Le corps vieilli: mouvement des corps dans le temps Belkis Trench

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Le corps vieilli: mouvement des corps dans le temps Belkis Trench
Le corps vieilli: mouvement des corps dans le temps
Belkis Trench 1
Dans les cultures narcissistes, vieillir est synonyme de ne plus être. Dans cette perspective, le
temps est le grand ennemi à combattre. Contre lui ou n'importe lequel de ses vestiges, nous
utilisons tous les moyens guerriers. Nous vivons en temps de guerre. La lute contre le temps
envahit toutes les sphères. Tout revient à retirer son appartenance à l´"être".
"(...)dix heures cinquante
dix heures quarante
dix heures trente
dix heures vingt sept
dix heures seize
dix heures moins sept
sept heures trente
trente et sept
neuf et deux
deux et cinq
et sept et neuf
et cinq et trois
et moi aussi(...)"
Roberto Galizia
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(Belkis Tren ch, est docteur en Psychologie, chargée de recherche du groupe
d´étude de la femme et l´enfant de l´Institut de la santé (SESSP),
coordinnatrice du Groupe Ondas - étude et recherche en genre et vieillissement).
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Vieillir dans de telles cultures signifie aussi rendre visible ce qui apparaît
comme le plus terrifiant,l´inexorabilité du temps. Le temps s´envole, le temps s´égoutte, et plus on
veut le fixer dans un seul endroit, plus il prend possession de notre corps et nous oblige à un
déplacement obligatoire vers un endroit inconnu. Il nous suffit de voir nos photos, elles nous
montrent ce que nous étions, ce que nous sommes, mais ne nous révèlent pas ce que nous serons.
La mort, comme nous dit, Norbert Elias (1983), est un problème des vivants; Les morts n´ont pas
de problèmes. Entre les conséquences les plus visibles de la négation de la mort dans notre culture
c´est que nous développons une véritable aversion au vieillissement, manifeste dans les formes les
plus diverses, des plus explicites aux plus symboliques. Prenons par exemple le mot vieux, qui fut
utilisé pendant un long moment avec un sentiment d´intimité, de camaraderie, le donnant même à
qui n´était pas vieux. Aujourd´hui on peut remarquer un refus explicite à cet adjectif et ses dérivés,
et appeler quelqu'un de ce nom, est, au minimum, considèré indélicat et manquant de respect, car
on l´associe à quelque chose démodé ou décadent. De la même façon presque personne aime être
appellé Monsieur ou Madame, car c´est un des indices caractéristiques que le procès de
vieillissement est en cours, donc visible au regard de l´autre. Aujourd´hui tous sont devenus oncle
et tante, preuve de l´impersonnalité qui règne de nos jours. Simultanément de nouveaux mots
entrent en scène, troisième âge, moyenne d´âge, meilleur âge, qui, en réalité, ne signifient rien,
puisque ce qui les caractérisent le plus, c´est la tentative de repousser les frontières entre les âges, et
en même temps, les laisser indéfinies.
Le corps vieillissant
Dans ce combat entre nous et le temps, ce sont les femmes qui sont les plus
combatives. D´un côté, cet activisme devient positif, car les femmes vivent plus que les hommes.
D´un autre côté, elles sont obligées à poursuivre une militance active. Il est intéréssant dans ce cas
de remarquer que le corps vieillissant, comme un vêtement ou n'importe quel objet utilitaire, n´est
valorisé que si on lui ajoute l´adjectif "conservé": Celui qui résiste à l´âge, au temps. Alors, on peut
considérer comme modèle de vieillissement réussi ces corps qui ont su manifester cette capacité à
camoufler le plus possible tout signe ou vestige que cette culture veut voir éliminer ou oublier.
L´idéal du corps aujourd´hui n´est pas longiligne ou plein de courbes, mais un corps qui surpasse
les frontières du temps, le corps sans âge, atemporel.
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"C´est dimanche, vers 5 heures de l´après midi, que Maria Aparecida Marinho,
femme en vue de Rio de Janeiro, à l´habitude de se promener, au bord de la plage, à Ipanema. Petit
short en jeans, chemisette montrant le nombril, chevelure blonde au vent, sans aucun maquillage, la
sculpturale Aparecida (1metre79 et 61 kilos)attire les regards voluptueux des hommes et l´envie
des femmes. Ses jambes sont fermes, les bras exhibent des muscles bien dessinés, aucun signal de
cellulite ni un gramme de graisse dans sa silhouette. Donc merveilleuse, la voici avec une poussette
de bébé. Le bébé, c´est son petit-fils. A 50 ans, Aparecida fait partie d´une génération de femmes
qui réinventent le concept de la cinquantaine. Comment la faire rentrer dans le stéréotype de la
grand-mère, de la vieille, qui devrait à 50 ans rallonger ses jupes et raccourcir ses
cheveux?"(Pinheiro, 2003).
Pour que la réinvention du concept de la cinquantaine soit concrétisée, le corps
devra être soumis à de continuels processus de recyclage, et pour cela, on utilise tous les moyens
narcissistes disponibles sur le marché et légitimés comme le dit Lipovetsy (1997), à travers mille
pratiques quotidiennes: Angoisse de l´âge et des rides, obsessions de la santé, de la 'ligne", de
l´hygiène, des rituels de contrôle(check-up) et de maintient(massage, sauna, sports, régimes); cultes
solaires
et
thérapeutiques
(super-consommation
de
soins
médicaux
et
de
produits
pharmaceutiques).
Le corps atemporel est un corps qui a pour but de se singulariser et de se
différencier des autres corps du même âge. Mais ce qui caractérise le plus son impersonnalité, soit
parce que dans ces corps il y a la griffe du dernier chirurgien plastique en vogue du moment, soit
par l´usage du botox, comme dit une autre femme en vue, c´est la transformation en
"bouffi"(Pinheiro, 2003)se référant au personnage enfantin qui a la bouche et les joues gonflées.
Apparemment c´est un corps transgressif. Il réinvente la notion de temps, d´histoire, rompt avec
certaines règles du comportement relationnées avec le vieillissement. En vérité ce qui le caractérise,
c´est justement son conservateurisme, car il maintient intacte et perpétue un des plus résistants
mythes de notre culture, celui qui associe femme, beauté et jeunesse. Cette association, pour être
maintenue nécéssite pas seulement que les différents discours qui circulent dans notre culture les
disséminent incessamment, mais qu´elle ait l´accord des autres instances auxquels elle se rapporte,
soit en fournissant les subsides biotechnologiques de l´esthétique en vigueur ou en facilitant et
stimulant la création de nouvelles associations, comme par exemple, santé, beauté, jeunesse.
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Le vieillissement, étant non seulement une question de genre, mais aussi, dans cette
phase de la vie, que le manque d´égalité entre homme et femme est un de ses aspects les plus
pervers: "la vieillesse", dit Sontag (1987), " c´est une authentique preuve du feu que les hommes et
les femmes souffrent de forme similaire, bien que le vieillissement soit avant tout une question
d´imagination, une maladie morale et une pathologie sociale à laquelle il fut ajouter le fait qui doit
affecter beaucoup plus les femmes que les hommes. Et ce sont les femmes, donc, qui souffrent le
processus de vieillissement avec tant de dégoût et de honte (...) les hommes se permettant de vieillir
de plusieurs manières et sans pénalités."
Le corps et le vieillir
Le corps - ce que nous mangeons, comment nous nous habillons, les rituels
journaliers pour s´occuper de lui, peut être compris, comme le montre Bordo (1987), aussi bien
comme agent de culture que comme un lieu pratique de contrôle social. Le corps des femmes, il
faut le dire, n´a jamais été autant discipliné et formatisé qu á l´époque ou nous vivons.
Le temps occupé à la recherche de l´idéal de la féminité évanescente, homogénéisante, toujours en
changement exige une recherche sans fin et sans repos, poussant les corps féminins à ce que
Foucault appelle " corps dociles " - ceux dont les forces et les énergies sont habitués au contrôle
externe, à la transformation et au perfectionnement. Induites par ces disciplines les femmes gardent
dans leurs corps le sentiment et la conviction du manque et de l´insuffisance, amenant de telles
pratiques de féminité à des cas extrêmes de totale démoralisation, débilité et mort.
La santé des femmes est directement liée à la manière dont chaque culture discipline
et idéalise leurs corps. Les questions liées au vieillissement, si focalisées d´autres manières,
pourraient pousser à la potentialisation de la vie et non à sa réduction ou négation. Ce qui
caractérise notre temps n´est pas seulement l´horreur de la mort et du vieillissement mais la
négation de tout le mouvement que suscite l´appropriation de la vie telle qu´elle est: mutable,
cyclique, limitée. Beaucoup de femmes vivent leurs vies en fonction des heures, des femmes qui ne
se rident pas, d´autres savent que la vie n´a pas d´âge ni d´heure. Des femmes d´un autre temps,
sans heures, sans leurre (sans l´heure).
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BIBLIOGRAPHIE
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Elias N. A solidão dos moribundos. Rio de Janeiro; Zahar; 2001.
Foulcaut, M. O nascimento da clinica. Rio de Janeiro; Forense, 1997.
Lasch C. A Cultura do Narcisismo. Rio de Janeiro; Imago; 1983.
Lypovetsky G. A era do vazio - ensaio sobre o individualismo contemporâneo. Lisboa: Relógio
D´Água, 1997.
Sontag S. Mujeres: un doble padrón para envejecer. Santiago: revista de la Red de las Mujeres
Latinoamericanas y Del Caribe, n.1; 1993,p.44-49
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