Rat et souris de laboratoire : régime omnivore ou végétarien ?

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Rat et souris de laboratoire : régime omnivore ou végétarien ?
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Rat et souris de laboratoire :
régime omnivore ou végétarien ?
M. Varloud (1), D. Martel (2), A. Guyonvarch (1), AF. Couture (3)
(1)
(2)
[email protected], EVIALIS, Research and Development Department, Saint-Nolff, France
SAFE, Augy, France, (3) Montréal, Canada.
Introduction
Les animaux utilisés en recherche biomédicale sont maintenus sous des conditions strictement contrôlées.
L’alimentation est l’un des facteurs devant être piloté de manière à limiter les variations aléatoires de leur
expression phénotypique et garantir la qualité des modèles qu’ils représentent. Aussi, les aliments qui sont
mis à leur disposition, doivent non seulement répondre à des exigences d’appétence, de stabilité et de
sécurité, mais surtout répondre aux besoins nutritionnels de ces animaux selon leur stade physiologique.
Dans le cas des rongeurs, nous assistons actuellement à un intérêt croissant pour les aliments excluant les
matières premières d’origine animale.
Quelles conséquences peuvent avoir de telles formules sur la physiologie des animaux (reproduction,
fertilité), l’orientation nutrigénomique et la qualité des modèles qu’ils représentent ?
1. Pourquoi choisir une alimentation exclusivement végétale pour
des animaux de laboratoire ?
Le choix d’une alimentation basée sur des matières premières strictement végétales pour les rongeurs de
laboratoire repose sur deux arguments majeurs.
Le premier est un argument économique, lié au surcoût des protéines animales par rapport aux protéines
végétales. En effet, les sources de protéines d’origine animale sont principalement réservées à une valorisation en humaine et la pression d’achat est forte (Figure 1). Les produits dérivés sont valorisés en
alimentation du bétail et des animaux de compagnie, donnant lieu à une compétition d’achat mondial.
Dans le cas des produits marins, notamment en raison de leur utilisation dans les production aquacoles et
la valorisation dans le domaine des cosmétiques, la compétition d’achat est intensifiée par la limitation des
ressources (Figure 2).
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Figure 1 : Prix mondiaux de la viande, perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO : 2008-2017
(OCDE-FAO, 2008)
Figure 2 : Prix de la farine de soja et de la farine de poisson (FAO, 2008).
USD/Tonne
1500
1200
900
600
300
0
92
94
96
98
Farine de poisson
00
02
04
06
08
Farine de soja
Le second repose sur la notion de risque de contamination qu’implique le recours aux protéines animales.
A compter des années 1990, un fort doute a porté sur les protéines animales en raison de la crise de
l’encéphalopathie spongiforme bovine. Les conséquences de cette crise ont eu des répercussions fortes sur
l’utilisation des protéines animales en alimentation du bétail, y compris pour les animaux naturellement
omnivores, voire carnivores. Aujourd’hui, l’utilisation des farines animales est soumise à une réglementation
stricte (CE 2001, 2008).
Concernant spécifiquement les animaux de laboratoire, c’est dans les années 70’, en Allemagne (Kann et
al., 1977, cité par Edwards et al., 1979) qu’un épisode de contamination d’aliments par des composés
carcinogéniques (N-nitrosodimethylamine) avait porté la suspicion sur les farines de poisson. L’exclusion
de cette matière première dans les formules destinées aux animaux de laboratoire avait ainsi été
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préconisée (Rao & Knapka, 1987). Cependant, les farines de poisson ne représentent pas la seule source
de contamination possible en nitrosamines. Ces composés peuvent également être détectés dans plusieurs
denrées alimentaires telles que le maïs ou la pomme de terre (EPIC, 2004; Cotruvo et al., 2007) et l’eau
(Charrois et al., 2007). Le raisonnement conduisant à exclure l’une des sources potentielles de contamination ne garantit en rien l’absence de contamination ! Seule une sélection rigoureuse et systématique des
matières premières et surtout des producteurs de ces ingrédients avant l’inclusion dans l’aliment et le
contrôle de l’aliment final représente une solution adaptée à la prévention des contaminations alimentaires. Cette démarche de qualité s’appuie sur la sélection rigoureuse et le suivi des fournisseurs des
ingrédients, ainsi que sur le contrôle de contaminants potentiels (métaux lourds, pesticides, mycotoxines,
…) et non sur l’exclusion arbitraire de familles de matières premières.
2. Comportement alimentaire naturel et préférences des animaux
Les souris (Mus musculus) et les rats (Rattus norvegicus) de laboratoire sont des animaux naturellement
omnivores. Par définition, ce terme désigne les animaux qui se nourrissent à la fois d’aliments d’origine
animale et végétale. Ils se distinguent d’ailleurs d’autres animaux herbivores, cobaye (Cavia porcellus) et
lapin (Oryctolagus cuniculus), qui évitent naturellement les sources animales de protéines telles que les
hydrolysats de caséine ou la gélatine (Figure 3, Field et al., 2009).
Figure 3 : Préferences alimentaires d’herbivores (Aplodontia rufa, Cavia porcellus, Microtus townsendii,
Oryctolagus cuniculus, Thomomys mazama) et d’omnivores (Peromyscus maniculatus, Mus musculus, Rattus
norvegicus, Canis latrans) pour un hydrolysat de caséine (HC) ou de la gélatine (GE) (Field et al., 2009).
3. Besoins et réponses nutritionnelles pour les rongeurs de laboratoire
Pour formuler les aliments, il faut maîtriser les nutriments qui composent les contraintes de formulation. Cela
implique une connaissance des besoins de chaque nutriment intervenant dans le déterminisme phénotypique de l’animal (plus de 50 chez le rat, NRC, 1995), des outils analytiques capables de détecter les
niveaux de nutriments identifiés dans les matières premières et des outils industriels permettant de doser
finement les apports de chacune dans l’aliment. Or, à ce jour, les performances de formulation sont très
variables d’une espèce à l’autre en fonction du nutriment considéré.
La substitution des protéines animales par des sources végétales est très fréquente en alimentation du
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bétail. Par exemple, la formulation des aliments pour porc, omnivore, est maîtrisée de telle sorte que ceuxci peuvent aujourd’hui être fabriqués uniquement à partir de sources végétales sans que cela ne nuise à
la production (Aumaître et Lambert, 1969 ; Bouard et al., 1979). La prise en considération des acides
aminés dans les paramètres de formulation est l’un des critères indispensables à cette substitution. Celle-ci
suppose également que des dispositions sont prises pour maîtriser les facteurs anti-nutritionnels contenus
dans les matières premières végétales, tels que le gossipol dans le tourteau de coton, les teneurs en
glucosinolate dans le tourteau de colza, les teneurs en lignine dans les matières premières riches en fibres,
etc. Par ailleurs, le remplacement des matières premières d’origine animale par des sources végétales
affecte significativement la disponibilité des minéraux. Ainsi, ceux-ci sont apportés sous forme minérale et
donc moins biodisponibles que leurs équivalents organiques.
En outre, l’importance de certains éléments nutritionnels peu connus ou difficilement dosables peut-être
sous-évaluée aujourd’hui et reconsidérée demain. Ces substances ont d’ailleurs été répertoriées sous
l’appellation « constituants alimentaires potentiellement bénéfiques » par le NRC (NRC, 1995). Dans le
chapitre dédié au rat, entre la seconde (NRC, 1972) et la quatrième édition (NRC, 1995) de cette
référence, le chrome est ainsi passé de « nutriment indispensable » à « constituant potentiellement bénéfique ».
Au contraire, l’intérêt pour les fibres alimentaires n’apparaît que dans la 4ème édition... Ainsi, il n’est pas
exclu que dans les prochaines années, certaines substances comme taurine, hydroxyproline, peptides
bioactifs ou certains acides gras à chaîne longue, soient considérés comme indispensables sur des stades
physiologiques précis.
En l’absence de connaissance exhaustive des besoins nutritionnels des animaux de laboratoire, seul le
recours à une diversification des ingrédients incorporés dans la formule respectueuse du comportement
naturel et de la physiologie digestive permet de garantir la stabilité et la représentativité du modèle.
4. Risques relatifs à l’utilisation d’aliments strictement
végétariens, exemple du DHA
Le recours à des aliments formulés uniquement à partir de matières premières végétales chez le rongeur
de laboratoire entraîne un risque d’inadéquation entre besoins et apports nutritionnels.
Par exemple, l’acide gras docosahexaenoique (DHA, omega 3), est principalement présent dans les
ingrédients d’origine animale, et tout particulièrement dans les produits marins (Innis, 2007). Ce composé
peut être synthétisé par l’animal consommant l’acide alpha-linolénique (ALA) qui se trouve dans les sources
végétales telle que le lin. Cependant, cette voie d’apport ne suffit pas dans le cas de la croissance
embryonnaire car la capacité de transformation de l’ALA en DHA est dépassée par les besoins, la consommation de DHA devenant indispensable durant la gestation pour garantir un développement fœtal normal
sur le plan cérébral et cardiaque notamment. Chez l’enfant, les conséquences d’un régime végétarien de
la mère ont été mises en évidence sur les teneurs en acides gras du plasma contenu dans le cordon
ombilical (Figure 4, Sanders, 1999).
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Figure 4 : Proportions moyennes d’acides docosahexaenoique dans le plasma et les phospholipides
artériels du cordon ombilical d’enfants nés à terme de mères végétariennes (barres noires) ou omnivores
(barres hachurées). ***P < 0.001 (Sanders, 1999)
Chez l’animal, la réduction de l’apport en DHA cérébral chez le fœtus et le nouveau-né a été associée à
des déficits de l’arborisation neuronale, de neurotransmission et des élévations des indicateurs de l’anxiété,
de l’agression et de la dépression. (Bertrand et al., 2006 ; McNamara & Carlson, 2008).
L’apport de DHA est également indispensable aux stades de reproduction pour garantir la fertilité des rongeurs.
Ainsi, la maturité sexuelle (première ovulation) peut être artificiellement retardée par une alimentation
carencée en acides gras essentiels (Smith et al., 1989). Le ratio entre acides gras omega6 et omega 3 de
la ration intervient également pour améliorer le taux d’ovulation de la ratte (Trujillo & Broughton, 1995).
Chez les volailles l’huile de poisson est utilisée pour améliorer la qualité du sperme (Hudson & Wilson,
2003). Cependant, une attention particulière doit être attribuée à la conservation des matières premières
riches en omega-3 afin d’éviter les effets négatifs pouvant intervenir sur la fertilité et la santé en cas
d’oxydation (Zidkova et al., 2004).
Conclusion
Le recours à une diversité des ingrédients incorporés dans les aliments, respectueuse du comportement
alimentaire et de la physiologie digestive naturelle des animaux de laboratoire, contribue à la
diversité de l’apport en nutriments et donc à minimiser le risque potentiel de déficit ou subcarence
d’un nutriment essentiel à des protocoles.
Les principaux rongeurs de laboratoire (Mus musculus et Rattus norvegicus) sont, comme l’Homme,
naturellement omnivores. Cette caractéristique comportementale fait d’eux des modèles particulièrement adaptés à la recherche biomédicale humaine. Les données issues de la littérature soulignent
l’importance de l’alimentation dans l’expression du génotype (Kozul et al., 2008). Elles démontrent
que l’utilisation d’aliments excluant les matières premières d’origine animale chez ces animaux
peut conduire à des dérives, voire des dysfonctionnements physiologiques majeurs (neuronal,
cardiaque,…), et ce dès les stades les plus précoces. Les conséquences peuvent donc pénaliser à
la fois les éleveurs en raison de moindre performances de reproduction mais aussi les utilisateurs
des animaux en conditions expérimentales. En effet, les modifications de l’alimentation périnatale
peuvent influencer l’expression du génotype et se répercuter sur le phénotype de l’adulte.
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Littérature
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