Le jazz sous toutes ses coutures
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Le jazz sous toutes ses coutures
Le Soleil Dimanche, 12 juillet 1992 Le jazz sous toutes ses coutures Gaudreault, Léonce MONTRÉAL - C'est en écoutant Guy Nadon que s'est imposée l'idée d'établir le bilan de ce 13e Festival international de jazz de Montréal en comparant les approches si différentes de chacun des invités à cette musique du XXe siècle. Qu'y a-til de commun entre le batteur montréalais Guy Nadon et Nina Simone ? Avant de répondre, faisons tout de suite nos devoirs de journaliste en signalant que le festival a couronné hier le James Gelfand Trio gagnant du prestigieux concours Alcan, lors de la soirée anniversaire de Montréal célébrée dans l'harmonie en compagnie d'Oliver Jones, de l'incontournable Vic Vogel Band et du Montreal Jubilation Gospel Choir. Prix d'autant plus mérité que le groupe du pianiste Gelfand participait quotidiennement à la précieuse «petite école du jazz» du festival. Autre occasion de fêter, le festival a atteint 1,2 million de spectateurs pendant ses 12 jours d'activités, malgré les fréquentes ondées. Pollueur de mythes Ah oui ! Nadon/Simone. Le seul lien entre les deux c'est le trait d'union dans l'expression «antimythe». TiGuy est plus qu'un «pollueur des sons» comme il aime se désigner luimême. C'est un pollueur de mythes. En sa compagnie, la précautionneuse Nina Simone serait descendue de ses talons hauts et là, sur le plancher des vaches (comme on dit ici) la chanteuse de Nina's Blues aurait peutêtre ainsi pu retrouver sa voix d'émotion d'autrefois. On l'a dit, plus rien ne passe chez Nina. Elle se satisfait de toucher la pension de vieillesse en misant précisément sur ce qu'elle a été... mais n'est plus. Il en est de même avec le saxophoniste Teddy Edwards, devenu l'ombre de ce qu'il était du temps de Clifford Brown et Max Roach. On avait peut-être oublié de lui dire qu'il jouait dans l'exigeante série «jazz dans la nuit» du festival et non pas dans un quelconque cocktail lounge. Heureusement, le son cristallin du pianiste Richard Wyands a atténué l'ennui distillé par Edwards qui n'a plus que Tom Waits pour le garder dans l'actualité. Je préfère Guy Nadon, même si ses «spectacles» ne sont pas toujours au point fin musical. Même si je risque d'en sortir amoché, par suite d'un moment de distraction, celui précisément où il choisit de lancer une cassette ou un 33 tours dans l'assistance, comme il l'a fait au Spectrum. À nos risques et périls. Il faut avoir assisté à l'une de ses sorties publiques, ou bien avoir vu l'excellent film de Serge Giguère, Le roi du drum, pour jouir de son sens irrésistible du rythme. Mon attrait pour les hauteurs me font aimer ceux qui jouent constamment 1 sur la ligne du risque. Je pense au pianiste Paul Bley et aussi à ses invités très spéciaux Joe et Matt Maneri, deux mutants de Boston, purs joyaux du free jazz. À hauteur plus humaine, se trouvent les pianistes Lorraine Desmarais et Johanne Brackeen. Jouant ensemble pour la première fois, elles ont donné plein sens à l'improvisation si souvent essentielle dans la communication en jazz. Cueilleurs d'étoiles Il y a les perfectionnistes, tels les Elvin Jones et Sonny Rollins, qui remodèlent par de fines et petites touches les thèmes développés au cours des années 60 par Coltrane et cie. Avec cette approche, il y peu de place aux surprises, mais l'auditeur gagne en densité du souffle et de la rythmique. C'est ce qu'on désigne de groove en jazz. Il y a les virtuoses de la vélocité tels les guitaristes Al Dimeola et les gitans Boulou et Elios Ferré. N'oublions pas l'approche rebelle. Celle des jeunes. Dans ce lot, il y a bien sûr les Geoff Keezer, Christian McBride et Joshua Redman. Ou bien le fulgurant pianiste Michel Camilo. Il faut ajouter maintenant le nom de l'Américain Béla Fleck. Avec lui, le banjo retrouve une place privilégiée dans le jazz. Avec ses Flecktones, le jazz prend des couleurs nouvelles, non seulement dans la musique (puisant à toutes les sauces : Elvis, les Beatles, le folklore irlandais...), mais aussi dans l'instrumentation. Allez les voir ce soir au Pigeonnier (dans le cadre du Festival d'été), vous comprendrez mon enthousiasme. Enfin, terminons ce tour d'horison par les artistes qui sont de véritables cueilleurs de poussières d'étoiles. C'est le cas pour le bandéoniste Dino Saluzzi, en concert hier soir à Québec. À la quatrième ou cinquième composition, l'artiste argentin avait gagné la partie, parvenant à imposer son souffle, son approche très personnelle de cet instrument du coeur. C'est lui-même, à la fin, qui nous a ramené, de manière émouvante, à Astor Piazzolla. 2 Le guitariste brésilien Baden Powell est aussi du nombre de ces cueilleurs d'âmes. Pour s'en convaincre, il suffira de se rendre demain soir au Musée du Québec. Lui aussi fait partie de la programmation du Festival d'été.