Les 40 ans du CAMSP de Brune - Fondation Hospitalière Sainte Marie

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Les 40 ans du CAMSP de Brune - Fondation Hospitalière Sainte Marie
Les 40 ans du CAMSP de Brune
Roger SALBREUX*
V
ous souhaitez fêter les 40 ans d’existence du CAMSP de l‘Institut de
Puériculture de Paris : formellement vous avez tout à fait raison, mais
sur le plans concret, c’est 45 ans qu’il faudrait dire ! C’est en effet en
septembre 1970 que Pierre SATGÉ m'a appelé Boulevard Brune, pour fonder
avec la regrettée Monique HYON-JOMIER, Michel le MÉTAYER et
Geneviève BLANC et l’aide de deux puéricultrices Mesdemoiselles CASTEL et
MOREAU, ce qui devait devenir le premier des Centres d'action médicosociale précoce, avant même que la réglementation ne définisse les CAMSP. À
partir de cette date, nous avons fonctionné de façon sauvage, d’abord comme
consultation de PMI, puis comme CMPP. Avant de raconter la naissance des
CAMSP et celle du CAMSP de l’IPP, il me semble nécessaire de faire un détour
par l’état des idées à l’époque.
Quelques repères historiques
On a aujourd'hui du mal à se souvenir qu'après les Ordonnances de 1945 sur
la Sécurité sociale, non seulement on vouait la prévention à devenir le parent
pauvre du système de santé1, mais encore on fermait implicitement la porte de
la prise en charge aux "chroniques", leur seul statut possible étant alors celui
de l'invalidité. Conceptuellement, on était à ce moment-là fortement influencé
par l'effort de réhabilitation et d'indemnisation que la "nation reconnaissante"
devait aux blessés de deux conflits mondiaux, comme la pension aux veuves
de guerre. Ces notions s'avérèrent totalement inapplicables aux enfants, que
l'on désignait volontiers alors comme des "encéphalopathes" incurables2 et
considérait comme des erreurs de la nature, qui encombraient" les lits de
pédiatrie des Hôpitaux de Paris et qui étaient finalement destinés aux pavillons
de "défectologie" des asiles.
*
Pédopsychiatre, ex-Secrétaire général du Conseil National Handicap,
8, avenue de l’Opéra, 75001 Paris.
Secrétaire de rédaction de la revue « Contraste », ANECAMSP,
10, rue Érard, 75012 Paris.
Délégué pour la France de l’Association internationale de recherche
scientifique en faveur des personnes handicapées mentales (AIRHMFrance), 240, boulevard Voltaire, 75011 Paris.
1 Censé à l'époque permettre aux accidentés et aux malades de retrouver leur capacité de
travail.
2 Le mot administratif employé en ce temps-là était : "irrécupérable" ;
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1
En 1967, dans un rapport resté célèbre, F. BLOCH-LAINÉ (1968) employait
pour la première fois en France, le mot de handicap, dans un sens voisin de
son étymologie hippique3, attirant l’attention sur la déshérence où se
trouvaient les enfants et les personnes handicapées. Presque simultanément,
en 1965, un groupe de personnes4 intéressées par l'infirmité motrice cérébrale,
se rendait à Berne (Mmes M. HYON-JOMIER, J. LÉVY, MM. P. LECŒUR et
R. SALBREUX), à la consultation du Docteur E. KÖNG, instaurée récemment
pour le dépistage et le traitement précoces des bébés à risque. Le premier rappel
constitue à mon avis un tournant dans la pensée contemporaine, nous faisant
passer de la notion ancienne d'assistance à celle, plus moderne, d'égalisation des
chances. L'expédition Bernoise relatée ensuite, correspond à une autre mutation
de l'approche médicale, incluant désormais les notions de risque et de prévention
dans la gestion du développement de l'être humain, avant même les premiers
signes précis de la maladie. Tenter de réduire la pesée des facteurs invalidants
et le surcroît de désavantage social, qui résultaient alors du caractère trop tardif
du diagnostic et de la prise en charge des maladies ou séquelles génératrices de
retard ou de déviation de ce développement devenait par là même une
nécessité.
C'est donc à l'interface de ce double mouvement d'idées qui a traversé les
années 60 à 80 que s'est située la naissance des Centres d'action médicosociale précoce (C.A.M.S.P.), comme une tentative de "réduire le handicap",
donc d'égaliser les chances, par une intervention résolument en amont des
pathologies constituées, par la mise en œuvre de la prévention primaire,
secondaire et tertiaire, au besoin sur des indicateurs de risque et sans attendre
les certitudes diagnostiques. Par bien des points similaire à la démarche qui a
permis la création des Secteurs de psychiatrie infanto-juvénile, celle des
C.A.M.S.P. est cependant restée beaucoup plus lente dans sa montée en
puissance, puisqu’il a fallu plusieurs enquêtes, la mienne en 1995 et celle de la
CNSA en 2008 pour décider les Pouvoirs publics à financer, d’ailleurs plus que
modestement, la couverture de l‘ensemble des départements : on est ainsi
passés de 170 C.A.M.S.P. en 1995 à plus du double aujourd’hui.
Parallèlement, plusieurs chercheurs s'efforçaient de conceptualiser les rapports
entre déficience, incapacité et désavantage social. En tout premier lieu, Z. STEIN
et M. SUSSER (1974), évoquaient ces trois facettes dans l'adaptation des
déficients intellectuels, P.H.N. WOOD (1975-1980) les reprenait à propos des
différents niveaux d'expérience de vie du sujet, tandis que P. MINAIRE et
J.-C. CHERPIN (1976), parlaient à ce propos de handicap situationnel. Tous
3
Sur les champs de courses, handicaper un cheval signifie l'alourdir ou lui donner une
distance supplémentaire à parcourir, afin que tous les concurrents aient des chances égales
d'arriver en tête au poteau, comme si l'on avait tiré leur numéro d'un chapeau (the hand in
cap).
4 Mmes M. HYON-JOMIER, J. LÉVY, MM. P. LE COEUR et R. SALBREUX.
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insistent sur la distinction fondamentale entre aspect médical (ou
psychologique), fonctionnel et social, le handicap étant finalement conçu
comme le versant social des deux autres niveaux d'expérience. Pourtant
d’autres conceptions demeuraient possibles : c'est ainsi qu'en 1972, aux ÉtatsUnis, W. WOLFENSBERGER publiait son livre sur la normalisation où il
affirmait que l’on n’est handicapé que dans le regard des autres !
Bien que réclamée depuis 1965, l'action des Pouvoirs publics pour favoriser le
dépistage et la prise en charge précoces des bébés à risque, prévenir l'aggravation
secondaire et la chronicisation, puis le rejet de ces enfants, a été très lente à se
concrétiser, malgré une compréhension évidente de mes interlocuteurs.
Personnellement, j'ai organisé le 20 Juin 1967 à Paris un colloque avec Mmes
les Docteurs A. GRISONI-COLLI5, M. HYON-JOMIER6 et S. SAINT-ANNE
DARGASSIES7 et ai effectué au moins une vingtaine de démarches auprès de
Mme H. FARÇAT8, de MM. J. SIBILEAU9, F. PAVARD10 et d'autres, pour
aboutir le 27 Novembre 1969 à une audience accordée par Mademoiselle M.M.
DIENESCH, alors Secrétaire d'État à l'Action Sociale et à la Réadaptation. Dès
1970, une Commission a été mise en place pour créer et mettre au point la
réglementation des C.A.M.S.P. Elle était composée, en plus des représentants
des Services concernés, de Mmes et MM. les Docteurs M. DANZIG,
J. J. HAZEMANN, E. ZUCMAN et de moi-même. Cependant, les travaux
piétinaient, car beaucoup de nos collègues psychiatres voyaient dans ce projet
de décret (déjà rédigé fin 1970), destiné à autoriser ces nouvelles structures,
une concurrence possible à la création des Intersecteurs de psychiatrie
infanto-juvénile, lesquels avaient également bien des difficultés à se mettre en
place.
De même il faut convenir que l'air du temps était beaucoup plus favorable à la
famille et à l'école qu'aux institutions, fussent-elles nouvelles et ambulatoires.
Si bien que quelques centres ont ouvert de façon spontanée des "consultations
hospitalières" ou proches des hôpitaux, assurant déjà la mission qui sera par la
suite celle des C.A.M.S.P. Ceci sera le cas notamment en 1970 à l'Institut de
Puériculture de Paris, grâce à la clairvoyance du Professeur P. SATGÉ et, dès
l’année suivante, dans un Centre de rééducation fonctionnelle de l'Entraide
Universitaire, 173 bis, rue de Charenton, également à Paris, grâce au dynamisme
de Mme J. LÉVY.
5 Professeur à l'Institut neurologique de Milan ;
6 Assistante dans le Service du Professeur G. TARDIEU ;
7 Assistante dans le Service du Professeur A. MINKOWSKI,
Maître de recherche à
l'I.N.S.E.R.M.;
8 Sous-directeur des problèmes médicaux de la maternité et de l'enfance ;
9 Conseiller technique auprès du Cabinet de M.M. DIENESCH ;
10 Directeur du cabinet de M.M. DIENESCH.
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3
Finalement, c'est à l'occasion de la préparation de la Loi d'orientation en
faveur des personnes handicapées du 30 Juin 1975, qu'a pu être soumis à la
Représentation nationale un article 3 engageant l'État à créer des structures
vouées à la prévention, au dépistage et à l'accompagnement précoces des
situations à risque de handicap. Le décret pouvait donc enfin sortir : ce fût fait
le 15 Avril 197611.
L’annonce
À peine avions-nous commencé que l’équipe et moi-même nous sommes vite
aperçus que l'annonce de la maladie ou du handicap représentait un moment
clé de l’évolution, dans la mesure où allait forcément en dépendre tout l'avenir
des relations des familles, puis des personnes concernées, avec le corps
médical ou le corps social. J’ai tout de suite saisi l’importance du poids de ces
premiers mots, qui se gravent dans la mémoire comme dans le marbre
(R. SALBREUX, 1979, 2006). Même distillées avec prudence, les informations
que la famille pouvait légitimement attendre, n’étaient guère entendues, au
moins jusqu’à un certain seuil, variable d’une parenté à l’autre, en fonction de
son passé, de ses angoisses, de sa culture. Puis brusquement ces éléments
faisaient irruption dans l’entretien, comme s’ils venaient subitement confirmer
quelque chose d’enfoui, surgissant alors à la conscience de façon traumatique,
ce dont témoigne le refus, fréquemment observé, d’en entendre davantage.
Plus tard, en parlant avec des sages-femmes en formation, j'ai eu la
confirmation qu’effectivement, telles "les bonnes ou les mauvaises fées", les
premières paroles médicales prononcées à cette occasion, marquent les
familles plus ou moins définitivement. Ce que les familles souhaitent, au fond,
c’est un enfant aussi normal que possible et qui puisse, dans un certain désir
d’éternité, réaliser ce à quoi elles auraient voulu parvenir elles-mêmes, bref
prolonger leur lignage par un enfant qui réussisse aussi bien, sinon mieux
qu’elles-mêmes.
Au pied de la lettre, l'annonce pourrait se concevoir comme un "dévoilement"
à l’instant où les événements se produisent ou apparaissent. En réalité, elle a
besoin de la durée, car sa vérité ne peut être assimilée que si elle peut être
élaborée et, de ce fait, le temps devient un des facteurs déterminants de la
gestion de l'annonce. En pratique, elle doit être comprise comme un processus
qui s’étale pratiquement sur toute la vie : à chaque étape importante du
développement ou de l’existence, sa problématique refait surface. Enfin,
l’annonce, loin d’être une révélation ponctuelle, doit être distillée à toute la
famille, à la mère, au père, à l'enfant, aux frères et sœurs, aux grands-parents :
11
Annexe XXXII bis, ajoutée par le décret n° 76-389 du 15 avril 1976 au décret n° 56-284
du 9 mars 1956.
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c'est un phénomène dont on a peut-être sous-estimé le rôle dans l'identité
familiale.
Ce sur quoi je voudrais également insister ici, c’est l’approche coconstructive à laquelle nous nous sommes sentis obligés de recourir pour
essayer de diminuer le traumatisme de l’annonce et instaurer le climat de
confiance indispensable pour mettre en œuvre les mesures et
l’accompagnement nécessaires. La technique utilisée pour y parvenir s’appuie
sur un entretien partenarial : la liberté de parole et la qualité de l’écoute ainsi
instaurées autorisent la spontanéité du patient et permettent l’émergence de
tout un matériel qui n’apparaîtrait pas autrement. De plus les dialogues de ce
type rendent possible l’élaboration de stratégies, défensives ou offensives,
pour s’adapter à la pathologie ou au handicap qui en résulte. Elles favorisent
également l’appropriation des idées, des astuces ou des techniques de
remédiation qui ne font pas partie des connaissances, des croyances, des
habitudes, des expériences, que tout un chacun possède. Enfin, les
environnements culturels influencent considérablement les possibilités de
gérer les entretiens en question de cette manière quelque peu décalée de la
pratique habituelle.
Partis de l’idée que les parents savent que leur enfant présente un
développement anormal (sinon ils ne seraient pas venus consulter), nous
avons aménagé l’entretien de façon à leur faire énoncer les difficultés,
l’anomalie ou le retard qu’ils ont repérés et à leur montrer qu’ils ont été
entendus par une déclaration interrogative du genre : « Vous trouvez que votre
bébé ne tient pas suffisamment bien sa tête, n’est-ce pas ? » ou encore « Vous avez donc
remarqué qu’il ne vous regarde pas souvent, me semble-t-il ? ». En cas de réponse
affirmative, ce qui est habituel, puisque l’on est évidemment parti de ce dont
les parents ont eux-mêmes témoigné, on ne fait que confirmer leurs propres
constatations et on leur propose immédiatement une aide dans cette direction.
On choisit à dessein une remédiation où ils puissent, autant que faire se peut,
avoir un rôle actif. De plus, on leur recommande de bien observer la suite de
l’évolution du bébé ou de l’enfant, ce qui leur donne également une place
agissante d’observateur et va fournir du matériel pour l’entretien suivant. Cette
technique a plusieurs avantages : celui de ne pas déposséder la famille de sa
fonction de protection et d’éducation, en lui confiant un rôle et une activité
utiles à son enfant. Elle lui donne en outre la mission de rapporter à la
consultation suivante les progrès ou les difficultés observées et transforme par
là-même les parents en témoins avisés du développement de l’enfant, ce qui à
la fois les valorise et apaise leur angoisse d’impuissance : « Nous ne savons que
faire ; nous ne servons à rien ! ».
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Il faut avoir en tête qu’à ce stade, le diagnostic n’est le plus souvent que
soupçonné, peut-être même pas encore évoqué, et que le pronostic est
impossible à établir autrement qu’en référence à des données statistiques, ce
qui n’a qu’un intérêt limité pour la famille. Cependant en améliorant par une
remédiation ciblée les conditions d’environnement et les performances de
l’enfant, on rétablit la qualité de son développement, on augmente ses chances
de réduire ultérieurement son niveau de dépendance, donc de handicap. À
tout le moins, on se donne des chances de ne pas l’aggraver et le temps
nécessaire pour construire le diagnostic en partenariat avec les parents.
De la même manière, la perception du handicap, inscrite dès lors dans le
temps du développement, devient moins effrayante que si le diagnostic avait
été posé d’emblée, au risque d’une erreur difficilement supportée ensuite par
les parents. Au total, sa co-construction avec la famille rend l’annonce moins
traumatique et la représentation du handicap moins détestable.
Dans cette déception d'avoir un enfant qui n'est pas celui que l'on avait espéré,
il y a une atteinte grave au narcissisme des parents, au processus de filiation,
prenant la forme d’une catastrophe, atteignant l'enfant, la mère, le père, les
frères et sœurs, les grands-parents. Pour en mesurer l’amplitude, il suffit
d’écouter, dans les témoignages des parents, les métaphores cataclysmiques
qu'ils utilisent « le ciel nous est tombé sur la tête ; le sol s'est dérobé sous nos pieds ; rien
n'est plus comme avant et rien ne sera plus jamais comme auparavant ; la terre s'est arrêtée
de tourner » L’écart entre, ce que Michel SOULÉ (1982) a appelé à l’époque,
l'enfant dans la tête, "l'enfant imaginaire", et l’enfant réel, ne permet plus à ces
familles de se reconnaître dans cet enfant né anormal et de le "reconnaître"
(R. SABREUX, F. TERRIER, 1979).
Comme d’autres, j’ai été affrontés à ces parents mortifiés qui, tantôt
coopérants, semblent accepter trop facilement une réalité en fait inacceptable,
tantôt agressifs, paraissent rejeter tout à la fois, leur enfant et son handicap, la
médecine et les médecins. J’ai vécu ces dialogues difficiles où alternent, d'un
instant à l'autre et de la façon la plus irrationnelle, l'espoir de la guérison et la
crainte de la mort ou celle du handicap, déjà ressenti comme une sorte de mort
sociale. J’ai constaté qu’en fait ces parents sont écartelés entre l’amour de leur
enfant, la chair de leur chair, et un sentiment de rejet violent du handicap
qu’attestent des commentaires à peine voilés que j’ai souvent entendus autour
des isolettes, comme : « il vaudrait peut-être mieux qu'il ne vive pas ».
Ces véritables souhaits de mort sont évidemment très culpabilisants. Parmi les
mécanismes de défense élaborés contre cette culpabilité on trouve
naturellement le déplacement, le contre-investissement dans la surprotection
ou la réparation qui donnent bonne conscience, mais aussi le déni et le clivage.
Par exemple, alors qu’ils sont en consultation en quête d’avis, les parents
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affirment que le diagnostic est erroné, l'enfant allant très bien à leurs yeux. Le
plus surprenant, c’est que cette affirmation semble constituer la condition
même de leur survie, car ce déni leur permet de justifier l’amour qu’ils portent
à leur enfant, alors redevenu parfait et ils peuvent ainsi rejeter le handicap (et
le médecin !) dans un clivage qui épargne leur souffrance.
L'ensemble de ces réactions tire son origine de la déception, en quelque sorte
du "manque à gagner", dans l'espoir de maternité ou de paternité, finalement
d’une blessure narcissique d'autant plus difficilement réparable que l'enfant
vivant est toujours là pour la raviver. Apparaît déjà ici le fait que
l'insatisfaction et la souffrance sont liées tout autant à la réalité de l'enfant (son
handicap), qu'aux fantasmes projetés sur lui et qui prennent leur origine dans
le passé, dans l'enfance des parents aussi bien que dans la vie de leur couple
ou les investissements et contre-investissements de la grossesse.
Ces réactions évoluent volontiers par crises, aux moments cruciaux de la
naissance, de la prise de conscience du handicap, des performances attendues
du bébé, de l'entrée dans un établissement médico-pédagogique, de la puberté,
etc. Chaque tournant de la vie de l'enfant ou de la vie familiale, réactive les
conflits antérieurs et bouscule, parfois dangereusement, l'équilibre précaire
établi jusque-là. C'est dire que les praticiens peuvent rencontrer ces problèmes
à tout moment et doivent être prêts à faire face à une problématique parfois
déroutante et dont la persistance, ou les phases aiguës, tendent à contrecarrer
l'autonomie et les progrès de l'enfant handicapé et à détruire peu à peu
l'entente et l'équilibre de ses proches. Ces réactions des familles, au fond bien
naturelles, ont été très étudiées et ont inspiré, entre autres œuvres déjà
anciennes, l'argument du livre autobiographique de Kenzaburo OE, « Une
affaire personnelle » et celui de la pièce de théâtre de Peter NICHOLS, « Un jour
dans la mort de Joe EGG », dont les accents sont pourtant restés très actuels.
Même s’ils sont parfois controversés, les remèdes à apporter à cette
souffrance convergent au moins sur un point : toutes les équipes s'accordent à
souhaiter une intervention aussi précoce que possible, c'est-à-dire au moment
même où ces formations réactionnelles s'organisent. Cela conduit tout
naturellement à une guidance parentale contemporaine du dépistage : c'est
précisément l’une des missions des CAMSP. Cela conduit également, sur les
lieux de la naissance, en obstétrique et en néonatalogie, à une réflexion sur
l'impact du dialogue initial des parents avec les professionnels et sur le poids
des premières paroles prononcées. Depuis les circulaires du 29 novembre
1985 et surtout du 18 avril 2002 sur l’annonce, de nombreuses expériences de
formation sont en cours, avec des résultats très encourageants.
Chemin faisant, j'ai pris connaissance des travaux des montpelliérains :
J. P. VISIER, J. ROY et coll.(1986). J'ai beaucoup aimé la façon dont Joël ROY
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(1996) assimile l'arrivée d'un enfant handicapé à une adoption, en rappelant que
ce clivage entre, l'enfant que l'on aime et le handicap que l'on ne peut que
détester, n’est qu’un avatar du processus habituel d’investissement de l’enfant.
Tout comme la mère n’est pas instantanément séduite par l’enfant qu’elle
vient de mettre au monde ou comme il faudra du temps pour connaître avec
les yeux du cœur l’enfant étranger, qui n'est pas de notre sang et qui devrait
combler l’infertilité d’un couple, il va falloir réduire ce clivage initial en
acceptant que le handicap, que l'on hait, c'est aussi l'enfant que l'on aime.
L’attente des parents
Ce sont les problèmes pratiques qui se sont posés ensuite : faut-il dire la
vérité ? Quelle vérité : toute la vérité ou seulement celle qui peut être entendue
ce jour-là ? À qui la dire : à l’un des parents (le père ou la mère) ou aux deux
ensemble, en présence ou non de l’enfant ? Comment la dire : tout d’un coup
ou progressivement en donnant un temps d’élaboration ? Quel
accompagnement met-on en place ? Quelles missions, quelles orientations
doit-on se donner ? En fait, parler de l'annonce, de l'action médico-sociale
précoce, c'est envisager un ensemble de soins, de mesures éducatives et
rééducatives, un programme de prise en charge, un projet d’accompagnement.
Or, il n'y a pas de vie sans projet de vie et annoncer, c'est accompagner la
construction d’un projet de vie qui, pour cet enfant-là, va dans une certaine
mesure se substituer à un projet de mort.
Il apparaît que la demande implicite des parents ne se résume pas tellement au
souhait d’un diagnostic, d’une annonce ou d’une révélation (comme s’il
s'agissait de quelque chose de mystique). Après le "choc" initial et la révolte
contre l’injustice, « Pourquoi nous ? », les parents sont plutôt dans l’attente d’une
écoute, d’un partage et, surtout, dans l’espoir de retrouver leur place de
parents, en sachant comment se comporter et agir en faveur de cet enfant-là.
Puisque leurs propres parents, sauf exception, n'ont pas eu d’enfant handicapé
et dans cet état d'isolement où ils n'ont plus aucun repère, aucun modèle, la
première chose qu’ils demandent, c'est en effet de savoir quelle attitude et quel
rôle ils doivent désormais assumer. Leurs premières questions sont souvent :
« Comment élever notre enfant ? Que faut-il faire pour lui ? ».
Certes, obtenir un diagnostic rassure les parents, leur donne une explication
rationnelle et atténue un peu leur culpabilité, sauf s’il s’agit d’une affection
génétiquement transmise. On entend souvent : « Je n'ai pas été capable de mener
ma grossesse jusqu'au terme, j'ai continué à travailler, j'ai fait un voyage en voiture et cela a
déclenché l'accouchement », tous ces enchaînements que les femmes, les couples,
invoquent pour essayer de trouver une explication au destin. Vouloir toujours
donner un sens à ce qui nous arrive est inhérent à la condition humaine et si la
recherche étiologique, le diagnostic sont donc des éléments si importants, c’est
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en raison de leur valeur déculpabilisante, mais ce n'est pas la première chose que
les parents demandent.
Cette recherche de sens s’enracine aussi dans les inévitables questions tenant à
l’hérédité, aux origines. Que ce soit dans la mythologie grecque ou dans la bible,
filiation monstrueuse signifie filiation fautive, d’où les interrogations d’une
famille à l’autre, les déplacements de culpabilité, sur l'accoucheur, la sagefemme, le néonatologiste, la société toute entière. Il faut gérer aussi l’angoisse
des grands-parents et de la famille qui se demandent pourquoi le dernier né est
ainsi fait, à qui incombe la faute : « D’où cela peut-il venir ? Qui, dans l'une ou l'autre
lignée, a commis le péché ? ».
Autre question lancinante, puisque l'avenir dont on avait rêvé ne se réalisera
pas : « Quel sera l’avenir de notre enfant ? ». Ce n'est pas du pronostic dont il s’agit,
mais de la vie qu’ils vont mener. « Comment allons-nous nous organiser ? ». Des
questions très intimes surviennent, témoignant d’un changement auquel ils
n'étaient pas préparés, d'un avenir qui est totalement à inventer et en vue
duquel ils demandent de l'aide : « Dois-je cesser mon travail ? La question du
placement pourrait-elle se poser ? ». Ils souhaitent s’entendre dire « Oui, vous pouvez
vous en occuper » et surtout ne pas voir la porte se fermer. Ils ne supportent
nullement qu'on leur dise: « Il n'y a rien à faire, il n’y a pas d'avenir ». Les parents
se demandent parfois si les professionnels, probablement peu conscients de
ces difficultés, ne cherchent à les pousser à l'abandon, voire au meurtre et ils
souhaitent vivement être rassurés et associés à un projet de vie acceptable et
réaliste.
Certes, pour tout un chacun, « il n'y a pas de projet de vie sans anticipation, car vivre
c'est anticiper ». Mais à partir du moment où, pour des raisons diverses, il n'y a
plus de projet, parce que les parents sont effondrés, parce que la société
rejetant le handicap, il devient très difficile de mettre un projet en œuvre pour
l’enfant ou parce que les professionnels, coincés dans une mission de guérir,
sont en échec de ne pouvoir y parvenir et ne savent plus quoi proposer, tous
ces éléments se combinent et on se trouve très rapidement dans un no man’s
land. Dans cette impasse, être sans projet de vie revient tout simplement à une
condamnation à mort, du moins à la mort sociale, ce que la famille refuse. Il
faut donc essayer d'introduire, non seulement dans les études médicales, mais
peut-être aussi dans la pensée contemporaine, l'idée que l'on peut vivre
"différent" et que cette vie, de l’avis même de ceux qui la vivent, est plus
attrayante que l’on croit et mérite en tout cas d'être vécue.
Il y a aussi la question de la solitude. J'ai toujours dans l'oreille, parce qu’en
formation je les sollicite volontiers, des témoignages de parents d’où il ressort
que l'élément le plus central de leur souffrance, c'est le manque de références à un
modèle de parents demeurant valable dans leur situation, marquée par la
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solitude vis-à-vis de l'entourage, l’isolement de leur propre famille : ils ne voient
plus personne, il n'y a plus d'amis, éventuellement le mari ou l’épouse est
parti(e), enfin il existe une espèce de resserrement excessif sur la famille
nucléaire qui engendre un repli, voire une sorte de "folie".
Enfin, phénomène contemporain, la préciosité de l'enfant a augmenté du fait de
l'évolution sociale. Certes la contraception est une conquête pour les femmes,
mais le nombre d'enfants se trouvant limité, leur préciosité augmente et on ne
peut plus tolérer de recevoir, comme satisfaction de son désir, un enfant
"défectueux" (j'emploie ce terme à dessein pour bien montrer l'assimilation
qui en est faite à un objet). Il est tout à fait extraordinaire d’entendre les gens
dire : « J'ai droit à un enfant parfait » comme si la maladie, la non-conformité, la
mort, étaient niées. Nous sommes dans un système de perfection, de
précaution, de risque zéro et donc finalement de déni. C'est sur ce fond
psychosocial, que nul ne peut ignorer, qu’intervient l'annonce de la maladie ou
du handicap, si bien que les parents sont pratiquement dans la revendication
au moment précis où on leur laisse entendre que leur enfant ne sera pas tout à
fait comme ils l'avaient espéré.
Comment procéder
Dans ces conditions, le plus simple est, comme je l’ai déjà dit plus haut,
d’écouter les parents et de les accompagner. De là est né, une sorte de savoirfaire et de savoir être auprès de ces familles, qui consiste à ne pas bousculer les
choses, à essayer d'attendre et d’entendre la demande, à tenter d’éclaircir ce
qu'ils souhaitent et à leur suggérer quelques gestes simples pour aider l'enfant
ou le stabiliser. Par exemple, s'il est trop hypotonique, un peu de
kinésithérapie ou de psychomotricité peuvent l’aider à mieux tenir sa tête, s’il
est trop distant, un câlin ou une réduction de la tension ambiante peut apaiser
son appréhension et ramener son intérêt. J'ai vu des pères rassurés parce que
je leur avais dit de fabriquer un petit repose pied pour mettre sous les pieds de
l'enfant dont la position assise était inconfortable. Ah ! Trouver une place de
père…
À partir du moment où l’on adopte cette technique, les parents deviennent
observateurs, ils s’impliquent dans le développement de l'enfant, ils
découvrent ses compétences, ils disent : « Il fait ceci, il ne fait pas cela, il peut encore
réussir telle autre tâche ». Tout n'est donc pas négatif, leur enfant fait des progrès
et cela les comble, alors qu'au départ ils avaient imaginé le pire. Cela devient
ainsi un véritable accompagnement au cours duquel la vérité se révèle au fil du
temps. Dans un échange, un élément de la vérité apparaît, mais pas toute la
vérité ; puis la semaine ou le mois suivant, on s’efforce d’évaluer ce que les
parents ont pu élaborer et ce qu’ils peuvent encore supporter. De fil en
aiguille, on donne des détails, on répond à des questions, on commente des
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observations, on co-construit le diagnostic ensemble, ce qui rend les parents
partenaires et non plus cantonnés dans la crainte ou l'opposition. Ainsi,
peuvent-ils gérer leur destin, redevenir parents, humains, avoir leur rôle, leur
place. Au lieu d’être dans la revendication, les idées de mort, ils reviennent
dans la vie, ils redécouvrent un avenir, ils font des projets.
L'incertitude inhérente au développement introduit une "complexité"
supplémentaire dans la gestion de l’annonce et dans la compréhension du
développement. En effet, l’état pathologique d’un enfant qui vient de naître
s'exprime rarement d’emblée. Il y a des pathologies qui se manifestent plus
tard et en règle générale d'autant plus tardivement que l'atteinte est plus
légère12. Si, les polyhandicaps sévères apparaissent dans les premières semaines
ou les premiers mois, les infirmités motrices cérébrales, les troubles
envahissants du développement (les différents états du spectre autistique), les
débilités intellectuelles moyennes, ne se constatent généralement qu’après
plusieurs mois, voire années ; parfois même, les troubles apparaissent
seulement à l'âge scolaire, comme les déficiences intellectuelles légères, les
troubles des apprentissages, la grande famille des “dys”, etc. Ajoutons à cela
que le diagnostic médical n’implique pas nécessairement le pronostic
fonctionnel et social, loin de là ! Par exemple la certitude de l’existence d’une
trisomie 21 ne préjuge pas du niveau intellectuel de l’enfant qui en est atteint,
ni de son adaptation familiale et sociale. Des prédictions abusives telles : « Il est
IMC : il ne marchera pas ! » ou « Il est trisomique : il n’ira pas à l’école ! » ont des
grandes chances de ne pas se vérifier, d’où la règle de s’abstenir de tout
pronostic lors de l’annonce. L’enfant est un être en construction et sa
personnalité ne se bâtit qu’au contact de son environnement. Par conséquent,
la partie est pour une large part encore à jouer.
Il y a une réelle difficulté pour les professionnels à assumer le fait que leur
science est limitée et qu’il est difficile de dire « Je ne sais pas », quand on vous
prête un tel savoir. Par ailleurs, les médecins ont été formés à faire des
diagnostics, parce que c'est là une démarche d'élaboration scientifique dont la
conclusion permet un traitement, voire une guérison. Or, précisément, le
handicap, est un cas de figure où le traitement n'est pas vraiment disponible et
où la guérison l’est encore moins ! Dès lors, l'esprit médical, l’anticipation
médicale, sont en échec et c'est pour les professionnels une très grande
difficulté.
Chose curieuse, le public admet assez bien les limites de notre savoir. J'ai
passé une grande partie de ma carrière à dialoguer avec des parents de la sorte
: « Là nous touchons nos limites : moi je ne sais pas, mais il y a peu de chances que vous
trouviez d'autres personnes sachant, non pas parce que je suis plus savant ou moins savant
que d’autres, mais parce que ce sont-là les limites de nos connaissances actuelles sur le
12
Les maladies hérédo-dégénératives constituent des exceptions.
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sujet ». De plus, cela rassure les gens de ne plus avoir à chercher l’introuvable,
c'est-à-dire un diagnostic et de se contenter de l'état actuel de la science.
Il est capital d’annoncer aux deux parents ensemble. Cependant, il peut exister
des circonstances particulières. Par exemple à l’époque où j’exerçais à l'Institut
de Puériculture de Paris, il n'y avait pas de maternité. La mère était donc
hospitalisée ailleurs : seul le père était présent. Pour tenter de remédier à cette
situation, divers moyens ont été essayés : photos, téléconférences, vidéos, etc.
Au CAMSP, il se pose souvent des problèmes pratiques du même genre : il
faut exiger autant que faire se peut la présence du père, d'autant plus que
beaucoup de professionnels imaginent que la souffrance des pères est très
modeste par rapport à celle des mères, ce qui est probablement inexact.
Simplement elle se manifeste différemment : les mères sont dans le
pouponnage, l'immédiat, les tâches pratiques, la réparation, tandis que les
pères sont plus dans le nom, la filiation, la représentation sociale. Et puis, ils
ont peur : il m'est souvent arrivé de demander à la mère : « Où est votre mari ? »
et au bout de quelques instants on apprenait que le mari était là, en bas, mais
dans la voiture et il n'osait pas se montrer parce qu'il était trop effrayé.
Il faut aussi toujours procéder à l'annonce devant l'enfant, d'abord parce que
l'enfant en saisit bien quelque chose, sans doute pas les paroles qui sont dites,
mais la tonalité de l'échange, le fait que sa mère pleure, que le médecin est
véhément, ou pacifiant. Surtout, on ne parle jamais d'un enfant dans les
mêmes termes quand il est là ou quand il ne l'est pas. Lorsqu’il est présent, on
utilise son prénom, on humanise les choses davantage et c'est une excellente
idée que d'annoncer autant que possible devant le bébé, même prématuré.
Plus tard, il faudra revenir à l'annonce pour l'enfant, afin d’évaluer ce qu'il sait,
lui, de son handicap. Pourquoi n'est-il pas comme les autres ? Pourquoi ne vat-il pas en classe, alors que son frère plus jeune y est déjà ? Il a droit, lui aussi,
à des explications adaptées à sa compréhension et à ses possibilités
d'élaboration.
De même que les frères et sœurs, les grands-parents, toute la famille doit être
informée, pas tous en même temps bien sûr, pas forcément de la même
manière, peut-être pas au même moment. Il y a des frères et sœurs qui se
demandent pourquoi leurs parents pleurent, pourquoi ils se disputent,
pourquoi ils ne sont pas d'accord sur l'éducation du petit frère ou de la petite
sœur handicapé(e), que se passe-t-il à la maison, pourquoi tout a changé ?
Tout cela appelle des explications, des réponses. Il y a des grands-parents qui
voudraient aider, qui devinent la situation, mais la mère n'a pas su dire à sa
propre mère qu'elle n'a pas pu réussir un enfant normal, comme sa mère
l’avait fait. Ainsi se trouve-t-elle en situation difficile et ne sait pas trop
comment présenter les choses. La grand-mère pressent la difficulté et vient
nous demander : « Je me doute bien de quelque chose, mais ils ne veulent pas m’en parler,
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comment puis-je les aider ? ».
Le problème de l'erreur diagnostique doit être également évoqué. Contrairement
à l’exigence sociale, la médecine n'est pas une science exacte, il y a des causes
d'erreur partout, il y a des faux positifs, des faux négatifs, et soulever cette
question dans le cadre de la filiation n’est qu’un cas particulier de l'importance
de l’annonce et de ses répercussions sur l'adoption de l'enfant. L'erreur est
inhérente à tout ce qui est humain : je me souviens d'avoir eu en consultation
une femme médecin, qui amenait un bébé trisomique et qui m’a dit : « J'étais
enceinte de jumeaux, je ne suis pas tout à fait jeune et j'ai demandé à subir une amniocentèse
pour confirmer que mes enfants étaient bien normaux. Il m'a été répondu qu’il n’y avait
aucune anomalie sur les deux caryotypes et j'ai donc dormi sur mes deux oreilles. À
l'accouchement on m'a dit que l'un était normal et l'autre trisomique ». L'erreur était
toute simple : pour réaliser les amniocentèses, on avait ponctionné deux fois la
même poche ce qui, pour un accoucheur, est tout à fait imaginable, mais pas
pour la patiente !
Une chose est d’accepter que l'erreur soit humaine et qu'en médecine l'erreur
existe, même avec les meilleures techniques d'investigation, une autre est d’en
mesurer les répercussions. À ce sujet, j'ai vécu à l’Institut de Puériculture des
situations pénibles : la maman d’un prématuré avait beaucoup souffert des
difficultés de son bébé pendant les premières semaines ; l'équipe l'avait un peu
préparée à ce que l'enfant soit handicapé et finalement il n'a eu aucune
séquelle neurologique. La maman consultait au CAMSP en disant « Je ne peux
plus sortir mon enfant dans la rue, car j'entends les gens crier : il est handicapé, il est
handicapé ! ». Simultanément, son enfant a subi de sérieuses déviations dans son
évolution relationnelle, au point qu’à un moment je me suis demandé s'il
n’était pas autiste. Il a fallu un travail assez considérable pour pouvoir amener
cette famille à retrouver des interrelations plus satisfaisantes avec son enfant.
Comment apaiser les gens, leur faire admettre que, bien que nous vivions à un
siècle où la perfection est souhaitée, on ne peut parvenir au niveau d’erreur
zéro. On a été jusqu'à édicter un principe de précaution, comme si la vie était
sans risque. Ainsi, on ne pourrait pas sortir de chez soi, en raison de la crainte
de recevoir une tuile sur la tête ! À l'heure actuelle, la fragilité de la condition
humaine est quasiment niée par la société et donc par les politiques. En
conséquence, si l’on n’y prend garde, les gens demanderont bientôt à la
naissance un certificat de garantie et seront prêts à rapporter l'enfant à la
maternité, comme on rapporte un réfrigérateur au fournisseur lorsqu’il ne
marche pas bien, en lui demandant d'en donner un autre qui fonctionne !
Dans le cadre de l'annonce, un souci de cohérence s’impose. Que ce soit en
maternité, en néonatalogie, en CAMSP ou ailleurs, il faut autant que possible
que tous les professionnels du service disent, non pas la même chose, parce
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que personne ne croirait que cela puisse être vrai, mais que leurs discours
aillent dans le même sens. Pour des parents, il n’est pas acceptable qu'un
membre du personnel leur dise : « Vous ne ferez jamais rien de cet enfant, faites-en
vite un autre ! », tandis que d’autres professionnels essayent de les encourager,
de leur montrer les possibilités de prise en charge, afin qu’ils ne se sentent pas
contraints de l'abandonner.
Les professionnels sont des êtres humains comme les autres ; leur attitude très
critiquée peut-elle s’expliquer par des mécanismes de défense, certes différents
de ceux des parents, mais pareillement compréhensibles ? Devant l’inquiétude
qui les saisit d'avoir à annoncer des réalités plutôt terrifiantes, ils sont
conscients de se trouver dans une situation très difficile : il n'y a en effet
aucune bonne façon d'annoncer une mauvaise nouvelle. Quoi qu'ils fassent, ils
vont être vécus comme "des porteurs de mauvaises nouvelles" et les sentiments à
leur égard seront forcément négatifs. Ils ont donc peur, et se réfugient soit
dans la fuite, la technicité ou l'annonce couperet. La "technicité" est un
processus, souvent inconscient, par lequel on donne des explications
rationnelles, mais incompréhensibles pour les parents, par exemple sur “le
calibre des artères terminales du thalamus est très faible ce qui, en période d'anoxie, rend ce
dernier plus fragile”. Ce refuge est donc un piège à éviter. En tout cas, lorsqu’on
ne peut pas trouver d'autres expressions que des termes techniques, il
convient de les expliquer. L’annonce couperet consiste à donner le diagnostic
en quelques mots, très brièvement, sans laisser la place à la moindre question,
puis on ferme la porte et on s'en va. La famille est atterrée, fuit et consulte…
ailleurs.
Dans ce genre de travail, le rôle de l'équipe est capital, dans le sens où elle
apporte plusieurs regards sur l'enfant et sa famille. Il est bien évident que les
difficultés dont nous nous préoccupons ne sont pas uniquement des
problèmes de santé, des questions médicales. Il faut tenir compte du vécu de
la faille narcissique et de l’angoisse suscitée par la culpabilité, de l’état de la
famille, du regard de la société. Il y a aussi le réconfort, le soutien que peut
apporter le corps social à ces familles en difficulté. Une telle diversité
d’attentes et de réponses implique forcément une multidisciplinarité, je dirais
d'ailleurs plus précisément une transdisciplinarité dans l’abord de ces situations.
Le travail d'équipe suppose un personnel formé et rodé à fonctionner
ensemble, autour de l’enfant et de sa famille, à débattre des difficultés
rencontrées et du sens du travail entrepris.
On peut en dire autant des indispensables réseaux de soins, d’éveil et
d’éducation. Les CAMSP ou les SESSAD, éventuellement la PMI, peuvent aussi
établir des liaisons efficaces, avec les hôpitaux, le secteur psychiatrique, les
structures d’éveil et de garde, les écoles, etc. Mais n’imaginons pas que la
solution à ce problème délicat puisse être unique. Dans chaque région, pour
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chaque cas, suivant l'histoire de l’équipement local, suivant l'existant ou les
créations, on peut aménager des filières intéressantes : il n’est pas nécessaire
de trop systématiser.
La qualité de l’annonce est évidemment dépendante du niveau de tolérance de la
société. Comment penser que, dans une société qui de toute façon rejette le
handicap, des professionnels puissent s'attacher à faire admettre aux parents
que, même différent, leur enfant est bien le leur, qu'un enfant handicapé est
d’abord un enfant et même un enfant qui a les mêmes droits que les autres et
qu’il n'y a aucune raison de ne pas lui apporter l'amour, la sécurité, l'aide et la
satisfaction de ses besoins spécifiques ? Beaucoup de parents dans leurs
témoignages nous disent que, d’une certaine façon, les professionnels, même
excellents qu’ils ont rencontrés, ne les ont pas préparés à vivre dans une telle
société. Or, toute l'évolution qui reste à faire dans ce domaine réside dans un
changement de regard, qui dépend aussi du fait que la population toute entière
puisse admettre que le handicap fait partie de la vie.
Les CAMPS n’ont pas été conçus uniquement pour réaliser l'annonce du
handicap, mais en grande partie en fonction de cette problématique. Ceci pose
les questions primordiales de la durée, de la continuité et de la cohérence de
l'accompagnement avant, pendant et après l'annonce, ainsi que celle des
éventuelles ruptures de prise en charge. Les circulaires sur l’annonce imposent bien
la continuité de l'accompagnement, à telle enseigne que les maternités et les
services de néonatalogie sont incités à donner, dès la sortie, l'adresse des
CAMPS, des PMI, des associations, bref de toutes les structures dont l'enfant
et ses parents peuvent avoir besoin au cours de son évolution. Dans la
pratique, on doit se débrouiller avec les moyens existants. Comme il y a
encore des parents qui découvrent le handicap de leur enfant par hasard ou
d’autres qui, ayant bien compris que leur enfant ne se développait pas de
façon satisfaisante, n'ont cependant reçu ni programme de réadaptation ou
d'accompagnement, ni adresse, la prise en charge s'improvise alors suivant les
besoins de la famille et l’équipement local disponible.
Il ne faut pas sous-estimer le côté préventif de l'annonce et surtout de
l'accompagnement qui la prolonge. À mon sens, c'est bien-là un aspect
fondamental : il suffit de songer au clivage entre l'enfant et le handicap qui se
produit assez facilement et à la qualité des nouvelles relations qu’il va falloir
établir, afin de faciliter l'investissement de cet enfant malgré son handicap. Si
les parents concernés, soit se réfugient dans la surprotection, soit éprouvent un
sentiment de rejet, non pas de l'enfant, mais du handicap, c'est l'enfant, lui, qui
porte le handicap. C'est donc lui qui va être la victime de cette situation, ce qui
peut entraîner des problèmes affectifs, des difficultés relationnelles, des
défauts de soins, des cas de maltraitance, bref toute une série de difficultés qui
viennent, pourrait-on dire, sur-handicaper l'enfant.
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À titre d’exemple, on estime que la fréquence des mauvais traitements chez les
anciens prématurés est environ deux fois et demie plus élevée que chez les
enfants nés à terme. Les entretiens font apparaître l’intense sentiment de
culpabilité de la mère à l’égard de sa grossesse écourtée ou de la perception
"monstrueuse" qu’elle a de son nouveau-né, lequel « n'a pas de sourcils, pas
d'ongles, un fœtus, un avorton en somme », ses craintes irraisonnées sur la "fragilité"
de son enfant, suscitant ainsi des sentiments mitigés, d’où l’intérêt et
l’affection ne sont nullement exclus. Le seul fait de pouvoir parler de tout cela
avec elle, de dédramatiser la prématurité, de lui faire entendre qu’elle ne résulte
pas forcément de ses "négligences", suffit à faire diminuer de façon notable les
cas de maltraitance. On observe alors, beaucoup moins de souffrance, de rejet,
beaucoup moins de difficultés d’investissement et, finalement, lorsque les
choses se sont liquidées, les parents de ces enfants prématurés, handicapés ou
non, deviennent des parents comme les autres.
À ce dernier sujet, celui des relations parents/enfants quand l'un des enfants
est handicapé, Paul Claude RACAMIER (1985), a écrit un livre tout à fait
remarquable « L'inceste et l'incestuel », qui a éclairé ma pratique. Très
fréquemment et dès l’origine, les parents d'enfants handicapés surprotègent
leur bébé, leur enfant handicapé d'autant plus qu'il est plus lourdement atteint
et souvent au point de lui interdire tout progrès. En effet, pour progresser il
faut, essayer, éventuellement échouer, se tromper, tâtonner, chercher le
moyen de réussir. Prétextant son retard, sa lenteur, sa maladresse et aussi afin
de se déculpabiliser, beaucoup de parents, soutiennent l’enfant, effectuent les
tâches eux-mêmes à sa place, tant et si bien qu’il demeure cet éternel bébé que
décrit Pearl BUCK (1950), dans son roman autobiographique : « L'enfant qui ne
devait jamais grandir ».
Cette rationalisation cache mal une autre réalité. Il s’agit de familles où,
finalement, plus que d’une fusion/indistinction, on devrait parler de confusion
des sexes et des générations, à tel point que quand on est en face de ces
familles, on ne sait plus très bien distinguer l'épouse, la grande fille la sœur, le
frère : on est littéralement perdu. Il existe un phénomène de séduction de la
mère par l'enfant handicapé, ce qui la cantonne dans un éternel maternage, si
bien que toutes les relations sont biaisées. Le mari n'a, en général, plus de
relations sexuelles avec sa femme, et j'ai eu l'occasion d'observer quelques cas
exceptionnels d'inceste agi. Ces faits s'expliquent par l'extraordinaire
proximité qui existe, pour des raisons de dépendance, dans les familles
d’enfants handicapés entre la mère et l'enfant. Malgré des inconvénients
évidents, la situation perdure car, d'une certaine manière, tout le monde en est
satisfait. À l’âge adulte, il arrive que l'enfant meure de la rupture de ce lien
pathologique et si j’en parle ici, c’est que les professionnels, ainsi que les
associations, ont à cet égard un devoir préventif d'intervention dès le plus
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jeune âge.
On rencontre de plus en plus de familles monoparentales ou recomposées ! Le
recoupement avec nos préoccupations résulte de l’idée, largement admise, que
lorsque survient un enfant handicapé, le couple va se disloquer et que, dans bien
des cas, la mère restera seule à élever son enfant, le père étant "parti". Je ne
prétends pas que ce cas de figure n'existe pas, mais c'est un peu une image
d'Épinal : des recherches ont été faites sur l'avenir des couples ayant un enfant
handicapé et plusieurs résultats viennent contrecarrer ces idées reçues.
Le premier, à la réflexion, n’est pas si surprenant : en effet, il existe assez
souvent un enfant de remplacement. La naissance d'un enfant handicapé peut
influer largement sur la sexualité du couple et sur sa fertilité : on dit volontiers
« c'est le dernier, il n'y en aura plus d'autre ». Néanmoins l'idée de suppléer celui qui
ne s’est pas avéré satisfaisant par un nouvel enfant, espéré plus conforme à
l’enfant imaginaire, est relativement fréquente et on remarque souvent des
fratries qui s'augmentent d'une unité à partir du moment où l’un des leurs est
handicapé.
Le deuxième constat, guère plus surprenant, est le suivant : l’évolution des
couples se fait dans un sens plus ou moins prévisible, c'est-à-dire que les plus
fragiles se disloquent, les couples plutôt unis se resserrent et il n'y a pas de loi
générale permettant de dire, comme on l'entend si souvent, qu’à partir du
moment où un enfant handicapé arrive dans une famille, le père s'en va.
Comme toujours les choses ne sont pas aussi simples, d'autant que l’on peut
observer plus rarement l’inverse : le père se substitue à une mère qui
justement fuit le foyer, par exemple dans le travail, et il se répand alors dans
des soins "paternels", en fait pseudo-maternels, pas toujours très favorables à
l'évolution de l'enfant.
Les principaux éléments du dialogue
Cette période de l’annonce, tout entière marquée par la prise de conscience du
handicap, est d'une telle importance qu'il nous paraît indispensable de rappeler
quelques-uns des principes sur lesquels il convient de s'appuyer pour parler aux
parents et entreprendre le nécessaire travail de guidance et d'action médicosociale précoce.
Aucune avancée n'est possible, tant que la réalité n'a pas été abordée, ce qui ne
laisse pas de poser des problèmes ardus, quand l'anomalie pressentie par les
parents est encore mal cernée par le médecin lui-même et ne se présente en
fait que comme un risque ou une hypothèse. Par ailleurs, les parents ne
peuvent pas saisir d'emblée toute la vérité et il leur faut partir d'éléments
concrets pour réaliser progressivement l'ensemble du tableau clinique, ses
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causes et ses prolongements. D'où la nécessité là-encore d'intervenir très tôt et
de suivre par des consultations répétées et presque de vivre au jour le jour le
développement de l'enfant avec les parents, lesquels peu à peu poseront des
questions sur la signification des symptômes qu'ils auront le plus souvent
constatés eux-mêmes ou dont le praticien leur aura montré l'existence
(partenariat et co-construction).
La dynamique inhérente au développement lui-même rend nécessaire
l'introduction du temps comme une dimension essentielle de la guidance et
comme un moyen de métaboliser les affects avec le moins d'à-coups possibles.
Ainsi faut-il aménager la conscience d'une réalité partielle progressive en
fonction du temps qui passe et de l’écart entre le dit et l’entendu. Enfin, il faut
rappeler que cette réalité est bien celle des parents et non pas celle du
médecin, qu'elle leur appartient en propre, ce qui exclut tout jugement
moralisateur de la part de ce dernier et toute anticipation de l'avenir préjugeant
du libre arbitre de la famille. Il n'est pas possible de formuler le moindre
pronostic ou d'évoquer l'idée du maintien à la maison ou à l'inverse du placement
d'emblée, surtout si ces mesures prennent dans l'esprit des parents un caractère
définitif. Nous avons eu jadis l'occasion de connaître quelques exemples
dramatiques de décès de l'enfant après placement intempestif à la naissance ou
dès la constatation de ses anomalies de développement. Nous pouvons
attester que les conséquences pour la famille sont, dans ce cas, tout aussi
graves que lorsque cette dernière s'est trouvée forcée, soit par absence de
solution dans la réalité, soit par suite de conseils obstinés de garder l'enfant
avec elle jusqu'à une situation de rupture.
Il convient simplement de renseigner les parents, étape par étape, sur les
possibilités qui existent concrètement et dans le moment pour atténuer ou
résoudre les difficultés présentes : problème de garde, investigations,
rééducations ou traitements nécessaires, appui social, éducatif, etc. Mais il faut
absolument s'interdire toute tentative de résolution rapide et globale du
problème avant que le cheminement personnel de tous les proches, père,
mère, frères et sœurs, etc. n'ait permis de "reconnaître" cet enfant malgré sa
différence et d’affirmer clairement et concrètement les sentiments des uns et
des autres à l’égard de son appartenance au groupe familial.
Conclusion
Plus longue que celle des éléphants, la gestation des C.A.M.S.P. a duré bien audelà de 10 ans : il s'agit pourtant d'une des structures les plus légères de notre
dispositif médico-psycho-social. À la limite elle pourrait se passer de murs, car
elle s'adresse à la promotion de la personne dans son milieu naturel de vie et
repose essentiellement sur une équipe pluri et transdisciplinaire.
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Cette dystocie a résulté apparemment des enjeux et des contradictions internes
d'un système de compensation du handicap qui n'avait pas encore entièrement
intégré les notions de risque, de prévention, de promotion de la personne et
d'égalisation des chances. Elle s'est également nourrie des rivalités locales
entre Services hospitaliers de pédiatrie, Secteur de psychiatrie, P.M.I. et
C.M.P.P. C'est parce qu'elle était prise dans ces enjeux considérables que la
naissance des C.A.M.S.P. a été si laborieuse et c'est parce que ces institutions
ont vu officiellement le jour en 1976, après 6 ans de vie clandestine, dans un
contexte de début de crise économique que leur développement a été si
difficile, si lent.
Les C.A.M.S.P. n'en constituent pas moins un des atouts majeurs de
l'articulation entre pédiatrie-néonatalogie d'une part, et pédopsychiatriepsychiatrie d'autre part. En effet, dans la vie quotidienne de ces instances,
toutes ces disciplines donnent le sentiment de travailler ensemble, en vue d'un
objectif commun, exaltant et assez fréquemment payé de succès : faire en
sorte que, si les progrès de la médecine permettent de plus en plus souvent de
rendre à la famille un enfant en bonne condition somatique, il devient
essentiel que cet enfant puisse en outre être investi par les siens pour lui
ménager un développement psychique optimal selon les mots mêmes de
Pierre SATGÉ.
Et si malheureusement, malgré le degré de sophistication actuel de la
maternité et de la naissance, des difficultés physiques ou relationnelles gênent
son épanouissement, c'est manifestement de la façon dont la famille aura été
appelée à la connaissance des limites, mais aussi des capacités de son enfant,
que dépendront pour une bonne part l'évolution et l'adaptation ultérieures de
ce dernier. Reconnaître le trouble, élaborer les difficultés rencontrées et leurs
solutions, croire en l'avenir de l'enfant, construire un projet de vie seront les
garants d'un développement le plus harmonieux possible malgré le handicap.
Il ne suffit pas de naître pour être reconnu. Or, ce n’est que "reconnu" que
l’enfant handicapé sera inclus dans la famille et dans la société. Ce processus
est à la fois dialectique et temporel. C'est le plus souvent dans un échange avec
le pédiatre et ses collaborateurs, puéricultrices, etc. que cette élaboration
deviendra possible. C’est en effet à eux qu'il appartient d’être présents, de
répondre aux questions des parents et surtout de les écouter. Ils doivent se
préoccuper au plus haut point de la répercussion immédiate, mais surtout
ultérieure de leurs attitudes et de leurs propos, tout en sachant bien que ce qui
sera essentiel aux yeux de la famille n'est pas nécessairement ce qu’ils jugent le
plus important. Cet effort est indissociable d'une disponibilité accrue, ce qui
implique un problème de temps, d'une cohérence d'équipe, parfois difficile à
réaliser et, à la limite, d'un certain contrôle et d'un soutien extérieur pour ceux
qui sont impliqués dans cette tâche, à tous les stades de la vie des personnes
IPP / ANECAMSP/ LES 40 ANS DU CAMSP DE BRUNE-5
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en situation de handicap.■
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