 à La Havane.
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
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Son climat tropical, avec une saison sèche de
novembre à mai et une saison humide de juin
à octobre donne une température de mer
idéale le long des 2 600 km de plages, entre
24 et 30 °C.
Bien sûr, il faut commencer, longuement,
par La Havane. La capitale de Cuba, fondée en
1511, est l’une des plus anciennes cités d’Amérique latine. La Habana Vieja, la vieille ville, a été
classée patrimoine mondial de l’humanité par
l’Unesco. Dédales de ruelles et de places, de
palais et de demeures coloniales baroques et
néoclassiques, patios andalous, perspectives
d’arcades, vitraux, ferronneries des balcons,
tout y raconte l’art de vivre d’un Sud éternel
et mythique. Parmi les musées : ceux de l’art
colonial, de la céramique cubaine, de Che Guevara, la maison d’Hemingway de Finca Vigia (à
15 km). Sans oublier le Jardin botanique aux
orchidées rares, et le Tropicana, le plus grand
cabaret en plein air du monde, temple de la
salsa.
À l’ouest, la région de Pinar del Rio frappe
par sa splendeur sauvage, ses sierras, ses mon-
tagnes douces, et la réserve de 25 000 ha de
résineux, ponctués de palmiers et de champs
de marguerites, qui lui a donné son nom. On
y trouve aussi une ville d’eau, San Diego de Los
Banos, où l’on soigne les maladies cutanées, et
la verte vallée de Vinales, dont la terre d’ocre
rouge nourrit les plantations de tabac.
Au nord, Varadero, LA villégiature cubaine,
étire ses 20 km de plage blonde bordée de mer
indigo, ses hôtels et son aéroport international.
Tandis qu’à l’intérieur, dans le pays de Matanzas, le lac salé, réserve de millions de crocodiles, et le parc naturel de Montemar invitent à
l’aventure, tout de même organisée...
Au centre, on appelle Cienfuegos, troisième
ville de Cuba, « la Française », car en 1820 s’y
installèrent 50 familles bordelaises, et Trinidad,
« l’Espagnole », avec ses palais de planteurs de
canne à sucre, ses vieux pavés et son charme
coloniale-catalan.
Vers l’est, les provinces de Camagüey et
Ciego de Avila attendent les chercheurs de
plages sauvages, de barrières de corail, de
lagunes, de villages typiques, d’artisanat local,
de flamants roses, de lamantins et de grottes
archéologiques.
Et puis, c’est l’Oriente, terre de luxuriance
et de palmiers, avec sa capitale, Santiago, seconde ville de Cuba, berceau de la révolution,
cité coloniale aux tuiles rouges, aux multiples
vérandas ouvragées et bénéficiant d’une
superbe vue sur la baie. La culture française y
persiste dans la pratique assidue du menuet, et
le carnaval, en juillet, est renommé dans toutes
les Caraïbes. À voir : le musée Bacardi, la maison
de José Maria de Heredia.
À l’est extrême, Baracoa, première ville fondée à Cuba, conserve une atmosphère particulière, préservée, coloniale et raffinée. C’est là
que 100 familles françaises émigrèrent de Haïti
en 1791, implantant le café, l’indigo et l’industrie de l’huile de coco.
Enfin, il y a les îles de Cuba, 1 600 Cayos de
plages, de rochers et de cocotiers. Certains
sont des îlots déserts, d’autres équipés d’hôtels
et de bungalows. On peut y naviguer, de l’Île
de la Jeunesse, la plus grande avec ses 50 km
de long et des fonds sous-marins propices à la
plongée, au Cayo Largo, en passant par le Coco,
le Guillermo ou les Jardins de la reine, petit archipel connu pour sa beauté et sa pêche.
Partout, on célèbre la cuisine locale, hispano-créole et épicée, porc à la cubaine, poulet
au riz et aux haricots noirs ou rouges, bananes
plantains, avocats géants, multitude de fruits
tropicaux, sans oublier les langoustes et les
poissons.
Depuis 1996, signe d’évolution de la politique économique et sociale castriste, se sont
ouverts les Paladares, sortes de tables d’hôtes
privées et officialisées, où on peut découvrir, à
prix concurrentiel, avec ambiance maison garantie, les plats de la mémoire gastronomique
de Cuba.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998
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Le Havane
« Les indigènes arborent aux lèvres un tison
ardent fait d’herbes dont ils ont l’habitude
de goûter le parfum. » Cette observation d’un
conquérant espagnol est explicite : le « nicotiana tabacum havanensis » existait déjà à
Cuba au XVe siècle. Actuellement, le cigare
représente, avec le sucre et le tourisme, l’une
des grandes ressources en devises du pays.
Avec une production annuelle de 300 millions
– dont 100 vont à l’exportation –, la quantité va de pair avec la qualité. Le Puro – qu’il
se décline en Montecristo, Davidoff, Partagas,
Bolivar, Romeo y Julieta, ou en Cohiba Lancero
lancé par Fidel Castro – est le roi des cigares.
La culture du tabac destiné à cette merveille
couvre 40 000 ha, surtout dans la région
de Pinar del Rio dont l’exposition aux vents
est unique. Elle exige une minutie, un art et
une connaissance éclairés. De la récolte à la
confection, la tradition, souvent familiale et
ancestrale – 80 % de la production sont restés entre les mains d’exploitants privés, les
vegueros –, se perpétue avec un soin religieux.
Séchage au soleil puis sous des toits de paille
brûlée, sélection des meilleures feuilles de tabac, choix de la « cape », feuille entière destinée à enrober l’intérieur du cigare, la « tripe ».
Les artisans travaillent des heures, au rythme
des histoires du lecteur chargé de les accompagner, ou à celui du transistor diffusant des
airs afro-cubains.
En théorie, la durée de vie d’un havane est
assurée pour 15 ans, mais ses inconditionnels
recommandent de le consommer dans les
15 jours, pour mieux apprécier sa prime saveur. Quant au culte, il est savamment entre-
tenu par les « vitophiles », collectionneurs de
vitoles, les bagues de cigares.
Le son cubain : salsa, rumba
et cha-cha-cha
La musique de Cuba, cocktail explosif de
cultures et d’origines diverses, pourrait donner
lieu à des tas de thèses savantes, mais la meilleure manière de la savourer, c’est encore de se
laisser envahir par ses rythmes, vifs, vivaces et
quotidiens.
Dans les rues, les cafés, pendant les fêtes,
elle ne s’arrête jamais. Il y a toujours une radio
qui s’échauffe, un guitariste inspiré ou des
danseurs spontanés qui se mettent à bouger
comme on respire.
Le premier son cubain, apparu au XVIIIe siècle,
a donné la salsa, alliage africain, espagnol et
caraïbe, qu’on retrouve aussi en Colombie, à
Porto Rico, au Venezuela et à Panama. À partir
d’une chanson et de percussions africaines, le
son salsa s’est enrichi au fil du temps, tout en
influençant la musique populaire globale, le
jazz, les variétés, le rock et même la musique de
chambre. Ses variations sont, à elles seules, trépidantes. Bongo, guaracha, sucu-sucu, zapateo...
La rumba, dont le nom vient de la macumba africaine, était à l’origine la musique de
danse des fêtes. Son évolution, de guaguanco
en columbia, a été universelle.
La cancion trovadoresca, issue du folklore,
s’apparente à la tradition médiévale européenne. Le troubadour entonne sa chanson
au gré des fantaisies – les siennes ou celles des
passants –, et cela donne les fameux habaneras, criollas, boleros, guajiras, célébrant l’âme de
Cuba, ses campagnes, ses villes, ses rêves et ses
peines.
Le style danzon a des racines françaises et
haïtiennes, remontant à la contredanse et au
quadrille. Il a donné l’inénarrable cha-cha-cha,
créé par Enrique Jorrin, et le mambo.
Inutile de préciser que, dans la réalité, tous
ces genres s’interactivent, s’enchevêtrent et
s’amusent, pour la plus grande joie de l’amateur de musiques musclées.
BERNARD MORIN
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
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Swinging London
En avril 1966, Londres avait fait
sous ce titre la couverture de Time
Magazine. Une époque trouvait ainsi
son nom, à travers l’hommage rendu
à une ville qui dictait au monde les
tendances à suivre en matière de
mode, de musique et d’art. Trente
ans après, la capitale britannique
fait à nouveau les couvertures des
revues internationales. Vive le
Swinging London II !
Le styliste John Galliano, l’artiste
Damien Hirst ou le groupe musical
Oasis ont pris les places laissées vacantes par les enfants terribles des
années 60, Mary Quant, David Bailey et les Beatl