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MAI 201
AVRIL,
EDIA LITIQUE DE L’AFFICHE
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L MODIRE AVEC 12 986 €A?P—ELLINA EPSO DES SEVENTIES
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BOUTIQUE CHLOÉ
44, AVENUE MONTAIGNE
PARIS 8ÈME
WWW.CHLOE.COM
ÉDITO
Il n’y a pas si longtemps, c’était presque un synonyme : le
4e pouvoir était une autre manière de qualifier les médias.
Mais l’expression n’est plus utilisée, tant ces derniers sont
devenus de sages relais et ont relégué l’esprit critique en
pages spectacles — au mieux. Mais l’astuce des médias
est de se réinventer, qui plus est de manière inattendue.
Et c’est du côté des Tumblr, Twitter et des memes (répliques
en français) que la communication classique est mise à
mal. Quant au papier, il semble éloigné de ces échanges
entre médias de l’immédiat, mais il a tout son temps, lui…
© 2012 chloé. all rights reserved.
Angelo Cirimele
MAGAZINE NO 7
3
SOMMAIRE
P.10 — Brèves
P.70 — Portfolio
LOOKING FOR SOME SIN
Photographie : Nicolas Aristidou
Stylisme : Eve Maeno
P.14 — Magazines
USED / MATTER / WORK / TRUNK / PRESTAGE
P.80 — Portfolio
NOT FAR FROM THE CITY
Photographie : Pejman Biroun Vand
Stylisme : Mauro Biasiotto
P.24 — Shopping
QUE FAIRE AVEC 12 986 EUROS ?
Portfolio : Philippe Jarrigeon
Stylisme : Clémence Cahu
TEXTES
TEXTES
P.92 — Contre
LES SPAMS DE LA FNAC
Par Valérie Mréjen
P.36 — Interview
LUCIEN PAGÈS
par Cédric Saint André Perrin
P.94 — Moodboard
CAPELINES 70’S
Par Florence Tétier
P.40 — Images
PAS DE PRINTEMPS…
Par Céline Mallet
P.98 — Chronique
FOLLOW ME, I FOLLOW YOU
Par Mathieu Buard
P.42 — Biographie
MALCOLM MCLAREN
Par Marlène Van de Casteele
P.100 — Art Contemporain
CLÉMENT CHÉROUX
Par Emmanuelle Lequeux
P.46 — Logo
DESIGN POLITIQUE
Par Yorgo Tloupas
P.104 — Rétrovision
KITSCH
Par Pierre Ponant
P.48 — Chronique
GARDÉS À VUE
Par Stéphane Wargnier
P.108 — Design
RÉSOLUTIONS DE SALON
Par Pierre Doze
P.50 — Lexique
LES TALONS HAUTS
Par Anja Aronowsky Cronberg
Fait pour des idées séduisantes
PA P I E R S C O U C HÉ S : C O N DAT M AT T P É R I GO R D
C O N DAT G LO S S
C O N DAT D I G I TA L
C O N DAT S I L K
C O N DAT C A R D
PORTFOLIO
P.52 — Off record média
DE LA PRESSE ET DES MARQUES
Par Angelo Cirimele
P.112 — Portfolio
VIETNAM
Photographie : Bruno Herlin
MODE
P.56 — Portfolio
INDUSTRY
Photographie : Jonathan de Villiers
Stylisme : Eve Maeno
G RO U P
www.condat-pap.com
P.127 — Jeu
P.129 — Abonnement
P.130 — Agenda
MAGAZINE NO 7
5
CONTRIBUTEURS
MATHIEU BUARD
VALÉRIE MRÉJEN
NICOLAS ARISTIDOU
JULIETTE VILLARD
Votre principale occupation ces jours-ci ?
La formation et la réforme, baroque en diable.
Quelles couleurs portez-vous ?
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Aller à Beaubourg à vélo, toujours par le même chemin,
en ligne droite. J’ai essayé de varier, mais ça me ralentit.
Quelles couleurs portez-vous ?
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Faire des photos. Tout le temps.
Quelles couleurs portez-vous ?
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Ma première exposition, qui aborde le thème de
l’identification à la culture américaine en France, et dont
les héros sont les footballeurs américains de Brest, où elle
aura lieu au printemps, et à Denver en 2013.
Quelles couleurs portez-vous ?
AUTEUR ET ENSEIGNANT
ARTISTE
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Pop.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Un numéro antique de Plein air caravane camping
aux puces d’Aligre.
PHOTOGRAPHE
PHOTOGRAPHE
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Trunk magazine pour moi et Télé Loisirs
pour ma grand-mère.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Choix insolite : c’était Sciences et Vie.
EVE MAENO
PEJMAN BIROUN VAND
YORGO TLOUPAS
PHILIPPE JARRIGEON
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Des shootings et suivre les défilés.
Quelles couleurs portez-vous ?
Votre principale occupation ces jours-ci ?
I am enjoying the nice weather being back.
Quelles couleurs portez-vous ?
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Je les achète rarement à l’unité. Mon dernier pack : Grazia,
Glamour, Marie-Claire et Elle, en prévision du week-end.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Man about town and iD mag.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
L’éducation sexuelle de mon chat principalement,
et la refonte de magazines en activité annexe.
Quelles couleurs portez-vous ?
Votre principale occupation ces jours-ci ?
La publication et le lancement de Dorade, revue galante,
no 4, et la préparation d’un livre sur Roger Vivier.
Quelles couleurs portez-vous ?
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Newsweek et Time, ainsi que le New York Times du
dimanche, à 17 € le kilo chez WH Smith rue de Rivoli.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Paris Match, no 952 (8 juillet 1967), numéro emblématique
sur les accidents mortels de Jayne Mansfield et
Françoise Dorléac.
STYLISTE
PHOTOGRAPHE
MAGAZINE NO 7
6
PHOTOGRAPHE
DIRECTEUR ARTISTIQUE
MAGAZINE NO 7
7
STYLE, MEDIA & CREATIVE INDUSTRY
MAGAZINE
10 stylistes
10 photographes
N 7 - VOL. 2 - MARS, AVRIL, MAI 2012
O
+
Yohji Yamamoto
Rédacteur en chef
Angelo Cirimele
—
Directeur artistique at large
Yorgo Tloupas
—
Design
Charlie Janiaut
—
Photographes
Nicolas Aristidou, Pejman Biroun Vand,
Jonathan de Villiers, Bruno Herlin, Charlie Janiaut &
Juliette Villard (magazines), Philippe Jarrigeon
—
Stylistes
Mauro Biasiotto, Clémence Cahu, Eve Maeno
—
Contributeurs
Anja Cronberg, Mathieu Buard, Pierre Doze,
Emmanuelle Lequeux, Céline Mallet, Valérie Mréjen,
Pierre Ponant, Cédric Saint André Perrin,
Florence Tétier, Yorgo Tloupas, Marlène Van de Casteele,
Stéphane Wargnier
—
Iconographe
Sarah Gruson
—
Couverture
Photographie : Jonathan de Villiers
Stylisme : Eve Maeno
Coiffure : Kazuko Kitaoka
Maquillage : Min K
Mannequin : Thana Kuhnen chez Nathalie
Publicité
ACP
32, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 06 16 399 242
[email protected]
—
Retouches
Janvier
—
Imprimeur
SIO
94120 Fontenay-sous-Bois
—
Magazine est imprimé sur Condat Silk 115 g et 250 g
www.condat-pap.com
—
Conseil distribution et diffusion shop
KD Presse
Éric Namont
14 rue des Messageries
75010 Paris
T 01 42 46 02 20
kdpresse.com
—
Distributeur France
MLP
—
Issn no 1633 – 5821
CPAPP : 0413 K 90779
—
Directeur de publication
Angelo Cirimele
—
Éditeur
ACP - Angelo Cirimele
32 boulevard de Strasbourg 75010 Paris
T 06 16 399 242
—
magazinemagazine.fr
[email protected]
—
Robe imprimée : Rue du Mail
Polo : Ben Sherman
Boucles d’oreilles « Étreinte » en argent : Hermès
—
Remerciements
Marie-Laure Girardon, Blandine Martin, Maison Rolland,
Annie Toulzat, Monsieur X
—
Traduction
Kate van den Boogert, Thibaut Mosneron Dupin
—
Secrétaire de rédaction
Anaïs Chourin
© Magazine et les auteurs, tous droits de reproduction réservés.
Magazine n’est pas responsable des textes, photos et illustrations
publiées, qui engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.
Inez van Lamsweerde & Vinoodh Matadin
Jason Evans
Matthew Cunnington & John Sanderson
Anouk Kruithof
Ina Jang
villa Noailles
Communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée
HYÈRES
2012
27e Festival International de Mode
et de Photographie
Festival du 27 au 30 avril 2012
Expositions jusqu’au 27 mai
Lynsey Peisinger
Joël Riff
Fabrics Interseason
Maison Rondini
Léa Peckre
Céline Méteil
www.villanoailles-hyeres.com/hyeres2012
D.A. Michel Mallard Studio / Photo Ina Jang, photographe sélectionnée, Hyères 2011
MAGAZINE NO 7
8
BRÈVES
La nouvelle formule du
Parisien et d’Aujourd’hui
en France a été confiée à
Claude Maggiori, qui avait
signé la nouvelle formule
de Libération en… 1982.
Résultat attendu à la
rentrée 2012.
Claude Maggiori is in
charge of the new design
for the dailies Parisien
and Aujourd’hui en
France (he designed the
Libération’s new format
back in… 1982). The result
is expected in September.
Le livre célébrant
les 60 ans de Chloé sera
designé par Marc Ascoli,
qui fut DA de la marque
à la fin des années 80.
Edité par Rizzoli, il est prévu
pour fin 2012, conjointement
à une exposition.
The book celebrating
Chloé’s 60th anniversary will
be designed by Marc Ascoli,
who was AD of the brand
at the end of the 80s.
Published by Rizzoli, it’s to
be released in late 2012, in
time for the exhibition.
Que deviennent les
stylistes des magazines ?
Ça dépend, mais Charlotte
Stockdale (ex-Vogue,
i-D…) s’est recasée dans
les cosmétiques chez
Jo Malone London (Estée
Lauder group), en charge
de la DA de la marque.
What do magazine
stylists become? It depends,
but Charlotte Stockdale
(ex-Vogue, i-D) has found
another job in cosmetics
with Jo Malone London
(Estée Lauder group), in
charge of the brand’s
artistic direction.
À qui s’adresse une
agence de pub qui relooke
The Face might be
relaunched by former editor
in chief Ashley Heath.
son logo ? À son meilleur
graphiste ? Non, à un
free-lance, en l’occurrence
Ich&Kar, qui vient de réaliser
la nouvelle identité de
BETC, avec typo modulaire et
abeille en prime.
Where does an
advertising agency who
wants to overhaul its
logo turn? To its best
graphic designer? No, to
a freelancer, in this case
Ich&Kar, who has just
created the new identity for
BETC, with a modular font
and a bee on top.
La collection Design
(26 minutes) revient sur
Arte avec quelques objets
culte : La Stratocaster,
la Fiat 500, le pouf Sacco,
le bureau et ses casiers
de Le Corbusier… à voir
le dimanche entre mars et
avril – ou à podcaster.
The collection Design
(26 minutes) returns
to Arte with a few cult
objects: the Stratocaster,
the Fiat 500, the Sacco bean
bag, Le Corbusier’s desk and
storage units… programmed
every Sunday in March and
April – or as a podcast.
Le « contenu » que
les marques s’attachent
à développer peut aussi
prendre la forme d’un
enseignement. Ainsi,
Van Cleef & Arpels lance
une école à son nom,
dans laquelle 7 modules
de 4 heures initieront
12 privilégiés à la haute
joaillerie, pour un tarif
oscillant entre 600 euros
et 950 euros le module.
Sinon, il y a les séminaires
de l’IFM à podcaster.
Gratuitement.
The content that
brands are so attached to
developing can also take
the form of instruction.
Van Cleef & Arpels launch
a school in which seven
4-hour modules will
introduce 12 lucky people
to fine jewellery, for a cost
between 600 € and 950 € per
module. Otherwise there’s
always podcasts of seminars
by the French Fashion
Institute (IFM) for free.
On annonce une
version hollandaise de
Vogue ; date de sortie à
confirmer.
A Dutch version of
Vogue has been announced
with a release date to be
confirmed.
Le château de Versailles
va se doter d’un magazine
culturel, qui inclura aussi
sa programmation. Que lui
The Face serait
relancé par Ashley Heath,
ex-rédacteur en chef.
MAGAZINE NO 7
10
souhaiter ? De ressembler
davantage au magazine
britannique Tate, etc. qu’à
Grande Galerie (musée du
Louvre)…
Versailles is to create a
cultural magazine that will
also feature its program.
What to wish it? To look
more like the British
magazine Tate, etc than
the Grande Galerie (musée
du Louvre)…
C’est Anri Sala (galerie
Chantal Crousel), qui
représentera la France à la
Biennale de Venise en 2013.
The artist Anri Sala
(Galerie Chantal Crousel)
will represent France at the
Venice Biennale in 2013.
Interview magazine
poursuit son expansion :
après la Russie, voici
l’Allemagne, et c’est
l’équipe de l’exigeant 032c,
Joerg Koch et Mike Meiré,
qui dirige l’édition
allemande. Non, rien de
prévu pour la France.
Interview magazine
continues its expansion:
after Russia, now Germany
and the fastidious team
Style fine-tunes is new
format, whose redesign
has been entrusted to
Susanna Shannon, in this
case for early March.
from 032c, Joerg Koch et
Mike Meiré, will be at the
head of this German edition.
No, there’s nothing planned
for France yet…
Dans l’esprit du site
Nowness, LVMH va lancer
un site de contenus autour
de la marque Tag Heuer.
L’angle devrait être
davantage lifestyle et sport,
quand Nowness reste mode
et image.
In the spirit of the
site Nowness, LVMH will
launch a content-based
site around the brand
Tag Heuer. The angle
should be more lifestyle
and sport, while Nowness
remains fashion and image.
Ça s’agite dans les
suppléments lifestyle des
hebdomadaires français :
alors que Laurent Joffrin
et Olivier Wicker préparent
Obsessions, le mensuel
gratuit de l’Obs, prévu
pour le 29 mars, L’Express
Style peaufine une
nouvelle formule, dont
le redesign a été confié
à Susanna Shannon, cette
fois pour début mars.
There’s movement in
the lifestyle supplements
of French dailies: while
Laurent Joffrin and
Olivier Wicker prepare
Obsessions, the Nouvel
Observateur’s free monthly
supplement, scheduled
for 29 March, L’Express
via latriennale.org/
La Triennale, from 20 April
to 26 August.
Nous l’avions annoncé
un peu prématurément :
Bruno Collin (WAD) n’est
plus directeur artistique de
la marque Diesel. Le poste,
qui avait été précédemment
occupé par Wilbert Das
pendant seize ans, n’a
pas de remplaçant pour
l’instant. Et chacun semble
revenir à son métier
d’origine.
We had announced
it a little prematurely:
Bruno Collin (WAD) is no
longer artistic director of
Diesel. The position, which
was previously occupied
by Wilbert Das for 16 years,
has not been replaced for
the moment. And every one
appears to be returning to
their original professions.
L’image de Brigitte
Bardot reste le meilleur
outil pour signifier le cool
de la France des années 60.
Après Lancel et ses sacs,
c’est Maje qui adopte BB sur
une collection de 5 T-shirts.
Une édition limitée prévue
en avril.
The image of Brigitte
Bardot remains the best
tool for representing 1960s
French cool. After Lancel
and its bags, Maje adopts BB
for a collection of 5 T-shirts.
The limited edition is
scheduled for April.
La Toile est devenue un
enjeu pour les contenus
de la mode : après le Vogue
américain, qui propose toutes
ses archives sur un site
payant, Mercedes a inauguré
le sien, gratuit, lui reprenant
les fashion weeks dont il
est partenaire, augmenté
d’interviews et de portraits.
The web has become a
factor for fashion content:
after Vogue US that offers
all its archives on a paying
site, Mercedes inaugurated
its site, free in this case,
picking up the Fashion
Weeks that it is partner on,
fleshed out with interviews
and portraits.
Exit La Force de l’Art
et le Grand Palais, place
à la Triennale dans le
Palais de Tokyo rénové,
dont le commissariat a été
confié à Okwui Enwezor.
Un journal mensuel sera
aussi édité, consultable
sur latriennale.org/
La Triennale, du 20 avril
au 26 août.
Out with La Force de
l’Art and the Grand Palais,
in with La Triennale in the
renovated Palais de Tokyo,
curated by Okwui Enwezor.
A monthly magazine
will also be published,
available for consultation
La galerie Armel Soyer
vient d’ouvrir ses portes
dans le Haut Marais,
19 rue Chapon, Paris 3e.
Consacrée au design et
aux arts décoratifs du
MAGAZINE NO 7
11
XXIe siècle, elle consacre
sa première exposition à
Emmanuel Bossuet, qui
a conçu un papier peint
avec l’Atelier d’Offard.
Jusqu’au 16 mars.
The gallery Armel Soyer
has just opened its doors
in the Upper Marais, 19 rue
Chapon (75003). Dedicated
to 21st century design and
decorative arts, it dedicates
its inaugural exhibition to
Emmanuel Bossuet, who
has designed a wallpaper
with Atelier d’Offard. Until
16 March.
Comme les grandes
personnes, les marques
s’offrent maintenant des
auteurs de renom : pour
ses 120 ans, JM Weston
a fait appel à Didier Van
Cauwelaert pour
signer sa biographie
(éd. Le Cherche Midi).
Just like important
people, brands treat
themselves to famous
authors: for its
120th birthday, JM Weston
calls on Didier Van
Cauwelaert to write its
autobiography
(Le Cherche Midi).
Les médias commencent
à se penser en labels et
multiplient les supports :
après Mediapart et ses livres,
Rue89 et son magazine,
c’est France Culture qui
arrive sous forme de revue
trimestrielle fin février.
The media has started
thinking of itself in terms
of labels and multiple
mediums: after Mediapart
and its books, Rue89 and its
magazine, France Culture
arrives at the end of
February in the form
of a quarterly magazine.
Le festival de mode de
Dinard, 19e du nom, se
tiendra du 13 au 15 avril
et aura pour présidents
Marithé et François Girbaud.
The 19th edition of the
Dinard Fashion Festival
will take place from
13 to 15 April with Marithé
and François Girbaud
as presidents.
Dans le précédent
numéro de Magazine, un
crédit s’est immiscé à la
mauvaise page. Il fallait
lire Céline pour la chemise,
Hermès vintage pour le
short et gilet. C’est dit.
In our previous issue,
a credit was published on
the wrong page. It should
have said Céline for the
shirt, vintage Hermès for
the shorts and vest. There,
it’s said.
C’est Jun Takahashi et sa
marque Undercover qui ont
été choisis pour développer
une ligne propre pour
Uniqlo. Prenant la suite de
Jil Sander, dont les produits
ont été salués mais mal
vendus, Jun Takahashi
proposerait une ligne
familiale et non dénuée
d’humour. Côté logo,
UU succède donc à +J.
Jun Takahashi and his
brand Undercover have
been chosen to develop
a line for Uniqlo. Taking
over from Jil Sander, whose
products were praised
but which sold badly,
Jun Takahashi will present
a family collection not
without humour. As for the
logo, UU will succeed +J.
until 16 April. The best
portfolios will be selected
and published in the
September issue.
Les expositions peuvent
aussi avoir leurs produits
dérivés de luxe. Ainsi, la
rétrospective Yayoi Kusama
voyagera de Beaubourg
au Whitney Museum
de New York en juillet
prochain et sera l’occasion
d’éditions limitées
Louis Vuitton (sacs, prêt-àporter, montre, bijoux…).
Exhibitions can
also have their luxury
merchandising. The Yayoi
Kusama retrospective
will travel from Beaubourg
to New York’s Whitney
Museum next July,
the occasion for Louis
Vuitton limited editions
(bags, ready to wear,
watches, jewellery…).
Alors qu’on la pensait
dévolue au marché
asiatique, Shang Xia,
la marque qu’Hermès
développe en Chine,
inaugurera sa première
boutique parisienne rue
de Sèvres fin 2012.
Just when we thought
it was dedicated to the
Asian market, Shang Xia,
the brand Hermès is
developing in China, will
inaugurate its first Parisian
boutique on Rue de Sèvres
at the end of 2012.
Une nouvelle Cité du
design devrait voir le jour
à Saint-Ouen (93) en 2014,
dans une ancienne halle
d’Alstom datant de 1922 ;
12 000 m2 qui se diviseront
en école, laboratoire, café,
pépinière d’entreprises.
Le projet est mené par
l’agence Saguez & Partners,
qui y emménagera.
A new design centre
should open in Saint-Ouen
(93) in 2014, in a former
Alstom factory dating
from 1922. 12,000m2 will be
divided up into a school,
laboratory, café, business
incubator. The project is
Après Ezra Petronio,
c’est Fabien Baron, le plus
américain des DA français,
qui serait en charge des
campagnes Chloé.
Following Ezra Petronio,
the most American of
French DAs Fabien Baron
will take over the Chloé
campaigns.
MAGAZINE NO 7
12
headed by the agency
Saguez & Partners, who
will move in.
L’intégration des blogs
au système des médias
suit son cours : les éditions
Jalou annoncent le label
« L’Officiel New Talents »,
plateforme de blogueuses
indépendantes et résidentes
qui prendra aussi la forme
d’une revue semestrielle.
Premier numéro en mai.
Integrating blogs into
the media system follows its
course: Editions Jalou has
launched the label “L’Officiel
New Talents”, a platform
of resident independent
feminine bloggers which
will also take the form of
a bi-annual magazine.
The first issue is scheduled
for May.
L’appel à participations
pour le numéro « Talent »
du magazine Foam est
ouvert jusqu’au 16 avril. Les
meilleurs portfolios seront
sélectionnés et publiés dans
le numéro de septembre.
Calls for entry for
the “Talent” issue of
Foam magazine are open
Non content de présider
le prochain jury mode
du Festival de Hyères,
Yohji Yamamoto signe
une ligne de jeans en
collaboration avec Edwin,
une autre marque japonaise.
En boutique dès juin.
Not content with
presiding the next fashion
jury at the Hyères Festival,
Yohji Yamamoto will design
a jeans line in collaboration
with Edwin, another
Japanese brand. In store
from June.
Le prochain prix Ricard
pour l’art contemporain
aura pour commissaire
Elena Filipovic.
Elena Filipovic is
curator of the next Ricard
contemporary art prize.
Mademoiselle Agnès fait
une pige vidéo pour le site
des 3 Suisses, avec ce qu’il
faut de jaune, d’orange et de
rose, sans oublier les looks
du vépéciste.
Mademoiselle Agnès has
produced a video for the
3 Suisses website, with just
the right amount of yellow,
orange and pink, not to
mention the mail order
company looks.
Le OK Festival
d’Arnhem (Pays-Bas)
devient Facing Pages et
rassemble des magazines
indépendants. Expositions,
tables rondes, textes
critiques et nouvelles
formes attendues du
20 au 22 avril. Infos sur
facingpages.org/
Arnhem’s OK Festival
(Holland) becomes
Facing Pages and reunites
independent magazines.
Exhibitions, round tables,
critical texts and new
forms expected from 20 to
22 April. Information on
facingpages.org/
d’expositions, portes
ouvertes et remises de prix
à différents concours. Infos
sur designersdays.com/
Designers Days, the
Parisian art circuit,
will take place from
31 May to 4 June and
will be the occasion for
exhibitions, open days
and prize ceremonies for
different competitions.
More information on
designersdays.com/
Après son départ du
palais de Tokyo, MarcOlivier Wahler mènera un
projet éphémère dans un
immeuble du boulevard
Raspail (Paris 6e). Pendant
un an, ce centre d’art
accueillera des expositions,
de jeunes artistes ainsi
qu’une école, avec pour
projet un manuel d’art
du XXIe siècle.
Une nouvelle école
de mode ouvrira ses
portes en 2013 à Londres :
la Conde Nast College
of Fashion and Design.
Plutôt marketing et
communication que
création, l’école proposera
des formations de dix
semaines ou d’un an – ou
comment faire son stage de
fin d’année à Vogue UK…
A new fashion school
will open its doors in 2012
in London: the Conde Nast
College of Fashion and
Design. More marketing
and communication than
design, the school will
offer 10 week or 1 year
courses – or how to do one’s
end of year internship at
Vogue UK.
Didier Grumbach, dont
le mandat de président
de la Chambre syndicale
de la couture parisienne
se termine ce printemps,
serait nommé président
du conseil d’administration
du palais de Tokyo.
Didier Grumbach, whose
term as President of the
Chambre syndicale de la
couture in Paris ends this
spring, will be named
President of the Board
of Directors of the Palais
de Tokyo.
Following his departure
from the Palais de Tokyo,
Marc-Olivier Wahler will
direct a pop-up project in a
building on the Boulevard
Raspail (Paris, 6th). For one
year, this art centre will
host exhibitions, young
artists as well as a school
with the project of a
21st-century art manual.
Les Designers Days,
parcours parisien du design,
auront lieu du 31 mai au
4 juin et seront l’occasion
MAGAZINE NO 7
13
La soirée de remise des
prix du Club des Directeurs
artistiques aura lieu début
avril. Sur invitation.
The award ceremony
for the Art Directors Club
will take place early April.
By invitation.
La future boutique
Chloé, qui ouvrira ses
portes rue Saint-Honoré,
aura pour architecte
Joseph Dirand.
Joseph Dirand is
architect of the future
Chloé store, to open on Rue
Saint-Honoré.
Un nouvel éditeur de
photographie voit le jour :
Artligue proposera des
éditions en 100 exemplaires
de photographes tels
que Françoise Huguier,
Maurice Scheltens,
Harri Peccinotti ou
encore Jaap Scheeren. Des
expositions sont aussi
prévues dans le showroom
(9 rue des Arquebusiers,
Paris 3e). Informations sur
artligue.fr/
A new photography
publisher is born: Artligue
will propose 100 copies
editions of photographers
such as Françoise Huguier,
Maurice Scheltens, Harri
Peccinotti or Jaap Scheeren.
Exhibitions are also
planned for the showroom
(9 rue des Arquebusiers,
Paris 3rd). Information on
artligue.fr/
MAGAZINES
USED
Angleterre, semestriel, 128 p., no 2, 245 x 335 mm, 9 €
weareuseful.com
Ce n’est pas le tout d’avoir des clients quand on est directeur artistique, il faut aussi
pouvoir les garder ou, à défaut, en séduire d’autres. Paradoxalement, c’est en élaborant
des travaux non commerciaux (ou en les rassemblant), qu’on est davantage susceptible d’attirer leur attention. Mais ce n’est pas qu’une arrière-pensée, c’est aussi une
hygiène des yeux et une gymnastique créative. Ainsi, Used, semestriel dont le luxe est
de ne compter aucune page de publicité, puise aux sources de l’art contemporain, de la
mode et de la photographie expérimentale pour assembler ses 128 pages. Quelles révolutions pour le signe entraîne le développement d’Internet ? Les images toujours plus
immédiates peuvent-elles encore être expérimentales ? se demande Paul Kooiker. Les
défaillances informatiques peuvent-elles produire des images valides ?… Il faut reconnaître à Used de poser des questions et d’ouvrir le champ, même si le résultat visuel
est parfois en dessous des ambitions. Pourtant, tout y est : un graphisme élégant, des
papiers choisis et même un brin de provocation avec ce titre : “Nature is not evil, it’s
ugly. That’s why we have gardens”. Aux manettes de ce magazine, Useful est un studio
de création graphique londonien pour la mode et le luxe. Used est son terrain de jeu et
doit, par essence, expérimenter et découvrir ; ça fait partie de son contrat…
EXTRAIT
SUNDAY, THE VOYEURISM OF PAUL KOOIKER
How do we see? Standing as a casual observer or as a committed
voyeur, we are all engaged in the art of looking from the moment we
wake until we close our eyes at night. But what drives some people to
capture what they see, control that image, and convey their vision to
others? To enter the world of the voyeur is to break a taboo. The idea of
watching and not participating in what you are looking at is seen as
sinister, but it is also perceived as a private activity. To place the viewer
in the position of a voyeur makes them a voyeur too, and therefore
intensifies the experience of looking. Playing with perception has long
been a tool of the artist: from the Escher optical illusion to the photograph, the artist can force you to question what you see, and in turn
forces you to question who you are. Photography has gone through so
many recent changes that there has been much discussion about the
culpability of the image. Photographs that are intended to convey news
or conflict are perceived as (or demanded to be) an objective record. But
art photography specifically combines this medium that can capture
‘reality’ and the desire of the artist to control what and how that reality
is seen. Paul Kooiker often speaks about the cliché of looking. Using
the camera as a voyeur he seeks to objectify his subjects. Focusing
on form and image rather than portraiture, he also seeks to abstract
his subjects with framing and technique. Kooiker provokes the viewer
into questioning the nature of what they see and whether or not they
feel comfortable in front of the image, especially in terms of the female
form. Kooiker photographs women, usually in a stripped back environment, positioned or placed. He then uses manipulative techniques on
the image to heighten the viewer’s focus on form. The Sunday pictures
(shown here) are an example of a project born out of a focus on one
pose and variations of it. The shape of the subject becomes the focus as
the original image is manipulated, the colour enhanced and in some
places entirely abstracted and repeated. Kooiker has spoken of taking
the human element out of the pictures and thus forcing the viewer
to explore the relationship between the original image and the finished picture. These are simply pictures of a woman in her garden on a
Sunday, or are they? By photographing women, typically in the nude
and almost always with their faces obscured, Kooiker can examine different elements of voyeurism and the ways in which we look.
[…] Amah-Rose McKnight-Abrams p. 34
EDITOR :
Alex Geoffrey
DESIGN ASSISTANT :
John Alexander
ART DIRECTION & DESIGN :
Useful
MAGAZINE NO 7
14
PUBLISHER :
Useful
MAGAZINES
MATTER
Angleterre, semestriel, 192 p., no 1, 215 x 275 mm, 10 €
mattermedia.info
Pourquoi continuer à éditer des magazines ? Ne vous êtes-vous jamais posé la question ? Il arrive, si on cherche bien, qu’un magazine livre une réponse précise et structurée. Matter se joue des règles et rendez-vous qui sont censés organiser un magazine : le type en couverture est de dos et on ouvre ensuite sur des portraits flous ou
à contrejour du musicien Tricky. Sans que le texte se précipite pour donner la clé. Le
magazine est donc conçu comme un espace pour se poser des questions et essayer de
comprendre le monde tel qu’il évolue. Le titre “Matter” traduit d’ailleurs bien le propos
puisqu’il pourrait être traduit par « matière », « sujet » ou « important ». Que change le
e-book à la littérature contemporaine ? Que change Internet à l’édition de magazines
d’art ? Une rencontre avec l’auteur d’Indexhibit – le logiciel gratuit qui permet à tous
de monter un site Internet… Matter explore le présent avec beaucoup d’humilité et d’àpropos ; l’art mais aussi l’architecture et la science se partagent donc ses pages. Mais
choisir le medium magazine suppose aussi qu’on veuille jouer avec sa forme pour traduire son propos. Olu Michael Odukoya, le rédacteur en chef et designer de Matter, qui
avait aussi commis Kilimandjaro et était de la nouvelle formule de Pop autour de 2010,
s’attache à donner une forme discrète et élégante au magazine. Pas seulement dans
ses pages de mode masculine mais en proposant par exemple un camaïeu de gris sur
des pages d’une inégale largeur, en insérant un livret de Lawrence Wiener, en alternant papiers mats et brillants, images piquées et grain de l’argentique. Matter est une
curiosité éditoriale dont la lecture nous enrichit, ce qui est assez rare pour être signalé.
EXTRAIT
AN INTERVIEW WITH DANIEL EATOCK
very simple alternative: a website that was as simple to browse as a
book. After a couple of attempts and failed formats, the index list of active links evolved; when clicked, each link would open up in an exhibit
area immediately to its right. It was not a ‘eureka moment’, but instead
a relief that I had arrived at a basic template that could accommodate
the works I was making – no hierarchies, sections with subsections,
hidden pages, complicated animations and things that could only be
viewed on computers that had the latest software installed or the latest
browser. This basic solution seemed to sidestep all the nonsense that
frustrated me about the web. Best of all, it was easy to update when
I had new word to add. After a year or so of using the format, I started
to notice more and more people doing the same. In most cases, I am
guessing that they arrived at the template out of a rejection of the same
complicated websites that led me to the solution. In many cases, when
looking at the artists and designers who did so, I shared some kind of
affinity with their work. This led to me posting a formal invitation on
my website inviting and encouraging others to use the format.
[…] Matter team p. 84
Daniel Eatock is a British artist and graphic designer; who is also the
founder of Indexhibit. A simple site-building tool used by artists to
create quick and easy online portfolios, Indexhibit has revolutionized
the way in which individuals display their art online, making it free
and fast for creatives to have their own personal sites; Eatock also
runs his own creative agency, Eatock Ltd, under which name he creates graphic design work for industry giants like E4, Channel 4 and
the New York Times.
MATTER. How did Indexhibit start? Did you have a ‘eureka moment’, or
were you thinking about this for a while?
DANIEL EATOCK. Towards the end of 1999, I wanted to create a website
to exhibit the works I was making. I noticed that every website I visited
was different, not just in its appearance, but also in its structure – different menus, hierarchies of information, display etc. Browsing new sites,
I felt I was wasting half my time figuring out how to navigate its display
before accessing its content. Out of this frustration came a desire for a
EDITOR IN CHIEF :
Olu Michael Odukoya
CREATIVE DIRECTION :
OMO Creates studio
DESIGN:
Joseph Pochodzaj
MAGAZINE NO 7
16
PUBLISHER :
OMO Creates Ltd.
MAGAZINES
WORK
États-Unis, trimestriel, 128 p., no 4, 210 x 285 mm, 16 €
theworkmag.com
De la frustration peuvent naître des expériences éditoriales insolites. Par exemple, Gloria Noto est une maquilleuse dans l’univers de la photographie de mode à Los Angeles.
Elle n’intervient que sur une partie marginale de l’image et son travail n’est pas
reconnaissable sauf par quelques professionnels et, à vrai dire, assez commercial.
L’aventure éditoriale commence donc de manière assez artisanale, organisée comme
un showcase d’artistes en tous genres : photographes mais aussi chanteurs, plasticiens,
illustrateurs… La distribution de l’objet est aussi expérimentale : une partie dans les
boutiques Opening Ceremony, des librairies new-yorkaises et quelques concept stores
incontournables dans le monde. Le magazine, dénué de publicité, s’apprécie comme
une promenade à travers différents univers créatifs. On trouvera bien quelques aphorismes glanés sur Facebook ou des textes à la première personne, mais rien d’absolument édité au sens d’un magazine classique. Le trait remarquable est le titre : Work.
Ce que présente Gloria Noto est la production de vingt personnes pour qui travail
et vie personnelle coïncident. Reste que Work possède un site et un blog, dont le
contenu recoupe pour beaucoup celui du magazine. Une hypothèse : vu l’inflation de
blogs « créatifs », d’étudiants en art ou de professionnels désœuvrés, le détour pour être
regardé et pris au sérieux passe par un objet physique, qui circule dans un réseau de
librairies internationales – fût-il minuscule.
EXTRAIT
Wasn’t it funny, the way the ocean breeze felt through the television
screen. You stare at me, vacant, your mind splashed only through cool
waves and red carpet riots. You felt the pureness of my sun penetrate
deep into the backs of your eyes. You had been craving for so long, so
desperately long, and you were craving me. You were so certain that
I was what you were after – and who was I to try and change your mind.
You had seen me on the silver screen, right next to you, and we were
larger than life. You imagined your wallet thickening as I buttoned your
top button, your every movement perfectly dissected into familiar perfection. One forceful flash from the paparazzi threw you back into yourself, hands in your pockets, worn lace-up shoes melodically skimmed
the shag carpeting. You breathed heavily, the stale air of your middle
America dissipated as you began to breathe the breath of reaslistic fantasy. “I am going to become more than myself,” you said out loud as
your heart pounded with pride, your lips wet with the taste of conviction.
On ramp after off ramp, your knees twitch violently past exit signs, detours and glowing red break lights. You grind your teeth along with
the screeching of your engine and your hands sweat as you squeeze
the last bit of living out of the steering wheel. You try to move to the
right, to the left, and back to the right again but you are tossed, head
pulsating, into the concrete tide. Your ears ring with the devious sound
of dollars being guzzled by gas tanks. Your eyes are heavy with fatigue.
Your head nods as the polluted sun begs a bead of sweet perspiration
down the front of your forehead. Your dirt stained pockets are as empty
as your success. Months have passed since you climbed through a web
of naïve certainty to meet face to face. Beguiled by my fantastic promises,
you have only started to cradle my undeniable misery. I felt sorry for
you in that moment, having taken advantage of your young mind and
your hopeful spirit. I was not what you had imagined – but I was never
hiding. You should have known that I would be in control. You should
have known that you are not the only one trying, but that you are so
alone in your endeavors.
[…] Samatha Fernandez p. 66
FOUNDER & EDITOR IN CHIEF :
Gloria Noto
PUBLISHER :
Dan Monick
ON LOS ANGELES
DESIGN DIRECTOR :
LA Hall
MAGAZINE NO 7
18
MAGAZINES
TRUNK
États-Unis, semestriel, 128 p., no 2, 205 x 275 mm, 8,50 €
trunkmag.com
La banalisation des vols charter a changé notre manière de voyager : depuis vingt
ans, on vole plus loin et plus souvent. Mais cette démocratisation n’est pas l’unique
évolution : de nombreux métiers ont été révolutionnés par la facilité du voyage, parmi
lesquels les industries créatives et de l’image. Le voyage non comme un outil mais
comme un lifestyle ? C’est le propos de Trunk (« malle » en anglais). Un photographe,
une rédactrice et de nombreux contacts (photographes, journalistes, stylistes, designers) qui parcourent la planète pour raisons professionnelles ou personnelles – les
deux se mêlant parfois. Chaque morceau de Trunk est une plongée dans un pays, une
culture, une histoire : l’Éthiopie, un rallye automobile Londres - Oulan-Bator, les volcans indonésiens ou les lofts d’artistes new-yorkais émergents si vous êtes trop dépaysés. C’est d’ailleurs l’une des curiosités du magazine : difficile de lui donner un port
d’attache. Il est américain, soit, mais pas plus NY que LA, et autant Europe qu’Asie.
Parce que c’est une rédactrice qui est l’une des deux moitiés du magazine, les voyages
de Trunk sont aussi des récits, écrits. On découvre quelques séries mode (mood 40
dans un jardin de l’ex-Allemagne de l’Est, un remake de Gainsbourg-Birkin…) et, là
aussi, la styliste livre ses références et son intention, comme une mise en mots de son
récit visuel. Le côté hors du temps de Trunk est assez singulier, et sa baseline “The
world is a fine place”, empruntée à Hemingway, une invitation engageante.
EXTRAIT
MY CITY OF RUINS
car window upon my arrival was a small cluster of protesters unfurling
a banner. We were forced to brake hard as they were chased by blackclad riot police in front of our car and onto the broad coastal boulevard
called the Corniche. They were outnumbered, surrounded and swallowed up by the security forces, a prelude to the violence to come. When
writing about Alexandria, visitors usually begin far in the past, with
the lighthouse and the Great Library, the vanished glory sought by archaeologists at the bottom of the harbor, where the ancient buildings
lie broken. As such, the city in its current form cannot help but disappoint: a wall of concrete high-rises blocking off the coast, surrounded
by the slums of the impoverished and those just getting by, who make
up an overwhelming majority of the four million Alexandrians. It is
not impossible to find imprints of an older, grander city, if you enjoy a
cappuccino and perhaps a honey-soaked pastry at the patisserie and
café Delices on Saad Zaghloul Square, then cross to the marble lobby of
the Cecil Hotel, where Winston Churchill and Somerset Maugham once
stayed, and take the old gated elevator up one floor for a drink at the bar.
[…] Nicholas Kulish p. 76
Nicholas Kulish reported on Egypt’s revolution for The New York Times.
Months later, he returned to Alexandria for another look at this beguiling, bewildering metropolis, tracing its tumultuous history from its ancient origins to an uncertain future. Night has fallen over Alexandria
but my wristwatch insisted it was still day. Angry black smoke spewed
from burning tires and molten plastic. The files and the furniture inside police stations, the stations themselves, even one of the city’s famous tram stations was on fire. The smoke rose up and blotted out the
sky, drifting out beyond the island of Pharos, where long ago stood
the lighthouse that was one of the wonders of the ancient world. Only
far out over the Mediterranean was the afternoon’s blue sky still visible. My introduction to the ancient city of Alexandria was harsh and
unusual. I arrived on January 26, 2011, from Cairo, where the revolution
that would eventually take its name from the Twitter-ized designation of
the previous day − #jan25 − had just begun. The first thing I saw out the
EDITOR IN CHIEF :
Diane Vadino
FOUNDER & CREATIVE DIRECTOR :
David Cicconi
DESIGN DIRECTOR :
Pamela Berry
MAGAZINE NO 7
20
PHOTO DIRECTOR :
Katie Dunn
PUBLISHER :
Contrapposto media LLC
MAGAZINES
PRESTAGE
Pays-Bas, trimestriel, 128 p., no 4, 240 x 300 mm, 13 €
prestagemagazine.com
On ne s’en rend pas forcément compte si son camp de base est Paris ou New York, mais
on peut vite se sentir isolé si on appartient à une scène créative périphérique comme
Zurich ou Amsterdam ; « périphérique » étant ici entendu au sens géographique et non
artistique. Régulièrement, des magazines présentent donc les méandres du paysage
créatif, tel Prestage, qui nous ouvre les portes des ateliers néerlandais. Si la mode et la
photographie se taillent la part du lion, l’illustration est aussi présente et le magazine
a la bonne idée de mêler des talents reconnus (Matthias Vriens, Vivianne Sassen) à
leurs héritiers. Un thème organise chaque numéro : “Beyond Borders”, pour le troisième, qu’on aurait, il faut bien l’avouer, eu du mal à deviner. Le design graphique
navigue entre une originalité minimale et la lisibilité des quelques textes. In fine, on
échappe au sentiment de book sur papier mat que sont souvent ces expériences ; on
engage plutôt un voyage visuel assez agréable.
EXTRAIT
WEAR YOUR HEART ON YOUR SLEEVE
emotions are also an integral part of your outfit. Black power suit, big
shoulders, high heels: I’m proud to be a woman in control. “Old ripped
jeans, t-shirt, flip-flops: I am a relaxed dude.” Tracksuit, stained boyfriend
sweater. UGGs: “It’s Sunday, I’m cold and I don’t give a sh*t how I look.”
Leather jacket, matching trousers, cowboy boots: “Don’t you dear mess
with me !” Yellow striped button-down shirt, pink shorts, socked feet in
sandals: “I’m a middle-aged man with bad taste. So what !” Clothes can
express your personality, the state of mind you’re in at a certain moment
in time or the vibes you want to radiate. This means that by picking a
specific outfit, we can actually choose who we want to be on any given
day. It’s in those moments that we’re aware of the specific messages
that garments can send. Whereas ‘naked’ body language, such as facial
expressions and posture, occurs subconsciously, the fabrics that cover
our body represent a conscious choice of expression. This being said, if
outfits represent a conscious choice of expression, then why do some
people choose to not look their best?
[…] Lisa Goudsmit p. 85
‘Excuse me dear, I don’t know what you’re trying to say with that floral
blouse of yours, but we are not goin to get married in Hawaii.’ Sometimes
garments can say so much more than lips are able to. Therefore, instead
of focusing on the words that are used in the wonderful world of fashion
as I’ve previously done, the time has now come to focus our attention on
how garments can create a language all their own. Language encompasses much more than just verbal utterances. Actually, it’s said that
80% of human communication is nonverbal. Our body tells other people that which our mouth not always dares or wants to says: the truth.
And since our body is covered in fabrics most of the time – and thank
the Lord for that, because some people it should be illegal to be naked
in public – our clothes speak their own language. As the expression
states, some people ‘wear their own heart on their sleeve’, meaning that
their emotions are there for everyone to see. Therefore, your nonverbal
EDITOR IN CHIEF :
Stefanie Mensink, Puck Landewé
CREATIVE DIRECTOR :
Jasper Abels
PUBLISHER:
Prestage magazine
MAGAZINE NO 7
22
AGENDA
CARNET BLEU
STYLO
THÉ
TASSE
BOÎTE À AQUARELLE
BAUME DU TIGRE
MONTRE
LUNETTES DE SOLEIL
450€
3€
2€
13€
8€
34€
11€
12 200€
265€
12 986€
SHOPPING
QUE FAIRE
AVEC 12 986
Photographie : Philippe Jarrigeon
assisté de Arnaud Le Brazidec
Stylisme : Clémence Cahu
assistée de Marion Bourguignon
Remerciements : le chat Zahia et Elena Médini, sa maîtresse
Walter rassemble ses idées avant la longue soirée qui s’annonce. Il cherche un numéro de téléphone dans son agenda
(modèle Castiglione, chez Goyard, 450 €), puis note deux pensées dans son carnet bleu (3 € chez Merci) à l’aide de son Bic
or (2 € au kiosque). Il ne quitte jamais son thé Marco Polo
(13 € chez Mariage Frères), ni sa tasse fétiche (8 € chez Bonton).
Il rendrait bien son usage à cette boîte à aquarelle (34 € sur
eBay), mais son poignet se raidit à cette idée et l’odeur de
Baume du Tigre (11 € à Belleville) l’en dissuade. Il a enfin
remis la main sur sa montre et c’est heureux (12 200 € chez
Jaeger LeCoultre), et même sur ses lunettes de soleil (265 € chez
Dior Homme), mais ce dernier s’est déjà couché.
MAGAZINE NO 7
24
MAGAZINE NO 7
25
MÉLANGE D’HUILES ANOUK, AESOP
HUILE POUR LE CORPS, DIPTYQUE
BLAIREAU MANCHE BOIS FONCÉ, PLISSON
SOCLE DE RASAGE, TORIS
BOÎTE EN ARGENT VINTAGE
BRACELET OR ET CORAIL VINTAGE
MONTRE, DIOR HOMME
FAUX CILS, VIVA FIESTA
SOINS
SAVON À BARBE, TORIS
MOUSSE À RASER, EAU DE COLOGNE ET
EAU DE ROSE, SANTA MARIA NOVELLA
NETTOYANT, KIEHL’S
FACIAL FUEL, KIEHL’S
REGENESSENCE ET CREMA NERA, ARMANI
BAUME DE PARFUM, AESOP
GOBELET, SAINT-LOUIS
BOÎTE EN ARGENT VINTAGE
30€
69€
189€
182€
2 100€
1 200€
6500€
6€
196€
17€
116€
23€
40€
245€
63€
310€
1700€
12 986€
Le temps presse et ses camarades de jeu, s’ils savent qu’il se
fera désirer, ne patienteront pas toute la nuit. Il y aurait tant
à faire : hydrater (huiles Anouk d’Aesop, 30 €, ou huile pour le
corps Diptyque, 69 €), mais vite, il faudra aussi de raser. Soit,
mais avec quel blaireau ? Le Plisson (189 €) ou le Toris, qui
trône sur son socle (182 €) ? Mais voilà que les yeux de Walter
se perdent dans les reflets de cette boîte à secrets (de beauté)
(2 100 € chez un antiquaire, mais lequel ?), et dans l’orange
de ce corail vintage (1 200 €). Plus de temps à perdre, c’est sa
montre qui le dit (6 500 € chez Dior Homme) et au diable les
faux cils (6 € chez Viva Fiesta). Walter aurait mieux fait de
demander un soin (196 €), il serait déjà le nez au vent…
Il faut toujours choisir, c’est le drame de Walter. Non qu’il
manque d’arguments, tous ont grâce à ses yeux, mais laisser
dans la pénombre du dressing un pantalon noir à carreaux
(Gucci, 925 €) pour un Lanvin en laine (1 950 € en costume),
c’est un peu fort… Le Dior du smoking (2 200 €), et pourquoi
pas le Armani sur mesure (3 750 €) ? Mais en commençant par
la fin, les chaussures, tout peut s’éclairer… les richelieus sur
mesure (830 € chez JM Weston) ? Les derbies pixels de Margiela
(546 €) ou carrément les chaussures de golf Prada (990 €), pour
ignorer la demi-mesure ? Tout ça pour choisir la sobriété
des mocassins (Gucci, 495 €)… Heureusement, les accessoires
rehausseront cet apparente austérité : foulard Hermès (310 €)
coordonné aux chaussettes (Falke, 15 €).
PANTALON NOIR À CARREAUX
PANTALON NOIR EN LAINE
PANTALON NOIR DE SMOKING
PANTALON NOIR SUR MESURE
SOULIERS SUR MESURE
SOULIERS DE GOLF
DERBIES PIXELS
MOCASSINS
FOULARDS
CHAUSSETTES
925€
1950€
2 200€
3750€
830€
990€
546€
495€
1240€
60€
12986€
PARAPLUIE
CHAPEAU
MALLETTE
ESCARPINS
VASE
CLOCHE DE VERRE
LIVRE
NŒUD D’URGENCE
PIÈCE D’OR
215 €
250€
22 800€
300€
280€
40 €
90 €
9€
-11023€
12 986€
La soirée fut enjouée : cris, surprises et bons mots ne firent pas
défaut, au milieu de ces vrais amis, amants parfois, mais inséparables plus de deux mois. Le dernier bar fermé et la flasque
en poche (Stanley, 25 € chez Merci), abrité sous le parapluie
(215 € chez Burberry), c’est vers l’hôtel que ce petit monde se
dirigeait, avec quelques idées derrière la tête ; la chambre de
Walter invitant à tous les excès. Chapeau (250 € chez Paul
Smith) et mallette (en croco, 22 800 € chez Gucci) négligemment lancés sur le lit, les escarpins valsaient (300 € chez Louis
Vuitton), et la nuit pouvait recommencer. Qui auscultait le
vase paresseux (280 € chez Marianne Guedin), qui la cloche
de verre (40 € chez Margiela), alors qu’un autre feuilletait le
livre sur la haute joaillerie de Cartier (90 € à la Fnac). Si Walter
se félicitait de toujours disposer de son nœud d’urgence (9 €
chez Bonton), il avait dû se résoudre à changer quelque monnaie d’or pour financer ses fantaisies (11 023 €, frais compris).
MAGAZINE NO 7
30
Il fallait toujours que ça se termine par un jeu. On buvait
(un chassagne-montrachet d’époque, 120 €, avec une modération modérée) dans un verre au filet d’or (145 € chez
Saint-Louis), on fumait des cigares à moitié, posés dans le
cendrier (610 € chez Baccarat) et non loin du briquet laqué
(695 € chez Dupont)… Le caviar passait de mains en mains
(Beluga Imperial, 2 400 € chez Petrossian), et la flasque (90 €
chez Hacket) était bientôt vide. L’impératrice – c’était son surnom – s’était déchaussée (1 195 € chez Yves Saint Laurent) et
il fallait jouer maintenant. À quoi ? Peu importait. Des mots
croisés ? Et pourquoi pas ? Muni de son stylo à plume (375 €
chez Montblanc) et de sa loupe lunette (59 € chez Margiela),
Walter y perdit ses boutons de manchette (98 € chez Paul
Smith) mais aussi la rondelette somme de 7 199 €. Ni plus, ni
moins. C’est vicieux le hasard…
VIN
VERRE
CENDRIER
BRIQUET
CAVIAR
FLASQUE
CHAUSSURES
STYLO
LOUPE
BOUTONS DE MANCHETTE
PARI
120€
145€
610 €
695€
2 400 €
90 €
1 195 €
375€
59 €
98€
7 199 €
12986€
MAGAZINE NO 7
32
TEXTES
P.36 : INTERVIEW
LUCIEN PAGÈS
LE RENDEZ-VOUS PRINTANIER POUR L’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN
/dSQZ¸OW[OPZS^O`bWQW^ObW]\
RS1VO[^OU\S@cW\O`b
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RO\aZ¸{RWbW]\^O`WaWS\\SRc [O`a
P.40 : IMAGES
PAS DE PRINTEMPS…
P.42 : BIOGRAPHIE
MALCOLM MCLAREN
P.46 : LOGO
DESIGN POLITIQUE
P.48 : CHRONIQUE
GARDÉS À VUE
P.50 : LEXIQUE
LES HAUTS TALONS
P.52 : OFF RECORD MÉDIA
DE LA PRESSE ET DES MARQUES
* Nouveaux participants (liste au 30 janvier 2012)
10 Chancery Lane Gallery (Hong-Kong) - 313 Art Project (Séoul)* - A&B Gallery (Séoul / Karlsruhe)* - A. Galerie (Paris)
- A2Z Art Gallery (Ivry-sur-Seine) - Acte2 galerie (Paris) - AD Galerie (Béziers) - Galerie Albrecht (Berlin)* - Louise
Alexander Gallery (Porto Cervo) - A.L.F.A. Galerie (Paris)* - Analix Forever (Genève) - Arts d’Australie Stéphane Jacob
(Paris)* - Galerie Albert Baumgarten (Fribourg) - Galerie Albert Benamou, Véronique Maxé & Albert Koski (Paris) - Galerie
Berthet-Aittouarès (Paris) - Bourouina (Berlin)* - Galerie Jean Brolly (Paris) - Galerie Bernard Ceysson (Luxembourg /
Paris/ Saint-Etienne) - Galerie Pierre Alain Challier (Paris) - Galerie Michèle Chomette (Paris)* - °Clair Galerie (Munich)
- Galerie Claude Bernard (Paris) - Confluence (Paris)* - De Primi Fine Art (Lugano) - Delaive Gallery (Amsterdam)* - Dovin
(Budapest)* - Galerie Dukan Hourdequin (Paris)* - Eidos Immagini Contemporanea (Asti)* - Erdesz Gallery (Budapest)*
- Erika Deak Gallery (Budapest)* - Espace Beaumont (Luxembourg)* - Fabbrica Eos (Milan)* - Faur Zsófi Gallery (Budapest)*
- Les Filles Du Calvaire (Paris)* - Flatland (Utrecht)* - Galerie Forsblom (Helsinki)* - Gagliardi Art System (Turin)* - Galerie
Claire Gastaud (Clermont-Ferrand) - Galerie Bertrand Gillig (Strasbourg)* - Gimpel Müller (Paris/Londres)* - Galerie
Laurent Godin (Paris)* - Galerie Bertrand Grimont (Paris)* - Galerie Guillaume (Paris) - Gallery H.A.N. (Séoul)* - Galerie
Ernst Hilger (Vienne) - Galerie Catherine Houard (Paris) - Galerie Catherine et André Hug (Paris) - IFA Gallery (Shanghai)
- Ilan Engel Gallery (Paris) - Galerie Imane Farès (Paris)* - Inception Gallery (Paris)* - Inda Gallery (Budapest) - Galerie
Catherine Issert (Saint-Paul de Vence) - J. Bastien Art (Bruxelles) - Galerie Jacques Elbaz (Paris)* - Galerie Jean Fournier
(Paris)* - JGM Galerie (Paris)* - Anna Klinkhammer Gallery (Düsseldorf)* - Konzett Gallery (Vienne)*- Galerie Koulinsky
/ Cellule 516 (Marseille)* - La Galerie Particulière (Paris)* - Galerie Lahumière (Paris) - Baudoin Lebon (Paris) - Galerie
Lelong (Paris) - Galerie Levy (Berlin / Hambourg)* - Galerie Linz (Paris) - Magnum Gallery (Paris)* - Kalman Maklary Fine
Arts (Budapest)* - Mario Mauroner Contemporary Art (Vienne)* - Galerie Martine et Thibault De La Châtre (Paris)* Galerie Matignon (Paris)* - Mayoral Galeria D’art (Barcelone) - Galerie Alice Mogabgab (Beyrouth) - Galerie Lélia Mordoch
(Paris) - Galerie Nathalie Obadia (Paris / Bruxelles) - Oniris (Rennes) - Galerie Orel Art (Paris) - Galerie Paris-Beijing
(France) - Galerie Priska Pasquer (Cologne)* - Pente 10 (Lisbonne)* - Polka Galerie (Paris) - Catherine Putman (Paris)*
- Rabouan Moussion (Paris) - Galerie Richard (Paris/New York)* - J. P. Ritsch-Fisch Galerie (Strasbourg) - Galerie Brigitte
Schenk (Cologne)* - Sémiose (Paris) - Shuim Gallery (Séoul / Paris)* - Galerie Slott (Paris)* - Galerie Véronique Smagghe
(Paris) - Galerie Stefan Roepke (Cologne)* - Galerie Rive Gauche Marcel Strouk (Paris) - Galerie Taïss (Paris) - Galerie
Tamenaga (Paris) - Galerie Daniel Templon (Paris) - Galerie Toxic (Luxembourg) - Trait Noir-Aroya Galerie (Toulouse)*
- Galerie Patrice Trigano (Paris)* - Galerie Vanessa Quang (Paris)* - Venice Projects (Venise) - Galerie Vieille Du Temple
(Paris) - Galerie Vintage (Paris)* - VIPArt Galerie (Marseille) - Galerie VU’ (Paris) - Galerie Olivier Waltman (Paris) - White
Moon Gallery (Paris)* - Galerie Esther Woerdehoff (Paris)* - Young Gallery (Bruxelles)* - Espace Meyer Zafra (Paris) Galerie Zimmermann Kratochwill (Graz)* - Galerie Zürcher (Paris / New York)*
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INTERVIEW
LUCIEN PAGÈS
En charge des relations presse de clients aussi divers que le décorateur
Vincent Darré, le malletier Moynat, le créateur de mode masculine Adam Kimmel
ou encore le parfumeur Byredo, Lucien Pagès anime depuis cinq ans…
… une agence de communication désormais incontournable. Styliste de formation, cet ancien assistant du
directeur artistique Marc Ascoli développe des stratégies médiatiques pointues, chics et décalées. Un autre
regard sur les RP.
Vous représentez de jeunes talents, le développement de
marques émergentes semble devenu assez complexe…
Les jeunes créateurs génèrent toujours beaucoup de presse à leurs débuts ; les choses se compliquent
ensuite. Chaque saison, tous les magazines du monde
y vont de leur dossier « jeunes créateurs » – condensé
de tous les nouveaux venus du moment. Il y a toujours de la place pour ça ! Trois pages pour un article
dithyrambique sur un jeune ayant effectué trois stages.
Mais impossible par contre de caser ne serait-ce qu’un
bonnet de ce petit génie dans les séries mode du même
support ! En début de carrière, les jeunes créateurs ont
facilement entre 15 et 20 articles importants, mais s’ils
ne transforment pas rapidement leur succès d’estime,
en réalité commercial, la presse ne peut rapidement
plus les soutenir. Les journaux s’intéressent déjà aux
talents de la génération suivante, histoire de rafraîchir
les points de vue. Le problème est donc là : comment
passer du stade de jeune trublion prometteur dont on
parle à une réalité de marque bien diffusée et économiquement viable ?
de listing, pas de références, pas de méthodologie. Il
m’est donc difficile de théoriser sur les bouleversements du métier.
Mais la presse n’a tout de même plus les libertés de ton
d’il y a vingt ans…
Oui, alors bien sûr il y a cette fameuse pression des annonceurs. Il y a une dizaine d’années, les
rédactrices gémissaient, mais elles arrivaient encore à
glisser des choses de marque ne prenant pas de pub
dans leurs éditoriaux. C’est maintenant quasi impossible… parce que des pages de pub relève la survie
des magazines. La donne a donc beaucoup changé et
notamment dans les mensuels, mais de nouveaux supports ouvrent de nouvelles perspectives.
Quels sont les contours de votre métier ? En quoi
consistent les relations de presse ?
Différentes choses. Lorsque l’on travaille pour
des créateurs, on les aide à construire leur identité de
marque, à définir leur façon de communiquer, mais
également on leur donne confiance en eux. Parler avec
eux, voir où ils en sont, vers quoi ils voudraient – et
pourraient – évoluer. Les aider à comprendre pourquoi
certaines choses fonctionnent, et d’autres non. Tous ces
beaux discours que les gens appellent « stratégies de
marque », il me semble que c’est davantage un dialogue
juste et sincère à établir avec ses clients. Clients dont
on respecte le travail et en lesquels on croit. Il n’y a pas
de recette miracle, chaque communication relève du
sur-mesure ; elles se développent à deux, en accord avec
les créateurs. Après, pour ce qui est des marques plus
commerciales, l’idée est de créer une forme de climat
sympathique autour d’elles ; que les gens les aiment,
qu’elles aient leurs fans. La communication, c’est donc
toujours créer des belles rencontres.
[…] Internet, c’est un peu
l’embouteillage, tous
ces mails, ces sites, ces blogs,
mais qui a le temps de
regarder tout ça ?
Quelles évolutions notez-vous dans votre métier ?
Il m’est un peu difficile de répondre à cette
question dès lors qu’attaché de presse n’était pas
mon métier initial. J’ai suivi les cours de l’école de la
Chambre syndicale de la couture parisienne et ensuite
travaillé quatre ans avec Alberto Marani (un créateur de cachemire). À l’époque, déjà, on rameutait les
copains journalistes pour présenter son travail. Quand
j’assistais Marc Ascoli, nous supervisions la communication de Martine Sitbon – en étroite collaboration avec
le bureau de presse Michèle Montagne – pour tout ce
qui était ouvertures de boutique, défilés, prêt de vêtements aux actrices. Mais je n’ai jamais eu de véritable
expérience de RP. Je me suis consacré à ce métier parce
que j’ai rencontré Adam Kimmel, qui ne voulait pas
rejoindre un bureau existant et souhaitait développer
une communication personnalisée. Et comme on
s’entendait bien, je m’y suis collé. Mais à mes débuts,
les journalistes avec lesquels j’ai dans un premier
temps collaboré étaient les copains. Je n’avais pas
Lesquelles ? Les revues underground introuvables que
personne ne lit ?
Non, pas forcément. Les hebdomadaires par
exemple, en plus du Elle il y a aujourd’hui Grazia et Be.
Se sont également développés des pages mode et des
suppléments style dans les hebdomadaires, ces titres
ont plus de flexibilité parce que matériellement plus de
pages, et donc plus de place.
Et quelle serait la formule magique ?
Avoir une diffusion est aujourd’hui essentiel.
Quand j’ai commencé à travailler avec Adam Kimmel,
il disposait de 23 points de vente. C’était un créateur
assez cool, mais vraiment très « underground », très
« understated » ; les gens ne comprenaient pas trop : il
faisait des vêtements très simples mais paraissait dans
des revues très pointues. Il était vendu au Dover Street
Market, Comme des Garçons soutenait son travail… Il
était un peu dérangeant, hors cadre. Il y avait quelque
chose, mais quoi ? Il dispose aujourd’hui d’une centaine de points de vente pour sa ligne et de 150 pour
celle développée avec Carhartt ; chose rendue possible
par une relation très serrée entre le commercial et la
presse au sein d’une petite équipe soudée. Tout a toujours été pensé en parallèle : la marque s’installait à travers quelques points de vente en Allemagne, on cherchait à avoir des papiers dans la presse germanique.
De nouvelles lignes étaient développées, on le faisait
savoir… Aujourd’hui, pour qu’une marque fonctionne,
Et pour vous, en quoi cette pression des annonceurs
modifie-t-elle votre travail ?
Notre métier consiste à rendre les marques
cool, séduisantes, attractives. Aucun des budgets que je
représente n’annonce, ils ont pourtant tous de la visibilité. Je m’emploie donc à développer une forme d’aura
autour des griffes, pour leur donner du sex-appeal,
un truc qui fasse que les rédactrices sentent que c’est
bien de les photographier. Passer les vêtements de mes
clients donnera le ton de l’époque à leurs séries, cela
leur apportera de la fraîcheur.
Et comment développez-vous cette aura glamour ?
L’idée, c’est de mettre en lumière le meilleur
de chaque créateur. Il faut donc être à leur écoute, tout
en conservant un certain recul. J’essaye toujours de me
placer du côté des journalistes, de comprendre la façon
dont ils perçoivent la marque. De là, on tâche d’orienter
les choses dans le bon sens…
Qu’en est-il des journalistes ? Ont-ils changé dans
leur façon d’appréhender leur métier ?
Journalistes, attachés de presse, créateurs…
tous ces gens ont en commun une vraie passion pour
la mode, qui les soude. Une rédactrice fonctionne toujours au coup de cœur, même si elle doit composer avec
des annonceurs ; passer la robe d’une petite marque qui
lui tient à cœur dans une série relève pour elle de la
croisade personnelle, pub ou pas pub !
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En quoi ces nouveaux médias, blogs, Internet, films,
ont-ils modifié votre façon de travailler ?
Ils permettent une plus grande résonance. On
n’est plus à attendre LA parution dans tel ou tel mensuel. Cela permet aussi de créer un buzz autour des
marques, et le buzz, c’est très important ! Les dirigeants
des griffes très classiques ou assez commerciales ont
parfois du mal à cerner les subtilités de la communication sur le Net, qui est codifiée – au même titre que la
presse papier. Ils vous disent on veut être sur les blogs,
mais ça ne veut rien dire ! Des blogs, il en existe de très
suivis et d’autres pas du tout, de passionnants et de
super nuls. On dirait presque que c’est une fin en soi
d’être présent dans les blogs – ça leur semble moderne !
Le fait est qu’en France, des blogs de mode, il n’en existe
pas beaucoup. Il y a bien celui de Garance Doré, qui a
sa propre identité, mais il relève davantage du journal
intime que du magazine ; elle y poste des dessins, parle
du style des filles, partage des émotions. Les marques
en attendent des parutions, un relais d’informations
sur leurs produits… mais ce n’est en aucun cas le propos ! Dans le domaine de la mode masculine, les sites
sont, certes, plus axés produits ; sans doute parce que
les hommes ont cette passion du bel objet.
elle se doit de tenir compte des réalités économiques.
Lorsque de nouveaux clients viennent me consulter,
je leur demande toujours le nombre de leurs points
de vente. Pour communiquer sur des produits, il faut
qu’ils soient diffusés, qu’on puisse les trouver. Faire de
la presse sur des choses non vendues, il y a un truc qui
ne marche pas.
Vous êtes l’un des rares bureaux indépendants français à avoir su vous imposer à Paris, alors que depuis
quelques années ce sont surtout de grosses structures
internationales, type Karla Otto ou KCD, qui dominent.
Leur venue a permis une professionnalisation
du métier. Les relations presse sont devenues hyper
organisées : stratégie, rapports mensuels aux clients,
placement de produits… Avant, attaché de presse et
client déjeunaient ensemble de temps à autre et, hormis un book de parutions, les choses n’allaient pas
bien loin… Ces imposants bureaux de presse avec une
foule d’assistants génèrent de l’argent parce que le luxe,
la créativité, le vêtement, la parfumerie, etc., même en
ces temps de crise, dégagent moult profits. Les clients
sont donc prêts à se payer leurs onéreux services, car ils
offrent une organisation parfaite. Moi, mes débuts ont
été de bric et de broc, mais à l’instar de ces structures,
j’ai dû me professionnaliser, m’équiper d’outils informatiques, d’assistants, c’est aujourd’hui indispensable.
Facebook semble également appelé à devenir un relais
de communication pour les marques.
Communiquer ou non à travers les réseaux
sociaux est une question de positionnement. Personnellement, je ne trouve pas cela très chic. Certes,
il m’arrive de poster des infos sur mon mur Facebook,
quand je suis très content d’un événement par
exemple, mais c’est plus affectif que stratégique. J’ai
envie de partager quelque chose qui m’a apporté
du plaisir et de la satisfaction, mais ça reste dans la
sphère de l’intime. Après, on sait bien que des entreprises spécialisées activent les réseaux sociaux pour
le compte de grandes marques… Or, il me semble
qu’une sollicitation excessive du public devient vite
contreproductive. Il en va de même des newsletters.
Beaucoup de bureaux de presse « mailent » aux journalistes des résumés de leur actualité, je ne suis pas
pour. Cela finit par ressembler à des spams ! Quand les
journalistes ont déjà reçu le
dossier de presse, en quoi
Comme tous les bureaux de presse, vous classez donc
les journalistes en fonction de leur influence…
Oui, ceux qui reçoivent les plus beaux cadeaux
sont aussi les premiers mis au courant des informations (rires) ! Trêve de plaisanterie, il est vrai que les
choses virent très politique et qu’il y a des faux pas
à proscrire. Aux États-Unis règne depuis longtemps
le triomphe de l’exclusivité : tu dois donner l’info à un
magasin puissant avant tout le monde, au risque qu’ils
la zappent. En France, on y vient aussi, mais c’est surtout
vrai à l’international. Quand Adam Kimmel réalise un
film, il faut bien réfléchir à qui l’on cède l’exclusivité ;
aucun grand site ne va reprendre un film donné à un
autre, tout au plus le film aura une seconde vie sur des
blogs indépendants. Alors,
Nowness ? Le site de
Dazed & Confused ? Style.
com ? La question se pose…
[…] Communiquer ou
non à travers les réseaux
sociaux est une question
de positionnement.
Personnellement, je ne trouve
pas cela très chic.
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[…] Aujourd’hui, trouver une date de
libre pour un évènement relève du
casse-tête. Pourquoi ? Parce que ces
manifestations trouvent écho dans
la presse, et servent à lancer des
produits, des lignes, des marques…
ont-ils besoin qu’on leur rabâche encore l’information ? Internet, c’est un peu l’embouteillage, tous ces
mails, ces sites, ces blogs… Mais qui a le temps de
regarder tout ça?
C’est une démarche à contre-courant. Il faut dire que
depuis la fête de Natalia Vodianova pour Etam, toutes
les grosses marques fantasment sur des mégafêtes avec
concert rock et foultitude de gens importants au premier rang ! La formule ne peut pas éternellement être
dupliquée… Les célébrités qui se déplacent pour les
événements que nous organisons le font parce qu’elles
se sentent en communauté d’idées avec les créateurs
pour lesquels nous travaillons. Si Catherine Deneuve
était présente au lancement du livre de Fréderic Malle,
c’est parce qu’elle en a écrit la préface, cela fait donc
sens… Et il me semble que les choses qui perdurent
dans le temps sont justement celles qui font sens. Cela
peut paraître naïf de le dire, mais j’y crois fermement.
Haro sur le Net, donc ?
Non, disons juste que les sites et les blogs
ne me semblent justifiés que lorsqu’ils véhiculent
des messages sincères et cohérents. Julien David, un
de mes clients, a par exemple son blog sur le site de
Colette. S’y retrouvent des gens qui comme lui aiment
le streetwear et s’inscrivent dans une même communauté d’idées. Internet a également un intérêt commercial, le shopping en ligne permet aux petites marques
de toucher une large audience. Par rebond, Internet
leur offre aussi la possibilité d’obtenir des parutions
dans les magazines de pays où elles n’ont pas de point
de vente physique.
C’est une vision assez élégante des RP…
Après, il existe évidemment des marques qui
ne peuvent fonctionner que sur le mode du glamour,
avec des actrices débarquant en limousine à des fêtes
tapageuses, mais ces événements sont destinés à une
autre audience. Les mastodontes de la mode ont besoin
de capter les médias de masse… alors, sportifs, actrices,
présentateurs télé s’enchaînent devant des murs de photographes. Mais, je me demande bien qui peut encore
être dupe ? Autrefois, on disait d’une fête qu’elle était
réussie lorsqu’il y avait tout le monde ; aujourd’hui, on
peut être certain que tout le monde s’est rasé !
Comment sélectionnez-vous vos clients ?
J’ai souhaité depuis mes débuts que chaque
client soit différent des autres, je représente un créateur
de mode masculine mais n’en prendrai pas d’autres.
Pitié ! Surtout pas de compétition entre les clients !
J’opère donc dans le domaine de la mode, de la décoration et de la parfumerie… La difficulté, c’est que chaque
domaine fonctionne avec ses propres codes, des économies différentes et des journalistes différents. C’est donc
beaucoup plus de travail…
Vous organisez également de nombreux événements.
Lancements, fêtes et cocktails ont d’ailleurs tendance
à se multiplier ces derniers temps. Que justifie cette
frénésie mondaine ?
Aujourd’hui, trouver une date de libre pour
un événement tient du casse-tête. Pourquoi ? Parce que
ces manifestations trouvent écho dans la presse, elles
servent à lancer des produits, des lignes, des marques…
À chacun donc de déterminer la façon d’opérer pour
taper juste. Pour l’ouverture de la boutique Moynat,
nous avons pris le parti d’organiser plusieurs petits
cocktails, sans photographe, avec peu d’invités à chaque
session, pour prendre le temps d’expliquer à chaque
convive l’histoire et la renaissance de ce malletier.
Qu’est-ce qui a assuré votre succès dans ce domaine ?
Mes clients ! Je travaille pour des clients comme
Vincent Darré ou Olympia Le Tan, qui attirent à leur
présentation des gens influents et glamour. Ce n’est pas
pour moi que se déplacent Arielle Dombasle ou Valérie
Lemercier… Mon travail consiste à les aider sur l’organisation de manifestations qui leur ressemblent, où les
invités passent un bon moment. Quand on reçoit avec
plaisir des gens qu’on aime bien, cela doit bien se ressentir un peu, non ?
Propos recueillis par
Cédric Saint André Perrin
Photo : Lucien Pagès, ©Bruno Werzinski.
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IMAGES
PAS DE
PRINTEMPS…
La référence est tentante, elle appelle le regard et invite la nostalgie.
Mais la madeleine aurait-elle un arrière-goût ? Démêlons les fils de la dernière
campagne Jil Sander, qui convoque le cinéma d’Hitchcock.
n’est pas anodin : les femmes commençaient de conquérir un territoire plus ample, ayant remplacé les hommes
partis au front pendant la guerre, mais les lignes impérieuses de l’hyperféminité que leur proposa le couturier leur insinuaient plutôt de travailler au statut de
bel objet. Moulées dans des tailleurs, tenues dans leurs
petits hauts cintrés, offertes dans leurs jupes corolles,
les femmes de Mad Men s’avèrent frustrées et malheureuses : épouses arrimées à la solitude du foyer, secrétaires bafouées par une hiérarchie machiste. Espionnes,
voleuses, frigides, menteuses, les créatures hitchcockiennes, en proie à des fantômes pas nets, en sont la
version dramatique et sorcière.
Hitchcock filmait volontiers l’architecture vertigineuse
des escaliers, et c’est la même qu’empruntent à leurs
risques et périls les modèles de la dernière campagne
Jil Sander. L’ambiance est un noir et blanc expressionniste duquel émergent en couleur les silhouettes : bibi
à voilette, robe à la taille marquée faisant ressortir les
hanches, longueur au-dessous du genou, très près de
la jambe… Le vocabulaire stylistique est bien celui des
années 50 et du début des années 60, dans un cauchemar
du cinéaste anglo-saxon. Car être une héroïne hitchcockienne n’est pas confortable. Hitchcock adorait malmener ses personnages féminins, prises dans les filets de
son désir coupable, traquées dans leur conduite, pourchassées dans leurs rêves, voulant l’indépendance mais
restant prisonnières. Et il jalousait ses actrices, contrôlant leur allure dans le plus infime détail. À l’image, le
vestiaire de l’époque soutient à merveille cette tyrannie,
quand il galbe et exalte les courbes féminines, fantasme
et enserre les corps convoités.
Ce n’est pas à Hitchcock mais au succès de Mad
Men que l’on doit, depuis plus d’un an, ce retour rétro
chez les créateurs actuels. Mais comme le regard superficiel ne retient de l’héroïne hitchcockienne que la face
impeccable de Grace Kelly, les bureaux de tendance ont
applaudi la série pour le seul aspect glamour de ses
personnages, occultant sa dimension sociologique tout
à fait noire. Mad Men altère l’âge d’or du capitalisme
moderne en mettant en avant le cynisme de ses héros
publicitaires, et déploie parallèlement une guerre des
sexes sans merci. Sur ce point, le New Look qu’inventa
Dior en 1947, et qui influence toute la décennie suivante,
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Convoquer Hitchcock dans une campagne de
presse c’est évoquer l’ambivalence d’un regard, sur le
sujet féminin, et les ambiguïtés d’une mode et de son
époque. Sur les doubles pages, les filles portent des
bottes dont le laçage rappelle celui du corset, et sinon
elles regardent, de derrière, une antique vitrine qu’il a
fallu briser. Il faut maintenant regarder la collection
elle-même, où Raf Simons, s’il cite le style des années 50,
en livre une version apaisée à l’aune de l’épure minimale qui fait la renommée de la marque. Surtout, des
silhouettes immaculées, blanches nurses ou infirmières,
ont ponctué le défilé comme une cure nécessaire. Pas de
printemps pour Jil Sander donc ; puisque les références
à l’histoire des formes ne peuvent se réduire au pur
formalisme, ni à la nostalgie.
[…] Être une héroïne
hitchcockienne n’est pas
confortable. Hitchcock
adorait les malmener, prises
dans les filets de son désir
coupable, traquées dans
leur conduite, voulant
l’indépendance mais restant
prisonnières.
Céline Mallet
Images : Campagne Jil Sander printemps/été 2012.
Photographie : Willy Vanderperre. Stylisme : Olivier Rizzo.
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BIOGRAPHIE
MALCOLM
MCLAREN
[…] L’intérêt du manager en herbe
grandit quand il réalise que les caïds
[futurs Sex Pistols] chantent faux, se
comportent comme des sauvages et
s’habillent comme des ploucs.
Malcolm McLaren, le manager controversé aux méthodes de travail anarchistes
a œuvré sa vie durant à mettre en scène sa propre histoire. Rendue abstraite par la
médiatisation, la biographie de ce trafiquant d’idées à la chevelure incandescente,
est semée d’embûches et de mystifications.
1946 Naissance de Malcolm McLaren à Londres au
sein d’une famille juive marginale. Privé de son père
par une mère mal froide et carriériste, son éducation est
prise en charge par une grand-mère née sous l’ère victorienne qui déteste la vie (“a piece of shit !”) et l’Angleterre – « Une nation de menteurs dont la famille royale
est la mascotte… » “To be bad is good. To be good is simply boring. So who wants to be good?” lui rabâche-t-elle
dès son plus jeune âge.
1956 Un lavage de cerveau qui porte ses fruits… Rejetant
toute forme d’autorité, Malcolm se rend vite compte que
son mauvais comportement à l’école attire l’attention sur
lui – et surtout l’approbation de sa grand-mère, ce qui
était plus important. « Nous n’avions aucune idée de ce
que peut être une famille unie. Mais le monde de ma
grand-mère était si fort que je pouvais exister en créant
le mien sur le même modèle […] Elle me faisait remettre
en question toute position établie. »
« La ruse a besoin de vêtements
mais la vérité aime aller
nue », s’exclame Jean-Jacques
Rousseau sur le linteau de porte
de la boutique Sex […]
1965 Lors de ses passages éclairs dans les écoles d’art,
il s’essaye à la marginalité ostentatoire. “Art school had
taught me it was far better to be a flamboyant failure
than any kind of benign success.” L’école d’art d’Harrow se voulait « l’endroit où échouaient tous ceux qui
n’avaient pas trouvé leur place ailleurs » ; Malcolm y
trouve un refuge pour exprimer sa colère et son ressentiment. Lorsque l’insurrection étudiante enflamme la
capitale parisienne et galvanise la jeunesse du monde
entier, il se prend à rêver de révolution. Il cherche
alors à intégrer les King Mob1 – un groupe situationniste anglais qui encense la violence et le renversement de l’ordre esthétique par la culture pop. Leurs
slogans utopistes – « nous sommes la force du chaos et
de l’anarchie. Nous sommes obscènes, sans loi, hideux,
dangereux, sales, violents et jeunes » – achèvent de
conquérir le cœur du jeune « agitateur poil à gratter » 2.
“I was searching for a way to break the
rules, change life – and I was looking
to turn art into action.” 3 Dans les faits,
Chris Gray, le leader du mouvement,
se souvient de lui comme « d’un jeune
étudiant en art aux yeux écarquillés
qui n’était pas vraiment impliqué ».
«Malcolm ne se sentait pas concerné par
la révolution, il était engagé envers luimême », confirme Robin Scott, son colocataire d’alors.
1970 Devenu père malgré lui, sans le
sou et sans perspectives, Malcolm mesure à présent les
bienfaits de l’échec en tant que noble cause. Tandis
qu’il quitte le Goldsmiths College, sans avoir obtenu
son diplôme, il dilapide ses bourses d’études dans
une collection obsessionnelle de disques de rock des
années 50 et 60. “My life ran in tandem with the birth
of rock’n’roll. I soon became obsessed with the look of
that music and the sound of that fashion.” Et tente de
trouver l’argent là où il se cache. Il persuade alors sa
girlfriend, Vivienne Westwood, de laisser tomber l’enseignement pour ouvrir une boutique au 430 King’s
Road ; une boutique qui rassemblerait les reliques
du rock’n’roll spirit mais qui offrirait en contrepartie
des gâteaux et du Coca parce que « le capitalisme pue »
– telles sont les contradictions de révolutionnaires travaillant dans la mode… Fascinés par l’arrogance et la
brutalité des Teddy Boys, ces fondamentalistes de la
religion pop en cols velours qui tranchaient avec la
mièvrerie des hippies (ces « hippos » qui prétendaient
avoir changé le monde mais qui n’avaient orchestré
qu’un ravalement de façade...), ils se proposent bientôt de leur tailler des costumes sur mesure ; le choix
d’une nouvelle veste revendiquant un acte politique.
« Il s’agit d’une tentative constante pour sortir de cette
structure de classe qu’est le costume deux pièces »,
concède le pro-révolutionnaire. Pour se débarrasser
d’une clientèle de prolos racistes devenus indésirables,
la boutique Let It Rock se fait rebaptiser, en 1973, Too
fast to live, Too young to die (hymne en l’honneur
de James Dean que reprenaient les délinquants juvéniles en blouson noir). Pour honorer leurs convictions,
Vivienne et Malcolm enfilent l’attirail en cuir clouté
du motard rocker et vendent des vêtements brodés
de lettres en os de poulet bouillis, des T-shirts pneu
de moto ou zippés. “I always feel more comfortable in
chaotic surroundings. I think order is dull.”
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1974 Invités à présenter leurs créations à New York,
le couple se fait remarquer par les New York Dolls, ce
groupe de rockers junkies devenu la coqueluche de
Manhattan. Fasciné par la tenue d’apparat de ces trisexuels [néologisme adapté de « trysexual » pour « tout
essayer », ndlr] en semelles compensées enroulés dans
du Spandex (une fibre synthétique qui montrait tout),
Malcolm se laisse envoûter par la puissance spontanée
de cette sous-culture musicale. Lorsqu’il les travestit
ensuite d’uniformes rouges, sur fond de drapeaux et
de slogans post-soviétiques, le groupe vit ses dernières
heures. Mais peu importe, entretemps il a trouvé le
nouveau nom de sa boutique : « Sex » s’inscrit désormais au fronton en lettres rose vif, cependant que la
vitrine expose un vestiaire fétichiste de sex-shop et que
la décoration intérieure revêt l’aspect d’un utérus. « La
ruse a besoin de vêtements, mais la vérité aime aller
nue » 4, s’exclame Jean-Jacques Rousseau sur le linteau
de porte. « La boutique était simplement différente de
toutes les autres sur King’s Road. Vous pouviez venir et
rester là sans que personne ne vienne vous faire chier…
Ce n’était pas comme dans un magasin mais comme
un lieu de rencontre pour glandeurs », témoigne alors
Steve Jones, l’un des glandeurs kleptomanes du lieu.
1976 Lorsque ce morveux de Steve Jones vient solliciter Malcolm et ses contacts pour l’aider à monter un
groupe de rock de cas sociaux, il se heurte à des haussements d’épaules. L’intérêt du manager en herbe grandit
quand il réalise que les caïds chantent faux, se comportent comme des sauvages et s’habillent comme des
ploucs. « Mes débuts de manager pour les Sex Pistols,
c’était comme un retour en enfance avec ma grandmère. C’était une femme qui créait son propre monde ;
les autres devaient s’y intégrer ou rester en dehors. Son
univers était bien meilleur que celui dans lequel nous
vivons, parce qu’il avait bien plus d’âme et de passion. »
Après avoir trouvé le chanteur et son surnom (alias
Johnny Rotten, dit « Johnny Pourri », en référence à ses
dents pourries), changé le bassiste (alias Sid Vicious),
confectionné leur tenue de scène (avec des vêtements
lacérés, des sangles et des pantalons bondage), ficelé
un bon slogan : « À bas un monde où la garantie de
ne pas mourir de faim s’échange contre la garantie de
mourir d’ennui – je prends mes désirs pour la réalité,
car je crois en la réalité de mes désirs », Malcolm commence à y croire… « Il nous a dit d’arrêter de jouer cette
merde [les Beatles] et qu’on ferait mieux d’écrire nos
propres trucs : “Faites quelque chose de vous-mêmes,
vous saurez ce que vous avez dans le ventre et dans la
tête”, qu’il disait », se souvient Paul Cook. Ce qui donne,
quelques mois plus tard : “God save the Queen / A fascist
regime / Made you a moron / A potential H-bomb / God
save the Queen / She ain’t no human being / There
ain’t no future in / England’s dream. » 5 Ajouté à cela
quelques bons coups publicitaires (le contrat avec EMI
est signé en face de Buckingham Palace), quelques
esclandres relayés par une presse haineuse (le Jubilé
d’Argent de la reine Elisabeth se voit fêté dignement
sur la Tamise dans un brouhaha de parjures, de
galettes de vomi et de paniers à salade) et un concept
anti-marketing : la première pochette est un sac noir
sans aucune inscription et les concerts doivent rester
secrets… Bilan : les Sex Pistols ébranlent la nation en
à peine quelques mois d’existence, quelques singles,
un seul album et deux ou trois tournées avortées. Une
foule hystérique reprend en chœur leurs mélodieuses
litanies à jets de crachats et de “Fuuuck!!”. Le punk était
né. « Le punk n’avait ni formation, ni plan de carrière.
Il était le produit d’une génération ivre de néant, se
sentant piégée dans l’Angleterre post-industrielle de la
fin des années 70, condamnée à faire la queue devant
les bureaux d’embauche et les guichets d’indemnisation chômage, et dont la seule façon de se venger était
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« Malcolm est un mégalomane.
Ce n’est pas la puissance
à l’état pur qui l’intéresse,
mais plutôt l’usage de la
communication. Vous faites ou
dites quelque chose,
et cela influence dix ou cent
ou un million d’individus… »
de se planter des épingles à nourrice dans les joues et
de changer l’art du chant en râle d’agonie. » 6
1978 Alors que « Malcolm développe une certaine schizophrénie sur la façon d’être un anarchiste tout en
étant un homme d’affaires accompli », note la secrétaire
du groupe dans son journal de bord, les rumeurs les
plus désobligeantes sur ses méthodes de management
courent dans la presse. « C’est à ce moment qu’il a commencé à considérer le groupe comme sa propre création.
Malcolm s’est mis à croire les choses que l’on rêvait de
dire à son sujet. Il pensait vraiment qu’il était un génie
du situationnisme qui avait absolument tout planifié »,
témoigne Julian Temple, réalisateur du film The Great
Rock’n’Roll Swindle. « C’est un mégalomane. Il ne s’intéresse à un milieu qu’à partir du moment où il peut y
exercer un certain pouvoir. Ce n’est pas exactement la
puissance à l’état pur qui l’intéresse, mais plutôt l’usage
de la communication. Vous faites ou dites quelque
chose et cela influence dix ou cent ou un million d’individus… », rapporte le producteur Dave Goodman. Une
réputation que McLaren se garde bien de contester,
sachant combien cette publicité peut servir ses intérêts.
Les déclarations de John Lydon et Sid Vicious ajoutent
de l’huile sur le feu et sonnent le glas de leur collaboration. Malgré trois 45-tours classés dans le Top 10 et
un album no 1 (Never Mind the Bollocks), le groupe ne
résiste pas au chaos interne et aux pressions extérieures.
Une scission qu’avait cependant anticipée McLaren, qui
considérait qu’un groupe de punk, par définition, ne
1. Les King Mob tirent leur nom d’un mouvement insurrectionnel londonien
du xviiie siècle.
2. Propos cités par Helen Mininberg, son amie du Goldsmiths’ College en 1968.
3. The Guardian, “Searching for a way to break the rules”, interview de
Malcolm McLaren, 15.09.2007.
4. Jon Savage, England’s Dreaming: les Sex Pistols et le punk, Allia, 2002.
5. Traduction de la chanson God Save the Queen : « Dieu sauve la Reine /
Son régime fasciste / Fait de vous un connard / Une bombe H en puissance /
Dieu sauve la Reine / Ce n’est pas un être humain / Il n’y a pas d’avenir /
Dans le rêve anglais. »
6. Fred et Judy Vermorel, Les Sex Pistols – L’histoire intérieure, Le mot et le
reste, 2011. Propos cités par Francis Dordor, p. 9.
7. Traduction des paroles de la chanson Pretty Vacant : « Nous sommes si
jolis / Oh si joliment vides et on s’en fout. »
1999 Après quelques errances musicales (de la scène
hip hop des années 80 au glamour patiné de l’album
Paris Paris réalisé en duo avec Catherine Deneuve), le
désormais célèbre entertainer n’aime jamais rester dans
l’ombre trop longtemps… Briguant la candidature de
la mairie de Londres, avec un programme incluant la
vente d’alcool en librairie, il fait un passage dans une
émission de téléréalité abjecte avant de s’essayer à un
retour en grâce dans le milieu de l’art.
pouvait se fondre dans le conformisme d’un succès de
longue durée. « Le management en a assez de s’occuper
d’un groupe de rock’n’roll à succès. Le groupe en a assez
d’être un groupe de rock à succès. Mettre le feu pendant
les concerts et foutre en l’air les compagnies de disques
est plus créatif que de réussir », annonce-t-il par communiqué, avant même que Sid Vicious ne soit inculpé
pour le meurtre de sa petite amie et décède d’overdose.
“We’re so pretty oh so pretty vacant and we don’t care…” 7
Après Seditionary, la boutique est rebaptisée World’s
End. John Lydon entame une procédure devant la Haute
Cour afin de se voir attribuer la paternité du groupe et
se venger du « traître égocentrique ». Le traître égocentrique s’exile à Paris, dans un accès de paranoïa, avec
ses derniers billets bourrés dans les chaussettes… “I was
a capitalist-terrorist that escaped to Paris.”
2010 Réfugié en Suisse, Malcom McLaren décède
des suites d’un cancer. Autrefois accusé de tous les
maux, le renard escroc-mytho-mégalo reçoit cette fois
les hommages les plus élogieux de ses frères ennemis.
“Oscar Wilde said something very wise: ‘When you’re
young, you know everything. When you get to middle
age, you’re suspicious of everything. And when you get
old, you believe in everything.’ I haven’t reached that
point yet. I prefer to be bad. Unquestionably.”
IMAGES
p. 42 : Malcolm McLaren ©DR.
p. 43 : 1. Malcolm McLaren et les Sex Pistols devant Buckingham Palace en
1977. 2. Boutique « Sex » au 430 King’s Road, London, ©DR.
p. 44 : 1. couleur – Malcolm McLaren et Vivienne Westwood, 1971 ©David
Parkinson. 2. Malcolm McLaren et Vivienne Westwood, ©DR.
p. 45 : Malcolm McLaren, Vivienne Westwood and friends dans la boutique
« Sex » ©DR.
Marlène Van de Casteele
1983 Ce qui ne l’empêche pas, une fois revenu chez
lui, de fabriquer des groupes pop (Bow Wow Wow,
Adam & The Ants) comme on lance des concepts. Des
divergences qui auront bientôt raison du couple
Westwood/McLaren. Leur seconde boutique londonienne, Nostalgia of mud, ferme ses portes l’année
suivante, marquant définitivement la fin de leur collaboration intellectuelle. Vivienne s’en va présenter ses
collections à Paris. Malcolm fuit le plus loin possible…
et atterrit à Hollywood, « la seule ville où peuvent se
vendre les idées ». Fasciné par l’industrie du film et son
business, il parvient à y dégoter un job chez Columbia,
le royaume de Spielberg. Et se perfectionne dans l’art
du langage pour devenir le maître de la bonne formule.
“Hollywood teaches you to tell stories as succinctly,
quickly and efficiently as possible [...] If the story last
longer than five minutes, you’re gone.”
1986 Les Sex Pistols remportent leur procès – le
procès originel aboutit à une impasse, ce qui décida
Johnny Lydon à porter l’affaire devant un tribunal. Ils
réaffirment leur autonomie vis-à-vis de McLaren et
récupèrent les droits sur ce film qu’ils détestent, The
Great Rock’n’Roll Swindle. La conclusion du tribunal :
« McLaren nous a apporté le punk violent et agressif ;
c’était littéralement son travail de création. » Défaite
cuisante pour McLaren, il doit céder au groupe ses
deux sociétés et se fait déposséder de son film. “The
Pistols were like my work of art. They were my canvas.” John Lydon tient sa vengeance : entre l’artiste, le
manager et le public, le tribunal prend toujours le parti
de l’artiste. Lydon se fait dédommager d’un million
de livres. McLaren est sur la paille. « Ça m’a harcelé
constamment pendant huit ans. Maintenant j’en suis
débarrassé », confesse celui qui s’en sort toujours... “All
things that appear to be uncool turn out to be cool.”
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LOGO
DESIGN
POLITIQUE
Manier des signes, c’est comprendre l’évolution du monde
– ce qui n’est pas inutile en politique non plus. La pub (politique) se révèle souvent
maladroite et mesure mal les potentialités d’Internet. Exemples…
[…] Faut-il importer
des cerveaux (ou des
crayons) pour avoir des
affiches politiques qui
ne ressemblent pas à un
fichier Microsoft Word ?
3
5
1
Easy-E, Snoop Dogg, Tupac Shakur, Suge Knight,
François Hollande. Après les Bloods et les Crips, légendaires gangs rivaux de Los Angeles, ce sont aujourd’hui
les partisans du candidat socialiste à l’élection présidentielle qui se rallient autour d’un geste de la main, d’un
« Gang Sign1 » mystérieux et identifiant. Pas question
ici de dessiner un « W » pour West Coast avec sa main
droite pour intimider ses rivaux mais plutôt de tracer
deux tirets avec les mains, dans un rappel gesticulaire
et quelque peu absurde du logo de François Hollande.
On pourrait questionner la cohérence et l’à-propos
du symbole « = » avec le slogan « le changement c’est
maintenant », mais l’acrobatie gestuelle nécessaire à la
représentation du symbole « ≠ » aurait sans doute été un
effort de trop pour des sénateurs octogénaires.
new-yorkaise, typographie mièvre sans hiérarchie d’information, portrait des plus déprimants4. Une douche
froide pour l’enthousiasme des militants socialistes.
Léger espoir en 2007 : quand Ségolène Royal s’inspire
très fortement de l’esthétique de Barbara Kruger5, mais
sans la rigueur typographique qui a fait le succès de
l’artiste américaine (et du magasin Supreme), et sans la
valeur subversive de ses slogans.
Et c’est aujourd’hui Nicolas Sarkozy qui
s’expose à la culture cruelle et immédiate du “meme”
sur Internet6. Son affiche est minimale, le nom du
candidat est presque invisible, et y trône simplement
une phrase (La France Forte) en typographie Trade
Gothic. Après avoir été comparée à une campagne de
Valéry Giscard d’Estaing au slogan très similaire7, elle
a été reprise et prestement détournée par des centaines
de citoyens possesseurs du logiciel Photoshop, trop
heureux de pouvoir retoucher le visuel à leur aise. La
France Forte est devenue La France Frotte, La France
Flotte et autres calembours plus ou moins réussis. Si
seulement le fond choisi avait été un peu plus complexe,
moins uni qu’un ciel bleu (extrait par ailleurs d’une
banque d’images de la mer Égée), la tâche de retouche
aurait été plus ardue, et la déferlante de blagues
moins immédiate. Mais l’amateurisme et le manque
d’imagination des responsables de l’image du président
n’a pas tenu compte de l’habileté numérique croissante
de la population. Quand, en 1988, Mitterrand a usé d’un
visuel de campagne similaire dans la forme et dans
la phrase, seuls des graphistes chevronnés, disposant
de matériel adéquat, auraient pu le détourner, et peutêtre en imprimer quelques centaines. Quand, vingt
ans plus tard, Barack Obama utilise le langage visuel
de Shepard Fairey pour son visuel « Hope », il ouvre
la porte à des millions de reprises et détournements.
Mais quand un président français mal aimé, tourné en
dérision maintes fois, se risque à l’exercice, on assiste à
un naufrage numérique en direct.
Mais cet épisode, aussi risible soit-il, vient
souligner que l’effort typographique déployé autour
de la campagne du PS est hors du commun. Un logo
propre, simple, étonnamment austère et minimal2. Une
typographie sans sérif, avec la cédille du « ç » habilement décalée vers… la gauche. Un travail du graphiste
Robin King, un Anglais installé en France, symbole à
lui seul de l’intégration des populations immigrées ou
bien (au choix) signe flagrant des étrangers qui nous
volent notre travail. Faut-il importer des cerveaux (ou
des crayons) pour avoir des affiches politiques qui ne
ressemblent pas à un fichier Microsoft Word ? L’histoire
des affiches de campagne présidentielle, en France,
semble indiquer qu’un apport de main-d’œuvre graphique étrangère serait la bienvenue.
Certains se souviendront encore avec nostalgie
des posters « Génération Mitterrand »3 en typographie
Machine à l’interlignage minimum, laissant apparaître,
en incrustation dans les lettres, un bébé tendant sa main
vers celle d’un homme en costume, tel Adam et Dieu
dans la chapelle Sixtine. Message flou, mais graphisme
fort. Mais, depuis cette campagne en 1988, les promesses
typographiques des candidats ont été bien maigres. En
1995, Lionel Jospin a donné un coup de déprime à la
France entière rien qu’en lui infligeant son affiche : vert
pâle à la Tiffany mais sans le luxe inhérent à la marque
2
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4
Yorgo Tloupas
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CHRONIQUE
GARDÉS À VUE
À l’ère des réseaux sociaux, exister c’est partager.
Mais une vie peut-elle se passer de secrets ?
[...] Voir, voir, voir ! L’impératif de
visibilité à 360° s’impose à tous,
marques et individus. Rien ne
doit rester dans l’ombre : on solde
l’intimité, tout doit apparaître !
L’hiver est par excellence la saison du douillet déploiement de la vie intime. Pas seulement pour les marmottes, qui hibernent tranquillement jusqu’à ce que
le soleil efface la neige, mais aussi pour l’homme des
villes qui fuit les trottoirs verglacés et rentre s’installer
confortablement dans sa tanière citadine. Période idéale,
donc, pour les dîners entre amis et les secrets d’alcôve…
Mais cette idée même d’une vie privée ne serait-elle
pas redoutablement démodée ? À l’heure de la dictature
de la transparence des réseaux sociaux, l’homo connecticus peut-il vraiment prendre le risque de « passer à
côté de tas d’occasions de connexion » ? Non, répond le
journaliste netophile new-yorkais Jeff Jarvis dans Tout
nu sur le Web (éd. Pearson). Prônant les bienfaits de
la « publitude », une vie hyper connectée et surexposée
sur la Toile, il résume d’un trait : « À l’ère des réseaux, la
culture du secret n’a plus de sens. »
Bienvenue donc dans les soirées 2.0, en live
sur tous les écrans, et bonne chance aux cinq à sept
tweetés en direct à des milliers de followers égrillards !
Les professionnels du marketing viral regretteront que
le pauvre DSK n’ait pas su transformer un immense
buzz mondial en capital sympathie, en postant opportunément quelques photos suggestives de la « relation
inappropriée » pour satisfaire la terrible soif de reveal de
millions de cybervoyeurs fascinés par la porte entrouverte de la suite 2806. Fascinante chute d’un homme
public, dont la vie est soudain « privée de tout » parce
qu’écrasée par la lumière… Voir, voir, voir ! L’impératif
de visibilité à 360° s’impose à tous, marques et individus. Rien ne doit rester dans l’ombre : on solde l’intimité, tout doit apparaître !
La logique libérale de régulation des marchés par la transparence de l’offre domine l’époque et
Bruno Pieters peut se féliciter de lancer Honest by, « la
première marque éthiquement transparente », qui dira
tout au consommateur sur ses composants, ses modes
de fabrication, ses prix de revient et son empreinte carbone – tout comme les jeunes chefs à la mode ne nous
laissent rien ignorer du pedigree de leurs fournisseurs,
ni de leur façon de préparer les plats devant leur piano
en open space. Cacher quoi que ce soit est devenu clairement suspect, voire obscurément coupable. IRL (in
real life dans le langage des accros de l’écran), comme
on line, on doit avancer à découvert.
Heureusement, de gentils consultants se proposent pour veiller sur notre e-réputation en « créant
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des contenus positifs », comme cette agence qui s’affichait en février dans le métro parisien pour vanter
son savoir-faire en matière de nettoyage des traces
(sic) laissées dans l’insondable mémoire du Web. C’est
qu’à la tyrannie du tout-à-l’écran s’ajoute celle de la
mémoire infaillible des databases : difficile d’être moins
« traçable » qu’une vulgaire salade sous vide ! Les fonctionnaires de Bruxelles tentent bien de faire inscrire
dans les constitutions européennes un droit à l’oubli
– amusant écho inversé du devoir de mémoire tant
rabâché –, pourtant, « les héroïsmes comme les vices
deviennent propriété internationale, et l’être visé, vidé
de son secret, dépossédé de son mystère, avoue à des
millions d’exemplaires, par tous ses traits, par toute sa
personne, par sa pauvre figure qu’il cache en vain de
la main » (Paul Morand, prophétique, en 1936). Comme
l’a théorisé Michel Foucault, « la visibilité est un piège ».
Éternels « gardés à vue », nous faudra-t-il devenir marmottes ? Non, il est temps, avec le retour du printemps,
de suivre Philippe Sollers : « Pour vivre cachés, vivons
heureux. »
Stéphane Wargnier
Image : intérieur d’une prison panoptique, ©DR.
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LEXIQUE
LES TALONS
HAUTS
Synonyme de désir et de féminité, le talon haut écrit son histoire entre pouvoir et
distinction, fétichisme et séduction. Revue de détail en huit points.
[…] Seuls les nobles pouvaient
porter des talons rouges et aucun
talon ne devait dépasser en
taille celui du roi, qui mesurait
souvent jusqu’à 13 cm.
1 La chaussure à talons hauts est l’un des attributs de
la mode les plus controversés. Que le talon haut soit
envisagé comme symbole de plaisir, de désir féminin,
de prise de pouvoir et de provocation sexuelle féminines ou, au contraire, symbole de la domination
masculine, de la création de stéréotypes féminins, ou
tout simplement du summum de la frivolité, il reste
une contradiction sur pattes. Et, autre paradoxe, le
talon haut retient le mouvement afin de le « mettre
en valeur » – ou, du moins, c’est l’illusion qu’il suscite.
Il attire l’attention sur le pied de la femme : ses pas
paraissent plus amples, son mouvement plus rapide et,
en même temps, le déséquilibre est perceptible et une
chute toujours possible. Une femme en talons hauts
paraît donc à la fois puissante et vulnérable.
l’importance et le statut de leurs personnages. Enfin, à
Rome, les talons hauts étaient l’attribut des prostituées.
3 Le Moyen Âge vit se déployer l’usage du talon plateforme, appelé « patten » – une semelle de bois fixée aux
chaussures précieuses afin d’éviter que la poussière
des rues ne les abîme. Au cours du xve siècle, il y eut
la « chopine », très populaire, une chaussure plateforme
faite de bois et de liège, que l’on voyait beaucoup en
Espagne et à Venise. Les chopines, comme les pattens,
étaient portées autant par les courtisanes que par les
patriciennes, pour s’épargner la boue et la poussière
des rues, et aussi pour marquer la supériorité de leur
statut culturel et social. Les chopines pouvaient s’élever à plus de 50 cm. Il fallait dominer, au sens propre
comme au figuré. Et, le plus souvent, les femmes
qui les portaient étaient accompagnées d’un serviteur ou équipées aussi d’une canne – un peu comme
aujourd’hui Lady Gaga, ou Daphné Guinness et ses
chaussures sans talons qui montent au ciel.
[…] Le talon haut retient le
mouvement afin de le « mettre
en valeur » – ou, du moins, c’est
l’illusion qu’il suscite.
2 L’histoire du talon haut est aussi pittoresque que
mouvementée. Dans l’Antiquité, les Égyptiens marchaient le plus souvent pieds nus. Les pièces de cuir
lacées ensemble – en forme de croix ansée d’Ankh –,
annonciatrices de la chaussure, y étaient le privilège
exclusif des classes supérieures, lesquelles portaient
aussi des talons pour les cérémonies. Dans la Grèce
Antique, la sandale à plateforme en semelle de bois
ou liège, appelée « kothomi », était portée principalement par les acteurs, ce qui, depuis la scène, soulignait
8 Aujourd’hui, le choix des modèles de talons hauts
est vaste. Et, au cours des années, les talons sur les
podiums autant que dans la rue n’ont cessé de rejoindre
en hauteur les chopines vénitiennes en même temps
qu’étaient rendus publics les nombreux accidents et
pathologies liées aux talons surélevés : chevilles tordues,
ongles incarnés, tendons déchirés, pieds déformés, problèmes de posture, blessures au cou ou ostéo-arthrite
du genou. Mais, malgré les cris des féministes, les
moqueries des hommes et les avertissements des médecins, le talon haut continue de prospérer. L’élégance
fragile, le goût du risque et le style « amazone » peuvent
expliquer la persistance de cet engouement. Ou peutêtre faut-il écouter le poète Christopher Morley, pour
qui « les talons hauts on été inventés par une femme
qui a été embrassée sur le front ».
chaussait des talons finement sculptés où étaient représentées des scènes de bataille. Les règles somptuaires
de l’époque décrétèrent que seuls les nobles pouvaient
porter des talons rouges et qu’aucun talon ne devait
dépasser en taille celui du roi (ce qui ne représentait
guère une grande contrainte pour le peuple, car les
talons royaux mesuraient souvent jusqu’à 13 cm).
4 Catherine de Médicis, Reine de France et épouse du
roi Henri II, joua un rôle moteur dans l’essor du talon
haut et la durée de son prestige. Catherine de Médicis
était petite de taille et connue pour son manque de
confiance en soi, tant en raison de son physique que
de sa taille. Elle portait des talons hauts pour impressionner son mari (plus attentif à sa maîtresse, Diane
de Poitiers, beaucoup plus grande qu’elle) ainsi que
la nation française. Catherine trouvait avec le talon
haut le physique imposant qui lui manquait, et la
démarche séduisante à laquelle elle aspirait. En peu
de temps, son look fit des émules.
6 Napoléon abolit en 1791 le talon haut, pour aller
dans le sens de l’égalitarisme post-révolutionnaire.
Malgré cela, ou peut-être pour cette raison, en 1793,
Marie-Antoinette portait des talons hauts lors de son
exécution…
5 Jusqu’à la fin du xviiie siècle, hommes et femmes
ont porté des talons hauts. Au début de ce siècle, le
roi Louis XIV, plus connu sous le nom de Roi Soleil,
7 Au xxe siècle, ce fut une cavalcade de talons hauts de
tailles et formes variées. Le plus prisé, et à la vie dure,
le talon aiguille, existait déjà au xixe siècle, comme
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50
l’attestent de nombreux dessins fétichistes. Mais ce ne
fut qu’avec l’accélération des progrès technologiques et,
plus précisément, la possibilité d’armer le talon d’une
fine tige de métal, que la vogue du talon aiguille
décolla. Porté par la renaissance de la mode féminine
et de toutes les extravagances qui suivirent la Seconde
Guerre mondiale, le styliste chausseur Roger Vivier se
fit le promoteur vigoureux et efficace du talon aiguille,
et ceci en dépit des interdictions dans certains édifices
publics pour les dégâts causés aux sols.
Anja Aronowsky Cronberg
Traduit de l’anglais par
Thibaut Mosneron Dupin
IMAGES
Chaussure xvie siècle, ©DR.
Lady Gaga à Londres, ©DR.
Louis XIV devant son trône, en escarpins à talons rouges,
©Hyacinthe Rigaud.
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OFF RECORD MEDIA
DE LA
PRESSE ET DES
MARQUES
Il y a longtemps que le lecteur n’est plus au centre des journaux, à peu près
depuis qu’il ne représente plus sa principale source de revenus. On sait
que la presse spécialisée est souvent complaisante avec les marques, mais quid de
la « vraie » : les quotidiens anglo-saxons, généralistes ou économiques ?
Visite guidée, off record of course…
Vu de France, la presse anglo-saxonne reste un modèle
par son opiniâtreté et son indépendance rédactionnelle.
Avez-vous le même sentiment ?
Quand je lis Le Monde, j’ai toujours l’impression d’être dans un journal d’opinion, avec des articles
qui livrent le sentiment du rédacteur. À titre d’exemple,
au New York Times (NYT), ils ont un outil, le New York
Times style guide, qui est un dictionnaire des mots qu’il
est interdit d’utiliser ; même le mot « réforme » en fait
partie parce qu’il n’est pas assez neutre et que ça sousentend que la situation antérieure ne convenait pas. Le
journal écarte tout ce qui est narratif pour s’en tenir aux
faits et rien qu’aux faits. Le journaliste doit être aussi
invisible que possible. En France, c’est du récit. Je dois
reconnaître un avantage à cette manière de faire : on sait
tout de suite si on lit un journal de gauche ou de droite.
Alors qu’en Angleterre, on opte pour une
neutralité qui se révèle presque impossible à tenir… on sait que le Financial
Times (FT) est clairement conservateur
et libéral. […] Le politiquement correct
n’est pas qu’une formule des quotidiens
anglais ; en France, on peut se permettre
de dire beaucoup plus, avec des formes
beaucoup plus variées. On n’écrit pas « un
Noir » dans la presse anglo-saxonne, c’est
trop connoté, on doit dire « african-american », dénomination qui ne mentionne
que l’origine. En France, on peut dire « une Black », ce
qui fait halluciner les Américains ! Une autre différence
est que les journalistes français acceptent les voyages
de presse, dans lesquels on est invité et en général bien
accueilli, la marque ayant l’espoir qu’en retour, elle soit
bien traitée dans les colonnes du journal pour lequel
on travaille.
rendre compte… De sorte qu’on retrouve une approche
beaucoup plus sociologique dans la presse. On ne va
pas uniquement relayer une information brute, mais la
problématiser dans un contexte plus large, donc ça peut
se justifier. Mais vu de Londres ou de New York, c’est
de la sociologie, pas du journalisme, lequel devrait s’en
tenir aux faits ! Même quand on fait appel à des experts,
ils n’interviennent que s’ils démontrent quelque chose,
s’ils apportent des preuves ; pas pour livrer leur regard
ou leur « expertise ». Les figures d’autorité sont délimitées : un philosophe n’a rien à faire dans un article de
presse. […] Par exemple : prenons un sujet sur la fashion
week dans un pays du Maghreb, on va d’un côté se
demander quel sens peut avoir la mode dans un pays
où on porte le voile, de l’autre, quels sont les coûts de
production du tissu, le poids économique, la part dans
l’industrie nationale, etc. Un article ne peut se borner à
faire du commentaire, il doit apprendre quelque chose
au lecteur. Sinon se repose toujours la question : “why
do we give a shit?”
On sait la presse de style sujette à des pressions
économiques de la part des annonceurs, mais le phénomène concerne-t-il aussi la presse quotidienne anglosaxonne ?
Oui, bien sûr, ces pratiques sont transfrontières ! Prenons les montres – qui ont toujours des budgets importants : même en temps de crise, on remarque
que tous les quotidiens ont des sections ou des suppléments montres, du Times au International Herald
Tribune (IHT), mais Le Monde le fait aussi…
Ces suppléments sont néanmoins clairement perçus par
les lecteurs comme publicitaires…
Il y a les suppléments ou les hors-séries à
l’approche de Basel World, mais on peut aussi trouver
des articles dans le journal lui-même sur tel horloger
ou telle boutique, et retrouver une publicité pour la
marque citée dans les pages suivantes… L’article est
rédigé avec la même rigueur factuelle que le reste du
journal, mais on aura invité un rédacteur à traiter précisément du sujet.
Les journalistes français répondent que ce sont des
moments et des situations où beaucoup d’informations
circulent, comme des faux temps morts…
Ça vous paraît peut-être naturel, mais en
France il y a toujours de la philosophie au baccalauréat, et vous êtes empreints de sociologie sans vous en
MAGAZINE NO 7
52
Ça s’apparente à un droit de citation, qui garantirait
à une marque d’être présente éditorialement dans
le numéro ?
Le mécanisme est un peu différent : les sommaires (ou calendriers rédactionnels) sont préparés
assez tôt et il y a un dialogue constant avec le service
publicité pour qu’il puisse contacter les annonceurs en
fonction de la liste des sujets ; c’est de cette manière
qu’on les attire. Les dossiers peuvent porter sur le luxe,
le luxe écolo, les yachts écolos, mais aussi l’eau, la green
technology… dans lesquels on parlera des acteurs importants du secteur et ça représente d’énormes annonceurs,
même si on mentionnera toujours un outsider pour
se donner bonne conscience. […] Un autre exemple :
s’il y a un dossier sur le Moyen-Orient, il n’y aura pas
de publicité de marques israéliennes et vice versa. Idem
si on fait une section mode dans laquelle LVMH est
annonceur, on n’y fera pas de papier sur Chanel ou une
marque de PPR. Les journaux connaissent les intérêts
des marques et intègrent cet élément dans la fabrication
de leur contenu rédactionnel. Et si un annonceur ne
peut être présent pour les raisons qu’on vient de dire,
on le rassure en lui parlant d’un prochain numéro dont
« l’univers rédactionnel » lui sera plus favorable, c’est-àdire que sa publicité sera très bien entourée avec tel et
tel papier. Parce que le contenu, en général, c’est pour
aller autour des pubs…
besoin d’être validés par lui, ce n’est qu’ensuite qu’ils
mettent des pubs… C’est pour cette raison qu’on voit tant
d’articles sur la Chine et le Moyen-Orient dans la presse
dite « sérieuse ».
[…] on peut presque parler de
coproduction de contenu entre les
marques et les magazines…
Les relations entre la presse de style et les marques sont
encore plus directes. On sait par exemple que le choix
de la marque créditée en couverture n’est pas anodin…
Oui, et ça dépend de la somme d’argent dont
a besoin le magazine pour boucler son numéro… Un
groupe peut dire par exemple on vous donne tant pour
que le magazine paraisse, à condition qu’on ne voit pas
untel et untel. […] Toutes les règles de rédaction sont brisées pour le client. Normalement, après une interview, on
ne peut pas relire ses citations, mais tout le monde permet
au client de se relire, ce qui lui permet de contrôler exactement son discours. Si un gros client menace de retirer
sa pub s’il ne relit pas, on le lui permet. Normalement,
un annonceur n’a pas à savoir de quoi sera faite la
partie rédactionnelle du numéro ; là, le client a un droit
de regard sur ce qui va paraître, et parfois même sur
les photos.
[…] Toutes les règles de rédaction
sont brisées pour le client.
Normalement, après une
interview, on ne peut pas relire
ses citations, mais tout le monde
permet au client de se relire,
ce qui lui permet de contrôler
exactement son discours…
Et dans la presse de style ?
Si, par exemple, il y a un deal avec une marque
pour la couverture et qu’elle « prête » son mannequin
vedette ainsi que ses vêtements, le photographe est
censé envoyer les images qu’il aura choisies, mais c’est
en réalité la marque qui aura le dernier mot.
C’est presque de la coédition…
Oui, on peut presque parler de coproduction de
contenu entre les marques et les magazines… D’ailleurs,
les « contenus » des marques sont pris en charge par
des personnes qui dirigent des magazines, prétendument indépendantes… Par exemple, aujourd’hui,
Jefferson Hack [rédacteur en chef d’Another magazine,
ndlr] s’occupe du magazine de Chanel ainsi que du site
Nowness, financé par LVMH… ça doit probablement
créer des liens et une certaine dépendance.
Ce sont les marchés émergents qui assurent une forte
croissance au luxe. Cela a-t-il aussi des conséquences
rédactionnelles ?
On voit fleurir des éditions chinoises pour
cette raison. Tout le monde est conscient que le luxe
s’est déplacé et que les acheteurs ne sont plus tant aux
États-Unis qu’en Chine… Les marques ont compris que
si dans leur publicité le mannequin était chinois, les
Chinois acheteraient plus, comme en témoigne le dernier visuel Louis Vuitton ; Valentino s’y met aussi… Ce
n’est pas un hasard si l’agence Elite a inauguré un
département à Shanghai ! Un nouveau marché de mannequins asiatiques s’est ouvert, parce que les Chinois
ne se contentent plus de la campagne ghetto, avec le
mannequin chinois, uniquement destinée à leur marché ; ils veulent voir la vraie grande pub à Paris et à
Milan. […] Et c’est pareil pour la presse : ils ne veulent
pas une petite édition chinoise à côté de l’édition historique mais être les rois et au cœur de « l’édition mère ».
Il y a toujours une fascination pour l’Occident ; ils ont
On lit peu de réelles enquêtes sur le luxe (ou alors sur
la contrefaçon et pour la condamner), et plutôt que d’en
expliquer les mécanismes, les médias préfèrent en célébrer le faste. Jusqu’où est-ce toujours de l’information ?
C’est impossible de lire une enquête sur le luxe
pour une raison simple : si un éditeur publie son titre,
c’est qu’il est financé par le luxe, donc c’est impossible
de se retourner contre son financier, c’est exclu ! Quant
à savoir si c’est toujours une
information,
techniquement oui, une ouverture de
boutique est une information. Maintenant, pourquoi
le mettre en avant et au détriment de quoi, c’est une
question qui revient au lecteur. […] Il y a un prisme
pour comprendre la manière dont sont organisés les
journaux, c’est le conflit israélo-palestinien, qui est une
MAGAZINE NO 7
53
métaphore pour toute la presse : le Herald Tribune fait
attention à ne pas trop traiter les sujets relatifs à Israël
parce que le New York Times le fait, et chaque quotidien va privilégier une catégorie d’information parce
qu’il a un volant d’annonceurs qui lui sont fidèles.
Les journalistes de l’IHT,
dont l’information sur le
Moyen-Orient sera plus
développée, moquaient le NYT quand, en plein conflit
libyen, ils ont mis en couverture un sujet comme « Le
quinoa est-il casher ? » Ça aussi, c’est une information,
mais mérite-t-elle de faire la couverture ?
Ça ressemble à du marketing appliqué aux pages des
médias…
Exactement. Comme si l’ensemble des informations se divisait en parts de marché. Ce n’est pas
la manière de traiter l’information, qui est toujours
rigoureuse, mais la sélection des infos traitées et au
détriment de quoi. Certaines infos ne font pas partie
du club et, pour y voir plus clair, il faut regarder qui
finance le club…
label « indépendant », coupant l’herbe sous le pied de
ceux qui le sont vraiment.
La seule critique de mode respectée et crainte est
anglaise, Suzy Menkès, et écrit dans l’IHT.
De la même manière qu’on ne peut pas aller
en voyage de presse, on ne doit pas accepter de cadeau.
Suzy Menkès recevait des cadeaux somptueux, qu’elle
renvoyait toujours… Quant aux autres journalistes, ils
savent que la meilleure manière de se brûler avec un
journal est d’accepter ce genre de cadeau ou d’invitation…
Tout le monde aime et respecte Suzy Menkès, mais c’est
Cathy Horyn au NYT qui a pris la relève.
Elle peut être très dure, surtout sur son
blog, et les gens vont la lire pour ça ; ils
n’aiment pas quand elle est élogieuse.
À part ces deux exceptions, les journalistes de mode sont assez contraints dans
leurs propos. Comment expliquez-vous
que les blogs, qui ne subissent pas de
pression d’annonceur, ne soient pas plus
libres dans les leurs ?
La seule manière serait que ça reste anonyme,
mais le principe d’un blog est qu’il tourne autour d’une
personne, il est son émanation ou son reflet, donc,
presque par définition, il ne peut pas être anonyme !
Twitter est soumis au même régime : un journaliste
peut twitter ce qu’il veut au sortir d’un défilé, mais s’il
travaille aussi pour un journal, cela le mettra en porteà-faux et il se fera rappeler à l’ordre dans la minute…
Au niveau national, la seule presse indépendante est aujourd’hui en ligne : Slate
ou, ici, Rue89 et Mediapart… Ils font le
travail que les quotidiens classiques
ne font plus. […] Les sites des journaux
sont aussi des espaces de plus grande liberté, car ils
ont aussi besoin d’être alimentés quotidiennement et
n’ont pas de problème d’espace. Le hic est que le tarif
appliqué pour les journalistes est dix fois inférieur.
Du coup, on y lit de jeunes plumes, encore curieuses,
même si parfois encore inexpérimentées… On ne sera
pas critique pour autant, mais on pourra y parler de
projets indépendants. Les sites des magazines de style,
c’est différent ; on n’y est pas ou peu payé (entre 10 et
20 dollars le papier), mais on peut se faire la main et
apprendre son métier, car certains noms de magazine
sonnent comme des sésames.
Les journalistes ne sont-ils pas frustrés de ce dispositif
tourné vers les marques et les clients ?
Si, d’autant qu’on ne leur avait pas dit à l’université… Avoir l’impression de faire des publireportages,
même s’ils sont réalisés avec rigueur, est déprimant
pour beaucoup…
Cette manière dont le réel est régenté dans les pages
des journaux signifie qu’il ne reste plus de place pour
de jeunes créateurs indépendants par
exemple…
Le plus ennuyeux, c’est que certains magazines qui se revendiquent
indépendants – on pourrait parler de i-D
ou de Dazed & Confused – ne sont tournés que vers
les marques qui annoncent dans leurs pages. Les défi-
[…] les Chinois ne se contentent
plus de la campagne « ghetto »
avec le mannequin chinois
uniquement destinée à leur
marché ; ils veulent voir la vraie
grande pub à Paris et à Milan
Quels sont les derniers espaces dans lesquels les journalistes peuvent produire un travail non phagocyté
par les marques ?
Paradoxalement, dans les magazines de
marques, comme Acne Paper ou Nowness, qui sont déjà
financés et qui n’ont pas à faire la course tous les mois
pour boucler le budget.
lés couverts par le magazine ne sont que celles-là. Et
quand une ligne bis est vraiment inmontrable, on se
contente d’images backstage, avec des mannequins
maigrichonnes et à moitié nues… Alors, dans le même
temps, ils continuent à ne payer aucun de leurs collaborateurs ou presque, comme de vrais indépendants…
Ce qui est vraiment malsain, c’est qu’il préemptent le
Propos recueillis par
Angelo Cirimele
MAGAZINE NO 7
54
MODE
P.56 : INDUSTRY
PHOTOGRAPHIE JONATHAN DE VILLIERS, STYLISME EVE MAENO
P.70 : LOOKING FOR SOME SIN
PHOTOGRAPHIE NICOLAS ARISTIDOU, STYLISME EVE MAENO
P.80 : NOT FAR FROM THE CITY
PHOTOGRAPHIE PEJMAN BIROUN VAND, STYLISME MAURO BIASIOTTO
ROBE :
CHANEL
CYCLISTE :
AZZEDINE ALAÏA
SANDALES NOIRES TALON PLEXIGLAS :
CHANEL
BRACELET « CALINE » EN ARGENT ET
BOUCLES D’OREILLES « ÉTREINTE » EN ARGENT :
HERMÈS
INDUSTRY
Photographie : Jonathan de Villiers
assisté de Halldora Magnusdottir
Stylisme : Eve Maeno
Coiffure : Kazuko Kitaoka
Maquillage : Min K assistée de Déborah Emy
Mannequin : Thana Kuhnen chez Nathalie
Casting : Zo’Estica Paris
Merci à Première Vision
PULL ET JUPE :
LOUIS VUITTON
POLO :
BEN SHERMAN
CYCLISTE :
AZZEDINE ALAÏA
ESCARPINS :
LOUIS VUITTON
BRACELET « CALINE », BAGUE « CYTHERE » ET SAUTOIR
« AZUR RANDOM » EN ARGENT ET
BOUCLES D’OREILLES « TREINTE » EN ARGENT :
HERMÈS
DÉBARDEUR ET JUPE À CARREAUX :
MARC JACOBS
CYCLISTE :
AZZEDINE ALAÏA
ESCARPINS :
LOUIS VUITTON
MANCHETTES EN RÉSINE :
CHANEL
BOUCLES D’OREILLES « ÉTREINTE » EN ARGENT :
HERMÈS
HAUT ZIPPÉ, JUPE ET CYCLISTE :
AZZEDINE ALAÏA
TOP ORANGE :
CHANEL
SANDALES LACÉES :
AZZEDINE ALAÏA
MANCHETTES EN RÉSINE :
CHANEL
BOUCLES D’OREILLES « ÉTREINTE » EN ARGENT :
HERMÈS
ROBE :
MARC BY MARC JACOBS
POLO :
BEN SHERMAN
CYCLISTE :
AZZEDINE ALAÏA
ESCARPINS :
« UN BOUT » CHRISTIAN LOUBOUTIN
MANCHETTES EN RÉSINE :
CHANEL
BOUCLES D’OREILLES « ÉTREINTE » EN ARGENT :
HERMÈS
ROBE :
ISSEY MIYAKE
CYCLISTE :
AZZEDINE ALAÏA
MANCHETTES EN RÉSINE :
CHANEL
BOUCLES D’OREILLES « ÉTREINTE » EN ARGENT :
HERMÈS
T-SHIRT ET JUPE :
MARNI
POLO :
FRED PERRY
CYCLISTE ET SANDALES LACÉES :
AZZEDINE ALAÏA
SAC DE SPORT :
BEN SHERMAN
BRACELET « CALINE » EN ARGENT ET
BOUCLES D’OREILLES « ÉTREINTE » EN ARGENT :
HERMÈS
DÉBARDEUR :
NINA RICCI
ROBE :
MARC BY MARC JACOBS
SACOCHE EN CUIR NOIR :
KERSTIN ADOLPHSON
CŒURS EN MÉTAL ET SAC IMPRIMÉ :
TIENDA ESQUIPULAS
PENDENTIFS :
BANDIT BY SARAH TARI
SAC SANTIAG VINTAGE :
CHEZ IGLAÏNE
LOOKING FOR
SOME SIN
Photographie : Nicolas Aristidou
Stylisme : Eve Maeno
Coiffure et maquillage : Camille Arnaud
Mannequin : Sophia Lie chez Women
Merci à l’école Duperré.
CHEMISE IMPRIMÉE VINTAGE :
AREUVINTAGE.COM
PULL :
NINA RICCI
PANTALON :
LIMI FEU
SAC IMPRIMÉ ET PANIER EN PLASTIQUE :
TIENDA ESQUIPULAS
T-SHIRT ET DÉBARDEUR À CARREAUX :
MARC JACOBS
COLLIER À BOULES :
SPIRIT VINTAGE
COLLIER À PIERRES :
FABRICE
TOP MANCHES À FRANGES :
NINA RICCI
JUPE IMPRIMÉE VINTAGE :
AREUVINTAGE.COM
(PAR DESSUS, ROBE EN MOUSSELINE
AVEC RAYURES DE PERLE MICHEL KLEIN)
PENDENTIFS :
BANDIT BY SARAH TARI
ROBE NOIRE :
MM6
TOP ASYMÉTRIQUE :
YOHJI YAMAMOTO
JUPE :
REINHARD LUTHIER POUR IGLAÏNE
SAC SANTIAG VINTAGE :
IGLAÏNE
COLLIER :
FABRICE
T-SHIRT ET JUPE :
JUNYA WATANABE
CHAUSSETTES :
KERSTIN ADOLPHSON
CHAUSSURE :
CÉLINE
COLLIERS :
FABRICE
COAT IN FLOWERS BRODERIE
LIGHT BLUE AND WHITE WITH
GREY WOOL SLEAVES :
PRADA
NOT FAR FROM
THE CITY
Photographie : Pejman Biroun Vand
assisté de Silvio Biolcati
Stylisme : Mauro Biasiotto
Mannequins : Sofia Fanego & Erika chez Next Models Milano
Coiffure : Dora Roberti chez w-mmanagment utilisant Bumble & bumble
Maquillage : Giovanni Lovine chez w-mmanagment
Lieu : Kings Studios
Merci à Federica Perazzoli et Daniele Innamorato,
www.kingsart.it
TOP AND SKIRT :
MIU MIU
T-SHIRT :
NIKE
TROUSERS :
AMERICAN APPAREL
NECKLACE :
SWAROVSKI
SHOES :
CARVEN
LEATHER PATCHWORK COAT,
T-SHIRT AND SKIRT :
CÉLINE
GILET IN LEATHER “MOTORCYCLE” :
NEIL BARRETT
STRIPES SHIRT IN SILK :
EQUIPMENT FEMME
LONG SILK DRESS :
MSGM
PRINTS SILK SHIRT AND NECKLACE :
MIU MIU
FLOWERS LONG SKIRT
AND PERFECTO BLUE JACKET :
ACNE
COTTON FUXIA PULL
LONG SLEAVES :
ACNE
SHORTS :
JIL SANDER
TEXTES
P.92 : CONTRE
LES SPAMS DE LA FNAC
P.94 : MOODBOARD
CAPELINES 70’S
P.98 : CHRONIQUE
FOLLOW ME, I FOLLOW YOU
P.100 : ART CONTEMPORAIN
CLÉMENT CHEROUX
P.104 : RÉTROVISION
KITSCH
P.108 : DESIGN
RÉSOLUTIONS DE SALON
MAGAZINE NO 7
91
CONTRE
LES SPAMS
DE LA FNAC
Le projet de l’intelligence artificielle est de doter les machines du raisonnement
humain, afin qu’elles nous offrent des réponses adéquates. Enfin, c’est le projet…
L’anti-intellectualisme primaire et cette façon de plus
en plus répandue d’employer le mot « élitiste » dès qu’on
évoque une proposition exigeante ou différente, expérimentale, qui nécessite en tout cas un peu de souplesse
et d’ouverture d’esprit.
d’avancer ce qu’on pense vraiment ou ce qu’on voudrait
dire, à savoir, dans mon cas : ÇA NE M’INTÉRESSE PAS.
Un beau matin, je n’en peux plus, je me suis endormie
la veille en y pensant tellement ça m’énerve. Je ne supporte plus ces envois intrusifs, insistants et insupportables. Et surtout, je n’arrive pas à comprendre qu’on
ne puisse pas se désinscrire au bas des mails promotionnels : j’ai bien essayé une dizaine de fois pourtant,
en cliquant nettement et sûrement sur « se désinscrire »,
et tombais aussitôt sur un message qui m’annonçait :
« vous êtes déjà désinscrit ». Ah bon, eh bien tant mieux.
Alors voyons pendant quelques jours si ça marchait
en effet. Mais dès le surlendemain ou trois jours après
au plus tard, je recevais immanquablement à nouveau
ces mails commerciaux de la Fnac, Fnac pro, Fnac
adhérents, Fnac Noël, Fnac promotions, Fnac hightech, Fnac dvd. Pour être sûre de ne pas rater sa cible,
elle avait ainsi multiplié les intitulés pour donner au
client ainsi ferré l’impression qu’il est un interlocuteur
privilégié de toutes ses ramifications.
L’expression « prise de tête ». Récemment, je
l’ai même entendue dans la bouche d’un ambassadeur.
Cela m’a vraiment choquée. Au cours d’un déjeuner,
nous entretenions une conversation sur mon travail
– qu’il ne connaissait pas – et il m’a demandé, à propos du projet en cours : « Alors, ça sera un film d’action,
ou plutôt un film qui parle beaucoup, genre prise de
tête ? »
Les boîtes vocales sur lesquelles on tombe
pour signaler un dysfonctionnement ou demander
réparation, et qui ne proposent que des options positives, qui n’énoncent que des choix où la notion de problème sera toujours absente. D’une manière générale,
cette tendance de plus en plus marquée de la société
contemporaine à vouloir tout faire entrer dans des catégories préétablies, à tout pré-formater.
Je décidais donc, ce matin-là, de prendre sur
mon temps et de me déplacer, car je ne supporte plus
cet envahissement forcé malgré mes nombreuses tentatives (j’ai aussi essayé d’envoyer des messages via
le site, mais ils sont manifestement tombés dans la
catégorie Fnac cause toujours) et je pars au magasin
des Halles. Il faut aller à l’espace client et prendre un
numéro dans la file parce que plusieurs personnes patientent déjà. J’attends une bonne demi-heure, jusqu’au
Les mails publicitaires envahissants et importuns qui demandent en plus une explication si
on cherche à se désinscrire, explication à cocher, là
aussi, parmi un choix imposé par avance : « vous êtes
absent en ce moment », « vous recevez déjà notre newsletter », etc. Mais il est bien sûr toujours impossible
MAGAZINE NO 7
92
[…] J’ai bien essayé pourtant,
en cliquant nettement et sûrement
sur « se désinscrire », et je suis
aussitôt tombée sur un message
qui m’annonçait :
« vous êtes déjà désinscrit ».
moment où un agent me fait signe. J’explique que je
souhaite NE PLUS RECEVOIR de mails promotionnels,
et la personne me demande si j’ai ma carte d’adhérent.
J’explique que je l’ai jetée de rage et elle m’en redonne
une autre aussitôt au cas où. Elle vérifie sur ma page
et m’explique qu’en effet j’ai tout accepté (ah bon ? on
ne m’avait certainement pas posé la question), qu’elle
va décliquer l’ensemble des catégories pour que je ne
sois plus importunée. Elle est pleine de bonne volonté,
mais je sens bien que son pouvoir est limité. Je suis
partie après l’avoir remerciée, et quelques jours plus
tard, ça recommençait. En fait, ça ne s’était jamais arrêté. Les mails promotionnels de la Fnac se succèdent
à un rythme infernal. J’ai l’impression que leur politique de bourrin autiste s’accentue encore avec les fêtes,
car les envois semblent de plus en plus fréquents, et
je finis par y retourner une deuxième fois, suppliant
qu’on m’efface définitivement de la liste, jurant que je
renonce sans regret aucun à ma carte et que je me fiche
résolument de ces promotions à n’en plus finir, que ça
me donne justement envie de ne rien acheter.
anonyme qui peut venir de temps en temps acheter
une clé usb ou n’importe quoi d’autre, je ne peux plus
leur échapper… car je suis devenue une adresse mail
sur laquelle déverser ces torrents d’offres : j’ai l’impression d’être comme une oie à qui on vient d’enfourner
un entonnoir dans le cou.
J’explique que ce n’est pas normal, que c’est
contraire à la loi, comme cela est d’ailleurs mentionné à la fin de ces maudits messages, mais le jeune
homme, dépassé et impuissant, ne sait pas trop quoi
me répondre. Il a l’air lui-même d’avoir été englouti
par la machine et ne pas savoir comment s’en dépêtrer.
Peut-être que pour avoir essayé de me désinscrire, la
Fnac va le punir et lui envoyer à son tour des mails
promotionnels jusqu’à la nuit des temps, en espérant qu’il deviendra lobotomisé et n’aura plus qu’une
chose en tête : acheter des articles à la Fnac. Il a sans
doute, à juste titre, assez peur de mettre le doigt dans
le même engrenage que moi, de se retrouver avalé par
cette monstrueuse hydre. Évidemment, rien ne s’arrête
après ma deuxième tentative et l’offensive commerciale
reprend de plus belle avec ses promotions spéciales et
ses occasions à ne pas rater.
Un jeune homme m’explique qu’il n’arrive pas
à enlever mon adresse mail, comme si quelque chose
de parfaitement irréversible avait eu lieu la maudite
fois où je me suis laissée convaincre de prendre cette
carte pour l’achat de je ne sais plus quel matériel informatique (ah ? on ne vous a pas dit qu’elle est payante ?
avais-je eu droit à la caisse). Je suis condamnée à
ne plus pouvoir reprendre ma liberté de personne
Valérie Mréjen
Valérie Mréjen est artiste, elle vit et travaille à Paris. Son dernier film,
En ville , réalisé avec Bertrand Schefer, est sorti en juillet dernier, et son
prochain livre, Forêt noire, paraîtra chez POL en mars.
MAGAZINE NO 7
93
MOODBOARD
CAPELINES 70’S
L’Officiel no 622, 1976
ILLUSTRATIONS FLORENCE TÉTIER
Brigitte Bardot, 1971
Ample capeline en paille de la Bagagerie.
L’Officiel de la mode, no 723, 1986
Capelines de Mic Mac.
L’Officiel de la mode, no 652, 1979
MAGAZINE NO 7
94
MAGAZINE NO 7
95
L’Officiel no 622, 1976
Capeline à fleurs.
Anonyme, 1972
Capeline multicolore.
L’Officiel de la mode, no 539, 1967
Capeline de tulle noir et tulipes
aux tons pastels.
L’Officiel de la mode, no 324, 1949
MAGAZINE NO 7
96
MAGAZINE NO 7
97
CHRONIQUE
FOLLOW ME,
I FOLLOW YOU
« Follow me, I follow you », cela pourrait ressembler à un titre
de new wave à la Talking Heads, mais décrit plutôt le mode d’être et d’usage
d’un genre nouveau, le genre Tumblr…
à suivre… avec l’idée du “follow me” comme sens de
la visite.
appliquée et diffusable. Le relativisme des contenus est
intégré au mouvement d’ensemble puisque les images
qui arrivent à la suite poussent celles qui sont là, le
non-référencement de l’origine des images libère d’un
attachement scientifique, et les contenus sont pensés
comme une image ou une pose de soi. Rien n’autorise
au répit. Le présent est le présent : du continu.
Alors, en sommes-nous las ? Suivre comme
être suivi, ce n’est pas rien. Loin de produire une paranoïa, ce mode d’adhésion contemporain inscrit des
communautés hors des lieux et des regroupements,
hors d’une surveillance impudique de l’intime comme
l’est la grande tour de contrôle Facebook. Dans l’instant,
en cascade, le tumblerer édite ce qui lui semble bon,
bien, cool, cata, et ne propose que cela. Alors, chacun
y trouve son compte : de l’excitation à la reconnaissance,
du goût à la communauté d’esprit. Alors oui, effectivement virtuel, mais circulant et actif. La limite de l’exercice sera la péremption rapide de ce qui fait l’instant,
un esprit décousu. Ce qui en fait sa qualité, c’est l’esprit
d’une plateforme continue d’un présent déroulé, puis
d’une archive du présent. En cela, l’esprit de Tumblr se
déploie comme une esthétique de l’amateur, une collection grégaire et le cabinet de curiosités d’une actualité
… Celui que l’on a appelé longtemps surfeur puis bloggeur est maintenant le « follower » – de celui qui prend
la vague autant qu’il ne la trace. Les allers et retours
du Tumblerer sont ceux du promeneur comme ceux du
prescripteur, semeur et pilleur des images du présent.
Tumblr n’est pas un bureau de tendance
industrielle mais la formulation plastique d’un auteur
contre toute attente ; singularité qui s’inscrit dans
l’espace d’une société des images émergentes. De fait,
Tumblr excite la mode, relaie les identités de styles
et témoigne d’un cocktail de genres, l’avatar n’est pas
celui virtuel d’un Second Life, il est la pose instantanée
d’un état esprit, d’une personne qui s’expose sciemment.
Pour note, et pour Wikipédia, le tumbler est « idéal pour
servir les long drinks. Ceux-ci, préparés pour être servis
dans des tumblers, n’excèdent pas 15 cl puisque la glace
occupe un espace important dans le verre. Sa forme
allongée permet d’empiler les cubes de glace et donc de
rafraîchir la boisson dans son intégralité. »
Mathieu Buard
À gauche : capture d’écran du site du magazine Garage en forme de Tumblr
(garagemag.com).
À droite : capture d’écran du Tumblr du magazine Novembre
(novembremagazine.com).
nom de Batmobile, le mode d’existence du « tumblring »
construit, polit et aplanit ce que l’on nomme sujet et
lui agrège, mouillé ou pas, les formes du contemporain comme prothèses et extensions. Ce qui est parlant,
c’est la plateforme qui s’invente là sans hiérarchie, et le
mode d’adhésion qu’elle suppose.
Tumblr, c’est une surface ouverte, malléable, à
singulariser, où l’on update des images, des gifs, des
fonds panoramiques pour restituer un état d’esprit,
celui du moment, celui de la mode : une qualité de
présent. Le tumbler est le nom d’une espèce de pigeon
reconnue pour son mode de vol spécifique, en culbute :
l’oiseau faisant, dans son vol en boucles, looping sur
lui-même. « Follow me, I follow you », c’est alors la collection de soi et des autres, suivre l’autre, tel un vecteur.
C’est suivre sous l’attraction d’un mouvement continu
une identité plastique, une collection qui se fabrique
comme un collage ouvert, identique aux gestes de
l’éclectisme exotique du xixe siècle ou aux signifiants
joints du dadaïsme. À la différence près que le collage
fait ici monde, avec l’idée démiurge du tumblr constitué
en constellation et univers. Partant de là, Tumblr porte
bien son nom, entre cascade et culbute, sèche-linge et
[…] Suivre comme être suivi,
ce n’est pas rien. Loin de
produire une paranoïa, ce mode
d’adhésion contemporain inscrit
des communautés hors des lieux
et des regroupements, hors d’une
surveillance impudique de
l’intime comme l’est la grande
tour de contrôle Facebook.
Alors, nous en sommes là, passant de page en
page, de lien de lien, d’image en image, à liker et relinker ce qui nous semble bon, bien, cool, cata. Tumblr
propose donc une compilation d’instantanés photographiques ou animés, une « plateforme de microblogging ». L’espace vertical d’une pensée se constitue au
jour le jour, évidemment journal/diary mais davantage
prisme d’un goût singulier et centrifugé, au moment où
Facebook reprend et généralise cette forme du journal
archivé. Compiler comme centrifuger sa vie, la collection devient une évidence formelle qui se regarde, qui
se commente, à laquelle on adhère. D’où l’idée du « follow me » comme l’injonction prophétique d’une vérité
qui se dit maintenant, ou dans l’heure qui suit. Entre
quantité d’adeptes et accréditation par le nombre de
relais, la médiatisation immédiate fabrique une réalité
MAGAZINE NO 7
98
MAGAZINE NO 7
99
ART CONTEMPORAIN
CLÉMENT
CHÉROUX
Désormais conservateur au centre Pompidou chargé de la photographie,
Clément Chéroux s’est fait remarquer plus d’une fois par son brillant iconoclasme:
déjouant les catégories, réhabilitant la photo vernaculaire…
… célébrant le photomaton, l’auteur remarqué de l’exposition « Shoot ! La photographie existentielle », à Arles
en 2010, fait passer dans le monde de la photographie
un courant d’air frais, qu’il partage avec nous.
Quelles sont les difficultés auxquelles s’expose un
conservateur aujourd’hui dans le domaine de la photographie, maintenant qu’elle est admise comme un
art à part entière ?
Il y a eu un premier combat, mené par la
génération qui m’a précédé, de Jean-Luc Monterosso à
Jean-Claude Lemagny, à la Bibliothèque nationale : ils
ont permis que la photographie soit reconnue comme
un objet culturel méritant des expositions et des lieux.
On peut leur en être infiniment reconnaissant ! Mais
sans leur adresser de reproche, ils l’ont fait en démontrant que la photographie avait tous les atouts de
l’art : un auteur s’exprime, avec une volonté d’art, une
Kunstwollen. Ils ont calqué sur la photographie le
système de compréhension hérité de l’art ; ils ont donc
érigé des grands maîtres, élu des chefs-d’œuvre, reprenant la catégorie du portrait, du paysage, de la nature
morte, etc. L’enjeu de ma génération est autre : il s’agit
de montrer que la photographie fonctionne différemment. De réinventer des catégories. Pour moi, la photo
spirite, le tir photographique, le photomaton… ne sont
pas des épiphénomènes. Pour comprendre la photo,
même la photo d’art, il faut regarder ses périphéries. En
outre, je milite pour réintroduire le terme de « sérendipité », notion utilisée surtout en anglais pour définir une partie du hasard qui s’avère positif : un hasard
heureux. En photographie, cette notion est cruciale,
autant que la volonté d’art.
Que penser du concept de photographie plasticienne, qui
a un temps défini les artistes qui s’adonnaient à la photographie, et semble aujourd’hui complètement désuet ?
Dans les années 80 et 90, ce terme a permis d’appréhender tout un groupe d’artistes. C’est la construction
théorique d’une époque, une catégorie fondée même
si elle partait dans tous les sens. Cette notion en dit
plus sur la façon de penser la photo à l’époque que
sur les artistes. Aujourd’hui, on est passé à d’autres
nomenclatures.
[...] La cabine [de photomaton]
est un confessionnal moderne,
mais aussi une manière pour les
artistes de créer des
histoires en quatre images.
Et, bien sûr, un lieu de
l’interrogation de l’identité.
Est-il cohérent de continuer à séparer la photographie
des autres arts ?
Cette question du médium doit toujours être en
tension. Il faut qu’il y ait une délimitation, ne serait-ce
que pour des raisons de conservation dans les musées,
mais on doit davantage décloisonner. Pour l’exposition
consacrée à Munch – dialogue entre moi-même et un
autre conservateur –, nous avons essayé de le faire.
Comment un peintre pratique-t-il la photographie ?
comment l’intègre-t-il dans ses toiles ? Nous avons créé
un va-et-vient entre les différents médias. C’est une des
grandes chances de travailler à Pompidou, que de monter ainsi des projets associant différents spécialistes.
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100
La première exposition qui ait marqué votre parcours
a fait l’objet d’une longue et douloureuse polémique :
il s’agissait de l’exposition « Mémoire des camps », présentée à l’hôtel de Sully en 2001. Comment en êtesvous venu à aborder ce sujet ?
Il est vrai que cette étape a été particulièrement marquante. Il s’agissait d’une commande de la
direction du patrimoine photographique. J’avais longuement réfléchi à mon projet théorique : il s’agissait
de démontrer qu’il faut dépasser les images comme
choc pour les envisager comme des documents révélant
quelque chose sur le « comment » plus que sur le « pourquoi ». Qui a eu besoin de telle photographie ? qui était
derrière l’appareil ? La photographie n’était plus envisagée comme un vecteur de propagande mais comme
un document écrivant l’histoire, une source nouvelle
qui venait s’ajouter aux habituelles. Il s’agissait de dire
que la photographie permet de comprendre des choses
qu’aucun témoignage écrit ne rendra jamais, comme le
regard d’un déporté sortant d’un camp en 1945.
C’est Claude Lanzmann qui a lancé la polémique : lui
qui disait qu’il détruirait toute image des camps s’il en
trouvait une, vous a attaqué en répétant qu’il n’y avait
pas d’image possible de cet indicible, démonstration
qui est au cœur de son film Shoah. Comment avezvous répondu à ses arguments ?
J’en ai un souvenir assez douloureux, mais
aujourd’hui, je la vois de manière beaucoup plus positive, car elle contenait beaucoup de questions : peut-on
exposer ce sujet, mêler les images des bourreaux et celles
des victimes ? Je pensais avoir répondu à
toutes ces questions, d’ailleurs l’exposition n’a soulevé aucune polémique en
Italie, en Suisse ni en Espagne, où elle
a ensuite été montrée. Mais j’ai compris
que toute une génération a un rapport
très viscéral à cette iconographie. On nous a reproché
de chercher la preuve par l’image, alors qu’on était bien
au-delà de cela. Donc, si l’exposition a eu un mérite,
c’est celui de faire bouger les lignes. Auparavant, les
historiens refusaient en France de considérer la photographie comme un vrai document historique, audelà de l’histoire de la Shoah. Vers 2000, les esprits ont
commencé à évoluer, et j’estime avoir participé de cette
évolution. Les historiens travaillent désormais sur les
photographies de la guerre d’Algérie, du Vietnam, de
1914-18.
Comment expliquer cette frilosité des historiens vis-àvis de la photographie ?
C’est très complexe. En photographie, il y a
une fascination pour le référent. On voit avant tout la
chose représentée : comme dit Roland Barthes, le référent adhère. Donc on oublie tout ce qu’il y a autour : le
dispositif technique, l’opérateur, les motivations. Mon
projet consistait à démontrer qu’il faut aussi, au-delà
de la monstruosité, dépasser le référent. Pourquoi ces
images ont-elles été faites, par qui, un journaliste, un
photographe de l’armée ? Est-elle propagande, mise
en scène, a-t-elle été réalisée clandestinement par un
déporté ?
Le centre Pompidou possède aujourd’hui une des
plus grandes collections de photographie au monde.
Comment cherchez-vous aujourd’hui à l’enrichir ?
Dans le cabinet photo créé en 1981, nous possédons aujourd’hui 30 000 œuvres, sans compter les
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101
[...] je milite pour réintroduire
le terme de « serendipité »,
un hasard heureux. En photographie,
cette notion est cruciale, autant que la
volonté d’art.
négatifs. Si l’on compte les fonds de négatifs Man Ray
et Brassaï, cela s’élève à 70 000 numéros. C’est la plus
importante d’Europe, en concurrence avec le MoMA
de New York et le Getty Museum de Los Angeles. Sur
la création européenne, elle est sans équivalent. Mais
nous sommes très heureux de l’acquisition toute
récente de la collection Christian Bouqueret : il a commencé dans les années 70 à rassembler des clichés de
Germaine Krull, Brassaï, Kertesz, en achetant à des prix
très abordables. Grâce au mécénat d’Yves Rocher, nous
avons pu acquérir près de 7 000 images, principalement
de l’entre-deux-guerres, pour une valeur de plusieurs
millions d’euros. C’est un patrimoine extraordinaire qui
permet de repenser ce qui s’est passé à cette époque,
une valorisation exceptionnelle pour la collection.
Nous sommes très riches en surréalisme, mais il nous
manquait pas mal de choses sur la Nouvelle vision
allemande. Nous possédons désormais 300 Krull, alors
que nous n’en avions que 15.
Quant aux acquisitions contemporaines, dans quel
sens allez-vous ?
Nous essayons de combler les manques,
notamment des photographes des années 1980 et 90,
mais aussi des très jeunes. Nous jonglons entre la
réalité du marché et les nécessités de la collection… et
en essayant de susciter des donations, à l’instar des
200 tirages que vient de nous offrir Marc Riboud. C’est
du donnant-donnant : la valorisation symbolique d’un
artiste est l’un de nos principaux outils.
Vous avez une double formation, histoire et histoire
de l’art. On peut imaginer que cela constitue une des
spécificités de votre regard sur la photographie.
Cela me permet d’aborder la photographie
autant pour sa valeur documentaire que comme objet
trouver les formes adéquates à l’idée que l’on veut
faire passer. Un rythme, un montage, un éclairage…
L’exposition est une phrase, avec ses mots, ses liants,
sa syntaxe, son style. Ce n’est pas une affaire de goût.
Par exemple, la scénographie de « La subversion des
images » était fondamentale : elle a été dessinée comme
un œil, car la question de la pulsion scopique était fondamentale. Dans cette exposition consacrée à la photographie surréaliste se trouvaient en effet des images de
police, des façades de maison, des clichés amateur, qui
fascinaient le groupe par leur puissance d’incarnation,
mais aussi parce qu’ils proposaient des canons autres
que ceux de l’académisme. Pour le faire comprendre,
nous avons réinventé des catégories, examiné des
dizaines d’archives, de photographes mais aussi d’écrivains, en élargissant les frontières de la photo surréaliste, aux groupes tchèques ou mexicains, mais aussi
de façon conceptuelle, en regardant aussi par exemple
les photomatons. Qu’ils fassent des portraits dans la
première cabine photomaton en 1929 est aussi important qu’Explosante fixe de Man Ray.
plastique. Il y a de l’art dans la photographie, mais
la photographie est un ensemble plus grand que l’art
lui-même. Je me passionne ainsi pour la photographie
amateur ou médicale. Il est primordial de s’intéresser à la « photographie vernaculaire » : elle représente
un pourcentage énorme de la production. Mais surtout, depuis les années 20, les artistes n’ont cessé de la
regarder. Walker Evans, Moholy-Nagy, les surréalistes,
Jeff Wall, tous utilisent ses codes. Helmut Newton a
beaucoup regardé le porno, Bruno Serralongue regarde
la photo de presse… On me reproche de défendre le vernaculaire contre l’artistique, alors que je m’intéresse à
l’insertion de l’un dans l’autre. Comme l’art ne singe
pas, mais transcende le vernaculaire. C’est un immense
Le photomaton est d’ailleurs votre dernière passion,
autour de laquelle vous organisez une exposition au
musée de l’Élysée à Lausanne. Qu’est-ce qui vous fascine dans ce genre ?
Pour les surréalistes, les premiers à l’avoir
utilisé, c’est comme un équivalent visuel à l’écriture
automatique. Dans cette exposition, j’étudie pourquoi
le photomaton a tant inspiré les artistes, de 1928 à
aujourd’hui, avec Thomas Ruff ou Cindy Sherman en
passant par Warhol. Ils ont transcendé cette technique,
s’intéressant à la cabine comme un espace curieux, à la
fois intime et public, qui contient une certaine dualité
propice à un certain danger de l’expression de soi-même.
La cabine est un confessionnal moderne, mais aussi
une manière pour les artistes comme Topor de créer des
histoires en quatre images. Et, bien sûr, un lieu de l’interrogation de l’identité. J’ai découvert par un exemple
un artiste israélien méconnu, Alain Baczynsky : dans
les années 70, il a fait à Paris une longue psychanalyse,
et à chaque fois qu’il sortait de la séance il réalisait un
photomaton, en mimant ce qu’il s’était passé avec le psy.
Sur trois ans, il a réalisé 240 autoportraits fascinants,
que nous venons d’acquérir au centre Pompidou.
Votre exposition « Shoot ! », réalisée pour les rencontres
d’Arles en 2010, fut aussi un grand moment de révélation de la photographie amateur.
Je l’aime beaucoup, car elle avait un degré de
complexité que j’aurai du mal à retrouver. Elle mêlait
l’histoire, le vernaculaire, le contemporain des contemporains s’appropriant l’histoire, et aussi l’expérience du
visiteur, qui pouvait lui-même « tirer » à la carabine de
foire et se faire ainsi photographier. Il y avait notamment tous les portraits réalisés ainsi par une femme
tout au long de sa vie, qu’un collectionneur hollandais
avait dénichés. Elle a aujourd’hui 83 ans et continue à
shooter ! Quand elle est venue à Arles, il y a eu un vrai
phénomène de fascination pour elle, on l’a accueillie
comme une pop star, bien mieux que Mick Jagger…
sujet d’une exposition à deux pas.
Propos recueillis par
Emmanuelle Lequeux
p. 101 : Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, Paris, Porte d’Orléans,
juin 1929, photo présentée dans l’exposition « Shoot ! », ©DR.
p. 102 : Clément Chéroux, ©DR.
[...] Il y a de l’art dans
la photographie, mais la
photographie est un ensemble
plus grand que l’art lui-même.
répertoire de formes qui propose de passionnants chantiers : il y a des boulevards à tracer. Mais de plus en
plus de chercheurs identifient des corpus.
Votre exposition « La subversion des images », en
2010, au centre Pompidou, relevait d’ailleurs de cette
démarche.
Toute exposition doit avant tout être créative,
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RÉTROVISION
KITSCH
Un éditeur de livres fait appel à un directeur artistique de magazine de mode
pour réaliser une revue érotique très visuelle. Hier ? Non, en 1970… L’éditeur est
Christian Bourgois, le DA, Roman Cieslewicz, et la revue : Kitsch.
[…] Kitsch provoque, Kitsch
blasphème, Kitsch exhibe,
Kitsch racole, mais Kitsch n’est
pas Manifeste. Loin des
vant-gardes, la revue promeut
le « mauvais goût », dans une
esthétique pop et une certaine
violence Dada, par opposition
au bon goût d’une société
bourgeoise pompidolienne…
que des artistes vont ramener au-devant de la scène.
Kitsch provoque, Kitsch blasphème, Kitsch exhibe,
Kitsch racole, mais Kitsch n’est pas Manifeste. Loin des
avant-gardes, la revue promeut le « mauvais goût », dans
une esthétique pop et une certaine violence Dada, par
opposition au bon goût d’une société bourgeoise pompidolienne au modernisme étriqué dans ses certitudes.
Repéré par Peter Knapp pour son travail de direction
artistique au sein de l’équipe rédactionnelle de la revue
Ty i Ja (« Toi et moi » – cf. Magazine no 26) à Varsovie,
Roman Cieslewicz devient son assistant lorsqu’il
émigre à Paris en 1963. Au magazine Elle, la direction artistique de Peter Knapp envisage la modernité
comme un credo au service de la femme émancipée et
le magazine sert de tremplin à toutes les expérimentations graphiques. Roman Cieslewicz s’empare de cette
opportunité et produit de nombreuses illustrations et
des photomontages, dont la facture reste encore dans
l’esprit de ses mentors de l’avant-garde polonaise des
années 30, les constructivistes du groupe Blok. La
conception des douze vignettes de l’horoscope vont
inspirer à Cieslewicz une orientation plus pop de son
graphisme. Il opte pour un travail en noir et blanc où
les détails sont épurés. Il réduit les documents, pratique la retouche photographique et répète les visuels
à nouveau agrandis avant l’impression. Les images
sérielles, l’emploi des trames et l’utilisation parodique
de la symétrie à la façon des tests de Rorschach contribuent à l’émancipation d’un style graphique qui s’impose dans le milieu de l’édition.
En 1966, Roman Cieslewicz succède à Peter
Knapp à la direction artistique de Elle, collabore à
Vogue avec Antoine Kieffer, réalise un album hors série
consacré à Che Guevara, pour Jeune Afrique en 1967,
prend la direction artistique de la revue d’art contemporain Opus International et contribue à la naissance
des éditions Christian Bourgois. Ce dernier lui commande la ligne graphique d’une nouvelle collection,
intitulée « 10|18 », en référence au format de poche des
livres, où Roman Cieslewicz reprend le traitement au
trait des horoscopes de Elle pour faire figurer en couverture une série de portraits d’auteurs en relation
avec les textes publiés. Ainsi Karl Marx, Ho Chi Minh,
Michel Butor, Boris Vian, Lautréamont et quelques
autres vont-ils s’afficher, hauts en couleur, à la devanture des libraires. Une idée novatrice qui affirme la
jeune collection auprès du public.
Au sein des 136 pages en noir et blanc sont successivement convoqués les peintres Richard Lindner,
considéré comme l’un des fondateurs du Pop Art, et
le sculpteur britannique hyperréaliste Allen Jones,
qui organise toute son œuvre autour du concept de
La collaboration avec Christian Bourgois n’en
reste pas là et prend une forme plus expérimentale avec
la parution en novembre du no 1 de la revue Kitsch.
Kitsch, c’est la libération du « caché ». D’une culture vernaculaire du corps, de la sexualité, de l’érotisme, de la
mort, que les conventions ont repoussée hors cadre et
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Kitsch n’est pas une énième édition post-surréaliste,
comme les années 50 et 60 en ont vu apparaître, mais
un objet unique et déroutant. On cherche du texte ? Il
n’y en a pas. Si ce n’est au sommaire, où l’on trouve
associés à la rédaction Christian Bourgois et Roman
Cieslewicz, les initiateurs, avec les complices Jacques
Sternberg, Roland Topor et Marie Concorde, éditeur
spécialisé dans la littérature érotique. En couverture,
sous le titre, la reproduction d’une peinture de l’artiste
américain Tom Wesselman : une bouche – lourdement
fardée, entr’ouverte et cigarette se consumant en coin –
n’offre aucune ambiguïté, Kitsch allume. Avec quelques
années d’avance, la revue annonce par ses suites et la
profusion d’images le phénomène éditorial des graphzines de la fin des années 70. Kitsch s’ouvre sur k/polaroid, une série de photographies instantanées de petites
culottes qui préfigure déjà la mythique rubrique « le
strip-tease des copines » de L’Écho des savanes dans sa
deuxième formule au milieu des années 80.
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la femme objet. Quelques déclamations de Ben sur le
Nouveau en art. Les dessinateurs Jim, Toshio Saeki,
Petr Herel, qui donnent à voir un mélange détonnant
de sadisme, de violence gratuite, de masochisme et de
scatologie. Dans un esprit situationniste, on trouve
aussi le détournement publicitaire, le roman-photo le
plus cru dans la violence du propos, avec des extraits
des fascicules bon marché, Satanik, introduits à la
rubrique k/aaahhh… comme réservé aux âmes simples
ou alors aux esprits complètement décadents, le romanphoto utilise une langue de simple d’esprit. Le mot clef
est évidemment « aahhh », balbutiement du primate,
sont aussi au rendez-vous.
Début des années 70, le roman-photo très présent dans les kiosques n’a pas encore été détrôné par
les séries télévisuelles, et l’on découvre, par ailleurs,
les auteurs phare de la bande dessinée érotique et
underground. Ainsi, Kitsch présente des extraits de la
Marquise d’O par Guido Crepax et, en quasi exclusivité,
l’univers des névroses de Robert Crumb. La photographie et les « photographistes », selon la dénomination
de Cieslewicz, sont aussi présents, avec les travaux
d’Hannes Jähn, Thomas Weir et Guy Bourdin – celui-ci
quittant momentanément l’univers « glossy » des magazines de mode pour une série montrant une femme
nue, de dos, se débattant pour se libérer des liens qui
enserrent ses mains… Images intrigantes renvoyant
peut-être à la violence sociétale des médias.
Une nouvelle couverture de Wesselman est choisie
pour son caractère provocateur, un portrait de femme
en symétrie, réuni par un attouchement du bout de la
langue, puis dans un déroulé similaire au no 1, k/Aslan
introduit le numéro avec une série de pin-ups et des
images de science-fiction de Virgil Finlay, que les
rédacteurs disent « jamais dépassé ni sur les plans de
la technique et de l’érotisme, ni surtout sur celui du
délire mental ». K/Pigalle succède avec quelques cartes
postales de prostitués, k/Ramon Gomez de la Serna et
des extraits de son opuscule sur les seins. Viennent
ensuite des visuels de Roy Lichtenstein, un parallèle
entre Kienholz et l’art dans la Chine maoïste de la révolution culturelle, des dessins de George Grosz et d’Egon
Schiele. Un éclectisme que complètent des bandes dessinées d’Osborne Lipking et Irons.
Février 1971. Kitsch no 2 paraît dans le même
format, impression noir et blanc, toujours 136 pages.
Si un numéro 3 est annoncé pour le mois de
mai 1971, Kitsch ne paraîtra plus. Kitsch est un objet
éditorial éphémère et c’est ce qui en fait le sens. Kitsch
appartient à un temps d’expérimentation déterminé – à
l’instar d’autres revues contemporaines comme AvantGarde, d’Herb Lubalin et Ralph Ginsburg –, à une génération d’éditeurs qui préfèrent arrêter une publication
plutôt que lasser le lecteur. Cette posture convenant
tout à fait à Roman Cieslewicz, qui persévérera inlassablement dans ce travail « d’aiguiseur de rétines », avec
d’autres publications tel Kamikaze, journal d’information panique.
Pierre Ponant
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DESIGN
RÉSOLUTIONS
DE SALON
Lorsqu’on n’est pas soi-même vendeur de marchandise, ou seulement
de manière très indirecte, c’est innocemment à la recherche de l’inspiration qu’on
se rend dans un salon commercial. Ou bien pour vérifier l’état de cette
inspiration chez les autres…
Plus malhonnêtement, le but premier serait de trouver des raisons tangibles de rendre compte, avec
enthousiasme si possible, de manifestations patentes
de qualité – car, oui, il est décidément trop facile de
toujours débiner le travail d’autrui. Et il faudrait me
résoudre à m’avouer défunt si je n’étais plus capable
de ces émotions heureuses, de l’envie de participation
à la grande fête : le salon est l’orchestre symphonique
des espérances. En cours de répétition, il en partage
toutes les discordances, il y a peu d’accords, il faut
trier, on doit construire soi-même l’harmonie. Paris est
la capitale autoproclammée de la Création – pour jouer,
on doit ici faire semblant de croire qu’enveloppe et
contenu sont une même chose. S’enchaînent l’un des
plus grands salons de décoration d’intérieur au monde
et les défilés de haute couture et de prêt-à-porter. Le
salon Maison et Objet se déploie dans un endroit qui
n’est pas décoratif du tout (Villepinte, proximité Roissy
et Sevran, ville banlieue-purgatoire emblématique).
Ce salon excite une quantité très importante de professionnels internationaux. Une population plutôt
féminine, souvent vêtue avec élégance, qui parcourt
inlassablement les allées en traînant une petite valise
comme un chien mort.
– Now! Design à vivre. Pléonasme autoritaire, comme
si le reste appartenait au navrant hier ou se projetait
dans un demain finalement inaccessible, n’était destiné qu’à crever. Mieux vaut s’en convaincre, ce sont
les termes d’un contrat tacite, la règle du jeu. Now! présente un mélange bizarre et banal à la fois. La sécheresse des Modernes devenue style y jouxte les fantaisies décoratives, le spartiate le débauché, l’efficace le
rêveur. Les figurines de porcelaine du designer Jaime
Hayon, directeur artistique de l’entreprise espagnole
Lladro, sont situées à l’entrée, en grande quantité. Elles
vous placent immédiatement en porte-à-faux. Une statuaire luisante, déclinaison précieuse, pop, joyeuse :
étant donnée la place aujourd’hui occupée par ce designer, aimable et souriant, et qui n’est certainement pas
la plus nuisible des nouvelles figures du terrain ces
cinq dernières années, la distance infime distinguant
la préoccupation exclusivement décorative de celle du
design est immédiatement pulvérisée.
Dans ces productions exquises, précipité de
mauvais goût sublime et étreinte immédiate du frisson bourgeois, se lit la quête passionnée du beau. Sauf
que le designer, lui et d’autres n’y parviennent plus.
Ce n’est pas leur métier d’ailleurs. Ils ne sont alors
qu’à peine capables d’effleurer le joli, et ça fait un peu
de peine. Ce sont ces deux nostalgies identifiables du
design qui s’exposent côte à côte. Celle de la brutalité
nourrie du projet politique qui a fait accéder le design
à la stature qui est la sienne, l’illusion scientifique de
besoins cernés et figés, l’histoire arrêtée par la mise
en œuvre des évidences. Celle de la beauté recherchée
dans toutes les choses de l’autre côté : l’inlassable poursuite des siècles qui précèdent l’épouvantable xxe – une
quête enfermée dans des académismes si idiots qu’elle
s’y est fatalement asphyxiée, en même temps que Dieu
mourait, ou à peu près. Il y a peut-être un lien. Le salon
offre la scène ininterrompue d’une tentative nouvelle
d’accouplement.
Le design français est de ce point de vue exemplaire. Il partage la passion esthétique de la rigueur
avec un goût presque instinctif pour la jouissance
affranchie. Il tend vers le beau, il ne sait pas autrement. Le sein de Marie-Antoinette, sa tasse préférée
[…] « Now! » présente un
mélange bizarre et banal
à la fois. La sécheresse des
Modernes devenue style y
jouxte les fantaisies décoratives,
le spartiate le débauché,
l’efficace le rêveur.
(elle aurait été moulée sur le sien) en serait le symbole
le plus clair. Le design français est un moine punisseur qui trafique du dionysiaque. L’atelier de confiserie sado-masochiste. Loft-protestantisme pour agent de
change en période de bonus cosmique. À l’image de
ce chalet minimal présenté dans la livraison bimestrielle du magazine Marie-Claire Maison : une table,
huit chaises autour, presque rien. Compter, à la louche,
20 000 euros pour l’ensemble : la « sensation de chaleur
et d’intimité » est sûrement à ce prix, et toujours faire
semblant que tout va bien.
Si je vais insister sur la France, c’est que les
petites entreprises s’y sont multipliées. Ça rappelle
presque l’expo « Mobi Boom » aux Arts déco l’année dernière ; la France des années 50 et ses myriades de petites
sociétés qui inventent le pays reconstruit tout de neuf
avec pas grand-chose, chic et maigre, par obligation
presque. Lorsque l’on sait aujourd’hui (en le devinant
surtout, parce que c’est le grand secret) à quel point ce
marché du design est petit, on est épaté. Quelle passion, quand même. Tant de travail, toute cette énergie
Cette concentration microcosmique de la décoration
délimite en son sein un espace plus petit encore, celui
du design. Il se signale par une formule inquiétante
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et ce temps, pour se partager des ombres de fractions de
miettes ? Un authentique mystère. Ou un vrai prestige :
le fantôme héroïque encore une fois, la mission de service public, le socialisme fondateur. Inversement, on
aurait la satisfaction d’une élite exquise, la haute couture qui serait aussi une avant-garde. On retrouve ici le
salon, précisément, son confort et ses manières, sa publicité, le manifeste bourgeois renouvelé – jeune, frais, pas
démonstratif. Pour faire bouger les montagnes infranchissables (si peu d’argent, si peu de culture), ce design
pratique l’incantation, une self-fullfilling prophecy :
en annonçant qu’il existe, il va exister. Nouveau-nés,
revenants, émergents : Eno Studio (Édition de nouveaux
objets), Moustache, Petite Friture, Marcel by, Haymann,
La Corbeille, Forestier, Alki, Ésé (Édition sous étiquette),
Super-ette – parmi les petits, j’en oublie sûrement, des
couteaux, les textiles, la vannerie.
hochets domestiques précieux pour les grandes personnes (Constance Guisset, Petite Friture). On tend vers
le rituel, la concentration d’une table mise en scène
comme l’autel (Benjamin Graindorge pour Moustache).
Ce sont généralement des objets peu efficaces – rangements approximatifs, assises précaires, luminaires
maigres –, et ils s’adressent d’évidence à ceux qui n’ont
déjà plus besoin de rien. C’est d’ailleurs précisément
de rien qu’ils ont besoin : de l’aérien, de l’éthéré, du
transparent, le léger, le subtil, le vaporeux, l’inutile.
Des ready-made in France manufacturés, l’élégance
impondérable de notre design. Pour échapper à tous
les désastres, un masque, un loup sans orifices pour les
yeux. Si je veux des bombes délicieuses et des poèmes
déchirants, je regarde ailleurs.
Pierre Doze
DE GAUCHE À DROITE
Jean-Sébastien Poncet pour Ésé ©DR
Jaime Hayon pour Lladro ©DR
Ionna Vautrin pour Moustache ©DR
Inévitable ou presque, un arrière-goût de
Droog, sans la sécheresse précisément, qui fait que
dans la plupart des petits objets, souvent raffinés, on
approche surtout l’anecdote (Eno). Se dessine quelquefois une perspective moins
frivole – avec Ésé, il y a le désastre industriel et social de Saint-Étienne en héritage
génétique, ce qui tend un peu l’histoire
– ou poser l’ancrage régional sans laisser
déteindre le régionalisme (Alki, des Basques).
L’ambition super luxe pour un monde nouveau, arrière-goût sixties (Toni Grilo pour
Haymann). Trait et épaisseurs bien senties, mode sans y toucher, même décennie
d’ancrage (Ionna Vautrin, Moustache). Des
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PORTFOLIO
P.116 : VIETNAM
PHOTOGRAPHIE : BRUNO HERLIN
VIETNAM
Photographie : Bruno Herlin
JEU
Cher lecteur, nous savons que vous dédaignez la presse people. Mais nous savons
aussi que vous la connaissez. Parviendrez-vous à démasquer les deux intrus qui se
sont habilement glissés parmi les vrais hebdomadaires de la presse à scandale ?
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Magazine n° 8 juin, juillet, août paraîtra le 8 juin
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STRY
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STYLE
RE 2011
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RE, OCTOBRE
— SEPTEMB
VOL. 2
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N° 5 —
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ACP – Magazine, 32, boulevard de Strasbourg, 75010 Paris
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AGENDA
PRINTEMPS 2012
13 mars
Séminaire public à l’IFM :
Le langage du vêtement,
par Jean-Claude Bologne,
professeur à l’Icart.
Ifm-paris.com/
21 mars au 12 août
Living Fashion est la
nouvelle exposition du
MOMU d’Anvers, sur les
vêtements quotidiens des
femmes de 1750 à 1950.
Momu.be/
24 mars au 17 juin
Exposition Helmut Newton,
200 tirages, une première
rétrospective parisienne au
Grand Palais, à défaut d’une
fondation…
Rmn.fr/
27 mars
2e journée Agences ouvertes,
ou la pub vue de l’intérieur ;
mais toutes les agences ne
participent pas.
Agences-ouvertes.com/
29 mars au 31 décembre
Ouverture de Forme
Publique, première
biennale de création
de mobilier urbain, sur
l’esplanade de la Défense.
Ladefense.fr/
29 mars au 1er avril
6e édition de Drawing Now,
le salon parisien du dessin
contemporain, au Carrousel
du Louvre.
Drawingnowparis.com/
30 mars
Conférence de JeanLuc Nancy autour des
11 avril
I Wish, de Kore-Eda
Hirokazu, 2011, 126’.
Réalisateur méconnu, dont
la poésie enchante.
En salles.
AVRIL
17 au 22 avril
Salon international du
meuble de Milan. Le rendezvous incontournable de la
profession.
Infos sur cosmit.it/
3 avril
Séminaire public à
l’IFM : Haute couture
et mode quotidienne
sous l’Occupation, par
Dominique Veillon (CNRS).
Ifm-paris.com/
20 au 22 avril
5e Foto book festival.
Festival du livre de
photographie de Kassel et
remise du prix annuel au
Bal.
Fotobookfestival.org/
4 avril au 2 juin
Comme un Ananas,
exposition de Philippe
Katerine sur lui-même à la
galerie des Galeries. Et vous
pouvez venir avec vousmême.
Galeriedesgaleries.com/
25 avril
Vous n’avez encore rien vu,
d’Alain Resnais, 2011, 95’. Le
dernier Resnais, où il est
question de théâtre et de
vidéo.
En salles.
4 avril
Haut les mains ! de Jerzy
Skolimowski, 1968, 90’.
Reprise de ce film censuré
d’un grand réalisateur
polonais.
En salles.
27 au 29 avril
Le catalogue et ses
hybrides, une exposition
de Charlotte Cheetham
(manustuff.org), avec une
journée de lectures et de
projections, le tout dans un
nouvel espace parisien : -1.
moinsun.com/
5 avril au 1er juin
La Guerre du Feu,
exposition de Hanania &
Brunnquell, mêlant photo,
illustration et performance.
12mail.fr/
27 au 30 avril
Le Festival de Hyères réunit
les professionnels de la
mode et de l’image. Au
programme, des expositions
Yohji Yamamoto et Inez &
Vinoodh.
Villanoailles-hyeres.com/
10 avril
Les Informelles, soirée
mensuelle organisée par
Florian Gaité, invitent le
magazine Dorade à sortir
du support papier pour
proposer expositions et
performances.
Pointephemere.org/
11 avril au 19 mai
This and There, exposition qui
célèbre 10 ans du Pavillon,
post-grade du palais de Tokyo,
sous le commissariat de
Claude Closky.
Fondation-entreprise-ricard.
com/
Avril
Collection des Livres Club
d’Étienne Robial. Un
connaisseur partage ses
trouvailles et ses coups de
cœur. Dates à définir.
Galerie-anatome.com/
MAGAZINE NO 7
130
MAI
Urban poetry*!
Jusqu’au 20 mai
Derniers jours d l’exposition
Le Néon dans l’art, des
années 40 à nos jours.
maisonrouge.org/
07-11 SEPT. 2012
PARIS NORD VILLEPINTE, hall 8
www.nowdesignavivre.com
Salon international du design pour la maison
Salon réservé aux professionnels
International home design exhibition
4 au 6 mai
Festival des Très courts.
3 minutes maximum pour
raconter une histoire. Ou
pas.
Forumdesimages.fr/
9 mai
Tokyo Koen de Shinji
Aoyama, 2011, 119’. Le
dernier film du réalisateur
japonais également auteur
d’Eureka.
En salles.
10 mai au 19 août
Expositions Prada et
Schiaparelli, rétrospective
de vêtements, dessins et
accessoires au Metropolitan
de New York.
Metmuseum.org/
10 mai au 21 juin
Daniel Buren s’attaque
au Grand Palais pour
Monumenta 2012.
Monumenta.com/
30 mai au 10 juin
Reprise intégrale de la
Quinzaine des réalisateurs
cannoise.
Forumdesimages.fr/
31 mai au 3 juin
Jardins Jardin, une
exposition de micro jardins
et de paysages urbains dans
le jardin des Tuileries.
Jardinsjardin.com/
31 mai au 4 juin
Designers Days, parcours
de design parisien sur le
thème de l’identité, qui
poussera jusque Pantin
cette année.
Designersdays.com/
Trade only. Tel. +33 (0)1 44 29 02 00
[email protected]
preview, Domestic © Tania & Vincent. Ibride © Benoît Convers. Tacchini Italia © Andrea Ferrari. Getty Images. Organisation SAFI, filiale des Ateliers d’Art de France et de Reed Expositions France
9 mars au 16 septembre
Exposition Louis Vuitton
– Marc Jacobs aux Arts
décoratifs, organisée comme
une mise en regard des
débuts du malletier et de
l’interprétation de leur
dernier directeur artistique.
Lesartsdecoratifs.fr/
expositions Ai Weiwei et
Berenice Abbott, sur les
mutations architecturales et
urbanistiques des villes.
Jeudemaume.org/
* Poésie urbaine.
MARS
PARIS
CAPITALE
DE LA
CREATION
LE TEMPS DEVANT SOI
Carrés géants en
summer twill.
Carrés en twill de soie.
Hermes.com

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