Mon enfant n`apprend pas à lire

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Mon enfant n`apprend pas à lire
Archives de pédiatrie 13 (2006) 1071–1075
Que faire devant un enfant qui n’apprend pas à lire ?
What should be done when a child cannot learn to read?
C. Billard
Centre de référence sur les troubles du langage de l’enfant, CHU de Bicêtre, 78, rue du Général-Leclerc, 94275 Le Kremlin-Bicêtre, France
Disponible sur internet le 09 juin 2006
Résumé
Devant un enfant en difficultés d’apprentissage de la lecture, le médecin doit réaliser un examen clinique neuropsychologique. Il vérifiera si la plainte est justifiée par un test étalonné, en référence au développement normal de la
lecture. Il différenciera les difficultés de lecture qui s’inscrivent dans un retard scolaire global (déficit intellectuel,
trouble de la communication ou massif du comportement), des troubles spécifiques d’acquisition du langage écrit. Les
troubles spécifiques peuvent se limiter à un simple retard ou bien rentrer dans le cadre d’une dyslexie. La réponse
pédagogique de première intention, les indications de la rééducation orthophonique ainsi que les adaptations
pédagogiques sont décrites.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract
When a child faces difficulties in learning to read, clinicians should, first of all, examine cognitive functions. The actual
reading level is checked using a test calibrated on normal reading development. They are thus able to differentiate
between global learning disorders (related to mental deficiency or pervasive disorders) and specific reading
impairment. Specific reading impairment might be a simple delay or developmental dyslexia. We described the first
at-school training, as well as the criteria of speech therapy.
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Mots clés : Lecture ; Dyslexie ; Enfant
Keywords: Reading; Dyslexia; Child
1. INTRODUCTION
La démarche adoptée face à un enfant qui ne rentre pas
dans la lecture comporte trois phases :
• vérifier si la plainte est justifiée ;
• chercher les raisons pour lesquelles l’enfant n’arrive pas à
lire ;
• puis en cas de trouble spécifique, prescrire les évaluations
et les soins nécessaires.
Il s’agira ensuite d’accompagner la famille et de suivre
l’évolution du trouble de lecture.
Une plainte au niveau de la lecture fait évoquer immédiatement une dyslexie de développement. Mais, la dyslexie (3 à
Adresse e-mail : [email protected] (C. Billard).
0929-693X/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/S0929-693X(06)00271-5
5 % des enfants) ne résume pas toutes les difficultés d’accès
au langage écrit [1], qui touchent 10 à 15 % des enfants. Il est
de la compétence du médecin assurant l’examen de première intention de vérifier s’il existe réellement un trouble
de lecture, et si celui-ci est lié ou non à une dyslexie. En effet,
la réponse de soins et pédagogique ne sera pas la même en
fonction du trouble.
2. TEST INDIVIDUEL ÉTALONNÉ DE NIVEAU
DE LECTURE
2.1. Le développement normal de la lecture
La lecture et l’orthographe sont induites par la pédagogie,
et menées de façon conjointe.
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En France, les enfants apprennent à lire en CP (cours
préparatoire). En fin de maternelle, ils savent reconnaître
comme un « logo » quelques mots de leur environnement
(prénom, marque connue...). Il s’agit plutôt d’une photographie et non d’une lecture. Si on leur présente ce même mot
en capitales (« COCA-COLA ») ou un mot proche (caco
calo), il le lira aussi « coca-cola ». L’apprentissage réel de la
lecture consiste initialement à mettre en place les règles de
correspondance entre les lettres et les sons. Cette procédure appelée « assemblage » est la seule qui permet à
l’enfant-apprenti d’identifier les mots, tous nouveaux pour
lui. Ensuite, si et seulement s’il déchiffre par assemblage
plusieurs fois correctement le même mot, la forme orthographique de ce mot rentrera dans son lexique mental
comme une « adresse ». Ce lexique orthographique lui
permettra, lorsqu’il lira à nouveau ce mot, d’accéder immédiatement à son sens et de connaître les ambiguïtés orthographiques (« corbeau » et non « kaurbo »). Cette seconde
procédure d’identification immédiate du mot connu appelée
« adressage » est le but final de la lecture habile, mais
l’assemblage est indispensable pour y accéder.
Les méthodes actuelles de lecture sont semi-globales :
l’enfant apprend quelques mots, puis, dès le second mois du
CP, le maître décompose les sons et syllabes à partir de ces
mots, et lui apprend à assembler.
Courant CP, le niveau de lecture est variable selon la
méthode et l’enfant, mais dans le dernier semestre de CP,
l’enfant normal sait lire toutes les syllabes simples (sauf les
sons comme « ga » ou « ge », parfois difficiles à décoder). Il
commence à lire les syllabes complexes (« cra », « por »...),
les digraphes (« ou », « on »...), voire les trigraphes (« ain »,
« ien »...). Il peut reconnaître par adressage les mots fréquents de son livre (« dans », « chat »...). Les compétences
phonologiques acquises en maternelle sont indispensables à
la mise en place de l’« assemblage » (discrimination des sons
proches « b »/« d », identification des sons [« o » dans
« vélo »], segmentation des mots en syllabes [la-va-bo],
mémoire de travail [retenir « la » pendant que « bo » est
déchiffré]).
Les troubles du langage sont hautement prédictifs des
difficultés ultérieures en lecture. Tout trouble du langage oral
persistant en grande section de maternelle nécessite :
• une rééducation orthophonique visant à améliorer le
langage oral et préparer le langage écrit ;
• une vigilance et une réponse pédagogique appropriées en
fin de grande section ou de CP.
En CE1, la lecture devient courante et fluide : l’enfant
continue à apprendre les sons complexes (« euil », « eur »),
enrichit son lexique orthographique et lit de plus en plus vite
par « adressage », sauf les mots nouveaux qu’il déchiffre par
« assemblage ». De plus, il comprend ce qu’il lit. L’enrichissement de son lexique orthographique, la vitesse de lecture
et la mise en place de l’orthographe continuent.
Les compétences visuo-attentionnelles sont importantes
en CE (cours élémentaires) pour la mise en place du lexique
orthographique, ainsi que la richesse du vocabulaire oral
pour accéder au sens.
2.2. Les outils permettant de vérifier le niveau
de lecture
Nous disposons de quelques outils étalonnés pour vérifier si le niveau de lecture est celui attendu en fonction de
l’âge.
La batterie rapide d’évaluation des fonctions cognitives
(BREV), largement validée chez l’enfant de 4 à 9 ans [2,3],
comporte trois items d’apprentissage (lecture, orthographe
et calcul dont la durée de passation est d’environ cinq
minutes) correspondant à la classe suivie par l’enfant. La
lecture et la dictée comportent des non-mots (« picrado »,
« nuronli ») qui ne peuvent être lus que par « assemblage »,
des mots complexes (« transiger », « balayeur ») qui nécessitent le recours à l’« adressage » et à la compréhension de
phrases par désignation sur image. La BREV [2,3] permet
donc de comparer le niveau de lecture–orthographe à celui
du calcul, et de définir si le trouble porte spécifiquement sur
la lecture, ainsi que d’examiner les fonctions verbales et non
verbales (durée du test : 20 minutes pour un examinateur
expérimenté).
Après l’âge de 9 ans, le test de l’Alouette (lecture d’un
texte sans sens en trois minutes) est le test de référence
utilisé pour définir l’âge de lecture [4].
3. QUELLES SONT LES RAISONS DU DÉFICIT
EN LECTURE ?
La dyslexie n’est qu’une de ces raisons. Les enfants peuvent aussi ne pas apprendre à lire du fait :
• de troubles sensoriels. Seul un trouble massif de l’audition
ou de la vision empêche de lire, mais les déficits modérés
compliquent l’apprentissage, sans l’interdire, et doivent
être dépistés ;
• d’un déficit intellectuel. Les difficultés sont alors globales,
calcul inclus, et font suite à un retard du développement,
en particulier du langage oral. Les scores des fonctions
verbales et non verbales de la BREV permettent de
suspecter un retard mental (scores inférieurs à –2 écartstype de toutes les fonctions). Un examen psychologique
est alors indispensable pour confirmer le retard mental,
et ce, avant toute évaluation orthophonique. L’évaluation
orthophonique et la rééducation se justifient alors seulement si le déficit en lecture est beaucoup plus important
que le retard mental. Elle n’aura pas les mêmes objectifs
que dans une dyslexie, devra être évaluée et associée à
une information et un accompagnement médical et psychologique de l’enfant et de sa famille. La réponse devant
une déficience mentale consiste essentiellement à adapter les exigences scolaires ;
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Fig. 1. Un texte spontané d’un enfant de 11 ans dyslexique.
« “Raconte une histoire où ta dyslexie t’a gêné”. “Un jour, on avait une lecture à faire et je ne sais pas lire. Ça m’a gêné. Des fois, j’ai envie d’être comme les autres enfants
qui savent lire ou écrire” ». Et la réponse de son camarade de dix ans : « Pour écrire des lettres d’amour ! ».
• d’un trouble de la communication. Il amène à des difficultés d’acquisitions de tous les apprentissages, calcul inclus.
Il est détecté par le contact avec l’enfant et nécessite un
avis d’un pédopsychiatre ;
• d’un trouble du comportement et de la relation. Ce
diagnostic différentiel est le plus difficile, car si certains
enfants qui ont un trouble de la relation ne rentrent pas
dans la pathologie de l’apprentissage. Une dyslexie peut
coexister avec un trouble de la relation et des difficultés à
résoudre les problèmes arythmétriques. Dans ces cas, les
enfants doivent faire l’objet d’une évaluation psychologique (psychique et cognitive) associée à une évaluation
orthophonique, sans préjugés idéologiques sur les liens
de cause à effet, afin d’aider l’enfant dans toutes ses
difficultés ;
• d’une situation socioculturelle défavorisée. Il est évident
que le biculturalisme et les situations sociales défavorisées retentissent sur le développement de la langue orale.
Dans un tel contexte, il arrive que l’enfant développe une
dyslexie, qui peut s’aggraver de sorte que tout trouble du
langage sans déficit intellectuel ni comportemental nécessite d’être considéré comme un trouble spécifique quel
que soit le milieu.
Ce n’est qu’après cet examen clinique médical, sans
oublier l’examen neuropsychologique de première intention, que le médecin pourra évoquer un trouble spécifique
d’acquisition du langage écrit et, en particulier, une dyslexie.
4. TROUBLES SPÉCIFIQUES D’ACQUISITION
DU LANGUAGE
Devant un trouble spécifique, il est recommandé de
prescrire les évaluations et les soins nécessaires. Les troubles spécifiques d’acquisition du langage écrit se situent
entre le simple retard et la dyslexie.
4.1. Le retard d’acquisition
Le retard d’acquisition en langage écrit peut être lié à une
immaturité (enfant né en fin d’année, difficultés d’autono-
mie...) ou à des conditions pédagogiques défavorisées (absentéisme, écoles situées dans des milieux difficiles...). Un
enfant dit « en retard » est entré dans le processus de
lecture mais insuffisamment pour son âge (au maximum un
an de décalage après 7 ans et demi ou lecture limitée aux
sons de la plupart des lettres et syllabes simples avant l’âge
de 7 ans). Pour remédier aux retards de lecture, il faut
systématiquement proposer à l’école une réponse de première intention, quotidienne, en petit groupe de niveaux
similaires, entraînant la voie d’« assemblage » et les compétences phonologiques [5]. Une évaluation au bout de quelques mois permettra de localiser les enfants ayant suffisamment évolué de ceux qui progressent peu, donc doivent
être rééduqués. La persistance d’un trouble du langage oral
après l’âge de 5 ans impose, de toute façon, une évaluation
orthophonique.
4.2. La dyslexie
La dyslexie se caractérise également par un trouble spécifique d’acquisition de la lecture, mais avec certains critères
de gravité : deux ans de décalage entre l’âge de lecture et
l’âge chronologique, stratégies de lecture perturbées.
Il est possible de déceler une dyslexie dès la fin du CP
chez un enfant totalement non lecteur, sans troubles associés, surtout s’il a un déficit des compétences phonologiques. La dyslexie s’accompagne toujours d’une dysorthographie. Elle est de sévérité variable ; certains enfants
dyslexiques restant non lecteurs après 9 ans.
Il existe plusieurs formes de dyslexies. Aujourd’hui, on
s’intéresse plus aux déficits cognitifs sous-jacents à la dyslexie qu’aux classifications assez artificielles. Les compétences phonologiques précitées sont les plus souvent touchées
et retentissent sur la lecture par « assemblage » [6]. Elles
doivent être parfaitement corrigées, faute de quoi l’enfant
installera des stratégies déviantes et ne pourra pas constituer son lexique orthographique. Il existe également
d’autres déficits, plus rares, associés au déficit phonologique.
Il s’agit de difficultés visuo-attentionnelles [7] qui, lorsqu’elles sont isolées, retentissent surtout sur la vitesse de lecture
et l’orthographe à partir du CE. Des travaux récents tentent
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Fig. 2. Le profil à la BREV d’une enfant de 8 ans et 9 mois dyslexique, avec sa dictée : « La neige », « mi », « ta », « fu », « pro », « elle joue avec le petit chat noir ».
de déterminer, sans grand succès, une théorie unitaire qui
rendrait compte de l’ensemble des dyslexies. Toute suspicion de dyslexie doit amener à une évaluation orthophonique et à une rééducation intensive, ainsi qu’à une réponse
pédagogique. Le facteur répétitif de la prise en charge est
essentiel. Le type de la rééducation dépend du résultat de
l’évaluation. Cependant, l’objectif principal consiste, dans un
premier temps, à monter la voie d’« assemblage » par un
travail conjoint de la conscience phonologique et des correspondances lettres-sons : pour les mots très fréquents
comme « dans » ou « avec ». Pour les enfants qui ont un
« assemblage » suffisant, il s’agit de monter le lexique ortho-
graphique en associant copie, épellation, description de la
forme du mot (nombre de lettre...).
Une optimisation des bénéfices ne sera obtenue qu’au
prix des points suivants :
• un entraînement spécifique aux besoins des enfants : voie
d’« assemblage » et compétences phonologiques pour les
enfants insuffisamment décodeurs ; lexique orthographique pour ceux qui ont un lexique insuffisant en petits
groupes d’enfants dont les besoins sont similaires ;
• un entraînement suffisamment intensif pour « attaquer »
les difficultés en coordonnant rééducation et pédagogie.
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Les prises en charge « homéopathiques » ne se révèlent
donc pas efficaces, alors que les entraînements bien conduits
sur huit semaines le sont [5].
5. QUELQUES REPÈRES... DANS UN MONDE IDÉAL
À titre préventif, les enfants qui, au terme de la maternelle
ou au début du CP, ont des troubles du langage peuvent être
entraînés à l’école (« assemblage » et conscience phonologique), au moins une demi-heure par jour pendant environ
six à huit semaines. Cela représente l’intérêt de dépister ces
troubles du langage.
Ce même entraînement doit être proposé dès la fin du
CP aux plus mauvais décodeurs, quelle que soit la raison de
leurs difficultés, dans les mêmes conditions de nombre,
spécificité et intensité. Pendant l’entraînement, le niveau de
l’enfant doit être régulièrement évalué à l’école, et ceux
dont les améliorations sont insuffisantes doivent être rééduqués en conséquence.
Un travail sur le lexique orthographique, pour les plus
grands, doit se développer et être évalué.
Les enfants dyslexiques apprendront à lire mais resteront
dyslexiques et dysorthographiques. Il faut donc continuer à
mener en classe les adaptations pédagogiques. Il s’agit pour
les professionnels de la santé de décrire précisément les
difficultés d’un enfant afin que la réponse de soins concerne
ceux insuffisamment améliorés par la réponse à l’école et
afin d’aider les enseignants à adapter leur pédagogie aux
difficultés.
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Les polémiques sur les méthodes d’apprentissage sont
dépassées. Les nouveaux programmes de primaire tiennent
compte des connaissances neuropsychologiques. Les réponses pédagogiques et de soins ne peuvent fonctionner que si
elles tiennent compte des difficultés précises de l’enfant et
non de nos idéologies (Figs. 1,2).
RÉFÉRENCES
[1]
[2]
[3]
[4]
[5]
[6]
[7]
Rapport. « Eurydice : le réseau d’informations sur l’éducation en
Europe ». L’échec scolaire, un défi pour la construction européenne
1995; Luxembourg. Office des publications officielles des
Communautés Européennes.
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Billard C, Motte J, Farmer M, et al. The BREV neuropsychological test:
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Lefavrais P. Test d’analyse de la lecture et de la dyslexie. Paris: ECPA;
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dyslexies développementales. De la théorie à la pratique
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