Anvers et marché du diamant pertubé

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Anvers et marché du diamant pertubé
FOCUS DIAMANTS
ET SI LES DIAMANTAIRES INDIENS S’EN ALLAIENT...
Anvers a-t-il perdu le combat
Le monde diamantaire anversois est
principalement tributaire des activités
d’entreprises indiennes dont les
ramifications s’étendent dans le monde
entier. Elles veulent rester à Anvers mais
leur confiance a été ébranlée par des
actions policières et des interventions
sans précédent d’un juge d’instruction.
Le malaise est profond. Et si elles
décidaient de partir?
u début de la semaine s’est tenu à Anvers le congrès
mondial du diamant. Or, les diamantaires indiens (qui
représentent 60 % du commerce du diamant à
Anvers) se sentent blessés par ce qu’ils appellent des préjugés et opinions erronées : le faste oriental, les villas impressionnantes, les mariages mondains avec des stars de
Bollywood, l’arrogance et la cupidité, le fait de se croire audessus des lois et de brandir la menace de quitter Anvers. Et
de citer en revanche : l’ardeur au travail, la tolérance et le
respect, la compassion pour les pauvres, les orphelins et les
malades ici et en Inde, les relations sociales avec les travailleurs et la volonté de s’installer de façon durable dans la
Métropole.
Les pierres scintillent certes, mais tout ce qui brille n’est
pas... du diamant. «Détrompez-vous. Ici on travaille dur»,
bougonne Kaushik Mehta, la main sur la souris de son ordinateur, l’œil braqué sur l’écran. Le temps, c’est de l’argent :
pendant notre entretien, il poursuit des négociations avec un
client, un moment à Mombai (Bombay), puis à New York. Il
parle hindi tout en truffant ses propos de «no, too
expensive» ou «okay, I take it». «Comment voulez-vous
qu’un juge puisse déterminer la valeur des transactions et
des pierres ? Dans chaque phase de l’activité, il y a moyen
de réaliser un bénéfice. De nombreux facteurs interviennent. Il n’y a pas de prix courant fixe. La vente de chaque
diamant fait l’objet d’une négociation. Le prix dépend du
client, du traitement, du niveau où vous commercialisez les
pierres. Etc., etc.»
A
Beaucoup d’entreprises ont déjà
préparé leurs bagages
Comme la déesse Shiva et ses nombreux bras, les QG
anversois prennent aussi le pouls du marché à Mombai, TelAviv et New York via un oncle, un frère, un cousin, un fils
ou une fille qui se trouve sur place. Mais ni ces centres bien
établis ni les centres rivaux naissants comme Dubaï (lire
notre article en p. 57), Singapour ou Hong-Kong (où ils ont
naturellement aussi un bureau), ne présentent les atouts
d’Anvers. «It’s home, away from home», dit Mehul Kothari
(Sushang Exports et Eurotrends) pour traduire le sentiment
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FOCUS TRENDS-TENDANCES 18 OCTOBRE 2007
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de la plupart de nos interlocuteurs. Nulle part ailleurs la
qualité de vie n’est aussi bonne, nulle part, les six ou sept
cultures et nationalités qui dominent le commerce du diamant, ne s’entendent aussi bien, «connecting the goods
from all the sources». Quatre-vingt-cinq pour cent du commerce mondial du diamant brut et plus de 50% du commerce du diamant taillé passent par Anvers. «Si d’autres centres
devaient se développer, ce serait uniquement la conséquence d’une politique défaillante à Anvers», déclare Bhârat
Shah (Diampex).
Avec 420 entreprises — des acteurs mondiaux qui réalisent des chiffres d’affaires de plusieurs millions et
emploient des centaines voire des milliers de travailleurs
dans le monde (Eurostar Diamond Traders, Rosyblue) mais
aussi des petites entreprises occupant quatre à cinq per-
SHUTTERSTOCK
du diamant ?
«Le commerce du
diamant est paralysé»
L
CHEZ LES DIAMANTAIRES INDIENS,
LE CŒUR N’Y EST PLUS
Ils se sentent blessés par ce qu’ils appellent
des préjugés et opinions erronées.
sonnes —, les diamantaires indiens dominent plus de 60 %
du commerce de 18 milliards d’euros à Anvers. Ils représentent près de la moitié du millier d’entreprises diamantaires de la Métropole. Depuis la transformation du Hoge
Raad voor Diamant (HRD) en Antwerp World Diamond
Centre (AWDC), ils n’ont nulle part ailleurs autant à dire
dans les comités de gestion et la direction des affaires. Car
cinq des six négociants siégeant au conseil d’administration
sont des Indiens, directement élus et donc sensibles aux
réactions de leur base. Et celle-ci grogne.
«Indépendamment du fait qu’il n’y a pas de gouvernement fédéral pour régler les problèmes, la motivation n’y
est plus», affirme Amit Bhansali, COO de Rosyblue. «Le
secteur est paralysé et beaucoup d’entreprises ont déjà préparé leurs bagages», commente Kaushik Mehta, patron de
es descentes de police de janvier 2007, avec grand
déploiement de forces, sirènes et gyrophares mais surtout la saisie de stocks de diamants dans une vingtaine
d’entreprises, ont ébranlé la confiance. «Une telle saisie ne
s’était jamais produite auparavant. Dix mois plus tard, ces
stocks sont toujours bloqués sans qu’un juge se soit prononcé. Nous ne savons pas si les entreprises en question
étaient coupables», se plaint Kaushik Mehta, président de la
Indo Belgian Diamond Association. «Les gens ont peur car
une telle opération a un caractère arbitraire. Qui garantit
que cela ne reproduira pas demain», reproche Amit Bhansali (Rosyblue). «Ce juge d’instruction est peut-être un superman doté d’une perspicacité unique dans la compréhension
des faits, c’est possible. Mais supposons que ce soit quelqu’un qui soit animé par d’autres mobiles ? Des préjugés ou
des sentiments de vengeance ? Que se passera-t-il alors ?»
Personne ne met en doute la séparation des pouvoirs.
Les Indiens soulignent aussi que personne n’est au-dessus
de la loi et que tout coupable doit être puni. Mais ils estiment que la discrétion est de mise. A leurs yeux, l’action
menée par le juge d’instruction constitue un «abus de pouvoir» : il a tellement de pouvoir qu’il déstabilise tout le commerce du diamant à Anvers — «peut-être par manque de
compréhension de ce secteur spécifique». «Pire encore, il le
paralyse», souligne Kaushik Mehta. Parce que ces stocks de
diamants ne représentent pas seulement un capital opérationnel pour les entreprises concernées mais servent aussi
de garantie auprès des banques ou ont été déposés en
consignation. «Comment une telle entreprise doit-elle expliquer cela à ses clients ? Elle n’a même pas été condamnée
par la justice mais sa réputation est sérieusement entachée. Et que se passera-t-il si les banques perdent confiance ? Il y a pour 2,5 milliards d’euros de prêts en cours chez
les diamantaires. Si cet afflux d’argent se tarit, nous pourrons définitivement mettre la clé sous le paillasson à
Anvers.»
Les diamantaires estiment qu’une modification de la loi
est nécessaire afin de tracer clairement les limites dans lesquelles un juge d’instruction peut agir comme il l’entend.
«Dans le secteur, tout se tient, ajoute Amit Bhansali. Le marché est un. Quand des stocks de diamants sont saisis, cela a
des conséquences indirectes pour d’autres entreprises. Il
est incompréhensible qu’une telle chose ait pu avoir lieu.»
Eurostar Diamond Traders, président de l’Antwerp Indian
Association et de l’Indo Belgian Diamond Association.
Rosyblue et Eurostar sont les principaux acteurs mondiaux
qui ont leur QG dans la Hoverniersstraat.
La concurrence entre les centres
diamantaires s’intensifie
Les descentes de police du début de l’année et les perquisitions massives dans le quartier des diamantaires ainsi que
la saisie de stocks de diamants à l’occasion d’une enquête
sur une fraude fiscale à grande échelle dans l’entreprise
d’expédition Monstrey-Ferrari, ont suscité de la colère.
Amit Bhansali et Kaushik Mehta soulignent qu’il n’est pas
question de menace (lire notre encadré «Le com- ■ ■ ■
TRENDS-TENDANCES 18 OCTOBRE 2007 FOCUS
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FOCUS
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merce du diamant est paralysé»). Ils déplorent que
les médias et les responsables politiques aient traité leur
préoccupation à la légère et l’aient taxée de chantage pour
obtenir plus de cadeaux fiscaux et autres avantages. Bharat
Shah qualifie cette attitude de bornée : «Il s’agit de tous les
diamantaires anversois. Nous sommes tous dans la même
galère, les Indiens, les Juifs, les Flamands, les Libanais, les
Arméniens, etc. Nous ne demandons pas un traitement de
faveur mais bien un climat de confiance stable dans un secteur où la concurrence entre plusieurs centres diamantaires
s’intensifie de jour en jour.»
Les diamantaires indiens dominent
plus de 60 % du commerce à Anvers.
Ils représentent près de la moitié
du millier d’entreprises
diamantaires de la Métropole.
«Le gouvernement Verhofstadt a pris
beaucoup de mesures positives mais en fin
de course, tous ces efforts risquent d’être
réduits à néant par l’insécurité juridique
permanente après toute cette violence
policière», déplore Nilang Mehta (Genesis Diamonds). Mehul Kothari (Sushang
Exports et Eurotrends) met en garde : «Le
marché est en train de se retirer d’Anvers». Non seulement les Indiens mais
aussi les Juifs préparent des alternatives à
Dubaï, Tel-Aviv et Mombai. Mais Amit
Bhansali ne s’attend pas à un exode général : «On constate un changement dans la
façon de faire des affaires. Les clients ne
sont plus autant invités à venir à Anvers
mais à se rendre plus souvent à Mombai
ou Dubaï. Et ça, c’est nouveau.»
Nilang Mehta fait aussi référence aux
mesures urgentes que le gouvernement
fédéral démissionnaire doit encore
prendre pour renforcer la position d’Anvers : «Tous les centres diamantaires
importants ont actuellement une zone de
libre-échange. Il faut donc qu’on en crée
une pour le commerce de gros des diamants et des bijoux avec diamants, tant à
l’aéroport de Bruxelles qu’à Anvers.
Mombai a récemment supprimé les taxes
à l’importation et peut à présent se lancer dans une concurrence à part entière avec Anvers, Tel-Aviv et Dubaï.»
A entendre les doléances des diamantaires, ce secteur
n’est pas aussi confortable qu’on pourrait le croire: ils assument leurs propres risques, achètent au comptant et vendent
à terme — avec des délais de 60 à 120 jours — et les marges
sont en recul (aux alentours de 2 %). «La rentabilité diminue car il y a trop d’acteurs sur le marché. La faiblesse du
dollar nous joue aussi des tours, tous les frais étant facturés
en euro (cher).» Selon Amit Bhansali, Anvers ne peut pas se
permettre de prendre à la légère une activité qui représente
8 % des exportations belges. «Il y a encore beaucoup de
choses à améliorer mais, d’abord, il faut que la confiance
revienne. Car actuellement, le cœur n’y est plus.»
KAUSHIK MEHTA (EUROSTAR DIAMOND TRADERS)
«La saisie des stocks a paralysé les activités.»
AMIT BHANSALI
(ROSYBLUE),
EN COMPAGNIE
DE SES FILS
«On reçoit moins
de clients à Anvers.
Et ça, c’est nouveau.»
BHARAT SHAH
(DIAMPEX)
«Nous ne demandons
pas de traitement
de faveur.»
Erik Bruyland ■
TRENDS-TENDANCES 18 OCTOBRE 2007 FOCUS
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