La US Federal Trade Commission lève (un peu) le voile

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La US Federal Trade Commission lève (un peu) le voile
DÉCISION DES AUTORITÉS NATIONALES
DE CONCURRENCE ÉTRANGÈRES
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Sous la responsabilité de Loraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ, Avocat à la Cour, Jeantet Associés
Par Loraine DONNEDIEU DE
VABRES-TRANIÉ
Avocat à la Cour
Jeantet Associés
ÎRLC 2867
La U.S. Federal Trade Commission lève (un peu)
le voile sur son interprétation de la section 5
du Federal Trade Commission Act
À la demande du Congrès américain, la Federal Trade Commission (ci-après la « FTC ») a publié, le
13 août dernier, une déclaration (https://www.ftc.gov/system/files/documents/public_statements/735201/150813section5enforcement.pdf)
afin de clarifier les principes qu’elle suit dans son application du Federal Trade Commission Act (ciaprès le « FTCA »). Si cette déclaration avait pour objet de clore les débats portant sur le champ de
compétence de la FTC, il semble qu’en pratique, elle laisse subsister de nombreuses interrogations.
L
a FTC fut créée le 26 septembre 1914 par le FTCA afin de
contrôler le respect des règles du droit de la consommation
et du droit de la concurrence américains. Agence indépendante du gouvernement fédéral (la FTC est dirigée par cinq commissaires nommés par le Président des États-Unis et confirmés à leur poste
par le Sénat pour une durée de sept ans. Il ne peut y avoir plus de trois
commissaires du même parti politique. Le président de la FTC est choisi par le Président des États-Unis), la Commission peut, à l’instar de
l’Autorité de la concurrence française, spontanément ouvrir des
enquêtes avec ses différents Bureaux (Bureau of Competition, Bureau of Consumer Protection, and Bureau of Economics) puis, si
elle estime à l’issue de son enquête qu’il y a eu violation d’une
règle du droit de la consommation ou de la concurrence, établir
une notification de griefs. La FTC peut alors soit résoudre l’affaire
en signant une transaction (« consent agreement ») avec la personne ou l’entité concernée accompagnée d’une ordonnance administrative de cessation des pratiques contestées, soit déposer
une plainte auprès d’une cour de district fédérale qui peut rendre
une ordonnance dans le même sens ou une injonction temporaire
ou permanente. La FTC peut également requérir des juridictions
fédérales le prononcé de sanctions civiles.
Afin d’assurer à la FTC un champ de compétence étendu, la formulation de la section 5 du FTCA est relativement large, ce qui a
depuis son entrée en vigueur suscité de nombreuses critiques. En
effet, la section 5 du FTCA donne compétence à la FTC pour initier
spontanément des procédures contre les personnes, sociétés ou
entreprises (à l’exception des établissements financiers tels que
les banques, entreprises financières d’épargne et de prêt, les sociétés de télécommunications et les transporteurs aériens) qui ont
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eu recours à des pratiques déloyales ou anticoncurrentielles qui
affectent ou sont susceptibles d’affecter le commerce américain.
Ces critiques se sont accentuées avec la mise en place en 1933
de la Division Antitrust au sein du Département de Justice américain (DOJ). La Division Antitrust et la FTC sont en effet toutes
deux compétentes pour initier des actions judiciaires à l’égard
de pratiques anticoncurrentielles prévues par le Sherman Act et
le Clayton Act. En revanche, seule la Division Antitrust du DOJ a
compétence pour poursuivre pénalement les auteurs de pratiques
anticoncurrentielles, la FTC pouvant simplement lui transmettre les
dossiers concernés.
Face à la compétence élargie de la FTC et le risque d’incertitude
juridique en découlant, le Congrès américain s’est saisi de la question et a adressé, le 23 octobre 2013, une lettre à la présidente
de la FTC, Madame Edith Ramirez, lui demandant de fournir des
lignes directrices pour dissiper les doutes portant sur l’application de la section 5 du FTCA (http://apps.americanbar.org/intelprop/
spring2014/coursematerials/materials/International%20Trade%20commission%20%28ITC%29%20in%20Flux%20Learning%20from%20Recent%20
Developments/supporting_materials.pdf).
C’est donc en réponse à cette lettre du Congrès qu’intervient la
brève déclaration de la FTC (« Statement of Enforcement Principles Regarding "Unfair Methods of Competition" Under Section
5 of the FTC Act »). Cette déclaration d’une page énonce trois principes que la FTC s’engage à suivre pour décider si elle peut, sur
la base de la section 5 du FTCA, initier une procédure à l’encontre
de l’auteur d’une pratique déloyale ou anticoncurrentielle. En premier lieu, l’action de la FTC doit assurer le bien-être du consom-
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mateur dans le même esprit que les lois antitrust. En second lieu,
la pratique est examinée dans le cadre de « la règle de la raison »,
c’est-à-dire en prenant en compte la totalité des données économiques pertinentes, notamment le pouvoir de marché des parties
et la structure concurrentielle du marché en cause. Enfin, la FTC a
déclaré qu’elle essaiera, autant que possible, d’initier des actions
sur la base des Sherman ou Clayton Act plutôt que de se fonder sur
la compétence autonome que lui confère le FTCA.
Le texte a été approuvé à une majorité de 4 contre 1, la commissaire Maureen Ohlhausen désapprouvant la manière dont les lignes
directrices ont été arrêtées ainsi que leur contenu (https://www.ftc.
gov/system/files/documents/public_statements/735371/150813ohlhausendissentfinal.pdf). D’une part, elle déplore l’absence de consultation
publique avant la publication de la déclaration et l’absence de
participation aux débats d’intervenants issus du monde de l’entreprise, du Congrès ou de la Division Antitrust du Département
de la Justice américain. D’autre part, elle regrette le caractère succinct de la déclaration, l’absence d’exemples de conduites licites/
illicites ou de référence à des précédents juridiques qui auraient
pu permettre d’illustrer la future application de la section 5. Enfin,
elle considère que la formulation lacunaire et générale de la déclaration pourrait entraîner l’extension du champ de compétence
En bref...
Google soupçonné d’abus
de position dominante
par l’autorité de la concurrence
indienne
Le 1er septembre 2015, l’Agence France Presse
(AFP) de New Delhi révélait que l’autorité de
la concurrence indienne, la Competition Commission of India (CCI), soupçonnait Google,
le géant californien du moteur de recherche,
d’abuser de sa position dominante sur le marché indien des moteurs de recherche.
En 2012, deux plaintes avaient en effet été
déposées contre Google par le site matrimonial, Bharatmatrimony.com et par un groupe
de consommateurs, Consumer Unity and Trust
Society, devant la Competition Commission
of India (CCI). Les plaignants estimaient que
Google avait abusé de sa position en Inde sur
le marché des moteurs de recherche, en particulier s’agissant des comparateurs. En effet,
selon eux, Google proposerait aux internautes
des liens renvoyant vers des services Google,
au détriment des sites proposés par les concur-
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de la FTC, ce qui augmenterait le risque de distorsion avec la jurisprudence de la Division Antitrust du Département de la Justice
américain, qui n’est, elle, pas liée par le FTCA. En définitive, loin de
mettre fin aux incertitudes juridiques qui entouraient la section 5,
elle considère que la déclaration les accentue au détriment du
monde des affaires. Elle appelle donc une nouvelle déclaration de
principes qui prendrait en compte ses observations.
Toutefois, une nouvelle déclaration semble peu probable. En effet, la déclaration des principes généraux en matière de répression des pratiques anticoncurrentielles a été accompagnée d’une
autre déclaration de la FTC du même jour expliquant que ces
principes s’inscrivent dans la continuité de la jurisprudence de
la FTC, permettent à la FTC de conserver une certaine flexibilité
dans l’exercice de ses pouvoirs et qu’ils font l’objet « d’un large
consensus » (https://www.ftc.gov/system/files/documents/public_statements/735381/150813commissionstatementsection5.pdf). Par ailleurs,
les élections présidentielles et sénatoriales américaines ayant lieu
l’année prochaine, le Congrès ne se prononcera probablement
pas de sitôt sur ce dossier. D’ici là, en dépit de l’assurance de la
présidente de la FTC que le nouveau texte n’annonce aucun changement dans les pratiques et priorités de la FTC, la prudence est
recommandée aux entreprises. n
rents. Le site Bharatmatrimony.com reprochait,
plus particulièrement, à Google d’avoir « abusé de sa position dominante en poursuivant
des pratiques discriminatoires et de rétorsion
liées à AdWords » (The Economic Times) (régie
publicitaire de Google facilitant la visibilité via
la vente de mots-clés) en vendant des motsclés à des sites concurrents dans le domaine
des sites de rencontre, tel que Shaadi.com.
Une éventuelle condamnation serait d’autant
plus conséquente pour Google que sa régie
publicitaire lui confère une source de revenu
non négligeable. En effet, en 2011, Adwords a
réalisé un chiffre d’affaire mondial de 32,6 millions d’euros. Le directeur du groupe de
consommateurs, Udai Mehta, a quant à lui indiqué à l’AFP que « cette plainte était destinée à
s’assurer que les grands acteurs de l’internet se
conformeraient aux principes de concurrence »
en précisant qu’ils espéraient « qu’ils changeraient leurs habitudes afin de promouvoir
des pratiques saines après avoir été épinglés
dans le monde entier » (http://www.lapresse.
tn/article/inde-google-accuse-de-profiter-de-sa-position-dominante/169/4914).
À la suite de ces plaintes, la CCI, dont le rôle
tel que définit à l’article 18 du Competition
Act de 2002 (Competition Act de 2002, article 18, disponible sur le site :http://www.cci.
gov.in/images/media/Advocacy/CompetitionAct2012.pdf?phpMyAdmin=QuqXb-8V2yTtoq617iR6-k2VA8d), est de poursuivre les pratiques anticoncurrentielles en Inde, a ouvert
en 2012 une enquête contre Google afin d’examiner d’éventuel risque de position dominante
sur le marché indien des moteurs de recherche.
À cet effet, elle a auditionné une trentaine
d’entreprises utilisant le moteur de recherche
Google, aussi bien au niveau local (Flipkart), qu’au niveau international (Facebook ou
encore MakeMy-Trip.com). Après trois ans
d’investigation, il ressortirait du rapport préliminaire établi par la CCI que Google aurait
abusé de sa position dominante sur le marché
des moteurs de recherche indien en retenant
principalement trois chefs d’accusation (http://
www.generation-nt.com/google-abus-position-dominante-poursuites-inde-actualite-1918846.html). La CCI reproche à Google
la mise en avant de ses propres services. En
effet, un lien d’un service Google parfois moins
adapté à la recherche de l’internaute serait
proposé avant des sites quelconques. L’Autorité reprochait qu’un lien réellement recherché
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par les utilisateurs puisse être remplacé par un
lien qui a déboursé une certaine somme pour
être sponsorisé. Enfin, Google serait accusé, via son système de modification régulière
des algorithmes, qui détermine l’ordre des
résultats de recherche d’inciter les entreprises
à acheter toujours davantage de mots-clés
afin de figurer parmi les premiers résultats de
son moteur de recherche et d’éviter ainsi de
lourdes répercussions financières pour cellesci, due à perte d’une nouvelle clientèle éventuelle qu’elle aurait pu acquérir en restant parmi les premiers résultats. Par exemple, le site
Ciao, qui répertorie des avis et des conseils de
consommateurs, après avoir longtemps figuré
parmi les premiers résultats du moteur de re-
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cherche, avait été relayé, en à peine quelques
heures, dans les résultats de recherche.
tions de la CCI courant septembre pour être
ensuite entendu par cette dernière.
Google a indiqué qu’elle était prête à coopérer
et à se plier aux exigences de la CCI afin de
satisfaire aux enjeux concurrentiels du marché
indien. Il faut en effet rappeler que Google
s’expose à une amende d’un montant de 10 %
de la moyenne de son chiffre d’affaire des trois
dernières années (http://cci.gov.in/images/
media/ResearchReports/Penalties%20for%20
infringement%20of%20Competition%20Laws.
pdf (p. 17) : rapport de la CCI sur les pénalités pour enfreindre le droit de la concurrence,
chapitre 3, section 2) (soit environ 4,47 milliards
d’euros). Google devrait répondre aux accusa-
La politique de la CCI s’inscrit dans la continuité de celles déjà menées par d’autres autorités
de la concurrence nationales (États-Unis, Brésil,
Taiwan, Canada…) ou européennes. Sachant
que Google réalise plus de 56 % de son chiffre
d’affaires hors des États-Unis, une sanction
émanant d’une autorité étrangère aurait de
lourdes conséquences pour elle. La décision
qui sera rendue par la CCI devrait avoir des
conséquences importantes pour le marché indien, étant donné que l’Inde compte quelques
300 millions d’utilisateurs d’internet et Google
détient 97 % des parts de marché.
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