Les autorités autonomes de régulation.
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Les autorités autonomes de régulation.
Les autorités autonomes de régulation. M. DRISSI ALAMI MACHICHI. Professeur de l’enseignement supérieur. Depuis la fin du siècle dernier, le Maroc s’est engagé dans la création d’institutions diverses, sous forme d’établissements publics classiques, de conseils accrochés au gouvernement (ANRT, Conseil de la concurrence, CDVM), ou d’instances rattachées aux services de la Cour Royale (Conseil consultatif des droits de l’homme devenu conseil national des droits de l’homme, Médiateur, HACA). Les missions de ces institutions convergent toutes vers la régulation d’activités économiques ou l’exercice de libertés publiques. L’influence traditionnelle de la doctrine juridique française et la ressemblance avec des institutions françaises incitent à s’arrêter sur la nature de ces institutions, leurs attributions et leur agencement dans l’édifice institutionnel marocain à la lumière de l’appellation « d’autorités administratives indépendantes », courante dans plusieurs sources de la pensée juridique française1. Seule l’institutionnalisation consciente et volontaire de la fonction de régulation a finalement fait l’objet de l’actualité dans le discours politique, économique et juridique à l’étranger et relativement au Maroc. En effet malgré le côté brillant de l’innovation inhérente au concept de régulation, on peut relever qu’il souffre encore de l’absence d’une définition scientifique unifiée. Une pratique diffuse et peut-être maladroite en existait bien avant dans les fonctions administratives et judiciaires. L’actualité focalisée sur la régulation incite à réfléchir sur sa signification, les intérêts et les justifications de la politique législative qui l’appuient, et la pratique suivie depuis près de deux décennies. On peut invoquer dans cette optique la recherche d’un agencement plus adapté des fonctions de l’Etat suite à son engagement plus net dans le libéralisme. On y relève aussi un souci réel de régularisation et de moralisation des affaires publiques et des relations économiques. On assiste à une réflexion profonde2, menée depuis plusieurs années, sur la révision de la structure, l’organisation et l’action de l’administration dans le sens d’une modernisation, d’une démocratisation, d’une bonne gouvernance et d’une moralisation pour une réconciliation avec les administrés. On parle de plus en plus d’une administration citoyenne, participative et concertée conforme à la conception de l’Etat de droit. 1 Revue Justices, n°1, spécial consacré à la question, 2005. V. notamment, sous la direction de A. Sedjari, Etat et administration : tradition ou modernité, Ed. Guessous, Rabat, 2èm. Ed. 1995, p. 56 et s. ; 113 et s. ; Travaux du colloque de Marrakech du 24 au 28 juillet 1989, organisé par l’Institut international des sciences administratives, sur le thème « Une administration plus proche des citoyens », notamment le rapport général présenté par E. Pisani, p. 17 et s. 2 1 A un niveau plus élevé des principes et des valeurs, on peut y discerner un effort sûr de révision des rapports sociaux, publics et privés, dans un sens de démocratie et de respect des libertés publiques et individuelles, politiques, économiques et sociales. La réorientation de la politique générale du pays implique ainsi l’interrogation sur la nécessité de créer des organes nouveaux, sinon des autorités spéciales, chargées d’exercer les fonctions de régulation à la place des pouvoirs publics qui en étaient chargés et dont la conception des missions a évolué à la suite des faits et des idées relevées ci-dessus. La même interrogation surgit en raison du doute sur l’efficience d’une auto-régulation par le fonctionnement des instances politiques, du marché économique et de la société civile. Cette autorégulation reste une conséquence rationnelle extrême et utopique de l’option libérale. Considérant la spécificité locale dans le cadre de la tendance internationale, il nous semble nécessaire de commencer par tenter une délimitation de la réponse conceptuelle aux nouveaux besoins, une présentation générale des organes de régulation avant de nous arrêter sur l’appréciation de la réponse fonctionnelle retenue par notre droit et de vérifier la mesure de sa conformité aux finalités escomptées. 1 – Réponse conceptuelle aux nouveaux besoins. L’expérience étrangère montre que toute tentative de définition juridique générale ou uniforme de la régulation et des organes de régulation reste vaine en raison du particularisme caractérisant le pragmatisme des lois et des expériences qui varient avec les Etats et les champs concernés3. L’application marocaine ne fait pas l’exception. L’analyse de la terminologie, du choix politique et de l’impératif des nouveaux besoins ne permet qu’une délimitation approximative toujours susceptible de nuances à l’occasion de la création d’autres organes. A – L’enseignement de la terminologie. La régulation, mécanisme de maintien dans l’ordre ou dans les normes, se traduit en général par la détermination des règles juridiques et professionnelles constitutives d’un système économique libéral, équilibré et conforme à l’intérêt général dans le domaine des relations sociopolitiques ciblées ou dans le marché économique visé. Elle permet la détermination des droits et des obligations des agents qui animent la vie sociopolitique ou économique, en l’occurrence, les décideurs administratifs et les citoyens, les opérateurs ou les professionnels, publics ou privés et les consommateurs. 3 R. Boyer, notamment, Théorie de la régulation, Une analyse critique, éd. La Découverte, Paris, 1986, et, Théorie de la régulation, 1, Les fondamentaux, même éditeur, 2004. ; A-M. Frison-Roche, Définition du droit de la régulation, Recueil Dalloz, 2004 p . 126. 2 Sous ce premier aspect, elle fixe les contours des rapports réciproques entre les concernés. Elle embrasse aussi les relations d’affaires avec les destinataires ou les bénéficiaires des prestations, produits et services, les clients et plus généralement les consommateurs. Elle couvre enfin la nature des liens avec les pouvoirs publics, plus précisément avec l’ordre social dans lequel les citoyens évoluent et où ils sont exposés à subir les orientations, les correctifs et même les sanctions décidées par les organes habilités à cet effet. La multiplicité des finalités se fonde sur la nécessité de concevoir et d’organiser les rapports avec les pouvoirs publics dans un esprit respectueux de l’Etat de droit dont la finalité demeure la réalisation d’un développement durable au sens le plus compréhensif. La pluralité des aspects s’explique par la nécessité d’organiser une protection appropriée et raisonnable des opérateurs en tant que créateurs de la richesse nationale et de l’emploi, particulièrement dans un système où le libéralisme économique et la liberté de la concurrence accordent encore une place au secteur public et à certains opérateurs privilégiés. Elle se justifie aussi par l’impératif de garantir la préservation de la santé, de la sécurité, des besoins divers, généralement du bien être des consommateurs, contre les glissements préjudiciables susceptibles de caractériser l’action des opérateurs obnubilés par la recherche de profits matériels immédiats ou tout simplement des privilèges défectueux pour l’équilibre et l’harmonie du marché. Dans la pratique franco-latine, à la différence de l’expérience anglo-américaine imprégnée par une conception plus réglementaire que procédurale, la régulation s’attache plutôt à la fonction concrète et plus précisément à la structure des organes et à la procédure observée pour sa mise en œuvre. Aux USA la création de commissions indépendantes à caractère réglementaire et avec des garanties procédurales des droits des intéressés, remonte à la fin du XIXème siècle. Un peu plus tard, à la première moitié du XXème siècle, l’institution apparaît en Europe, notamment au Royaume Uni, en Allemagne et en Italie. Elle connaît un véritable essor en France depuis la deuxième moitié du siècle dernier dans des domaines aussi divers que la communication, les valeurs mobilières et le commerce en général4. Au Maroc, on trouve une trace très pâle de la régulation, d’intérêt historique, dans l’institution des madhalims chargée de réparer les abus des agents du pouvoir contre les sujets du Sultan d’une part, et dans l’organisation des corporations et plus précisément dans les institutions des mohtassibs, des amines et des ourafas (experts arbitres dans les arts et métiers) d’autre part. Ces deux instances intervenaient d’abord pour corriger les déviations administratives, politiques et professionnelles, ainsi que pour prévenir les litiges entre professionnels et entre ceux-ci et leurs clients5. 4 Jacques Chevallier, Les autorités administratives indépendantes et la régulation des marchés, Revue Justices, n° 1, 1995, p. 81. 5 Notre livre, Concurrence, droits et obligations des entreprises au Maroc, Eddif, Casablanca, 2004, p. 228, 236 et s. 3 On peut relever aussi des applications plus récentes, mais toujours approximatives, dans les commissions mixtes juxtaposant des fonctionnaires, des magistrats et des professionnels, chargées de vider certains litiges. On se limitera à mentionner dans ce sens les exemples la commission arbitrale en matière de presse instituée par le dahir du 27 avril 1942 sur la profession de journaliste, aujourd’hui abrogé et remplacé par la loi n° 21-94 relative au statut des journalistes professionnels, du Comité consultatif des assurances prévu par les articles 285 et ss. du code des assurances (loi n° 17-99). Il n’en demeure pas moins que l’option moderne ne date que de la fin du siècle dernier et s’inspire largement de l’expérience française. On la voit apparaître en 1993 avec la révision du statut de Bank Al Maghrib et plus clairement avec la création du Conseil déontologique des valeurs mobilières (CDVM) rapidement suivie de l’institutionnalisation du conseil consultatif des droits de l’homme en 1990, de l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT) en 1997, puis de la mise en place du Conseil de la concurrence en 2000, de l’adoption d’une instance de médiateur (diwane al madhalim devenu le médiateur), d’une Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA) en 2002, d’une instance de prévention et de lutte contre la corruption en 2007, d’une autre pour la protection des données personnelles en 2009 et enfin d’un Conseil supérieur de la consommation en 2011. Sous l’angle des intérêts politiques et économiques, le Maroc choisit ainsi l’institutionnalisation d’autorités spécialisées et indépendantes pour la régulation juridique de l’exercice des libertés publiques et des droits fondamentaux d’un côté, et de la vie économique de l’autre, en harmonie avec l’actualité nationale et internationale. Il ne s’agit point d’une mode apparue au hasard. Les mutations économiques, sociales et politiques impliquées par l’évolution endogène des idées et des mœurs ainsi que par la mondialisation dominant la vie du Maroc d’aujourd’hui impliquent et montrent que l’institution répond à un véritable besoin et qu’elle présente une utilité certaine même dans la politique d’harmonisation avec le courant international. B – L’enseignement du choix politique. L’idée de régulation trouve sa place naturelle dans le système libéral. Les principes fondateurs de ce régime reconnaissent, respectent et protègent la liberté individuelle des citoyens dans ses multiples applications et partant dans sa manifestation à travers la vie publique et l’activité économique. Si le Maroc a toujours affirmé son option libérale, il n’en demeure pas moins vrai que sa pratique est restée mitigée jusqu’à la fin des années 1980. Ni ses ressources, ni ses infrastructures ni sa culture politique ne l’aidaient dans la matérialisation de son libéralisme. Il fallait attendre la fin du siècle dernier et les réformes diverses exigées par les organisations politiques et les autorités financières internationales pour voir l’Etat suivre une politique d’élargissement et de renforcement des libertés publiques et des droits de l’homme d’une part et de désengagement économique à travers le programme des privatisations lancé depuis 19896 d’autre part., 6 M. Rousset, Etat et secteur public au Maroc : une nouvelle conception de l’intervention économique de l’Etat, in Etat et développement dans le monde arabe, C.N.R.S. 1990, (extrait de l’annuaire de l’Afrique du Nord, 1987), p. 267 et s. 4 Le revirement solennel vers le libéralisme économique ne pouvait avoir de sens que par l’ouverture libérale sur le plan politique et plus précisément le plan des droits et libertés politiques. Le dossier des droits humains, des libertés publiques et sociales est ouvert à la même époque par la création du Conseil consultatif des droits de l’homme7 puis par celle du Conseil du suivi du dialogue social. Ce dernier a disparu après quelques années d’existence. Le processus ne s’arrête pas et ne semble guère prêt de le faire. En effet, un dahir du 9 décembre 2001 est venu le couronner par l’adoption de l’institution du médiateur dans le cadre de la forme traditionnelle locale de diwane al madhalime8 chargé d’améliorer les rapports entre l’administration et les citoyens. Même si cette institution ne dispose pas de pouvoir d’injonction et de contrainte contre l’administration, elle ne demeure pas moins dépositaire d’une autorité morale de premier plan pour limiter l’omnipotence administrative et la rappeler à l’ordre. Dans le même ordre d’idées, le décret-loi n° 2-06-663 du 10 septembre supprime le monopole de l’Etat dans l’audiovisuel, ratifié par la loi n° 62-02, le dahir n°1-00-20 du 31 août 2002 crée la Haute Autorité de la communication audiovisuelle. En matière économique, on peut mentionner déjà le dahir du 21 septembre 1993 créant et organisant le conseil déontologique des valeurs mobilières dont la philosophie de régulation prend une allure plus nette dans la loi n° 06-99 promulguée par le dahir du 5 juin 2000 vient organiser la liberté des prix et de la concurrence et créer le conseil consultatif de la concurrence, chargé de sa régulation. Le concept de régulation de l’exercice des libertés publiques et des activités économiques surgit dans ce système comme une véritable nécessité pour la qualification sociale et humaine du libéralisme. Ce dernier, ne revient pas à une vie collective anarchique, de non-droit ou de liberté sauvage. Tout excès tue son objet. L’excès de liberté tue la liberté et même l’excès du droit tue le droit. La vie sociale reste un tout complexe par ses agents, ses organes ou institutions, ses besoins, ses aspirations, ses possibilités et ses contraintes physiques et morales, etc. La coexistence de ces données opposées justifie et impose la recherche d’un équilibre aussi difficile soit-il à atteindre et surtout à préserver. Le libéralisme d’une société suppose organiquement le pluralisme des différentes composantes, la légalité des règles et des procédures, l’égalité des intervenants devant lesdites règles et procédures, le respect des libertés publiques et privées des intervenants dans le cadre de la légalité, la soumission des citoyens et des pouvoirs publics au droit, l’aspiration vers la 7 M. Rousset, La protection des droits de l’homme au Maroc : de nouveaux progrès, Revue juridique et politique indépendance et coopération, n° 2, 2002, p. 165. 8 La transcription officielle « Diwan al madhalim » est maladroite car elle implique une prononciation déformée de l’expression. L’institution du médiateur, Actes de la journée d’étude organisée par la Revue marocaine d’administration locale et de développement avec le concours de la Fondation Hanns-Seidel le 18 février 2000, REMALD, Thèmes actuels, n° 20, 2000 ; Plusieurs articles sont consacrés à l’institution diwane Al Madhalim, par les deux premiers numéros de la revue spécialisée « Diwan Al Madhalim », dont notamment « L’institution Diwan Al Madhalim, une expérience originale de promotion de l’intermédiation entre l’administration et les citoyens » par A. Harti El Wardi et « L’accès à Diwan Al Madhalim et le traitement des plaintes et doléances déposées à ce niveau » par H. Ouazzani Chahdi, in n° 1, 2004, ps. 25 et 11. 5 réalisation d’un développement global durable et harmonieux pour tous dans le cadre d’un véritable Etat de droit. La régulation de l’exercice de la liberté du commerce et de l’industrie prend ainsi le sens d’une mission politique et sociale qui modifie la fonction de l’Etat directeur de la vie économique en régulateur de son déroulement dans la légalité, la transparence et la loyauté. Sa portée et son impact dépendent incontestablement des nuances et des limites retenues par la conception du libéralisme que le système adopte d’une part et la conception et l’efficacité des organes de régulation d’autre part. La régulation de l’exercice des libertés publiques, en l’occurrence la liberté d’information, de communication et d’expression, par les moyens audiovisuels, prend en considération de véritables impératifs stratégiques du pays. Elle doit veiller certes au respect de ces libertés, mais elle doit surtout veiller à permettre leur exercice en harmonie avec les facteurs qui assurent la cohésion sociale : imprégnation par la philosophie démocratique d’un Etat de droit, égalité et équilibre imposés par la diversité culturelle, linguistique et politique des citoyens, engagement du Maroc par les principes des droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus, soumission de tous, pouvoirs publics, institutions publiques et citoyens aux principes supérieurs de la constitution. C’est dire que la conception donnée aux organes chargés de la régulation ne manque pas de soulever des questions fondamentales sur les fonctions de l’Etat. En abandonnant la politique frileuse sur les libertés publiques, la démocratie et plus généralement l’Etat de droit et en renonçant au dirigisme et à l’interventionnisme économique, l’Etat se retire théoriquement de la scène publique. Mais il risque ainsi de provoquer un désastre s’il abandonne toute action à la dynamique des citoyens et du marché. C – L’enseignement impératif des nouveaux besoins. Dans cette optique on peut légitimement s’interroger sur la sincérité de la nouvelle politique. Les autorités de régulation peuvent alors être effectivement des organes indépendants du pouvoir administratif par l’absence de soumission à la hiérarchie et la tutelle étroite, par la valeur intrinsèque et la liberté des personnalités qui les composent et par leur autonomie financière. On y verra alors une véritable manifestation de l’Etat de droit contraignant l’administration à respecter un minimum de garanties pour les libertés fondamentales en matière politique, économique et sociale, notamment par le rapprochement des méthodes et des procédures de ses décisions de celles qui caractérisent l’action judiciaire. L’attachement au contradictoire, à la publicité et à l’exercice des droits de la défense devient alors inhérent à la décision administrative et en établit la transparence, la légalité et la régularité ou au moins la loyauté. Dans le même ordre d’idées, on peut y voir un aspect de la moralisation de l’administration et des affaires hautement revendiquée par l’actualité9 mais qui semble peiner à se réaliser devant la complexité des faits et la lourdeur des habitudes négatives du passé. 9 Revue marocaine de droit et d’économie du développement, n° spécial : Le droit et la morale, n° 46, 2002, dont tout particulièrement « L’exigence morale dans les affaires » par M. El Mernissi, p 9 et « Le contrôle de la moralité administrative au Maroc » par M. El Yaâgoubi, p. 17. V. aussi les ouvrages et travaux collectifs : 6 A cet égard, force est de relever que l’apport du Conseil consultatif des droits de l’Homme, devenu conseil national des droits de l’homme, Diwan al madhalim devenu le médiateur, et la HACA, malgré la création récente de ces institutions, a été plus bénéfique et mieux accepté que les condamnations judiciaires chirurgicales et les décisions administratives autoritaires, souvent consécutives à des campagnes médiatiques plus ou moins objectives. L’ensemble des remarques ci-avant permet de penser à l’existence d’une révision profonde des fonctions de l’Etat dans un sens imprégné par le libéralisme politique, économique et social et tendant à la réconciliation des institutions publiques avec les citoyens. A l’inverse de ce qui précède, les nouvelles autorités de régulation risquent aussi de se révéler une manière plus sournoise pour l’Etat de maintenir son emprise sur la vie économique et sociale par un camouflage réussi de son interventionnisme10. En effet un décalage notoire subsiste entre les finalités théoriques de ces institutions et la réalité concrète des faits. Sur le plan économique, les monopoles de droit et de fait demeurent importants et assez répandus. Le champ des autorisations administratives d’entreprendre ne semble pas se rétrécir à cause de la déformation du sens des déclarations supposées les remplacer et la multiplication excessive des documents constitutifs des déclarations. Les failles et les lacunes législatives et réglementaires permettent toujours des déviations pratiques, des abus de tout genre, des détournements de la loi et des consécrations de privilèges en marge de la légalité, de la transparence et de la loyauté. Sur le plan des libertés publiques et des droits fondamentaux, la situation n’est pas meilleure. La simple observation de l’action du CNDH, du médiateur et de la HACA, permet de relever le comportement irrégulier de beaucoup de décideurs administratifs et d’opérateurs de la communication audiovisuelle. D’un autre point de vue, l’hétérogénéité des missions des nouveaux organes, leur chevauchement avec les fonctions de l’administration, de la justice, de la politique et des organisations professionnelles et plus généralement de la société civile, ne facilitent point de conception et de catégorisation juridique ou institutionnelle claire. Les menaces d’ambiguïté des tâches, de confusion de rôles et de compétences, d’alourdissement des formalités et procédures de décision, de cloisonnement professionnel, etc. peuvent laisser perplexes les opérateurs et les observateurs de l’évolution du droit et des institutions11. C’est dire que la définition ou au moins la délimitation et la détermination de la place et de l’objet des nouveaux organes dans l’édifice institutionnel et juridique suscitent une première réflexion. Paroles de managers, Gaetan Morin, Association Afak, 1998 ; Ethique et entreprise, perspectives maghrébines, Fondation du Roi Abdul Aziz, Wallada, 1971 ; Ethique et croissance économique, Association Ribat Al Fath, 1995. 10 Nos observations sur la nature du Conseil de la concurrence dans notre livre ci-dessus cité, p. 242 et ss. 11 J.M. Frison-Roche, les risques de régulation, (collectif sous la direction de), Presses de Sciences PO, Dalloz, 2005; revue justice J. chevallier. Les autorités administratives indépendantes et la régulation des marchés, rev. Justices, n° 1, 1995, p. 81. 7 En second lieu, la clarification du contenu de la régulation, varie entre la sphère extensive et extensible de la concurrence, et les contours des secteurs limités des normes techniques et politiques dans la communication audiovisuelle et les télécommunications. En conséquence, la précision des modalités d’action des organes habilités implique des questions importantes sur leur qualification, leurs moyens et l’harmonisation interne et contextuelle de leurs missions au sein de l’ensemble des institutions. L’exercice régulier de la liberté économique et plus généralement la rationalité du système dépendent largement de l’effectivité et de l’efficience de la nouvelle politique de régulation de la concurrence et de la rigueur de sa mise en œuvre. Le respect des droits fondamentaux et surtout de la dignité humaine des citoyens, ainsi que des libertés publiques, notamment d’expression et de communication, restent conditionnés par l’existence d’une culture civique chez les décideurs et les opérateurs. Il semble que ni l’effectivité ni la culture, visées n’ont encore pris racine dans les faits. Il faut relever à ce niveau de nos observations que le pouvoir réglementaire exercé par l’administration, l’influence de fait de certains opérateurs de la communication audiovisuelle largement affaiblie par le net, l’impuissance des consommateurs et de la société civile, retiennent l’attention. Le rôle capital que ces éléments doivent jouer aussi dans la régulation à travers les actions qu’ils entreprennent, est plus que souhaité dans le cadre de leur participation aux organes de régulation et à l’occasion de l’application des normes. De plus en plus, les opérateurs, les consommateurs et la société civile participent au processus de décision soit comme parties intégrantes des organes administratifs soit comme intervenants extérieurs dans le cadre de consultation ou d’expertise. Les instances de régulation, cumulent à leur tour, simultanément, les fonctions de création et d’application des normes. Cette situation exorbitante du droit commun s’explique largement par l’originalité de la régulation par rapport à l’exercice traditionnel du pouvoir administratif et du pouvoir judiciaire. Le dialogue et la participation qui caractérisent leur conception et leur organisation atténuent les risques de confier tous les aspects de la régulation exclusivement à l’administration. La régulation ne différerait plus de l’interventionnisme ou du dirigisme ancien que par leurs modalités d’action. L’attribution de la nouvelle fonction de régulation à l’autorité judiciaire, pouvoir constitutionnellement chargé de dire le droit et de trancher les litiges, devient doublement inconcevable. La mise en œuvre de la régulation est à la fois plus large et plus étroite que la mission de la justice12. Elle en est plus large car elle ne consiste pas uniquement à dire le droit. Elle 12 La nouvelle notion de régulation implique des rapports d’indépendance mais non d’étanchéité entre les autorités de régulation et les juridictions. En plus de la complémentarité des missions, la tradition et le respect de la constitution impliquent nécessairement le contrôle des décisions des organes de régulation par l’autorité judiciaire. Sur l’organisation de ces rapports, leurs difficultés et leurs inconvénients, voir J-F Lepetit, Etat, juge et régulateur, F. Dupuis-Toubol, Le juge en complémentarité du régulateur, J-J Israël, La complémentarité face 8 s’étend à vérifier le respect d’autres normes de fonctionnement du domaine régulé. En effet, la régularité de fonctionnement de ce dernier concrétise des orientations politiques, des équilibres, des arbitrages, des préventions, des contraintes sociales ou culturelles, et des exigences techniques et professionnelles qui échappent à la compétence des juridictions. La régulation peut intervenir à titre préventif ou curatif. Elle paraît aussi plus étroite que la fonction judiciaire car très souvent elle n’englobe point un pouvoir de répression aussi large et particulier que celui des jugements judiciaires. Même quand les autorités de régulation ordonnent des sanctions, ces dernières ont un régime juridique différent de celui des sanctions prises par les juridictions. L’intervention répressive des juridictions a toujours un aspect social et moral négatif. Elle doit venir alors en dernier lieu, à la limite, quand la régulation visée s’avère inappropriée ou insuffisante pour résoudre la difficulté. Elle doit s’attacher à la solution des seules situations qui nécessitent un jugement au sens technique et partant qui s’accommodent de ses conséquences chirurgicales. Jusqu’à une date relativement récente, la législation et la réglementation étaient conçues, étudiées, appliquées et discutées du point de vue étroit de l’équilibre des intérêts privés dans le but d’en résoudre les conflits d’une part, et sous l’angle du respect de l’intérêt général plus ou moins illustré par la notion de l’ordre public et des rapports avec les organes de l’Etat d’autre part. Aujourd’hui, l’idée de conflit d’intérêts au sens étroit, évolue de plus en plus vers le concept d’équilibre et d’harmonie du système politique, économique et social, aux plans national et international. Cette idée est plus conforme à l’imprégnation par l’esprit libéral de l’Etat de droit qui s’articule sur la pluralité et la nécessité d’organes de régulation plus adaptés aux nouveaux impératifs. L’influence de l’impératif de développement global, évolutif et dynamique au profit des citoyens et du pays domine de plus en plus et commence à substituer le concept de régulation à celui de codification et de réglementation abstraite et à celui de jugement relativement rigide et plus ou moins statique des rapports individuels et sociaux dans la majorité des régions du monde. Un droit soft remplace un droit hard. Il devient plus raisonnable de réfléchir sur l’économie générale qui anime le contenu de la régulation et qui imprime un infléchissement nécessaire à l’interprétation et à l’application du droit en matière administrative, économique et sociale. A ce niveau, on ne peut que reconnaître que la régulation s’articule sur quelques principes quasi universels et leur mise en œuvre par des organes qualifiés en conséquence et par-là même originaux par rapport aux institutions classiques de prévention, de répression et de solution des conflits. à la diversité des régulateurs et des juges, CH. Bellamy Le juge contrôleur du régulateur, J. Marimbert, L’ampleur du contrôle juridictionnel sur le régulateur, Guy Canivet, Propos généraux sur les régulateurs et les juges, in la quatrième partie du livre « Les régulations économiques : légitimité et efficacité », publié sous la direction de Madame Marie-Anne FEISON-ROCHE aux PRESSES DE SCIENCES PO et DALLOZ, Paris, 2004 . 9 Il s’agit de trois principes fondamentaux : la liberté économique, politique et sociale, la transparence des transactions économiques et des activités publiques et plus généralement des relations entre les administrés et les pouvoirs publics, et enfin la loyauté des opérateurs entre eux et vis-à-vis des consommateurs et des autorités du pays. Il va de soi que l’effectivité et le succès de cette construction dépendent étroitement de l’existence d’un Etat de droit13 foncièrement respectueux de la légalité et de la liberté, et hautement motivé par la réalisation du développement durable et global de l’ensemble du pays et de ses citoyens, sans abus ni excès, sans laxisme ni anarchie. La jurisprudence des pays étrangers semble déjà animée par cette nouvelle vision. Devant, le respect formel parfait de la loi, elle tend de plus en plus à vérifier l’existence des principes cités dans le comportement et l’intention des justiciables, enrichissant ainsi le droit et l’économie par un apport certain de l’éthique14. Or ni l’administration ni la justice assurée par les tribunaux traditionnels ne permettent effectivement la réalisation de cet objectif. Elles sont rigoureusement soumises à la loi dans son sens abstrait et littéral. Les organes et les autorités chargées de la mise en œuvre de la régulation étaient classiquement et traditionnellement l’administration et la justice plus ou moins accompagnées par des organes disciplinaires professionnels ou d’arbitrage15. L’évolution récente de l’économie et de la vie publique, nationale et internationale, révèle des limites gênantes inhérentes aux contraintes et surtout aux conséquences de l’action de ces institutions. Les décideurs et les opérateurs en contravention avec les droits fondamentaux et les libertés publiques, ou responsables de fautes dans leurs relations professionnelles supportent désormais difficilement des décisions judiciaires et administratives et réclament une autre manière de règlement de leurs différents. Ils continuent bien à exiger l’application de la loi et du contrat, mais souhaitent en plus que les décisions ne troublent pas la sérénité de la vie publique et ne compromettent pas la continuation des affaires et des libertés. Les pouvoirs publics reconnaissent l’importance et la légitimité de cette attente. Ils s’efforcent de la satisfaire tout en préservant les impératifs d’un ordre public politique et économique de plus en plus sensible aux droits des citoyens en tant que tels et en tant que consommateurs, à l’harmonie et à la cohésion sociale inhérente à l’Etat de droit, et à la solidité de l’économie nationale sur une scène internationale profondément bouleversée par la mondialisation et la concurrence impitoyable qui régit les relations interétatiques16. D – Articulation des organes de régulation. Les réalités actuelles du droit marocain dénotent la conscience du législateur de cette évolution rappelée ci-dessus. Dans la conception et l’organisation de la régulation, on assiste à 13 M. Lombard, La régulation dans un Etat de droit, in Règles et pouvoirs dans les systèmes de régulation, sous la direction de M-A. Frison-Roche, Presses de Sciences Po et Dalloz, 2004, p. 26. 14 A. Pirovano, Justice étatique, support de l’activité économique, Revue Justices, n° 1, 1995, p. 19 ; P. Didier, Ethique et droit des affaires, D. 1993, chron. P. 17. 15 Notre livre « Concurrence, .. . » p. 209 et ss. 16 Note de présentation de la loi sur la liberté des prix et de la concurrence, in REMALD, « Textes et documents », n° 39, 2000, p. 11. 10 une évolution empirique allant de l’institutionnalisation législative à la consécration constitutionnelle d’autorités publiques spécialisées et apparemment indépendantes ou au moins autonomes. Il importe de s’arrêter sur cette évolution en raison de sa grande importance pour la clarification du sens de la régulation et du statut des organes qui en sont chargés. 1)- De la légalisation à la constitutionnalisation. Avant la réforme constitutionnelle de 2011, les textes marocains ne laissaient point de doute sur la légalité des instances chargées de la régulation. Elles sont toutes créées et organisées par la loi au sens formel. Le cas particulier du conseil national des droits de l’homme, de la HACA et du médiateur, créés par dahir modifie la règle. Il permet de dire que seules les institutions de la première catégorie sont des autorités administratives indépendantes. Celles qui sont créées par dahir et rattachées directement au Roi n’ont guère de nature administrative. Cette catégorie se fondait sur l’article 19 de la constitution abrogée. L’article 19 indiqué subit une révision profonde dans la nouvelle constitution. La portée extensive d’intervention du dahir y connaît une précision et une clarification limitative. Le Roi exerce par dahirs, les missions expressément mentionnées dans les deux premiers alinéas de l’article 42 dont une partie se substitue à l’ancien article 19. Dans ce sens, le respect du bon fonctionnement des institutions constitutionnelles et la protection du choix démocratique et des droits et libertés des citoyens sont garantis par le Roi. Il exerce cette mission de garant suprême en vertu de ses pouvoirs constitutionnels par dahir. Dans ce but, il s’entoure par les services et les organes adéquats dont évidemment des régulateurs. De plus, la régulation de l’exercice des libertés publiques et des droits humains, met forcément en cause l’administration. Il devient inconcevable de lui confier la régulation impliquée sous peine d'en faire juge et partie. Cette règle maintient intacte la condition juridique des instances visées dont la HACA. Toute création de nouvelles instances du même genre et toute modification future du statut de l’ensemble de ce groupe ne peut avoir lieu que par dahir. Seules les autres instances relèvent du domaine législatif et partant de la loi parlementaire .conformément à l’article 159 de la nouvelle constitution. En vertu du principe du parallélisme des formes, la création de nouvelles autorités du même genre et la modification du statut juridique des instances déjà existantes et de celles qui peuvent être créées plus tard, devront avoir lieu par la loi. . Aujourd’hui, la question est tranchée. En cas de discussion à l’occasion d’un texte déterminée, la saisine de la cour constitutionnelle est permise et sa décision s’impose à tous. L’interrogation ne subsistera qu’à l’occasion de la modification éventuelle des textes concernant les anciennes instances, notamment le conseil de la concurrence, l’ANRT et le CDVM, en cas de discussion de la nature législative ou réglementaire de leurs dispositions. L’article 73 de la nouvelle constitution donne la réponse et la solution. Il maintient intacte la règle adoptée depuis la constitution de 1962. Dans ce sens, les textes pris en forme législative peuvent être modifiés par décret, après avis conforme de la cour constitutionnelle, lorsqu’ils seront intervenus dans un domaine dévolu à l’exercice du pouvoir réglementaire. 11 Sous l’angle d’une approche comparative avec les pouvoirs constitutionnels, législatif, exécutif et judiciaire, avant la réforme constitutionnelle, les instances de régulation réunissent parfois des attributions relatives à la création des normes, juridiques et techniques, à la vérification de leur application et à la sanction de leur inobservation. Nos institutions ne manquaient cependant pas d’intriguer le juriste en rappelant ainsi une idée de confusion des pouvoirs constitutionnels alors que ni le principe de régulation ni les organes qui le concrétisent ne figuraient dans les dispositions constitutionnelles. Aujourd’hui, la reconnaissance constitutionnelle explicite met fin cette difficulté Le système actuel se compose de deux ordres d’organes relevant des pouvoirs publics. Il s’agit des autorités traditionnelles générales et des autorités nouvelles spécialement habilitées pour la régulation de certains secteurs. Créées et organisées par des textes législatifs, ces autorités ont trois ordres d’attributions : élaborer ou au moins participer à l’élaboration des normes réglementaires et techniques, veiller à leur application et sanctionner leur violation. Force est de constater qu’il y a là une réunion des compétences de réglementation, d’administration et de sanction entre les mains de la même instance. Concernant les instances qui relèvent du domaine de la loi, elles sont des autorités administratives indépendantes et exercent les attributions réglementaires, exécutives et sanctionnatrices classiques de l’administration. Seules les modalités et les procédures en font l’originalité d’organes de bonne gouvernance. Les institutions relevant du dahir sont aussi des instances indépendantes de régulation, mais elles n’ont point de caractère administratif. Leur rattachement au Roi s’oppose à ce qualificatif. Elles exercent également les mêmes attributions et bien que leurs décisions soient soumises au contrôle de la juridiction administrative, elles continuent à relever du domaine d’intervention du Roi. a)- Conception législative Toujours au plan des généralités et sans prétendre coller à une vision d’ensemble adoptée par le législateur17, on peut remarquer que les organes institués par la loi se divisent aisément en deux catégories principales. La première comprend le Conseil de la concurrence (CC) et le Conseil déontologique des valeurs mobilières (CDVM). La seconde intéresse l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT) et la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA). Cette structure permet de penser à une conception compréhensive embrassant des organes à compétence générale ou de droit commun embrassant tous les opérateurs économiques, (CC, CDVM) et des organes à compétence sectorielle, (ANRT, HACA ), spécialisés dans un secteur déterminé de la vie publique, socioéconomique intéressant une catégorie précise d’opérateurs. On reste cependant sceptique lorsque l’on relève que l’ordre chronologique de création des organes et la délimitation précise de leur champ d’action ne confirment point cette conception. 17 Le problème de la vision d’ensemble d’un système de régulation est bien posé dans la doctrine étrangère. Nous pensons qu’il ne tardera point à surgir aussi au Maroc suite à la multiplication des organes et à la diversité des besoins. V. M.-A. Frison-Roche, Le nouvel art législatif requis par les systèmes de régulation économique, in Règles et pouvoirs dans les systèmes de régulation, Presses de Sciences Po et Dalloz, 2004, p. 154 ; J-J. Israël, La complémentarité face à la diversité des régulateurs et des juges, op. cit. 12 En effet, le CDVM est le premier organe institué à l’occasion de la réorganisation de la Bourse des valeurs mobilières en 1993. L’institution de l’ANRT a eu lieu en 1997, celle du CC en 2000 et enfin celle de la HACA en 2002. Seul le CC semble disposer d’une compétence générale, transversale touchant tous les domaines régis par la liberté de la concurrence. Le champ d’intervention des trois autres se limite à un secteur déterminé. Sous l’angle des attributions visées plus haut, la juxtaposition de la possibilité de réglementer et de veiller à l’application respectueuse des règles ne passe pas sans problème. Les règles réglementaires découlent souvent de circulaires, de notes et d’instructions. Leur application en dehors des organes qui les produisent se heurte théoriquement à leur nature orthodoxe exigeant la limitation de leur champ à l’intérieur des services administratif. Force est de reconnaître que cette incohérence est évitée par les textes fondateurs des instances de régulation qui leur attribuent expressément la compétence de fixer les règles visées sans en fixer la forme. On relève ici une véritable délégation permise par la loi qui évite la discussion de la légalité et la constitutionnalité. Les normes techniques régulées par les organes sectoriels s’avèrent difficiles à distinguer des règles réglementaires et des manifestations de la concurrence. Le critère du général et du particulier s’amenuise quand on réfléchit sur le domaine concret de la nature des compétences attribuées à ces organes. Théoriquement, ces organes se limiteraient à établir des prescriptions d’application des textes législatifs et réglementaires qui relèvent normalement des pouvoirs constitutionnels. On constate en pratique que les exigences imposées notamment par le CDVM et l’ANRT dépassent le domaine réglementaire étroit d’application. Il embrasse le comment faire concret, le technique au sens précis. Ceci s’explique par la force des faits dont la vitesse d’évolution exige une intervention simultanée, incompatible avec la lenteur naturelle du droit. Ajoutons à cela que tous les textes fondateurs imposent aux régulateurs une mission de veille scientifique et technique à même de maintenir le droit concerné et leur action conformes à l’évolution des besoins, des idées et des faits. Jusqu’à maintenant la sagesse de la HACA évite la maladresse de l’enchevêtrement du normatif et du technique. La délimitation assez précise de son champ d’action par rapport à celui de l’ANRT favorise le respect de l’orthodoxie. La fidélité de sa jurisprudence à la loi et aux grands principes du droit finira par la naissance d’une véritable déontologie sinon d’une éthique de la communication audiovisuelle18. Il faut reconnaître que ce résultat exige une grande maturité des opérateurs et une évolution profonde des mentalités dans un sens civique. L’effacement du conseil de la concurrence devant le Premier Ministre entraîne une situation différente car ledit conseil reste sans véritable pouvoir de décision. Le pouvoir réglementaire demeure exercé par le premier ministre. Celui de la création des normes techniques l’est par l’autorité gouvernementale chargée du commerce et de l’industrie. Le pouvoir de sanction implique la même impression de confusion avec l’administration chargée de l’exécutif et la justice habilitée à trancher les litiges et prononcer les peines. 18 V. Jamal Zddine Naji, Médias et journalistes, Précis de déontologie, Centre de documentation d’information et de formation dans le domaine des droits de l’homme, Rabat 2004 ; Médias et Société au Maroc, Diagnostic et feuille de route, Synthèse et recommandations, Rabat 2011. 13 Dans le rapprochement avec l’administration, on doit reconnaître que l’originalité ne consiste pas dans le pouvoir de sanction. Celui-ci appartenait et appartient toujours à l’administration classique. L’originalité de l’organe de régulation réside dans la procédure et le respect des droits de la défense généralement absents de la décision de sanction prise directement par l’administration. La sanction n’en conserve pas moins sa nature administrative. La prise en considération de la procédure contradictoire et le respect des droits de la défense, ajoutés à l’indépendance de l’organe, traduisent tout simplement une obligation de bonne gouvernance désormais imposée à l’administration à travers l’organe de régulation. A côté de la création des normes, les autorités de régulation disposent parfois du pouvoir de prononcer des sanctions. La procédure du contradictoire et du respect des droits de la défense incite aussi à un rapprochement de cette attribution avec la compétence judiciaire. Malgré cette ressemblance de forme, l’autorité de régulation ne constitue pas une juridiction et la sanction qu’elle édicte diffère de la sanction judiciaire. La peine qu’elle décide reste une sanction administrative dont le but se limite à la régulation du marché à l’exclusion de toute finalité de punir l’opérateur fautif ou de réparer le dommage privé éventuellement subi par un autre opérateur. Le régulateur exerce une simple attribution de l’administration en respectant les formes et procédures de bonne gouvernance. Le droit marocain prévoit et applique depuis longtemps les sanctions administratives19. Sous l’angle du rapprochement avec la justice toujours, l’organe de régulation ne prononce pas de jugement. Quand la loi ne l’oblige pas à prononcer un simple avis, sa décision tend à corriger le fonctionnement d’un domaine ou d’un marché. Même en respectant la procédure contradictoire et les droits de la défense, il ne vide pas un litige entre deux justiciables. La contradiction et la discussion ont lieu entre lui et l’opérateur. Devant une juridiction, elles ont lieu entre des protagonistes, des justiciables. Le tribunal n’en fait pas partie. Le régulateur, distinct aussi des opérateurs, intervient pour le compte du marché ou du domaine social dont il est chargé. Sa décision ne s’étend pas à la réparation du dommage subi par un opérateur. Ceci relève de la justice. Elle se limite à mettre fin au préjudice en cours et à l’éviter pour le futur. Le particulier, victime d’un dommage, peut toujours demander au tribunal compétent l’octroi d’une réparation. En cas d’infraction de nature pénale, le régulateur ou son autorité de tutelle saisissent le procureur du Roi en vue des poursuites judiciaires répressives. Sur le plan horizontal de l’harmonisation des compétences, un opérateur de l’industrie risque de commettre un acte de concurrence déloyale relevant du CC. L’acte visé peut se compliquer par une infraction à la réglementation des valeurs mobilières et plus précisément des interventions en bourse relevant de la régulation par le CDVM . Si l’industriel en question utilise le support d’un opérateur audiovisuel de manière contraire à la loi sur la communication audiovisuelle ou sa licence, il s’expose avec son partenaire à la réaction de la HACA. Enfin, si ledit industriel emploie irrégulièrement les techniques ou les fréquences régulées par l’ANRT, son action impliquera l’intervention de cette dernière aussi. En conséquence, les difficultés de compétence connus en matière judiciaire menacent de se reproduire dans la régulation. Ils appelleront des solutions de complication, de conflit, de contradiction et de double emploi. 19 Notre livre, Concurrence, Droits et obligations des entreprises au Maroc, p. 393 et ss. 14 Toujours du point de vue de la compétence on doit constater que les agents, acteurs et opérateurs soumis aux autorités de régulation se caractérisent par la différence de statut juridique, public ou privé. Qu’il s’agisse des libertés publiques et droits humains fondamentaux, ou des activités économiques et financières, la régulation peut concerner l’action des personnes physiques et des personnes morales publiques ou privées. La compétence du conseil de la concurrence touche ainsi des entrepreneurs individuels, des sociétés commerciales de droit privé, des entreprises publiques et des établissements publics. La compétence de la haute autorité de la communication audiovisuelle embrasse les sociétés de droit public et les sociétés de droit privé qui comportent obligatoirement au moins un opérateur personne physique. Dans l’état actuel du droit marocain, malgré l’existence d’un secteur public dans le domaine régulé, on ne relève guère de nuance particulière dans l’intervention du régulateur en fonction de la qualité publique ou privée de l’opérateur. Une telle nuance ne semble pas inutile quand les actions de deux personnes morales publiques paraissent en conflit. Un seul cas prévus par la loi sur la liberté des prix et de la concurrence mérite d’être signalé. Quand un opérateur, autre que l’Etat, relève du secteur public, il n’obéit à cette loi que lorsque son action, de nature économique, ne rentre pas dans ses missions de puissance publique ou de service public. b)- Réforme constitutionnelle En réaction à la maladresse d’absence de fondement constitutionnel, qui caractérisait l’attitude législative, la nouvelle constitution fournit une correction non moins problématique mais à un moindre degré. Comme la loi, elle ne donne pas de définition de la régulation. La teneur de la réforme constitutionnelle s’articule sur le principe de bonne gouvernance et les organes de régulation. 1° La bonne gouvernance Nous avions noté que la régulation revient à une bonne gouvernance dans l’exercice de l’activité administrative. La constitution actuelle consacre bien cette opinion. Si elle ne donne point de définition de l’expression « bonne gouvernance », elle paraît néanmoins très attachée à son idée à travers un grand nombre de ses dispositions tout particulièrement celles qui précèdent l’exposé des organes de régulation. Ainsi dès le préambule, lui-même partie intégrante de la constitution, elle insère le régime marocain dans la construction d’un Etat de droit démocratique poursuivant le processus de consolidation et de renforcement et se fondant sur un certain nombre de principes dont celui de la bonne gouvernance. Le lien est ainsi fait, dès le début, avec l’objet et le but de la régulation. L’article premier réitère l’adoption des principes de démocratie citoyenne et participative, de séparation, d’équilibre et de collaboration des pouvoirs et de bonne gouvernance. On ne peut ignorer que ces principes constituent l’essence de la régulation. Dans un style plus implicite, les derniers alinéas de l’article 28 précisent que la loi fixe les règles d’organisation et de contrôle des moyens publics de communication et garantit le respect du pluralisme linguistique, culturel et politique de la société marocaine. Dans ce cadre, la HACA veille au respect de ce pluralisme. Ce texte consacre constitutionnellement et solennellement le premier organe de régulation. 15 Au niveau du domaine de la loi, l’article 71, alinéa 29, met dans les matières législatives la création des établissements publics et de toute autre personne morale de droit public. En contrepartie, l’article 89 clarifie l’exercice du pouvoir exécutif accordé au gouvernement en y intégrant la supervision et la tutelle des entreprises et des établissements publics. On rappelle à cet égard que les organes de régulation on un caractère public, même si certains d’entre eux ne bénéficient pas de la personnalité morale et même s’ils n’obéissent à la tutelle ainsi visée. Dans un sens de précision et de précaution, l’article 109 interdit, de manière générale et catégorique, toute immixtion dans le fonctionnement de la justice. Cette règle acquiert une grande valeur sur le plan de la distinction des organes de régulation et des tribunaux d’une part, et sur celui des rapports entre les instituions de régulation et les juridictions d’autre part. Au plan des droits des justiciables et des règles de fonctionnement de la justice, ou de bonne administration ou gouvernance de la justice, les articles 117 et 118 mettent en relief le rôle de la justice dans la garantie des droits, libertés et sécurité des justiciables d’une part, et garantissent l’accès à la justice pour toute personne pour défendre ses droits et intérêts d’autre part. L’article 126 consolide ces garanties en rappelant que les jugements définitifs s’imposent à tout le monde et en contraignant les autorités publiques à apporter leur assistance quand elles en sont requises y compris pour l’exécution. La distinction relevée avec les organes de régulation se confirme. Ces prescriptions, très louables, incitent à s’interroger sur le cas de l’intervention dans le fonctionnement des autorités de régulation. Elles autorisent plus globalement à poser la question du rapport entre ces autorités et les pouvoirs constitutionnels y inclus le pouvoir judiciaire. Dans un souci d’application compréhensive du principe de bonne gouvernance, l’article 146 l’étend aux régions, et l’article 147 en confie la surveillance à la cour des comptes dans ses interventions au sein de tous les organismes publics, par conséquent même les autorités de régulation. Cette compétence de la cour des comptes s’ajoute à celle de la vérification des comptes. Les principes généraux de bonne gouvernance font l’objet des articles 154 à 160. 2° La régulation proprement dite Il faut commencer par constater que la régulation au sens large, traduit constitutionnellement une règle de bonne gouvernance. La constitution ne parle ni de régulation ni d’organes de régulation ; elle en consacre implicitement l’idée. Ses articles 161 à 170 institutionnalisent empiriquement des institutions et instances de protection des droits et libertés, de bonne gouvernance, de développement humain et durable et de démocratie participative. Les dispositions indiquées ne confèrent point de caractère administratif ou autre aux entités mentionnées. On peut déduire cependant le caractère administratif de certaines d’entre elles de la tutelle gouvernementale qui les régit. Il en est ainsi notamment du conseil de la concurrence et de l’ANRT. Leur indépendance est expressément consacrée malgré le caractère administratif. 16 Réserve faite de celles qui existent à la date d’adoption de la nouvelle constitution, la création d’autres instances relève de la loi, du domaine législatif, sous réserve de ce qui a été dit à propos des instances créées par dahir dans le cadre des attributions du Roi.. L’institutionnalisation et la conception des organes de régulation figurent dans les dispositions des Articles 161 à 167 : instances de protection et de promotion des droits de l’Homme. L’INDH et les institutions de démocratie participative sont consacrées par les articles 168 à 171. La première catégorie comprend le conseil national des droits de l’homme, le médiateur, le conseil de la communauté marocaine à l’étranger, l’autorité chargée de la parité et de la lutte contre toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme, la haute autorité de la communication audiovisuelle, le conseil de la concurrence. Observons que seules les deux dernières instances répondent pleinement à l’idée de régulation au sens technique et procédural. La deuxième catégorie comporte le conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, le conseil consultatif de la famille et le conseil consultatif de la jeunesse et de l’action associative. Ces instances ne rentrent dans le concept de régulation que sous l’angle général de leur contribution intellectuelle à l’établissement de la politique de l’Etat. L’énumération des contenus des deux catégories montre que l’esprit de la constitution opte pour une conception compréhensive très large de la régulation. On ne peut qu’appuyer ce choix même si nous retenons l’idée de régulation, au sens exposé plus haut, uniquement dans les instances chargées de la protection et de la promotion des droits de l’homme, de la bonne gouvernance et de la régulation, prévues dans les articles 161 à 167. Malgré l’avancée politique et institutionnelle notoire assurée par ces dispositions de la nouvelle constitution, on ne s’empêche pas de relever qu’elle comporte des maladresses techniques de contenu et de rédaction. En se limitant au thème de ce travail, on doit observer qu’elle dénote une confusion entre les institutions affectées réellement à la protection et à la promotion des droits de l’homme et celles qui sont simplement attachées à la bonne gouvernance administrative. Sous cet angle, il n’y a pas de raison d’intégrer le conseil de la concurrence dans la liste. Non seulement, il n’a pas de pouvoir de décision, mais en plus, il n’a qu’une compétence de police administrative du marché. Il n’a point de personnalité morale et ne joue que comme un service administratif interne du chef du gouvernement. Sous cet angle, l’organisation du pouvoir exécutif arrêtée par la constitution dispense logiquement de lui réserver une mention spéciale par ce texte. Il fait partie intégrante de son domaine. En deuxième lieu, la liste paraît laconique à cause de ses omissions. Elle ne mentionne ni l’ANRT, ni le CDVM, ni l’agence de protection des données personnelles. Ces institutions exercent un rôle incontestable dans la régulation. Leur obéissance à la tutelle a une intensité beaucoup plus légère que celle du conseil de la concurrence constitutionnalisé. Rationnellement et juridiquement, leur mention dans la constitution se fonderait plus que celle du conseil de la concurrence. Leur omission par le texte constitutionnel dénote à la fois une maladresse et une incohérence. D’autres incohérences ne manquent également pas. C’est ainsi que la création d’une instance anti corruptions est prévue par l’article 36 et répétée par l’article 167. La complémentarité 17 sinon la continuité des dispositions de ces deux articles justifie leur réunion dans un seul article. 2ème Partie - Réponse fonctionnelle La constitution distingue les organes de régulation à la lumière des principes de bonne gouvernance comme nous l’avions noté plus haut. Les textes législatifs traduisent plus concrètement des inspirations d’ordre économique ou politique. Leur contenu précis permet une autre distinction en fonction de l’étendue de leurs attributions pour donner lieu à des régulateurs à compétence générale ou transversale, et des régulateurs à compétence particulière ou sectorielle. On entend par compétence générale, en matière de régulation économique, l’aptitude à traiter des manifestations fondamentales des activités économiques résumées dans l’exercice de la liberté de la concurrence dans le commerce des produits, marchandises et services au sein du marché économique largement entendu d’une part, et dans la circulation des valeurs mobilières au sein du marché constitué par la bourse des valeurs mobilières d’autre part. Le conseil de la concurrence et le conseil déontologique des valeurs mobilières sont conçus et organisés pour superviser respectivement ces deux types d’interventions des opérateurs économiques au Maroc. Ils connaissent de la régulation des deux manifestations essentielles de la vie économiques, les activités portant sur les produits, biens et services d’une part, et les opérations encadrées par le marché des valeurs mobilières, ou un mode de financement des investissements de la première catégorie d’autre part. Du point de vue de l’étendue de la compétence en matière économique, le CDVM et le CC sont appelés à intervenir particulièrement dans les activités économiques et financières engageant des opérateurs du secteur privé et ne mettant en cause des agents du secteur public que de manière exceptionnelle. Les établissements publics à caractère industriel et commercial et plus généralement les entreprises publiques demeurent quantitativement peu nombreux dans la masse des intervenants même s’ils jouent parfois un rôle dominent dans le marché. Le processus de privatisation et d’ouverture sur l’investissement privé accentue cette tendance. Qualitativement, les acteurs publics ne demeurent pas moins des opérateurs très influents et à haut risque au Maroc à cause de leur penchant quasi naturel à abuser de leur condition souvent monopolistique ou d’opérateur historique. Deux exemples suffisent pour illustrer cette remarque. La compagnie d’aviation, Royale Air Maroc dans le transport aérien et la société Ittissalat Al Maghrib (Maroc Télécom) dans la téléphonie. Il est à craindre que la même situation ne se reproduise dans la communication audiovisuelle après l’arrivée des opérateurs télévisuels privés. Ceci ne veut pas dire que les deux organes mentionnés exploitent exclusivement des activités commerciales de droit privé. Dans notre domaine, la division « droit public-droit privé » perd son sens. En effet, les relations à réguler peuvent impliquer indistinctement des règles de droit privé et de droit public même lorsque toutes les parties en cause sont des entreprises privées ou publiques. La réglementation des activités économiques porte à la fois sur les intérêts privés et sur les obligations d’ordre public découlant du rôle de 18 l’administration ou du rapport qu’elle entretient avec les opérateurs. A côté de l’exploitation d’un commerce privé, elles assurent des missions d’intérêt public ou général. Les règles de police, de contrôle et de sanction ainsi que l’assurance d’un service public général se situent dans ce sens. Les organes en question ne sont pas nécessairement exclusivement des régulateurs économiques non plus. Les normes sur l’application desquelles ils doivent veiller peuvent intéresser des droits et des libertés publiques aussi importants que les activités économiques20. Il en est par exemple ainsi de la santé, de l’environnement, de la communication et de la culture. Sous cet angle aussi, le rapport impliqué ne se réduit ni à la relation purement commerciale, ni à la relation publique ou politique entre l’administration et l’administré. Il peut embrasser les intérêts purement privés comme il peut mettre en cause un secteur économique ou un principe de réglementation ou de politique économique et sociale. Il n’en demeure pas moins utile de noter que ces organes bénéficient d’une compétence générale dans le domaine d’activités ou des libertés ciblées. On vise également par compétence générale, en matière publique ou politique et sociale, la vaste panoplie des droits humains, des libertés de pensée, d’information, de communication et de culture, de respect des équilibres entre les courants d’idées et d’opinion, bref le respect d’un véritable Etat de droit caractérisé par l’équilibre entre l’ordre public et la citoyenneté. Dans ce domaine aussi, on relève l’existence de régulateurs généralistes et sectoriels. Le CNDH et le médiateur illustrent la première catégorie. Par hypothèse, ils interviennent entre les pouvoirs publics, toujours tentés par l’omnipotence, et les citoyens, toujours demandeurs de protection. On peut relever aussi que la HACA illustre la deuxième catégorie en intervenant dans un champ particulier de la scène publique, l’exercice des libertés de communication, d’information et d’expression par les moyens audiovisuels. Dans le domaine politique et social, les régulateurs sectoriels demeurent plus intéressants à étudier parce que leur mission met beaucoup plus en relief l’action de régulation. La HACA nous semble l’institution la plus représentative dans ce sens à la fois par son statut, son domaine d’action et sa pratique. Les instances de lutte contre la corruption et de protection des données personnelles ne sont pas encore arrivées à occuper une place aussi visible dans le domaine de la régulation politique et sociale. Les remarques précédentes impliquent la nécessité d’une vérification critique de l’utilité et de l’opportunité du particularisme des régulateurs d’une part, et d’une évaluation de la conformité ou de la convenance de leur statut à leur mission d’autre part. 1- Statut juridique particulier des régulateurs. Nous limitons les présentes réflexions à l’examen du statut des régulateurs de la communication dans ses aspects politique (HACA) et technique (ANRT), en raison de l’influence internationale, (sécuritaire et culturelle), et nationale (politique supérieure de l’Etat et exercice de l’exécutif gouvernemental) Certains secteurs présentent une sensibilité particulière des points de vue technique, politique, social et culturel. La régulation de leur activité implique par conséquent, en plus du 20 Martine Lombard, La régulation dans un Etat de droit, op. cit. ; D. Bouzaffour, Le rôle de l’Etat après la privatisation du service public des télécommunications, REMALD, numéro double 44-45, 2002, p. 97. 19 respect des règles générales de liberté de la concurrence, la soumission à d’autres mécanismes et à d’autres prescriptions de manière plus appropriée et dont l’application relève de la compétence d’organes qualifiés pour procéder à une régulation adaptée à ce particularisme. Il en est ainsi des secteurs des télécommunications et de la communication audiovisuelle dont la régulation est respectivement confiée par la loi à l’Agence nationale de réglementation des télécommunications et à la Haute autorité de communication audiovisuelle. Au niveau de la nature des opérateurs et des relations régulées, on constate que l’ANRT et la HACA interviennent sur deux plans complémentaires du champ de la communication, aussi sensibles et stratégiques21 l’un et l’autre et ciblent essentiellement des opérateurs publics et accessoirement des intervenants privés, (HACA) en raison de l’intérêt général touché par leur activité. D’un autre point de vue, le domaine où ils exercent la régulation présente une spécificité et une étroitesse indiscutable par rapport à celui des organes qui jouissent d’une compétence générale. Ceci n’affecte nullement leur poids stratégique pour l’équilibre éminemment sensible des courants d’idées et de cultures dans le pays. Les opérateurs dans les matières de télécommunication et de communication audiovisuelle ne manqueront pas d’accomplir des actions relevant de la régulation générale et d’autres interpellant les organes sectoriels, en effet dans le cadre même de l’exploitation de leurs activités professionnelles spécialisées. Ainsi, ils ne demeurent pas moins des agents économiques intéressés par le respect de la liberté de la concurrence. A ce titre, ils obéissent à la régulation confiée au Conseil de la concurrence. Toujours en qualité d’opérateurs économiques, ils peuvent prendre la forme de sociétés anonymes dont les valeurs mobilières sont cotées en bourse. Dans ce cadre, ils ne peuvent échapper à la régulation exercée par le Conseil déontologique des valeurs mobilières. En somme, ils rentrent, au moins, dans le champ de compétence de trois organes de régulation et risquent de mettre en exergue l’impératif de coordination et d’harmonisation des actions desdits organes, sans préjudice de l’influence de la justice et de l’administration. L’Agence nationale de la réglementation des télécommunications et la Haute autorité de la communication audiovisuelle encadrent des opérateurs hétérogènes de deux soussecteurs stratégiques de la communication de masse. Depuis l’origine, les Etats ont remarqué la sensibilité et le risque de ces médias pour la sécurité, l’ordre public et les libertés fondamentales. Ils les ont alors entourés d’une réglementation rigoureuse. Dès l’aube du XXème le Maroc a ressenti le rôle de la communication dans les opérations armées auxquelles il était acculé déjà à la veille du Protectorat. Son adhésion à l’Organisation internationale des télécommunications en 1907 visait son intention de se préserver un moyen de sécurité militaire bien qu’il fut loin d’en posséder et maîtriser les moyens et équipements. L’instauration du monopole public, en 1924, sur l’ensemble du secteur, télécommunication et audiovisuel (radio à l’époque), intervient en plein guerre de pacification. Les télécommunications constituaient un moyen efficace de maîtriser 21 N. Skalli-Iraqui et F. Adnani, Introduction à la communication, définition et concept, REMALD, n° 48, 2003, p. 29 ; B. Benbrahim, La guerre de l’information à l’ère des chaînes satellitaires, Revue juridique, politique et économique du Maroc, n° 33/34, 2000, p. 31 ; S. Hinti, Télécommunications et intégration régionale, REMALD, n° 22, 1998, p. 39. 20 l’information sécuritaire22 et la manipulation de l’opinion publique. La même position législative monopolistique apparaît dans les dahirs du 18 février 1947 organisant l’Office chérifien des postes, télécommunications et téléphone auxquels la radio était rattachée. On la retrouve dans les dahirs du 6 juillet 1949 et du 18 mai 1959 qui modifient et complètent le dahir de 1924 près-cité. La radio, puis la télévision et aujourd’hui l’internet, influencent profondément les opinions politiques, les convictions religieuses et culturelles, le mode de vie. Ils peuvent menacer l’ordre public des pays de manière redoutable. La chute du mur de Berlin et de l’empire soviétique, la fin de certains dictateurs arabes, resteront longtemps une illustration éloquente de cette donnée. Le retour à l’indépendance en 1956 ne modifie point cette attitude de l’Etat marocain, à l’exemple d’ailleurs de la grande majorité des Etats étrangers. Les rares exceptions, radios de Tanger et télévision de Telma à Casablanca, héritées de la fin du Protectorat, disparaissent rapidement, dès 1956 pour Telma et 1959 pour les radios privées, malgré l’apparition de prémisses de libéralisation chez quelques leaders politiques. Il faudra attendre les deux dernières décennies du siècle précédent pour voir l’Etat déroger au monopole et autoriser la création d’une radio et d’une télévision de droit privé. L’évolution de cette dernière n’a pas pu éviter les « difficultés financières » qui ont précipité son retour dans le champ public. La fin du XXème siècle marque la fin du monopole public au niveau des opérateurs dans la téléphonie et l’aube du XXIème celle des opérateurs audiovisuels. Cette libéralisation prudente est accompagnée par la création de deux régulateurs, l’ANRT et la HACA. Ces deux organismes ne demeurent pas moins tributaires du pouvoir souverain de l’Etat sur le spectre des fréquences radioélectriques dans lequel l’Etat lui-même reste largement dépendant de l’organisation internationale. L’ANRT a la charge de le gérer et de la surveiller sous le contrôle et la tutelle de l’Etat. La HACA accorde les autorisations d’utilisation des fréquences radioélectriques affectées par l’ANRT au secteur de la communication audiovisuelle. La prudence de l’Etat se traduit également par le maintien des opérateurs publics à côté des intervenants privés. La soumission de l’ensemble à la compétence des régulateurs ne signifie pas que les opérateurs publics seront traités sur un pied d’égalité absolu avec les opérateurs privés. En effet des avantages subsistent et s’expliquent par la sensibilité du secteur, les options et contraintes de l’Etat. On espère que les régulateurs ne les retiennent pas à l’exclusion des raisons qui ont présidé à la libéralisation et ne transforment pas les opérateurs publics en agents omnipotents du marché et de l’exercice de la liberté de communication. Aujourd’hui, si des radios privées existent à côté de la radio publique, le marché ignore encore la télévision privée. La libéralisation prudente et assez tardive des télécommunications et de la communication audiovisuelle suit incontestablement la ligne de l’évolution internationale, mais elle souffre aussi sûrement de la pression des faits nationaux. Depuis longtemps l’insuffisance des télécommunications a constitué un handicap au développement économique et la misère de la communication audiovisuelle une frustration ressentie de manière aigue par le mouvement de la liberté d’information. Il n’en demeure pas moins nécessaire de compléter l’initiative de l’Etat par une législation particulière propre à la protection de la sécurité et du 22 V. notre étude « Réquisitoire pour un droit de l’information », in Le Parlement et la pratique législative au Maroc, livre collectif, éd. Toubkal, abat, 1985, p. 33 ; M. Abderrahim, La RTM, essai monographique, thèse de doctorat, Paris, 1982, p. 97 et s. 21 secret de l’information de nature purement privée à la lumière de l’expansion actuelle de l’usage de l’informatique par les pouvoirs publics et les particuliers et ses conséquences sur la liberté privée et l’intimité des personnes23. Sous un autre angle, on peut constater que les missions de régulation des deux instances diffèrent par leur nature. L’ANRT se distingue surtout par des attributions de caractère technique (respect de l’affectation des fréquences, respect de normes techniques) et commercial (exercice correct de la liberté de la concurrence par les opérateurs suite à la modification de la loi en 2002 pour intégrer la concurrence)24. La HACA supporte une responsabilité supplémentaire bien plus lourde. Elle doit surveiller le respect des équilibres découlant des principes constitutionnels en matière de démocratie (élections), de libertés publiques d’opinion et d’expression, d’identité culturelle et linguistique, d’encouragement de la production nationale et d’ouverture sur la scène internationale. Bref, on est forcé de relever que le caractère nettement politique et social de la régulation confiée à la HACA ne manque pas de lui imprimer une gravité particulière. Ceci explique qu’elle soit, en plus du CNDH et du médiateur, une autorité directement rattachée au Roi, chef de l’Etat et Commandeur des croyants. De ce fait, elle se situe en dehors de toute tutelle ou hiérarchie de l’administration ou du gouvernement. Mais l’absence de tutelle administrative ne doit pas être confondue avec l’absence de contrôle politique par le Parlement, à l’occasion du vote des lois, et judiciaire en cas de recours contre certaines de ses décisions. 2 – Appréciation de la conformité des régulateurs à leur finalité. Rappelons que c’est en réaction aux insuffisances de la régulation par les institutions administratives et judiciaires, que l’Etat a procédé à la création du C.C. du CDVM, de l’ANRT, et de la HACA, etc.. Force alors est de se demander si ces nouvelles institutions répondent mieux à la nouvelle politique de l’Etat. L’appréciation de leur adéquation à leurs missions et leurs finalités ne laisse guère de place à l’indifférence. Elle suscite quasi naturellement la réflexion sur leur place dans le système institutionnel et par là même sur la qualité d’indépendance qu’on leur prête. Leur consécration constitutionnelle récente dispense désormais de discuter la régularité de juxtaposition des attributions de réglementation, de contrôle et de sanctions dans leurs attributions. Elle incite à se limiter ici à la question de l’indépendance uniquement. L’appréciation implique en deuxième lieu l’examen de l’efficacité de leur action à la lumière de leurs rapports entre eux et avec les pouvoirs publics. Elle impose enfin l’évaluation de leur aptitude à améliorer l’Etat de droit et à favoriser la création du marché ou au moins à régulariser le déroulement des opérations qu’il abrite. Les deux derniers aspects se résument dans la rationalité et l’adéquation par rapport aux missions. 23 La révision du code de procédure pénale a été une occasion intensément saisie par les juristes pour critiquer les écoutes téléphoniques effectuées sans protection suffisante des droits des personnes ; v. notre intervention à la journée d’études organisée par la Chambre des Représentants le 29 mars 2002, « Les techniques nouvelles en matière de preuve pénale », en arabe, p. 137. 24 O. Mouddani, L’Agence Nationale de Réglementation des Télécommunications : organe de régulation du secteur des télécommunications, Revue juridique, politique et économique du Maroc, n° 33/34, 2000, p.45 ; M. Rousset, La nouvelle réglementation marocaine de la poste et des télécommunications : du monopole à l’activité partagée, Revue juridique et politique indépendance et coopération, n°1, 1998, p. 67 ; v. aussi à titre de comparaison précieuse avec l’expérience française, E. Rolin, Les règlements de différends devant l’autorité de régulation des télécommunication, in Les régulations économiques : légitimité et efficacité, op. cit. p. 149. 22 A – L’indépendance des autorités de régulation. On s’empresse de présenter les nouvelles institutions comme des autorités administratives indépendantes suite à un rapprochement rapide avec les instances françaises similaires. A l’exception du texte de création de la HACA, et de la constitution en matière de parité entre les hommes et les femmes, nous rappelons qu’aucun des autres ne fait allusion à la notion d’autorité. Sous l’angle de l’indépendance la même remarque s’impose mais nous pensons qu’il importe d’examiner les rapports des nouveaux organes avec les pouvoirs publics traditionnels, l’administration et la justice, avant de s’arrêter sur les facteurs propres ou internes de leur indépendance. 1) – Indépendance par rapport aux pouvoirs publics. Sur ce plan, l’observation porte sur le statut de ces organes face à l’administration et à la justice. A l’exception de la HACA, du CNDH et du médiateur qui relèvent expressément de l’institution Royale, le rattachement à l’administration ne soulève aucun doute malgré la nuance de sa force impliquée par l’écran de l’établissement public pour le CDVM et l’ANRT. Le CC ne bénéficie même pas de la personnalité morale. Il se situe parfaitement dans la structure des services administratifs de la primature. L’approche globale pose ainsi une difficulté première de délimitation qui ne manquera pas de se compliquer à l’occasion des autres éléments de la conception de ces institutions au Maroc. La qualification administrative découle implicitement des textes fondateurs qui les rattachent au gouvernement. L’exclusion de la nature judiciaire résulte à la fois du rattachement à l’administration et de l’absence quasi générale de la composante judiciaire de la constitution et de la compétence. La soumission de la procédure à certaines règles judiciaires signifie plutôt une obligation de respecter le droit de la défense dont le minimum consiste à écouter l’assujetti avant de décider. Ce n’est là qu’une règle de bonne gouvernance. La qualification administrative attire, avec force, l’attention sur la connexion administrative, caractérisée parfois par une connotation politique et sociale même si les procédures de travail des organes peuvent rappeler les conditions des décisions judiciaires ou assimilées. La même qualification administrative permet par elle-même le questionnement sur l’indépendance des organes. Evoquée par les commentateurs et les analystes, cette indépendance joue en principe par rapport aux pouvoirs publics, aux opérateurs et aux consommateurs. Elle signifie l’absence de hiérarchie à l’égard des autorités administratives et judiciaires. Ces organes ne reçoivent point d’instructions de la part des pouvoirs publics. Ils exercent leur mission en toute indépendance. Ils n’exercent guère une fonction de représentation et de défense des intérêts des opérateurs et des consommateurs même si ces aspects font partie de leur mission. Dans ces conditions, le lien de tutelle et plus généralement l’encadrement par l’administration sont appliqués avec une souplesse suffisante pour engendrer une certaine autonomie sans créer de séparation étanche et sans exclure le pouvoir qui revient au gouvernement dans la fixation de la politique globale du pays et l’orientation de ses objets et finalités25. 25 L’article 59 de la constitution précise notamment que le Premier ministre expose au Parlement le programme qu’il compte appliquer. Ce programme doit dégager les lignes directrices de l’action que le gouvernement se propose de mener dans les divers secteurs de l’activité nationale et notamment, dans les domaines intéressant la politique économique, sociale, culturelle et extérieure. 23 En déduction de ce qui précède, on peut dire que les organes visés bénéficient d’une certaine autonomie d’action dans leur rapport avec l’administration. Leur indépendance à l’égard de l’autorité judiciaire est certaine, mais n’écarte pas le pouvoir de contrôle que cette dernière peut être appelée à exercer à l’occasion des recours effectués contre leurs décisions ou contre celles prises par l’administration qui les encadre. Le statut de la HACA du CNDH et du médiateur se situe dans le cadre des attributions du Roi, garant constitutionnel de l’unité nationale et des droits et libertés des citoyens26. Dans ce contexte, l’extension des missions de l’administration à ces domaines, risque d’en faire juge et partie. Seul le Roi demeure au dessus de cette action et par conséquent qualifié pour superviser la régulation dans les domaines impliqués. L’indépendance de ces institutions par rapport à la justice et à l’administration ne fait pas de doute. Le contrôle judiciaire ne touche que les décisions de la HACA. Le CNDH et le médiateur ne prennent point de décision au sens d’acte soumis au contrôle judiciaire. 2) – Autonomie intrinsèque des organes de régulation. Nous évoquons à dessein cet aspect car nous savons que certaines institutions sont légalement voire constitutionnellement indépendantes mais ne tardent guère à se révéler étroitement régies par une influence de fait exercée par une autorité donnée. Inversement, on peut penser que d’autres organes de régulation, peuvent receler des mécanismes à même de leur conférer une véritable indépendance dans l’accomplissement de leurs missions malgré leur statut. Traditionnellement, ces mécanismes résultent des modalités de composition et de procédure d’une part, et des moyens financiers affectés au fonctionnement d’autre part. a) – Condition des organes. Elle résulte de leur composition et des moyens d’action dont ils disposent. Les organes étudiés sont composés de deux catégories de membres, des agents administratifs et des membres proprement dits ou conseillers. Les premiers, généralement des fonctionnaires affectés par l’administration assurent l’intendance et le fonctionnement des services d’assistance et d’exécution des actes de préparation nécessaires à l’institution. Ils ne suscitent point de remarques particulières quant à l’indépendance qui nous intéresse car ils ne participent guère aux délibérations et aux décisions. Les membres proprement dits constituent un véritable facteur d’indépendance ou de soumission suivant les conditions de leur nomination et les modalités de leur travail. Sous le premier angle, on relève tout d’abord, qu’il s’agit de collèges composés de représentants des pouvoirs publics et souvent des secteurs professionnels et de la société civile. Cette conception textuelle gardait au début un silence quasi total sur la composante judiciaire. La faculté de nommer des magistrats dans le cadre de désignation d’autres personnalités, ou de manière indirecte dans le CC, restait toujours discrétionnaire à cause du silence des textes. Ceci privait les institutions de l’expérience de la magistrature dans les matières 26 L’article 19, remplacé, nuancé et détaiillé par l’article 42 de la nouvelle constitution, décidait que « Le Roi, Amir Al Mouminine, Représentant Suprême de la Nation, Symbole de son unité, garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat, veille au respect de l’Islam et de la Constitution. Il est le protecteur des droits et libertés des citoyens, groupes sociaux et collectivités. Il garantit l’indépendance de la Nation et l’intégrité territoriale du Royaume dans ses frontières authentiques ». 24 d’interprétation de la loi et de neutralité. L’évolution actuelle commence à corriger cette faille. La durée du mandat des membres se limite entre quatre et cinq ans, parfois renouvelable une fois. Les textes ne prévoient point de révocation avant le terme du mandat. Ceci traduit une garantie d’autonomie incontestable. Les mêmes sources ne s’arrêtent que sommairement sur les interdictions, les déchéances et les incompatibilités. Force est de reconnaître que les deux premiers empêchements ne soulèvent point de grosses difficultés car l’application du droit commun suffit pour éviter la nomination d’une personne frappée par l’une de ces mesures. On doit regretter, par contre, l’insuffisance de précision et de rigueur dans la détermination des incompatibilités notamment à l’égard des membres désignés parmi les non fonctionnaires et qui sont souvent tentés par l’exercice ou l’accomplissement d’activités susceptibles d’affaiblir l’impartialité de l’institution. Dans le même ordre d’idées, force est de reconnaître que les membres provenant de l’administration ont souvent tendance à dominer les autres et à infléchir le sens de la décision de l’organe. Cet état de fait résulte de leur compétence technique et de leur maîtrise des problèmes du secteur, ainsi que de la considération morale dont ils jouissent parfois auprès des autres membres. L’obéissance à une procédure de concertation assez animée par le respect des droits de la défense et par le déroulement contradictoire, l’obligation de motiver les décisions, plus généralement les avis, et la publication de rapports, faute de publicité des audiences, rappellent des caractéristiques judiciaires pouvant faire le contrepoids de la tutelle administrative quand elle existe (ANRT). Malgré le progrès apporté, la relativité des caractères généraux demeure notoire. En conséquence l’appréciation critique reste nécessaire et utile. Les dispositions légales impriment aux organes des caractères inspirés par l’organisation judiciaire. Ainsi, même quand ils sont intégrés ou simplement rattachés à l’administration, ils doivent respecter le minimum de conditions requises par « les droits de la défense ». Ils sont astreints à accorder aux opérateurs impliqués par leur action, la possibilité de présenter leurs observations sur ce qu’on leur reproche. Parfois, ils les admettent à exposer une véritable défense argumentée et appuyée par toute pièce justificative ou probante utile et par l’assistance de professionnels du droit. Souvent aussi, à l’occasion d’une enquête ou d’une instruction du dossier, les intéressés sont directement entendus et invités à signer les procèsverbaux. Les décisions proprement dites, avis, conseils, recommandations et propositions, font obligatoirement l’objet de délibérations collectives et émanent du collège des membres dans son ensemble au terme d’un consensus ou d’un vote. La répartition interne du travail entre des comités ou groupes restreints ne s’étend pas à la décision qui doit toujours émaner de l’organe de régulation lui-même. Dans certains cas, il ne s’agit que de simples avis doublement entachés de faiblesse. Ils sont librement demandés par les pouvoirs publics et leur contenu n’oblige pas ces derniers. Il faut toutefois ajouter à propos de ce dernier point que si les autorités demanderesses de l’avis demeurent parfois libres d’en tenir compte dans leur décision finale, les organes de régulation devraient transformer cette faiblesse en un véritable fondement d’indépendance et d’impartialité de leur opinion. 25 b) – Moyens d’action des organes de régulation. Sur ce plan, le législateur a commis une maladresse grossière en optant pour le financement de certains des organes visés, par les opérateurs concernés, soumis à la régulation. Il les expose ainsi à subir un ascendant souvent fâcheux de la part des justiciables dans l’exercice de leur mission. On trouve cette solution clairement posée dans les textes créateurs du CDVM et de l’ANRT. Les recettes du premier comprennent, en plus des dotations et subventions de l’Etat, le produit de la commission perçue à l’occasion des visas accordés par notre organisme à toute note d’information présentée par les opérateurs et le produit de la commission sur l’actif net des organismes de placement collectif en valeurs mobilières. Les recettes de l’ANRT comprennent notamment et essentiellement le produit des redevances perçues à l’occasion de l’étude des dossiers et de l’octroi ou du renouvellement des licences diverses, le produit de toute redevance en relation avec les missions de l’agence régulatrice et les recettes des contributions des opérateurs de réseaux publics de télécommunications à la recherche et à la formation. Le cas du Conseil de la concurrence nous semble encore plus inadéquat. Le texte ne donne aucune information sur les ressources de l’institution. L’emplacement auprès du Premier ministre signifierait alors que le budget de ce régulateur fait partie de celui de la primature. Or, dans la très grande majorité des cas, le destinataire des avis, conseils et recommandations de notre conseil n’est autre que le Premier ministre. Il devient alors légitime de craindre que les ressources de notre régulateur ne dépendent de la satisfaction de l’autorité visée. La situation de la HACA demeure nettement meilleure. A l’origine, elle établit le montant de ses ressources budgétaires qui, une fois approuvées par les services de la Cour Royale, figuraient dans le budget de celle-ci. Cette situation a subi récemment une modification par la réinsertion formelle dans le budget de la primature. A notre avis, les autorités de régulation devraient toutes, bénéficier de la prérogative d’établir elles-mêmes leur budget qui serait financé soit par des dotations et subventions de l’Etat, soit par l’affectation d’un pourcentage des taxes prélevées par l’Etat et les Collectivités locales sur les opérations relatives à des actes et transactions des opérateurs. La liberté d’élaboration du budget n’implique pas celle de le dépenser. Le contrôle de gestion reste impératif27. On ne perd pas de vue que la liberté dans ce domaine incite souvent à des dépenses exagérées et injustifiées. Mais le contrôle, même classique ne doit pas jouer comme un mécanisme de blocage ou d’influence négative sur l’action du régulateur. Sous cet angle aussi, force est de relever la gaucherie de la loi dans les cas du CDVM et de l’ANRT. Elle soumet ces deux organismes, au contrôle classique, antérieur des dépenses, dans la rigueur caractérisant sa réglementation par le dahir du 14 avril 1960. Or ce type de contrôle financier a fait l’objet de critiques sérieuses même dans son application à l’administration. En attendant une révision plus conforme à la loi n° 69-00 réorganisant le contrôle financier de l’Etat sur les entreprises publiques et les autres organismes, et aux moyens 27 M. Rousset et J. Garagnon, Droit administratif marocain, éd. La Porte, 6ème éd. 2003, p. 535 et s. ; M. Birouk, Rationalisation des dépenses publiques au Maroc, REMALD, n° 28, 1999, p. 93. 26 techniques actuels, on devait se limiter à un contrôle d’accompagnement ou postérieur complété, le cas échéant, par des audits externes et des inspections à l’improviste. Là aussi, la situation de la HACA demeure plus avantageuse et plus moderne. En effet, les dispositions législatives relatives au contrôle financier de l’Etat ne lui sont pas applicables. Elle n’obéit qu’au contrôle exercé par la Cour des comptes28. Celui-ci porte à la fois sur la gestion comptable et sur la conformité aux principes de la bonne gouvernance. Sous réserve de cette donnée et à l’exception de la haute autorité de la communication audiovisuelle du CNDH et du médiateur, tous les autres organes sont placés soit sous la tutelle du Premier ministre, soit encore plus étroitement sous celle du ministre des finances ou du commerce. En conséquence leur autonomie financière risque de se limiter à la gestion des ressources budgétaires dont ils ont besoin pour leur fonctionnement et que les autorités de tutelle visées leur affecteraient et en contrôleraient étroitement les dépenses aussi. B – Rationalité et adéquation des organes à leurs missions. Sur ce plan, vu l’intérêt escompté de la création des nouvelles autorités de régulation, on peut se demander si l’initiative des pouvoirs publics dans ce sens fait état de rationalité29 et d’adéquation. Au plan des caractères généraux on a pu constater que la conception cible la régulation de l’activité économique sauf pour ce qui est de la HACA dont la mission embrasse des finalités politiques, sociales et culturelles, du CNDH et du médiateur chargé d’éviter, d’atténuer ou de faire corriger les écarts de l’administration. Il importe d’ajouter que pour l’exécution de cette mission, toutes ces instances sont dotées d’une compétence élargie comprenant la veille sur l’application et l’amélioration du droit et des normes qui l’encadrent ou le complètent, par les opérateurs publics et privés. Elles procèdent à l’information et au conseil des pouvoirs publics, et participent directement ou indirectement à l’élaboration du droit et son adaptation aux innovations techniques et à l’évolution des idées et des valeurs. Parallèlement elles constitueraient des instruments de création ou de développement du marché ou de la libre concurrence dans certains secteurs d’intervention. Le maintien de certains opérateurs publics sous leur contrôle n’écarte pas la stimulation de la libre concurrence dans le respect de la légalité, la loyauté et la transparence. Leur raison d’être tend aussi à favoriser l’interaction fructueuse, juste et équilibrée du marché national avec la vie internationale. En conséquence, la multiplication des autorités concernées s’avère souhaitable sinon nécessaire. Toutefois, une telle multiplication ne se conçoit pas en dehors d’une obligation de coordination sinon les organes visés risquent d’engendrer une source supplémentaire de complication des problèmes et d’alourdissement voire de blocage du fonctionnement des institutions et partant de la dynamique du marché. 1) – L’amélioration des normes et du marché. 28 A. El Glaoui, La Cour des comptes, présentation, problèmes et perspectives, Revue française des finances publiques, n° 28, 1989, p. 39. 29 M. Birouk, Rationalisation des structures et bonne gouvernance, REMALD, n° 34, 2000, p. 13. 27 Au plan de leurs attributions, les organes de régulation n’ont parfois que des compétences essentiellement consultatives sans grand effet sur le pouvoir de décision de l’administration, surtout. Même dans ce cadre, les pouvoirs publics n’obéissent pas toujours à l’obligation de les consulter systématiquement et encore moins de suivre leurs avis et recommandations. Il n’en va autrement que dans des hypothèses assez exceptionnelles où ils sont obligatoirement saisis et où leur avis s’impose. Sous l’angle des sanctions, dans la très grande majorité des cas, leur compétence se limite à prononcer des mesures disciplinaires et administratives ou à les proposer à l’autorité administrative. Cette situation se traduit soit par l’ineffectivité de l’organe, soit par son inefficacité ou son impuissance à réagir convenablement contre les violations des règles législatives et les mécanismes du marché. Sans aller jusqu’à leur revendiquer une condition similaire avec celle des juridictions, on peut estimer qu’elles seraient plus conformes à leur finalité en récupérant l’ensemble des pouvoirs et prérogatives de l’administration en matière de régulation. Leur composition collégiale représentative, leurs décisions concertées et imprégnées par le respect du droit de la défense, et leur soumission au contrôle politique par le gouvernement et le parlement, judiciaire par les tribunaux administratifs et de droit commun, sont autant de garanties en faveur de l’opinion exprimée. La situation ci-avant visée risque de bloquer aussi la contribution des organes de régulation à la création du droit et des normes. Les décisions, avis, conseils, recommandations et propositions comportent par hypothèse des raisonnements, des analyses des faits et des textes, et se terminent par des conclusions. Celles-ci peuvent améliorer l’interprétation du droit en vigueur et en élargir la portée d’application. Elles peuvent aussi en étendre le domaine dans toutes les matières qui n’imposent point une intervention réglementaire ou législative. Les décisions aussi rares soient-elles, de sanction ou d’autorisation, ne se conçoivent guère sans motivation. Leur contestation par les opérateurs devant le juge administratif ouvre la voie à la création du droit. Dans la mesure où elles ne sont pas annulées, leur confirmation par ce juge peut consacrer comme jurisprudence la part de création que le juge estime conforme à l’impératif d’amélioration et d’adaptation du droit qui n’empiète point sur les domaines législatif et réglementaire. Par ailleurs, les textes de création des organes visés prévoient expressément leur participation directe et indirecte à l’élaboration de la législation. Ils sont consultés à propos des projets et des modifications législatives et réglementaires. Ils ont également la charge de préparer des études, des propositions et des rapports dans le cadre d’une véritable participation aux tâches du gouvernement dans la préparation des textes législatifs et réglementaires. La répercussion de la régulation sur le marché ne fait pas de doute. L’un des premiers rôles des organes de régulation consiste dans la garantie de la liberté de la concurrence en veillant au respect de la légalité, de la loyauté, de la transparence et de l’égalité entre les opérateurs. Dans les secteurs caractérisés par des monopoles publics ou privés, ou par la domination d’opérateurs publics ou privés, les organes de régulation s’attachent d’abord à l’ouverture du marché sinon à sa création. C’est dans ce cadre que nous estimons que son action demeurera très faible au Maroc en raison des habitudes enracinées dans le comportement administratif et l’omnipotence de certains opérateurs. 28 C’est ce qui explique que dans l’état actuel de l’expérience, on a l’impression qu’une certaine méfiance continue à peser sur les organes de régulation30. Ceci montre que le conseil de la concurrence soit demeuré inactif sans que cet immobilisme ne se justifie par une quelconque raison objective. La situation de l’ANRT et du CDVM dégage plutôt des réticences voire des résistances politiques et administratives qui restreignent encore plus la portée de la fonction qui leur est attribuée. Il est à craindre que la pression des faits conjoncturels n’aboutisse à la même restriction pour l’action de la HACA. La nature nettement politique de la mission de cette institution l’expose encore plus au risque de négliger les équilibres qu’elle doit maintenir entre les impératifs politiques, sociaux et culturels sous l’influence de la conjoncture internationale ou nationale. 2) – Extension du système par la coordination. Au niveau stratégique global, force est de relever une absence notoire de vision générale de l’organisation de la régulation par le recours à ce type d’organismes. Sous cet angle des lacunes importantes subsistent surtout dans des secteurs très sensibles et très importants dans la vie économique et sociale où ce type de régulation constitue un besoin essentiel. Parmi les domaines encore négligés on indiquera particulièrement l’énergie, le transport, l’agriculture, la santé, l’enseignement, l’épargne retraite publique et privée bien que dans ce dernier cas le Ministère des finances et Bank Al Maghrib31 jouent un certain rôle de contrôle et de surveillance. La nécessité de multiplier les organismes appropriés ne fait pas de doute. Dans le même ordre d’idées, on constate une insuffisance préjudiciable de coordination interne entre les organes existants et avec les autorités classiques, administrative et judiciaire. Les risques de zones de non droit et de décisions divergentes menacent à la fois l’efficacité et l’harmonie de la régulation souhaitée. L’impact d’une telle faille ne peut que nuire à la régularité et au bon fonctionnement du marché. La réponse à ces différentes zones d’incohérence ne peut être unifiée en raison des principes qui président aux statuts respectifs de chaque protagoniste. Les écarts vis-à-vis des orientations voire des décisions administratives appellent un règlement sous forme de modification législative des prérogatives de l’administration ou de l’organe de régulation. De très nombreuses décisions administratives demeurent soumises au contrôle du juge et souvent la jurisprudence atténuera le différend et ramènera les rapports entre l’autorité de régulation et l’autorité de tutelle à plus de sérénité. En effet, l’administration ne peut ignorer systématiquement les avis et propositions des autorités de régulation. 30 Ce fait n’est récent ni propre à nos institutions. Il trouve peut-être ses racines dans l’histoire du pouvoir centralisateur et les coutumes. V. pour une manifestation plus actuelle, M. Rousset et M-A. Benabdellah, Du privilège de l’administration de ne pas respecter l’autorité de la chose jugée, note sous CS, 11 mars 1999, REMALD, n° 31, 2000, p. 127 et, L’exclusion de certains actes administratifs du recours pour excès de pouvoir, note sous CS 19 juin 1999, REMALD, n° 28, 1999, p. 121. 31 La révision en cours du dahir de 1993 sur le crédit et les établissements financiers renforce le rôle régulateur de la banque centrale en laissant en suspens la question de coordination avec les autres organes de régulation notamment le CDVM et le Conseil de la concurrence. Elle se situe dans la ligne d’évolution plus générale d’adaptation du secteur financier à la libéralisation du secteur et ses exigences nationales et internationales. V. notamment, M-L. Ben Othmane, 25 ans de droit monétaire et bancaire, Revue juridique, politique et économique du Maroc, n° 10, 1981, p. 107 ; N. Benamour-Lahrichi, Etat et système financer au Maroc : mutations et adaptations, in Etat et développement dans le monde arabe, C.N.R.S., 1990, p. 219. 29 Il demeure plausible à l’opérateur d’intenter un recours devant le juge qui ne manquera pas de demander l’avis de l’organe de régulation et qui le consacrera éventuellement sans nuance en sanctionnant la décision administrative. La persistance du différend prouve la nécessité de modifier la législation et poussera le gouvernement à la réforme. La divergence entre les décisions judiciaires et les actes de régulation ne risque de surgir qu’à l’occasion de l’interprétation et de l’appréciation des faits. Dans cette hypothèse, il faut s’attendre à une consécration de l’avis de l’organe de régulation par les tribunaux. Dans la situation inverse, seule l’autorité judiciaire demeure compétente pour dire le droit, interpréter les dispositions légales et trancher le conflit. Sur ce plan, il faut rappeler que les textes n’attribuent point aux organes de régulation la compétence de décider dans les faits pénalement qualifiés ni dans les cas de responsabilité civile entre les opérateurs. Les sanctions « répressives » d’amende ou autres qu’ils peuvent prononcer demeurent des sanctions administratives radicalement distinctes des sanctions pénales qui relèvent de la compétence exclusive des tribunaux. Là aussi, les tribunaux demanderont éventuellement aux organes de régulation, leur avis technique sur les faits. On reste sûrement fondé pour se demander si l’avis présenté lie les juridictions. Nous ne le pensons pas. L’avis des autorités de régulation ne lie souvent même pas l’autorité administrative de tutelle. En le rapprochant de l’opinion d’un expert, on aboutit à la même conclusion. Il n’en va autrement que lorsque les faits à apprécier sont uniquement ceux qui rentrent dans le champ de la régulation et que le tribunal ne dispose point d’autres éléments d’appréciation. Ce raisonnement ne met pas fin à toutes les difficultés. En effet, si on estime raisonnablement que les avis des organes de régulation n’ont point d’autorité ou d’effet absolu à l’encontre des juridictions, on peut toujours s’interroger sur l’effectivité de l’autorité de la chose jugée sur la compétence de l’organe de régulation. Peut-il contredire un jugement irrévocable ? La réponse négative nous paraît évidente et ne peut là aussi être écartée que par une intervention législative ou réglementaire. En dernier lieu, les divergences et incohérences menacent de caractériser les actes des organes de régulation quand ils impliquent deux ou plusieurs d’entre eux dans des situations soumises à une régulation multiple. L’hypothèse la plus probable dans l’état actuel menace de survenir dans les secteurs des télécommunications et de l’audiovisuel, bien que le législateur a évité le risque de centralisation des autorisations à l’ANRT. Il risque aussi d’apparaître entre le CDVM et le Conseil de la concurrence notamment à l’occasion d’un projet de concentration accompagné par une opération sur les valeurs mobilières cotées en bourse. Les décisions contradictoires ou divergentes ne sont sûrement pas une conséquence automatique de la pluralité et du chevauchement des régulateurs. Des consultations préalables les éviteront certainement. Mais on peut craindre que même si lesdites consultations préalables s’imposent en vertu de dispositions légales, ce qui n’est pas le cas pour le moment, elles n’éliminent guère le risque de voir chaque régulateur appliquer son interprétation personnelle, camper sur sa position, au prix de créer un blocage et de fausser le jeu de la régulation. En conséquence, il devient impérieux de penser à un système de règlement de conflit, en dehors des organes concernés. 30 Dans cette optique, il semble utile de commencer par prévoir des organes de régulation embrassant plusieurs secteurs et coiffant deux ou plusieurs organes sectoriels. On verrait avec intérêt par exemple un régulateur abritant à la fois l’ANRT et la HACA, auquel on confierait le règlement des situations interpellant ces deux instances. Dans les situations plus complexes, impliquant des régulateurs de secteurs ou d’opérations totalement hétérogènes, l’utilité d’envisager un organe de coordination ne fait plus de doute. Composé des présidents de tous les régulateurs, de hauts commis de l’administration et de hauts magistrats, cet organe sera appelé à se prononcer en amont ou en aval sur les situations problématiques et son avis doit s’imposer à tous les régulateurs, à l’administration et aux tribunaux. 31