Oui, on peut cultiver un arbre en pot, mais c`est du

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Oui, on peut cultiver un arbre en pot, mais c`est du
66 Nature
Le Matin Dimanche | 1er mai 2016
Oui, on peut cultiver un arbre
en pot, mais c’est du travail!
Jardin Les jardiniers sans jardin en rêvent: un arbre, un vrai, capable d’ombre, de fleurs et de fruits
à élever sur leur balcon ou leur terrasse. Fantasme? Pas toujours. A condition de le surveiller de près.
Valérie Hoffmeyer
«N
otre terrasse est
toute petite, avec
un sol en
bois et des
murs tout
autour. On rêve d’un arbre, avec tronc,
feuillage rougeoyant en automne et même
quelques fruits, le tout dans un beau grand
pot. Raisonnable?» A cette question, le jardinier avec jardin, le pépiniériste professionnel ou l’exploitant d’un verger lèvent tous les
yeux vers le ciel et lâchent un «bof» décourageant, imaginant le citadin ignare tentant
d’élever un chêne dans un pot en plastique.
S’ensuit une litanie de justifications: jamais un arbre ne se développera en bac
comme s’il était en pleine terre. Si c’est un
fruitier, il ne produira guère, sera fragile et
donc sujet aux maladies, il faudra le traiter
avec des produits de toutes sortes. Moyennant un arrosage sans vacances, un apport
régulier en nutriments, des tailles appropriées pour maintenir le sujet dans un gabarit adapté, au mieux: il survivra.
Pourtant les jardineries débordent d’arbres en container en parfaite santé, des
pommiers palissés couverts de fleurs, des
bouleaux pleureurs, des palmiers, des citronniers et des érables du Japon qui semblent prêts à faire le saut jusque sur le plus
perché des balcons. Alors quid?
Epousailles longue durée
Eh bien il faut savoir une ou deux choses
avant de se lancer. Une fois que l’aspirant a
bien intégré les contraintes de cette culture,
aussi artificielle que dépendante, qu’il a compris qu’il ne gagnerait pas son autonomie alimentaire avec son pommier nain et qu’il n’espère pas tailler sa table de cuisine dans le bois
de son chêne centenaire, alors il lui reste à
trouver la bonne essence, adaptée à la situation qu’il peut lui offrir et, surtout, à son goût.
Parce que faire pousser un arbre sur son
balcon n’a rien d’une union libre où chacun
mènerait sa vie de son côté. Il s’agit d’épousailles longue durée, avec engagement
ferme, côtoiement quotidien, douze mois
par an, été compris. Et même l’hiver, il faudra dégeler l’arrosoir et soulever le voile de
protection pour hydrater (un peu) l’ami ligneux (lire encadré).
Voici néanmoins le «top 10» de ces arbres, qu’il reste un peu déraisonnable de garder en bac, même pour les professionnels du
jardin qui livrent ici leurs favoris (et qui tous
en possèdent au moins un chez eux).
Nicolas, spécialiste de l’arbre en ville, détenteur d’une collection de bonsaïs: «Mon
préféré est sûrement le pin blanc du Japon
(Pinus parviflora) qui se prête très bien à la
culture en bonsaï. Je suis aussi très amateur
d’érables du Japon (Acer palmatum avec des
feuilles à 5 lobes, ou japonicum à 7, 9 voire
11 lobes). Ils sont un peu fragiles et il faut les
garder en situation abritée et à mi-ombre, le
plein soleil grillerait leur feuillage. Mais ce
sont des arbustes – et non des arbres – d’une
rare élégance, avec notamment des variétés
dorées, très lumineuses.»
Leur bon choix
Chez Scènes d’Extérieur, Florence et Nicolas, spécialisés dans l’aménagement de terrasses urbaines dans la région lyonnaise,
choisissent en fonction de la situation bien
sûr, mais aussi les sujets qui résistent au
vent, à la chaleur de l’été et au froid. «Le pin
mugho ou pin à crochet (Pinus mugho) est un
petit sujet aux branches très étalées. On
aime bien aussi proposer de l’abélia à grandes fleurs (Abelia grandiflora, en situation
abritée en Suisse romande) et la spirée vanhoutte (Spirea x vanhouttei) avec sa floraison
Contrôle qualité
De l’eau, de l’eau
et encore de l’eau
$ Un arbre en bac est totalement dépendant:
de l’arrosage, qui doit être régulier et sans
vacances, ni en été ni en hiver. La quantité
dépend de la taille du bac. Pratiquer un arrosage en deux temps: d’abord un premier passage, à faible débit; puis laisser s’infiltrer l’eau
lentement, pour bien humidifier les premiers
centimètres de terreau. Puis un deuxième
passage pour terminer l’imprégnation de la
motte. Le lessivage de la terre, et donc l’évacuation des matières organiques, est ainsi
freiné, mais pas évité: tout est emporté, tôt au
tard vers le sol, les rivières et les lacs, même si
l’on ne cultive qu’un bac de géranium sur son
petit balcon. D’où l’importance de choisir des
nourritures aussi inoffensives que possibles
pour l’environnement. Le purin d’orties
qu’on trouve tout prêt en bidon, les copeaux
de corne, les bouillies de plantes contre les
maladies sont parfaits! Se rappeler aussi que
remplacer le vrai sol est impossible, même à
grande échelle. Les plantations d’arbres sur
des garages souterrains, par exemple, même
bien dotées en volume de terre, ne seront
jamais celles de la pleine terre, irremplaçable
et d’autant plus précieuse qu’elle se raréfie
de manière irréversible. V. H.
très dense, blanche, sur toute la longueur de
ses fines branches arquées. Ce ne sont pas
tout à fait des arbres, mais des arbustes très
décoratifs sur une terrasse.»
Ghislaine, spécialiste des soins aux
(grands) arbres: «Si j’avais une grande terrasse, j’aimerais avoir non pas un, mais des
bouleaux. Ils réussissent plutôt bien en bac,
c’est une essence pionnière qui s’installe
avant les autres sur les terrains ouverts, ils
ne sont donc pas très exigeants en qualité du
sol. Mais en planter plusieurs comme je le
souhaiterais exige vraiment un grand bac!
Le lilas d’été (Lagerstroemia indica) tient
bien aussi en pot.» Avec son écorce marbrée
et sa généreuse floraison, du rose au fuchsia,
il offre un spectacle varié au fil de l’année.
«Le frémontodendron, en forme de boule
dense et toujours vert, avec des fleurs jaunes
en début d’été, est moins connu: il peut être
maintenu en jardinière s’il est taillé souvent.» Un californien peu gourmand en eau
et résistant jusqu’à 15 degrés sous zéro.
Marc, arboriste-horticulteur jurassien:
«Chez les petits arbustes d’origine méditerranéenne pour le plein soleil, la bleue lavande (Lavandula angustifolia «Hidcote»),
le très florifère romarin qui résiste à presque
tout, la jaune cytise (Cytisus praecox) conviennent bien pour des situations très ensoleillées et sèches.»
Un érable du Japon
peut bien se plaire
dans un grand bac.
Alamy Stock Photo,
Asife/iStock
Vincent, pépiniériste: «J’ai chez moi un kaki
ou plaqueminier du Japon (Diospyros kaki) depuis 1994 en bac. Ce n’est pas très raisonnable!
C’est un demi-tige, il produit quelques fruits.
Et n’atteindra bien sûr jamais les 5-6 mètres
d’un kaki en pleine terre, mais il ne va pas trop
mal. Les fruitiers nains résistent bien aussi, ils
sont faits pour une culture en bac pour laquelle
la demande est forte. Le grenadier (Punica granatum) résiste assez bien aussi (courtes périodes jusqu’à 15 degrés sous zéro), comme souvent les essences originaires du sud: les conditions du bac s’approchent de celles de sols maigres et plutôt secs. Attention aux bambous: on
a tendance à les croire tout-terrain et beaucoup
s’adaptent bien en jardinière, mais certaines
variétés ne tiennent pas bien du tout, comme le
bambou parapluie (Fargesia murielae), très élégant mais ultrasensible au sec.»
Nicole, fleuriste: «Les clients sont très
amateurs d’arbres en fleurs surtout au printemps et je propose volontiers des lilas, à plusieurs branches dès le départ de la plante.
Certains palmiers, comme les Trachycarpus,
sont assez rustiques pour résister en bac dans
la région lémanique, surtout si le volume de
terre est suffisant. Pour ma part, je les trouve
un peu passés de mode. Les gens cherchent
des plantes plus souples, plus changeantes,
qui évoquent la nature, les fleurs, tout en
étant décoratives et rustiques.» U
A faire cette semaine
$ Les griffes de dahlias fraîchement
acquises ou ayant hiverné bien à l’abri
peuvent retourner en pleine terre, le temps
qu’elles émergent et les saints de glace
(11-13 mai) se seront envolés. Pour les plus
grands sujets, placer un tuteur au moment
de la plantation afin d’éviter de blesser
ensuite les racines.
$ Se préparer à admirer les floraisons
croisées des cytises tout d’or vêtus
et des glycines blanches ou mauves qui,
en plus de leurs spectaculaires grappes,
s’engagent à parfumer nos environnements
olfactifs plusieurs semaines durant.
En y regardant de plus près, nous ne sommes
pas les seuls à nous y enivrer!
$ A peine défleuris, repiquer les brins
de muguet du 1er Mai en pleine terre
dans un endroit ombragé du jardin.
Si ce n’est chez vous, chez des amis
ayant ce type d’emplacement, voire
dans un petit-bois connu de vous.
Qui sait, des clochettes blanches
vous y attendront peut-être au printemps
prochain. G. V.