LES TOUAREGS, CHEVALIERS BLEUS DU DÉSERT : DANS L
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LES TOUAREGS, CHEVALIERS BLEUS DU DÉSERT : DANS L
LES TOUAREGS, CHEVALIERS BLEUS DU DÉSERT : DANS L’IMAGINAIRE FRANÇAIS DU SECOND EMPIRE Thomas FLICHY Professeur à l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr Les interventions militaires françaises dans la zone saharienne sont partiellement conditionnées par des représentations mentales qui se cristallisent à compter du Second Empire. Pour les explorateurs français du XIXe siècle, le « peuple singulier qui règne en maître sur le grand Sahara »1, semble réincarner les preux du temps jadis. L’étrange apparition médiévale de guerriers blancs au milieu des solitudes du désert suscite une fascination évidente. Présentés comme d’anciens chrétiens rejetés par les Maures, les chevaliers bleus Touaregs, souverains altiers des sables, forcent le respect de nombreux explorateurs qui préconisent de gagner l’amitié de ces guerriers à la fois proches et lointains. D’anciens chrétiens, rejetés par les Maures dans les solitudes du Sahara Les explorateurs français démontrent, preuves à l’appui, que les Touaregs restent très imprégnés par leur ancienne religion chrétienne. Le mot Touareg, qui signifie les abandonnés de Dieu, sous entend d’ailleurs que ces peuples ont longtemps refusé d’adopter l’Islam. De fait, les traces du christianisme sont évidentes dans leurs mœurs qu’il s’agisse de l’horreur du vol, du refus du mensonge ou de l’accomplissement de la parole donnée. D’un point de vue juridique, les Touaregs sont l’un des seuls peuples musulmans d’Afrique ayant conservé un code de lois indépendant du Coran. Celui-ci porte le nom de Canon (Kanoun). La croix latine est en grand honneur chez eux : « on la retrouve brodée aux quatre coins de leurs vastes boucliers, gravée sur presque toutes leurs armes et le pommeau même de la selle de leurs méharis en affecte la forme »2. D’autre part, les Touaregs pratiquent la confession publique. Ils sont pardonnés par le marabout qui prononce une formule d’absolution. Ils font également usage d’une prière qui a des rapports frappants avec le Notre Père. L’influence du 1 2 Abbé Charles Loyer, Les Touaregs, Paris, Benjamin Duprat, 1863, p. 5 Ibid. p. 24. christianisme demeure particulièrement forte sur la famille comme l’écrit Henri Duveyrier : « S’il est un point par lequel la société targuie diffère de la société arabe, c’est par le contraste de la position élevée qu’y occupe la femme comparée à l’état d’infériorité de la femme arabe. Chez les Touaregs, la femme est l’égale de l’homme, si même, par certains côtés elle n’est dans une condition meilleure (…) dans la communauté conjugale, elle gère sa fortune personnelle sans être jamais forcée de contribuer aux dépenses du ménage (…) son autorité est telle que, bien que la loi musulmane permette la polygamie, elle a pu imposer à l’homme l’obligation de rester monogame, et cette obligation est respectée sans aucune exception »3. Les femmes Touaregs sortent d’ailleurs sans être voilées. Malgré la normalisation islamique, la société touarègue a ainsi préservé un fort particularisme religieux. Les chevaliers bleus, souverains altiers des sables Les qualités militaires des Touaregs n’échappent pas aux officiers français en poste dans le désert. Société aristocratique, les Touaregs accordent aux seuls nobles les droits politiques. Dès qu’ils ont atteint leur majorité, ceux-ci sont appelés à faire partie des mia’âd, ou assemblées dans lesquelles se discutent les intérêts communs. Un seul dans la tribu, par une sorte de droit d’aînesse spécial, gouverne et administre le territoire, avec ou sans le concours des autres membres de sa famille. L’occupation ordinaire des nobles est de faire la police du territoire de la tribu, d’assurer la sécurité des routes, de protéger les caravanes de leurs clients, de veiller sur l’ennemi, de le combattre, au besoin, et, en cas d’une guerre, de prendre le commandement des serfs. Tout travail manuel étant considéré par les nobles comme indigne de leurs seigneuries, ils sont même disposés, en leur qualité de gentilshommes, à n’apprendre ni à lire ni à écrire. Les riches Touaregs ont généralement des esclaves noirs acheminés par caravanes depuis l’actuel Mali. Ils possèdent également des serfs qu’ils peuvent affranchir à leur mort. « Indépendamment de leurs dispositions naturelles à la bravoure chevaleresque, les Touareg sont sollicités à l’héroïsme par leurs femmes qui, dans leurs chants, dans leurs improvisations poétiques, flétrissent la lâcheté et glorifient le courage»4. Il ne fait donc guère de doute que ces hommes ascétiques constituent les meilleurs guerriers de la région saharienne. Dans ces conditions, l’affrontement direct pourrait être fatal. Il serait vain de vouloir soumettre ces hommes par la force Les Français réfléchissent dès le Second Empire à la façon d’assurer la sécurité du commerce dans l’immense territoire saharien. Les Touaregs sont maîtres des routes par lesquelles les caravanes pénètrent dans le centre de l’Afrique. Or, il est très difficile d’être aussi mobile que ces nomades : « L’espace que chacun d’eux parcourt dans une année dépasse tout ce que l’imagination la plus féconde peut supposer. Chez les Touaregs, une femme franchit à méhari 100 kilomètres pour aller à une soirée, et un homme sera quelquefois dans la nécessité de voyager vingt jours pour aller à un marché. L’immensité du désert dévore la vie des nobles »5. Dans ces conditions, « Comment arriver à nous aboucher avec ces hommes ombrageux, prévenus, fanatiques, indépendants jusqu’à la sauvagerie ? »6. Henri Duveyrier, Exploration du Sahara, les Touaregs du nord, Paris, Challamel, 1864, p. 340 Ibid., p. 450 5 Ibid., p. 332 6 Abbé Charles Loyer, Les Touaregs, Paris, Benjamin Duprat, 1863, p. 10 3 4 Le Commandant Hanoteau préconise de constituer un makhzen Touareg afin de protéger le commerce. Le colonisateur français s’appuie également sur les tribus de marabouts qui remplissent le rôle de modérateurs, de conciliateurs et d’instructeurs. L’abbé Loyer résume bien la politique française en ces termes : « Comment amener les Touaregs, qui n’ont jamais subi le joug de personne, à laisser librement circuler nos voyageurs, négociants ou autres, et de plus, à les protéger au besoin ? C’était là une entreprise d’une difficulté extrême (…) Aurait-on pour cela recours à la voie des armes ? Mais ici encore se dressait devant nous un obstacle aussi effrayant que terrible ! Comment atteindre un ennemi que ses rapides méharis rend insaisissable, défendu à la fois par son ciel de feu, l’aridité du territoire et les espaces sans limites du grand Sahara ? On ne lutte pas contre l’impossible ; toutes les troupes de l’Algérie y eussent passé sans résultat (…) Les Touaregs étant inabordables par la force, il ne restait plus, pour les réduire, que la voie – lente il est vrai, mais beaucoup plus sûre des négociations »7. En réalité, ces pourparlers ne sont pas suffisants et la France aura recours à la force afin d’obtenir la soumission des Touaregs. Dépeints dès le Second Empire comme des peuples aussi imparfaitement islamisés qu’excellents combattants, les Touaregs ont été présentés par la littérature de voyage comme d’indispensables auxiliaires pour l’armée française. Cette image a durablement influencé politiques et militaires et ce, jusqu’aux opérations contemporaines. 7 Ibid. p. 9