Paul Ricœur - Études Ricoeuriennes / Ricoeur Studies

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Paul Ricœur - Études Ricoeuriennes / Ricoeur Studies
 Paul Ricœur Variations et continuité d’un projet politique
Pierre-­‐‑Olivier Monteil EHESS (Paris)
Résumé
Les commentateurs s’accordent pour constater une évolution dans la pensée politique de Ricœur conduisant d’un radicalisme à un réformisme. Par-­‐‑delà ces variations, on se propose plutôt de mettre en évidence la continuité d’un projet. Non seulement la critique du capitalisme se poursuit jusqu’au bout, mais la perspective du socialisme semble très tôt tenue pour improbable. Dans les deux cas, la préoccupation centrale porte sur la nécessité de raviver les traditions et de faire émerger l’élan initial sous la doctrine “ossifiée ” en les situant en tension critique entre elles pour qu’elles se corrigent mutuellement. Le projet politique de Ricœur consiste à établir en vis-­‐‑à-­‐‑vis libéralisme et socialisme. Mots-­‐‑clés: Herméneutique, Libéralisme, Politique, Ricœur, Socialisme Abstract
Commentators agree to note an evolution of Ricœur’s political thought going from radicalism to reformism. Beyond these variations, this article underlines the continuity of his project. Not only the criticism of capitalism develops until Ricœur’s latest works, but the perspective of socialism seems quite early to be unlikely. In both cases, the main concern is to rekindle traditions to have the initial intention emerging from “ossified ” doctrine, by organizing a critical tension between them so that they would mutually improve one another. Ricœur’s political project consists in confronting liberalism and socialism. Keywords: Hermeneutics, Liberalism, Politics, Ricœur, Socialism Études Ricœuriennes / Ricœur Studies, Vol 4, No 1 (2013), pp.170-183
ISSN 2155-1162 (online)
DOI 10.5195/errs.2013.154
http://ricoeur.pitt.edu
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Paul Ricœur Variations et continuité d’un projet politique
Pierre-­‐‑Olivier Monteil EHESS (Paris)
Les évaluations portées par les commentateurs peuvent, en première approximation, se regrouper sous la thématique d’un progressif tiédissement du projet politique de Ricœur au fil du temps, ce que nous nous attacherons à remettre en question. Pour Jacques Le Goff, la pensée de Ricœur évolue d’un socialisme communisant dans les années 30 vers un "ʺréformisme de plus en plus ouvertement revendiqué"ʺ à partir des années 50 qui se traduit par une sorte de synthèse 1
social-­‐‑démocrate entre l’exigence de justice et l’impératif de la liberté. Philippe Portier ne semble pas loin de suggérer, quant à lui, que la conception du débat démocratique développée par Ricœur, notamment à travers la laïcité d’abstention de l’Etat et l’art du compromis entre 2
"ʺconvictions bien pesées,” représente un "ʺmodèle fâcheusement consensuel.” Il discerne en outre deux grandes constellations thématiques: celle de la confrontation au marxisme et des convictions socialistes à laquelle succèderait, à partir des années 80, l’abandon de la propriété collective et le débat avec le libéralisme. Quant à Johann Michel, il envisage un "ʺtournant 3
rawlsien"ʺ pris par Ricœur à partir de 1977 et se traduisant par l’abandon du "ʺsocialisme à visage humain"ʺ au profit de la social-­‐‑démocratie. Ce tournant consacrerait un "ʺrenoncement à l’égard 4
d’un socialisme économique fort imprégné de l’égalitarisme marxiste.” Le ralliement à l’économie de marché se ferait alors au prix de l’acceptation d’une certaine inégalité sociale. L’auteur en veut pour preuve la fin des "ʺdiatribes contre le capitalisme, son économie de 5
gaspillage et son régime d’exploitation” chez Ricœur, lequel ne chercherait plus à découpler libéralisme économique et libéralisme politique. Il n’y aurait pas, selon lui, rupture totale au plan de ses convictions profondes; l’infléchissement porterait sur "ʺle choix d’un système 6
d’organisation social, économique et politique.” En regard, Gilbert Vincent fait valoir pourtant que l’accent mis par Ricœur sur la défense des libertés individuelles et publiques "ʺne saurait être 7
pris pour le signe d’un refroidissement de ses convictions socialistes,” compte tenu de l’engagement durable et marqué de Ricœur en faveur de l’économie planifiée. Le point de vue que nous allons présenter est sensiblement différent des trois premiers et, dans une certaine mesure, du dernier. Plutôt que d'ʹentrer en discussion détaillée avec chacun d'ʹeux, nous viserons un objectif plus limité qui consiste à mettre en lumière la continuité avec laquelle Ricœur met en œuvre une même stratégie argumentative dans des termes qui ne manifestent pas un "ʺtiédissement"ʺ mais s'ʹattachent à raviver les traditions de pensée en présence. Cela conduira à souligner certaines permanences, telle la critique du capitalisme, mais à relativiser certaines inflexions thématiques au profit de la permanence d'ʹun parti pris qui repose sur la dialectique entre idéologie et utopie. Il sera alors possible de situer le projet d'ʹensemble entre marxismes, libéralismes et socialismes. Une Constante: La critique du capitalisme Une première série d’arguments d’ordre factuel doit d’abord être rappelée. La critique sociale menée par Ricœur -­‐‑ dans l’étude de 1983 intitulée "ʺEthique et politique"ʺ8 et au-­‐‑delà – Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 4, No 1 (2013) ISSN 2155-­‐‑1162 (online) DOI 10.5195/errs.2013.154 http://ricoeur.pitt.edu Pierre-­‐‑Olivier Monteil dénonce avec constance la prétention du marché à s’ériger en sphère unique de distribution des biens. Elle qualifie une société qui se définirait entièrement par l’économie de "ʺtotalement profane"ʺ et met en garde contre rien de moins que le "ʺchangement de paradigme de civilisation"ʺ que cela constituerait. Comme au temps du premier "ʺparadoxe politique,” elle continue d'ʹalerter contre la "ʺconfusion catastrophique"ʺ ou la "ʺdramatique identification"ʺ qui assimilerait le libéralisme politique au libéralisme économique.9 Le dialogue avec Michel Rocard fournit l’occasion d’un appel sans équivoque à engager "ʺla critique du capitalisme en tant que système de distribution qui identifie la totalité des biens à des biens marchands.”10 De telles continuités se prolongent jusque dans Parcours de la reconnaissance où "ʺle point le plus sensible de l’indignation"ʺ est atteint pour Ricœur dans "ʺle contraste insupportable"ʺ entre l’attribution égale de droits et la distribution inégale de biens dans nos sociétés, condamnées semble-­‐‑t-­‐‑il à payer le progrès en termes de productivité "ʺpar un accroissement des inégalités..”11 La critique du tout-­‐‑marché reprend sur la même page avec la dénonciation du fait que la sécurité économique "ʺapparaît désormais comme le moyen matériel d’exercer tous les autres droits.” Ces continuités se confirment dans le même ouvrage à travers la thématique des libertés positives, défendues contre une conception qui s’en tiendrait aux seules libertés négatives. On peut estimer qu’en se référant aux "ʺcapabilités"ʺ en faveur desquelles argumente Amartya Sen, Ricœur se situe dans le strict prolongement de son étude de 1959 sur "ʺLe paradoxe de la liberté politique,” où il se trouvait peut-­‐‑être en discussion implicite avec Isaiah Berlin sur ce même sujet.12 Ricœur fournit par ailleurs une formulation résumée de ses convictions politiques en 2000, dans un entretien avec Yvanka B. Raynova.13 Selon lui, la question centrale est la suivante: comment concilier le libre marché qui produit la richesse et la justice qui "ʺexige de l’intervention"ʺ politique pour corriger les inégalités et les injustices créées par le marché? La question demeure inchangée par rapport aux années 50: comment repolitiser les choix économiques pour y faire prévaloir le sens de la justice? Cela nous conduit à une première conclusion. Certes, les positions de Ricœur ont évolué. Dans les années 80, il n’est plus question d’économie planifiée. Mais la critique du capitalisme ne s’en affirme pas moins comme un invariant. Il en est de même de l’engagement indéfectible en faveur du libéralisme politique, que l’on trouve réaffirmé aussi bien dans "ʺLe paradoxe politique"ʺ que dans un entretien très postérieur. Ricœur s’y réclame du libéralisme politique et justifie en ce sens le fait que le pouvoir "ʺdoit demeurer sous surveillance"ʺ: "ʺL’existence de l’Etat repose (…) sur une sorte de désappropriation des individus."ʺ14 Ce qui change tient, nous semble-­‐‑t-­‐‑il, au fait que Ricœur pense en situation et délaisse "ʺles problèmes que l’histoire abandonne”15 avant de les reprendre sous les formes nouvelles qu’elle adopte. Les alarmes exprimées dans "ʺEthique et politique"ʺ quant à l’affaiblissement de l’ancrage éthique du politique se répètent à travers la critique de l’oscillation du débat entre le postulat d’une absence de valeurs communes soutenu par l’atomisme utilitariste et la prétention du politique à décréter des valeurs. L’autonomisation de l’économie empêche le politique de faire médiation avec la sphère des valeurs. Quelques années plus tard, la discussion sur ces dernières s’en trouve problématique au point de se réduire à une alternative entre scepticisme et dogmatisme. Entre les deux époques, la question a changé de forme mais les deux configurations gravitent autour du même problème de l’articulation entre la règle et la visée du bien commun. Plus généralement, on peut voir dans le choix de s’accommoder des formes historiques du débat le souci de ne pas "ʺforcer"ʺ l’histoire, tant par les concepts que dans la pratique. C’est à l’utopie que revient le rôle de l’invention historique. Ricœur parie sur elle jusque dans ces textes les plus tardifs – quitte à en appeler symétriquement au sens de l’institution quand elle se manifeste.16 Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 4, No 1 (2013) ISSN 2155-­‐‑1162 (online) DOI 10.5195/errs.2013.154 http://ricoeur.pitt.edu 171 Paul Ricœur L’examen de la période antérieure aux années 80 est à son tour révélateur de continuités de fond. Johann Michel date des alentours de 1977 le "ʺtournant rawlsien"ʺ de Ricœur parce qu’il en situe l’origine dans le constat dressé à l’occasion de "ʺPatocka, le philosophe resistant”17: à l’Est comme à l’Ouest se trouve organisée "ʺsystématiquement la fuite de la sphère publique vers le confort privé de style petit-­‐‑bourgeois.”18 L’insatisfaction de l’homme moderne a donc son équivalent de l’autre côté du Rideau de fer, de même que les loisirs "ʺde pacotille"ʺ que Ricœur critique à l’Ouest ont leur pendant dans "ʺl’esthétique de la banalité"ʺ que le pouvoir impose à l’Est.19 Si infléchissement il y a, on pourrait cependant le discerner plus en amont et y voir le fait, en quelque sorte, d’un raisonnement inverse. Dans un article consécutif à l’échec électoral des travaillistes britanniques en 1959, Ricœur relativise la défaite de Mac Millan tout en mettant en perspective la signification profonde du scrutin.20 L’expansion de la société industrielle rend à ses yeux "ʺde plus en plus improbable le succès du socialisme en Occident.”21 La société de consommation est en effet "ʺantipolitique, anti-­‐‑communautaire, anti-­‐‑révolutionnaire.”22 Autant, voire davantage, que le constat selon lequel le socialisme économique et le libéralisme politique seraient inconciliables au vu de l’expérience tchécoslovaque, il semble que les deux modèles de l’Est et de l’Ouest convergent dans "ʺla chute à l’insignifiance,” synonyme de "ʺmauvais infini"ʺ du bien-­‐‑être et de la croissance dans lequel l'ʹabondance des moyens s'ʹaccompagne de "ʺla perte des fins.”23 Idéologie et utopie Ricœur ordonne les deux blocs selon un parallèle analogue du point de vue de leur situation idéologique. A l’Ouest, la crise de la démocratie repose, estime Ricœur en 1947, sur la tension entre l’hypocrisie bourgeoise et l’idéalisme de l’épopée de valeurs commencée au Moyen Age avec le mouvement d’émancipation communale et prolongée par l’Habeas corpus.24 Il ne fonde pas ce constat sur une analyse marxiste mais sur l’appréciation selon laquelle l’élan démocratique initial s’est "ʺossifié.” L’inspiration profonde s’est évanouie; c’est avec elle qu’il faut renouer. Avec l’espoir que le relais soit pris par des sociétés que le mal d’insignifiance n’a pas encore atteintes, il porte le regard successivement vers la Chine, la Yougoslavie, la Pologne et les pays en voie de développement.25 Symétriquement, il exprime à l’adresse du bloc de l’Est le regret que la théorie de la "ʺconscience reflet"ʺ chez Marx soit beaucoup plus mécaniste que la théorie de la "ʺfausse conscience"ʺ qui lui est antérieure. En outre, un semblable malentendu s’est créé entre Marx et Lénine lorsque ce dernier a prétendu ériger le marxisme en science objective. Dès lors, tout le domaine de la vérité s’est trouvé figé dans la stratégie de l’Etat prolétarien, qui assigne au Parti la fonction de dire le vrai sur tout. Ainsi conclut-­‐‑il à la "ʺpétrification du marxisme.”26 On semble fondé à voir dans la configuration ainsi campée la même méthode de pensée qui prévaut dans les développements à visée pratique de l’article de 1957 sur "ʺLe paradoxe politique"ʺ ou dans la discussion de 1991 avec Michel Rocard sur justice (politique) et marché (économique). Dans tous ces cas, elle consiste à situer deux traditions en présence, l’une ossifiée, l’autre pétrifiée, pour les rouvrir. En réactivant la dialectique entre idéologie et utopie, il s’agit de les corriger l’une par l’autre en révélant chez chacune par la critique son bon versant que recouvrait le mauvais. Tout se passe comme si l’élan créatif de l’utopie se trouvait constamment menacé de sédimentation sous l’action des pouvoirs qui transforment l’idéologie "ʺintégrative"ʺ en instrument de légitimation et bientôt de distorsion.27 Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 4, No 1 (2013) ISSN 2155-­‐‑1162 (online) DOI 10.5195/errs.2013.154 http://ricoeur.pitt.edu 172 Pierre-­‐‑Olivier Monteil On voit mal dans ces conditions ce qu’une telle conception peut avoir de "ʺfâcheusement consensuel.” Elle serait plutôt dissensuelle en ce qu’elle subvertit l’ensemble des catégories du débat politique institutionnel. On peut même avancer l’hypothèse que l’appel à ce travail d’une culture pour raviver son propre élan créatif est à situer dans la continuité de la révolution à laquelle appelle le jeune Ricœur dans les années 30. A cette époque, il précise sa conception de la "ʺrévolution nécessaire"ʺ en la reformulant en ces termes: cette révolution, "ʺ … ou mieux cette conversion.”28 Si l’on met en suspens les catégories politiques courantes, changeantes et parfois étriquées dont Ricœur ne cesse de montrer que l’élan qui les porte menace toujours de s’éteindre, le même projet s’affirme de bout en bout comme "ʺune tentative de refondation philosophique du vivre-­‐‑ensemble.”29 Plus précisément, cette refondation s’étaye sur une téléologie du désir. Lorsque Ricœur énonce que la visée de la "ʺvie bonne"ʺ est la clé de voûte de l’éthique de MacIntyre, il ne manque pas d’ajouter: "ʺ … comme elle l’est par ailleurs de la mienne.”30 La politique ne peut que s’enraciner dans les mœurs pour qu'ʹune telle visée se trouve "ʺà la base de la déontologie de la volonté.”31 On peut estimer que "ʺtoutes les interventions de Ricœur dans la Cité ont pour finalité de revivifier, de rajeunir, de retrouver le souffle initial du désir d’être porté vers l’action, vers le present.”32 Il désigne ce pouvoir que "ʺnous sommes sans le voir.”33 Sa conviction que "ʺl’histoire n’a pas de sens en soi mais en nous”34 ne semble pas avoir tiédi. Il apparaît d’autant plus significatif que cette visée s’accompagne, concomitamment à la formulation de la troisième figure du "ʺparadoxe politique,” d’une recherche de médiations politiques hors de l’Etat, d’un appel à une démocratie plus participative et à la déprofessionnalisation de la politique, ou encore du constat que l’Etat ne peut assumer seul le rôle de tiers-­‐‑arbitre de tous les conflits.35 L’affirmation de la primauté de l’axe horizontal du vivre-­‐‑ensemble sur l’axe vertical de la domination semble constituer le sens du projet et le libéralisme politique sa méthode. L’étude dans laquelle Ricœur évoque le pouvoir qu’est l’agir en commun fournit à cet égard des précisions importantes. Qu’est-­‐‑ce qui permet la visibilité dans l'ʹespace public du lien social qui n’est autre que l’oublié du politique, l’inter-­‐‑esse arendtien? L’oublié n’est pas une substance: notre pouvoir commun s’exerce par la publicité qui le rend visible sous la forme de l’échange d’opinion. La visibilité en question n’est autre que "ʺl’ouverture de l’échange.”36 Ainsi, la dimension épistémique du paradoxe politique de l’ "ʺenglobant/englobé"ʺ qui invite à discerner l’englobant à travers l’englobé n’est autre que la redécouverte de l’oublié porté au jour par l’échange d’opinions, opposées tant à la science qu'ʹà l'ʹillusion. La signification et la portée de la dernière formulation du "ʺparadoxe"ʺ mériteraient une étude entière. Il suffit de souligner ici que discerner l'ʹenglobant dans l'ʹenglobé s'ʹenracine chez Ricœur dans la dimension langagière de la métaphore vive. La pertinence d'ʹun sens nouveau émergeant d'ʹun énoncé d'ʹabord perçu comme "ʺbizarre"ʺ ne peut apparaître que dans le contexte d'ʹinterlocution à la faveur duquel l'ʹauditeur crédite le locuteur d'ʹune visée signifiante. Il en va de même du discernement de l'ʹenglobant dans l'ʹenglobé à partir de la portée plus générale attribuée au particulier quand il apparaît sous les traits de l'ʹexemplarité. Cela conduit à une dernière observation concernant le cap que s’assigne la pensée politique de Ricœur, cap tenu, nous semble-­‐‑t-­‐‑il, tout au long de son oeuvre. La tentative de cerner ce qu’est l’agir humain se traduit chez lui, non par une théorie de la connaissance – qui porterait sur des choses – mais par une théorie de la reconnaissance entre humains.37 L’enjeu est donc celui, non de la vérité, mais de la signification, de l’interprétation et de la confiance en l’attestation. L’agir en commun et l’échange d’opinions par lesquels l’oublié se manifeste ne relève donc pas d’un sens commun sociologique mais d’une éthique, d’une tâche dont dépend le Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 4, No 1 (2013) ISSN 2155-­‐‑1162 (online) DOI 10.5195/errs.2013.154 http://ricoeur.pitt.edu 173 Paul Ricœur sens de la communauté.38 S’il fallait discerner malgré tout un infléchissement dans le mode d’intervention de Ricœur entre ses premiers textes des années 30 et ceux du début du XXIe siècle, il pourrait tenir à l’accent que la sagesse pratique, à partir de Soi-­‐‑même comme un autre, mettra avec une croissante insistance sur la fragilité des institutions, tributaires de cette tâche.39 Entre marxisme(s) et libéralisme(s) La critique mutuelle que Ricœur met en scène entre les régimes de l’Est et de l’Ouest en vue de raviver l’un par l’autre leurs projets conduit à tenter maintenant de situer le sien propre par rapport aux principaux courants doctrinaux sous-­‐‑jacents. Pour être compris, le dialogue noué par Ricœur avec eux doit être lu sans perdre du vue les considérations qui précèdent sur l’importance de la dialectique entre idéologie et utopie qui structure l’imaginaire social. L’hypothèse qu’on se propose d’esquisser est que, vis-­‐‑à-­‐‑vis de chacun d’eux, la pensée politique de Ricœur se loge dans un entre-­‐‑deux, selon une posture dedans-­‐‑dehors qui se situe au lieu du dialogue entre traditions en présence qu’elle a, chacune, préalablement pluralisée en un bon versant et un mauvais. Le rapport au marxisme mériterait sans doute à lui seul une étude d’ensemble. L’approche se concentre ici sur la place de l’utopie dans le marxisme, qui fait l’objet de l’attention de Ricœur dans L’idéologie et l’utopie.40 Une distinction qu’il opère consiste à faire le partage entre le marxisme orthodoxe et la pensée de Marx lui-­‐‑même. Ricœur souligne que le premier considère l’aliénation religieuse comme une conséquence de l’aliénation économique tandis que, dans les Manuscrits de 1844, Marx soutient, avec la catégorie de totalité, que ce sont deux figures partielles constitutives d’un tout: deux figures analogiques du point de vue du concept de totalité du genre humain. De même, le concept de mode de production ne signifie pas, chez Marx, une production économique, mais l’activité créatrice en général, économique entre autres. Ricœur souligne que Engels et Lénine ont occulté, quant à eux, la catégorie de totalité conçue comme appropriation par l’humanité de ses force dispersées, ce qui a "ʺenglouti toutes les autres dimensions du concept de production en général"ʺ dans le concept de production économique,41 entraînant la "ʺmalencontreuse distinction"ʺ entre infrastructure et superstructure.42 Ces observations reconduisent au constat d’idéologisation d’une pensée. Mais la polarité n’est pas encore constituée par sa tension avec l’utopie. A propos du Troisième Manuscrit, Ricœur énonce que Marx y a pour originalité de développer la thématique de la suppression de l’aliénation de soi à travers le concept de communisme achevé. Le communisme n’a pas ici le sens politique et organisationnel qu’il prendra plus tard, il désigne le stade de l’histoire dans lequel l’aliénation a disparu. Il s’agit donc, note Ricœur, d’un jugement porté sur l’aliénation à partir d’un point de vue de nulle part. La notion de communisme achevé joue dans ce texte "ʺle rôle de l’utopie43.” Les marxistes, poursuit-­‐‑il, rejettent une telle lecture car l’utopie relève d’un "ʺsaut de l’imagination"ʺ dans l’ailleurs, alors qu’ils prétendent prendre appui sur le mouvement interne qui va de l’aliénation elle-­‐‑même à son dépassement.44 Ricœur semble inclure Marx lui-­‐‑même dans la catégorie de ceux qui soutiennent cette idée, mais il n’en reste pas là. Dans un "ʺeffort de compréhension"ʺ qui se veut non critique de la pensée de Marx,45 il relève que ce dernier formule explicitement à titre d’ "ʺhypothèse"ʺ l’idée de l’homme produisant l’homme avec la suppression de l’aliénation. C’est dire que Marx ne raisonne pas sans présupposition et qu’il s’agit en l’occurrence de celle "ʺd’un être humain libéré.”46 L’anticipation de la fin de l’aliénation dit quelque chose sur l’origine du processus d’objectivation, et c’est l’hypothèse de la suppression de Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 4, No 1 (2013) ISSN 2155-­‐‑1162 (online) DOI 10.5195/errs.2013.154 http://ricoeur.pitt.edu 174 Pierre-­‐‑Olivier Monteil l’aliénation qui révèle le concept d’objectivation. "ʺC’est donc un certain usage de l’utopie qui est l’instrument de la critique de l’idéologie.”47 On sait que cette idée ordonne l’ensemble de L’idéologie et l’utopie. Mais le statut d’hypothèse formulé par Marx lui-­‐‑même empêche de réduire le Troisième manuscrit à une simple illustration de la position que Ricœur défend et conduit à y repérer un mouvement explicite et intentionnel de la pensée marxienne. La position de Ricœur est donc en désaccord avec le marxisme classique et en proximité avec celle de Marx telle qu’elle ressort de cette lecture. Cependant, l’affinité semble disparaître à partir de L’idéologie allemande dont l’accent marxiste – et non plus pré-­‐‑marxiste – privilégie les entités objectives au détriment des individus impliqués dans ces processus. Marx ne parle plus de la puissance de la conscience. Référence ultime de l’analyse dans les Manuscrits, celle-­‐‑ci est désormais tenue pour relever entièrement de l’idéologie. Le premier plan est alors occupé par des entités anonymes, en lieu et place des représentations idéalistes et imaginaires centrées précédemment autour de la conscience. Toutefois, si ce marxisme-­‐‑là ne peut être le sien, Ricœur, par un nouvel effort de d’interprétation, vient troubler cette lecture: une autre est possible selon lui qui voit dans les entités collectives, non la base ultime que Marx aurait substituée à la puissance de la conscience, mais seulement "ʺla base d’une science objective.”48 Elles continueraient de reposer sur la vie réelle d’êtres vivants. La rupture épistémologique couperait l’humanité en son sein même au lieu de séparer conscience idéologique et entités collectives anonymes. Selon Ricœur, l’ambiguïté du texte autoriserait les deux interprétations sans que l’on puisse trancher entre elles et un Marx pré-­‐‑marxiste subsisterait en filigrane sous le texte marxiste. Cette lecture constitue bien sûr une critique de celle d'ʹAlthusser, comme il résulte des chapitres 7 à 9 du même ouvrage. Selon Ricœur, toute explication réduite à la dimension causale ou structurale des pratiques ne peut en effet qu'ʹéchouer à saisir un sens. La société ne peut donc s'ʹappréhender uniquement comme structure mais aussi comme innovation permanente et comme aventure. On ne saurait dès lors interpréter un sens du dehors comme la coupure épistémologique le postule. Une telle lecture s'ʹoppose sur un autre bord à celle du Marx de Michel Henry, ainsi qu'ʹil ressort de la préface, reprise dans Lectures 2, que Ricœur lui consacre en 1978. D'ʹaccord avec lui pour lire Marx en plaçant l'ʹindividu au centre en lieu et place des structures économiques et sociales qui en sont dérivées, il diverge pourtant en tenant que l'ʹagir ne saurait coïncider avec un faire. Sans quoi, en effet, il serait hétérogène à toute représentation, à laquelle on ne voit pas comment il accèderait. Pour Ricœur, la vie réelle des être vivants dont il s'ʹagit chez Marx intègre un ordre symbolique consubstantiel à l'ʹagir humain. Or ce réseau d'ʹintentions, de motifs, de règles et de normes qui rend l'ʹaction irréductible au simple mouvement recèle toujours une certaine visée d'ʹuniversalité: celle que Ricœur s'ʹattache à réhabiliter, contre Michel Henry et contre L'ʹidéologie allemande, en se référant au jeune Marx. Si Ricœur s’oppose au marxisme, il se situe donc en affinité avec l’utopie d’un être humain libéré telle que la prône un Marx pré-­‐‑marxiste, couche à ne pas recouvrir sous la celle du Marx ultérieur. Cette utopie confère au communisme le rôle de restaurer la totalité et l’intégrité de l’humanité, contre la division du travail. Cette philosophie dans laquelle le commencement prend sens à partir de la fin se caractérise par une circularité que Ricœur rattache explicitement à une herméneutique.49 Une approche interprétative par compréhension davantage que par explication conduit Marx, selon lui, à considérer l’aliénation économique et l’aliénation religieuse comme des figures analogiques, "ʺdes figures partielles qui constituent un tout.”50 Ricœur inscrit ainsi la pensée du jeune Marx en affinité étroite avec sa propre herméneutique – à moins que ce ne soit le contraire. Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 4, No 1 (2013) ISSN 2155-­‐‑1162 (online) DOI 10.5195/errs.2013.154 http://ricoeur.pitt.edu 175 Paul Ricœur La prise en compte de traditions en présence à corriger l'ʹune par l'ʹautre conduit à se tourner à présent du côté du libéralisme. Sur cet autre front, les rapports de Ricœur sont, là aussi, d’appartenance et de distanciation. Sa pensée se revendique pleinement d'ʹun libéralisme politique tout en introduisant dans cette tradition des variations critiques. Elle se préoccupe en premier lieu des conditions de la paix civile. A la question du comment vivre ensemble, elle apporte une réponse hantée par la violence. Née dans la tourmente des guerres de religions, l’éthique libérale trouve en Ricœur un héritier qui surenchérit par l’horreur des deux Guerres mondiales et des totalitarismes du Vingtième siècle. Il s’ensuit chez lui qu’un rôle central doit être attribué à l’Etat de droit en tant que détenteur du monopole de la force légitime et grand pacificateur à travers les âges de la violence privée même s'ʹil ne se départit jamais de sa charge de violence originelle (dimension réaffirmée au cœur même des développements consacrés à la sagesse pratique).51 Mais le souci de prévenir le tragique et le mal a pour corollaire la correction que l’adjectif "ʺlégitime"ʺ applique à la violence. Il s'ʹensuit la proposition symétrique qui assigne au citoyen une responsabilité de vigilance permanente à l’égard de l’Etat. Le libéralisme de Ricœur s’attache donc à prévenir le risque totalitaire. Son originalité est de s’y employer sans diaboliser le pouvoir ni s’illusionner sur lui: en le plaçant sous le signe de l’ambiguïté de la forme et la force (Eric Weil), de la violence et de l'ʹEtat de droit. Un tel pari englobe dans le sens du possible ce que ce dernier comporte aussi de meilleur. Le soupçon n’exclut pas la confiance. L'ʹEtat est capable de la plus grande rationalité comme de la plus grande irrationalité. On aura reconnu la première formulation du "ʺparadoxe politique.” Le libéralisme affirme l’autonomie de la société civile. Chez Ricœur, l'ʹattention aux discontinuités empêche toutefois de s’en remettre au seul intérêt personnel comme substrat de l’esprit public: l’échange marchand ne peut remplacer l’endettement mutuel car l’éthique démocratique qui irrigue le vouloir-­‐‑vivre ensemble ne procède pas de la seule réciprocité mais de la mutualité. C’est pourquoi il dénonce la "ʺconfusion catastrophique"ʺ entre libéralismes économique et politique.52 Le politique se définit par rapport à l’économique et au social, sous peine de perdre de vue la spécificité démocratique qui s’enracine dans l'ʹéthique.53 En outre, si Ricœur partage avec tant de penseurs du libéralisme un parti pris de confiance envers la pluralité humaine et l’idée d’une société libre conçue comme principe d’organisation, les conséquences qu’il en tire sont inédites. Il n’oppose pas la sécurité dans les jouissances privées à la participation politique, mais les englobe dans l’unité d’intention qui conduit de l’amitié au sens de la justice. Il remanie en profondeur la signification du rapport à l’institution en revisitant la question de l’autorité. L’obéissance peut intervenir en réponse à une autorité qui s’attache à faire croître en autonomie.54 Une reconnaissance mutuelle est possible entre citoyen et pouvoir démocratique. Conçue de la sorte, l’autorité fonde un ordre symbolique marqué par la fragilité de l’un et l’autre, qui fait du citoyen le gardien de la démocratie. L’autonomie de la société civile situe ses membres à l’opposé d’un apolitisme en les invitant à se comprendre comme responsables de la Cité et en devenir grâce à elle. Le pouvoir existe quand les hommes agissent ensemble; il s’évanouit quand ils se dispersent, cédant la place à la violence qu'ʹexerce alors le pouvoir vertical à proportion de la confiance qui lui manque. On retrouve ici la deuxième formulation du "ʺparadoxe politique"ʺ qui associe pouvoir horizontal de l’agir en commun et axe vertical de la domination. Elle explicite la complémentarité entre Etat et société civile en établissant la tension qui unit libéralisme et démocratie dans la double exigence de limiter le pouvoir et de le distribuer.55 Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 4, No 1 (2013) ISSN 2155-­‐‑1162 (online) DOI 10.5195/errs.2013.154 http://ricoeur.pitt.edu 176 Pierre-­‐‑Olivier Monteil En tant que doctrine pensée pour des individus libres, le libéralisme politique présente cette troisième particularité de ne pouvoir être une doctrine dogmatique.56 Ricœur se distingue à cet égard par la véhémence d'ʹun geste qui s’en prend à titre principal au dogmatisme potentiel que recèle l’idée de souveraineté. C’est le sens de sa discussion avec Claude Lefort. Bien avant elle, se trouvent simultanément relativisées la souveraineté de l’Etat et celle de l’individu par l’affirmation, dès "ʺLe paradoxe politique,” que le pacte fondateur de la Cité est une fiction qui n’a pas eu lieu, l’individu n'ʹétant qu'ʹ"ʺune esquisse d’homme"ʺ sans la médiation institutionnelle et son appartenance à un corps politique "ʺnécessaire à son épanouissement humain."ʺ57 Ricœur se distingue d’un individualisme atomistique comme d’un holisme nationaliste, ce qui conduit Bernard P. Dauenhauer, un peu hâtivement peut-­‐‑être, à qualifier son libéralisme de "ʺcommunautarien.”58 Le pluralisme des traditions se traduit par la définition du bien commun en termes de compromis. La pensée élargie discerne l’universel dans le particulier, elle entrevoit du public à partir du privé. On aura reconnu la troisième formulation du "ʺparadoxe politique"ʺ en "ʺenglobant/englobé.”59 Ces notions générales étant posées, il n’est pas inutile de retracer les termes du débat avec Claude Lefort, qui permettent d’expliciter tout à fait l’intention de Ricœur. Ce dernier fait sien le plaidoyer de Lefort en faveur d’une "ʺindétermination dernière quant au fondement de la Loi et du Savoir et au fondement de la relation de l’un avec l’autre dans tous les registres de la vie sociale.”60 Pour Lefort, la démocratie se révèle ainsi comme "ʺsociété historique par excellence"ʺ qui accueille et préserve l’indétermination, "ʺen contraste remarquable avec le totalitarisme.” Celui-­‐‑ci, en s’édifiant sous le signe de la création de l’homme nouveau, s’agence contre cette indétermination, prétend détenir la loi de son organisation et "ʺse dessine secrètement dans le monde moderne comme société sans histoire.”61 Mais Ricœur ne considère pas cette indétermination comme "ʺle dernier mot”62 de la question. Il fait valoir que les hommes ont des raisons de préférer au totalitarisme un régime aussi incertain de son fondement que la démocratie. Ces raisons entremêlent des prétentions à l’universalité et des contingences historiques dans ce qu’il appelle, après Rawls, un "ʺconsensus par recoupement.” Face à la crise de la légitimation démocratique, il souligne "ʺqu’il n’y a rien de mieux à offrir"ʺ que la réminiscence et l’entrecroisement dans l’espace public des traditions sédimentées sur leur socle qui font "ʺune place à la tolérance et au pluralisme, non par concessions à des pressions externes mais par conviction interne.”63 En insistant sur ce qu’un tel fondement comporte de contingent, il s’agit d’en faire le contraire d’un absolu, ce dont le "ʺcentre vide"ʺ proposé par Lefort semble encore comporter la trace. Cette intention se traduit chez Ricœur par l’évocation des traditions dans leur diversité pluraliste et par la notion de "ʺcofondation"ʺ ou de "ʺmulti-­‐‑fondation.”64 Le "ʺcentre vide"ʺ reste marqué par la logique verticale de la domination; il faut lui substituer la perspective de la dynamique horizontale du vivre ensemble dans des institutions justes. Le fondement du politique, on l'ʹa dit, est une tâche. La menace à éviter est clairement signalée: c’est "ʺl’aventure de la Terreur et des totalitarismes qui ont prétendu repartir à zero.”65 Partageant la même préoccupation que Lefort, Ricœur radicalise la réplique dans le souci que les citoyens ne soient jamais en situation de "ʺpouvoir engendrer le pouvoir à partir d’eux-­‐‑mêmes”66 -­‐‑ comme le vide y autoriserait encore. Il fait donc valoir que le pouvoir est toujours fondé sur "ʺl’antériorité de lui-­‐‑
même par rapport à lui-­‐‑même.”67 S’il faut parler de fondation, il s’agira plutôt, en sympathie arendtienne, d’ "ʺévénements fondateurs"ʺ marqués avec ce pluriel par la dimension du multiple et référés à l’origine fuyante d’un immémorial qui n’indique pas un commencement daté. Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 4, No 1 (2013) ISSN 2155-­‐‑1162 (online) DOI 10.5195/errs.2013.154 http://ricoeur.pitt.edu 177 Paul Ricœur Enfin, le libéralisme tend à s’affirmer comme une "ʺdoctrine négative"ʺ de résistance au pouvoir et de défense du pluralisme.68 Ici encore, Ricœur s’en démarque, appelant à une remémoration critique des héritages destinée à rouvrir les traditions contre les durcissements idéologiques qui accompagnent la domination. Ce geste en direction des potentialités inachevées du passé doit être saisi dans sa pleine portée qui vise, dans le présent, à "ʺlibérer le fond de bonté.”69 Aussi radical que soit le mal, il n’est pas aussi profond que la bonté. Les réflexions politiques des années 50 et 60 déploient, on l'ʹa vu, une critique de la démocratie bourgeoise et du stalinisme présentés comme deux "ʺnon"ʺ ossifiés que Ricœur s’attache à raviver l’un par l’autre. Un tel agencement présuppose chez les protagonistes une capacité à redécouvrir l’élan affirmatif du vivre-­‐‑ensemble sous la couche sédimentée du négatif. Evaluons le chemin parcouru. En tant qu'ʹherméneute, Ricœur appelle à l'ʹémergence conjointe des promesses non tenues du mouvement médiéval d'ʹémancipation des villes et de l'ʹhypothèse de l'ʹhumanité désaliénée qu'ʹenvisage le jeune Marx. Pour qu'ʹémerge l'ʹélan initial de ces utopies sous les sédimentations de l'ʹidéologie, il fallait donc s'ʹen prendre au marxisme officiel et il faut encore critiquer sans relâche le capitalisme parce que l'ʹun et l'ʹautre compromettent l'ʹautonomie du politique par le rôle attribué, qui au Parti, qui au marché. Aussi le projet de Ricœur articule-­‐‑t-­‐‑il la démocratie comme projet et le libéralisme politique comme méthode, en sorte que ce dernier, en empêchant les empiètements entre les sphères de l'ʹavoir, du pouvoir et du valoir, permette que se ravive le sens du vivre-­‐‑ensemble dans l'ʹespace public. Ce dernier point résulte pourtant d'ʹun choix quant à ce qui doit faire médiation entre les termes de la polarité ainsi campée. La confrontation se fait-­‐‑elle au sein de l'ʹEtat ou dans la société civile? Après une longue hésitation, l'ʹarbitrage est prononcé en 1956 en faveur de la seconde, dans "ʺ Le paradoxe politique"ʺ qui consacre l'ʹoption définitive de Ricœur pour un libéralisme politique. Cela conduit à avancer l'ʹhypothèse suivante: une manière de situer sa pensée politique par rapport aux doctrines instituées serait de la considérer comme un mixte de libéralisme politique et de socialisme, à l'ʹégard duquel Ricœur avoue par ailleurs des "ʺallégeances"ʺ non moins fidèles (selon son expression de La critique et la conviction). Monique Canto-­‐‑Sperber argumente dans le sens de ce mixte dans un livre dont il n'ʹest pas anodin qu'ʹil soit dédié à Ricœur. Pour l'ʹauteur, cette double référence au libéralisme et au socialisme est celle de Jaurès, Blum, André Philip, Mendès France ou Rocard.70 Il est vrai que Ricœur se réclame du socialisme sans davantage le spécifier. Mais il s'ʹagit sans doute moins pour lui de se référer à une pensée précise, moins encore à une doctrine, que d'ʹétablir une tension dialectique entre des termes qui s'ʹéclairent l'ʹun par l'ʹautre comme des figures en dialogue: sens du collectif, d'ʹun côté, sous le signe d'ʹune éthique démocratique conçue comme "ʺendettement mutuel"ʺ; primauté de l'ʹautonomie, de l'ʹautre, sous le signe de l'ʹinsubstituable de l'ʹidentité et de l'ʹaudace de penser par soi-­‐‑même. Les variations introduites par Ricœur dans la pensée du libéralisme résulteraient ainsi de la confrontation avec son opposé. Sa critique de la pensée du contrat ne vaut-­‐‑elle pas dénonciation de la confiance excessive avec laquelle le libéralisme contractualiste proclame l’individu souverain, soustrait ou invulnérable à l’influence du social? Ricœur mise au contraire sur cette dernière pour entretenir une éthique qui prépare le citoyen. Cela suppose de ne pas rabattre le libéralisme sur sa version économique et, symétriquement, de considérer le socialisme comme une philosophie de la liberté avant d'ʹêtre un étatisme. Révéler le fond de bonté de l’un et l’autre déplace l'ʹattention du politique à l'ʹéthique, qui lui communique sa visée. Un éclairage nous est alors fourni en superposant la polarité politique entre libéralisme politique et socialisme et la "ʺpetite éthique"ʺ de Soi-­‐‑même comme un autre qui en constitue le soubassement. La téléologie Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 4, No 1 (2013) ISSN 2155-­‐‑1162 (online) DOI 10.5195/errs.2013.154 http://ricoeur.pitt.edu 178 Pierre-­‐‑Olivier Monteil du désir se traduit en liberté politique et l'ʹinconditionné de la norme en souci de l'ʹégalité, tandis que la sagesse pratique qui les articule tend à dénouer la tension de ce doublet conflictuel en appréhendant le vouloir vivre ensemble comme "ʺpratique de la fraternité.” Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 4, No 1 (2013) ISSN 2155-­‐‑1162 (online) DOI 10.5195/errs.2013.154 http://ricoeur.pitt.edu 179 Paul Ricœur 1
Voir Jacques Le Goff, "La pensée du social,” in Paul Ricœur: la pensée en dialogue, eds. J. Porée et G.
Vincent (Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2010), 237-238.
2
Philippe Portier, "La question politique,” in Paul Ricœur: la pensée en dialogue, 210.
3
Voir Johann Michel, Paul Ricœur: Une philosophie de l’agir humain (Paris: Cerf, 2006), 384-394 et Johann
Michel, "Le libéralisme politique de Paul Ricœur à l’épreuve des totalitarismes,” Cités, n°33 (mars
2008): 17-30.
4
Michel, Paul Ricœur: Une philosophie de l'agir humain, 393.
5
Michel, Paul Ricœur: Une philosophie de l'agir humain, 393.
6
Michel, Paul Ricœur: Une philosophie de l'agir humain, 394.
7
Voir Gilbert Vincent, "Pluralité, dialogisme et institutions,” in Paul Ricœur: la pensée en dialogue, 257.
8
Reprise dans Paul Ricœur, Du texte à l’action (Paris: Points Seuil, 1998), 433-448.
9
Voir par exemple, Ricœur, Du texte à l’action, 436-437.
10
Paul Ricœur et Michel Rocard, "Justice et marché,” Esprit, n°1 (janvier 1991): 8.
11
Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance (Paris: Stock, 2004), 292.
12
Paul Ricœur, "Le paradoxe de la liberté politique,” in La liberté, collectif (Institut canadien des affaires
publiques, 1959), 51-55.
13
"Quo vadis?,” entretien avec Yvanka B. Raynova, Labyrinth, vol. 2 (hiver 2000).
14
Paul Ricœur, "La Cité est fondamentalement périssable: Sa survie dépende de nous,” entretien avec
Roger-Pol Droit, Le Monde du 29 octobre 1991, repris dans La compagnie des contemporains.
Rencontres avec des penseurs d’aujourd’hui, ed. R.-P. Droit (Paris: Odile Jacob, 2002), 37.
15
Portier, "La question politique,” 197.
16
En ce sens, Ricœur invite ses lecteurs en 1968 à se montrer des "réformistes hardis" pour "rester
révolutionnaires.” Voir "Réforme et révolution dans l’Université,” Le Monde des 9-11-12 juin 1968,
repris dans Lectures 1 (Paris: Seuil, 1991), 380-397.
17
Repris dans Lectures 1, 69-73.
18
Ricœur, Lectures 1, 70.
19
Ricœur, Lectures 1, 70.
20
Paul Ricœur, "La crise du socialisme,” Christianisme social, n°12 (décembre 1959): 695-702.
21
Ricœur, "La crise du socialism," 696.
22
Ricœur, "La crise du socialism," 696.
23
Ricœur, "La crise du socialism," 698.
24
Voir Paul Ricœur, "La crise de la démocratie et la conscience chrétienne,” Christianisme social, n°4 (mai
1947): 320-331.
25
Voir, respectivement, en ce sens Paul Ricœur, "Certitudes et incertitudes de la révolution chinoise"
(1956) et "Note critique sur "Chine, porte ouverte"" (1956), repris dans Lectures 1, 315-340 et 341356, "Les aventures de l’Etat et la tâche des chrétiens" (1958), repris dans Autres Temps, n°76-77
Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 4, No 1 (2013) ISSN 2155-­‐‑1162 (online) DOI 10.5195/errs.2013.154 http://ricoeur.pitt.edu 180 Pierre-­‐‑Olivier Monteil (printemps 2003): 79-89, et les débats consécutifs à "Approche philosophique du concept de liberté
religieuse" in l’Herméneutique de la liberté religieuse, actes du congrès international, Rome, janvier
1968, Archivio de filosofia 38 (1968): 215-234 (débats non reproduits dans Le conflit des
interprétations, où la communication est reprise sous le titre: "La liberté selon l’espérance").
26
Paul Ricœur, "Du marxisme au communisme contemporain,” Christianisme social, n°3-4 (mars-avril
1959): 151-159.
27
Johann Michel met en doute l’existence d’une forme non pathologique de l’imaginaire social telle que
l’idéologie intégrative, et ne conçoit d’emblée qu’une idéologie à fonction de domination ou de
dissimulation. Mais Ricœur lève cette objection lui-même en précisant que l’idéologie intégrative
fonctionne par le biais des deux autres. Si nous percevons l’effet de distorsion idéologique, c’est bien
par rapport à un système symbolique intégratif non pathologique, sans distorsion, que simultanément
nous reconnaissons. Voir Johann Michel, "Le paradoxe de l’idéologie revisité par Paul Ricœur,” Raisons
pratiques, n°11 (août 2003): 149-172 et Paul Ricœur, L’idéologie et l’utopie (Paris: Points Seuil,
2005), 350.
28
Voir Paul Ricœur, "L’appel de l’action: Réflexion d’un étudiant protestant,” Terre nouvelle, organe des
chrétiens révolutionnaires, n°2 (juin 1935): 8.
29
Michel, Paul Ricœur: Une philosophie de l'agir humain, 10.
30
Ricœur, Parcours de la reconnaissance, 155.
31
Paul Ricœur, "Le bonheur hors lieu," in Où est le bonheur?, ed. R.-P. Droit (Paris: Le Monde Editions,
1994), 328 (ou encore p. 332). La même idée se retrouve dans Soi-même comme un autre (Paris:
Points Seuil, 1996), 201-202 et 227, dans La critique et la conviction: Entretien avec François Azouvi
et Marc de Launay (Paris: Calmann-Lévy, 1995), 240 ou encore dans Parcours de la reconnaissance,
219, comme dans nombre d’autres études parce qu’elle constitue l’axe majeur de la pensée politique
de Ricœur.
32
Voir François Dosse, Paul Ricœur: Un philosophe dans son siècle (Paris: A. Colin, 2012), 252.
33
Paul Ricœur, "Pouvoir et violence" (1989), repris dans Lectures 1, 33.
34
Paul Ricœur, "Le chrétien et le sens de l’histoire" (1946), repris dans Autres Temps, n°76-77 (printemps
2003): 28.
35
Voir sur ces différents points Paul Ricœur, "La pluralité des instances de justice" (1995), repris dans Le
Juste (Paris: Editions Esprit, 1995), 121-142, La Critique et la conviction, 99 sq., “Le gardien des
promesses d’Antoine Garapon” (1996), repris dans Le Juste 2 (Paris: Editions Esprit, 2001), 192 et “Le
juste, la justice et son échec” (2004), repris dans Cahiers de L’Herne Ricœur, t.2, ed. Myriam Revault
d’Allonnes et François Azouvi, Cahiers de L’Herne Ricœur, t.2 (Paris: Points Seuil, 2004), 254.
36
Voir Paul Ricœur, "Pouvoir et violence,” in Lectures 1, 33.
37
Voir sur ce point en particulier Michaël Foessel et Olivier Mongin, Paul Ricœur: De l’homme coupable à
l’homme capable (Paris: ADPF Editions, 2005), 45 sq.
38
La distinction entre le "sens commun" d’une communauté empirique et un "sensus communis" à michemin entre éthique et morale, qu’on trouve chez Hannah Arendt, est commentée par Ricœur dans
"Jugement esthétique et jugement politique selon Hannah Arendt" (1995), repris dans Le Juste, 143161.
Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 4, No 1 (2013) ISSN 2155-­‐‑1162 (online) DOI 10.5195/errs.2013.154 http://ricoeur.pitt.edu 181 Paul Ricœur 39
40
Voir Dosse, Paul Ricœur: Un philosophe dans son siècle, 250-251.
Ricœur, L'idéologie et l'utopie, chapitres 2 à 6. Dans les années 30, Ricœur s’expliquait avec Marx
essentiellement pour répliquer à sa critique de la religion. Cela consistait en particulier à distinguer
entre un "usage social du christianisme" dont Ricœur estimait "non douteux" que le rôle historique
avait été, au XIXe siècle, celui d’une "gendarmerie ecclésiastique,” et une "vérité du christianisme" qui
ne s’y réduit pas. Voir Paul Ricœur, "Nécessité de Karl Marx,” ETRE, 1937-1938, n°5, 11. Dans
L’idéologie et l’utopie, la démarche s’inverse mais la méthode est reconduite. En effet, Ricœur applique
la distinction entre vérité et usage (sans utiliser ces termes) cette fois à la pensée de Marx.
41
Ricœur, L'idéologie et l'utopie, 99.
42
Ricœur, L'idéologie et l'utopie, 92.
43
Ricœur, L'idéologie et l'utopie, 87.
44
Ricœur, L'idéologie et l'utopie, 87.
45
Ricœur, L'idéologie et l'utopie, 87.
46
Ricœur, L'idéologie et l'utopie, 93.
47
Ricœur, L'idéologie et l'utopie, 94.
48
Ricœur, L'idéologie et l'utopie, 94.
49
Ricœur, L'idéologie et l'utopie, 67 et 90. L’affinité profonde que Ricœur discerne entre la philosophie de
Marx et la sienne propre se traduit, avant la "greffe" de l’herméneutique sur la phénoménologie, en un
parallélisme selon lequel Ricœur voit alors dans le marxisme un mode de pensée "qui est à l’économie
scientifique ce que la phénoménologie est à la psychologie.” Voir Paul Ricœur, “Du marxisme au
communisme contemporain,” Christianisme social, n°3-4 (mars-avril 1959), 154.
50
Ricœur, L'idéologie et l'utopie, 91.
51
Ainsi à propos du compromis ou sur l’agir métaphorique. Sur le premier point, voir par exemple Paul
Ricœur, "Pour une éthique du compromis,” propos recueillis par Jean-Marie Muller et François Vaillant,
Alternatives non-violentes, n°80 (octobre 1991). Sur le second, voir Paul Ricœur, "Jugement
esthétique et jugement politique selon Hannah Arendt" (1994), repris dans Le Juste, 143-161. Cette
méditation sur le schématisme kantien et l’agir métaphorique s’achève en effet sur l’indication de sa
limite et le relais qui doit être pris au-delà par le droit.
52
53
Voir par exemple Paul Ricœur, "Ethique et politique" (1983), repris dans Du texte à l’action, 437.
On ne peut que signaler au passage que cette conception ternaire des rapports entre économie,
politique et éthique se retrouve dans les réflexions de Paul Ladrière et Claude Gruson sur l’économie et
sa gouvernabilité, deux auteurs avec lesquels Ricœur a beaucoup échangé. Voir en ce sens par
exemple Paul Ladrière et Claude Gruson, Ethique et gouvernabilité: Un projet pour l’Europe (Paris:
PUF, 1992).
54
Tel est le terrain sur lequel se fonde l’insoumission. C’est par ailleurs la réplique implicite à Freud
lorsqu’il définit comme “impossibles ” les trois métiers qui consistent à éduquer, psychanalyser et
gouverner parce qu’ils visent à produire un changement qui ne peut opérer sans le consentement de
l’intéressé.
Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 4, No 1 (2013) ISSN 2155-­‐‑1162 (online) DOI 10.5195/errs.2013.154 http://ricoeur.pitt.edu 182 Pierre-­‐‑Olivier Monteil 55
Ainsi que les définit respectivement Norberto Bobbio. Voir sur ce point Norberto Bobbio, Libéralisme et
démocratie (Paris: Cerf, 1996), 16.
56
Voir Catherine Audard, Qu’est-ce que le libéralisme? (Paris: Gallimard, 2009), 734. Cette caractéristique
est, avec le souci de la paix civile et le rôle de gardien de l’ordre social assigné au citoyen, au nombre
des valeurs que l’auteur, en conclusion de son enquête, identifie comme “relativement stables ” pardelà la diversité des formes que revêt le libéralisme à travers les époques.
57
Paul Ricœur, "Qui est le sujet de droit?" (1995), in Le Juste, 39.
58
Voir Bernard P. Dauenhauer, “Ricœur and the Tasks of Citizenship ” in Paul Ricœur and Contemporary
Moral Thought, eds. J. Wall, W. Schweiker and W. D. Hall (New York and London: Routlege, 2002),
238.
59
De cette conception, se déduit une méthode. A titre d’exemple historique, on peut porter à son crédit la
mission de dialogue envoyée en Nouvelle-Calédonie par le Premier ministre Michel Rocard en 1988. A
ce sujet, ce dernier insiste sur le fait qu’à deux exceptions près, les personnalités qui la composaient
ne représentaient pas l’Etat mais des figures investies d’une autorité morale et personnelle issues de
traditions diverses (catholique, protestante et franc-maçonne). Les fils du dialogue renoués, Rocard
salue le succès d’une volonté de “reconnaissance mutuelle de communautés,” tandis que le dirigeant
kanak
Jean-Marie
Tjibaou
conclut:
"La
souveraineté,
c’est
la
capacité
de
négocier
les
interdépendances." Voir Michel Rocard, "Si ça vous amuse.” Chronique de mes faits et méfaits (Paris:
Flammarion, 2010), 157.
60
Citation issue de Claude Lefort, Essais sur la démocratie (Paris: Seuil, 1986), 29. Ricœur s’y réfère dans
Soi-même comme un autre (p. 303) et dans "Langage politique et rhétorique" (1990), repris dans
Lectures 1, 174.
61
Lefort, Essais sur la démocratie, 25. Ricœur se réfère également à ce passage dans les textes précités.
62
Ricœur, Soi-même comme un autre, 303.
63
64
183 Ricœur, Soi-même comme un autre, 304.
Ricœur parle ainsi d’une "multifondation, une diversité de traditions religieuses et laïques, rationnelles et
romantiques, se reconnaissant mutuellement comme dignes d’être cofondatrices sous le double
auspice des principes de recoupement par consentement et de reconnaissance des désaccords
raisonnables.” Voir Paul Ricœur, "Le paradoxe de l’autorité," (1995), repris dans Le Juste 2, 123.
65
Paul Ricœur, "Le gardien des promesses d’Antoine Garapon" (1996), repris dans Le Juste 2, 189.
66
Ricœur, La critique et la conviction, 157.
67
Ricœur, La critique et la conviction, 157.
68
Voir sur ce point Audard, Qu’est-ce que le libéralisme?, 734.
69
Voir Paul Ricœur, "Libérer le fond de bonté,” Actualités des religions, n°44 (décembre 2002).
70
Voir Monique Canto-Sperber, Les règles de la liberté (Paris: Plon, 2003).
Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 4, No 1 (2013) ISSN 2155-­‐‑1162 (online) DOI 10.5195/errs.2013.154 http://ricoeur.pitt.edu 

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