traité de l`élysée et memoires de la seconde guerre mondiale

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traité de l`élysée et memoires de la seconde guerre mondiale
TRAITÉ DE L’ÉLYSÉE ET MEMOIRES DE LA
SECONDE GUERRE MONDIALE
Alors que Angela Merkel et François Hollande fêtent à Berlin le cinquantième anniversaire du Traité
de l’Élysée, Monsieur Christian LEQUESNE, Directeur du CERI-SciencesPo., tient une conférence à ce
sujet devant les élèves des sections germanophones (européennes et internationales) du lycée.
L’Europe ou le dépassement des mémoires difficiles
Le 22 janvier 1963, le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer signent le traité de coopération
destiné à sceller la réconciliation entre la France et la République Fédérale d’Allemagne.
Ce geste, entre les pays fondateurs de la CECA puis de la CEE, est une démarche d’entente. De plus
l’échange d’un baiser fraternel, élément imprévu, renforce la dimension émouvante de cet acte de
réconciliation.
Aujourd’hui, la jeune génération pourrait considérer ce traité comme une simple formalité réunissant
officiellement les deux ennemis de la seconde guerre mondiale. Pourtant, parvenir à l’époque à un
tel accord ne fut pas aisé. En effet, en 1954 la germanophobie est à son apogée en France. Le
gouvernement français s’oppose à la création d’une communauté européenne de défense, craignant
le réarmement de l’Allemagne.
Grâce au travail de réconciliation effectué par d’illustres hommes (tels déjà Pierre Mendès-France
sous la IVème République), qui envisageaient la création d’une nouvelle Allemagne démocratique, les
anciens ennemis sont désormais le couple moteur de l’Europe. En dehors des nombreux jumelages,
des manuels d’histoire franco-allemands (utilisés par moins de dix pour cent des établissements
français) et de l’OFAJ (Office Franco-Allemand pour la Jeunesse), l’anniversaire du traité de l’Elysée
évoque également les mémoires de la Seconde Guerre mondiale. Ces mémoires sont propres à
chaque pays.
La réconciliation entre la France et l’Allemagne est la concrétisation du souhait de surmonter les
douleurs du passé : la création de l’Union Européenne en est l’aboutissement. En effet, cette union
n’existe qu’en raison du rapprochement franco-germanique, et c’est également l’Europe qui justifie
une telle coalition.
Certains philosophes parlent de présomption chrétienne ; les historiens des deux côtés du Rhin y
voient plutôt une capacité collective à expliquer « scientifiquement » les faits, à avoir un sens critique
à l’égard d’une Histoire mutuelle, permettant de s’extraire du domaine insaisissable de la mémoire.
Ainsi se développe une conscience démocratique et critique, à l’origine d’une politique en opposition
à la montée des nationalismes cause des différentes guerres.
Si à l’Ouest de leurs frontières, les Allemands ont été plus ou moins facilement accueillis, ceci n’en fut
pas de même lorsqu’ils se sont tournés vers l’Est.
Dès 1970, Willy Brandt engage l’Ostpolitik afin d’établir un dialogue avec le bloc de l’Est. Ce dialogue
se poursuit jusqu’en 1989-année de la chute du mur de Berlin. Même s’il existe actuellement un
office germano-polonais (sur le principe de l’OFAJ) et un comité d’historiens retraçant le passé
commun, ce sujet reste parfois encore sensible, comme l’illustre le musée des expulsés de Berlin qui
suscite la contreverse.
L’Allemagne qui se doit d’assumer la responsabilité collective de crimes de guerre et de crime contre
l’Humanité ne parle donc pas des souffrances qu’elle a également subies : expulsion d’Allemands
vivant à l’époque dans le bloc de l’Est, en Bohème-Moravie, par exemple.
Actuellement, dénoncer ces douleurs longtemps cachées, n’exclut pas la Shoah. En effet la
souffrance n’écarte pas la responsabilité du crime, bien que celui-ci ait souvent été le plus
prédominant dans les mémoires des peuples européens. Il est nécessaire de rappeller que ce sont les
historiens qui qualifient les faits de crimes, et cela ne devrait pas être le rôle des politiques, qui en
abusent parfois.
Après les Polonais, les Russes !
Car eux aussi partagent une mémoire avec les Allemands. Pendant de nombreuses années le crime
de Katyn (1940) a été attribué aux Waffen SS, ce qui s’est avéré faux. Ceci témoigne de la capacité à
manipuler les faits et par la suite les mémoires à des fins politiques. Il ne faut pas négliger la force
des discours sur une société. Depuis la découverte de ce mensonge, les archives de Katyn, cachés
jusqu’à lors à Moscou, ont été envoyés à Varsovie, afin de rétablir la vérité historique.
Les Russes n’ont pas encore fait le travail de mémoire de la période du stalinisme.
Les mémoires des massacres, même si certains de leurs aspects peuvent être partagés, ne sont pas
les mêmes selon les Etats, ce qui développe des conflits de mémoires (comme au sein du Parlement
Européen), car certaines tendent à s’imposer. Les mémoires, bien qu’elles aient un socle commun, ne
seront jamais les mêmes ; la controverse fait d’ailleurs partie de la démocratie, pilier de la fondation
d’une Europe politique.
En 1947, la création d’équipes internationales de pédagogues en Allemagne de l’Ouest, a permis
d’expliquer à la jeunesse de l’époque le sens des diverses armisties. Ainsi les jeunes ont compris
qu’elles étaient un acte politique et non de justice. En effet, la justice ne peut être qu’individuelle car
la souffrance n’est pas collective.
La construction progressive de l’Union Européenne a fixé des impératifs moraux. Contrairement à la
situation entre la Chine et le Japon (actuellement théatres de violentes manifestations xénophobes
et d’une montée des nationalismes plus intenses qu’à l’époque de la guerre) les pays européens ont
su apprendre de leurs erreurs : admettre le passé est un constat de justice !
Quelques questions ont suivi la présentation de Monsieur Lequesne :
Le cinéma aide-t-il à surmonter les clivages ?
Oui, car l’idée d’un cinéma nationaliste est dépassée. On peut s’intérroger sur le rôle du comique
qui aide à dépasser les divergences et à dédramatiser le crime. On a pu critiquer les représentations
des Allemands (à l’époque détestés en France) dans les films de la Première Guerre mondiale.
L’attribution du prix Nobel à l’Union Européenne est-elle méritée ?
Oui, l’Union mérite ce prix. Elle a vécu en paix pendant soixante ans. En revanche, c’est dommage
que ce prix ne lui soit décerné que maintenant car il y a eu des moments plus symboliques durant sa
construction. Nuançons ce propos en rappelant qu’en temps de crise un hommage était nécessaire
pour montrer que l’UE est encore valable en dépit de ceux qui disent le contraire.
L’Europe ne se préoccupe-t-elle pas trop de son passée et pas assez de son avenir ?
Regarder vers le passé permet de construire l’avenir. Et pour la jeunesse française, l’Allemagne
n’est plus le pays de la réconciliation, mais plutôt un pays « cool », où il fait bon vivre et où le
système scolaire est moins strict que celui auquel elle est habituée. Il n’y a presque plus aucune
conotation symbolique et historique, car les générations précédentes se sont chargé d’aplanir le
terrain. En 1945, l’Allemagne ravagée a dû être reconstruite sans qu’il n’y ait eu un quelconque débat
au sujet de la responsabilité de la guerre. Dans les années 1960, la discussion refait surface entre les
auteurs et historiens, créant la polémique. Il est donc nécessaire de parler de l’Histoire, sinon elle
nous rattrape.
Dans quelles régions européennes les mémoires restent-elles difficiles ?
En Russie ou encore en Espagne à propos de la guerre civile même si on en parle. Un mémorial, par
exemple, construit à cinquante kilomètres de Madrid en 1978 par Franco, est fortement contesté car
à l’époque les Espagnols étaient privés de débat.
La Turquie propose également aujourd’hui une réflexion sur le génocide arménien de 1915 à 1916.
Lorsqu’un pays commet une faute, qui en est responsable : le gouvernement ou le peuple ?
Il faut distinguer les individus des gouvernements. La responsabilité collective s’adresse au
gouvernement mais le plus souvent la société endosse la culpabilité étatique car rien n’est jamais
uniforme. C’est également dans cette optique qu’il est nécessaire de rappeller qu’il y a eu des
résistants sous le 3e Reich, Sophie Scholl par exemple.
La montée des nationalismes n’entraîne-t- elle pas une perte d’identité des générations actuelles ?
Les jeunes générations ont l’occasion de voyager, ainsi la comparaison entre les autes cultures est
possible et elles n’oublient d’ailleurs pas le patriotisme propre à leur pays. Cependant, il est essentiel
de distinguer le patriotisme du nationalisme. Disons que le nationalisme est le côté malsain du
patriotisme ce dernier étant le simple fait d’aimer son pays.
Quelles différences y a-t-il entre les extrémismes européens ?
Premièrement, la forme des extrémismes a changé. Ensuite, à partir des années 1970 l’extrême
droite se fait plus entendre que l’extrême gauche. Notons que l’Allemagne est le seul pays européen
où le parti d’extrême droite national n’est pas représenté au Parlement. En effet la société a appris
de ses erreurs. En général les extrémismes européens sont semblables : rejet de l’intégration
européenne, rejet de la mondialisation, rejet de la suprêmatie du marché financier et rejet de
l’immigration.
Peut-on considérer que les mémoires sont assez enseignées aux jeunes pour éviter de nouvelles
guerres mondiales ?
En classe de 1ère S et de Terminale L et ES, le thème de la guerre au XXème siècle est étudié. Il n’est
donc sans doute pas nécessaire d’en rajouter. Notons que les élèves allemands abordent ce thème
dès la 5ème et jusqu’en Terminale.
Il est parfois difficile pour les enseignants de rester neutres. Le sujet est d’ailleurs plus facilement
abordable pour la nouvelle génération qui n’a plus la pudeur liée à l’expérience : le débat est donc
plus accessible.
Le travail intensif réalisé autour des mémoires n’est-il pas la source du conflit entre la Palestine et
Israël ?
Le conflit israélo-palestinien n’est pas un conflit issu de la Shoah. C’est plutôt le retour des Juifs vers
le pays de leurs ancêtres c’est-à-dire l’occupation d’un pays déjà peuplé. Il est vrai que la
radicalisation a développé la sécularisation de la nation. La notion identitaire est aujourd’hui plus
marquée qu’à l’époque des Israéliens fondateurs du pays. Mais, c’est un Etat démocratique, donc il
existe un débat : « ici la majorité a exprimé son souhait ».
Pourquoi les populations ne se sont-elles pas soulevées contre les régimes d’oppression ?
Au cours d’une même expérience totalitaire, les comportements face à cette dernière sont
différents. Dans une famille, deux personnes peuvent avoir des réactions opposées face à la violence.
Le libre choix est essentiel dans le comportement des individus. Certains ont peur de la répression et
d’autres non. Par exemple, en Allemagne de l’Est, l’entrée en dissidence entraînait l’arrêt des études
supérieures des enfants de la famille concernée. Certes, si tous les Hommes entrent en résistance, le
régime tombera. Cela ouvre le débat entre la théorie et la pratique.

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