Les conflits sociaux

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Les conflits sociaux
Agrégation de sciences économiques et sociales | Préparations ENS 2004-2005
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agrégation de sciences économiques et sociales
préparations ENS 2004-2005
Les conflits sociaux
MENDRAS Henri (1988) : La Seconde Révolution française 1965-1984
Fiche de lecture réalisée par Lise Bernard (ENS-LSH)
MENDRAS Henri (1988), La Seconde Révolution française 1965-1984, Gallimard
Introduction
Dans La Seconde Révolution française, publié pour la première fois en 1988, Henri Mendras n’aborde pas
de front la question des conflits sociaux. Il s’agit d’un ouvrage traitant essentiellement des multiples
transformations qu’a connues la société française des années 1960 aux années 1980. Ces transformations
ont, aux yeux de l’auteur, tant bouleversé la structure sociale qu’il les compare à une « Seconde
Révolution française ». La question des conflits apparaît surtout dans le chapitre 4 intitulé « la faucille et
le marteau » et le chapitre 12 « une révolution morale ? », mais demeure inséparable de la réflexion que
mène H.Mendras sur l’ensemble de la société française. Nous présenterons donc ces deux évolutions en
parallèle.
Remise en cause de la structure de classes et déclin du
syndicalisme
De 1965 à 1984, la société française connaît de profonds bouleversements : elle passe d’une « structure de
classes » à une société où les frontières entre groupes sociaux sont plus ténues. Cette évolution générale
s’accompagne du passage d’un combat syndical intégré à la structure de classes à un déclin du
syndicalisme.
Le premier XXème siècle
Le premier XXème siècle se caractérise, selon H.Mendras, par une « structure de classes », au sens où les
clivages entre groupes sociaux demeurent importants. Il distingue deux clivages principaux, les inégalités
de richesse et de niveau de vie et les clivages culturels qui se cristallisent dans les « styles de vie » et les
manières d’être.
La société française se compose alors de quatre classes sociales :
- les « paysans », dont le poids démographique est important, constituent un groupe fermé.
- La classe ouvrière, dont le poids démographique, suite à l’industrialisation, est important. Elle se
caractérise par une forte conscience de classe, le sentiment d’appartenance à un groupe et un sentiment
d’opposition.
- la bourgeoisie est la classe dominante. Elle est dotée d’un fort pouvoir économique (il s’agit d’une
classe de propriétaires) et d’un certain « style de vie » (habiter dans « beaux quartiers », posséder une
maison de campagne, avoir des domestiques à son service…). La bourgeoisie a aussi une forte influence
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politique. Ses membres ont eu le privilège de fréquenter le lycée et disposent alors d’une culture propre
(notamment les « humanités »).
- Les classes moyennes ont une importance numérique encore relative. Elles occupent des positions
intermédiaires. Nombreux sont ses membres en voie d’ascension sociale. Elles regroupent notamment les
commerçants, artisans, petits fonctionnaires, instituteurs, professeurs et salariés du privé.
Cette « structure de classes » ne laisse que peu de place à la mobilité sociale et se caractérise par
l’importance des rapports de domination. Dans un tel cadre, « le combat syndical s’intégrait visiblement
dans la structure de classes » note H.Mendras. Ainsi, la classe ouvrière a développé deux institutions qui
lui sont propres : le syndicalisme et le parti communiste. Ces deux institutions favorisent une certaine
« conscience de soi » (Marx). La prégnance des rapports de domination se manifeste par l’importance des
conflits sociaux : dans un « univers de capitalisme libéral », des grèves ouvrières contre un patron
« connu et visible » s’ajoutent à de violentes grèves paysannes (comme celle des bûcherons du
Bourbonnais) favorisant d’idée d’une petite paysannerie rouge.
Les facteurs de changement
Vers une sortie de la structure de classes
Quatre grandes évolutions ont favorisé l’érosion de cette structure de classes :
- L’évolution de la population active : l’accélération de l’exode rural à partir des années 1950, la
croissance démographique ouvrière jusqu’aux années 1970 précédant une diminution des effectifs
(accompagnant une certaine désindustrialisation) et la tertiarisation de l’économie favorisant d’un
accroissement des employés et des classes moyennes bouleversent la répartition des effectifs
caractéristiques du premier XXème siècle.
- L’enrichissement de la société française : la croissance économique forte des « Trente Glorieuses »
favorise un enrichissement de la société française qui a profité à tous les groupes sociaux et notamment
aux employés et aux ouvriers dont les niveaux de vie augmentent significativement. Ainsi, même si les
différences entre groupes sociaux persistent, on perçoit tout de même une réduction certaine des écarts
entre groupes.
- La forte croissance des classes moyennes : la multiplication des emplois « intermédiaires » dans les
entreprises et le secteur public (enseignants, travailleurs sociaux, infirmiers…).
- Les phénomènes de diffusion culturelle : la généralisation de la scolarisation, le développement des
médias de masse (radio, télévision) suscitent une érosion des anciennes frontières culturelles entre les
groupes sociaux.
Les facteurs du déclin de syndicalisme
Ces évolutions s’accompagnent d’un déclin du recrutement syndical à partir de la fin des années 1970. Si
Mendras note que ce déclin se manifeste dans l’ensemble des pays occidentaux, il se centre sur le cas
français et discerne trois principaux facteurs :
- Le déclin de la grande industrie : la grande industrie lourde laisse la place à l’industrie électronique ou
chimique. Or, le syndicalisme était surtout important dans l’industrie lourde traditionnelle (charbonnage,
sidérurgie, métallurgie…) et les services et industries nouvelles se développant sont bien souvent peu
syndiqués.
- Le déclin du parti communiste : le PC passe d’une organisation de masse à un parti de militants. Si en
1945, un quart des Français ont voté en faveur du PC, le parti communiste ne représente, à l’heure où
écrit Mendras (ie fin des années 1980), qu’à peine 10% des voix (et encore moins aujourd’hui…). Les
régions où le PC était le plus influent étaient le sud ouest rural et les banlieues des grandes villes
industrielles (notamment la couronne rouge du nord et l’est parisien). L’exode massif des petits paysans
et la modernisation de l’industrie expliquent en partie cette perte d’influence. Mendras souligne que le
PC, resté « fidèle à sa conception de la classe ouvrière » (regroupant les prolétaires des usines, mines et
champs), refuse de séduire d’autres classes sociales. Si le PC incarnait, pour ses militants, une « société
complète » (« [Le parti] leur explique le monde, la société et ses injustices, et fournit des réponses à toutes les
questions » écrit Mendras), le marxisme n’est plus considéré, à la fin des années 1980, comme « la seule
véritable science de la société » suite notamment aux dénonciations de Soljenitsyne ainsi qu’à l’attitude
de l’URSS en Pologne et en Afghanistan. Mais le déclin du PC peut aussi s’expliquer par
l’enrichissement de la société française : « Le misérabilisme devenait incongru dans une société qui
s’enrichissait rapidement et où les ouvriers voulaient se différencier des nouveaux pauvres et du quart
monde ».
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- la crise des années 1970 : Dans un contexte de chômage important, se syndiquer devient un « coût »,
dans la mesure où être syndiqué peut accroître le risque d’être licencié.
Les années 1980 : nouvelle structure de classes et transformations
du mouvement social
Une nouvelle structure sociale
La société française des années 1980, bien que toujours différenciée, se caractérise essentiellement par
des coupures sociales et culturelles plus atténuées que précédemment. Les années 1960-70-dbt 1980 ont
favorisé la « moyennisation » de la société française. La classe ouvrière, par exemple, laisse place à la
« constellation populaire » (Mendras) dont la position relative a profondément changé : il n’y a plus de
coupure sociale et culturelle entre les classes moyennes et la « constellation populaire ». Les classes
moyennes des années 1980 sont renommées, par H.Mendras, « constellation centrale ». Leur ascension
démographique s’est accompagnée d’une capacité d’influence accrue. Diplômés et plus instruits, les
membres de la « constellation centrale » prônent de nouvelles valeurs (union libre, mouvement
écologiste).
Une évolution des valeurs
Cette évolution de la structure sociale s’accompagne alors d’une évolution des valeurs, de la morale et des
mœurs, manifeste avec les événements de Mai 1968 derrière lesquels Mendras voit une « transformation
radicale » du « principe même de la légitimité civique et morale », dans la mesure où ce mouvement
laisse la possibilité à de nombreuses légitimités (sectes, mouvements marginaux, corporations, catégories
d’âges…) de s’affirmer. Dans cette lignée, les certitudes morales sont, dans les années 1980, en train de
fondre avec une progression d’un « relativisme cohérent qui autorise chacun à être soi à sa
manière ». Dans cette tolérance accrue résulte une plus grande variété de genres de vie au sein des
différents groupes sociaux et va de paire avec une atténuation des différences hiérarchiques. La « seconde
Révolution française » a donc favorisé le développement conjoint de la liberté et de l’égalité. « Dans les
années récentes, notre société a réduit l’écart entre les valeurs qu’elle proclame et la façon dont les gens
les vivent (…) En ce sens, on peut conclure que la révolution a fait plus de progrès en vingt ans, depuis
Mai 68, qu’en deux siècles ». Mai 1968 s’est accompagné de l’essor de nombreux mouvements sociaux
qui s’essoufflent depuis. Le féminisme, le régionalisme et le mouvement écologiste ont été, d’après
Mendras « tous très rapidement « récupérés » dans le fonctionnement normal des institutions », ce qui a
contribué à les « affadi[r] ». « Tous ces mouvements auront eu pour principal effet d’ouvrir un espace
politique et culturel neuf où leurs dirigeants ont fait leur apprentissage de notables ».
Cet essoufflement des mouvements sociaux s’accompagne d’une transformation du syndicalisme.
Un renouveau du syndicalisme ?
Depuis le milieu des années 1970, le syndicalisme français a perdu plus de la moitié de ses effectifs. Cette
réduction du syndicalisme n’est pas homogène, dans la mesure où les syndiqués demeurent assez
nombreux dans les entreprises nationalisées et les services publics, alors qu’ils sont très peu nombreux
dans les entreprises de moins de cent salariés. Si le nombre de syndiqués a diminué dans l’ensemble des
centrales, il est surtout en réduction à la CGT. Depuis les années 1970, les conflits sociaux se font de
moins en moins nombreux, ont tendance à se localiser tout en devenant souvent « plus longs et plus
durs ». Le nombre de grèves diminue jusqu’en 1993 (la première publication de l’ouvrage date de 1988, mais
une nouvelle édition est remise à jour en 1994 ; d’où ces chiffres…), le nombre de journées perdues à la suite de
grèves n’a jamais été aussi bas qu’au début des années 1990 : culminant à six millions en 1963, il
n’atteint pas 500 000 en 1991. Plus qu’une réduction conjoncturelle des effectifs, Mendras semble y voir
une transformation majeure du mouvement syndical.
A partir du milieu des années 1980, le syndicalisme se trouve confronté à de nouveaux défis, comme la
prise en compte des problèmes particuliers rencontrés par les travailleurs immigrés ainsi que les
transformations du monde du travail. Dans une société où le chômage atteint un niveau élevé (le chômage
touche plus de 10% de la population active française en 1985), Mendras soutient que les syndicats de révèlent
incapables de représenter et de protéger les chômeurs, la priorité étant donnée à la défense de l’emploi des
salariés.
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En dépit de la réduction des effectifs et des difficultés rencontrées, Mendras souligne bien que les
syndicats n’ont pas perdu leur influence sur la société. Ainsi, il semble que la perte de militants et la perte
de confiance s’accompagnent d’un « rôle sociétal renforcé ». Mendras note, en effet, que la télévision
accorde une place de plus en plus importante aux dirigeants syndicaux. De plus, la disparition progressive
de l’organisation taylorienne au sein de l’entreprise entraîne la diffusion des pratiques de concertation et
de négociation. Les négociations collectives se répandent notamment dans les entreprises sous la forme de
« cercles de qualité ». La gestion du temps, les horaires ainsi que l’amélioration des conditions de travail
relèvent aussi de la négociation. Depuis les lois Auroux de 1982, les accords négociés augmentent de 3 à
5% par an. Ces évolutions sont marquées à la fois par la rupture et la continuité : « Cette pratique
négociatrice est une routine neuve, mais se développe d’autant mieux que les partenaires sociaux ont une
habitude déjà ancienne de discuter entre eux » écrit Mendras. L’auteur note enfin que les négociations
sont plus nombreuses dans l’industrie que dans le tertiaire, dans les grandes entreprises que dans les
petites. Les lois Auroux, Roudy et Rigoux ont aussi accru les fonctions des comités d’entreprise et ont
ouvert aux syndicats de nouveaux champs de compétence, ce qui les a amenés à se démultiplier en
commissions spécialisées : « Une véritable démocratie socioprofessionnelle s’est rapidement et
discrètement instaurée au cours des dix dernières années. Elle procure aux syndicats un nouveau
fondement à leur légitimité ». Ainsi, l’« institutionnalisation des syndicats contribue à les légitimer et à
les intégrer dans la société civile ».

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