La circulaire Sarkozy : de la poudre aux yeux
Transcription
La circulaire Sarkozy : de la poudre aux yeux
Enseignants, pas flics ! Base-élève, c’est le nom choisi par le ministère de l’Education nationale pour baptiser son système de fichage informatisé de la maternelle au CM2. Déjà expérimenté dans 21 départements, il sera généralisé dès la rentrée à l’ensemble du territoire. Toutes les données familiales, sociales, scolaires et identitaires des élèves seront ainsi transmises par les directeurs d’école à l’IEN, à l’IA, puis au Rectorat pour terminer, via Internet, dans un fichier national partiellement accessible aux maires. L ’administration met en avant la nécessité de centraliser ces données pour des besoins statistiques ainsi que l’aide apportée par ce dispositif aux directeurs d’écoles. Pourtant, ces justifications ne nous rassurent en rien sur la dangerosité d’un tel outil. Car la plupart des directeurs utilisent déjà un logiciel de gestion. La véritable «plus» de Baseélève réside surtout dans certains champs à renseigner, qui nous en disent long sur les besoins statistiques invoqués : nationalité, résultats scolaires, suivis RASED, langue et culture d’origine, absences, intervenants éventuels, situation familiale, santé, date d’entrée en France... Autant d’items qui montrent à l’évidence que le besoin éducatif des jeunes n’est pas la seule raison d’être de Base-élève. Car si ce n’est pour contrôler étroitement les populations étrangères, en quoi la nationalité d’un enfant ou son année d’arrivée en France nous intéresseraient-elles ? C’est ce qu’a confirmé l’Inspection d’académie des Pyrénées-Orientales, où Base-élève est expérimentée depuis 2004, en reconnaissant «être la plus grande source d’information sur l’immigration». Dans un contexte où la nouvelle orthodoxie politique amalgame «familles issues de l’immigration» et délinquance, la Base-élève est d’autant plus dangereuse qu’elle centralise et croise des informations personnelles. Elle se situe dans la droite ligne du rapport Bénisti [1] qui, pour prévenir «les comportements déviants», préconisait la détection précoce des troubles comportementaux infantiles. Pour ce faire, le rapport associait délinquance et langue maternelle et proposait une «culture du secret partagé» entre services publics afin de signaler à la police, via le maire, toute «personne présentant des difficultés sociales, éducatives ou matérielles». Or ce rapport parlementaire a largement inspiré la loi contre la délinquance que N. Sarkozy fera adopter en septembre… par le parlement. Une loi qui, entre autre, conditionnera le versement des allocations familiales à un contrôle renforcé de l’assiduité scolaire, et imposera le partage du secret professionnel entre policiers, magistrats, enseignants et travailleurs sociaux. Toute relation avec Baseélève est-elle purement fortuite ? Il est d’autant plus difficile de le croire que si les renseignements de Base-élève sont en principe anonymement centralisés à Orléans, «l’anonymat peut-être levé en fonction des besoins de l’administration». Au moyen de Base-élève, ce sont donc les données personnelles de tous les enfants, et à terme de toute la population, qui seront centralisées et partagées entre institutions ; un fichage généralisé que rien ne protège d’ailleurs des intrusions privées puisque ces informations, personnelles et confidentielles, transiteront par Internet [2]. Les risques de dérives de Baseélève à des fins de contrôle social sont donc patents, et les menaces pesant sur les libertés individuelles de chacun aussi. Pour Sud éducation, Base-élèves n’est pas un outil au service des besoins éducatifs de la jeunesse, c’est l’instrument d’une politique sécuritaire et policière. En conséquence, nous demandons l’abandon du fichier Base-élèves et appelons les collègues à se réunir en conseil des maîtres pour élaborer et transmettre à l’IEN leur prise de position, à informer les parents d’élèves des risques encourus par leurs enfants et, a minima, à refuser de rentrer les données sensibles dans ce fichier. La circulaire Sarkozy : de la poudre aux yeux ! L ’annonce de la circulaire Sarkozy avait fait naître beaucoup d’espoirs chez les familles de sanspapiers, qui se sont précipitées pour déposer leurs dossiers avant le 13 août. Leur accueil dans les préfectures débordées par cet afflux s’est souvent fait de façon inadmissible : attentes interminables (parfois de jour et de nuit) dans des conditions d’insalubrité insupportables, encadrement policier parfois musclé… Le ministre de l’Intérieur avait énuméré six critères et affirmé qu’ils étaient cumulatifs : la famille devait résider en France depuis au moins deux ans, l’enfant être scolarisé depuis septembre 2005 au moins, être né en France ou y être arrivé à l’âge de 13 ans maximum, l’essentiel de la vie familiale se dérouler en France et non dans le pays d’origine, les parents contribuer effectivement à l’entretien et l’éducation de l’enfant, et la famille manifester une réelle volonté d’intégration. Quant aux familles dont les enfants étaient arrivées quand ils avaient plus de treize ans, elles étaient d’emblée écartées, de même que les jeunes majeurs, lycéens ou étudiants. Finalement, en annonçant que quel que soit le nombre de dossiers déposés, seules 6 000 familles seraient concernées, Sarkozy a montré le peu de cas qui serait fait des critères qu’il avait lui-même énoncés ! La circulaire Sarkozy, c’était donc surtout de la poudre aux yeux. Une loi hyper répressive sur l’immigration a été votée, et le seul but de cette circulaire c’était de donner du ministre l’image d’un politique «ferme mais humain». Il avait déjà fait le coup avec la loi sur la double peine, dont la Sud éducation Côtes d’Armor [1] Rapport préliminaire sur la prévention de la délinquance, Commission prévention du groupe d’étude parlementaire sur la sécurité intérieure présidé par Jacques-Alain Bénisti, octobre 2004. [2] Login et mot de passe ne sont en rien des sécurités comme l’explique Jacques Henno dans Tous Fichés, L'incroyable projet américain pour déjouer les attentats terroristes, éditions Télémaque, novembre 2005. modification largement médiatisée n’avait nullement arrêté les expulsions. A neuf mois de la présidentielle, Sarkozy est avant tout préoccupé par l’éventuelle exploitation politique de ses choix en matière d’immigration et craint par-dessus tout les attaques de l’extrême droite durant sa campagne. Pourtant, les 6 000 régularisa- tions annoncées vont déjà bien au-delà des premières estimations du ministère de l’Intérieur qui tablait voilà encore quelques semaines sur un millier de familles. «Il y a deux mois, on nous disait zéro régularisation, en juin, pendant la circulaire, on parlait de 720 familles et aujourd’hui nous en sommes à 6 000 régularisations. Qu’il continue dans cette voie-là...» (Richard Moyon porte-parole de RESF). A quelques jours de la rentrée, le nombre de requêtes adressées aux préfectures n’est pas connu avec précision, mais il oscillerait entre 25 000 et 30 000, selon l’entourage de Nicolas Sarkozy. Cette estimation est supérieure aux projections évoquées par le ministre de l’Intérieur, le 24 juillet, qui tablait sur 20 000 requêtes. Dans sa dernière conférence de presse RESF précise : «tous les retours des différentes régions témoignent de la plus grande disparité dans la façon dont les dossiers ont été reçus et traités dans les diverses préfectures. A l’évidence, chaque préfet s’est bricolé sa propre interprétation de la circulaire et ses propres conditions d’application afin de rester dans les ordres de grandeur décidés et chiffrés par le ministre : 20 000 dossiers reçus, 5 à 6 000 régularisations.» Que va-t-il se passer à la rentrée pour les familles dont les dossiers ont été rejetés ou refusés (entre 50 000 et 100 000 parents et enfants) ? L’aide au retour, systématiquement proposée, a rencontré très peu de succès : quelques dizaines de familles, tout au plus, auraient accepté de retourner dans leur pays, en contrepartie d’un pécule dont le montant varie en fonction du nombre d’enfants (7 000 euros pour un couple, auxquels s’ajoutent 2 000 euros par enfant mineur jusqu’au troisième, à condition de s’être déclaré candidat avant le 13 août). Qu’adviendra-t-il des autres, qui vont rester en France et retourner à leur situation de clandestins ? Sarkozy a réaffirmé sa fermeté à leur égard. Il a prévenu que les personnes déboutées avaient vocation à “retourner dans leur pays” d’origine. “Si on ne quitte pas la France, si dans un contrôle par des gendarmes ou par des policiers on est arrêté, on sera raccompagné chez soi, c’est la règle”, a-t-il dit. Comme le souligne RESF : «C’est une nouvelle fois annoncer l’ouverture de la chasse à l’enfant dont le signal a peut-être été donné par l’expulsion le 13 août d’un jeune couple ukrainien et de son enfant de trois ans !» Il y a aussi d’autres signes inquiétants : ◆ L’expulsion des habitants du squat de Cachan et la mise en centre de rétention immédiate de dizaines de sans papiers. ◆ L’annonce de la création d’un fichier informatique national regroupant les noms et photos de toutes les personnes dont la demande de régularisation a été rejetée, l’identité des membres de leurs familles, les noms des personnes les ayant hébergés ou visités en centre de rétention. La Cimade ne croit pas à des interventions massives de la police. “Il y aura plutôt des opérations au compte-gouttes, et quelques-unes ciblées à destination des médias à l’approche de l’élection présidentielle”, estime Jérôme Martinez, un expert juridique de l’association. Pourtant, il y a tout lieu de s’alarmer ! Au total, 10 462 étrangers en situation irrégulière ont été éloignés du territoire français entre le 1er janvier et le 30 juin 2006. Un chiffre stable par rapport à celui de 2005 pour la même période. Quant à Sarkozy, il promettait en décembre de l’année dernière 25 000 reconduites à la frontière pour 2006. La meilleure protection des élèves sans papiers et de leurs familles, ce sera notre mobilisation ! «Les mobilisations de l’année dernière avaient obligé le ministre de l’Intérieur à prendre sa circulaire du 31 octobre qui suspendait les reconduites jusqu’à la fin de l’année scolaire. Celles du printemps dernier l’ont contraint à publier le 13 juin une nouvelle circulaire qui reporte les expulsions à la rentrée. On ne voit pas pourquoi ceux qui se sont opposés aux expulsions d’enfants l’an dernier et cet été les accepteraient davantage à l’automne ! Monsieur Sarkozy se prépare une rentrée scolaire agitée du fait des mobilisations qui vont reprendre autour des familles déboutées de la circulaire du 13 juin mais aussi autour des jeunes majeurs scolarisés. Délibérément exclus du champ d’application de la circulaire Sarkozy, ces lycéens sans papiers (car avant d’être des «jeunes majeurs» ils sont des lycéens, tout comme leurs camarades de classe, du même âge, munis de papiers) étaient publiquement menacés d’expulsion immédiate par le ministre. En réalité, seulement trois d’entre eux (Abdallah vers le Maroc et les deux Aminata vers le Mali) l’ont effectivement été. Ce sont, bien sûr, trois expulsions de trop et trois drames pour les jeunes concernés… A n’en pas douter, cela va continuer et, peut-être, déborder du cas des familles et des enfants sans papiers pour s’étendre à l’ensemble des sans papiers. C’est en tout cas, ce qu’il faut souhaiter.» RESF 16/08/2006 coup de filet FICHAGE DES ÉLÈVES A Sud éducation, aux côtés de nos élèves et de leurs familles, aux côtés de tous les sans papiers nous continuerons à nous battre pour la régularisation de tous ! Sud éducation Paris éducation / Le journal / numéro 19 / septembre 2006 5