"Un chant et un drapeau" dans Le Monde (14-15 mai

"Un chant et un drapeau" dans Le Monde (14-15 mai 1950)
Légende: Le Conseil de l'Europe ayant soulevé la question du drapeau européen, Robert Escarpit, dans un article paru
en mai 1950 dans le quotidien français Le Monde, commente avec un sarcasme amer le choix d'un drapeau et d'un
hymne pour l'Europe.
Source: Le Monde. dir. de publ. BEUVE-MÉRY, Hubert. 14-15.05.1950. Paris: Le Monde.
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Date de dernière mise à jour: 03/12/2012
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03/12/2012
Au jour le jour
Un chant et un drapeau
Un communiqué récent du Conseil de l’Europe soulève la question du drapeau européen. Je suppose qu’il en
faudra un. Il faudra sans doute aussi un hymne officiel – et des symboles, et des emblèmes, et des écussons,
et des cocardes. C’est ainsi qu’on fait les bonnes nations. Du moins nous ne savons pas les faire autrement.
Quelle couleur choisir ? C’est bien difficile. Le rouge ou le blanc choqueraient trop de convictions. Le vert
appartient aux Internationales agraires et à l’Islam. Le bleu est un peu fade. Je ne vois guère que le jaune
dont la signification symbolique bien connue s’applique assez exactement à la situation actuelle de l’Europe.
Mais ce n’est guère flatteur.
Et l’hymne ? Prendre un chant de guerre serait déplacé. Prendre un cantique serait maladroit – il y a
plusieurs religions en Europe, il y a même des mahométans. La musique classique n’attire pas les jeunes
générations, et la musique moderne fait fuir les anciennes. Et puis il faut qu’un hymne scande la fière
démarche d’une nation vers son avenir. Pour nous je propose une valse-hésitation.
Un jour sans doute nous chanterons ensemble et nous arborerons une même cocarde. Ce jour-là l’essentiel
du travail sera fait. En attendant il faut nous contenter de broutilles – problèmes économiques, sociaux,
financiers, militaires même (l’uniforme, les insignes des grades, la hiérarchie des décorations ; encore des
questions vitales). Mais je ne saurais trop exhorter nos représentants à se hâter, afin de pouvoir aborder plus
tôt le fond du problème.
Sans quoi j’ai bien peur que le destin ne les devance et ne nous impose le Dies irae pour hymne, et pour
drapeau le crêpe noir, avec des larmes d’argent.
Robert Escarpit
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