Du shiatsu au CMP - Shiatsu et Massages Bien
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Du shiatsu au CMP - Shiatsu et Massages Bien
HSF2012_artdesoigner_HSF2012_INT 10/07/12 12:40 Page18 ART DE SOIGNER Du shiatsu au CMP Sans s’y substituer ni s’y opposer, le shiatsu, thérapie manuelle d’origine japonaise, peut compléter les soins proposés en psychiatrie. Une infirmière formée à cette technique décrit ce type d’accompagnement auprès de patients suivis en Centre médico-psychologique. Au départ, il y a l’envie de prendre soin de l’autre. Infirmière. Une nécessaire curiosité qui mène à la rencontre. Jeune diplômée, un premier poste en psychiatrie m’éloigne tranquillement des soins généraux, et ce n’est pas pour me déplaire, je n’ai qu’une affinité relative avec la technique. Le hasard des postes me donne l’opportunité de rencontrer des soignants extraordinaires et généreux, qui se retrouvent dans des pratiques d’une grande complémentarité. Cet environnement incite à apprendre et à construire un idéal soignant. Se forger son identité professionnelle demande une écoute et un soutien sans faille de l’encadrement afin que chacun puisse s’enrichir, quitte à ce que la formation se situe, dans un premier temps, dans le registre du développement personnel. UNE MÉDECINE DIFFÉRENTE Tout en ancrant ma pratique dans la longue tradition psychanalytique de ce secteur de psychiatrie, la curiosité me pousse à explorer l’arsenal thérapeutique des pays orientaux. En 2004, je bénéficie ainsi d’une année de formation au shiatsu, ou « pression des doigts en japonais », une technique énergétique apparentée à une prise en charge corporelle (voir encadré). Concrètement, il s’agit d’une trentaine de jours de formation répartis sur l’année, pour appréhender la théorie de la médecine traditionnelle chinoise et la pratique spécifique au shiatsu. Prise en charge corporelle? Toucher japonais ? Relaxation asiatique ? Je pars à la découverte et dois tout réapprendre : un langage, une physiologie particulière, un toucher spécifique et surtout une conception globale du monde, de l’homme et de la nature humaine. Cette première année de formation est intense et demande un travail personnel très important. Malheureusement, à ce stade, j’ai du mal à réinjecter mes connaissances dans ma pratique quotidienne des soins. Je ne me sens pas assez autonome : j’ai compris le fonctionnement selon la médecine chinoise mais je ne sais pas encore comment remédier à ses dysfonctionnements. À plusieurs reprises, je sollicite la poursuite de ma formation pour acquérir un niveau de compétences qui me permettrait d’utiliser le shiatsu avec nos patients. La commission de formation continue du pôle donne un avis favorable. S’en suivent deux années de formation supplémentaires en vue de valider le diplôme de praticien. Petit à petit, j’entrevois les applications possibles du shiatsu en psychiatrie. En 2008, toujours soutenue par mon service – j’exerce alors en centre médico-psychologique (CMP) – j’ouvre une consultation shiatsu un jour et demi par semaine. Les patients sont adressés par le médecin ou le psychologue. Assez rapidement, la consultation ne désemplit plus. En 2011, je réintègre l’intra-hospitalier. Une nouvelle fois, le pôle se prononce pour la continuité des soins shiatsu et m’accorde une journée de détachement par semaine au CMP pour poursuivre cette offre de soin. Anny PÉRON SHIATSU ET PSYCHIATRIE Infirmière en psychiatrie, praticienne de shiatsu, CH Georges-Daumezon, Bouguenais (44). Il semble admis que le stress provoque des ulcères, que l’angoisse empêche de dormir et que le manque de sommeil 18 SANTÉ MENTALE | SPÉCIAL FORMATION | AOÛT 2012 entraîne des troubles anxieux. Des éléments psychiques et émotionnels ont donc un retentissement somatique. Si l’on accepte l’idée que les données physiques, comportementales, environnementales interagissent sur le psychisme, nous pouvons concevoir que leur modification avisée intervienne favorablement sur les dispositions psychiques. La différence essentielle entre les conceptions orientale et occidentale du soin réside dans le découpage de l’objet d’étude. En Occident, l’homme est « morcelé » entre plusieurs disciplines médicales, les pieds au CHU et la tête au CHS. À l’inverse, les Orientaux envisagent la personne dans son ensemble mais sur un temps donné. Une autre nuance importante se situe dans la précocité de l’intervention puisque la médecine occidentale est résolument curative alors qu’en Orient, on s’attache à maintenir l’individu en bonne santé (dimension préventive). Ces deux conceptions ont naturellement leur place dans notre système de soin puisque, conjointement au traitement de la maladie déclarée, on n’aura de cesse d’en rechercher les causes pour prévenir les rechutes. La conception orientale nous apporte un éclairage différent sur nos observations cliniques habituelles et nous permet de faire des liens supplémentaires entre les comportements et les troubles somatiques des patients. Nous ne demandons pas au shiatsu de « guérir » une dépression, en revanche, nous pouvons y solliciter l’énergie spécifique nécessaire à la réflexion, à la prise de décision, au changement, à la persévérance… Le shiatsu s’avère d’un grand secours dans les « dommages collatéraux » liés au déséquilibre psychique : troubles du sommeil et de l’alimentation, © Maxime Frairot. HSF2012_artdesoigner_HSF2012_INT 10/07/12 12:40 Page19 HSF2012_artdesoigner_HSF2012_INT 10/07/12 12:40 Page20 © Maxime Frairot. Autoportrait. ART DE SOIGNER L’artiste : Maxime Frairot Né en 1976 à Lyon, Maxime Frairot dessine depuis… presque toujours. Enfant puis adolescent, il passe d’un cours de dessin à l’autre, profitant d’enseignements très divers. Du coup, par soif d’autre chose, Maxime Frairot commence par faire des études de sciences politiques. En 2002, rattrapé par sa passion, il se lance dans les arts plastiques. Depuis, il croque des silhouettes colorées, des portraits, des groupes agglutinés, des patchworks élaborés d’hommes et de femmes. Leurs yeux écarquillés fixent le spectateur, dans un face-à-face étonné. Qui regarde qui ? Qui sont-ils ? « Ce sont des gens rencontrés ou imaginés. Des yeux qui nous ignorent, nous observent ou nous toisent, des visages. Ils sont debout, ils nous regardent nous agiter, pleurer puis recommencer à aimer. Ils nous regardent rire, flirter, nous embrasser, ils sont acteurs et tellement spectateurs… », confie Maxime Frairot. L’humain et les rapports dans la société sont au cœur de cette œuvre attachante, à la fois drôle et intrigante. Ces peintures étonnent, interrogent de façon décalée le sens de l’existence et la surprise d’être soi. Elles invitent à imaginer la vie de ces personnages, comme une suite après un arrêt sur image… Comme l’écrit Christian-Benoît Lannes dans l’Univers des arts, « dans cet affrontement obsessionnel, par l’exploration de moult strates de perception, Maxime Frairot capte les pulsions d’une société qui revisite ses codes. Pas de jugement ni de morale, aucune exclusion ni voyeurisme dans ses toiles. Témoin, assistant, révélateur, Maxime Frairot est un peintre doublé d’un humaniste. » • Voir ses toiles : – Galerie Éric Dumont, Troyes. – Galerie du Cardo, Reims. • En savoir plus : www.maxime.frairot.free.fr 20 SANTÉ MENTALE | SPÉCIAL FORMATION | hyper-émotivité, épuisement, tout en limitant le recours aux traitements allopathiques. Dans la pratique, le shiatsu nous permet de constater les blocages de l’énergie dans certaines parties du corps. Cette distribution d’énergie s’interrompt alors plus ou moins, ce qui amplifie le déséquilibre, aggrave la maladie et, surtout, diminue les capacités de guérison de la personne. L’objectif du shiatsu est de favoriser la circulation de l’énergie dans l’ensemble des parties du corps. En rencontrant un individu, en observant sa tenue, sa voix, ses plaintes, les éléments de son environnement et les traces laissées par la circulation de l’énergie sur le corps, le praticien en shiatsu perçoit les déséquilibres (perception tactile de la quantité d’énergie, plein, vide, chaleur…) et y remédie à l’aide de pressions et étirements. Par la dispense de conseils d’hygiène de vie, bien souvent assez élémentaires, il propose aussi aux patients de prendre une part active dans les changements possibles. Par exemple, il s’agit de réintroduire la notion de rythme (jour/nuit, repas…), souvent mis à mal par les troubles psychiques et dont l’incidence sur la guérison n’est pas toujours mesurée au cours de pathologies particulièrement complexes. AXES D’INTERVENTION Après plus de quatre ans de pratique du shiatsu en psychiatrie, trois grands axes d’indications se dégagent, principalement dans le champ des névroses : • Les demandes de soutien, en rapport avec le « portage » de Winnicott. Dans ces situations, le thérapeute constate que le travail psychique avance mais il subsiste une douleur morale à la limite du supportable, ou encore, le sentiment de sécurité nécessaire à l’élaboration est trop ténu et tarde à se consolider. Le shiatsu intervient alors comme un enveloppement, un contenant physique qui, associé à l’espace de parole, favorise le transfert et l’élaboration. • Un deuxième axe se situe en direction des patients qui ont des difficultés dans l’échange : soit ils ne parviennent pas à parler, soit leur discours est désaffecté, soit l’échange est envahi de plaintes somatiques. Ici, le shiatsu prend en compte le langage somatique tout en valorisant la mise en mots dans l’espace de thérapie. • Le troisième axe est centré sur la prise en charge de pathologies chroniques aux AOÛT 2012 intrications psychiques importantes comme les problèmes thyroïdiens, les scléroses en plaque, les problèmes de dos, les problèmes digestifs, les polyarthrites… Une fois l’indication posée par le médecin ou le psychologue, le shiatsu est proposé au patient. Le thérapeute lui explique l’approche dans les grandes lignes et l’encourage à prendre rendez-vous auprès du secrétariat. Lors de notre première rencontre, j’explique la technique utilisée, le déroulement de la séance, j’écoute les plaintes et les attentes du patient. Cet échange est immédiatement suivi d’un shiatsu global (après l’accord du patient). Ensuite les séances se poursuivent au rythme d’une tous les quinze jours. Un court temps d’échange en début et fin de séance amène les patients à évoquer leur vécu du shiatsu et permet d’effectuer une transition entre la vie quotidienne et cet espace de soin un peu particulier. Le juscha (personne recevant le shiatsu) fait des hypothèses de liens qu’il pourra ensuite explorer en profondeur avec son thérapeute. En écho au travail psychique, nous cherchons ensemble des solutions concrètes pour limiter les comportements inadéquats. Ainsi, lors de troubles du sommeil, nous précisons ensemble les difficultés (endormissement, réveils nocturnes, cauchemars, impossibilité de se lever le matin), puis, en cas par exemple d’endormissement tardif, nous nous centrons sur la préparation au sommeil (activité calme en fin de journée, tisane, exercices respiratoires, repas léger). Souvent c’est un moment où les patients livrent des éléments émotionnels en liens avec ces difficultés et je les encourage à les évoquer avec leur thérapeute. En cours de prise en charge, le patient découvre progressivement les différents champs d’application du shiatsu et il est encouragé à formuler des projets spécifiques pour s’approprier l’outil et se positionner de façon dynamique face aux changements. « À SON CORPS DÉFENDANT » Née en 1978, Mme L., d’origine japonaise, est arrivée en France à l’âge de 21 ans, avec son futur mari. Fille unique, elle n’a pas été reconnue par son père biologique à la naissance et a été élevée par sa mère et son beau-père, décédé alors qu’elle avait 13 ans. Sa scolarité se déroule normalement, malgré la découverte, à l’âge de 16 ans, d’un syndrome de Sjogren* qui se manifeste, pour elle, HSF2012_artdesoigner_HSF2012_INT 10/07/12 12:40 Page21 ART DE SOIGNER Qu’est-ce que le shiatsu ? Le shiatsu (terme japonais signifiant pression des doigts) est une discipline énergétique pratiquée depuis des millénaires en ExtrêmeOrient, qui consiste en des étirements et des pressions appliquées sur l’ensemble du corps dans le but de favoriser le maintien de la bonne santé. Le praticien effectue le plus souvent les pressions avec les doigts, plus particulièrement avec les pouces. Les étirements favorisent une meilleure circulation de l’énergie. Ni massage, ni idéologie, ni médecine au sens occidental du terme, le shiatsu est un outil s’inscrivant dans le domaine de la prévention mais il peut également être associé aux traitements curatifs habituels et participer avantageusement à la convalescence. L’objectif est de corriger des irrégularités de l’organisme, de préserver et d’améliorer l’état de santé et de contribuer à l’amélioration d’états pathologiques spécifiques. À qui s’adresse cette technique ? Le shiatsu s’adresse à toute personne, quel que soit son âge, désireuse de maintenir ou d’améliorer sa santé, de lutter contre les effets secondaires de traitements allopathiques, de ralentir l’évolution d’une pathologie dégénérative ou de développer un niveau de bienêtre physique, psychique et émotionnel, sous réserve toutefois de l’existence de maladies ou malformations qui restent du strict ressort du médecin. Comment se déroule une séance ? Une séance dure environ une heure. La personne reste habillée, allongée sur un futon, sorte de matelas, posé sur le sol. Une tenue souple facilite le travail. La séance peut être réalisée en position assise pour les personnes que la position couchée incommode ou allongée sur une table de massage pour celles qui ne peuvent pas s’allonger par terre. Quels sont les bienfaits attendus ? Le shiatsu aide à : – réduire le stress et les tensions, générateurs de nombreuses pathologies ; – stimuler et renforcer le système d’autodéfense de l’organisme ; – équilibrer le système énergétique dans sa globalité de manière à prévenir la rechute ; – apporter une détente physique et psychique, permettant d’initier et de conserver le retour à la santé ; Les styles de shiatsu Il existe différents styles de shiatsu, ayant comme dénominateur commun la pression des doigts. En France les styles pratiqués sont par une asthénie importante (état de faiblesse générale) et des périodes assez longues d’hyperthermie. À son arrivée en France, elle suit une formation courte d’esthéticienne pour travailler rapidement, ce qu’elle parvient à faire pendant quelque temps. Mais de nombreux problèmes somatiques surviennent : douleurs dorsales, céphalées, crampes d’estomac. Sa relation avec son employeur se dégrade, Mme L. est de plus en plus stressée, angoissée. C’est dans ce contexte que son médecin traitant lui conseille de s’adresser au CMP de son secteur. identifiés selon qu’ils utilisent l’anatomie, les méridiens, les points d’acupuncture. Tous mettent en œuvre des techniques visant à assurer un équilibre énergétique. La formation La Fédération française de shiatsu traditionnel (FFST) décerne un certificat de praticien en shiatsu après trois ans d’études. Les écoles adhérentes à la fédération proposent un programme de préparation au certificat qui requiert : – Un minimum de 500 heures de pratique réparties sur au moins trois ans, attestées par le livret pédagogique individuel fourni par la FFST à l’élève au début de sa formation. – Un minimum de 250 heures de travail personnel en dehors des cours. – Le certificat Prévention et secours civique de niveau 1 (PSC1) de moins de 5 ans. – Les deux niveaux d’anatomie/physiologie de la FFST. – Avoir rédigé 30 études de cas supervisées par l’enseignant(e). – Réaliser un mémoire et en préparer la soutenance. – Effectuer une épreuve pratique devant un jury de professionnels. – Recevoir au minimum douze séances de Shiatsu, dispensées par des enseignants ou des praticiens certifiés FFST. Le cadre en France Introduit en Europe dans les années 1970, le shiatsu bénéficie depuis une quinzaine d’années d’une popularité croissante et s’inscrit dans le développement global des médecines alternatives (yoga, taï chi chuan, qi gong, arts martiaux mais aussi ostéopathie, aromathérapie…). Dans une résolution de 1997 (A4-0075/97), le Parlement européen a reconnu le shiatsu comme l’une des huit médecines complémentaires « dignes d’intérêt ». Légalement, en France, ces formes de soins ne sont pas encadrées. Le shiatsu trouve cependant sa place dans des cabinets libéraux comme une activité autorisée dans la mesure où elle concerne le bien-être et le maintien de la bonne santé, déclarée sous la fiche du Répertoire opérationnel des métiers et des emplois (Rome) n° K1103 : « développement personnel et bien-être de la personne » et dans le code NAF (nomenclature d’activités françaises) 96.04Z : « entretien corporel ». • Plus d’informations : – Fédération française de shiatsu traditionnel : www.ffst.fr – École angevine de shiatsu : www.shiatsu-angers.com Elle est par ailleurs régulièrement suivie au CHU pour son syndrome de Sjogren par un spécialiste. • En mai 2007, Mme L. rencontre un psychiatre du CMP de son secteur. Le contact est bon, Mme L. vient très régulièrement aux consultations. Rapidement, elle montre des capacités d’analyse importantes, établit des constats et des liens. Elle se mobilise en vue des changements envisagés. Dans un premier temps, son humeur s’améliore doucement et le travail psychothérapique avance, malgré la barrière de la langue et sa culture qui limite l’ex- pression des émotions et encourage la réserve et la discrétion. Mais alors que les éléments dépressifs paraissent s’atténuer, les plaintes somatiques passent au premier plan, voire envahissent l’espace psychothérapique. Les entretiens deviennent plus pauvres. Une interruption de la psychothérapie est envisagée mais devant l’immense tristesse de cette patiente, le thérapeute propose plutôt de la poursuivre en y associant le shiatsu. • En avril 2008, le psychiatre de Mme L. me sollicite et nous échangeons sur sa problématique, en particulier autour du SANTÉ MENTALE | SPÉCIAL FORMATION | AOÛT 2012 21 HSF2012_artdesoigner_HSF2012_INT 10/07/12 12:40 Page22 ART DE SOIGNER lien, opérant « à son corps défendant », un lien comme paralysé ou stérilisé par les incursions somatiques. Mme L. adhère au projet et investit rapidement ce nouvel espace. • Au cours des premières séances, nous parlons de ses nombreux troubles somatiques. Mme L. évoque des problèmes gynécologiques avec des pertes menstruelles abondantes et douloureuses, une très grande fatigue, des difficultés d’endormissement et des réveils nocturnes, des douleurs lombaires, dorsales et des maux de tête, du stress, de l’anxiété. Notre échange tente de cibler, le plus précisément possible, l’histoire et le contexte des dysfonctionnements. Hormis le fait d’envisager l’exploration de ces troubles d’un point de vue médical, il n’y a pas plus d’élaboration à ce stade. • Je propose ensuite la prise en charge corporelle. Durant quarante-cinq minutes à une heure, Mme L. est allongée sur un tapis de sol et j’exerce des pressions des paumes et des pouces sur toute la surface de son corps habillé. • Puis, en fonction des déséquilibres énergétiques constatés pendant la séance, nous élaborons des stratégies basées sur des conseils d’hygiène de vie et des pratiques (exercices de respiration, petits travaux d’écriture pour faire évoluer les ruminations, modifications des habitudes alimentaires…). Mme L. est très à l’écoute de mes propositions (par exemple, elle renonce à la télévision le soir et lit, reprend une activité physique, ne mange plus de viande au dîner) et profite nettement des séances sur le plan somatique. Parallèlement, les entretiens avec son médecin reprennent de la consistance. Au-delà de l’expérience physique, le shiatsu réveille la mémoire émotionnelle. Il n’est pas rare que les patients évoquent, en séance, des scènes traumatiques, pleurent ou affirment se souvenir de leurs rêves. Pour sa part, Mme L. évoque des effets bénéfiques du shiatsu sur son sommeil, ses diverses douleurs, son stress et son anxiété. Par ailleurs, elle fait le lien entre des scènes traumatiques de son enfance et sa vie actuelle. • D’un travail d’étayage, nous passons à un travail de restauration de la confiance, de l’estime d’elle-même. Mme L. est indéniablement « plus solide », et malgré une détresse qu’elle arrive petit à petit à livrer à son médecin, nous ne constatons plus d’effondrement aussi 22 SANTÉ MENTALE | SPÉCIAL FORMATION | massif et somatisé qu’auparavant. Elle trouve même les ressources pour changer d’orientation professionnelle et reprendre des études. Aujourd’hui, Mme L. poursuit sa thérapie et bénéficie du shiatsu occasionnellement, lors de situations de stress important ou de grande fatigue. « LE CALME APRÈS LA TEMPÊTE » À 40 ans, Mme C. est mariée et mère de deux petites filles. Elle travaille dans l’informatique. Au décours d’une consultation en pédopsychiatrie pour l’une de ses filles, elle est encouragée à consulter pour elle-même auprès d’un psychiatre de son secteur. • Mme C. prend contact avec le CMP en février 2010. Elle évoque des difficultés très importantes dans son couple depuis plusieurs années. Elle présente des troubles du sommeil, une irritabilité, une grande fatigue, une hyper-émotivité qui envahissent son quotidien. Mme C. est également atteinte d’un dysfonctionnement thyroïdien qui ne trouve pas d’issue médicamenteuse à ce moment-là. Elle est suivie pour ce problème par un endocrinologue. Mme C. investit rapidement la thérapie et les séances deviennent le contenant d’effondrements massifs, de pleurs intarissables, mais peu de mots décrivent son vécu interne. Plusieurs mois de thérapie s’écoulent, à raison de deux séances par semaine et des liens s’élaborent autour de son enfance et de dysfonctionnements familiaux. Cependant, ses ressentis quant à sa relation de couple sont quasi-indicibles tant Mme C. est fragilisée. Les séances, pourtant productives, restent extrêmement douloureuses et la malmènent au plus haut point, laissant craindre une rupture, ce que Mme C. formule assez directement lors d’une séance à laquelle elle a beaucoup hésité à venir par peur d’un nouvel effondrement. • Avec le psychiatre de Mme C., nous échangeons autour de la douleur morale de cette patiente. Elle refuse de prendre un antidépresseur et nous lui proposons une alternative avec le shiatsu, au rythme d’une séance toutes les deux semaines, parallèlement à la poursuite de la psychothérapie. • Durant plusieurs mois, Mme C. connaît un bénéfice immédiat à la suite des séances. Malheureusement, ce mieuxêtre est de courte durée et a peu d’incidence sur sa vie quotidienne ou sur ses effondrements en psychothérapie. AOÛT 2012 • De mon point de vue, Mme C. est dans un vide énergétique insondable et je constate de nombreux blocages dans les registres de la colère, de la prise de décision, de l’affirmation de soi et des relations à la mère. Mme C. poursuit son travail psychothérapique mais dans une importante souffrance morale. • En janvier 2011, au bout de cinq mois de thérapies associées, un virage notable s’amorce. Mme C. décrit une sorte de « calme après la tempête ». Elle retrouve un sommeil de qualité et une meilleure gestion de ses émotions. Une relative sérénité lui permet de réfléchir sans ruminer, de prendre des décisions, de mener à terme des projets qui lui tiennent à cœur. Mme C. profite pleinement des séances de shiatsu et nous percevons nettement une consolidation structurelle avec des ressources disponibles pour faire face aux difficultés. Par ailleurs, son problème thyroïdien semble se stabiliser. Mme C. parvient petit à petit à décrire précisément ses mouvements émotionnels, son vécu intérieur dans ses relations et lors des séances de shiatsu. Les bénéfices, très transitoires, qu’elle ressentait en début de prise en charge, paraissent s’installer durablement et surtout, elle se sent en capacité de les générer elle-même. Aujourd’hui, Mme C. poursuit son travail psychothérapique associé aux séances de shiatsu. Malgré les nombreux obstacles encore présents, nous n’assistons plus aux effondrements massifs, elle est actrice des changements de sa vie. CONCLUSION Le shiatsu complète avantageusement les soins classiquement proposés en psychiatrie sans jamais s’y substituer ni s’y opposer. Dans la mesure où les indications sont convenablement posées en équipe, cette technique est sans danger ni effet secondaire et nous constatons combien les soins psychiques peuvent être potentialisés par ce type de prise en charge corporelle * Le syndrome de Sjogren, appelé également syndrome de Gougerot ou syndrome de Gougerot-Sjogren, syndrome sec, est une affection associant une sécheresse oculaire à une sécheresse buccale. Il est soit primitif, soit le plus souvent secondaire à une maladie systémique (polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux disséminé, sclérodermie) ou à une affection auto-immune (thyroïdite, hépatite chronique active, cirrhose biliaire primitive).