affaire sgrena : les usa ne veulent pas d`indiscrets en irak

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affaire sgrena : les usa ne veulent pas d`indiscrets en irak
AFFAIRE SGRENA : LES USA NE VEULENT PAS
D'INDISCRETS EN IRAK
J'ai eu l'occasion de séjourner deux semaines en Irak avec le docteur Geert van Moorter en 2002, avant la
guerre. Avec courage, il y est retourné pendant la guerre. Pour aider et témoigner. Ayant secouru un
journaliste sur qui l'armée US a tiré en avril 2003, il avait recueilli des confidences de soldats US. Un
éclairage utile sur l'affaire Sgrena. Geert Van Moorter est l'auteur d'un livre "Le fossé mortel : santé et
développement" et d'un film.
La journaliste italienne Giuliana Sgrena a été prise pour cible par les soldats américains le 4 mars, le jour
de sa libération à Bagdad. Dans une réaction Sgrena dit que, peu avant les faits, ses ravisseurs l'avaient
mise en garde : " Les Américains pourraient encore intervenir. Ils ne veulent pas que tu reviennes. " Selon
son conjoint, l'attaque était délibérée car Sgrena en savait trop.
Ça me rappelle le tir contre l'hôtel Palestine, le 8 avril 2003, qui a tué deux journalistes. J'étais alors en
Irak pour Médecine pour le Tiers Monde. Au moment des faits, je me trouvais deux étages plus bas et j'ai
aidé au sauvetage. En guise d'excuse, l'armée américaine a dit qu'on avait tiré sur ses hommes depuis
l'hôtel. Mais personne, sur place, n'a entendu de tirs. Plus tard, un soldat américain m'avait expliqué avec
fierté comment, de son char, il pouvait clairement voir une tête à 2000 m. Le tankiste qui a tiré sur
l'hôtel Palestine a donc pu distinguer nettement les journalistes et leur caméra. Mais le rapport secret de
l'armée US conclut que ses troupes n'ont commis aucune faute.
Ce même jour, le bureau d'Al Jazeera fut victime d'un raid aérien. Un journaliste tué. Paul Pascual, de
Reuters, m'a confirmé que l'armée américaine savait où Al Jazeera était installée : il avait, à la demande
d'Al Jazeera elle-même, transmis les coordonnées GPS du bureau au Pentagone pour qu'on ne leur tire
pas dessus.
En mars 2004, deux journalistes d'une autre chaîne arabe, Al Arabiya, ont été abattus d'une balle dans la
tête alors qu'ils faisaient demi-tour d'un check-point (barrage routier) américain auprès duquel ils
s'étaient fait identifier.
En août 2004, le gouvernement irakien installé par les Etats-Unis a fermé les bureaux d'Al Jazeera pour
un mois après que le ministre US de la Défense, Donald Rumsfeld, les ait accusés d'anti-américanisme.
Eason Jordan, directeur de l'information chez CNN, a déclaré en janvier 2005, lors du Forum économique
mondial de Davos, que plusieurs journalistes en Irak ont été la cible de l'armée américaine. Il a
démissionné peu après, suite à des pressions. On l'a mal compris, a-t-il dit.
La Fédération internationale des Journalistes (FIJ) accuse les Etats-Unis de vouloir contrôler et intimider
les médias en Irak. Selon la FIJ, il n'y a eu aucune explication sérieuse, ni enquête sur la mort de 13
journalistes tués par les troupes américaines en Irak.
Toutes des bavures ?
Qu'est-ce que les Etats-Unis ont à cacher ?
En Irak, les Etats-Unis sont confrontés à une résistance croissante. Une résistance qu'ils essaient de briser
en menant une sale guerre. Ils "éliminent les terroristes" dans des villes et villages entiers. J'ai pu voir les
résultats dans les hôpitaux: de nombreux civils tués et blessés par des bombes (e.a. des bombes à
fragmentation), abattus aux check-points, lors de perquisitions à domicile, en rue.
J'ai pu constater que l'armée US elle-même est un facteur d'insécurité. Ses soldats tirent sur tout ce qui
leur semble suspect. Même sur les ambulances, malgré l'interdiction de la Convention de Genève. Un
soldat interrogé à ce propos m'a répondu: "Cette ambulance aurait pu être pleine d'explosifs". Ils savent
qu'ils peuvent agir impunément. D'ailleurs, l'exemple est venu de Bush lui-même, quand il a lancé son
attaque préventive contre l'Irak.
En août 2003, j'ai demandé à un MP (police militaire) américain ce qu'il faisait s'il voyait des suspects
s'enfuir. Il a répondu: "On les liquide". Il ne devait même pas rédiger de procès-verbal quand un soldat
américain abattait un Irakien. Et si jamais il fallait faire un rapport, "on adapte l'histoire en disant que le
type s'est enfui en tirant".
Et en novembre 2004, lors de l'assaut contre Fallujah, nous avons vu à la télé un soldat américain
achevant un blessé dans une mosquée. Il n'y voyait aucun mal. Ce genre d'attitude n'est pas rare, en Irak
occupé. Mais les images ont fait le tour du monde, et l'homme a donc dû rendre des comptes. Fin février,
l'armée américaine l'a dégagé de toute poursuite.
Cette guerre a déjà tué au moins 100.000 Irakiens
Les actions des troupes américaines et britanniques tuent bien plus de civils irakiens que les attentats
suicides. Soyons clairs, personne ne peut approuver des attaques contre des civils innocents, ni celles de
l'armée américaine, ni celles de certains groupes en Irak qui n'ont rien à voir avec une résistance légitime
à l'occupation. D'après la prestigieuse revue médicale The Lancet (29.10.2004), au moins 100.000 Irakiens
de plus sont morts suite à la guerre. La moitié d'entre eux de mort violente, dont 84% des oeuvres des
armées US et britannique (4% de la résistance). Les Etats-Unis veulent cacher leur sale guerre. Lors du
siège de Fallujah, l'hôpital de la ville a été occupé, de sorte que les récits des médecins ou les images
des victimes n'ont pu atteindre le monde. Et ce sont donc les attentats suicides qui sont aujourd'hui à la
une.
En Irak, c'est aujourd'hui le chaos total. J'ai fait, avec des collègues irakiens, une enquête sur la santé en
Irak. Deux ans après la chute de Bagdad, la situation est dramatique. Personne n'est en sécurité. Pouvoir
d'achat, situation alimentaire et conditions de vie se sont dégradés. Plus de la moitié de la population
sont sans travail, donc sans revenu. Le prix de la nourriture et des transports a plus que doublé. Il y a de
graves problèmes d'électricité, d'eau potable, d'eaux usées, d'ordures. Suite à cela, le taux de mortalité
infantile a fortement augmenté. Et l'infrastructure médicale ne s'est pas encore améliorée.
Les occupants semblent ne se soucier que de leurs propres intérêts et sécurité. Tout soutien à
l'occupation - y compris la formation de soldats, policiers et juges irakiens, à laquelle la Belgique va
participer - renforce l'emprise des Etats-Unis sur l'Irak. Une grande partie de la richesse du pays, le
pétrole, risque ainsi d'aller aux multinationales occidentales. Cela ne profitera pas à la population
irakienne. Et le chaos risque de demeurer.
La plupart des Irakiens veulent le départ des troupes d'occupation. Plus vite ce sera fait, plus il y aura de
chances de véritable progrès pour la population irakienne.
GEERT VAN MOORTER
[email protected]
http://www.intal.be/fr/article.php?articleId=296&menuId=1
Campagne de solidarité avec les victimes en Irak:
http://www.intal.be/fr/article.php?articleId=250&menuId=1