notre enquête - 60 Millions de Consommateurs
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notre enquête - 60 Millions de Consommateurs
le mois de 60 ENQUÊTE AUTOMOBILE Le carburant à l’origine de L’hiver dernier, de nombreux automobilistes ont été privés de leur voiture. Une mystérieuse épidémie qui, des mois plus tard, trouve une explication. L’huile de palme incorporée au gazole était incompatible avec certains additifs. FABIENNE LOISEAU Son garagiste est formel : c’est la mauvaise qualité du carburant qui est à l’origine de la panne de sa voiture. Stéphane a fait le plein, le 6 février dernier, au centre Leclerc de PlougastelDaoulas dans le Finistère. Et les problèmes ont commencé : le moteur peine à démarrer, toussote, refuse d’accélérer. Les soupçons se tournent très vite vers le gazole, en raison de son aspect «trouble» et d’un «dépôt blanchâtre» qui aurait colmaté les filtres du système d’injection. Des victimes partout en France Leclerc réfute pourtant l’accusation : le rapport d’analyse des prélèvements réalisés le 3 février dans la cuve suspecte indique « produit conforme ». Circulez, il n’y a donc rien à voir. Entre la vidange du réservoir et le changement des filtres, il en coûtera tout de même 200 € à Stéphane. Aurait-il été victime d’une simple panne mécanique ? On en doute sérieusement, car son histoire est loin d’être un cas isolé. Au cours de l’hiver dernier, nous avons reçu des dizaines de témoignages relatant à peu près les mêmes faits et provenant de tous les coins de la France. Les victimes se sont en général servies dans les stations-service des grandes surfaces et possèdent plutôt des voitures à injection directe, un système très sensible aux impuretés pré- sentes dans le carburant. En janvier, une quinzaine d’automobilistes ayant fait leur plein à l’hypermarché Auchan d’Englos dans le Nord, ont fini, eux aussi, chez le garagiste. Même diagnostic : les pannes auraient été provoquées par un dépôt blanchâtre. Auchan est resté muet sur les causes du problème, tout en acceptant de rembourser les frais de garage et de carburant de ses clients. Mais combien d’autres n’ont pas réussi à se faire dédommager ? Difficile de se battre contre un grand distributeur, surtout quand ce dernier affirme que personne d’autre ne s’est plaint, et quand on a besoin de sa voiture rapidement. Les bon à savoir Que faire si cela vous arrive ? s Il faudra vous armer de courage et de patience si vous voulez obtenir gain de cause. Tout d’abord, demandez à un garagiste de faire un prélèvement du carburant litigieux ainsi qu’un diagnostic écrit. Si vous avez une protection juridique, avisez votre assureur, qui pourra vous aider dans vos démarches et prendra peutêtre en charge les frais d’expertise. En parallèle, saisissez la Répression des fraudes de votre département. En dernier recours, vous pourrez engager la responsabilité du distributeur devant le tribunal. 18 l 60 millions de consommateurs l n°443 l novembre 2009 plus malchanceux ont parfois dû débourser plus de 2 000 € en frais de réparation, lorsque les injecteurs étaient inutilisables. Que s’est-il passé ? Les grands froids de janvier ont-ils joué un rôle dans cette épidémie de pannes ? Huit mois plus tard, les langues commencent à se délier : oui, il y a bien eu un problème. « Plus de 1 000 pannes nous ont été signalées par les grands distributeurs, surtout dans deux zones : le Nord et le centre de la France », révèle Yves Lemaire, chef du Bureau de l’industrie pétrolière et des nouveaux produits énergétiques au sein de la Direction de l’énergie du ministère du Développement durable. « Le taux d’huile de palme incorporée comme biocarburant dans le gazole était trop élevé », explique-t-il. D’où une incompatibilité avec les additifs de tenue au froid, qui ont pour rôle d’empêcher le carburant de se figer. L’huile de palme n’aime pas le froid… C’est ainsi que, incidemment, on apprend que les biodiesels distribués en France et fabriqués à partir d’huile de colza ou de tournesol peuvent aussi contenir de l’huile de palme. Mais pourquoi recourir à cette huile végétale qui réagit mal au froid ? Son prix est son principal atout. Certaines années, quand son cours sur le marché est bas, l’huile de palme représente jusqu’à 25 % des éthers méthyliques d’huile végétale (EMHV) introduits dans le gazole français. Il est toutefois difficile de déterminer combien de distributeurs de carburant sont concernés par cette affaire, tant le sujet semble sensible. Pas facile, en effet, d’avouer qu’on utilise une huile importée d’Asie du Sud-Est, où sa culture a un impact environnemental catastrophique… Chez Leclerc, on esquive la question d’une réponse toute technocratique : « La Société d’importation pétrolière de Leclerc (Siplec) ne s’est pas approvisionnée en EMHV d’origine huile de palme sur le dépôt EPG. » Cet entrepôt pétrolier de la Gironde dessert les régions Aquitaine, Limousin et une partie de la région Poitou-Charentes. Quid des autres dépôts ? Pas de réponse. De son côté, Auchan reconnaît commercialiser des biocarburants à base d’huile de palme, « comme tous les autres distributeurs et pétroliers ». En revanche, l’enseigne ne sait pas dans quelle proportion. « On achète des produits finis qui répondent aux spécifications de la norme », se défend son porteparole. Peu importe à partir de quoi ils sont fabriqués. Voilà un beau scandale passé sous silence pendant plusieurs mois, tandis que pétroliers, raffineurs, constructeurs et pouvoirs publics cherchaient discrètement ENQUÊTE AUTOMOBILE pannes en série une solution au problème. Un arrêté modifiant les caractéristiques du gazole devrait être publié « avant l’hiver », espère Yves Lemaire. Il empêchera l’utilisation d’huile de palme pendant la période froide. … Et le carburant craint la condensation Pourtant, à elle seule, l’huile de palme n’explique pas toutes les pannes. La mauvaise qualité du carburant peut avoir bien d’autres causes. Ainsi, en octobre 2008, une centaine d’automobilistes du Nord étaient victimes d’un surdosage de biocarburant. Une mauvaise composition reconnue par le fournisseur, Petrovex, la filiale carburants du groupe Auchan. Bien plus fréquent, le mélange de carburant et d’eau provoque aussi des effets désastreux sur le système d’injection. Une vingtaine de clients de la station Auchan de Nogent-sur-Oise dans l’Oise en ont fait les frais en janvier 2009. Le magasin a reconnu rapidement l’incident. L’eau se serait infiltrée via un tuyau d’alimentation dans le sol. Mais l’eau ne vient pas toujours de l’extérieur. Lorsque le pétrole est déversé dans une cuve très froide, notamment en hiver, il se produit un phénomène de condensation. Certains pétroliers utilisent des additifs qui permettent la dispersion des gouttelettes d’eau et les rendent inoffensives pour l’injection. Mais tous ne le font pas, en raison du coût, bien sûr. Si, en plus, la cuve est mal entretenue, l’eau accumulée dans le fond favorise le développement des bactéries qui, à leur tour, vont polluer le carburant et en- traîner des pannes mécaniques. La condensation peut aussi se former dans le réservoir de la voiture elle-même : avec les moteurs à injection directe, une partie du carburant, envoyé à haute pression et à température élevée dans le moteur, revient dans le réservoir aux alentours de 70 °C. Le choc thermique est inévitable. Selon Bernard Tourrette, expert en automobile, « on sait très mal filtrer l’eau dans le gazole. Mais certaines marques se sont penchées sur le problème et ont pu le régler. Par exemple, Peugeot a installé un système de filtration plus sophistiqué ». Les pouvoirs publics se veulent rassurants L’hiver approchant, il reste donc, d’une part, à espérer que les incidents avec l’huile de palme ne se reproduiront pas et, d’autre part, à éviter les stations-service qui négligent l’entretien de leurs cuves ou les remplissent de carburant de piètre qualité. La Direction de l’énergie se veut rassurante : les contrôles de qualité qu’elle organise chaque année dans les stations-service révèlent un taux de non-conformité inférieur à 1 %. Elle précise, par ailleurs, que les victimes de l’hiver dernier peuvent encore plaider leur cause en saisissant la Répression des fraudes de leur département… à condition qu’elles aient conservé des preuves de la panne. Ce qui est loin d’être évident, huit mois après les faits. C’est d’autant plus regrettable pour les automobilistes concernés que les acteurs du secteur avaient très vite repéré le problème. Mais ils se sont bien gardés de le faire savoir… ■ Pour limiter les risques s Remplacez vos filtres à essence ou à gazole par des produits de même catégorie et de même qualité. Effectuez cette opération régulièrement, selon les recommandations du constructeur. s N’attendez pas d’être presque à sec pour aller à la pompe, car les impuretés du fond du réservoir risquent de se retrouver en suspension. s Pour désencrasser votre carburateur, rien de tel que de rouler à un bon régime sur une longue distance. s Pour éviter la condensation dans le réservoir, faites le plein assez souvent pour réduire la quantité d’air et abritez votre voiture du froid. s Enfin, méfiez-vous des cuves qui viennent tout juste d’être ravitaillées et des cuves neuves qui peuvent contenir de l’eau de condensation, si elles n’ont pas été bien vidangées. novembre 2009 l n°443 l 60 millions de consommateurs l 19