Fiche de lecture DIAMOND-1

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Fiche de lecture DIAMOND-1
Jared DIAMOND, De l’inégalité parmi les sociétés, essai sur l’homme
et l’environnement dans l’histoire
Gallimard, 2000, Nrf essais, 484 pages, ISBN 978-2-07-075351-2 ; édition originale : Guns,
Germs and Steel. The Fates of Human Societies W.W. Norton, New York, 1997
Jared DIAMOND, Effondrement : Comment les sociétés décident de leur
disparition ou de leur survie
Gallimard, 2006, Nrf essais, 648 pages, ISBN 978-2-07-0776672-6 ; édition originale :
Collapse. How societies chose to fail or succeed, Vinking Penguin, Londres, 2005
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Ces deux livres peuvent être considérés, selon l’auteur, comme les deux tomes d’un
même essai sur l’être humain. Ils se distinguent néanmoins par leur approche : le premier
tente d’expliquer la pluralité des sociétés humaines et par voie de conséquence pourquoi ce
sont telles ou telles sociétés qui semblent aujourd’hui dominer les autres, alors que le second
livre s’intéresse plus particulièrement à la survie des groupes humains ainsi qu’à leurs usages
spécifiques des ressources naturelles. Pour résumer autrement, le premier volet s’intéresse aux
interactions entre les différents groupes humains (voir entre les civilisations) alors que le
second s’intéresse aux interactions entre ces groupes d’homme et leur environnement direct.
Le titre original du premier livre (« Guns, Germs and Steel ») explicite assez
clairement ce que l’auteur considère comme crucial parmi les facteurs qui selon lui ont
déterminé la « configuration historique » (historic patern) de la domination des hommes sur
les hommes : les armes, les germes viraux et l’usage des métaux. Jared DIAMOND réfute
donc entièrement l’explication génétique (qu’il nomme « raciste ») des divergences ; il adopte
au contraire une optique « naturaliste » dans le sens où la géographie de l’environnement et
la biogéographie ont façonné cette « configuration historique », sans pour autant faire de ce
lien un détermination stricte.
Ainsi ce sont premièrement les possibilités alimentaires qui déterminèrent la genèse
des premières civilisations, c'
est-à-dire la constitution de groupes d’hommes dont le nombre
excédait suffisamment la dimension tribale pour nécessiter des systèmes politiques complexes
permettant à des milliers d’êtres humains de vivre ensemble, puis bientôt de conquérir
ensemble. Dans ce qu’il nomme les « causes lointaines », la possibilité ou non de dégager des
surplus alimentaires est un critère fondamental puisqu’il permet l’extension du nombre
d’effectif d’une population ; la production alimentaire, comprenant l’agriculture et
l’élevage, est présentée comme un phénomène autocatalytique. En effet, il considère qu’une
boucle de rétroaction positive relie l’effectif de la population à la possibilité d’obtenir des
surplus alimentaires : l’augmentation des hommes permet l’augmentation de la production
alimentaire qui permet à son tour d’augmenter le nombre des hommes. Jared DIAMOND
postule que le développement technologique (dont l’écriture) et de l’organisation politique
d’une population est fonction de sa densité et de son nombre d’effectif, eux-mêmes fonction
des possibilités alimentaires locales. Ensuite, l’auteur met l’accent en particulier sur
l’évolution des capacités de résistance aux maladies propres au mode de vie « concentré »,
expliquant au passage que de nouvelles niches écologiques propices aux microorganismes se
créent au fur et à mesure que les sociétés humaines se densifient.
Voila comment il résume la genèse des premières civilisations :
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Concernant le développement et la diffusion des technologies, l’auteur postule qu’il
n’existe pas de différences idéologiques profondes entre les sociétés vis-à-vis des
technologies ; il adopte une explication par le phénomène de diffusion, cette notion étant une
fois de plus façonnée par les conditions du milieu :
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L’auteur termine ce premier tome en livrant ses conceptions générales de la politique.
Il expose ce qu’il nomme le « dilemme du pouvoir », sorte d’équilibre instable entre une
forme de noblesse (tendance au « bien commun ») et ce qu’il nomme la kleptocratie, l’une et
l’autre tendance ayant des avantages et des inconvénients en terme de stabilité sociétale. Cette
notion de kleptocratie décrit un système d’organisation politique permettant une domination
de certains hommes sur d’autres par la formation de groupes qui détiennent avec exclusivité
respectivement le pouvoir militaire, le pouvoir religieux et le pouvoir de redistribuer les
richesses. Très généralement, l’auteur affirme que la tendance des sociétés humaines au long
terme est de s’agglomérer. En outre il propose une explication de la dynamique de
complexification du pouvoir : l’augmentation du nombre de spécialités implique
l’augmentation du nombre d’échelons entre le chef et l’administré. Enfin, reprenant les
considérations sur l’autocatalyse de la production alimentaire, le système politique se
transforme en un véritable état dès lors qu’un seuil minimum de complexification est atteint.
La notion clef de ce livre est donc clairement la production alimentaire, présentée
comme préalable nécessaire mais non suffisant à l’établissement des sociétés complexes et
expansives, donc potentiellement dominantes en cas de confrontation avec d’autres groupes
d’hommes.
Le deuxième opus, Effondrement, présente des cas bien identifiés où des sociétés
humaines – souvent de petite taille – semblent s’être condamnées elle-même en évoluant de
manière incompatible avec la résilience de leur environnement. A travers ces exemples
historiques dont les problèmes environnementaux sont minutieusement décrits, l’auteur
construit prudemment un parallèle avec la situation désormais globalisée des sociétés
humaines actuelles. Sans tomber dans la facilité des analogies fallacieuses, Jared DIAMOND
cherche à mettre en évidence les problèmes parfois très complexes auxquels les hommes
d’aujourd’hui et de demain sont et seront confrontés. Le texte oscille donc entre des
descriptions et anecdotes historiques très précises et des réflexions à propos de l’actualité
environnementale.
La grille d’étude adoptée comporte pas moins de douze facteurs « écologiques », dont
huit sont applicables aux sociétés anciennes. Ces huit facteurs sont : déforestation et
restructuration de l’habitat ; problèmes liés au sol (érosion, salinisation, stérilisation) ; gestion
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De l’inégalité des sociétés, page 158
page 267
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de l’eau ; chasse excessive ; pêche excessive ; augmentation non maîtrisée de l’impact
individuel des hommes sur leur environnement ; croissance démographique ; conséquences
d’espèces invasives. À ces facteurs s’en ajoute quatre propres aux dimensions et à la
complexité de la situation actuelle : changements climatiques d’origine anthropique
(précipitation, sécheresse etc.) ; émission de produits toxiques (chimiques, radioactifs etc.) ;
pénurie d’énergie ; utilisation humaine maximale de la capacité photosynthétique utile de la
terre.
Selon Jared DIAMOND, ces facteurs « écologiques » peuvent se combiner avec
d’autres facteurs ; ce qu’il nomme « causes d’effondrements » peuvent ensuite être décrites
selon cinq catégories : écologiques (8 + 4 = 12) ; changement climatique naturel ; hostilité des
voisins ; soutient des partenaires et enfin et surtout la réaction (ou « réponse ») collective de la
société elle-même. De l’étude des exemples historiques ressort trois cas de figure récurrents :
lorsque les problèmes proviennent de manière prédominante du comportement humain,
lorsqu’ils proviennent au contraire de conditions environnementales non maîtrisables, et enfin
lorsqu’il s’agit d’une combinaison des deux cas. Se défendant de toute explication purement
déterministe, l’auteur incline à penser que seule la « réponse » d’une société face aux
problèmes auxquels elle est confrontée est un facteur toujours déterminant. Il dégage en
particulier quatre types de réponse qui mènent selon lui à des résultats très divers :
l’incapacité à percevoir le ou les problème(s) (ignorance totale de ce qui se passe) ; incapacité
à percevoir le ou les problème(s) à temps ; incapacité de prendre une décision adéquate (sur le
plan décisionnaire) et enfin le cas où la pertinence de la décision prise est simplement
mauvaise.
Pour acquérir les savoirs compilés dans cet ouvrage, l’auteur prétend pratiquer la
« méthode comparative » (ou « expérience naturelle ») qui consiste à comparer deux
situations (lieux et dates différents) dont un facteur unique diffère – du moins en théorie. Il
faut toutefois noter une certaine maladresse dans la description d’un cas en particulier : celui
des peuples anciens d’Amérique centrale, dont il n’arrive pas à rendre l’histoire tout à fait
compatible avec ses hypothèses. Empruntant délibérément des savoirs issus de disciplines très
diverses (archéologie, anthropologie, climatologie, histoire etc.), nous pouvons néanmoins
qualifier son optique comme étant celle d’un « historien naturaliste transdisciplinaire ».
Tout au long de ce livre l’auteur pourfend la vision manichéiste qui consiste à décrire
les problèmes évoqués selon des causes ou volontés simplifiées (par exemple le monde de
l’entreprise versus le monde associatif). Il accorde néanmoins que dans chaque cas, dans
chaque pays ou régions, le développement économique et tous les problèmes qui en résultent
sont en compétition avec l’accroissement de la préoccupation vis-à-vis de l’environnement et
des solutions appliquées à sa préservation. Jared DIMAOND présente donc la situation
globale actuelle comme une grande compétition dont l’issue n’est pas encore écrite.
Pour conclure, nous dirons que l’intérêt principal de ces livres ne réside pas tant dans
la rigueur épistémologique que dans la masse d’informations hétéroclites, utiles ou inutiles,
qu’ils présentent.
Michaël ACHILLI
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