Réponse de Monsieur Luis Iñacio Lula Da Silva aux questions

Transcription

Réponse de Monsieur Luis Iñacio Lula Da Silva aux questions
Réponse de Monsieur Luis Iñacio Lula Da Silva aux questions posées par
les RMB et message aux participants des RMB 2011
1/ Que nous dit la crise financière d'aujourd'hui sur le système
économique actuel et sur le besoin d'économie sociale ?
Tout porte à croire que cette crise actuelle est une rechute de la crise de 2008.
Elle met en lumière un monde dont les caractéristiques nouvelles doivent être
prises en compte ; le fait, par exemple, que pour la première fois depuis 150
ans, la production cumulée des États-Unis et de l'Union européenne, le cumul
de leurs exportations et la somme de tous leurs investissements atteignent des
chiffres inférieurs à ceux obtenus par le reste du monde.
Cette donnée, à elle seule, indique qu’il n’est plus possible d’ignorer les pays en
développement. Toute véritable solution à la crise actuelle devra compter sur
les pays émergeant comme partenaires de toute tentative de reformulation du
système financier mondial et les reconnaître comme vivier de nouvelles
opportunités.
Il apparaît de plus en plus clairement qu’œuvrer pour l'inclusion sociale des
couches les plus pauvres de la population, en les rendant consommatrices et
en les dotant d’une citoyenneté pleine, est la voie à suivre pour faire face à
cette crise, avec une croissance durable et inclusive. Nous devons fonder
l'économie globale sur la lutte contre la pauvreté et sur la production de biens
réels, et non pas sur la spéculation.
C'est la raison pour laquelle j'estime que, face à cette crise, nous ne devons
pas baisser les bras et nous perdre dans nos lamentations. Il faut agir,
conscients que nos actes auront des retombées sur le reste du monde, avec
plus ou moins d'intensité. Il est donc important de saisir l’opportunité de ce
débat pour agir au profit d'un monde plus juste et plus prospère. Telle est la
véritable issue à la crise.
2/ Quelles mesures concrètes peuvent-elles être prises pour convaincre
les leaders mondiaux des pays développés et des pays en développement
de rechercher une nouvelle donne pour l'économie sociale ?
Il est important, qu’ensemble, nous cherchions des solutions débouchant sur la
reprise de la croissance et la réduction des inégalités sociales, aussi bien au
sein des pays eux-mêmes qu’entre les pays. Au G-20, d’importantes décisions
ont déjà été prises, comme nous le voyons à la lecture des résolutions de la
réunion de Pittsburgh, en septembre 2009. C’est là que nous sommes parvenus
à un accord sur la réglementation des paradis fiscaux et des marchés financiers
et sur la réduction des inégalités comme moteur potentiel de la reprise de la
croissance mondiale. Force est de constater qu’avec l’accalmie de 2009 à 2011,
bon nombre de ces mesures sont restés lettre morte. Nous avons besoin
aujourd'hui de décisions politiques plus résolues et d'institutions multilatérales
plus représentatives et plus fortes pour que ces propositions positives se
concrétisent. Un exemple est le socle mondial de protection sociale, suggéré
par l’Organisation internationale du travail et défendu par notre présidente
Dilma au G20 ; un programme de transfert du revenu minimum mondial,
semblable à la Bourse Famille que nous avons au Brésil, pour améliorer les
conditions de vie des populations les plus pauvres de notre planète. Voilà un
exemple des mesures ayant une portée sociale et économique considérable,
bien qu’elles soient souvent envisagées par les gouvernements comme une
simple dépense alors qu'il s'agit en réalité d'un investissement dans les
personnes, de la reconnaissance du droit de tout un chacun à des opportunités
et conditions de vie minimum.
3/ On parle beaucoup du rôle des pays émergeants et des BRICS (Brésil,
Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) pour sauver l'économie mondiale,
mais existe-t-il vraiment une convergence de points de vue entre ces pays
et en particulier parmi les BRICS ? Les BRICS peuvent-ils travailler
ensemble ?
Le dialogue est important pour élaborer une vision d’avenir et chercher,
ensemble, une issue à la crise. Les BRICS ont toujours maintenu le dialogue, y
compris avant le premier sommet entre nos pays, en 2009, ainsi qu’avec
d'autres pays au sein des fora régionales et autres groupements tels que l’IBAS
qui regroupe l'Inde, l'Afrique du Sud et le Brésil. Nous devons poursuivre le
dialogue au sein des fora internationales pour parvenir à des positions
communes tout en respectant, le cas échéant, les divergences.
À l'instar des BRICS, nous devons tous travailler les uns avec les autres. C'est
un impératif pour traiter les questions mondiales telles que la faim,
l'environnement et la crise économique. Un monde plus juste, avec moins de
pauvreté, est un dessein qui doit unir aussi bien les pays en développement
que les pays développés. La réduction de la pauvreté et l'inclusion de millions
de nouveaux travailleurs et consommateurs constitue un élément fondamental
de la solution aux problèmes des pays développés.
Aussi, apparaît-il de plus en plus nécessaire de disposer d’une nouvelle
organisation mondiale représentative du monde d’aujourd’hui et non pas d’un
monde vieux de 60 ans. La composition du conseil de sécurité des Nations
Unies, du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale ne sont plus
à même de mener le monde actuel, avec les crises économiques qui frappent
les États-Unis et l’Europe et dont les conséquences se font sentir dans le
monde entier. Il est impératif d'inclure l'Amérique latine, l'Afrique et l'Asie dans
les institutions mondiales en leur donnant la place qui leur revient afin que de
donner plus d’efficacité et de légitimité aux solutions proposées.
4/ Dans quelques mois, le Brésil accueillera la Conférence des Nations
Unies Rio+ 20. Selon vous, de quelle façon les Rencontres du Mont-Blanc
(Forum des leaders mondiaux de l'économie sociale,) peuvent-elles
contribuer au succès de cette conférence ?
Le développement social et environnemental durable est un défi qui nous
concerne tous. Avec Rio-92, nous avons pris conscience de la nécessité de
protéger l'environnement ; l'urgence de cette question s'impose aujourd'hui
d’autant plus clairement. Lors de la COP 15, au Danemark, le Brésil a
volontairement pris des engagements pour réduire les émissions de carbone de
6 % d'ici 2020. Nous avons freiné le déboisement de l'Amazonie et, sous le
mandat de mon gouvernement, de 2003 à 2010, le Brésil s'est distingué par
l'augmentation des zones environnementales protégées de la planète à hauteur
de 74 %.
J'espère qu’à l’occasion de Rio+20, nous parviendrons à renforcer l’idée selon
laquelle l'inclusion sociale et l’environnement doivent aller de paire et sont
complémentaires. La réduction des émissions doit être compatible avec la
réduction de la pauvreté. La responsabilité des pays développés n’en est que
plus importante et doit comprendre le transfert de technologies propres vers les
pays les moins développés.
La société doit pouvoir suivre en permanence les foras et accords
internationaux. Les échanges tels que les Rencontres du Mont-Blanc, qui
rassemblent divers secteurs de la société d’origines diverses dans le monde
sont fondamentales pour élaborer de nouvelles idées et forger de nouvelles
alliances permettant de relever à la fois les défis sociaux et les défis
écologiques. Mon expérience politique, en tant que leader syndical et politique,
puis en tant que président du Brésil, m'a enseigné combien il est important
d’être à l’écoute, et en particulier d’écouter ceux qui ne sont pas d'accord avec
nous, y compris pour élaborer les politiques publiques.
Je me félicite de la réalisation de cette rencontre à quelques mois de Rio +20,
me réjouis de l'élargissement des activités des Rencontres du Mont-Blanc à
partir de 2011, et regrette de ne pouvoir être présent parmi vous.
L'échange d'expériences et de connaissances entre les leaders sociaux du
monde entier est essentiel pour échafauder la gouvernance et la coopération
internationale dont nous avons besoin pour relever les défis qui se posent à
nous et tirer parti des opportunités du XXIe siècle.