Notes de programme - Les Violons du Roy

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Notes de programme - Les Violons du Roy
CLAUDE VIVIER (1948-1983)
Zipangu (1980)
Né à Montréal le 14 avril 1948, de parents inconnus, Claude Vivier est parmi les plus fulgurants talents
qu’ait connu le Québec. Après une enfance difficile, il se destine à la prêtrise, mais est refoulé aux
portes du séminaire. Ses études au Conservatoire de Montréal lui ouvrent de nouveaux horizons. Dans la
classe de Gilles Tremblay, il s’initie au monde de la composition, ce qui l’amène à étudier à l’Institut de
sonologie d’Utrecht et à Cologne auprès de Karlheinz Stockhausen, avec l’appui du Conseil des Arts du
Canada. Après de premiers essais sous le signe du structuralisme, ses œuvres démontrent à partir du
début des années 1970, une préférence pour la voix, l’homophonie et la monodie.
Après un long périple en Asie et au Moyen-Orient (1977), son langage s’épure et intègre de nouvelles
techniques d’écriture. « Je réalise de façon patente que ce voyage n’est finalement qu’un voyage au fond
de moi-même », confia-t-il à son retour. À partir de ce moment, il défend l’idée que la musique doive
faire partie du quotidien. En 1982, après avoir été nommé Compositeur de l’année par le Conseil
canadien de la musique, il part pour Paris où il meurt assassiné, dans la nuit du 7 au 8 mars 1983, en
laissant, inachevée, une œuvre intitulée Crois-tu en l’immortalité de l’âme?
Claude Vivier cultivait une passion pour l’Orient, qu’il soit réel ou rêvé. En 1980, à la demande de
l’organisme torontois New Music Concerts, il compose Zipangu, une œuvre pour orchestre à cordes
inspirée du Japon – appelé Zipangu au XVIe siècle. Créée la même année sous la direction de Robert
Aitken, la partition a notamment été enregistrée par le Néerlandais Reinbert van Leeuw sous étiquette
Philips (1996), en plus d’être éditée par le prestigieux éditeur Boosey & Hawkes. Elle est dédiée à son
ami Philippe Poloni, artiste multidisciplinaire avec qui il avait collaboré pour le court-métrage L’homme
de Pékin.
Le compositeur décrit ainsi son travail : « Autour d’une mélodie, j’explore dans cette œuvre différents
aspects de la "couleur". J’ai tenté de "brouiller" mes structures harmoniques par l’emploi de différentes
techniques d’archet. Ainsi s’opposent un bruit coloré obtenu par pression exagérée de l’archet sur les
cordes et les harmoniques pures lorsqu’on revient à la technique normale. Une mélodie devient couleur
(accords), s’allège et revient peu à peu comme purifiée et solitaire ». Le compositeur Serge Garant
relève également un magnifique épisode qui « fait entendre le violon solo jouant des lignes très
fantaisistes sur une texture faite entièrement d’harmoniques », sans parler de la fin, qui, « dans un
passage grave et sombre, atteint un bouleversant lyrisme ».
STEVEN MACKEY (né en 1956)
Four Iconoclastic Episodes pour violon, guitare électrique et orchestre à cordes
Les Four Iconoclastic Episodes pour violon, guitare électrique et orchestre à cordes ont été publiés en
2009 chez Boosey & Hawkes. L’œuvre fut créée le 29 octobre de la même année à Limerick en Irlande
par l’Orchestre de chambre irlandais, sous la direction d'Anthony Marwood. Nous reproduisons ici les
notes rédigées par le compositeur :
Il s’agit d’une musique remplie d’énergie, de mouvement et habitée par le plaisir de
jouer. […] Chacun des quatre épisodes fut écrit en réaction à certaines pièces qui
m’ont accroché. Like an Animal, avec sa métrique changeante, ses harmonies
sataniques et ses interactions virtuoses entre la guitare électrique et le violon,
constitue un hommage au jazz-rock fusion incarné par le Mahavishnu Orchestra.
Salad Days a été écrit en réponse à de la musique populaire africaine que j’avais
entendue un jour à la radio. […] La musique transformait des instruments à cordes
pincées indigènes comme la kora et le mbira en une sorte de musique pour guitare
électrique exotique. J’ai à mon tour essayé de transformer les souvenirs que j’avais
de ces staccatos brillants et de ces arpèges pincés en quelque chose de cohérent avec
mon propre langage.
Il existe une chanson du groupe Radiohead appelée Amnesiac, qui commence par
des accords en apparence arythmiques au piano. Lorsque les autres instruments font
leur entrée, le contexte se clarifie et ces accords semblent alors se balancer
confortablement dans cette métrique. De la même manière, Lost in Splendor paraît
énigmatique au départ, avant de se clarifier. À l’occasion, le même rythme peut être
interprété dans plusieurs métriques et tempos. Techniquement parlant, ce morceau
est une chaconne où un motif se répète incessamment. Cependant, les subtils
changements et nuances qui affectent ce rythme plurivalent passent à l’arrière-plan
et deviennent l’accompagnement fragile et agité d’une douce chanson sans paroles.
Destiny est aussi animé par un motif obsessionnel, entendu mesure après mesure. Ce
morceau est en quelque sorte un long slow en 12/8 dans le style Chicago Blues.
Toutefois, la manière avec laquelle l’harmonie se transforme d’une façon continue à
travers ce rythme constant fait référence à la musique de chambre de la fin de la vie
de Schubert, avec laquelle je suis entré en contact dans mon travail quotidien de
professeur à l’Université de Princeton.
LUDWIG VAN BEETHOVEN (1770-1827)
Symphonie no 5 en do mineur, op. 67
« C’est très grand, c’est absolument fou ! On aurait peur que la maison s’écroule! ». C’est ainsi que
Goethe s’écria après avoir entendu la 5e Symphonie de Beethoven jouée au piano par Mendelssohn. À la
même époque, Berlioz, à l’issue d’un concert où avait été exécutée la célèbre partition, raconta que
« l’auditoire, dans un moment de vertige, a couvert l’orchestre de ses cris; c’étaient des exclamations
furieuses mêlées de larmes et d’éclats de rire… Un spasme nerveux agitait toute la salle ». Encore
aujourd’hui, la « Cinquième , l’œuvre la plus connue et la plus jouée de Beethoven, ne laisse personne
indifférent. Pour François-René Tranchefort, « hier comme aujourd’hui, la Symphonie en ut mineur,
"c’est" Beethoven ».
Cette symphonie fut l’objet de quelques vagues esquisses vers 1795, avant de prendre définitivement
forme entre 1805 et 1808. Elle fut créée le 22 décembre 1808 à Vienne en même temps que la
Symphonie « Pastorale » et d’autres œuvres (Les Violons du Roy ont recréé cette soirée à l’occasion du
400e anniversaire de la ville de Québec). La partition est dédicacée à deux des plus importants mécènes
du musicien : le prince Joseph Franz von Lobkowitz et le comte Andreï Razoumovski.
Dès l’injonction initiale, nous sommes happés par la puissance dramatique de cette musique. Ce thème,
qui marque toute la symphonie, proviendrait, selon Czerny, du chant d’un loriot entendu par le
compositeur lors d’une promenade. Beethoven l’a lui-même décrit comme « le destin [qui] frappe à la
porte ». Cet élément, qui innerve toute la partition, se retrouve au cœur d’un véritable combat dont le
premier mouvement constitue l’expression la plus belliqueuse. Seul un thème plus mélodique, en mi
bémol majeur, apporte quelque douceur dans cette rixe musicale. Pour Brigitte et Jean Massin, « dans le
second morceau [en la bémol majeur], l’homme vaincu semble reprendre des forces dans un motif qui
se précise et s’intensifie à chaque variation » et « semble fait de fraternité virile et d’espérance dans un
avenir meilleur, en des lendemains qui chanteront ».
Manque de bol, le redoutable motif du destin revient à la charge dans le scherzo, dans un noir do
mineur. Seul le trio, une sorte de fugato en do majeur, amène un brin de lumière dans cette obscurité.
Après la reprise de la première partie, survient un des passages les plus grisants de tout le répertoire
musical : l’entrée du finale, conquérant, lumineux comme un lever de soleil. Pour les Massin, il s’agit
d’un « triomphe définitif », d’une « victoire irréversible ». La citation, vers la fin, du thème du destin,
comme vidé de sa substance, ne réussira pas à obscurcir cette apothéose sans équivoque.
Emmanuel Bernier