Le langage poétique - Le blog de Jocelyne Vilmin

Transcription

Le langage poétique - Le blog de Jocelyne Vilmin
Le langage poétique
Quelques définitions de la poésie par des poètes :
Mallarmé: « Nommer un objet, c'est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème
qui est faite du bonheur de deviner peu à peu: le suggérer, voilà le rêve »
« Un poème est un mystère dont le lecteur doit chercher la clef. »
Eluard : « Le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré. »
Gautier : « Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien; tout ce qui est utile
est laid. »
Rimbaud : « Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un
long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. »
Baudelaire : « La poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soi-même, interroger son
âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas d’autre but qu’elle-même(...). »
Cocteau : « Elle (la poésie) dévoile dans toute la force du terme. Elle montre nues, sous
une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que
nos sens enregistraient machinalement. »
Reverdy : « Aucune chose, aucun mot ne recèle la moindre parcelle de poésie en soi. Tout
est dans l'opération de l'esprit, du coeur du poète, de celui qui justement mérite d'être
appelé poète, sur les choses, à l'aide des mots et à travers les mots. »
Du Bellay et Ronsard ( poètes de la Pléiade, XVIe siècle) assignent au poète le rôle
de cultiver et d’enrichir la langue française, par le jeu sur la syntaxe qui libère l’expressivité
du langage mais aussi par le recours aux images (métaphores, comparaisons etc.).
Le langage, grâce à la poésie, se réinvente, mais invente aussi une réalité.
I - La poésie utilise le langage autrement :
La vie quotidienne se sert du langage comme d'un simple outil pour véhiculer une
information ou transmettre un message. Les mots ont donc un sens fixé par l'usage, afin
que s'établisse une communication. Le poète cherche, quant à lui, à inventer des rapports
nouveaux entre les mots. Car, en les inventant, il crée des significations nouvelles. Par là
même, il donne à voir le monde autrement.
Pour cela, le poète utilise des procédés variés :
a) Des alliances et des rapprochements inattendus :
- « Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil », Apollinaire, « La Loreley »
 La force de l’image vient du rapprochement inattendu « ses cheveux de soleil » et non
plus banalement : ses cheveux couleur de soleil
- ou encore « La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur », Paul Éluard : ce n’est pas
le sens qui est important, c’est la connotation des mots, l’image de la ligne courbe qui unit
le regard et le cœur.
- « les losanges sonores de ta fenêtre », Aloysius Bertrand, « Ondine »
 l’association inattendue « losanges » « sonores » met en place le jeu subtil des
sensations dans ce poème
b) Des images (comparaisons ou métaphores) qui établissent une relation différente
entre deux réalités
- « La blanche Ophélia flotte comme un grand lys, », Rimbaud, « Ophélie »
 la comparaison, dès le deuxième vers du poème, traduit l’osmose entre la jeune femme
et la nature
- « mes soeurs caressent de leurs bras d'écume » : Aloysius Bertrand, « Ondine » : la
métaphore « leurs bras d’écume » suggère l’alliance entre les ondines et l’élément
aquatique
c) Les personnifications jouent le même rôle, attribuant à un objet inanimé ou un animal
les comportements, pensées, sentiments d’un être humain : la réalité est métamorphosée.
Dans « Ophélia », les nombreuses personnifications de la nature soulignent la fusion entre
la jeune femme et le cadre dans lequel elle réside.
II - La poésie utilise le mot différemment
Le poète considère en outre le mot non comme un ensemble de lettres tracées sur
du papier, mais comme un objet possédant une réalité concrète. Le mot possède en effet
une longueur, d'une ou plusieurs syllabes, une sonorité particulière, un aspect visuel et
sonore. Le poète peut en jouer par le jeu sur les sonorités :
a) allitérations
« A Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde », Apollinaire, « La Loreley »
 l’allitération en « r » traduit la dureté du sort des hommes mais aussi de la Loreley
b ) assonances
Dans « Ophélia », les assonances des voyelles sourdes « an », « eu», permettent d’insister
sur la douceur de l’évocation.
c) les rimes
Bien entendu, les rimes jouent leur rôle : effet musical, mots mis en relief.
d) invention
Dans « La Loreley », Apollinaire invente le passé simple « absolvit » : le mot semble
ancien, en harmonie avec les références médiévales de la légende
III - La poésie se distingue par sa forme
Que ce soit en prose ou en vers, le poème s'écrit. Il dispose les mots sur la page
imprimée, comme un peintre dispose les formes et les couleurs sur la toile. Cette
répartition des mots sur la page revêt elle-même un sens.
Le calligramme est l'exemple même de cette forme qui
devient sens. Il s'agit d'un poème où les mots, les vers ou
les phrases sont assemblés de manière à figurer l'objet qu'il
évoque. Apollinaire en a composé tout un recueil.
Le calligramme rompt avec la disposition traditionnelle
des lignes sur la page imprimée. Ainsi, il modifie les
habitudes de la lecture, il impose au regard une forme, qui
oblige à voir les mots différemment de ce qu'ils sont dans
l'usage quotidien
D’autres jeux sont possibles sur la forme : par exemple, le poème en acrostiche
comme « Adieu » d’Apollinaire » dont les premières lettres de chaque vers d’une strophe
forment le prénom Lou.
Ronsard jour, lui, sur l’anagramme :
« Marie, qui voudrait votre beau nom tourner,
Il trouverait Aimer : aimez-moi donc, Marie, »
Enfin, tous les procédés de versification vont dans ce même sens : richesse et
disposition des rimes, longueur (et jeu sur la longueur) des vers, strophes, rythme.
Dans le poème en prose, la disposition typographique a son rôle : blanc entre les
paragraphes, espace souligné entre les parties du poème comme dans « Ondine »
d’Aloysius Bertrand. D’autre part, le poème en prose, comme le poème en vers, utilise les
images (comparaisons, métaphores, personnification) mais aussi les ressources du rythme
et des sonorités.
En conclusion, le langage poétique se caractérise par l’utilisation différente du mot,
par son pouvoir suggestif, par sa musicalité. Il joue davantage sur l’impression, la
suggestion, la connotation que sur le sens.