Pain Clinical Update Decembre 2013
Transcription
Pain Clinical Update Decembre 2013
® O 51• •DECEMBRE VOL XXI• •NNO JUNE 2013 2013 VOL XXI Nouveaux critères pour l’addiction : Des défis diagnostiques Vol.ÊXXI,ÊIssueÊ1Ê JuneÊ2013 Editorial Board persistants pour le traitement de la douleur par les opioïdes PsychosocialÊAspectsÊofÊChronicÊPelvicÊPain Editor-in-Chief I JaneÊC.ÊBallantyne,ÊMD,ÊFRCA l existe depuis longtemps une Anesthesiology,ÊPainÊMedicine USA tendance à considérer la douleur et l’addiction AdvisoryÊBoard comme des entités différentes, nécessitant des traiteMichaelÊJ.ÊCousins,ÊMD,ÊDSC PainÊMedicine,ÊPalliativeÊMedicine ments radicalement différents. Cette Australia tendance est due en partie à l’inconfort rait rarement au cours du traitement Le problème est qu’aucun consensus de la douleur avec des médicaments n’existe sur la manière de reconnaitre manière que les autres addictions,1-4 moins d’accord sur comment la traiter. Pain is unwanted, is unfortunately common, and remains essential for survival (i.e., addictifs, et que les cas d’addiction au une addiction lorsqu’elle apparait au evading danger) and facilitating medical diagnoses. This complex amalgamation of cours de traitements de la douleur cours du traitement de la douleur avec sensation, emotions, and thoughts manifests itself as pain behavior. Pain is a motipeuvent pris charge de la même 1des - et encore andmédicaments for emergencyadditifs department visits and is vatingêtre factor forenphysician consultations que ressentent les cliniciens (particu- mais de telles généralisations simpli- Ce numéro de Pain : Clinical lièrement les spécialistes) lorsqu’ils fient extrêmement la situation réelle. Updates abordera la compréhen- tentent de traiter l’un de ces problèmes Les experts se sont battus des années sion actuelle des bases biologiques de hors des limites de leur propre expéri- pour comprendre l’addiction, pour l’addiction, l’évolution des définitions ence et expertise. Pourtant, lorsque décrire les mécanismes de base, et s’en de l’addiction, et - étant donné que le la douleur est traitée médicalement, approcher de façon à la décrire et de traitement au long cours de la dou- 5 ce sont les médicaments addictifs qui la définir. Même actuellement, les leur chronique par des médicaments sont souvent choisis (notamment les caractéristiques de l’addiction selon de additifs peut être accompagné d’une opioïdes), principalement parce que DSM (Diagnostic and Statistical Manual addiction ou d’un état semblable à ce sont des traitements à l’efficacité of Mental Disorders) sont repensées une addiction - réfléchira sur les défis unique pour la douleur. Le plus ces et ré-écrites, en partie parce que les diagnostiques et thérapeutiques qui médicaments seront utilisés, le plus définitions précédentes de l’addiction doivent être surmontés si des patients les addictions se révéleront comme un n’étaient pas satisfaisantes lorsqu’elles affectés nécessitent d’être aidés de accompagnement significatif de la dou- étaient appliquées aux patients doulou- manière appropriée. leur, surtout dans le cas de traitement reux traités par les opioïdes. prolongé de syndrome douloureux. Il est souvent dit que l’addiction est facile à reconnaitre, qu’elle appa- La littérature cite un taux d’addiction au cours du traitement de la douleur par des opioïdes qui varie de moins de 1% à plus de 50%, Jane C. Ballantyne, MD, FRCA soulignant notre véritable incerti- Department of Anesthesiology and Pain Medicine University of Washington 1959 NE Pacific Street Seattle, Wash. 98195-6540 USA Email: [email protected] tude sur la fréquence d’apparition de Cathy Stannard, MD Pain Clinic, Macmillan Centre Frenchay Hospital Bristol BS16 1LE United Kingdom Email: [email protected] PAIN: CLINICAL UPDATES • DECEMBRE 2013 l’addiction, ou sur ce qu’est actuellement l’addiction.6 Les comportements des patients peuvent être interprétés de façon variable comme une toxicophilie, et si oui ou non un diagnostic formel d’addiction aux opioïdes est fait, il existe encore plus d’incertitude sur la manière de traiter une douleur intense en présence de ce diagnostic associé. La neurobiologie de l’addiction L’identification d’un « centre de la récompense » dans le cerveau a ouvert la voie à une meilleure compréhension de l’addiction. L’addiction était alors comprise essentiellement comme une exécution compulsive et pathologique dans la recherche d’une « récompense » naturelle. Anatomiquement, ce centre est le système méso-cortico-limbique, comprenant l’aire tegmentale ventrale, le noyau accumbens, l’amygdale, et l’hippocampe7 (Fig. 1). Alors que les voies finales communes sont les voies 1 dopaminergiques, ces centres sont aussi occasionnellement être utiles pour Les opioïdes sont capables de produire traversés par des systèmes opioïder- traiter un certain nombre d’addictions. un effet euphorique spectaculaire, giques. L’hypothèse de la « récompense » Les opioïdes exogènes produisent particulièrement lorsqu’ils sont injec- comme seule base pour l’addiction n’est une addiction directe par un effet sur tés. Plus le médicament est lipophile, pas, toutefois, universellement accep- le récepteur opioïde dans le nucleus plus il atteint rapidement et traverse la tée. Quoiqu’il en soit, le système méso- accumbens, et indirectement en barrière hémato-encéphalique, plus la limbique peut être compris comme un diminuant l’inhibition GABAergique poussée est forte. Les individus haute- système présentant des avantages im- de la dopamine. Les opioïdes exogènes ment susceptibles peuvent succomber portants dans l’évolution, puisque des sont hautement addictifs, mais ils ne immédiatement à l’addiction, particu- comportements clés pour la survie, tels produisent pas systématiquement lièrement lorsque l’effet euphorique que les liens maternels, l’alimentation, d’addiction, surtout si ils sont pris dans est intense. Les autres pas; certains et l’activité sexuelle, sont tous rendus des conditions attentivement con- n’expérimentent même pas d’euphorie; possible par l’apprentissage du plaisir, trôlées pour le traitement de douleur. et d’autres encore n’aiment simplement ou l’importance de l’incitation (« désir » De même, d’autres substances ad- pas l’effet euphorisant. Il existe des qui motive) produits dans ce centre.8 dictives comme l’alcool peuvent être preuves pré-cliniques et des preuves Quel est, exactement, le premier mé- ingérées sans produire d’addiction, con- cliniques provenant de l’utilisation des canisme de facilitation reste toujours duisant à l’addiction seulement chez les opioïdes pour la douleur cancéreuse débattu ? individus susceptibles. Figure 1 ces conditions, l’effet euque dans Les opioïdes endogènes sont des Lorsqu’un médicament ad- phorisant des opioïdes est réellement médiateurs importants de l’addiction dictif est pris pour la première émoussé.9-11 L’effet euphorisant est à une drogue, de même qu’à d’autres fois, cela produit une euphorie par un effet de renforcement positif de la addictions comme le jeu, et ainsi l’intermédiaire d’une poussée de do- conduite toxicophile. les antagonistes opioïdes peuvent pamine dans les voies mésolimbiques. Malgré le fait que l’effet de renforcement positif des médicaments additifs est important pour initier l’addiction à un médicament, surtout au cours de l’utilisation illicite, l’addiction PFC médicamenteuse n’est pas maintenue Hippocampus SC C-P DMT par le renforcement positif, qui tend à IC s’affaiblir, mais plus largement par un Cer PAG renforcement négatif.12 Le renforcement négatif est la conséquence du manque, par lequel des symptômes NAc LH VP Dopamine Opioid peptide VTA SNr LC l’hyperalgésie, et une constellation OT ARC AMG Fig. 1. Circuits neuronaux clés de l’addiction. Adapté avec la permission de Nestler.7 Les lignes en pointillés indiquent les afférences limbiques vers le noyau accumbens (Nac). Les lignes bleus représentent les circuits efférents en provenance du Nac probablement impliqués dans le circuit de récompense vis-à-vis d’un médicament. Les lignes rouges indiquent les projections du système dopaminergique mésolimbique qui est probablement un substrat très important de la récompense en réponse à un médicament. Les neurones à dopamine proviennent de l’aire tegmentale ventrale (VTA) et se projettent sur le Nac et d’autres structures limbiques, incluant le tubercule olfactif (OT), la zone ventrale du noyau putamen - noyau caudé (C-P), l’amygdale (AMG), et le cortex préfrontal (PFC). Le vert indique les neurones contenant le peptide opioïde, qui sont impliqués dans la récompense pour les opioïdes, l’éthanol, et peut-être la nicotine. Ces systèmes opioïdergiques incluent les circuits locaux enképhalinergiques (circuits courts) et le circuit hypothalamique mésencéphalique béta-endorphinergique (circuit long). ARC, arcuate nucleus ou noyau arqué; Cer, cervelet; DMT, thalamus dorsomédial; IC, colliculus inférieur; LC, locus coeruleus; LH, hypothalamus latéral; PAG, substance grise périaqueducale; SC, colliculus supérieur; SNr, substance noire pars reticulata; VP, pallidum ventral. A partir de Ballantyne et LaForge.6 2 déplaisants, comme l’anhédonie, d’effets noradrénergiques, commencent à entrainer le toxicomane à la recherche d’un soulagement de ces symptômes de manque. La tolérance à un médicament (le besoin de prendre plus de médicament pour obtenir le même effet) est une autre conséquence de la prise continue de médicaments, et une tolérance qui ne sera pas satisfaite par l’augmentation de la dose se manifestera par un manque. Puisque la tolérance possède des origines psychologiques (associatives) aussi PAIN: CLINICAL UPDATES • DECEMBRE 2013 existe, toutefois, de circuits dans des centres supérieurs des différences comme l’amygdale, l’hippocampe, et le substantielles cortex préfrontal.16 Le patient dou- entre l’utilisateur loureux traité par opioïde représente de drogues illicites une réelle difficulté pour ce qui est de et le patient dou- comprendre ou identifier une addic- loureux traité par tion. Chez les patients douloureux, à opioïdes. Le patient l’inverse des utilisateurs illicites de douloureux traité drogues, la recherche d’opioïdes, même par opioïdes évite lorsqu’elle semble compulsive, n’est pas généralement le forcément un signe d’addiction. Il existe stade de renforce- de nombreuses raisons qui poussent ment positif, et ils les patients à rechercher les opioïdes, ne se présentent dont leur mémorisation d’une douleur pas nécessaire- non-traitée, le soulagement de symp- ment avec un tômes de manque, et le soulagement profil de risque d’une détresse (adaptation chimique). d’addiction au De manière importante, la dépen- début de sa propre dance, qui accompagne inévitablement Fig. 2. Interdépendance de l’humeur, de la tolérance/dépendance, et de la douleur. Même chez des individus normaux, la douleur et l’humeur sont interdépendants, en partie en raison de mécanismes endogènes opioïdes. Les individus prenant des opioïdes exogènes de façon chronique et continue s’adaptent en développant une tolérance et une dépendance. Des facteurs psychologiques comme le stress et la détresse peuvent altérer la tolérance et ainsi induire des symptômes de manque. Pour l’individu dépendant, le besoin de plus d’opioïdes devient la réaction prédominante au stress. Malgré le fait que la douleur soit vue comme la raison principale à l’escalade posologique, la douleur est souvent secondaire à d’autres facteurs. A partir de Ballantyne et al.15 utilisation (voir l’utilisation continue d’opioïde, est Fig. 3). une force motrice pour le comporte- bien que pharmacologiques (non-asso- Dy rie ho p Eu sph or i e ési e Réco mpe nse An alg Stress Détresse Douleur Tolérance H ype ra l g é sie Dépendance Symptômes de manque Recherche d’opioïdes Envie irrésistible Alors que les ment de recherche d’opioïde, et un mécanismes de tel comportement peut s’apparenter à renforcement lié une addiction et même recouvrer les au médicament critères du DSM pour l’addiction. Une décrits ici sont as- telle dépendance est souvent spécifiée sez bien connus, ce comme « physique », encore qu’il y ait qui est beaucoup aussi des composants psychologiques ciatives), le changement d’humeur ou moins évident est comment et pourquoi à la détresse produite par la dépen- de situation peuvent produire un état la prise de médicament devient com- dance-manque, dont la déception et de manque (ou une surdose).13,14 Ce qui pulsive et ainsi entre dans le royaume l’anhédonie - et ces symptômes ne sont est observé avec la prise continue de de l’addiction au médicament, qui, à pas purement physiologiques. Même médicament est que la tolérance et la l’inverse de la tolérance et de la dépen- après une diminution réussie des dépendance déterminent ensemble le dance, est considérée comme irrévers- opioïdes, des symptômes de manque besoin en médicament et deviennent ible car les individus affectés restent comme l’anhédonie et l’hyperalgésie des forces motrices importantes pour vulnérables aux rechutes même après peuvent persister pendant des mois. La les comportements de toxicomanie l’arrêt du médicament. Dans la mesure dépendance elle-même peut être tenace (Fig. 2).15 où la mémoire et l’apprentissage sont et ressembler à une addiction. Lorsque des facteurs cruciaux, l’addiction à un la prise d’opioïde semble problématique manière continue pour le traitement médicament semble être le résultat chez les patients douloureux, savons- d’une douleur chronique, les adapta- d’un conditionnement, où le com- nous réellement si c’est ou si ce n’est tions qui apparaissent sont similaires à portement de recherche répétée de celle décrites précédemment : tolérance médicament est combiné à l’utilisation Lorsque les opioïdes sont pris de pas une addiction ?15 Evolution des définitions de l’addiction et du DSM-V et dépendance sont attendues; elles de ce médicament.16 Les mécanismes déterminent les besoins en médica- sous-tendant l’irréversibilité d’un tel ment; et elles peuvent devenir des conditionnement pourraient être une Des définitions et des critères de mala- forces importantes sur le comporte- régulation de gène et un véritable die sont créées dans le but d’obtenir un ment de recherche de médicament. Il remodelage physique de synapses et consensus sur ce qui constitue un état PAIN: CLINICAL UPDATES • DECEMBRE 2013 3 BIOLOGIQUE Facteurs génétiques Traits de personnalité Disponibilité des médicaments Prise de risque Contrôle des pulsions Pharmacocinétique Pharmacodynamique ENVIRONNEMENTAL Début de l’utilisation du médicament Psychopathologie Anxiété Dépression Troubles de la personnalité Réponse au stress Utilisation intermittente à régulière Influence de l’entourage Chômage Abus dans l’enfance Formulation, mode de délivrance Modifications neurochimiques induites par le médicament Addiction et rechute Causes sociales de stress Signaux liés aux médicaments Taille de l'effet Grand Modéré Faible Fig. 3. Influences sur les stades de l’addiction. Les traits de personnalité possèdent l’influence la plus forte sur le début de la phase d’utilisation de médicament. Les pressions sociales, la formulation du médicament, et la mise à disposition pharmacocinétique du médicament (celle-ci étant en grande partie déterminée par la génétique) contribuent significativement à la fois à l’initiation et l’utilisation précoce répétée. Des facteurs de personnalité contribuent probablement moins à l’addiction et à la rechute, longtemps après que l’utilisation chronique de médicament a induit des modifications dans le cerveau. Les facteurs de la personnalité, la pharmacocinétique du médicament, les co-morbidités et la réponse au stress, l’utilisation continue de médicament, et des facteurs environnementaux interagissent en influençant la progression de l’utilisation initiale vers l’addiction. Les facteurs génétiques, interagissant aussi avec les facteurs environnementaux, contribuent à des degrés variables à chaque type d’influence biologique. A partir de Ballantyne et LaForge.6 pathologique particulier. De plus, la ainsi cruciales pour les prestations d’opioïde est en pleine expansion et terminologie et le codage du diagnostic des services. Les besoins des services où un énorme besoin non satisfait de sont utilisés tous les deux à l’échelon ont été une force motrice importante service existe. Il existe peu de con- national et global pour déterminer pour l’évolution des définitions de sensus sur ce qui constitue la dépen- quels services et traitements sont l’addiction, et ils seront de nouveau un dance ou l’addiction chez les patients appropriés ou nécessaires et où. Des facteur important, spécialement aux douloureux traités par opioïde. Il n’y a définitions consensuelles deviennent Etats Unis, où la prescription abusive pas de critères d’accord, et des efforts 4 PAIN: CLINICAL UPDATES • DECEMBRE 2013 Tableau I Un modèle maladaptatif d’utilisation de substance conduisant à une détresse ou un handicap significatif, se manifestant par deux ou plus des critères suivants : Comportements suggérant l’abus de médicaments prescrits • Échec à satisfaire à des obligations majeures lié à un rôle au travail, à l’école ou à la maison • Utilisation poursuivie dans des situations dans lesquels cela est physiquement hasardeux (e.g., conduire) • Problèmes interpersonnels ou sociaux récurrents ou persistants • Substance prise en grande quantité ou plus longtemps que cela n’était prévu • Envie persistante et effort infructueux pour s’arrêter • Énormément de temps passé dans des activités nécessaire pour obtenir la substance, utiliser la substance, ou récupérer après l’utilisation de la substance • Abandon et réduction d’activités de détente, professionnelles, ou sociales importantes • Utilisation continue malgré la connaissance des dégâts • Envie irrésistible • Prescripteurs multiples • Fréquentes consultations aux urgences • Intolérances à de multiples médicaments décrits comme « allergie » et refus de poursuivre des traitements non-opioïdes • Escalade posologique fréquente et auto-escalade des doses • Cessation rapide fréquente de médicament • Fréquents appels aux cabinets de consultation • Focalisation principalement sur les avantages des médicaments opioïdes au cours des consultations • Perte répétée de prescription avec des excuses « classiques » comme le chien a mangé mon ordonnance, la compagnie aérienne a perdu mes bagages, les médicaments ont été volés Critères comportementaux utilisés pour les troubles de l’utilisation de substances, Manuel de Diagnostic et Statistique des Pathologies Mentales, 5ème édition (DSM-V).9 Adapted from Wilsey and Fishman.24 pour modeler les critères du DSM pour comme critères en même temps que un médicament est que cela produit de satisfaire à l’état de dépendance ou des facteurs sociaux et culturels. Cette la confusion lorsque cela survient pour l’addiction chez les patients douloureux édition était aussi la première à utiliser traiter la douleur avec des opioïdes, ont été largement inutiles et même formellement le terme de « dépen- parce que les patients douloureux trai- préjudiciables. dance » pour indiquer l’addiction à un tés en continu peuvent être considéré médicament. La « dépendance » est comme étant dépendants (i.e., avoir des était considérée comme une faiblesse distinguée de l’ « abus », qui est une difficultés à interrompre un traite- de caractère ou de contrôle, pas utilisation maladaptée sans tolérance, ment) mais ne sont pas nécessairement comme une pathologie médicale. A manque, ou schéma d’utilisation addicts (i.e., recherche compulsive de cette époque, la compréhension de la compulsive. Le lecteur verra facile- médicament). neurobiologie de l’addiction était rudi- ment que la définition de ces termes mentaire, et l’existence des systèmes dans le DSM-III et le DSM-IV (reflé- l’addiction médicamenteuse ont été opioïdes endogènes était seulement tant la Classification Internationale publiées par l’APA en mai 2013 dans le imaginée. Dans les années 50, les des Maladies - CIM) n’est pas la même DSM-V.19 Deux changements signi- critères pour l’addiction étaient recher- que celle habituellement comprise en ficatifs ont été réalisés, à l’égard des chés dans le but de le médicaliser et anglais familier.17,18 Cette différence problèmes vécus, pour conceptualiser faciliter le traitement. Le premier DSM en soi produit plus de confusion. Au la dépendance et l’addiction lorsqu’ils (Diagnosis and Statistic Manual) de cours des années, plusieurs mots ont apparaissent chez des patients doulou- l’Association Américaine de Psychiatrie trouvé leur voie dans et en dehors de la reux traités par opioïdes. Le premier (APA - American Psychiatric Associa- nosologie de l’addiction, dont les termes changement a été d’abandonner le tion), publié en 1952, regroupait l’abus « habituation », « mésusage », « abus », terme « dépendance à une substance », d’alcool et de substances sous le terme « dépendance », et « addiction ». Le mot qui a été utilisé à la fois dans le DSM-III Perturbation de la Personnalité de type « addiction » dans les définitions médi- et le DSM-IV pour indiquer l’addiction Sociopathique et ne reconnaissait pas cales a été évité récemment en raison à un médicament.17 Dans le DSM-V, la le rôle clé de la tolérance et du manque de ces connotations associés. Ce qui est « dépendance à une substance » a été dans l’addiction médicamenteuse. Ce particulièrement problématique dans remplacé par des termes comme « trou- n’est qu’à partir du DSM-III en 1980 que le choix du terme « dépendance à une ble de l’utilisation d’une substance » et la tolérance et le manque ont été inclus substance » pour décrire l’addiction à « trouble de l’utilisation d’un opioïde ». Avant les années 50, l’addiction PAIN: CLINICAL UPDATES • DECEMBRE 2013 Les nouvelles définitions pour 5 était de préciser que deux éléments Conceptualiser la dépendance et l’addiction sont nécessaires dans la liste de com- Avec l’histoire qui se déroule, portements suggérant une utilisation nous pouvons voir comment notre compulsive (voir tableau I) dans le but compréhension de l’addiction a de remplir les critères des troubles radicalement changé sur la base de l’utilisation d’une substance. La de l’exploration scientifique (neu- tolérance et le manque ne sont pas pour robiologie), aussi bien que sur ceux qui prennent des médicaments l’intellectualisation de l’addiction com- Maria Adele Giamberardino, MD prescrits sous contrôle médical comme Médecine Interne, Physiologie Italie me une maladie digne d’être traitée que des analgésiques, des antidépresseurs, comme un défaut (développement des des médications anti-anxiété, ou des définitions et critères de l’addiction). Psychologie, Prise en charge de la Douleur USA bêtabloquants. Pour le DSM-IV, trois Pourtant, plusieurs incertitudes restent éléments étaient nécessaires pour rem- sur ce qu’est exactement l’addiction et Patricia A. McGrath, PhD plir les critères de dépendance à une quel est le meilleur moyen de la traiter. substance, et il était possible d’inclure Cette incertitude est particulièrement la tolérance et le manque. Ainsi, pour problématique dans le cas d’addiction des patients traités sans interruption iatrogène (addiction apparaissant com- qui manifesteront presque toujours une me une conséquence directe d’un trait- certaine tolérance et un manque, seule- ement médical avec un médicament ment un seul critère comportemental addictif), comme cela est reflété par les était nécessaire. Cela était plus facile, efforts pour développer des définitions toutefois, pour les patients doulou- pour la dépendance et et l’addiction reux traités par opioïde, de remplir les chez les patients douloureux, chez critères de l’addiction sous le DSM-IV qui persiste une insatisfaction. Alors que cela ne le sera avec le DSM-V. que chez les utilisateurs de drogues Le second changement important Comité de rédaction Rédacteur en chef Jane C. Ballantyne, MD, FRCA Anesthésiologie, Médecine de la Douleur USA Comité consultatif Michael J. Cousins, MD, DSC Médicine de la Doleur, Médecine Palliative Australie Robert N. Jamison, PhD Psychologie, Douleur de l’enfant Canada M.R. Rajagopal, MD Médicine de la Doleur, Médecine Palliative Inde Maree T. Smith, PhD Pharmacologie Australie Claudia Sommer, MD Neurologie Allemagne Harriët M. Wittink, PhD, PT Médecine Physique Pays bas Edition Daniel J. Levin, Directeur de publications Elizabeth Endres, Conseiller en édition Les sujets opportuns en recherche sur la douleur et son traitement ont été sélectionné pour publication, mais les informations fournies et les opinions exprimées n’ont pas impliqué de vérification des découvertes, conclusions, et opinions par l’IASP. Ainsi, les opinions exprimées dans Douleur: Mises au point cliniques ne reflètent pas forcément celles de l’IASP ou de ses dirigeants et conseillers. Aucune responsabilité n’est engagée par l’IASP concernant toute lésion ou dommage aux personnes ou propriétés en matière de responsabilité, négligence, ou par suite à toute utilisation de toutes méthodes, produits, instructions, ou idées contenues dans le présent matériel. En raison des avancées rapides des sciences médicales, l’éditeur recommande une vérification indépendante des diagnostics et des posologie des médicaments. © Copyright 2014 Association Internationale pour l’Etude de la Douleur. Tous droits réservés. Pour toute permission pour ré-imprimer ou traduire cet article, contacter : International Association for the Study of Pain 1510 H Street NW, Suite 600, Washington, D.C. 20005-1020, USA Tel: +1-202-524-5300 Fax: +1-202-524-5301 Email: [email protected] www.iasp-pain.org 6 ZONE GRISE ADDICTION PAS D’ADDICTION Remplit les critères du DSM pour l’addiction Pas de perte de prescription Pas de consultation aux urgences Pas de requêtes répétées ou non sanctionnées pour augmenter les posologies Pas d’UDT aberrant Pas de nomadisme médical (PMP) Fig. 4. Echelle de dépendance et d’addiction. ER, salle d’urgence; PMP, programme de monitorage des prescriptions (maintenant disponible dans plusieurs états des Etats Unis, en perpétuel développement); UDT, test médicamenteux urinaire. Le nomadisme médical existe aux Etats Unis car de nombreux patients ont plusieurs fournisseurs de soin, à l’inverse de pays avec des systèmes nationaux de soins, où les patients ont une « maison » médicale. PAIN: CLINICAL UPDATES • DECEMBRE 2013 illicites, une voie vers l’addiction (des pourraient être considérés comme des charge et aider les nombreux patients débuts risqués vers l’habituation, Fig. signes d’addiction. qui tombent entre les deux extrémités 3)6,20 peut être relativement facilement théorisée, le patient douloureux de l’échelle douleur-addiction. Différences en terme d’évolution de la maladie Conclusion Il est généralement accepté que les Aux Etats Unis, la popularisation du patients traités continuellement avec traitement chronique par opioïde a des opioïdes sont susceptibles de dével- produit une augmentation par trois de opper une tolérance (nécessite une la prescription d’opioïde pour la douleur escalade périodique de posologie) et une chronique, une augmentation paral- dépendance physique (expérimente un lèle des cas connus d’abus d’opioïde, et manque en cas de dose inadéquate). Il des milliers de patients qui ont dével- peut exister des exceptions, mais des oppé une dépendance complexe aux neuro-adaptations similaires à celles opioïdes.15,21 D’autres pays développés qui apparaissent au cours de l’usage ont témoigné d’une tendance similaire, illicite d’opioïde peut être rencontré au encore que moins marquée. Lorsque cours du traitement de la douleur avec la dépendance aux opioïdes devient des opioïdes. La principale différence complexe et difficile à renverser, cela est que les comportements qui se ressemble à une addiction. Elle part- Si quelqu’un regarde les comporte- développent et deviennent fixés dans age suffisamment de similitudes avec ments listés dans le DSM-V (colonne de les mémoires sont différents (Tableau l’addiction qu’elle requiert un traite- gauche du tableau I, qui sont similaires I). La dépendance est importante car, ment similaire, rendue encore plus aux comportements listés dans le comme cela a déjà été discuté, que ce stimulante par la coexistence d’une DSM-IV), il est facile de voir que malgré soit ou non une des raisons du trouble douleur. le fait qu’un patient douloureux traité de l’utilisation d’un médicament, c’est par opioïde peut remplir ces critères, un moteur puissant du comportement convienne à tous les patients. Même la le pourcentage qui est diagnostiqué de recherche/demande d’opioïde. Chez décision de base d’essayer de diminuer comme une addiction est ouvert à un patient douloureux, la raison pour ou d’interrompre l’opioïde est complexe: l’interprétation. Tous les comporte- laquelle les opioïdes sont recherchés le maintien fonctionnera-t-il mieux ments sont assez communs chez les n’est jamais parfaitement clair. Ce qui pour le patient et pour la douleur que patients douloureux traités par opioïde, est clair, toutefois, est que la dépen- l’abstinence ? La posologie devient-elle mais ils sont habituellement attribués dance joue un rôle important dans la élevée de manière inacceptable ? Com- à la douleur plutôt qu’à l’addiction ? poursuite continuelle d’un traitement ment la diminution devrait-elle être Les signes d’utilisation compulsive malgré un effet pauvre et peut con- envisagée si cette stratégie est décidée dans le milieu de la douleur peuvent tribuer à observer des comportements ? Par exemple, devrions-nous diminuer être différents, et un plan suggéré est de recherche d’opioïde. Il n’existe pas de lentement, réaliser une réduction représenté dans la colonne de droite du démarcation claire entre dépendance et rapide avec buprénorphine, une rota- Tableau I. Même en acceptant qu’il y a addiction chez les patients douloureux, tion des opioïdes, ou un réduction avec des signes d’utilisation compulsive, de même bien qu’il puisse exister des avis relai par méthadone ? tels comportements sont aussi souvent clairs aux deux extrémités du spectre présente une trajectoire bien moins certaine vers l’addiction. De plus, à l’inverse de l’utilisateur de drogues illicites qui persiste dans l’utilisation, le patient douloureux qui persiste dans l’usage du médicament peut ne pas être dépendant. Deux distinctions majeures entre addiction iatrogène et non-iatrogène sont dignes d’être mentionnées: les différences de présentation et les différences dans la progression de la maladie. Différences de présentation attribués à une douleur incontrôlée et (Fig. 4.). Il n’existe pas de formule facile qui Pourtant une nouvelle couche essentielle d’aide à la décision, pour les traitements qui se compliquent, pas à une addiction, et les présenta- Ces différences en présentation tions peuvent varier en fonction de et évolution de la maladie pointe un est comment encourager et moti- certains facteurs culturels et contex- besoin urgent à la fois de poursuivre la ver le patient à travers le processus tuels. Il n’y a réellement pas d’accord réévaluation et l’amélioration des défi- d’optimisation du traitement. Des ser- actuel sur le moment où les comporte- nitions de l’addiction pour ce groupe de vices appropriés et des soignants cor- ments compulsifs observés chez des patients et d’aller à la rencontre du défi rectement formés existent en quantité patients douloureux traités par opioïde clinique actuel de comment prendre en très limitée aux Etats Unis alors qu’ils PAIN: CLINICAL UPDATES • DECEMBRE 2013 7 sont particulièrement surchargés à bien que nous puissions entrevoir un cliniciens, qui ont besoin qu’on leur cause de l’utilisation prolifique des opi- réveil de ces approches dans le contexte fournisse les bonnes constructions, oïdes. De façon similaire, au Royaume de apparition concomitante de la dou- formations, ressources et les bons 22 Uni, bien qu’il existe un but public leur et de l’addiction. avoué pour que les services d’addiction malheureuse est la poursuite d’une La conséquence outils pour un travail collaboratif, qui sont tous nécessaires pour prendre en puissent aider les patients indépendam- approche fragmentée, polarisée qui charge cette pathologie. ment de leur parcours dans la dépen- se termine souvent par la négligence dance, ces services n’ont ni les res- de la dépendance, la négligence de la l’addiction peuvent avoir ôté quelques sources ni l’expertise pour prendre douleur, ou même la perte d’espoir que unes des confusions associées au mot en charge une douleur qui émerge ou la médecine peut apporter une aide. « dépendance », les nouveaux critères qui s’aggrave lorsque les opioïdes sont Le résultat catastrophique est souvent laissent une encore plus grande ques- réduits. La disponibilité de soins bio- le recours à des sources illicites de tion qui est comment pouvons-nous at- psycho-sociaux multidisciplinaires avec médication pour la douleur. Lorsqu’une teindre un consensus pour le diagnostic une composante importante d’auto-ges- douleur chronique intense réfractaire d’addiction aux opioïdes au cours du tion, généralement acceptée comme un et une dépendance aux opioïdes ap- traitement de la douleur par opioÏdes gold-standard du soin dans la douleur paraissent ensemble, la combinaison de façon à ce qu’on puisse la reconnaî- chronique, ont disparu aux Etats Unis, représente un défi énorme pour les tre et la traiter.23 Les nouveaux critères de References 13. Mitchell JM, Basbaum AI, Fields HL. A locus and mechanism of action for associative morphine tolerance. Nat Neurosci 2000;3:47–53. 1. Fishman SM. Responsible opioid prescribing: a physician’s guide. Euless, TX: Federation of State Medical Boards of the United States; 2007. 14. He L, Whistler JL. An opiate cocktail that reduces morphine tolerance and dependence. Curr Biol 2005;15:1028–33. 2. Portenoy RK, Foley KM. Chronic use of opioid analgesics in non-malignant pain: report of 38 cases. Pain 1986;25:171–86. 15. Ballantyne JC, Sullivan MD, Kolodny A. Opioid dependence vs addiction: a distinction without a difference? Arch Intern Med 2012;172:1342–3. 3. West JE, Aronoff G, Dahl J, et al. Model guidelines for the use ofEditor-in-Chief con16. Hyman S, Malenka R. Addiction and the brain: the neurobiology of comtrolled substances for the treatment of pain. A policy document of the Federapulsion and its persistence. Nat Rev Neurosci 2001;2:695–703. tion of State Medical Boards of the United States. Euless, TX: Federation of 17. American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical manual of State Medical Boards of the United States; 1998. mental disorders, 4th ed. Washington, DC: American Psychiatric Association; 4. Haddox JD, Joranson D, Angarola RT, et al. The use of opioids for the 1994. treatment of chronic pain. A consensus statement from the American Acad18. World Health Organization. The ICD-10 classification of mental and emy of Pain Medicine and the American Pain Society. American Academy of behavioral disorders: clinical descriptions and diagnostic guidelines. Geneva: Pain Medicine and American Pain Society; 1997. World Health Organization; 1992. 5. O’Brien CP, Volkow N, Li TK. What’s in a word? Addiction versus depen19. American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical manual of dence in DSM-V. Am J Psychiatry 2006;163:764–5. mental disorders, 5th ed. Arlington, VA: American Psychiatric Publishing; 2013. 6. Ballantyne JC, LaForge KS. Opioid dependence and addiction in opioid treated pain patients. Pain 2007;129:235–55. 20. Kreek MJ, Nielsen DA, Butelman ER, LaForge KS. Genetic influences on impulsivity, risk taking, stress responsivity and vulnerability to drug abuse 7. Nestler E. Molecular basis of long-term plasticity underlying addiction. and addiction. Nat Neurosci 2005;8:1450–7. Nature Rev Neurosci 2001;2:119–28. 8. Berridge KC. The debate over dopamine’s role in reward: the case for incentive salience. Psychopharmacology (Berl) 2007;191:391–431. 21. Okie S. A flood of opioids, a rising tide of deaths. N Engl J Med 2010;363:1981–5. 9. Ozaki S, Narita M, Narita M, Iino M, Miyoshi K, Suzuki T. Suppression of the morphine-induced rewarding effect and G-protein activation in the lower midbrain following nerve injury in the mouse: involvement of G-proteincoupled receptor kinase 2. Neurosci 2003;116:89–97. 22. Huffman KL, Sweis GW, Gase A, Scheman J, Covington EC. Opioid use 12 months following interdisciplinary pain rehabilitation with weaning. Pain Med 2013; Epub Aug 5. 10. Narita M, Kishimoto Y, Ise Y, Yajima Y, Misawa K, Suzuki T. Direct evidence for the involvement of the mesolimbic kappa-opioid system in the morphine-induced rewarding effect under an inflammatory pain-like state. Neuropsychopharmacology 2005;30:111–8. 11. Kanner R, Foley K. Patterns of narcotic drug use in a cancer pain clinic. Ann NY Acad Sci 1981;362:161–72. 12. Robinson TE, Berridge KC. Addiction. Annu Rev Psychol 2003;54:25–53. 8 23. Smith SM, Dart RC, Katz NP, Paillard F, Adams EH, Comer SD, Degroot A, Edwards RR, Haddox JD, Jaffe JH, Jones CM, Kleber HD, Kopecky EA, Markman JD, Montoya ID, O’Brien C, Roland CL, Stanton M, Strain EC, Vorsanger G, Wasan AD, Weiss RD, Turk DC, Dworkin RH. Classification and definition of misuse, abuse, and related events in clinical trials: ACTTION systematic review and recommendations. Pain 2013;154:2287–96. 24. Wilsey BL, Fishman SM. Chronic opioid therapy, drug abuse and addiction. In: Ballantyne JC, editor. MGH handbook of pain management, 3rd ed. Philadelphia: Lippincott, Williams and Wilkins; 2005. PAIN: CLINICAL UPDATES • DECEMBRE 2013