Interdépendances entre prosodie et syntaxe dans les clivées en “it”
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Interdépendances entre prosodie et syntaxe dans les clivées en “it” Sophie Herment 1 Université de Provence Laboratoire Parole et Langage2 Après avoir analysé les corrélats acoustiques et prosodiques de l’emphase lors d’une étude plus large (Herment-Dujardin, 2001), ce sont les structures syntaxiques de focalisation que nous souhaitons explorer, et plus particulièrement leur prosodie. En effet nous cherchons à étudier les liens entre syntaxe et prosodie, les interdépendances qui pourraient exister entre ces deux niveaux, et nous pensons que les structures focalisantes sont un point de départ intéressant car elles illustrent justement une mise en relief syntaxique. Nous nous sommes donc demandée si dans le cas de ces mises en relief, la syntaxe et la prosodie se combinaient. Car plusieurs options semblent a priori possibles : la syntaxe marquant déjà l’emphase, la prosodie n’est peut-être pas nécessaire ; ou bien une prosodie emphatique est-elle nécessairement associée à une syntaxe non neutre ? La réponse n’est certainement pas aussi dichotomique : la syntaxe prendrait-elle simplement l’ascendant sur la prosodie qui resterait marquée, mais moins que si la syntaxe n’était pas présente pour signifier la mise en relief ? Comment la prosodie et la syntaxe se combineraient-elles alors? Pourrait-on trouver une prosodie typique de certaines structures de focalisation ? 1 2 [email protected] <http://www.lpl.univ-aix.fr> 2 SOPHIE HERMENT C’est dans le discours suivi que nous avons cherché un début de réponse à ces questions afin que la prosodie soit la plus naturelle possible. Nous avons donc utilisé un corpus oral de parole naturelle et avons choisi d’étudier pour la présente étude les clivées en “it”, dont nous allons exposer ici l’analyse prosodique. I. Les clivées en “it” : rappels théoriques Les clivées en général, et les clivées en “it” en l’occurrence, sont classées par les linguistes dans les structures focalisantes (Khalifa, 2004 par exemple). D’autres parlent d’emphase (Larreya & Rivière, 2005 ; Hewings, 2005), de mise en relief (Lapaire & Rotgé, 1991), de « foregrounding » (Huddleston & Pullum, 2005). La notion de contraste est souvent mentionnée (Biber et al., 1999 ; Miller & Weinert, 1998), et nous reviendrons sur ce point. L’intonation, ou plus exactement la prosodie des clivées, reste encore cependant très peu étudiée, et seuls Khalifa (2004) et Miller & Weinert (1998) en proposent une étude vraiment fondée sur un corpus oral. Nous ne nous arrêterons pas ici sur l’analyse syntaxique des clivées, largement approfondie par nombre d’excellents linguistes, mais plutôt sur les catégories pragmatiques associées aux clivées puisque la littérature y fait référence quand il s’agit de prosodie. Ainsi tous les auteurs parlent de clivée à focus informatif (DuboisCharlier & Vautherin, 1997; Larreya & Rivière, 2005). Ce sont les clivées de type non marqué chez Khalifa (2004), ou encore clivée à focus accentué. Khalifa (2004) donne ensuite le type marqué : - soit c’est le focus qui est donné et le reste de la prédication qui contient l’information nouvelle : ce sont les clivées à focus charnière chez Dubois-Charlier & Vautherin (1997). Le focus fait fonction de transition entre ce qui précède et ce qui va suivre. Il annonce le contexte de la situation par exemple. - soit, toujours selon Khalifa (2004), et toujours classées dans le type non marqué chez lui, les clivées dont les deux parties sont porteuses d’information nouvelle (cela est fréquent dans les textes historiques ou plus généralement dans tous les cas où le locuteur ne veut pas prendre en charge personnellement la prédication contenue dans la séquence en that). Ce sont les clivées stylistiques chez Larreya & Rivière (2005) ou encore les clivées manipulatrices de Dubois-Charlier & Vautherin (1997) ainsi que celles qui servent à rappeler un fait historique souvent. INTERDÉPENDANCES ENTRE PROSODIE ET SYNTAXE DANS LES CLIVÉES EN “IT” 3 Intéressons-nous maintenant à la prosodie des clivées. Comme nous l’avons mentionné plus haut, seules deux études se sont vraiment basées sur des corpus oraux pour tenter de définir la prosodie des clivées. Ainsi Khalifa (2004) a pris deux paramètres en compte : la frontière intonative et le noyau accentuel. Il conclut qu’en ce qui concerne le type non marqué, on note une forte tendance à la division en deux groupes intonatifs (avec une coupure avant that) et donc deux noyaux. Quant au type marqué, il ne contient qu’une seule unité intonative et le noyau se trouve plutôt sur la fin (après that donc). Miller & Weinert (1998) proposent une analyse en terme d’accent primaire et secondaire. Ce qu’ils entendent par accent (« stress ») est en lien avec la hauteur mélodique : Primary stress involves higher pitch than secondary stress. The latter can involve a constant pitch or falling intonation, with the highest point being higher than the rest of the clause but lower than the primary stress. (p. 275) Sur 17 clivées analysées, voici les patrons intonatifs observés: - 7 clivées comportent deux accents primaires (un dans chaque partie de la clivée). - 7 clivées contiennent un accent primaire sur le premier élément et le deuxième élément est désaccentué. Les auteurs précisent que ces clivéesci ne sont pas nécessairement contrastives : 3 seulement sur les 7 étaient contrastives. - 2 ont un accent primaire sur le premier élément et un accent secondaire sur le deuxième élément. - 1 montre un accent primaire sur le deuxième élément. Cette étude est très intéressante mais n’est malheureusement pas vraiment détaillée et les auteurs ne tirent pas de conclusions, si ce n’est qu’ils disent que It clefts occur with a variety of patterns, and not only the contrastive pattern. (p. 300) Enfin Larreya & Rivière (2005 : 322), même s’ils ne font pas état d’une étude sur un corpus oral, commentent tout de même la prosodie des clivées de la façon suivante : Les formes orales peuvent marquer une différence : dans le cas du clivage « stylistique », la seconde partie de la phrase n’est généralement pas désaccentuée (alors qu’elle l’est obligatoirement lorsqu’elle contient une information présentée comme connue). 4 SOPHIE HERMENT Nous nous sommes donc inspirée de toutes ces études pour faire à notre tour une analyse prosodique des clivées sur le corpus de parole naturelle AIX-MARSEC. II. Le corpus Aix-Marsec Nous avons utilisé pour la présente étude le corpus AIX-MARSEC (Auran et al., 2004) pour deux raisons principales. Tout d’abord c’est un corpus de parole naturelle, c’est-à-dire que les situations de communication sont naturelles. Il s’agit d’extraits de la BBC, qui regroupent plusieurs styles de parole différents, allant des informations, des commentaires sportifs et de l’état de la route à des interviews ou des reportages en passant par des lectures de poésies ou de romans et des extraits de la messe. Il y a environ 5 heures et demi de parole. Le deuxième gros avantage que présente ce corpus est qu’il est déjà étiqueté, orthographiquement bien entendu, mais aussi phonétiquement et prosodiquement. Nous décrivons en détail cet étiquetage dans une étude sur “do” emphatique (Herment, à paraître), et nous allons en reprendre brièvement ici les points qui nous intéressent pour l’étude des clivées en “it”. Nous venons de voir en effet en I. que les critères déterminants donnés dans la littérature quant à la prosodie des clivées sont le nombre d’unités intonatives ainsi que le noyau accentuel ou les accents primaires et secondaires, c’est-à-dire les variations mélodiques importantes. Ce sont les critères auxquels nous allons nous aussi nous intéresser, mais de façon plus détaillée. L’étiquetage du corpus Aix-Marsec consiste en 8 niveaux du logiciel PRAAT (Boersma & Weenik, 1996), dont les 4 derniers vont nous être utiles, à savoir les “Tonetic Stress Marks” (TSM), le découpage en unités intonatives (UI), le codage INTSINT et les valeurs de fréquence fondamentale (F0). Les “Tonetic Stess Marks” (TSM) ainsi que le découpage en unités intonatives correspondent à une annotation prosodique réalisée par des phonéticiens professionnels à l’oreille. Ils ont déterminé les frontières majeures et mineures ainsi que les tons mélodiques, et ont annoté le corpus grâce aux symboles que montre le tableau 1 ci-dessous : _ low level ~ high level < step-down > step-up INTERDÉPENDANCES ENTRE PROSODIE ET SYNTAXE DANS LES CLIVÉES EN “IT” 5 /’ (high) rise-fall ‘/ high fall-rise \ high fall / high rise , low rise ‘ low fall \, low fall-rise * stressed but unaccented | minor intonation unit boundary || major intonation unit boundary Tableau 1 : Tonetic stress marks dans Aix-Marsec Le codage INTSINT (Hirst & Di Cristo, 1998) est également un codage de l’intonation et consiste en points-cible qui se réfèrent aux valeurs de la tessiture du locuteur : - 3 points non relatifs : T (Top), B (Bottom) et M (Mid), et - 5 points relatifs : H (higher), L (lower), S (same), D (Downstep) et U (Upstep) 3. A ces points-cible sont associées des valeurs de fréquence fondamentale (F0) calculées automatiquement. Le codage INTSINT et les valeurs de F0 se sont révélées très utiles en complément des TSM, en particulier pour les chutes puisque c’est grâce à ces deux niveaux que nous avons déterminé s’il s’agissait de grandes chutes ou pas, même quand les TSM ne donnaient que des chutes simples. Nous avons en effet parfois trouvé des conflits entre le codage INTSINT et les TSM. C’est alors que les valeurs de F0 et la courbe de PRAAT jouent un rôle important. Par exemple quand la TSM est un « low fall » (petite chute) mais que le codage INTSINT donne un « Top », c’est-à-dire la valeur la plus haute de la tessiture du locuteur, suivi d’un « Lower » (donc d’une chute) ou même d’un « Bottom » (la valeur la plus basse de la tessiture du locuteur) sur le même mot et que les valeurs de F0 sont très écartées, c’est qu’il s’agit alors d’une grande chute et non d’une petite chute. 3 Cf. Herment (à paraître) pour davantage de details. 6 SOPHIE HERMENT III. Analyse acoustique et prosodique des clivées en “it” Sur les 5 heures et demi de parole du corpus nous avons donc extrait les clivées en « it ». Nous n’en avons trouvé que 22, mais cela n’est pas très étonnant puisque nous analysons de la parole naturelle, et il est bien connu que le clivage est plus courant à l’écrit qu’à l’oral. Nous avons réalisé pour ces clivées en « it » un classement par catégories pragmatiques en fonction du contexte. Nous avons repris les types marqué et non marqué de Khalifa (2004), et y avons ajouté les clivées « rappel de fait » et les clivées manipulatrices que décrivent Dubois-Charlier & Vautherin (1997). Ce classement en catégories pragmatiques a été très ardu parfois car seul le contexte pouvait nous donner les indices permettant le classement et cela n’était pas toujours évident. Nous avons également regardé si nos clivées étaient contrastives ou pas, toujours en fonction du contexte, puisque c’est un des aspects des clivées qui est mentionné de façon récurrente dans la littérature sans toutefois être bien explicité. Enfin, nous avons compté le nombre d’unités intonatives que comportait chaque clivée et regardé les mouvements mélodiques qui caractérisaient chaque clivée. Cela donne le tableau suivant : INTERDÉPENDANCES ENTRE PROSODIE ET SYNTAXE DANS LES CLIVÉES EN “IT” 7 Tableau 2 : Classement par catégories pragmatiques et mesures acoustiques La première colonne indique le nom du fichier, la deuxième montre le classement selon les types décrits dans Khalifa (2004) : type 1 = non marqué (focus informatif), type 2 = marqué (cf. I.). La troisième colonne est un essai de classement plus détaillé, type 1 étant comme dans la colonne 2 le type non marqué ou la clivée à focus informatif, et les types 2, 3 et 4 correspondant tous au type 2 de la colonne précédente (le type marqué donc) : type 2 = focus charnière, type 3 = clivée rappel de fait, type 4 = clivée manipulatrice. On voit dans la quatrième colonne qu’il s’agit de noter si la clivée est contrastive ou pas. La colonne suivante indique le nombre d’unités intonatives et les 3 dernières colonnes s’intéressent aux mouvements mélodiques : sur la première partie de la clivée dans la colonne 6, sur la fin de la clivée dans la colonne 7 et la dernière colonne reproduit les points-cible INTSINT et les valeurs de F0 quand il y a grande chute sur le focus, ceci pour justifier que nous avons noté une grande chute même si les TSM ne donnaient qu’une petite chute (cf. II.). A partir de ce tableau, nous avons fait un tri sur la colonne 2, c’est ce que montre le tableau 2. Ce tri n’a rien donné de pertinent, aucune constante ne s’est dégagée. Rien n’est ressorti, ni le nombre d’unités intonatives (ce à quoi on aurait pourtant pu s’attendre puisque c’est ce que Khalifa (2004) et Larreya & Rivière (2005) concluent), ni une mélodie particulière sur la première partie de la clivée (sur le focus). Un tri sur la troisième colonne n’a rien donné de mieux, et cela est normal puisque le classement est très proche de celui de la colonne 2. Nous avons donc décidé de regarder en détail les critères prosodiques et nous sommes tout d’abord penchée sur le nombre d’unités intonatives. III. 1. Le découpage en unités intonatives En tout premier lieu, il est frappant de constater sur le tableau 2 cidessus que, contrairement à ce qui est rapporté dans la littérature, les clivées ne comportent pas soit deux unités intonatives (lorsqu’il s’agit du type 1, d’une clivée à focus informatif), mais que cela va de 1 à 4 UI ici, soit une seule lorsqu’il s’agit du type marqué, mais que cela peut aller jusqu’à 6 (D207G par exemple ici). Qu’en est-il alors du nombre d’UI ? N’est-il absolument pas prédictible en parole naturelle ? 8 SOPHIE HERMENT Nous avons mesuré la durée des clivées entières (nous avons enlevé pour cette analyse les 2 clivées elliptiques de notre corpus) et avons fait un tri par durée, des clivées les plus courtes aux clivées les plus longues, en gardant la colonne des types 1 ou 2 et la colonne contraste ou pas. C’est ce qu’illustre le tableau 3 ci-dessous : Tableau 3 : Tri par durée des clivées en secondes La durée de la clivée ne correspond pas au type de clivée, ni à sa fonction contrastive ou pas. Par contre, le nombre d’unités intonatives correspond tout simplement à la longueur de la clivée. Plus la clivée est longue et plus le nombre d’unités intonatives est élevé. Lorsque l’énoncé est long, un découpage en plusieurs unités intonatives est nécessaire, ne serait-ce que pour permettre au locuteur de reprendre son souffle (les UI sont en effet nommées « breath groups » par certains phonéticiens). On note que deux clivées dont la durée est courte sont découpées en plus d’une UI. Ces deux clivées sont remarquables. F411B_1 comporte une incise (en gras ci-dessous), d’où le découpage : (But this time) it was another / what shall we say / more mature player that took the title INTERDÉPENDANCES ENTRE PROSODIE ET SYNTAXE DANS LES CLIVÉES EN “IT” 9 A105 est une clivée de type 2 non contrastive mais emphatique (nous y reviendrons plus bas). La locutrice prononce une grande chute sur « miracles », d’où la coupure : And it’s miracles / which confront us with God most clearly III.2. Clivées et intonation Une fois la question du nombre d’UI résolue, nous nous sommes intéressée à l’intonation des clivées en « it ». Ayant rentré dans notre tableau (cf. tableau 2) une colonne sur le contraste, et d’après nos études précédentes sur l’emphase (Herment, 2001, 2009, et à paraître), nous avons classé nos clivées non plus en catégories pragmatiques mais selon la colonne contraste, comme le montre le tableau 4 : Tableau 4 : clivées et intonation Les résultats sont frappants : on distingue des paquets en ce qui concerne les mesures acoustiques et l’on peut clairement dire que 10 SOPHIE HERMENT - sur 9 clivées contrastives, 7 ont un ton creusé (Fall Rise, FR) et 2 une grande chute (High Fall, HF) sur le focus (la première partie de la clivée) ; - sur 13 clivées non contrastives, 2 montrent un ton creusé (FR), 4 une grande chute (HF), 2 une montée (Rise, R) sur la première partie de l’énoncé, le focus et 5 ont une petite chute (Fall, F), soit sur le focus, soit sur la fin de la clivée. Détaillons ces résultats. III.2.1. Les clivées contrastives Le ton creusé semble être le mouvement mélodique de prédilection dans les clivées contrastives sur la première partie de la clivée, le focus. Cela n’est pas surprenant puisque l’énoncé n’étant pas fini, on a un mouvement ascendant, et il s’agit d’un Fall-Rise, qui marque souvent un contraste. La fin de la clivée est souvent marquée par une chute, mouvement neutre terminal, comme l’illustre l’exemple suivant dans lequel la clivée est en gras (C104B_2) : as to large states | being necessarily more successful on the contemporary economic scene | this notion is hard to reconcile with the fact | that in Europe | it's two small countries | Sweden and Switzerland | which by conventional tests | are possibly the most economically advanced Le fall rise a lieu sur « it’s two small countries », « small countries » étant en opposition, en contraste, avec « large states » au début, et on a ensuite un nouveau ton montant sur l’UI qui suit puis une chute sur « advanced » qui marque la fin de la phrase. La grande chute, qui est présente également dans les clivées contrastives de notre corpus, est aussi un mouvement mélodique contrastif, plutôt terminal celui-ci et une des deux clivées prononcées avec une grande chute est elliptique, la grande chute est donc en effet terminale pour cette clivée-là. En ce qui concerne l’autre, il s’agit de F411B_1 (exemple donné plus haut), qui comporte une incise, ceci expliquant peut-être cela. Le critère informatif ne semble pas être pertinent du tout ici. La prosodie est contrastive, exactement comme lorsqu’il n’y a pas de clivage. III.2.2. Les clivées non contrastives INTERDÉPENDANCES ENTRE PROSODIE ET SYNTAXE DANS LES CLIVÉES EN “IT” 11 Les clivées non contrastives sont plus nombreuses dans le corpus, au nombre de 13, et la plupart sont non informatives, ce à quoi l’on pouvait s’attendre : 10 sont non informatives pour 3 informatives. Si on regarde les schémas, le critère informatif ne semble à nouveau pas très pertinent : - 10 clivées non informatives : 3 HF, 2 FR, 2 R, 3F (1 seule UI) - 3 clivées informatives : 1 HF et 2 F. C’est plutôt le critère emphatique ou non qui va être pertinent, c’est-àdire le type de schéma intonatif. On peut en effet trouver des emphases non contrastives. Six clivées sont prononcées avec des mouvements mélodiques emphatiques, 4 avec des grandes chutes et 2 avec des tons creusés. Ces deux dernières sont très similaires, avec les tons creusés sur « this time » et « these areas » : D207B : his task was also made easier | by an admiration for England | that was then widely felt | in France | we should remember that it was about this time | that Montesquieu | conceived his respect for English parliamentary democracy K203B : Menata is now happily using her new hearing aid at school | it is in precisely these areas | that the Commonwealth Society for the Deaf | has been working for the past twenty five years | assisting parents to set up schools for the deaf | and encouraging the training for teachers | of the deaf | providing much needed equipment On peut même se demander si en fait elles ne sont pas contrastives : « this time » serait en opposition avec une autre époque et « these areas » avec d’autres quartiers. Le ton creusé serait alors tout à fait normal pour le focus d’une clivée contrastive, comme suggéré en III.2.1. La grande chute resterait alors le seul ton correspondant au focus d’une clivée en « it » non contrastive mais donc emphatique, que ce focus soit informatif ou non, terminal ou non, comme en F411B_2 qui est une clivée en « it » informative avec une grande chute sur « Bob Tway » en fin de phrase : on to Inverness Ohio | and the United States PGA | when it was the young American Bob Tway who took the title | ou en A105 (exemple donné plus haut) où la locutrice prononce une grande chute sur « miracles » qui a déjà été mentionné avant et est donc non informatif et qui est non terminal : And it’s miracles | which confront us with God most clearly. 12 SOPHIE HERMENT Qu’en est-il des clivées non contrastives non emphatiques ? Elles sont tout simplement prononcées en général avec une petite montée si non terminales et une petite chute si terminales, comme en D201B où la locutrice ne prononce qu’une seule UI et chute sur « changed » : Now I think it was in October 82 that policy suddenly changed Il est à noter que ces clivées sont surtout présentes dans les passages où ce sont des cours ou des lectures de romans et que l’on trouve également des clivées stylistiques dans cette catégorie. A nouveau, on peut dire que le critère informatif n’est pas pertinent et que la prosodie ne semble pas dépendre du clivage. IV. Conclusion : la prosodie des clivées en “it” revisitée Au vu de cette étude, on peut tirer quelques conclusions sur les clivées en « it ». Tout d’abord elles sont rares dans le discours naturel. Ensuite, en ce qui concerne leur prosodie, on peut dégager des tendances qui remettent en question ce qui est généralement admis dans la littérature. Le nombre d’unités intonatives dépend de la longueur de la clivée et non du type de clivée. En ce qui concerne leur intonation, on peut dégager trois types de patrons intonatifs pour les clivées en « it » : - les clivées contrastives semblent privilégier un schéma de type ton creusé (FR) sur le noyau de la 1ère partie de la clivée (sur le focus), et ensuite des schémas neutres (R et F) sur les UI suivantes. S’il n’y a qu’une seule UI, alors le schéma sera un High Fall. - les clivées non contrastives emphatiques présentent un schéma avec une grande chute (HF) sur la première partie de la clivée et des tons neutres ensuite, ou bien une grande chute toujours, sur le focus, si la clivée ne comporte qu’une seule UI. - les clivées non contrastives non emphatiques, qui correspondent souvent à des clivées non informatives, stylistiques, ou bien que l’on trouve dans des styles de parole très formels, présentent des schémas de type montée suivie d’une chute s’il y a plusieurs UI et d’une chute si la clivée ne comporte qu’une seule UI, mais sur la 2ème partie de la clivée. Ainsi à travers cette étude de la prosodie des clivées en « it » dans la parole naturelle, nous avons pu entrevoir la complexité des relations que la syntaxe et la prosodie entretiennent. Cette étude nous a montré que la prosodie ajoute une nuance à l’effet syntaxique, vient le renforcer ou non. La prosodie semble donc venir se surajouter à la structure syntaxique. INTERDÉPENDANCES ENTRE PROSODIE ET SYNTAXE DANS LES CLIVÉES EN “IT” 13 Dans les clivées en « it », la syntaxe met en relief un élément au niveau de la thématisation, mais c’est la prosodie qui va marquer le caractère contrastif ou non, et emphatique ou non de cet élément. L’on voit ainsi que la syntaxe et la prosodie sont complémentaires, que l’une ne va pas sans l’autre et qu’elles se trouvent bien en interdépendance, comme nous l’avons déjà montré pour le « do » emphatique (Herment, à paraître). C’est aux clivées en « what » et aux clivées renversées (« reverse clefts ») que nous souhaitons désormais nous intéresser afin de voir si les conclusions que nous avons tirées sur les clivées en « it » s’appliquent aussi aux autres types de clivées. Ces clivées sont malheureusement encore plus rares à l’oral que les clivées en « it ». Nous n’avons relevé que 5 pseudo-clivées (clivées en « what ») et 1 clivée renversée dans tout le corpus Aix-Marsec. Réferences bibliographiques Auran, C., Bouzon, C. & Hirst, D.J. (2004). « The Aix-Marsec Project : an evolutive database of spoken British English », in Proceeding of the second International on Speech Prosody, Nara, March 2004, 561564. Biber, D., Johanson, S. & Leech, G. (1999). Longman Grammar of Spoken and Written English, Harlow : Longman. Boersma, P. & Weenik, D. (1996). « PRAAT : a system for doing phonetics by computer », Report of the Institute of Phonetic Sciences of the University of Amsterdam, 132. Dubois-Charlier, F. & Vautherin, B. (1997). Syntaxe Anglaise, Paris : Vuibert. Herment-Dujardin, S. (2001). L’emphase dans le discours spontané anglais : corrélats acoustiques et prosodiques, Thèse de 3ème cycle, Aixen-Provence : Laboratoire Parole et Langage. Herment, S. 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