Le dol dans les cessions d`entreprises

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Le dol dans les cessions d`entreprises
Date : 19/11/2012
Pays : FRANCE
Page(s) : 32-33
Rubrique : Entreprise & finance
Diffusion : (20000)
Périodicité : Hebdomadaire
Le dol dans
les cessions d'entreprises
Le dol de l'une des parties est une cause de
nullité d'une cession d'entreprise, quelle
que soit sa forme (vente de titres, cession
de fonds de commerce, etc.). Retour sur la
jurisprudence récente en la matière.
cession d'entreprise doit obéir aux
conditions de validité des conventions, et
notamment à l'exigence d'un consentement
valable des parties1. Un consentement ne
sera pas valable «s'il a été surpris par dol 2», c'est-à-dire
par une manœuvre destinée à tromper une partie pour
obtenir son consentement. Cette manœuvre peut être un
acte positif (comme la communication volontaire d'une
information fausse) ou résulter d'une rétention d'infor
mation (tel que le silence gardé sur la perte d'un client
important). C'est une cause de nullité si les manœuvres
ont été telles que, sans elles, l'autre partie n'aurait pas
contracté3.
Quelques arrêts récents ont apporté des précisions sur
l'existence et les conséquences d'un dol.
Une
1. Article 1108 du
Code civil
2. Article 11 16 du
Code civil
3. Pour une
illustration en
matière de contrats
voir
informatiques,
Cass. com , 29 juin
n0
2010,
09-11.841.
4. Cass. com.,
20 janvier 2009,
n" 07-18.136
5. Cass. Ve civ.,
25 mars 2010,
no08-13.060.
6 Cass. com ,
28 septembre 2010,
n" 09-16.261.
Le vendeur qui se rend coupable d'un dol peutil invoquer le plafond d'une garantie ?
La garantie par un cédant à son ou ses cessionnaires
est généralement plafonnée. Une clause limitative de
responsabilité est réputée non écrite lorsqu'elle «contredit
la portée de l'obligation de garantie», ce qui est le cas
lorsque le plafond est dérisoire ou injustifié et vide ainsi la
garantie de sa substance4. La Cour de cassation5 apporte
une nouvelle restriction à la mise en œuvre d'une clause
limitative de responsabilité lors de la cession du contrôle
d'une société : le dol du vendeur.
Dans l'espèce jugée, les cessionnaires s'étaient engagés à
lever les cautions souscrites par les cédants ou à contrecautionner lesdits engagements. La société cédée, dont
la situation financière était en réalité beaucoup plus
dégradée qu'annoncée, a été placée en liquidation judi
ciaire. Les cessionnaires ont refusé de se substituer aux
cédants et ont mis en jeu la garantie de passif. Pour
Olivier de Précigout,
avocat droit des sociétés
- fusions acquisitions,
directeur associé,
Fidal
leur défense, les cédants se sont notamment retranchés
derrière la limitation de la garantie. Les cessionnaires ont
fait valoir que les manœuvres dolosives employées par
les cédants en dissimulant une partie du passif devaient
entraîner l'annulation de la clause plafonnant le montant
de la garantie. La Cour de cassation a cassé l'arrêt d'appel
pour avoir appliqué cette clause de limitation de garantie
sans répondre aux conclusions des cessionnaires.
L'obligation de transparence renforcée
de l'acquéreur dirigeant de la société cédée
La Cour de cassation6 a réaffirmé que lorsque l'acquéreur
des titres d'une société est dirigeant de celle-ci, il est
débiteur d'une obligation de loyauté renforcée vis-à-vis
de l'associé qui lui cède ses parts.
Le gérant de deux sociétés avait acquis les parts d'un
associé, parts qu'il avait recédées en totalité à un tiers à
des conditions financières plus avantageuses que lorsqu'il
les avait lui-même acquises. Apprenant plusieurs années
après les cessions d'origine que le gérant cessionnaire
avait revendu les parts acquises à des conditions plus
avantageuses, le vendeur initial a assigné ce dernier en
paiement de dommages-intérêts pour lui avoir, par réti
cence dolosive, dissimulé l'offreferme du tiers acquéreur
d'acquérir les titres des deux sociétés à des conditions
plus avantageuses.
Estimant que le gérant avait manqué à son obligation de
loyauté en tant que dirigeant des sociétés dont les titres
avaient été cédés et relevant que le demandeur n'aurait
pas vendu ses parts ou en aurait exigé un prix supérieur
s'il avait été informé du prix proposé par le tiers, la
cour a condamné le gérant acquéreur pour sa réticence
dolosive. La Cour de cassation a confirmé l'arrêt d'appel.
L'obligation de loyauté et de transparence particulière
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Date : 19/11/2012
Pays : FRANCE
Page(s) : 32-33
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qui pèse sur un dirigeant imposait au gérant de révéler
l'existence et les conditions de revente des parts au tiers.
Le bénéfice d'une garantie de passif
peut-il empêcher le cessionnaire
d'invoquer le dol du vendeur ?
Une société rachetée employait la plupart de ses salariés
au moyen de contrats de travail à durée déterminée.
Plusieurs salariés ayant demandé la requalification
de leurs contrats de travail
en contrats à durée indéter
La Courde cassation
minée, l'acquéreur a assigné
les vendeurs en nullité de la
apporteunenouvelle
cession sur le fondement du dol,
restriction à la mise
plaidant que s'il avait connu
ce risque de requalification, il
en œuvred'une clause
n'aurait pas acquis le contrôle de
limitative de responsabilité la cible. La cour d'appel a rejeté
la demande de l'acquéreur en
lors de la cessiondu
relevant, notamment, que les
contrôled'unesociété:
conséquences d'une telle requa
lification des contrats de travail
le dol du vendeur.
avaient été écartées dans la
clause de garantie de passif. Bien
que la cour n'ait pas caractérisé en quoi cette exclusion
démontrait que l'acquéreur avait connaissance du risque
de requalification des contrats de travail, la Cour de
cassation7 a confirmé l'arrêt d'appel qui estimait que l'ac
quéreur avait ainsi eu connaissance de ce risque. Avoir
envisagé un passif social dans la garantie pouvait donc
faire présumer que l'acquéreur avait (ou aurait dû avoir)
connaissance du risque de requalification l'empêchant
par la suite d'invoquer un dol de son vendeur.
Cet arrêt doit être interprété avec prudence car la Cour
de cassation avait préalablement jugé qu'une exclusion
de la garantie n'empêchait pas d'invoquer un dol pour
non-révélation du risque de passif au jour de la cession.
7. Cass. com.,
7 février 2012,
n" 11-10487.
8 Cass com.,
10juillet 201 2,
n0
11-21.954
9 CA Orléans,
4 septembre 2012,
n"
12/1341.
Le caractère déterminant et déloyal de la
dissimulation d'une information fonde le
caractère intentionnel de la réticence dolosive
Un consultant avait conclu un contrat aux termes duquel
il devait aider une société à rechercher des partenaires
financiers moyennant une rémunération basée sur les
sommes investies par les candidats présentés. Soutenant
avoir été trompé par son client en raison de la situation
de l'un des salariés, il a demandé à la société réparation
du préjudice invoqué du fait du retrait d'un investisseur.
Le salarié en question était l'interlocuteur privilégié
du consultant, était intervenu auprès des investisseurs
et, compte tenu de la situation qui lui avait été décrite,
était présenté par le consultant comme l'homme clé de
l'équipe de direction. Or, il avait été condamné à une
lourde interdiction de gérer.
La Cour de cassation8 rejette le pourvoi formé contre
l'arrêt de la cour d'appel qui avait jugé que si le consul
tant avait connu cette condamnation, il n'aurait pas
contracté avec la société car elle rendait illusoire la prise
de participations de partenaires financiers. Ce salarié
étant un des deux dirigeants de la société, la cour jugeait
la dissimulation comme déterminante. Considérant que
le silence gardé, alors que le salarié exerçait des fonctions
de responsabilité au sein de la société et avait joué un rôle
essentiel auprès des tiers, était déloyal et constituait une
réticence dolosive, la cour d'appel en a déduit que cette
dissimulation était intentionnelle.
La limite du préjudice indemnisable
de l'acquéreur lorsqu'il ne demande pas
l'annulation de la cession
Le cédant d'une société de location longue durée de
matériel informatique avait dissimulé à son acquéreur
l'existence de contre-lettres permettant à certains loca
taires d'acquérir le matériel à un prix avantageux en fin
de contrat. L'acquéreur a demandé l'octroi de dommagesintérêts en réparation du préjudice allégué. La cour
d'appel de Paris avait jugé que le préjudice indemnisable
ne pouvait résider que dans «la perte de chance d'obtenir
les gains attendus de l'acquisition». La 1" chambre civile
de la Cour de cassation avait censuré cet arrêt estimant
que le préjudice ne pouvait résulter que de «la perte d'une
chance de ne pas contracter ou de contracter à des condi
tions plus avantageuses».La cour de renvoi a rejeté l'argu
ment du cédant qui plaidait que le seul préjudice auquel
l'acquéreur pouvait prétendre était la perte d'une chance
d'avoir pu mieux négocier le prix. Saisie d'un nouveau
pourvoi, la chambre commerciale de la Cour de cassa
tion9 a censuré l'arrêt de renvoi en confirmant qu'«ayant
fait le choix de ne pas demander l'annulation du contrat»,
le préjudice réparable de l'acquéreur «correspondait
uniquement à la perte d'une chance d'avoir pu contracter
à des conditions plus avantageuses».
La dissimulation du caractère déficitaire
d'une activité n'est pas forcément constitutive
d'un dol du vendeur
Reprochant à son vendeur d'avoir dissimulé le caractère
déficitaire de l'activité de la société acquise en incluant
des travaux non réalisés dans son bilan, un acquéreur
avait demandé l'annulation de la cession pour dol.
La cour d'appel d'Orléans10 a rejeté sa demande esti
mant que l'intention malhonnête du vendeur n'était pas
prouvée. L'utilisation erronée, ancienne et constante,
d'une méthode de comptabilisation des travaux révélait
que ces manquements étaient sans lien avec l'opération
contestée et ne traduisait pas la volonté du cédant de
masquer la situation de la société. Par ailleurs, le bilan
contesté n'avait pas été utilisé pour déterminer le prix de
cession qui avait été finalement établi selon une situation
comptable révisée par un expert-comptable désigné
par l'acquéreur qui avait obtenu une réduction du prix
de cession. Enfin, l'acquéreur, bien qu'ainsi informé du
caractère déficitaire de l'activité, avait maintenu son
intention d'acheter la société. M
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