Du shiatsu au CMP - Shiatsu et Massages Bien

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Du shiatsu au CMP - Shiatsu et Massages Bien
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ART DE SOIGNER
Du shiatsu au CMP
Sans s’y substituer ni s’y opposer, le shiatsu, thérapie manuelle d’origine japonaise, peut
compléter les soins proposés en psychiatrie. Une infirmière formée à cette technique décrit ce
type d’accompagnement auprès de patients suivis en Centre médico-psychologique.
Au départ, il y a l’envie de prendre
soin de l’autre. Infirmière. Une nécessaire
curiosité qui mène à la rencontre. Jeune
diplômée, un premier poste en psychiatrie
m’éloigne tranquillement des soins généraux, et ce n’est pas pour me déplaire, je
n’ai qu’une affinité relative avec la technique. Le hasard des postes me donne
l’opportunité de rencontrer des soignants
extraordinaires et généreux, qui se retrouvent dans des pratiques d’une grande complémentarité. Cet environnement incite à
apprendre et à construire un idéal soignant. Se forger son identité professionnelle
demande une écoute et un soutien sans faille
de l’encadrement afin que chacun puisse
s’enrichir, quitte à ce que la formation se
situe, dans un premier temps, dans le
registre du développement personnel.
UNE MÉDECINE DIFFÉRENTE
Tout en ancrant ma pratique dans la longue
tradition psychanalytique de ce secteur
de psychiatrie, la curiosité me pousse à explorer l’arsenal thérapeutique des pays orientaux. En 2004, je bénéficie ainsi d’une année
de formation au shiatsu, ou « pression
des doigts en japonais », une technique
énergétique apparentée à une prise en
charge corporelle (voir encadré). Concrètement, il s’agit d’une trentaine de jours
de formation répartis sur l’année, pour
appréhender la théorie de la médecine
traditionnelle chinoise et la pratique spécifique au shiatsu. Prise en charge corporelle?
Toucher japonais ? Relaxation asiatique ?
Je pars à la découverte et dois tout réapprendre : un langage, une physiologie particulière, un toucher spécifique et surtout
une conception globale du monde, de
l’homme et de la nature humaine. Cette
première année de formation est intense
et demande un travail personnel très important. Malheureusement, à ce stade, j’ai du
mal à réinjecter mes connaissances dans
ma pratique quotidienne des soins. Je ne
me sens pas assez autonome : j’ai compris le fonctionnement selon la médecine
chinoise mais je ne sais pas encore comment remédier à ses dysfonctionnements.
À plusieurs reprises, je sollicite la poursuite de ma formation pour acquérir un niveau
de compétences qui me permettrait d’utiliser le shiatsu avec nos patients. La commission de formation continue du pôle
donne un avis favorable. S’en suivent deux
années de formation supplémentaires en
vue de valider le diplôme de praticien.
Petit à petit, j’entrevois les applications possibles du shiatsu en psychiatrie. En 2008,
toujours soutenue par mon service – j’exerce
alors en centre médico-psychologique
(CMP) – j’ouvre une consultation shiatsu
un jour et demi par semaine. Les patients
sont adressés par le médecin ou le psychologue. Assez rapidement, la consultation ne désemplit plus.
En 2011, je réintègre l’intra-hospitalier.
Une nouvelle fois, le pôle se prononce
pour la continuité des soins shiatsu et
m’accorde une journée de détachement
par semaine au CMP pour poursuivre cette
offre de soin.
Anny PÉRON
SHIATSU ET PSYCHIATRIE
Infirmière en psychiatrie, praticienne de
shiatsu, CH Georges-Daumezon, Bouguenais (44).
Il semble admis que le stress provoque
des ulcères, que l’angoisse empêche de
dormir et que le manque de sommeil
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entraîne des troubles anxieux. Des éléments psychiques et émotionnels ont
donc un retentissement somatique. Si
l’on accepte l’idée que les données physiques, comportementales, environnementales interagissent sur le psychisme,
nous pouvons concevoir que leur modification avisée intervienne favorablement
sur les dispositions psychiques.
La différence essentielle entre les conceptions orientale et occidentale du soin
réside dans le découpage de l’objet
d’étude. En Occident, l’homme est « morcelé » entre plusieurs disciplines médicales, les pieds au CHU et la tête au
CHS. À l’inverse, les Orientaux envisagent
la personne dans son ensemble mais sur
un temps donné. Une autre nuance importante se situe dans la précocité de l’intervention puisque la médecine occidentale est résolument curative alors
qu’en Orient, on s’attache à maintenir l’individu en bonne santé (dimension préventive). Ces deux conceptions ont naturellement leur place dans notre système
de soin puisque, conjointement au traitement de la maladie déclarée, on n’aura
de cesse d’en rechercher les causes pour
prévenir les rechutes.
La conception orientale nous apporte un
éclairage différent sur nos observations
cliniques habituelles et nous permet de faire
des liens supplémentaires entre les comportements et les troubles somatiques des
patients. Nous ne demandons pas au
shiatsu de « guérir » une dépression, en
revanche, nous pouvons y solliciter l’énergie spécifique nécessaire à la réflexion, à
la prise de décision, au changement, à la
persévérance… Le shiatsu s’avère d’un
grand secours dans les « dommages collatéraux » liés au déséquilibre psychique :
troubles du sommeil et de l’alimentation,
© Maxime Frairot.
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© Maxime Frairot. Autoportrait.
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L’artiste :
Maxime Frairot
Né en 1976 à Lyon, Maxime Frairot dessine
depuis… presque toujours. Enfant puis
adolescent, il passe d’un cours de dessin à
l’autre, profitant d’enseignements très divers.
Du coup, par soif d’autre chose, Maxime
Frairot commence par faire des études de
sciences politiques. En 2002, rattrapé par sa
passion, il se lance dans les arts plastiques.
Depuis, il croque des silhouettes colorées, des
portraits, des groupes agglutinés, des
patchworks élaborés d’hommes et de
femmes. Leurs yeux écarquillés fixent le
spectateur, dans un face-à-face étonné. Qui
regarde qui ? Qui sont-ils ? « Ce sont des gens
rencontrés ou imaginés. Des yeux qui nous
ignorent, nous observent ou nous toisent, des
visages. Ils sont debout, ils nous regardent
nous agiter, pleurer puis recommencer à aimer.
Ils nous regardent rire, flirter, nous embrasser,
ils sont acteurs et tellement spectateurs… »,
confie Maxime Frairot.
L’humain et les rapports dans la société sont
au cœur de cette œuvre attachante, à la fois
drôle et intrigante. Ces peintures étonnent,
interrogent de façon décalée le sens de
l’existence et la surprise d’être soi. Elles invitent
à imaginer la vie de ces personnages, comme
une suite après un arrêt sur image… Comme
l’écrit Christian-Benoît Lannes dans l’Univers
des arts, « dans cet affrontement obsessionnel,
par l’exploration de moult strates de perception,
Maxime Frairot capte les pulsions d’une société
qui revisite ses codes. Pas de jugement ni de
morale, aucune exclusion ni voyeurisme dans
ses toiles. Témoin, assistant, révélateur, Maxime
Frairot est un peintre doublé d’un humaniste. »
• Voir ses toiles :
– Galerie Éric Dumont, Troyes.
– Galerie du Cardo, Reims.
• En savoir plus :
www.maxime.frairot.free.fr
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hyper-émotivité, épuisement, tout en limitant le recours aux traitements allopathiques.
Dans la pratique, le shiatsu nous permet
de constater les blocages de l’énergie
dans certaines parties du corps. Cette
distribution d’énergie s’interrompt alors plus
ou moins, ce qui amplifie le déséquilibre,
aggrave la maladie et, surtout, diminue les
capacités de guérison de la personne.
L’objectif du shiatsu est de favoriser la circulation de l’énergie dans l’ensemble des
parties du corps.
En rencontrant un individu, en observant sa tenue, sa voix, ses plaintes, les
éléments de son environnement et les
traces laissées par la circulation de l’énergie sur le corps, le praticien en shiatsu
perçoit les déséquilibres (perception tactile de la quantité d’énergie, plein, vide,
chaleur…) et y remédie à l’aide de pressions et étirements. Par la dispense de
conseils d’hygiène de vie, bien souvent
assez élémentaires, il propose aussi aux
patients de prendre une part active dans
les changements possibles. Par exemple,
il s’agit de réintroduire la notion de rythme
(jour/nuit, repas…), souvent mis à mal par
les troubles psychiques et dont l’incidence sur la guérison n’est pas toujours
mesurée au cours de pathologies particulièrement complexes.
AXES D’INTERVENTION
Après plus de quatre ans de pratique du
shiatsu en psychiatrie, trois grands axes
d’indications se dégagent, principalement dans le champ des névroses :
• Les demandes de soutien, en rapport avec
le « portage » de Winnicott. Dans ces situations, le thérapeute constate que le travail psychique avance mais il subsiste
une douleur morale à la limite du supportable, ou encore, le sentiment de
sécurité nécessaire à l’élaboration est
trop ténu et tarde à se consolider. Le
shiatsu intervient alors comme un enveloppement, un contenant physique qui,
associé à l’espace de parole, favorise le
transfert et l’élaboration.
• Un deuxième axe se situe en direction
des patients qui ont des difficultés dans
l’échange : soit ils ne parviennent pas à
parler, soit leur discours est désaffecté,
soit l’échange est envahi de plaintes somatiques. Ici, le shiatsu prend en compte le
langage somatique tout en valorisant la mise
en mots dans l’espace de thérapie.
• Le troisième axe est centré sur la prise
en charge de pathologies chroniques aux
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intrications psychiques importantes comme
les problèmes thyroïdiens, les scléroses
en plaque, les problèmes de dos, les problèmes digestifs, les polyarthrites…
Une fois l’indication posée par le médecin ou le psychologue, le shiatsu est proposé au patient. Le thérapeute lui explique
l’approche dans les grandes lignes et l’encourage à prendre rendez-vous auprès du
secrétariat.
Lors de notre première rencontre, j’explique la technique utilisée, le déroulement de la séance, j’écoute les plaintes
et les attentes du patient. Cet échange est
immédiatement suivi d’un shiatsu global
(après l’accord du patient). Ensuite les
séances se poursuivent au rythme d’une
tous les quinze jours. Un court temps
d’échange en début et fin de séance
amène les patients à évoquer leur vécu du
shiatsu et permet d’effectuer une transition entre la vie quotidienne et cet espace
de soin un peu particulier. Le juscha (personne recevant le shiatsu) fait des hypothèses de liens qu’il pourra ensuite explorer en profondeur avec son thérapeute. En
écho au travail psychique, nous cherchons ensemble des solutions concrètes
pour limiter les comportements inadéquats. Ainsi, lors de troubles du sommeil, nous précisons ensemble les difficultés (endormissement, réveils nocturnes,
cauchemars, impossibilité de se lever le
matin), puis, en cas par exemple d’endormissement tardif, nous nous centrons
sur la préparation au sommeil (activité
calme en fin de journée, tisane, exercices respiratoires, repas léger). Souvent
c’est un moment où les patients livrent
des éléments émotionnels en liens avec
ces difficultés et je les encourage à les
évoquer avec leur thérapeute. En cours de
prise en charge, le patient découvre progressivement les différents champs d’application du shiatsu et il est encouragé à
formuler des projets spécifiques pour
s’approprier l’outil et se positionner de façon
dynamique face aux changements.
« À SON CORPS DÉFENDANT »
Née en 1978, Mme L., d’origine japonaise,
est arrivée en France à l’âge de 21 ans,
avec son futur mari. Fille unique, elle
n’a pas été reconnue par son père biologique à la naissance et a été élevée
par sa mère et son beau-père, décédé
alors qu’elle avait 13 ans. Sa scolarité se
déroule normalement, malgré la découverte, à l’âge de 16 ans, d’un syndrome
de Sjogren* qui se manifeste, pour elle,
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Qu’est-ce que le shiatsu ?
Le shiatsu (terme japonais signifiant pression des doigts) est une
discipline énergétique pratiquée depuis des millénaires en ExtrêmeOrient, qui consiste en des étirements et des pressions appliquées sur
l’ensemble du corps dans le but de favoriser le maintien de la bonne
santé. Le praticien effectue le plus souvent les pressions avec les doigts,
plus particulièrement avec les pouces. Les étirements favorisent une
meilleure circulation de l’énergie.
Ni massage, ni idéologie, ni médecine au sens occidental du terme, le
shiatsu est un outil s’inscrivant dans le domaine de la prévention mais
il peut également être associé aux traitements curatifs habituels et
participer avantageusement à la convalescence. L’objectif est de
corriger des irrégularités de l’organisme, de préserver et d’améliorer
l’état de santé et de contribuer à l’amélioration d’états pathologiques
spécifiques.
À qui s’adresse cette technique ?
Le shiatsu s’adresse à toute personne, quel que soit son âge, désireuse
de maintenir ou d’améliorer sa santé, de lutter contre les effets
secondaires de traitements allopathiques, de ralentir l’évolution
d’une pathologie dégénérative ou de développer un niveau de bienêtre physique, psychique et émotionnel, sous réserve toutefois de
l’existence de maladies ou malformations qui restent du strict ressort
du médecin.
Comment se déroule une séance ?
Une séance dure environ une heure. La personne reste habillée,
allongée sur un futon, sorte de matelas, posé sur le sol. Une tenue
souple facilite le travail. La séance peut être réalisée en position assise
pour les personnes que la position couchée incommode ou allongée
sur une table de massage pour celles qui ne peuvent pas s’allonger
par terre.
Quels sont les bienfaits attendus ?
Le shiatsu aide à :
– réduire le stress et les tensions, générateurs de nombreuses
pathologies ;
– stimuler et renforcer le système d’autodéfense de l’organisme ;
– équilibrer le système énergétique dans sa globalité de manière à
prévenir la rechute ;
– apporter une détente physique et psychique, permettant d’initier et
de conserver le retour à la santé ;
Les styles de shiatsu
Il existe différents styles de shiatsu, ayant comme dénominateur
commun la pression des doigts. En France les styles pratiqués sont
par une asthénie importante (état de faiblesse générale) et des périodes assez
longues d’hyperthermie. À son arrivée en
France, elle suit une formation courte
d’esthéticienne pour travailler rapidement, ce qu’elle parvient à faire pendant quelque temps. Mais de nombreux
problèmes somatiques surviennent : douleurs dorsales, céphalées, crampes d’estomac. Sa relation avec son employeur se
dégrade, Mme L. est de plus en plus
stressée, angoissée. C’est dans ce contexte
que son médecin traitant lui conseille
de s’adresser au CMP de son secteur.
identifiés selon qu’ils utilisent l’anatomie, les méridiens, les points
d’acupuncture. Tous mettent en œuvre des techniques visant à assurer
un équilibre énergétique.
La formation
La Fédération française de shiatsu traditionnel (FFST) décerne un
certificat de praticien en shiatsu après trois ans d’études. Les écoles
adhérentes à la fédération proposent un programme de préparation au
certificat qui requiert :
– Un minimum de 500 heures de pratique réparties sur au moins trois
ans, attestées par le livret pédagogique individuel fourni par la FFST
à l’élève au début de sa formation.
– Un minimum de 250 heures de travail personnel en dehors des cours.
– Le certificat Prévention et secours civique de niveau 1 (PSC1) de moins
de 5 ans.
– Les deux niveaux d’anatomie/physiologie de la FFST.
– Avoir rédigé 30 études de cas supervisées par l’enseignant(e).
– Réaliser un mémoire et en préparer la soutenance.
– Effectuer une épreuve pratique devant un jury de professionnels.
– Recevoir au minimum douze séances de Shiatsu, dispensées par des
enseignants ou des praticiens certifiés FFST.
Le cadre en France
Introduit en Europe dans les années 1970, le shiatsu bénéficie depuis
une quinzaine d’années d’une popularité croissante et s’inscrit dans le
développement global des médecines alternatives (yoga, taï chi chuan,
qi gong, arts martiaux mais aussi ostéopathie, aromathérapie…).
Dans une résolution de 1997 (A4-0075/97), le Parlement européen a
reconnu le shiatsu comme l’une des huit médecines complémentaires
« dignes d’intérêt ». Légalement, en France, ces formes de soins ne sont
pas encadrées.
Le shiatsu trouve cependant sa place dans des cabinets libéraux comme
une activité autorisée dans la mesure où elle concerne le bien-être et le
maintien de la bonne santé, déclarée sous la fiche du Répertoire
opérationnel des métiers et des emplois (Rome) n° K1103 :
« développement personnel et bien-être de la personne » et dans le
code NAF (nomenclature d’activités françaises) 96.04Z : « entretien
corporel ».
• Plus d’informations :
– Fédération française de shiatsu traditionnel : www.ffst.fr
– École angevine de shiatsu : www.shiatsu-angers.com
Elle est par ailleurs régulièrement suivie
au CHU pour son syndrome de Sjogren
par un spécialiste.
• En mai 2007, Mme L. rencontre un psychiatre du CMP de son secteur. Le contact
est bon, Mme L. vient très régulièrement
aux consultations. Rapidement, elle
montre des capacités d’analyse importantes,
établit des constats et des liens. Elle se
mobilise en vue des changements envisagés. Dans un premier temps, son humeur
s’améliore doucement et le travail psychothérapique avance, malgré la barrière
de la langue et sa culture qui limite l’ex-
pression des émotions et encourage la
réserve et la discrétion. Mais alors que
les éléments dépressifs paraissent s’atténuer, les plaintes somatiques passent
au premier plan, voire envahissent l’espace psychothérapique. Les entretiens
deviennent plus pauvres. Une interruption de la psychothérapie est envisagée
mais devant l’immense tristesse de cette
patiente, le thérapeute propose plutôt
de la poursuivre en y associant le shiatsu.
• En avril 2008, le psychiatre de Mme L.
me sollicite et nous échangeons sur sa
problématique, en particulier autour du
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lien, opérant « à son corps défendant »,
un lien comme paralysé ou stérilisé par
les incursions somatiques. Mme L. adhère
au projet et investit rapidement ce nouvel espace.
• Au cours des premières séances, nous parlons de ses nombreux troubles somatiques. Mme L. évoque des problèmes
gynécologiques avec des pertes menstruelles abondantes et douloureuses, une
très grande fatigue, des difficultés d’endormissement et des réveils nocturnes,
des douleurs lombaires, dorsales et des
maux de tête, du stress, de l’anxiété.
Notre échange tente de cibler, le plus
précisément possible, l’histoire et le
contexte des dysfonctionnements. Hormis
le fait d’envisager l’exploration de ces
troubles d’un point de vue médical, il
n’y a pas plus d’élaboration à ce stade.
• Je propose ensuite la prise en charge
corporelle. Durant quarante-cinq minutes
à une heure, Mme L. est allongée sur
un tapis de sol et j’exerce des pressions
des paumes et des pouces sur toute la
surface de son corps habillé.
• Puis, en fonction des déséquilibres énergétiques constatés pendant la séance, nous
élaborons des stratégies basées sur des
conseils d’hygiène de vie et des pratiques
(exercices de respiration, petits travaux
d’écriture pour faire évoluer les ruminations, modifications des habitudes alimentaires…).
Mme L. est très à l’écoute de mes propositions (par exemple, elle renonce à
la télévision le soir et lit, reprend une activité physique, ne mange plus de viande
au dîner) et profite nettement des séances
sur le plan somatique. Parallèlement, les
entretiens avec son médecin reprennent
de la consistance.
Au-delà de l’expérience physique, le
shiatsu réveille la mémoire émotionnelle.
Il n’est pas rare que les patients évoquent, en séance, des scènes traumatiques, pleurent ou affirment se souvenir de leurs rêves. Pour sa part, Mme L.
évoque des effets bénéfiques du shiatsu
sur son sommeil, ses diverses douleurs,
son stress et son anxiété. Par ailleurs,
elle fait le lien entre des scènes traumatiques de son enfance et sa vie actuelle.
• D’un travail d’étayage, nous passons à
un travail de restauration de la confiance,
de l’estime d’elle-même. Mme L. est
indéniablement « plus solide », et malgré une détresse qu’elle arrive petit à
petit à livrer à son médecin, nous ne
constatons plus d’effondrement aussi
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massif et somatisé qu’auparavant. Elle trouve
même les ressources pour changer d’orientation professionnelle et reprendre des
études. Aujourd’hui, Mme L. poursuit sa
thérapie et bénéficie du shiatsu occasionnellement, lors de situations de stress
important ou de grande fatigue.
« LE CALME APRÈS LA TEMPÊTE »
À 40 ans, Mme C. est mariée et mère de
deux petites filles. Elle travaille dans
l’informatique. Au décours d’une consultation en pédopsychiatrie pour l’une de
ses filles, elle est encouragée à consulter pour elle-même auprès d’un psychiatre de son secteur.
• Mme C. prend contact avec le CMP en
février 2010. Elle évoque des difficultés
très importantes dans son couple depuis
plusieurs années. Elle présente des
troubles du sommeil, une irritabilité, une
grande fatigue, une hyper-émotivité qui
envahissent son quotidien. Mme C. est
également atteinte d’un dysfonctionnement thyroïdien qui ne trouve pas d’issue médicamenteuse à ce moment-là.
Elle est suivie pour ce problème par un
endocrinologue.
Mme C. investit rapidement la thérapie
et les séances deviennent le contenant
d’effondrements massifs, de pleurs intarissables, mais peu de mots décrivent
son vécu interne. Plusieurs mois de thérapie s’écoulent, à raison de deux séances
par semaine et des liens s’élaborent
autour de son enfance et de dysfonctionnements familiaux. Cependant, ses ressentis quant à sa relation de couple sont
quasi-indicibles tant Mme C. est fragilisée. Les séances, pourtant productives,
restent extrêmement douloureuses et la
malmènent au plus haut point, laissant
craindre une rupture, ce que Mme C.
formule assez directement lors d’une
séance à laquelle elle a beaucoup hésité
à venir par peur d’un nouvel effondrement.
• Avec le psychiatre de Mme C., nous
échangeons autour de la douleur morale
de cette patiente. Elle refuse de prendre
un antidépresseur et nous lui proposons
une alternative avec le shiatsu, au rythme
d’une séance toutes les deux semaines,
parallèlement à la poursuite de la psychothérapie.
• Durant plusieurs mois, Mme C. connaît
un bénéfice immédiat à la suite des
séances. Malheureusement, ce mieuxêtre est de courte durée et a peu d’incidence sur sa vie quotidienne ou sur ses
effondrements en psychothérapie.
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• De mon point de vue, Mme C. est dans
un vide énergétique insondable et je
constate de nombreux blocages dans les
registres de la colère, de la prise de décision, de l’affirmation de soi et des relations à la mère. Mme C. poursuit son
travail psychothérapique mais dans une
importante souffrance morale.
• En janvier 2011, au bout de cinq mois
de thérapies associées, un virage notable
s’amorce. Mme C. décrit une sorte de
« calme après la tempête ». Elle retrouve
un sommeil de qualité et une meilleure gestion de ses émotions. Une relative sérénité
lui permet de réfléchir sans ruminer, de
prendre des décisions, de mener à terme
des projets qui lui tiennent à cœur. Mme C.
profite pleinement des séances de shiatsu
et nous percevons nettement une consolidation structurelle avec des ressources
disponibles pour faire face aux difficultés. Par ailleurs, son problème thyroïdien
semble se stabiliser. Mme C. parvient
petit à petit à décrire précisément ses
mouvements émotionnels, son vécu intérieur dans ses relations et lors des séances
de shiatsu. Les bénéfices, très transitoires, qu’elle ressentait en début de prise
en charge, paraissent s’installer durablement et surtout, elle se sent en capacité
de les générer elle-même.
Aujourd’hui, Mme C. poursuit son travail psychothérapique associé aux séances
de shiatsu. Malgré les nombreux obstacles encore présents, nous n’assistons
plus aux effondrements massifs, elle est
actrice des changements de sa vie.
CONCLUSION
Le shiatsu complète avantageusement
les soins classiquement proposés en psychiatrie sans jamais s’y substituer ni s’y
opposer. Dans la mesure où les indications sont convenablement posées en
équipe, cette technique est sans danger
ni effet secondaire et nous constatons
combien les soins psychiques peuvent
être potentialisés par ce type de prise
en charge corporelle
* Le syndrome de Sjogren, appelé également syndrome
de Gougerot ou syndrome de Gougerot-Sjogren, syndrome
sec, est une affection associant une sécheresse oculaire
à une sécheresse buccale. Il est soit primitif, soit le plus
souvent secondaire à une maladie systémique (polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux disséminé, sclérodermie)
ou à une affection auto-immune (thyroïdite, hépatite chronique active, cirrhose biliaire primitive).