La loi naturelle fondement de la liberté religieuse

Transcription

La loi naturelle fondement de la liberté religieuse
La loi naturelle fondement de la liberté religieuse
La loi naturelle fondement de la liberté religieuse
I Pourquoi aborder cette question ?
Dans les pays musulmans, la pression exercée par
la communauté sur les individus est telle qu’il est
difficile et même dangereux pour un musulman de
se convertir. Certes les juifs et les chrétiens ont
droit à un statut. Ils peuvent exercer leur culte mais
toute forme de prosélytisme leur est soit interdit
soit risqué. Cette attitude est évidemment
incompatible avec la déclaration universelle des
droits de l’homme de 1948 :
Le 18ème article de cette déclaration affirme en effet
que « Toute personne a droit à la liberté de pensée
de conscience et de religion ; ce droit implique la
liberté de changer de religion ou de conviction ainsi
que la liberté de manifester sa religion ou sa
conviction, seule ou en commun, tant en public
qu’en privé par l’enseignement, les pratiques, le
culte et l’accomplissement des rites ».
La France est un pays où la loi fait respecter ce
principe. Nous nous réjouissons de constater qu’un
certain nombre de musulmans ont accepté et
intériorisé les principes républicains. Pouvons-nous
affirmer en toute certitude qu’il n’y a nulle part
dans notre pays des entorses à ce principe ?
Pouvons être certains que ce principe sera de mieux
en mieux respecté ? C’est l’avenir qui le dira.
Nous ne pouvons cependant ignorer que, de par le
monde, de nombreux musulmans expriment une
grande réserve vis-à-vis des Déclarations des droits
de l’homme, en particulier de celle de 1948. Leur
principal grief est que cette Déclaration est très
marquée par la culture occidentale. En prétendant
qu’elle est universelle, les européens, selon de
nombreux musulmans et selon des représentants de
diverses traditions et cultures, imposeraient leur
idéologie et poursuivraient leur visée colonisatrice.
Certains esprits sont optimistes et pensent que le
progrès de la doctrine des droits de l’homme est
inexorable. Ils pensent qu’il en va de cette doctrine
comme du progrès scientifique. Personne ne résiste
aux progrès scientifiques et techniques. De la même
manière, selon ces esprits optimistes, le monde
entier se ralliera petit à petit aux grands idéaux
humanistes solennellement proclamés en 1948.
Pour ma part, je ne partage pas cet optimisme. Il est
vrai que, du point de vue républicain, il n’y a pas
d’autre perspective en ce qui concerne le dialogue
avec les musulmans que de les inviter à pratiquer
leur culte dans le cadre défini par nos lois et nos
principes. De même, en ce qui concerne les
relations diplomatiques internationales, la référence
à la Déclaration de 1948 semble être la seule
possibilité si l’on veut trouver un terrain d’entente
Mais il ne faut pas envisager le dialogue entre
chrétiens et musulmans uniquement de ce point de
vue. Nous l’avons souligné, il n’est pas sûr que le
terrain des droits de l’homme soit vraiment perçu
comme universellement valable. Nous l’avons vu,
les musulmans et les représentants de nombreuses
civilisations n’y sont guère favorable.
Mais de surcroît, il n’est pas sûr que ce terrain soit
pour nous chrétiens celui qui est plus en harmonie
avec notre foi.
Certes, l’Eglise a accueilli de façon positive la
déclaration universelle des droits de l’homme de
1948. De nombreux documents magistériels font
usage de la doctrine des droits de l’homme. Cette
doctrine est particulièrement utile pour formuler de
nombreux aspects de la morale sociale. Cependant,
il faut quand même émettre deux réserves à son
égard de cette doctrine. Tout d’abord, celle-ci est
fondée sur une anthropologie trop individualiste et
qui doit corrigée aussi bien du point de vue de la
raison que du point de vue de la foi. D’autre part,
cette doctrine, en raison même de son
anthropologie, ne met pas assez en lumière le
devoir de chercher la vérité et certaines exigences
de morale familiale et sexuelle.
C’est pourquoi, il semble préférable de prendre
appui sur la doctrine de la loi naturelle. La loi
naturelle bien comprise permet en effet de fonder
une anthropologie acceptable pour les chrétiens et
capable d’intéresser tous les hommes et en
particulier les musulmans. De surcroît, elle permet
de justifier les exigences morales contenues dans la
doctrine des droits de l’homme. Dans un premier
temps, je voudrais vous présenter les fondements
cette doctrine et dans un deuxième temps indiquer
comment cette doctrine permet de fonder de façon
juste la liberté religieuse et la liberté de conscience.
Page 1 ● « La Loi Naturelle fondement de la liberté religieuse » ● Père Laurent SENTIS ● (22 janvier 2012)
IDFP
La loi naturelle fondement de la liberté religieuse
II Les fondements théologiques de la doctrine de la loi naturelle
Dans l’expression loi naturelle il y a le mot nature.
Or ce mot a souvent été compris de façon erronée
comme évoquant la nature biologique ou
psychologique de l’homme. Ce contresens est à
l’origine d’un appauvrissement de la pensée et on a
tiré prétexte de cet appauvrissement pour justifier
l’abandon de cette doctrine. Mais cette doctrine ne
réduit nullement l’homme à sa biologie et à sa
psychologie. Elle l’envisage dans sa réalité
concrète : corps et âme, personne et communauté.
Il convient de distinguer la doctrine de saint
Thomas sur la loi naturelle que l’Eglise fait sienne1
et l’étude du contenu de cette loi que la théologie
de saint Thomas n’épuise pas.
1 La doctrine de saint Thomas sur la loi
naturelle
Saint Thomas donne deux définitions l’une plus
« biblique » :
En effet, la loi naturelle, comme on l'a vu, "
n'est rien d'autre que la lumière de l'intelligence
mise en nous par Dieu. Grâce à elle, nous
savons ce que nous devons faire et ce que nous
devons éviter. Cette lumière et cette loi, Dieu les
a données par la création "2
L’autre plus « philosophique » :
" Parmi tous les êtres - écrit saint Thomas -, la
créature raisonnable est soumise à la
providence divine d'une manière plus excellente
par le fait qu'elle participe elle-même de cette
providence en pourvoyant à soi-même et aux
autres. En cette créature, il y a donc une
participation de la raison éternelle selon
laquelle elle possède une inclination naturelle
au mode d'agir et à la fin qui sont requis. C'est
cette participation de la Loi éternelle qui, dans
la créature raisonnable, est appelée loi
naturelle "3
De la définition de la Somme théologique on peut
conclure que la loi naturelle fait partie de la nature
humaine et que l’homme en se connaissant luimême peut connaître la loi naturelle.
Tout le problème est de savoir quelle connaissance
de fait nous en avons par la lumière naturelle de la
raison. Le C.E.C qui cite la définition « biblique »
signale que notre connaissance est imparfaite
C.E.C. 1960 et 2071
Attention : le péché n’a pas détruit la loi naturelle
en l’homme mais il affecte la connaissance que
nous en avons.
2 Le contenu de la loi naturelle
../..
1
« L'Eglise s'est souvent référée à la doctrine
thomiste de la loi naturelle, l'intégrant dans son
enseignement moral. Mon vénéré prédécesseur
Léon XIII a ainsi souligné la soumission
essentielle de la raison et de la loi humaine à la
Sagesse de Dieu et à sa Loi. Après avoir dit que
" la loi naturelle est écrite et gravée dans le
coeur de chaque homme, car elle est la raison
même de l'homme lui ordonnant de bien faire et
lui interdisant de pécher " », Jean-Paul II,
Veritatis Splendor §44
C’est un problème considérable et le lieu de
nombreuses controverses. En fait l’homme est un
double paradoxe
Par nature, l’homme est corporel et spirituel. La loi
naturelle n’est pas purement biologique. Elle n’est
pas non plus la loi que les individus libres se
prescrivent à eux-mêmes lorsqu’ils affirment
vouloir vivre ensemble. (Tel est en effet le
fondement de la morale selon les principes
modernes).
La définition biblique de la loi
naturelle a l’avantage de souligner à la fois
l’importance du corps et de l’esprit. Le livre de la
genèse montre en effet que la différence des sexes
et la famille font partie de l’image de Dieu.
Mais l’esprit humain est lui-même paradoxal. Selon
sa nature il est fait pour connaître Dieu, mais cette
connaissance excède les capacités de sa nature. Le
désir de connaître la vérité en particulier dans le
domaine religieux et le devoir de chercher celle-ci
appartiennent à la loi naturelle.
2
Saint Thomas d'Aquin, In duo praecepta
caritatis et in decem legis praecepta. Prologus.
Cité dans Veritatis splendor, 40
3
Somme Théologique, I-II 91,2. Cité dans
Veritatis splendor 43
Page 2 ● « La Loi Naturelle fondement de la liberté religieuse » ● Père Laurent SENTIS ● (22 janvier 2012)
IDFP
La loi naturelle fondement de la liberté religieuse
Ainsi, parce qu’elle s’intéresse à la dimension
sexuelle et religieuse de la nature humaine et pas
seulement à sa dimension sociale, la loi naturelle va
au-delà de ce dont se préoccupe la doctrine des
droits de l’homme.
Il résulte de ces remarques que si certains aspects
de la loi naturelle sont faciles à connaître d’autres le
sont moins. La connaissance varie selon les
époques et les lieux. Remarquons l’importance du
travail philosophique en lien avec la théologie et le
magistère.
III La loi naturelle envisagée d’un point de vue pragmatique dans le
dialogue nécessaire pour établir les règles d’une coexistence
pacifique
Nous avons développé une doctrine de la loi
naturelle trop subtile pour être exposée telle quelle
dans un dialogue interreligieux. Heureusement, il
existe une approche plus pragmatique de cette loi.
Cette approche a été signalée dans le document de
la commission théologique internationale intitulé
« A la recherche d’une éthique universelle ». Elle
consiste à remarquer qu’en dépit de leurs
différences les hommes arrivent à se mettre
d’accord sur un certain nombre de principe
fondamentaux. Et cet accord permet de fonder une
politique
A Principes en ce qui concerne la vie
politique
Voilà ce que déclare ce document. Ce texte semble
pouvoir servir de point de départ pour un dialogue
fructueux
§86 La société organisée en vue du bien commun
de ses membres répond à une exigence de la
nature sociale de la personne. La loi naturelle
apparaît alors comme l’horizon normatif dans
lequel est appelé à se mouvoir l’ordre politique.
Elle définit l’ensemble des valeurs qui apparaissent
comme humanisantes pour une société. Dès que
l’on se situe dans le champ social et politique, les
valeurs ne peuvent plus être de nature privée,
idéologique ou confessionnelle : elles concernent
tous les citoyens. Elles expriment non un vague
consensus entre eux, mais se fondent sur les
exigences de leur commune humanité. Pour que la
société remplisse correctement sa mission au
service de la personne, elle doit promouvoir
l’accomplissement de ses inclinations naturelles. La
personne est donc antérieure à la société et la
société n’est humanisante que si elle répond aux
attentes inscrites dans la personne en tant qu’être
social.
§87 Cet ordre naturel de la société au service de la
personne est connoté, selon la doctrine sociale de
l’Eglise, de quatre valeurs qui découlent des
inclinations naturelles de l’homme, et qui
dessinent les contours du bien commun que la
société doit poursuivre, à savoir : la liberté, la
vérité, la justice et la solidarité. Ces quatre valeurs
correspondent aux exigences d’un ordre éthique
conforme à la loi naturelle. Si l’une d’elles vient à
faire défaut, la Cité tend vers l’anarchie ou le règne
du plus fort. La liberté est la première condition
d’un ordre politique humainement acceptable.
Sans la liberté de suivre sa conscience, d’exprimer
ses opinions et de poursuivre ses projets, il n’y a
pas de Cité humaine, même si la recherche des
biens privés doit toujours s’articuler à la promotion
du bien commun de la Cité. Sans la recherche et le
respect de la vérité, il n’y a pas de société, mais la
dictature du plus fort. La vérité, qui n’est la
propriété de personne, est seule capable de faire
converger les hommes vers des objectifs
communs. Si ce n’est pas la vérité qui s’impose
d’elle-même, c’est le plus habile qui impose « sa »
vérité. Sans justice, il n’y a pas de société, mais le
règne de la violence. La justice est le bien le plus
haut que puisse procurer la Cité. Elle suppose que
ce qui est juste soit toujours recherché, et que le
droit soit appliqué avec le souci du cas particulier,
car l’équité est le comble de la justice. Enfin, il faut
que la société soit régie d’une manière solidaire,
de telle sorte qu’on fasse droit à l’aide mutuelle et
à la responsabilité pour le sort des autres, et que
les biens dont la société dispose puissent répondre
aux besoins de tous.
La loi humaine
organise les communautés
particulières. Elle se fonde sur la loi naturelle
Conséquence : une société humaine n’a pas à se
fonder sur une vérité religieuse révélée.
Elle doit respecter la recherche spirituelle de
chacun de ses membres
Rôle de l’Eglise : Non pas mettre les sociétés sous
tutelle mais rappeler qu’on ne peut fonder une
communauté au mépris de la loi naturelle.
Page 3 ● « La Loi Naturelle fondement de la liberté religieuse » ● Père Laurent SENTIS ● (22 janvier 2012)
IDFP
La loi naturelle fondement de la liberté religieuse
B L’esprit d’Assise
Toute religion digne de ce nom doit travailler à
l’édification d’une paix fondée sur la loi naturelle.
Cette intuition est devenue grâce à Jean-Paul II un
véritable programme. La célèbre réunion d’Assise
le 27 octobre 1986 a donné un élan irréversible à
cette idée.
La paix ne s’établira entre les hommes que par un
effort pour découvrir la loi naturelle et pour la
mettre en pratique. Demeurer fidèle à l’esprit
d’Assise c’est croire que les religions ont leur rôle à
jouer dans cet effort et qu’un dialogue
interreligieux fructueux est possible sur ce point.
Ce dialogue doit être mené bien sûr par les
dirigeants mais il peut l’être aussi à les membres
des diverses religions.
Le dialogue interreligieux en quête de la loi
naturelle ne supprime pas évidemment les
différences qui subsistent entre les religions. Il
n’implique nullement que les chrétiens qui s’y
engagent renoncent à évangéliser. Le dialogue
portant sur la loi naturelle est donc très différent de
la discussion portant sur nos convictions
religieuses. L’espoir de converger au moins sur
certains points est au cœur du premier. La seconde
à d’abord pour but de mieux connaître les points sur
lesquels nous divergeons afin d’éviter les
caricatures et les idées toutes faites mais elle a aussi
le souci d’une annonce explicite de la Bonne
Nouvelle.
Nous devons veiller à ne pas confondre les deux
types de discussions. En particulier des
responsables religieux qui pour des raisons diverses
gommeraient ce qui sépare leurs religions ne
parviendraient qu’à susciter une méfiance chez
leurs coreligionnaires et à discréditer l’idée même
d’un dialogue possible en ce qui concerne la
recherche de la paix et de la justice.
D Ce qui peut gêner les musulmans dans
cette doctrine
Les musulmans n’acceptent pas la distinction que
nous faisons entre la loi naturelle qui est inscrite
dans le cœur de tous les hommes et la vérité qui
dépasse la nature humaine. Pour un musulman
l’homme, par nature, est musulman. Pour un
chrétien, l’homme n’est pas chrétien par nature
mais par un don gratuit qui dépasse les capacités de
la nature. C’est parce que nous croyons à cette
distinction que nous affirmons que le principe de la
liberté religieuse c'est-à-dire le droit de ne pas subir
de contrainte dans notre recherche de la vérité
religieuse. Nous reconnaissons certes que l’Etat a le
droit de contraindre les hommes à observer les
principes les plus importants de la loi naturelle,
mais nous n’admettons pas qu’il exerce son pouvoir
dans le domaine qui dépasse les capacités de la
nature humaine.
Du point de vue d’un musulman cette distinction
des domaines semble difficile à comprendre.
Il faut bien reconnaître que pendant des siècles, les
chrétiens ne parvenaient pas non plus à comprendre
et à mettre en pratique ce principe de la liberté
religieuse. Il a fallu attendre la chute des états
pontificaux et le Concile Vatican pour que ce
principe s’impose à la conscience chrétienne.
Si on est optimiste on peut penser que les
musulmans vont accepter ce principe.
Si on est pessimiste on peut craindre l’état actuel de
leur interprétation du Coran ne facilite pas cette
acceptation.
C Ce qui peut intéresser les musulmans
dans la doctrine de la loi naturelle
L’homme y est considéré de façon concrète.
La famille et la communauté civile sont fondées sur
la nature humaine.
Cette doctrine est la source de règles morales
auxquelles les musulmans sont attachés et qu’ils
voient bafouées dans les pays occidentaux.
Cette doctrine enseigne qu’il y a en l’homme une
inclination naturelle à reconnaître Dieu comme
Créateur et Seigneur et à lui rendre un culte.
La doctrine de la loi naturelle telle que nous l’avons
exposée conduit à penser l’homme ne déploie sa
liberté que dans le cadre d’une communauté qui lui
préexiste. Cette conception de la liberté est
acceptable par des musulmans. En revanche, ceuxci comme beaucoup d’hommes formés en dehors du
monde occidental sont très réticents devant
l’exaltation occidentale de la liberté individuelle
considérée comme fondatrice de la vie sociale.
Page 4 ● « La Loi Naturelle fondement de la liberté religieuse » ● Père Laurent SENTIS ● (22 janvier 2012)
IDFP