L`Amour et le Crime
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L`Amour et le Crime
L’Amour et le Crime J’ai récemment reçu un coup de fil d’un vieil ami de mon père. C’est un homme intéressant qui a vécu une vie dangereuse et, depuis la mort de mon père, je n’ai de ses nouvelles que tous les deux ans environ. Il m’appelait pour me dire que sa nièce de quatorze ans avait disparu. Heureusement, il m’a rappelé le lendemain pour m’annoncer qu’on l’avait retrouvée, saine et sauve, chez des amis. Cette brève fugue n’avait été qu’une manifestation de sa crise d’adolescence. J’ai exprimé mon soulagement et je lui ai dit que j’allais décoller les affichettes que j’avais posées. On a parlé pendant quelques minutes, puis on s’est dit au revoir. « Prends bien soin de toi, tu sais que je t’aime », a-t-il dit avant de raccrocher. Il mesure un mètre quatre-vingt-dix et, à soixante-trois ans, c’est toujours un type assez impressionnant, avec un visage couturé de cicatrices et un triple pontage derrière lui. Tu sais que je t’aime. J’ai pensé que, mon père mis à part, les seuls hommes que j’ai rencontrés capables de me dire qu’ils m’aimaient étaient aussi des hommes capables d’une violence extrême. Est-ce un trait de personnalité ? Est-ce la sensibilité de ces hommes qui les rend enclins à des émotions plus intenses ? L’amour et la haine, la compassion et la violence. Non. C’est un code, un exemple du langage de l’inclusion. Cela a été utilisé jusqu’à la corde dans les romans et les films mettant en scène les familles de la mafia. Dans le monde réel, une alliance forgée dans la rue peut réunir entre deux personnes et une vingtaine. Et ces appartenances peuvent perdurer pendant des générations ou se dissoudre le soir même. Mais la première chose qui émerge de tels groupes est un langage commun, ou une forme de langage, qui suggère l’acceptation et la loyauté, même si les individus proviennent d’horizons très différents. Les communautés de Brooklyn décrites dans ce livre ne sont pas, pour la plupart, représentatives de l’image populaire du quartier aujourd’hui. La majeure partie des histoires qui se passent à Brooklyn ne se passent pas à Canarsie, comme la nouvelle sombre et dérangeante d’Ellen Miller, ou bien à East New York, comme dans le texte subtil et évocateur de Maggie Estep. Et quand les endroits sont plus connus, les enclaves mentionnées le sont beaucoup moins. Le Park Slope de Pete Hammill dans « Dédicace » n’est pas ce lieu non-fumeur où l’on boit des cafés latte pour fêter la toute dernière victoire du peuple, mais le quartier des laissés pour compte – la poignée de vieux qui habitent au-dessus des boutiques de 7th Avenue dans les derniers appartements à loyers modérés, et qui doivent marcher tous les jours un peu plus pour trouver un vrai bar ou une épicerie. Le Williamsburg de Pearl Abraham n’est pas un quartier branché, mais une forteresse hassidique. Ce que partagent ces communautés, cependant, et que ces écrivains capturent brillamment, c’est le langage. À quelques exceptions près, comme le prédateur d’Arthur Nere sian, tous les personnages de ces nouvelles appartiennent à telle ou telle communauté, et c’est cette appartenance qui les définit, les sauve ou les condamne. Certains de ces quartiers se superposent et certains se trouvent à des coins opposés de Brooklyn, mais, en termes de language, ça n’a aucune importance. Deux ou trois de ces histoires pourraient se passer à quelques rues les unes des autres, et les protagonistes seraient perdus si on les déplaçait. « Fade to… Brooklyn » de Ken Bruen se passe de fait en Irlande, et bien que je sache qu’un certain nombre d’entre nous considèrent que ce pays fait partie du quartier, il me plaît de la considérer comme notre nouvelle virtuelle sur Brooklyn. Les histoires racontées ici sont aussi variées que le quartier luimême, du monde ultra-violent du gangsta rap au groupe de vieux durs à cuire à la Damon Runyan. Il y a des prédateurs sexuels, des flics ripous, des tueurs, un voleur de chevaux… Les nouvelles sont variées mais, tandis que je les relis, en m’approchant de la fin du recueil – avec regrets, car je ne veux pas qu’il s’achève –, je me rends compte à quel point elles sont similaires. Et ce de la façon la plus importante qui soit : comme le sait n’importe quel érudit de bar à gin de Flatbush, ce qui compte, c’est de raconter une bonne histoire. C’est un privilège pour moi que de partager les nôtres avec vous. Tim McLoughlin Brooklyn, juin 2004