Problèmes médicaux lors de la consommation de drogues illégales
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Problèmes médicaux lors de la consommation de drogues illégales
Problèmes médicaux lors de la consommation de drogues illégales Hugo Kupferschmidt Centre suisse d’information toxicologique (CSIT), Zurich Karin Fattinger Division de Pharmacologie et Toxicologie cliniques, Département de Médecine interne, Hôpital Universitaire de Zurich 1 Introduction Classification: L’Organisation mondiale de la santé (OMS) distingue neuf classes de substances psychotropes différentes: – alcool – opioïdes – cannabinoïdes – sédatifs et hypnotiques – cocaïne – autres stimulants, caféine incluse – hallucinogènes – tabac – solvants volatils Ces substances peuvent être classifiées en drogues légales et illégales; le présent chapitre ne traite que des drogues illégales. Un risque d’abus existe pour les substances qui possèdent deux caractéristiques: (1) les non-primates les consomment également de leur plein gré, et (2) elles activent de façon aiguë le «système de récompense» («rewarding system») du système nerveux central. Dans toutes les dépendances à des substances, le système dopaminergique méso-corticolimbique est mis à contribution, dont les neurones se trouvent dans l’aire du tegmentum ventral avec des liens vers les noyaux du système limbique (Nucleus accumbens, Amygdala, Hippocampus). Ce système favorise la répétition de toutes les activités qui augmentent le sentiment de bien-être; en assurant la prise de nourriture, la sexualité et les soins à la descendance, il sert directement à la survie de l’espèce. Alors que la prise de nourriture et la sexualité conduisent rapidement à une diminution du circuit de récompense avec la répétition des stimuli, les substances faisant l’objet d’abus provoquent une nouvelle libération de dopamine à chaque fois. Dépendance psychique et physique: La dépendance psychique est définie comme le besoin impérieux d’atteindre toujours et encore l’état d’euphorie, de détente et de contentement que provoque la drogue. Elle est reliée à l’envie de consommer la drogue de façon périodique afin de conserver le sentiment de bonheur et d’éviter malaise et déplaisir. Une dépendance physique se manifeste lorsque des symptômes de se- vrage apparaissent à l’arrêt de la substance: la disparition de l’inhibition du système nerveux sympathique peut alors entraîner des symptômes neurologiques et cardiovasculaires potentiellement mortels. Les symptômes de sevrage dépendent nettement de la durée de l’abus; comme une nouvelle consommation de drogue peut les faire disparaître rapidement, un cercle vicieux s’établit en cas d’abus chronique. Survient alors une tolérance ou une tachyphylaxie supplémentaire: une augmentation continuelle de la dose est nécessaire pour obtenir un effet identique, jusqu’à ce qu’un nouvel équilibre s’établisse à haute dose et à intervalles rapprochés. Des processus d’adaptation fonctionnels et morphologiques ont alors lieu au niveau cérébral. Leur rôle dans la dynamique de la toxicomanie n’est pour l’heure que partiellement connu. Une chose est cependant sûre: la dépendance psychique peut persister bien longtemps après une cure de désintoxication réussie. Abus de drogues: L’abus de drogues est un comportement acquis; les propriétés euphorisantes des drogues permettent de prendre de la distance avec les conflits liés à la personnalité et perçus comme une menace. De ce fait, l’abus chronique de drogues est une maladie: le «gain» ressenti au départ comme une victoire sur la vie débouche sur un processus autodestructeur, modulé par des facteurs biologiques (génétiques), psychologiques et sociologiques. Dans ce contexte, la classification des drogues uniquement en fonction de leur mécanisme d’action ou de leur tableau clinique est presque impossible à établir. Le tableau clinique présente de nombreux recoupements, car les effets sur le cerveau sont le résultat de l’influence moléculaire de très nombreux systèmes, pouvant être activés ou inhibés simultanément. Drogues de substitution et polytoxicomanie: En dehors des stupéfiants à proprement parler, toutes les substances qui modifient la perception de l’environnement et qui s’accompagnent de sensations euphoriques peuvent être utilisées comme drogues de substitution et conduire à la dépendance. C’est ainsi qu’à côté des véritables drogues, une multitude de médicaments (comme les antidépresseurs tricycliques, les phénothiazines ou les anti-H1) ou de constituants de plantes et de champignons (comme noix/ 279 fleurs de muscade ou psilocybine/psilocine) peuvent déclencher une perception chimérique de la réalité. L’inhalation de solvants, un problème sanitaire qui échappe en grande partie aux statistiques, peut également générer euphorie et illusions. Depuis longtemps, l’intérêt des toxicodépendants ne se porte plus seulement sur la codéine, le flunitrazépam ou la méthaqualone pour compléter ou remplacer les drogues «dures» usuelles. Des médicaments de prime abord anodins peuvent être utilisés dans ce but (comme l’acide méfénamique). La polytoxicomanie est également répandue, surtout chez les grands toxicomanes. En utilisant des substances dont le profil d’action est différent, ils cherchent non seulement à renforcer l’euphorie, diminuée par les effets de tolérance, mais aussi à réduire l’apparition d’effets indésirables difficilement supportables. L’héroïne permet ainsi de contrer l’énorme stimulation du système nerveux adrénergique engendrée par la cocaïne. Combiné avec la cocaïne, l’alcool provoque des problèmes à plusieurs niveaux: il exerce certes un effet sédatif, mais le métabolite qui en dérive provoque un nouveau tableau d’intoxication, similaire à celui de la cocaïne. Drogues de synthèse: Pour augmenter de façon ciblée les effets «souhaités», mais surtout pour éviter l’illégalité, aussi bien des drogues connues que des médicaments voient leurs structures modifiées pour être vendus sur la scène de la drogue (drogues de synthèse ou «designer drugs»). Les exemples les plus connus sont les dérivés de l’amphétamine et les drogues dérivées du fentanyl. La naissance de la 3,4-méthylènedioxyméthamphétamine (MDMA ou «ecstasy») a suivi un parcours classique: la 3,4-méthylènedioxyamphétamine (MDA ou «Adam»), la «drogue de l’amour» des soixante-huitards, a été déclarée illégale par l’OMS en raison de ses propriétés neurotoxiques. L’ecstasy ne se distingue de la MDA que par un groupe méthyle supplémentaire. Lorsque l’OMS classe également l’ecstasy dans la liste des drogues illégales à cause de son potentiel toxique, la 3,4-méthylènedioxyéthylamphétamine (MDEA ou «Eve») fait son apparition sur le marché; d’autres dérivés montrant un spectre d’action et des effets indésirables comparables ont suivi pour contourner l’illégalité de l’ecstasy. MDA, MDMA et MDEA ne sont que quelques exemples d’une série de drogues de synthèse dérivées de l’amphétamine ou de la méthamphétamine. Ces dérivés amphétaminiques sont également vendus sous le nom «d’ecstasy». Substances de substitution: En dehors de l’offre notoire de substances apparentées, l’adjonction de substances de substitution bon marché («adulterants») complique l’appréciation du tableau clinique en cas de consommation de drogues. Caféine, quinidine, mannitol, procaïne et lidocaïne, ainsi que glucose, dextrose, lactose et amidon sont souvent détectés lors de contrôles. Les amphétamines et la phencyclidine 280 ont également été utilisées comme substances de substitution. L’évolution devient inquiétante lorsque de l’amphétamine, de la cocaïne ou d’autres drogues à potentiel de dépendance élevé sont mélangées aux comprimés d’ecstasy. Les impuretés issues durant la synthèse peuvent également modifier considérablement le tableau clinique. Symptomatologie et principes thérapeutiques: En règle générale, les problèmes médicaux apparaissent lors de la consommation de drogues illégales soit suite aux effets aigus toxiques immédiatement après la consommation, soit en relation avec les manifestations de dépendance lors de prise chronique. Les paragraphes suivants donnent un aperçu des problèmes somatiques aigus liés à un abus des drogues illégales sous forme de brefs résumés tirés de la littérature. Les publications contiennent malheureusement peu de données quantitatives sur l’incidence des symptômes et leur gravité. La liste de symptômes chroniques est destinée à mettre en évidence la dynamique liée à la toxicomanie. Pour une meilleure compréhension, chaque passage débute par une courte présentation des processus neurophysiologiques importants – pour autant qu’ils soient connus. Les directives formulées pour le traitement des intoxications aiguës (voir le chapitre «Intoxications médicamenteuses») valent également en cas d’intoxication par des drogues illégales. Outre les mesures d’urgence, l’administration d’antidotes – s’ils existent – constitue les piliers du traitement. Le lavement intestinal orthograde avec une solution de Fordtran a fait ses preuves lors de «body packing» pour accélérer l’élimination des paquets de drogue hors de l’intestin. Les principes thérapeutiques qui suivent se rapportent ainsi principalement à des mesures d’urgence plus ou moins spécifiques. La collaboration d’une équipe médicale pluridisciplinaire est indispensable pour le traitement des effets d’un abus chronique et le suivi à long terme des personnes dépendantes, car le sevrage ainsi que l’établissement et le maintien de l’abstinence représentent davantage qu’un simple problème toxicopharmacologique. 2 Présentation détaillée des drogues illégales 2.1 Marijuana/Haschisch Le tétrahydrocannabinol (THC) est le principe actif majeur de trois préparations qui sont principalement fumées ou consommées sous forme de gâteaux ou de boissons: (1) la marijuana («herbe») est constituée des feuilles séchées et des inflorescences du chanvre femelle; la teneur en THC s’élève aujourd’hui à environ 15 % (1–5 % par le passé) par des cultures spéciales («herbe indoor»), parfois même à 25 %; (2) le haschisch («kif») est une résine contenant 10 % de THC et (3) l’huile de haschisch est un extrait qui contient 50 % et plus de THC. Environ 60 cannabinoïdes supplémentaires partiellement actifs, ainsi que 360 autres constituants ont été répertoriés, ce qui complique énormément l’évaluation du profil toxicologique. La caractéristique du THC repose sur ses propriétés stimulantes sur le SNC, en plus d’un effet psychodépresseur. Le THC réagit avec la plupart des systèmes de neurotransmetteurs; il se lie à des récepteurs spécifiques (CB1 et CB2) dans le cervelet et la zone du cortex frontal. L’effet anticonvulsivant, analgésique et antiémétique des cannabinoïdes est partiellement dû à cette liaison spécifique. Ils abaissent la température corporelle au niveau central et augmentent l’appétit. Tableau clinique: Euphorie, détente et somnolence sont des effets aigus à faibles doses, accompagnés généralement d’une légère ataxie et d’une faiblesse musculaire. Le THC provoque une vasodilatation générale et une tachycardie. Lorsque la dose augmente, l’intensité des perceptions sensorielles se modifie, ainsi que la notion d’espace et de temps. Se produit alors une perte du sens de la réalité, accompagnée d’une appréciation erronée des performances personnelles et de troubles de la mémoire à court terme. Chez les néophytes (intoxication accidentelle!) et à hautes doses apparaissent une sensation d’oppression au niveau de la poitrine, de l’anxiété et des états d’excitation allant jusqu’à la panique. Une terrible sensation de soif, des vertiges, ainsi que des nausées et des vomissements – malgré des propriétés antiémétiques – constituent d’autres symptômes végétatifs. Une augmentation supplémentaire de la dose cause égarement, illusions et hallucinations avec induction de psychoses. Une évolution vers la psychose se rencontre plus fréquemment lorsqu’il y a association à d’autres psychostimulants. Contrairement aux symptômes d’intoxication cognitifs et végétatifs, l’utilisation chronique de marijuana provoque rapidement une tolérance qui touche l’euphorie recherchée et conduit ainsi à une augmentation de la consommation. Un «syndrome d’absence de motivation» a été décrit après un abus chronique, accompagné d’humeur dépressive, de léthargie, de troubles de la concentration et altération de la pensée. Le contraire reste cependant possible, à savoir qu’un «syndrome d’absence de motivation» latent pourrait prédestiner à la consommation de marijuana. La question sur le potentiel toxicologique des cannabinoïdes reste encore ouverte, surtout concernant leurs effets sur le fœtus; vu le nombre de consommatrices, cette question n’est pas seulement d’intérêt scientifique. Les lésions chroniques respiratoires dues, entre autres, à la forte teneur en goudron des cigarettes de marijuana restent par contre incontestées. L’apparition d’un léger syndrome de sevrage est un phénomène connu, accompagné de nervosité, de troubles de l’humeur anxio-dépressifs, de tremblements et de troubles du sommeil, et peut persister quatre à cinq jours. Mesures thérapeutiques: En règle générale, des mesures spécifiques sont rarement nécessaires en cas d’intoxication aiguë par la marijuana: – en cas de psychose (le plus souvent auto-limitée et de courte durée): environnement calme; – en cas d’anxiété ou d’agitation: benzodiazépines; – en cas de troubles dépressifs: consultation psychiatrique et traitement antidépresseur. 2.2 Opioïdes et opiacés Les opiacés regroupent les constituants naturels et semi-synthétiques de l’opium (codéine, morphine, héroïne), alors que la notion d’opioïdes englobe également les substances entièrement synthétiques. Malgré des structures très différentes, les opioïdes possèdent une gamme d’effets désirables et indésirables comparable, principalement dus à leur liaison à différentes classes de récepteurs aux opioïdes (récepteurs µ, δ et κ). Les agonistes purs sont à différencier des antagonistes partiels (comme buprénorphine, pentazocine, nalorphine). Tous les opioïdes peuvent engendrer une toxicomanie et une dépendance, qui semblerait toutefois moins forte pour les antagonistes partiels. Les drogues de synthèse dérivées du fentanyl, appelées «héroïne synthétique» (α-méthylfentanyl «china white» et 3-méthylfentanyl «persian white») sont jusqu’à 3000 fois plus puissantes que la morphine. Elles engendrent presque immédiatement une euphorie prononcée, ainsi qu’une rigidité thoracique extrême et une dépression respiratoire, même à petites doses, qui aboutissent souvent à la mort. Des impuretés contenues dans les esters de la péthidine (MPPP, PEPAOP) ont provoqué un syndrome parkinsonien grave et irréversible. En règle générale, une réaction de sevrage apparaît lorsque l’opioïde faisant l’objet de l’abus, quel qu’il soit, n’est plus pris; une réaction de sevrage aiguë peut également être déclenchée lorsqu’un antagoniste des opiacés est administré (naloxone, naltrexone). La synthèse et la libération de noradrénaline est inhibée au niveau présynaptique par l’intermédiaire des récepteurs aux opioïdes. Cette inhibition est supprimée durant le sevrage, laissant place à une véritable «marée de noradrénaline». L’administration de clonidine, un agoniste α2, permet d’inhiber similairement la synthèse de noradrénaline au niveau présynaptique et de traiter les symptômes adrénergiques durant une réaction de sevrage. De très graves intoxications peuvent avoir lieu durant un traitement de sevrage par la naltrexone lorsque les patients essaient de contre-carrer son effet antagoniste par une augmentation massive des doses d’opiacés. Les anciens toxicomanes dépendant des opioïdes ne devraient pas être réexposés trop facilement aux opioïdes, car la dépendance psychique persiste bien plus longtemps que la dépendance physique. 281 Tableau clinique: D’abord survient une euphorie, qui fait place à des sentiments dysphoriques rapidement après le «kick» obtenu lors d’abus répétés. L’intoxication aiguë se caractérise par les symptômes suivants: sédation allant jusqu’au coma; myosis; à des doses plus élevées, inhibition de la réaction du centre respiratoire à l’irritation due au CO2 avec dépression respiratoire; également typiques: bradycardie, hypotension artérielle, hypothermie et diminution des réflexes allant jusqu’à l’aréflexie, y compris inhibition du réflexe de la toux, également rigidité des muscles striés, surtout au niveau du tronc, augmentation du tonus des muscles lisses avec constipation et rétention urinaire; prurit, ainsi que vasodilatation générale et bronchoconstriction dues à la libération d’histamine. Le stade chronique est marqué par une importante dépendance psychique et physique, ainsi que par le développement d’une tolérance. La tolérance peut régresser dès quelques jours d’abstinence; un risque de dépression respiratoire existe réellement lors d’une réexposition. Comme la polytoxicomanie s’accompagne souvent d’isolement social, les données sur les lésions chroniques altérant les fonctions cérébrales sont rares. Une évolution vers la dépression est cependant fréquente. De plus, des troubles du système immunitaire accompagnés d’infections virales et bactériennes locales se manifestent. Une lésion directe toxique peut apparaître sous forme de cardiomyopathie ou d’un œdème pulmonaire, bien connu avec l’héroïne. Si la stimulation des récepteurs aux opiacés par des opioïdes exogènes disparaît, l’activité du sympathique augmente rapidement et une réaction de sevrage apparaît, qui débute par le besoin intense de drogue («craving») et des sentiments d’anxiété, suivis de bâillements, de nervosité, d’insomnie, de transpiration, de larmoiement et de rhinorrhée, puis de mydriase, chair de poule, tremblements, spasmes et douleurs musculaires, bouffées de chaleur. Un syndrome de sevrage marqué verra l’apparition supplémentaire de tachycardie, élévation tensionnelle, tachypnée, nausées, fièvre, ultérieurement diarrhée, vomissements, transpiration excessive et douleurs massives des membres. Avec l’héroïne et la morphine, les premiers symptômes apparaissent après 8 à 10 heures; ils atteignent leur maximum après 2 à 3 jours. Avec la méthadone, les premiers symptômes s’observent après 12 à 24 heures et persistent 1 à 3 semaines. La réaction de sevrage est éventuellement un peu plus faible avec les agonistes partiels. L’arrêt de drogues «coupées» peut également provoquer des symptômes d’abstinence. Des vasospasmes accompagnés d’infarctus cérébral et du myocarde ont été occasionnellement observés. Mesures thérapeutiques: Administrer la naloxone comme antagoniste spécifique des opioïdes en cas de dépression respiratoire potentiellement mortelle et de risque d’insuffisance cardiovasculaire; surveiller le rythme cardiaque, car des troubles du rythme ventri282 culaire et des fibrillations ventriculaires sont possibles, spécialement en cas d’intoxications mixtes avec de la cocaïne: – intoxication chez l’adulte: 0,4 mg (–2 mg) de naloxone, à doser en fonction des signes cliniques (dilatation pupillaire, fréquence respiratoire, pression sanguine, conscience); – intoxication chez le toxicomane dépendant des opiacés: après la dose initiale, titrer la naloxone par palier de 0,2 mg afin d’éviter les symptômes de sevrage aigus; une éventuelle perfusion après la dose initiale permet d’antagoniser l’effet des opioïdes de longue durée d’action (comme la méthadone) et la «remorphinisation»; – intoxication chez le petit enfant: naloxone 0,01 mg/kg de poids corporel; – en cas d’œdème pulmonaire toxique: respiration avec PEEP, les diurétiques sont le plus souvent inutiles; – en présence de symptômes de sevrage: clonidine (HCl) 3 × 0,3 mg p. o. en surveillant la pression sanguine et le pouls, augmenter éventuellement jusqu’à 1,2 mg p. o. par jour; diminuer progressivement la clonidine après 4 à 7 jours pour l’héroïne, ou après 14 jours pour la méthadone (attention: augmentation de la pression sanguine à l’arrêt du traitement!); les benzodiazépines peuvent momentanément être utiles, mais doivent être utilisées avec retenue (dépendance); – en cas de vasospasmes: inhibiteurs calciques ou magnésium i. v. 2.3 Cocaïne La cocaïne stimule la libération de neurotransmetteurs biogènes et inhibe la recapture synaptique de la noradrénaline et de la dopamine. La cocaïne provoque ainsi une intoxication aux catécholamines fulgurante, aiguë et dose-dépendante; les réserves de tous les neurotransmetteurs biogènes s’appauvrissent rapidement. Dynamique d’action: forte euphorie après quelques secondes (i. v., «crack») ou quelques minutes («sniffer») avec augmentation de la conscience de sa propre valeur, sensations intenses et diminution de l’anxiété. Disparition de l’euphorie après quelques minutes («crack») ou 1⁄2 heure (i. v., «sniffer») avec augmentation des sentiments d’anxiété, illusions et hallucinations allant jusqu’à des perceptions paranoïdes; besoin impératif d’une nouvelle dose («craving»). Sans nouvelle dose, «crash» accompagné de fatigue, perte d’entrain et forte tendance dépressive; besoin intense de cocaïne. L’euphorie générée par la cocaïne devient un objectif vital («junkie state»). Augmentations des doses dues au développement d’une tolérance et passage à un abus chronique en cas de «craving» fréquent. En cas d’application chronique, carence permanente en neurotransmetteurs, avec mécanismes d’adaptation fonctionnels et structuraux au niveau du cerveau, ainsi que symp- tômes de toxicité directe ou indirecte de la cocaïne, touchant potentiellement tous les systèmes organiques. La consommation simultanée d’alcool atténue l’hyperactivation du SNC; l’alcool provoque simultanément l’apparition de l’éthylcocaïne, un métabolite de la cocaïne dont le potentiel de toxicité et de dépendance est comparable à celui de la cocaïne ellemême. Tableau clinique: En cas d’intoxication aiguë, la stimulation massive du système nerveux adrénergique provoque mydriase, agitation prononcée, transpiration, tachycardie et hypertension artérielle. La vasoconstriction générale accompagnée de spasmes ou de la formation de thrombi, et l’augmentation des besoins en oxygène peuvent provoquer des signes ischémiques allant jusqu’à l’infarctus du myocarde. Arythmies ventriculaires par surcharge en calcium intracellulaire, plus blocage des canaux sodiques; des bradyarythmies accompagnées de torsades de pointes sont également possibles. Comme au niveau cardiaque, des accidents vasculaires peuvent se produire au niveau cérébral (lésions ischémiques et hémorragies cérébrales), le facteur pathogénétique étant un appauvrissement en magnésium intracellulaire en plus de l’activation sympathique. Panique, psychoses et crises épileptiques sont d’autres symptômes graves touchant le SNC, en dehors d’illusions marquées et d’hallucinations. L’apparition supplémentaire d’une rhabdomyolyse accompagnée d’insuffisances rénale et hépatique et d’hyperthermie débouche sur un pronostic sérieux. L’intervalle libre de drogues lors d’un abus chronique est caractérisé par un important syndrome d’anhédonie, partiellement accompagné de troubles dépressifs graves et de réactions psychotiques ou d’idées délirantes. Désintégration sociale croissante avec augmentation du risque de polytoxicomanie et ses conséquences. Augmentation du nombre d’infections, y compris endocardite, pas seulement en cas d’application i. v. Dissection aortique, hypertrophie ventriculaire gauche et cardiomyopathie sont les conséquences à long terme. La toxicité de la cocaïne est probablement plus élevée durant la grossesse et la période prénatale. L’influence de la cocaïne sur le fœtus et le développement précoce de l’enfant fait l’objet d’une recherche intensive. Mesures thérapeutiques: – benzodiazépines en cas d’anxiété et d’agitation, également lors d’élévation de la température corporelle et en cas de crises épileptiques; – substitution volumique, refroidissement physique par enveloppements de glace; éventuellement sulfate de magnésium i.v. en cas d’hyperthermie potentiellement mortelle; – en cas de réactions psychotiques: halopéridol; – α-bloquant (phentolamine) en cas d’hypertension artérielle (attention: un blocage uniquement bêta entraîne une aggravation à cause de la fraction alpha-adrénergique non bloquée); – nitroglycérine sublinguale en cas d’arythmies; suite du traitement selon les directives valables en cardiologie (attention: pas d’antiarythmiques de type I, car la cocaïne bloque déjà les canaux sodiques); – en cas de toxicité hépatique: N-acétylcystéine en raison de l’appauvrissement en glutathion dû à la cocaïne, éventuellement traitement antioxydant par les vitamines C et E; – en cas de craving massif: traitement psychiatrique, éventuellement antidépresseur. 2.4 Amphétamines Les amphétamines possèdent des propriétés dopaminergiques et de puissantes propriétés adrénergiques. A doses élevées, elles provoquent en plus une libération de sérotonine et inhibent la recapture synaptique des amines biogènes. L’effet s’amenuise avec l’épuisement des réserves d’amines. Les principaux sites d’action se trouvent dans les neurones nigrostriataux (stéréotypies), l’hypothalamus (inhibition de l’appétit), la formation réticulée (augmentation de l’activité) et le système nerveux sympathique périphérique (symptômes végétatifs). De nombreuses substances d’action similaire sont produites illégalement par modification de la structure phényléthylaminique commune; certaines pénètrent mieux à l’intérieur du cerveau et agissent plus longtemps que l’amphétamine ellemême, comme entre autres la méthamphétamine («ice») et la phentermine. Le khat (Catha edulis) est une plante d’Afrique de l’Est dont la substance active est la norpseudoéphédrine; son effet stimulant sur le SNC est d’environ 10 % de celui de l’amphétamine. Tableau clinique: La toxicité aiguë touche essentiellement le SNC et le système cardiovasculaire. Euphorie, chez certains patients états anxieux dysphoriques, agitation motrice, augmentation de l’excitabilité allant jusqu’à l’agressivité, ainsi que stéréotypies sont caractéristiques. Les hallucinations sont typiques et peuvent faire partie du délire amphétaminique à côté de troubles du discernement, de l’orientation, de la mémoire et de la conscience. Les réactions psychotiques sont fréquentes et vont souvent de pair avec un délire de persécution et une mégalomanie. Mydriase, tremblements, transpiration, tachycardie et hypertension artérielle sont des symptômes végétatifs courants. Des crises épileptiques et des arythmies ventriculaires apparaissent à hautes doses. Une élévation excessive de la pression sanguine et des vasospasmes peuvent entraîner une dissection aortique, des infarctus et des hémorragies cérébrales. L’apparition d’une hyperthermie est également défavorable pour le pronostic, surtout si elle s’accompagne d’un syndrome de coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) et d’une rhabdomyolyse avec insuffisance rénale croissante. En cas d’application chronique, la perte de l’effet conduit à une augmentation de la posologie. Une 283 dose élevée ou une application i.v. provoquent un «kick», ou une sensation d’euphorie courte et excessive. La déprime qui s’ensuit pousse à reprendre de la drogue à intervalle toujours plus court, souvent jusqu’à épuisement total. Les troubles de la mémoire et les déficits cognitifs durent de quelques jours à plusieurs semaines. La dépendance psychique, ainsi que les troubles dépressifs chroniques et une anorexie marquée, conduisent à une désintégration sociale et souvent à une polytoxicomanie. L’abus chronique d’amphétamines conduit éventuellement à une lésion irréversible des neurones dopaminergiques et sérotoninergiques. L’amphétamine et la méthamphétamine peuvent de plus exercer un effet toxique direct sous forme de vasculite nécrosante ou de cardiomyopathie due à une hyperactivation adrénergique. Mesures thérapeutiques: – benzodiazépines en cas d’agitation et d’élévation de la température corporelle, de crises épileptiques, ainsi qu’en cas de délire accompagné d’agitation et d’anxiété ou de perturbations des fonctions vitales; – halopéridol en cas de délire ou d’hallucinations lorsque les fonctions vitales sont normales; – phentolamine, nifédipine, nitroprussiate de sodium en cas d’hypertension artérielle excessive; – lavements réfrigérants, sulfate de magnésium et refroidissement physique en cas d’hyperthermie. 2.5 Hallucinogènes, y compris champignons hallucinogènes Une hallucination est une distorsion de la réalité accompagnée d’une perception de choses inexistantes. Les véritables hallucinations se produisent spontanément et sans stimulation externe. Elles peuvent faire partie intégrante d’un délire accompagné de troubles du discernement, de l’orientation, de la mémoire et de la conscience. Elles représentent également un symptôme typique du sevrage des sédatifs/hypnotiques ou de l’alcool. Le terme «hallucinogènes» s’est toutefois établi pour un groupe de substances qui ne déclenche pas de délire mais très rarement de véritables hallucinations, et n’entraîne ni sédation ni troubles massifs de la mémoire en phase aiguë. Le symptôme majeur est constitué d’illusions, soit une distorsion des vrais stimuli venant de l’environnement. Contrairement aux véritables hallucinations observées sous amphétamine ou cocaïne, le patient sous hallucinogènes reste conscient que les hallucinations ne sont pas réelles (les termes «hallucinogène», «psychédélique» ou «illusiogène» sont fréquemment utilisés comme synonymes). On distingue deux groupes parmi les hallucinogènes: (1) les substances dont la structure est parente avec la noradrénaline et l’amphétamine (type phényléthylamine) et (2) celles parentes avec la sérotonine (type indol) dont le LSD est le plus puissant représentant. La psilocybine (principe actif des cham284 pignons hallucinogènes, «magic mushrooms») appartient également à ce deuxième groupe. Les drogues hallucinogènes agissent sur différents systèmes de neurotransmetteurs. Les signes cliniques sont généralement le résultat d’un effet sympathomimétique direct de ces substances ou d’une activation indirecte du système nerveux sympathique induite par les expériences psychiques vécues sous l’effet de ces drogues. Une action agoniste sur les récepteurs 5-HT2 postsynaptiques provoque l’effet hallucinogène. Les hallucinogènes de type indol se lient également aux récepteurs 5-HT1a présynaptiques et inhibent ainsi la libération de sérotonine. L’inhibition de ces récepteurs au niveau du tronc cérébral influence également les effets locomoteurs. En règle générale, ces substances provoquent une diminution du turnover de la sérotonine. La durée de l’effet varie largement (diméthyltryptamine (DMT) 1–2 h; LSD 6–8 h; mescaline 6–10 h; 2,5-diméthoxy-4-méthylamphétamine (DOM) plus de 24 h). En cas de prises répétées, développement d’une tolérance en 2–3 jours diminuant l’effet hallucinogène. Tableau clinique: Une situation potentiellement mortelle est rare. L’évolution fatale observée sous LSD est généralement due à un accident provoqué par les hallucinations. Les cas d’hémiplégie ont été mis sur le compte de vasospasmes. L’intoxication aiguë est caractérisée en premier lieu par des troubles somatiques comme des vertiges, paresthésies, tremblements et faiblesse musculaire, ainsi que des troubles de la perception visuelle et auditive, de la concentration et de l’attention, mais aussi des modifications psychiques éventuellement accompagnées de sautes d’humeur extrêmes, de rêveries, d’une forte augmentation des sensations tactiles et d’une modification de la notion du temps. Les stimuli sensoriels se mélangent; le patient «entend» les couleurs et «voit» les odeurs (= synesthésies). Les objets glissent les uns dans les autres et le «moi» ne peut plus être séparé de ce qui l’entoure. En présence de troubles psychiques préexistants, évolution dramatique avec «bad trips» et sentiments de dépersonnalisation; anxiété et crises de panique peuvent apparaître dans de telles situations. La désorganisation de la personnalité provoquée par les hallucinogènes peut conduire à des troubles de longue durée de la personnalité. D’autres effets chroniques regroupent dépressions et «flashbacks» (ou reviviscences); il s’agit de l’apparition spontanée de symptômes après une phase d’abstinence qui peuvent engendrer des crises de panique et des réactions psychotiques des semaines après l’ingestion de la dernière prise. Mesures thérapeutiques: Une perception erronée de la réalité et la peur peuvent être responsables de comportements autodestructeurs. C’est pourquoi la première priorité consiste à parler sur un ton tranquille et continu, dans un environnement calme et protégé de tout brusque stimulus externe («talk- down»), comme cela se pratique avec succès dans les cercles de consommateurs. – benzodiazépines en cas d’agitation importante mélangée de peur; – 50–100 mg de chlorpromazine p. o. (ou i. m.) ou 2–4 mg d’halopéridol i. m. en cas d’agitation importante accompagnée de réactions psychotiques. Attention: pas de bêtabloquants pour traiter les effets sympathomimétiques à cause de la fraction alphaadrénergique non bloquée! 2.6 Méthylènedioxy-3,4-méthamphétamine (MDMA, ecstasy) La MDMA est devenue dans les années 1990 une drogue culte parmi les adeptes de soirées techno. La substance montre une structure apparentée à l’amphétamine et à la mescaline et occupe ainsi une position intermédiaire entre les hallucinogènes et les stimulants purs. Les effets stimulants sur le SNC et les effets psychédéliques sont provoqués par la brusque libération de monoamines et par l’inhibition de leur recapture synaptique. De plus, la MDMA inhibe la tryptophane hydroxylase, essentielle à la synthèse de la sérotonine. La baisse du taux de sérotonine dans le cerveau se redresse 24 heures après une prise unique de 0,5 à 1,5 mg/kg. Une carence durable en sérotonine s’observe lors de l’utilisation chronique de doses suffisamment élevées, qui limite les processus émotionnels et cognitifs. La courbe dose-toxicité est très penchée: des troubles partiellement irréversibles avec destruction de neurones sérotoninergiques ont été mis en évidence chez les rongeurs et les primates après l’administration répétée de doses 5 fois supérieures à la dose de «consommation habituelle». Les demandes adressées au CSIT laissent supposer une tendance vers une consommation plus fréquente et de doses plus élevées. L’incertitude sur le contenu exact des comprimés d’ecstasy représente un risque supplémentaire pour le consommateur. Tableau clinique: La MDMA exerce un effet excitant et renforce les perceptions sensorielles, principalement celles produites par la musique et la lumière, jusqu’à l’illusion; elle exacerbe de façon aiguë le sentiment de sa propre valeur, de performance et d’euphorie; le renforcement des sensations intérieures et de la perception est décrit comme «entactogène». Les effets négatifs se résument en une réaction de stress avec tachycardie, augmentation de la pression sanguine, tremblements et transpiration. Trismus et crampes musculaires principalement dans la zone maxillaire sont fréquents. Flashbacks, crises de panique et réactions psychotiques peuvent apparaître aussi bien dans les premières 24 heures après la prise que des jours, voire des semaines plus tard. Ces symptômes précisément ne dépendent pas uniquement de la dose mais apparaissent également après une prise unique (facteurs prédisposants?). Une élévation de la température corporelle à plus de 40 °C représente un signal d’alarme; la combinaison hyperthermie, crise épileptique, rhabdomyolyse, coagulation intravasculaire disséminée avec chute tensionnelle et défaillance rénale a été observée dans la plupart des cas de décès. Une insuffisance hépatique a également un pronostic très sérieux. Le mode de prise actuel semble consister en des doses en majorité faibles avec de longs intervalles sans MDMA, ce qui pourrait expliquer l’apparence inoffensive de la toxicité aiguë. Les risques liés à la prise chronique et fréquente de MDMA ne sont pas encore clairement définis chez l’être humain, malgré les données expérimentales animales. Des épisodes de panique, de dépressions et de psychoses sont documentés à plusieurs reprises dans la littérature. Des dépressions dues au manque, des troubles de l’humeur, une nervosité intérieure et des troubles de la mémoire ont été également décrits lors d’abus chronique. Mesures thérapeutiques: En phase aiguë, il suffit généralement d’administrer une importante quantité de liquide en surveillant les électrolytes et la fonction rénale (la température ne peut pas se normaliser efficacement en l’absence d’un volume extracellulaire suffisant!) et de traiter l’anxiété et l’agitation (diazépam i.v.); – en cas d’hyperthermie potentiellement mortelle: lavements réfrigérants, sulfate de magnésium, éventuellement anesthésie avec ventilation mécanique; – tachycardie et élévation tensionnelle excessive: phentolamine; benzodiazépines; – paranoïa/psychose: essayer les neuroleptiques ou les benzodiazépines; éviter les médicaments sérotoninergiques (comme les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine) en raison du risque de syndrome sérotoninergique. 2.7 Phencyclidine (PCP) et substances apparentées La popularité de la PCP a diminué au cours de ces dernières années. La PCP a été développée à l’origine comme anesthésique dissociatif, déconnectant les patients de la réalité sans perte de conscience et sans perception de la douleur. Le blocage du canal ionique régulé par le récepteur NMDA lui confère ces effets. De nombreuses substances analogues ont été produites en modifiant la structure de la PCP. De puissance variable, ces substances sont utilisées comme anesthésiques (par ex. la kétamine) ou vendues comme drogues de synthèse. La PCP exerce un effet dose-dépendant sur pratiquement tous les systèmes de neurotransmetteurs importants, y compris le système opioïde endogène. Son potentiel de dépendance est semblable à celui des opiacés et de la cocaïne. L’apparition simultanée d’effets centraux stimulants et déprimants en cas de surdosage sont typiques de la PCP et de ses dérivés. La présence du produit intermédiaire contaminant PC (1-pipéridinocyclo-hexanecar285 bonitrile) peut provoquer une intoxication au cyanure. Tableau clinique: L’intoxication aiguë est caractérisée par le rétrécissement des pupilles, agitation et panique allant jusqu’à des actes de violence, ainsi que de sévères réactions délirantes ou psychotiques. L’apparition d’un nystagmus typique facilite le diagnostic différentiel de la PCP par rapport aux autres drogues. L’activité sympathique est également prononcée, avec tachycardie, hypertension artérielle, transpiration et «flushing». Après le «high», les patients sont souvent dysphoriques, anxieux et dépressifs. Le développement d’une hyperthermie, d’une rhabdomyolyse et d’un coma est le signe d’une intoxication grave. Les symptômes persistent normalement entre 7 et 16 h, mais peuvent durer jusqu’à une semaine en cas d’abus chronique et de «runs» durant des jours entiers, ce qui nécessite une surveillance prolongée. A hautes doses et en présence de maladies psychiatriques préexistantes, des psychoses chroniques de très mauvais pronostic peuvent se déclencher. De plus, l’utilisation chronique de PCP prédispose au «postwithdrawal state» à l’arrêt de la prise, accompagné de léthargie dépressive, de troubles du sommeil et de l’appétit. La PCP traverse le placenta et peut déclencher chez le nouveau-né un syndrome de sevrage similaire à celui des narcotiques. Mesures thérapeutiques: Le meilleur traitement des impulsions agressives et autoagressives est la mise en place d’une sédation dans un environnement tranquille, dépourvu le plus possible de stimulations sensorielles: – liquide en suffisance pour garantir la thermorégulation; – en cas d’agitation: 10 mg de diazépam i. v., éventuellement à répéter; ou 2–5 mg d’halopéridol i. m. ou i. v. (pas de phénothiazines anticholinergiques en phase aiguë!); – en cas de tachycardie importante et d’hypertension artérielle: labétalol; – en cas de rhabdomyolyse marquée: assurer la diurèse et envisager une alcalinisation de l’urine; – en cas d’état dépressif: antidépresseur (après disparition des signes d’intoxication anticholinergiques!). 2.8 Gamma Hydroxybutyrate et Gammabutyrolactone Le Gamma Hydroxybutyrate (GHB, «liquid ecstasy», 4-hydroxybutyrate) est un analogue synthétique du GABA (acide γ-aminobutyrique), un neurotransmetteur inhibiteur central qui se trouve en traces dans le SNC. La substance a été synthétisée pour la première fois en 1960 et utilisée comme narcotique en anesthésie. L’absence d’effet analgésique et ses effets indésirables (convulsions) ont provoqué l’abandon du GHB en anesthésie; sa présence sur le marché a pourtant continué dans les années 1980 comme somnifère ven286 du sans ordonnance. La substance a connu une nouvelle ère de popularité principalement dans les milieux culturistes («body building») au début des années 1990 comme lifestyle-drug. Les effets qui lui ont été attribués et jamais démontrés regroupent sa capacité de stimuler la libération de l’hormone de croissance, des effets anabolisants, une induction du sommeil et des effets anorexigènes. Le GHB est considéré comme euphorisant et hallucinogène. Se présentant sous forme liquide pratiquement inodore et insipide, il est occasionnellement utilisé à des fins criminelles comme «date-rape drug» ou «knock-out drops» car il peut être mélangé à une boisson à l’insu de la victime. Les autorités sanitaires de différents pays l’ont déclaré illégal après que plusieurs incidents (rarement mortels) aient été mis en rapport avec son utilisation toujours plus fréquente dans les milieux branchés. Comme pour les drogues de synthèse, sa vente est passée alors par le biais du marché noir. Une grande diffusion existe actuellement via Internet. La Gammabutyrolactone (GBL) et la Gammavalérolactone (GVL) sont des précurseurs chimiques dans la synthèse du GHB et permettent sa production. La GBL et la GVL sont transformées dans l’organisme en GHB. Leur tableau d’intoxication correspond à celui du GHB. Depuis début 2002, date depuis laquelle le GHB est soumis en Suisse à la loi sur les stupéfiants, la consommation de la GBL semble augmenter. Tableau clinique: Une dose de 10 mg/kg de GHB entraîne une amnésie de courte durée, 20–30 mg/kg provoquent une somnolence et 50–70 mg/kg induisent sommeil (hypnose) et hypotension. Sa résorption depuis le système gastro-intestinal est rapide, mais incomplète. Son effet se manifeste après 15 min environ; les taux plasmatiques maximaux sont dosedépendants et sont atteints entre 25 min (après 12,5 mg/kg) et 45 min (après 50 mg/kg). Sa durée d’action varie entre 4 et 6 heures (2 à 96 heures dans les cas extrêmes). La demi-vie d’élimination terminale est d’environ 20 min. Le GHB traverse les barrières hématoencéphalique et placentaire. Les signes aigus provoqués par le GHB regroupent en première ligne des symptômes nerveux centraux: somnolence, délire, coma. Des crises épileptiques (grand mal et petit mal de type absence) et des convulsions épileptiformes sont fréquentes, bien que certains auteurs doutent que ces convulsions soient de véritables crises épileptiques. A fortes doses, une dépression respiratoire et une apnée peuvent apparaître. Bradycardie, vomissements et hypothermie ont été également observés, les décès apparaissant à la suite de complications (blessures causées par une perte de connaissance rapide, apnée, aspiration). Les combinaisons avec d’autres substances sont dangereuses, surtout les médicaments dépresseurs du SNC (opiacés, alcool, benzodiazépines, cannabis, amphétamines). Des données récentes indiquent que l’abus chronique de GHB peut engendrer une dépendance physique lorsque la sub- stance est consommée pendant longtemps à intervalles courts (quelques heures) et à hautes doses. Mesures thérapeutiques: Maintien des fonctions vitales: – lorsque la protection des voies respiratoires n’est pas assurée chez le patient comateux: intubation trachéale; – en cas de crises épileptiformes: benzodiazépines (par ex. diazépam). 2.9 Nitrite d’amyle et substances apparentées («poppers») Les nitrites d’amyle, de butyle et d’isobutyle («poppers») sont utilisés principalement dans les milieux homosexuels comme substances à inhaler pour augmenter l’activité sexuelle. Leur effet est dû à une intense vasodilatation (dans la région du bassin). Sur le marché noir, ces préparations sont souvent proposées sous une dénomination trompeuse («produits d’ambiance»). Tableau clinique: Les effets aigus sont dus à la vasodilatation et se manifestent par une rougeur cutanée (flush), une hypotension orthostatique, des palpitations et une tachycardie. L’apparition de céphalées dues aux nitrates, de xanthophtalmie, de nausées et de vomissements est typique. Les nitrites augmentent la pression intraoculaire et peuvent déclencher une dermatite. Un surdosage peut provoquer hypotension (éventuellement choc), bradycardie, méthémoglobinémie, anémie hémolytique et coma. Une association possible existe entre un abus chronique et l’apparition accrue d’un sarcome de Kaposi chez les personnes infectées au VIH. Les nitrites ont probablement un effet cancérigène dû à la formation de nitrosamines. Mesures thérapeutiques: – en cas d’hypotension: substitution volumique; – en cas de méthémoglobinémie (> 30 %): bleu de méthylène i. v. 2.10 Abus de solvants volatils ou de gaz inhalés La consommation abusive de solvants organiques volatils, mais également de protoxyde d’azote (gaz hilarant, N2O), est souvent due à leur effet enivrant. Le nombre des solvants potentiellement utilisables est important, mais le toluène (diluant pour peinture), la benzine, le butane (combustible pour briquet) et les hydrocarbures halogénés (diluants pour liquide correcteur de machines à écrire, gaz propulseurs, solvants utilisés pour le nettoyage chimique) sont le plus souvent incriminés dans les cas d’abus. Tableau clinique: L’intoxication aiguë qui consiste à inhaler sous forme concentrée le solvant ou le produit contenant le solvant (colle, «glue sniffing») à partir d’un chiffon ou d’un récipient (sac plastique, bidon), conduit rapidement à une ivresse qui persiste plusieurs heures. Les symptômes sont un état soporeux, excitation, agitation, hallucinations, convul- sions, vertiges, nystagmus et dépression respiratoire. Des complications mortelles ne sont pas si rares. Le danger d’asphyxie peut être réel lors d’une technique d’inhalation inappropriée et en présence éventuelle d’une dépression respiratoire centrale. Des troubles du rythme cardiaque (dus à une sensibilisation du myocarde aux catécholamines) sont fréquemment une cause de décès (mort subite), surtout avec les hydrocarbures halogénés. Ceux-ci peuvent de plus entraîner une hépatite toxique grave (classique avec le tétrachlorure de carbone). Les symptômes dus au toluène regroupent faiblesse musculaire et rhabdomyolyse, acidose métabolique (tubulaire) et hypokaliémie. Finalement, des accidents provoqués par l’ivresse sont fréquents, de même que des brûlures, car ces substances sont hautement inflammables. En cas d’abus chronique de solvants organiques sur plusieurs années, des lésions graves et partiellement irréversibles peuvent s’observer touchant principalement les reins, le système hématopoïétique (benzène), la peau, le foie, le cœur et la circulation, ainsi que le système nerveux central et périphérique (parésies, spécialement atrophie cérébrale et cérébelleuse). L’abus de gaz hilarant constitue une situation particulière. Ce gaz narcotique employé en anesthésie est utilisé abusivement par le personnel médical (accès facile), mais aussi par des profanes qui se servent des cartouches de gaz destinées aux bombes de chantilly, car elles contiennent du protoxyde d’azote comme gaz propulseur. Depuis peu, des ballons remplis de gaz hilarant se trouvent dans des soirées ou en discothèque, l’inhalation de leur contenu entraînant l’ivresse recherchée (euphorie, désinhibition, analgésie douce, rêveries agréables). Son emploi aigu cause peu d’effets toxiques, bien qu’un déplacement de l’oxygène puisse entraîner une asphyxie accompagnée de lésions anoxiques. Finalement, le gaz hilarant exerce une inhibition réversible sur le système hématopoïétique. En cas d’utilisation chronique, il peut provoquer une polynévrite sensomotrice. Mesures thérapeutiques: – suppression rapide de l’exposition, administration d’oxygène; – en cas de pancytopénie: vitamine B12 et acide folique. Abréviations DOM 2,5-Diméthoxy-4-méthylamphétamine DMT Diméthyltryptamine GABA γ-Aminobutyrate GBL γ-Butyrolactone GHB γ-Hydroxybutyrate LSD Diéthylamide de l’acide d-lysergique MDA 3,4-Méthylènedioxyamphétamine MDEA 3,4-Méthylènedioxyéthamphétamine 287 MDMA MPPP NMDA PC PCP PEEP PEPAOP THC 3,4-Méthylènedioxyméthamphétamine N-Méthyl-4-phényl-4-propoxypipéridine N-Méthyl-D-aspartate 1-Pipéridinocyclohexanecarbonitrile Phencyclidine Pression positive résiduelle expiratoire N-Phenéthyl-4-phényl-4-acétoxypipéridine Tétrahydrocannabinol Noms courants utilisés dans la rue Adam MDA China white α-Méthylfentanyl Crack Cocaïne Ecstasy MDMA Ecstasy liquide γ-Hydroxybuturate (GHB) Eve MDEA Ice Méthamphétamine Herbe, Grass Marijuana Persian white 3-Méthylfentanyl Poppers Nitrite d’amyle, nitrite de butyle, nitrite d’isobutyle Les noms indiqués ici sont des exemples que l’on peut entendre typiquement dans la rue. Les substances sont parfois appelées par des noms différents. Inversement, un même nom peut désigner plusieurs substances différentes. Bibliographie Camí, J.; Farré, M.: Drug addiction. N. Engl. J. Med. 349: 975–986 (2003). Hall, W.; Solowij, N.: Adverse effects of cannabis. Lancet 352: 1611–1616 (1998). Nestler, E. J.: Molecular basis of long-term plasticity underlying addiction. Nat. Rev. Neurosci. 2: 119–128 (2001). Vollenweider-Scherpenhuyzen, M. F. I.; Vollenweider F. X.: Notfälle bei Drogenmissbrauch. Internist 41: 886–898 (2000). Nichols, D. E.: Differences between the mechanism of action of MDMA, MBDB and the classic hallucinogens. Identification of a new therapeutic class: entactogens. J. Psychoactive Drugs 18: 305–313 (1986). Miller, N. S. (ed.): Comprehensive Handbook of Drug and Alcohol Addiction (Marcel Dekker Inc., New York, 1991). Lowinson, J. H.; Ruiz, P.; Millman, R. B.; Langrod, J. G. (eds.): Substance Abuse; 2nd ed. (Williams & Wilkins, Baltimore, 1992). Goldfrank, L. R.; Flomenbaum, N. E.; Lewin, N. A.; Howland, M. 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