Les peintures murales du monastère de Marko : un programme

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Les peintures murales du monastère de Marko : un programme
Bogevska Saška
Docteur en Histoire de l’Art Byzantin
École Pratique des Haute Études
Les peintures murales du monastère de Marko : un programme iconographique
au service de la propagande royale
Le Monastère de Marko (fig. 1), près de Skopje1, en actuelle République de
Macédoine, a été fondé par le roi serbe Vukašin (1365-1371) en 13452. À ce moment, seule
l’architecture du katholikon semble être terminée. L’église, qui est dédiée à saint Démétrios,
n’a été décorée de peintures à l’époque du fils de Vukašin, le roi Marko en 1376/773. Le roi
Marko (1371-1395)4 succède à son père en 1371, quand Vukašin périt dans la fameuse
bataille de Marica (Ĉernomen) face aux Turcs5. Ce moment est crucial pour les chrétiens des
Balkans, car les Turcs musulmans commencent à s’installer définitivement en Europe, en
1
La région de Skopje faisait partie de l’Empire byzantin jusqu’à la fin du XIII e siècle, quand les Serbes
s’emparent des terres byzantines du nord des Balkans. En 1282, les armées de roi serbe Milutin occupent d’une
manière durable la ville de Skopje et les régions de la Macédoine orientale (Polog, Ovĉe pole, Zletovo et
Pijanec). C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo сликарствo od XIV век, Ohrid 1980, p. 12 ; K. Јiriĉek, Историја
Срба I, Belgrade 1978, p. 191.
2
Sur l’inscription dédicatoire, voir : N. Nošpal-Nikuljska, За ктиторската композиција и натписот во
Марковиот Манастир-село Сушица, Скопје, Гласник на Институтот за Национална Историја 15/2
(1971), р. 235 passim. ; C. Grozdanov, G. Subotić, Црква Светог Ђорђа у Речици код Охрида, Зограф 12
(1981), p. 73 note 75 avec bibliographie.
3
Le chiffre qui donne la date de l’exécution des peintures est mal conservé et d’après les différentes lectures il
s’agirait de 1380/81 ou 1376/77. La dernière relecture de l’inscription favorise la date de 1376/77. C.
Grozdanov, G. Subotić, Црква Светог Ђорђа у Речици код Охрида, Zograf 12 (1981), p. 73-74 (avec
bibliographie).
4
L. Mirković, Мрнјавчевиħи, Старинар 3 (1925), р. 11-41 ; A. P. Kazhdan, (éd.), The Oxford Dictionary of
Byzantium t. 2, New-York / Oxford 1991, p. 1302 avec bibliographie succinte sur la vie de Marko. Le roi est
mort lors de la bataille de Rovine (Argeş) en 1395, en combattant les Valaques aux côtés des Turcs. A. P.
Kazhdan, (éd), The Oxford Dictionary of Byzantium t. 3, New-York/Oxford 1991, p. 1815 avec la bibliographie
sur la bataille de Rovine (Argeş) ; G. C. Soulis, The Serbs and Byzantinum During the Reign of Tzar Stephen
Dušan, (1331-1355) and his successors, Washington 1984, p. 86 passim. ; D. I. Mureşan, Avant Nicopolis : la
campagne de 1395 pour le contrôle du Bas-Danube, Revue Internationale d’Histoire Militaire 83 (2003), p. 115132. Sur la soumission de certains seigneurs serbes à Bayezid Ier, voir : I. Djurić, Le crépuscule de Byzance,
Paris 1996, p. 39 passim.
5
I. Snegarov, История на Охридската Архиепископия (оть основаването й до завладѣването на
Балканския полуостровь оть Турцитѣ) vol. 2, Sofia 1924, p. 1 ; C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo
сликарствo od XIV век, Ohrid 1980, p. 19. Le roi Vukašin et son frère Jean Uglješa perdirent la vie au cours de
cette bataille. G. C. Soulis, The Serbs and Byzantinum During the Reign of Tzar Stephen Dušan, (1331-1355)
and his successors, Washington 1984, p. 98 ; G. Ostrogorsky, Histoire de l’État Byzantin, Paris 1996, p. 562 ; K.
Јiriĉek, Историја Срба I, Belgrade 1978, p. 311 passim.
1
soumettant progressivement les terres de l’Empire byzantin, de royaume serbe et bulgare6.
Les peintures du monastère de Marko ont été exécutées à un moment historique délicat, quand
le roi Marko, tout en étant reconnu roi serbe de fait7, voit sa légitimité contestée par certains
seigneurs serbes du nord8 et risque de devenir un vassal des Turcs9. Cet article tentera de
montrer dans quelle mesure le programme iconographique du monastère de Marko reflète les
préoccupations du jeune roi.
L’architecture10 et le décor peint de l’église ont fait l’objet de nombreuses études11.
L’intérieur du monument est entièrement tapissé de peintures, dont le contenu complexe a
6
Sur l’Empire ottoman, voir : C. Imber, The Ottoman Empire, 1300-1481, Istanbul 1990 ; H. İnalcik, L’Empire
Ottoman, Actes du Ier Congrès International des Études balkaniques et sud-est européennes t. III, Sofia 1969, p.
75-103, réimprimé dans Variorum Collected Studies Series, ch. II, Londres 1985, p. 75-103 avec bibliographie.
Sur la chronologie des campagnes turques en Macédoine, voir : R. Radić, Време Јована V Палеолога (13321391), Belgrade 1993, p. 441 passim ; D. M. Nicol, Les derniers siècles de Byzance 1261-1453, Paris 2005, p.
309-318 avec bibliographie.
7
En 1371, juste après la mort de Vukašin, le co-roi Étienne Uroš V s’éteint aussi sans descendance. Constantin
Philosophe, Повест о словима (Сказаније о писменех) - Житије деспота Стефана Лазаревића, Стара
српска књижевност књ. 11, éd. L. Mirković, G. Jovanović, Belgrade 1989, p. 82 ; K. Јiriĉek, Историја Срба I,
Belgrade 1978, p. 237-254 ; R. Mihaljĉić, Крај српског царства, Belgrade 1975, p. 92-93, 97, 166-168.
8
Après la bataille de Marica (1371), de nombreux seigneurs serbes du nord demeurent plus ou moins
indépendants. Le territoire de Marko englobait en 1371 les terres de Prizren à Kastoria avec les villes : Prizren,
Priština, Skopje, Prilep, Ohrid, Manastir (Bitola), Kastoria et Florina. Après la mort de Vukašin, le knez Lazar a
pris Priština et Novo Brdo, Balša la ville de Prizren. Kastoria faisait également partie de l’état de Marko, jusqu’à
son divorce vers 1374-75. À part Kastoria, le roi Marko est privé d’une partie de son territoire au nord aussi, car
en 1377 le puissant seigneur serbe Vuk Branković se proclame seigneur de Skopje, obligeant Marko à se replier
dans la région de Prilep. K. Jiriĉek, Историја Срба I, Belgrade 1978, p. 314 passim. surtout p. 320-322 ; L.
Mirković, Мрнјавчевиħи, Старинар 3 (1925), р. 22 ; G. C. Soulis, The Serbs and Byzantinum During the
Reign of Tzar Stephen Dušan, (1331-1355) and his successors, Washington 1984, p. 102-103, 138-139 ; R.
Mihaljĉić, Кнез Лазар и обнова Српске државе, dans О кнезу Лазару, Belgrade 1975, p. 1-11 ; B. Ferjanĉić,
Владарска идеологија у српској дипломатици после пропасти црства (1371), dans О кнезу Лазару,
Belgrade 1975, p. 139-150 ; I. Božić, Неверство Вука Бранковића, dans О кнезу Лазару, Belgrade 1975, p.
223-240.
9
La date précise de la soumission du roi Marko aux Turcs n’est pas précisément établie. D’après les uns il
semble qu’il soit devenu vassal avant 1377. V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов
одјек у сликарству, Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969), p. 95 ; K. Јiriĉek, Историја Срба I, Belgrade
1978, p. 314 ; G. Ostrogorski, Серска област после душанове смрти, Belgrade 1965, p. 145-146 ; R.
Mihaljĉić, Крај српског царства, Belgrade 1975, p. 164. D’après les autres, il a reconnu la suzeraineté des
Turcs qu’en 1385, lors de la conquête de Timurtaş Paşa en Macédoine centrale et en Albanie. A. Stojanovski,
Градовите на Македонија од крајот на XIV до крајот на XVII век - демографски проучувања, Skopje
1981, p. 14 ; C. Grozdanov, Маричката битка, вазалитетот на Марко (Марко Крале) и живописот на
Марковиот манастир, Actes du 24e Congrès International de la langue, la littérature et la culture macédoniens,
Ohrid 20-21 août 1991, Skopje 1992, p. 118-119 ; B. Panov, Охрид и Кралството на Волкашин и Марко,
dans Кралот Марко во историјата и во традицијата, Prilep 1997, р. 49, 51.
10
L’église est à croix grecque inscrite, avec un narthex à l’ouest. La nef principale est couverte d’une coupole
sur pendentifs et une calotte se trouve au-dessus du narthex. Le sanctuaire est tripartite, composé d’une abside
principale et de deux niches latérales. Un exo-narthex à l’ouest a été rajouté au XIXe siècle. Voir le plan et
l’élévation dans : S. Korunovski, E. Dimitrova, Macédoine Byzantine, Histoire de l’art macédonien du IX e au
XIVe siècle, Paris 2006, fig. 58-59 à la p. 237.
11
Sur la bibliographie du monument jusqu’à 1974, voir : V. J. Djurić, Византијске фреске у Југославији,
Belgrade 1974, p. 80-83, 218-219. Par la suite, plusieurs auteurs ont abordé diverses problématiques se référant à
l’architecture, le décor peint, le mobilier liturgique et les sources historiques de ce monument. N. NošpalNikuljska, Новонастанатите историски услови во Македонија изразени на една композиција од фреските
во Марков Манастир, Божјите знаменија принесени на дар на св. Димитрија, Зборник на Археолошки
Музеј на Македонија 6-7 (1967-1974), p. 171-180 ; N. Nošpal-Nikuljska, Марковиот манастир-монумент
2
suscité de vives polémiques dans les cercles scientifiques. Dans les pages qui suivent, nous
nous intéresserons qu’à une composition particulière nommée « la cour royale »12 et aux
images qui lui sont associées afin d’illustrer les efforts du concepteur du programme pour
trouver des solutions iconographiques répondant aux préoccupations du roi.
La composition qui nous occupe est peinte sur le mur nord du naos, au premier
registre, à côté de l’iconostase. Au milieu de l’image se trouve le Christ (fig. 2), vêtu en roi, et
assis sur un trône. Il porte le kamelaukion et le loros, éléments habituels du costume impérial
byzantin13. Aux pieds du Christ se trouvent deux roues de feu, représentant les Trônes,
puissances angéliques appartenant au premier ordre. Le Christ est également entouré de deux
anges en adoration, et de saint Jean Baptiste ailé (fig. 3)14. À la droite du Christ est peinte une
како документ низ историјата, Споменици на средновековната и поновата историја на Македонија, т. 1,
Скопје, 1975, p. 401-415 ; C. Grozdanov, Новооткривене композиције Богородичиног Акатиста у
Марковом Манастиру, Зограф 9 (1978), p. 37-42 ; C. Grozdanov, Из иконографије Марковог Манастира,
Зограф 11 (1980), рp. 83-93 ; Z. Gavrilović, The Portrait of King Marko at Markov manastir (1376-1381),
Byzantinische Forschungen 16 (1990), рp. 415-428 ; C. Grozdanov, Маричката битка, вазалитетот на Марко
(Марко Крале) и живописот на Марковиот манастир, Actes du 24e Congrès International de la langue, la
littérature et la culture macédoniens, Ohrid 20-21 août 1991, Skopje 1992, p. 118-119 ; I. M. Djordjević,
Представа краља Марка на јужној фасади цркве Светог Димитрија у Марковом манастиру, dans Кралот
Марко во историјата и во традицијата, Prilep 1997, p. 299-307 ; Z. Gavrilović, The wall paintings at the
Monastery of Marko, 1376/77, Serbian Studies 13 (1999), p. 145-159 ; I. Sinkević, Representing without icon,
presence and image of king Marko in the church of St. Demetrios near Susica, Proceedings of the 21st
International Congress of Byzantine Studies vol. III, Abstracts of Communications, London 2006, p. 317-318 ;
E. Dimitrova, The Portal to Heaven, Reaching the Gates of Immortality, dans Ниш и Византија, Пети научни
скуп, Ниш 3-5 јун 2006, Зборник радова 5, Niš 2007, p. 367-380.
12
Cette composition a reçu plusieurs dénominations, comme « la cour royale », « la Déisis royale », etc. Sur la
question du nom de cette composition, voir : C. Grozdanov, Христос цар, Богородица царица, небесните сили
и светите воини во живописот од 14ти и 15ти век во Трескавец, dans Студии за Охридскиот живопис,
Skopje 1990, p. 132-149. Sur l’iconographie de cette composition, voir : G. Millet, Byzance et non l’Orient,
Revue archéologique 11 (1908), p. 180-181 ; C. Grozdanov, Из иконографије Марковог Манастира, Зограф
11 (1980), p. 87 passim. ; P. Mijović, Царска иконогрфија у српској средњевековној уметности, Starinar 18
(1968), p. 107 passim. ; L. Grigoriadou, L’image de la Déisis royale dans une fresque du XIV e siècle à Castoria,
Actes du XIVe Congrès International des études byzantines tome II, Bucarest 1971, p. 47-52 ; M. Garidis,
Contacts entre la peinture de la Grèce du nord et des zones centrales balkaniques avec la peinture moldave de la
fin du XVe siècle, Actes du XIVe Congrès international des études byzantines tome II, Bucarest 1971, p. 563569 ; C. Grozdanov, Исус Христос цар над царевима у живопису Охридске архиепископије од XV до XVII
века, Зограф 27 (1998/99), p. 151-160 ; E. Georgitsoyanni, Les peintures murales du vieux catholicon du
monastère de la Transfiguration aux Météores (1483), Athènes 1993, p. 272 passim. ; S. Smolĉić-Makuljević,
Царски Деизис и небески двор у сликарству XIV века манастира Трескавац, Иконографски програм
северне куполе припрате цркве Богородичиног Успења, Треħа Југословенска Конференција Византолога,
Kruševac/Belgrade 2002, p. 463-472, etc.
13
Sur le costume du Christ Roi, voir : C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo сликарствo od XIV век, Ohrid 1980,
p. 55, 105 ; L. Grigoriadou, L’image de la Déisis royale dans une fresque du XIV e siècle à Castoria, Actes du
XIVe Congrès International des études byzantines tome II, Bucarest 1971, p. 50-51 ; S. Smolĉić-Makuljević,
Царски Деизис и небески двор у сликарству XIV века манастира Трескавац, Иконографски програм
северне куполе припрате цркве Богородичиног Успења, Треħа Југословенска Конференција Византолога,
Kruševac/Belgrade 2002, p. 465 note 9 avec bibliographie.
14
Dans la première composition de la « cour royale » connue, au monastère de Treskavec, saint Jean Baptiste
n’est pas représenté. C’est le roi David qui accompagne la Vierge. Dans la représentation de la « cour royale » à
Zaum (1361), qui est le deuxième exemple daté, le roi David est peint plus bas, dans un compartiment à part,
tandis que la place habituelle du prophète est occupée par saint Jean Baptiste. La composition donc évolue vers
une sorte de Déisis royale, qui sera préférée par les artistes dans les monuments plus tardifs. Le prophète David
3
représentation de la Vierge, également vêtue en habits de reine, couronnée et tournée de trois
quarts (fig. 4).
La source d’inspiration pour l’idéntification de la Vierge à une reine15 vient de
l’Ancien Testament, le Psaume 44 (45) étant entièrement dédié à l’acclamation de la « fille du
Roi » « vêtue de brocarts »16. Bien que les Pères de l’Église des premiers siècles interprètent
le Roi comme étant le Christ et la Reine comme étant l’Église, l’hymnographie plus tardive
donnera une interprétation clairement mariale à la Reine17. Les textes liturgiques18 évoquent
très fréquemment : « la Vierge Reine », « la Vierge Reine du Paradis »19 et « la
Souveraine »20. Ces épithètes commencent à se référer à la Vierge après le Concile d’Éphèse,
quand la Mère de Dieu acquiert le rôle de protectrice de l’Empire21. Ainsi, à l’image de
apparaît la dernière fois au sein de cette composition dans le Monastère de Marko. C. Grozdanov, Из
иконографије Марковог Манастира, Зограф 11 (1980), p. 92 passim. ; C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo
сликарствo oд XIV век, Ohrid 1980, p. 105 passim.
15
Sur l’iconographie de la Vierge Reine, voir : N. P. Kondakov, Иконография Богоматери т. 1, SaintPétersbourg 1914, p. 267-319, ill. 180-195, 202-207 ; N. P. Kondakov, Иконография Богоматери т. 2, SaintPétersbourg 1914, p. 392-438, ill. 225, 226, 229, 230, 235, 236 ; A. Cameron, The Theotokos in Sixth-Century
Constantinople, Journal of Theological Studies n.s. 29 (1978), réimprimé dans Variorum Reprints ch. XVI,
Londres 1981, p. 84-85 ; B. V. Pentcheva, Icons and Power, The Mother of God in Byzantium, Philadelphie
2006, 21 passim. M. Lidova estime que le prototype des images de la Vierge Reine vient sûrement de
Constantinople. M. Lidova, The Earliest Images of Maria Regina in Rome and the Byzantine Imperial
Iconography, dans Ниш и Византија, Осми научни скуп, Ниш 3-5 јун 2009, Зборник радова 8 Niš 2010, p.
231-243.
16
Dans le Premier Ton de la 8e Ode de la Fête de la Conception d’Anne (le 9 décembre), la Vierge est comparée
à « la Reine qu’annonçait David » dans le Psaume 44 (45). Menee de Décembre, trad. P. D. Guillaume,
Chevetogne 2001, p. 123. Pour M. Tatić-Djurić, la couronne de la Vierge Reine est le souvenir de la jeune
mariée de l’Ancien Testament. M. Tatić-Djurić, La mère de Dieu « Perivleptos » à Elmalı Kilise, Ses modèles et
répliques, dans ΛΙΘΟ΢ΣΡΩΣΟΝ Studien zur Byzantinischen kunst und Geschichte festschrift für Marcell Restle,
Stuttgart 2000, p. 256-257. Le Cantique des Cantiques complète le tableau du mariage mystique, mentionné dans
le Psaume 44/45. P. Ladouceur, Old Testament Prefigurations of the Mother of God, St. Vladimir’s Theological
Quarterly vol. 50, N° 1-2 (2006), p. 26-33.
17
P. Ladouceur, Old Testament Prefigurations of the Mother of God, St. Vladimir’s Theological Quarterly vol.
50, N° 1-2 (2006), p. 26-33.
18
Sur la Vierge Reine dans la liturgie byzantine, voir : J. Ledit, Marie dans la liturgie de Byzance, Paris 1976, p.
241-252 ; P. Ladouceur, Old Testament Prefigurations of the Mother of God, St. Vladimir’s Theological
Quarterly vol. 50, N° 1-2 (2006), p. 26-33.
19
Les écrits de Flavius Cresconius Corippus, le patriarche Sergios et André de Crète citent souvent ces épithètes.
N. P. Kondakov, Иконография Богоматери т. 1, Saint-Pétersbourg 1914, p. 276-277 ; B. V. Pentcheva, Icons
and Power, The Mother of God in Byzantium, Philadelphie 2006, p. 20-21 ; M. Tatić-Djurić, La mère de Dieu
« Perivleptos » à Elmalı Kilise, Ses modèles et répliques, dans ΛΙΘΟ΢ΣΡΩΣΟΝ Studien zur Byzantinischen
kunst und Geschichte festschrift für Marcell Restle, Stuttgart 2000, p. 257. Dans la liturgie de Noël, la « Vierge
Reine » est fréquemment évoquée. Menee de Décembre, trad. P. D. Guillaume, Chevetogne 2001, p. 233, 378,
383, 396, 445; A. Cameron, The Theotokos in Sixth-Century Constantinople, Journal of Theological Studies n.s.
29 (1978), réimprimé dans Variorum Reprints ch. XVI, Londres 1981, p. 85.
20
Pour la fête de l’Annonciation, le 25 mars, dans le kontakion de la 6e Ode la Vierge est nommée « invincible
Reine » et « Souveraine ». Menee de Mars, trad. P. D. Guillaume, Rome 1983, p. 163.
21
Dans la 23ème strophe de l’Hymne Acathiste, la Vierge est nommée « diadème précieux », ainsi que « rempart
inexpugnable du royaume ». E. Mercenier, La prière des églises de rite byzantin II, Prieuré d’Amay-sur-Meuse
1939, p. 26. Ces métaphores, d’après B. Pentcheva, fondées sur les symboles du pouvoir, relient la Vierge à la
sphère impériale. La Vierge Impératrice cumule alors les fonctions de la Victoire et de la Tyché antiques,
devenant la patronne de Constantinople. B. V. Pentcheva, Icons and Power, The Mother of God in Byzantium,
Philadelphie 2006, p. 13-21.
4
l’Impératrice byzantine, la Vierge revêt des habits royaux et elle porte l’épithète de
Souveraine, car elle est à la fois, la Mère, la Fille et l’Épouse du Roi22. À l’époque
paléochrétienne, les images de la Vierge couronnée et vêtue en souveraine sont rarissimes
dans l’art byzantin d’Orient23, tandis qu’en Italie, elles sont assez courantes24. Il est
significatif de noter que la première image connue de la Vierge, désignée par une épithète25,
est une inscription qui la nomme « La Reine des Incorporels »26. Il s’agit de la peinture
provenant de Sainte-Barbe de Soğanlı (Cappadoce) (1006 ou 1021), où malgré l’inscription la
nommant « Reine » la Vierge de Tendresse porte uniquement le maphorion, sans aucun
insigne de royauté27. D’inspiration occidentale, le « Couronnement de la Vierge » est
représenté sur un triptyque du milieu du XIIIe siècle28, mais ce sujet ne trouvera guère de
place dans l’iconographie byzantine. Par la suite, la Vierge Reine apparaît dans les images de
la « cour royale » au milieu du XIVe siècle.
Un élément particulier de la tenue de la Vierge Reine au monastère de Marko doit être
signalé. Son manteau est brodé de grandes croix qui rappellent le sakkos des prêtres. La
Vierge Reine endosse donc également des habits sacerdotaux, ce qui est une iconographie
inhabituelle. Cette image de la Vierge est interprétée par certains auteurs comme la
personnification de l’Église29, mais le sacerdoce mystique de la Vierge vient également du fait
22
J. Ledit, Marie dans la liturgie de Byzance, Paris 1976, p. 242.
B. V. Pentcheva, Icons and Power, The Mother of God in Byzantium, Philadelphie 2006, p. 21 passim avec
bibliographie antérieure.
24
La Vierge Reine est une représentation très courante en Italie à l’époque entre les VI e et XIIe siècles. C’est le
cas d’une peinture de Santa Maria Antiqua (première moitié du VIe siècle), ainsi qu’une icône de Santa Maria in
Trastevere (seconde moitié du VIe - début VIIIe siècle). F. Betti, La Pittura a Roma dal IV al IX secolo, dans
Roma, dall’Antichità al Medioevo, Archeologia e Storia, dir. M. Stella-Arena et alii, Rome 2001, ill. 87, 92.
Deux autres peintures représentant la Vierge Reine trônant proviennent également de Rome, celle de l’église San
Clemente (XIe siècle) (F. Guidobaldi, San Clemente, dans Roma, dall’antichità al medioevo, Archeologia e
Storia, dir. M. Stella-Arena et alii, Rome 2001, ill. 213) et celle de la basilique Santa Susanna (VIIIe siècle) (M.
Andaloro, Santa Susanna, Gli Affreschi Frammentati, dans Roma, dall’Antichità al Medioevo, Archeologia e
Storia, dir. M. Stella-Arena et alii, Rome 2001, ill. 245). C’est le cas dans la crypte de l’Épiphanie du monastère
de San Vincenzo al Volturno (IXe siècle) (J. Wettstein, Saint’Angelo in Formis et la peinture médiévale en
Campanie, Genève 1960, pl.16a ; P. Delogu, R. Hodges, J. Mitchell, San Vincenzo al Volturno, La Nascita di
una Città Monastica, San Vincenzo 1996, 37, ill. 20) et à Saint Angelo de Formia (XIe siècle) (O. Morisani, Gli
affreschi di S. Angelo in Formis, Naples 1962, 31, 81, ill.5-6), etc. Voir également : J. Poeschke, Mosaiken in
Italien 300-1300, Munich 2009, ill. 31, 38, 91-93, 188-190.
25
G. Babić, Епитети Богородице коју дете грли, Зборник за Ликовне Уметности 21 (1985), p. 262 ; A. D.
Kartsonis, Anastasis, the Making of Image, Princeton 1986, p. 108 ; C. Jolivet-Lévy, Les églises byzantines de
Cappadoce, le programme iconographique de l’abside et de ses abords, Paris 1991, p. 29 note18.
26
G. Babić, Епитети Богородице коју дете грли, Зборник за Ликовне Уметности 21 (1985), p. 262-263 ; N.
Thierry, La Vierge de tendresse à l’époque macédonienne, Зограф 10 (1979), p. 59-70.
27
Ibidem., p. 59-60, fig. 4 ; G. Babić, Епитети Богородице коју дете грли, Зборник за Ликовне Уметности
21 (1985), p. 263-264.
28
Byzantium (330-1453), Catalogue de l’exposition de “Royal Academy of Arts” (25 octobre 2008 - 22 mars
2009), éd. R. Cormack et M. Vassilaki, Londres 2008, p. 363, fig. 55.
29
Certains auteurs voient dans l’image de la Vierge une représentation symbolique de l’Église. P. Mijović,
Царска иконографија у српској средњовековној уметности, Старинар 18 (1967), р. 109 passim. ; L.
Grigoriadou, L’image de la Déisis royale dans une fresque du XIVe siècle à Castoria, Actes du XIVe Congrès
23
5
qu’elle offre son propre fils au sacrifice à l’image d’un prêtre30. Elle est le dernier prêtre qui a
offert un sacrifice sanglant à Dieu (son fils), d’après les lois de l’Ancienne Alliance31. Le
Christ en revanche est le premier prêtre qui a instauré le sacrifice non sanglant sous les deux
espèces dans la Nouvelle Alliance32. Tous deux donc, peuvent légitimement être considérés
comme des archiprêtres33.
Le trio composé du Christ, de la Vierge et de saint Jean Prôdrome, forme la
représentation habituelle de la Déisis (fig. 5). Derrière la Vierge suit le roi David, vêtu comme
à l’accoutumée d’habits royaux (fig. 4 et 5)34, ainsi que cinq saints militaires qui portent des
costumes de seigneurs (fig. 5 et 6)35. Cette composition, nommée, « la cour royale », voit jour
dans les monuments de Macédoine au milieu du XIVe siècle36. Les premiers exemples se
trouvent dans trois monastères situés sur le territoire de l’archevêché d’Ohrid37 et occupent les
International des études byzantines tome II, Bucarest 1971, p. 50. Sur le sacerdoce de la Vierge, voir : A. Lidov,
The Priesthood of the Virgin in Byzantine Iconography, XXe Congrès Iternational des Études Byzantines, Paris
2001, p. 427. Sur la Vierge Reine et Archiprêtre, voir : S. Bogevska, The Virgin As Archpriest in Byzantine Art,
Actes du XXIIe Congrès Iternational des Études Byzantines, Sofia 2011 (à paraître).
30
Le Saint-Esprit descend sur les prêtres lors de l’ordination, en faisant référence à la descente du Saint-Esprit
sur les apôtres lors de la Pentecôte. La Vierge a été deux fois ointe par le Saint-Esprit pour sa mission, une fois
lors de l’Annonciation pour être la mère de Dieu et la mariée du Roi et l’autre fois lors de la Pentecôte. Lors de
l’Annonciation, l’archange Gabriel annonça : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te
prendra sous son ombre » (Luc 1, 35). Saint Jean Précurseur, peint à gauche du Christ Roi, est également un
modèle de prêtre, car lors de l’Annonciation faite à Zacharie, l’ange proclama : « il sera rempli de l’Esprit Saint
dès le sein de sa mère » (Luc, 1, 15), en faisant référence à la Visitation. L’Esprit Saint consacre les saints
apôtres et la Vierge à leur ministère au cours du Pantecôte. (Actes des Apôtres 2, 1-47). La présence de la
Théotokos à ce moment est explicitement mentionnée. Actes des Apôtres 1, 13-14 : « Tous d’un même cœur
étaient assidus à la prière avec quelques femmes, dont Marie mère de Jésus, et avec ses frères ».
31
Lévitique 4, 7 ; Lévitique 17, 11 ; Lévitique 16, 3-34.
32
Matthieu 26, 28 : « Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude en
rémission des péchés ».
33
Voir : S. Bogevska, The Virgin As Archpriest in Byzantine Art, Actes du XXIIe Congrès Iternational des
Études Byzantines, Sofia 2011 (à paraître).
34
Sur le costume du prophète David dans cette scène, voir : C. Grozdanov, Из иконографије Марковог
Манастира, Зограф 11 (1980), p. 92.
35
Il s’agit de saint Georges, suivi par saints Théodore Tiron et Stratilate, saint Ménas ou Eusthate Placidas et
saint Arthémios ou Nicétas. Ibidem., p. 87 passim. ; C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo сликарствo od XIV век,
Ohrid 1980, p. 108.
36
À part dans l’art monumental, cette composition a été également remarquée dans les enluminures, illustrant le
Psaume 44/45. Il s’agit du Psautier serbe de Munich (la fin du XIV e siècle). J. Strzygowski, Die Miniaturen des
serbischen Psalters : Der Königl Hof- und Staatsbibliothek in München, Vienne 1906, p. 30, pl. XIV ; Der
serbische Psalter : Faksimile-Ausgabe des Cod. Slav. 4 der Bayerischen Staatsbibliothek München, Wiesbaden
1983 (textes : S. Dufrenne, p. 203-205, S. Radojĉić p. 271 passim., I. Ševĉenko, p. 104-106), S. Radojĉić,
Минхенски српски псалтир, Зборник Филозофског Факултета VII/1 (1963), p. 281 (il date le manuscrit
après 1370).
37
L. Grigoriadou pense que l’iconographie de la Déisis royale a pu être élaborée à Constantinople et dans
l’entourage de Grégoire Palamas. L. Grigoriadou, L’image de la Déisis royale dans une fresque du XIV e siècle à
Castoria, Actes du XIVe Congrès International des études byzantines tome II, Bucarest 1971, p. 51-52 (avec
bibliographie plus ancienne). S. Radojĉić propose de voir le territoire de Macédoine comme foyer de cette
iconographie. S. Radojĉić, Фреске Марковог Манастира и живот св. Василија Новог, Зборник Радова
Византолошког Института 4 (1956), р. 224 ; C. Grozdanov précise que les premiers trois monuments se
trouvent sur le territoire de l’archevêché d’Ohrid. C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo сликарствo od XIV век,
6
parties occidentales de l’église38. L’image s’inspirerait principalement du Psaume 44/45
versets 5 passim39 : « Ton trône est de Dieu pour toujours et à jamais ! Sceptre de droiture le
sceptre de ton règne ! Tu aimes la justice, tu hais l’impiété…. Des palais d’ivoire, les harpes
te ravissent. Parmi tes bien-aimées sont des filles de roi ; à ta droite une dame, sous les ors
d’Ophir. Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille, oublie ton peuple et la maison de ton
père, alors le roi désirera ta beauté : Il est ton Seigneur, prosterne-toi devant lui ! La fille de
Tyr, par des présents, déridera ton visage, et les peuples les plus riches, par maint joyau serti
d’or »40. Le Roi mentionné dans le Psaume est le Christ trônant et la « dame sous les ors
d’Ophir » c’est la Vierge, représentée à droite du Christ, comme le stipule le verset 10 du
Psaume (fig. 5). Le roi David, peint derrière la Vierge Reine, est l’auteur des Psaumes, d’où
sa place dans l’image. Suivent les nobles de la cour de Jesus-Christ à savoir les saints
militaires vêtus de seigneurs, d’après le verset 17 du Psaume 44/45 : « A la place de tes pères
te viendront des fils ; tu en feras des princes par toute la terre »41.
Le Psaume 44/45 est cité lors du rite de la prothesis42, qui consiste à préparer les saints
oblats pour la liturgie eucharistique, d’où la connotation eucharistique qui était donnée à cette
composition dans les monuments antérieurs à la représentation du Monastère de Marko
Ohrid 1980, p. 134 ; C. Grozdanov, Исус Христос цар над царевима у живопису Охридске архиепископије
од XV до XVII века, Зограф 27 (1998/99), р. 151.
38
Dans l’église de la Vierge du monastère Treskavec (vers 1340), la composition se trouve dans le compartiment
nord-ouest de l’église. C. Grozdanov, Христос цар, Богородица царица, небесните сили и светите воини во
живописот од 14ти и 15ти век во Трескавец, dans Студии за Охридскиот живопис, Skopje 1990, p. 132149 ; S. Smolĉić-Makuljević, Царски Деизис и небески двор у сликарству XIV века манастира Трескавац,
Иконографски програм северне куполе припрате цркве Богородичиног Успења, Треħа Југословенска
Конференција Византолога, Kruševac/Belgrade 2002, pр. 463-472. Dans l’église de la Vierge du monastère
Zaum (1361) et dans l’église de la Vierge Péribleptos d’Ohrid (1364/65) la composition se trouve sur la façade
occidentale. C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo сликарствo od XIV век, Ohrid 1980, p. 105 passim., p. 132134.
39
Certaines représentations plus tardives (XVe siècle) portent l’inscription du Psaume 92 près de la
représentation du Christ Roi : d’autres sources écrites ont donc pu influencer cette image. C. Grozdanov, Исус
Христос цар над царевима у живопису Охридске архиепископије од XV до XVII века, Зограф 27
(1998/99), p. 152 passim. V. Djurić pense que le Psaume 88/89 est l’une des inspirations pour cette
représentation : V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за
Ликовне Уметности 4 (1969), p. 94 ; V. J. Djurić, Византијске фреске у Југославији, Belgrade 1974, p. 80.
40
D’après : La Bible de Jérusalem, Éditions du Cerf, Paris 1994.
41
D’après L. Mirković, les saints en tenue de seigneurs sont des rois et des prophètes de l’Ancien Testament et
leur iconographie s’inspire du verset 17 du Psaume 44/45. L. Mirković, Да ли се фреске Маркова манастира
могу тумачити житијем Св. Василија Нового, Старинар 12 (1961), р. 78. S. Radojĉić interprète les peintures
du Monastère de Marko avec la vie de saint Basile le Jeune et considère que les figures du premier registre sont
des saints vêtus en seigneurs qui reçoivent leurs habits et couronnes de gloire du Christ. S. Radojĉić, Фреске
Марковог Манастира и живот св. Василија Новог, Зборник Радова Византолошког Института 4 (1956),
р. 218-219. Nous suivons l’opinion de P. Mijovic, qui identifie les saints en tant que saints militaires, dont le
costume est inspiré du verset 17 du Psaume 44/45. P. Mijović, Царска иконографија у српској
средњовековној уметности, Старинар 18 (1967), р. 111-112 ; 114. Sur l’interprétation liturgique de ce verset,
voir également : P. Ladouceur, Old Testament Prefigurations of the Mother of God, St. Vladimir’s Theological
Quarterly vol. 50, N° 1-2 (2006), p. 56-57.
42
E. Mercenier, La prière des églises de rite byzantin I, Prieuré d’Amay-sur-Meuse 1939, p. 212-218.
7
(Treskavec, Vierge Péribleptos, Zaum)43. La peinture du Monastère de Marko est le premier
exemple connu qui place cette image près du sanctuaire en endossant légitimement cette
signification eucharistique44. En effet, la composition précède la niche de la prothèse où
s’effectue le rite de la prothesis pendant lequel est lu le Psaume 44/45. Au moment de
l’extraction de la parcelle de la Vierge, « la Panaghia », le prêtre récite justement le verset
5 du Psaume : « à ta droite une dame, sous les ors d’Ophir »45. Juste après la parcelle de la
Vierge, le prêtre enlève la parcelle de saint Jean Baptiste, « l’honorable et glorieux prophète
et précurseur », et il place la parcelle à gauche de l’Amnos46. Ainsi, le Christ Roi des Rois
représente la parcelle de l’Amnos, la Vierge Reine celle de la « Panaghia », placée à droite, et
saint Jean Baptiste fait référence à la troisième parcelle posée à gauche de l’Amnos. La
présence de David s’explique également par le rite de la prothesis, car il est mentionné lors de
l’extraction de la parcelle en mémoire des prophètes, prélevée juste après celle de saint Jean
Baptiste47. Le contenu eucharistique de cette composition est donc incontestable. Toutefois, le
concepteur du programme du Monastère de Marko a également utilisé cette image de la
« cour céleste » pour faire passer un autre message : la légitimité du règne de roi Marko.
Dans le prolongement du mur nord vers l’ouest se trouve un panneau très détérioré
(fig. 7 et 5). L’identification des personnages représentés a été possible grâce aux travaux de
43
C. Grozdanov pense que les premières images de Treskavec, Zaum et de la Vierge Péribleptos se trouvent dans
les parties occidentales accompagnées d’images de caractère eschatologique. C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo
сликарствo od XIV век, Ohrid 1980, p. 109. S. Smolĉić-Makuljević pense également que la composition à
Treskavec est placée dans un contexte eschatologique. S. Smolĉić-Makuljević, Царски Деизис и небески двор
у сликарству XIV века манастира Трескавац, Иконографски програм северне куполе припрате цркве
Богородичиног Успења, Треħа Југословенска Конференција Византолога, Kruševac/Belgrade 2002, p. 468,
472. Dans un article plus tardif, C. Grozdanov place ces images dans un contexte eucharistique, en démontrant
que le sacrifice du Christ Roi est la raison d’être de cette image. C. Grozdanov, Христос цар, Богородица
царица, небесните сили и светите воини во живописот од 14ти и 15ти век во Трескавец, dans Студии за
Охридскиот живопис, Skopje 1990, p. 132-149. Nous partageons l’avis de C. Grizdanov et pensons que cette
composition se trouve dans un contexte eucharistique dans les églises de la Vierge Péribleptos, de Zaum et de
Treskavec. Voir : S. Bogevska, The Virgin As Archpriest in Byzantine Art, Actes du XXIIe Congrès Iternational
des Études Byzantines, Sofia 2011 (à paraître).
44
À partir de 1380, la composition se trouve fréquemment peinte à côté de l’iconostase et ne comporte plus la
représentation du prophète David. L’église de Saint-Athanase de Kastoria (1384/85) (S. Pelekanidis, Καζηορηά,
Thessalonique 1953, pl. 150b), l’église de la Transfiguration de Kovalevo / Novgorod vers 1380 (V. N. Lazarev,
Ковалевская роспись и проблема южнослабянских связей живописи XIV века, dans Русская
Средневековая живопись, Статьи и исследования, Moscow 1970, p. 234-278), Saint-Nicolas Šiševo (vers
1380) (V. J. Djurić, Византијске фреске у Југославији, Belgrade 1974, p. 83), etc. Sur les exemples plus
tardifs, voir : C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo сликарствo od XIV век, Ohrid 1980, p. 109 note 41 ; G.
Subotić, Oхридската сликарска школа од XV век, Ohrid 1980, fig. 34, 51, 70, 79, 114 ; C. Grozdanov, Исус
Христос цар над царевима у живопису Охридске архиепископије од XV до XVII века, Зограф 27
(1998/99), р. 151 passim.
45
E. Mercenier, La prière des églises de rite byzantin I, Prieuré d’Amay-sur-Meuse 1939, p. 214. Sur la Vierge
Reine et la parcelle de la Panaghia, voir : P. Ladouceur, Old Testament Prefigurations of the Mother of God, St.
Vladimir’s Theological Quarterly vol. 50, N° 1-2 (2006), p. 50.
46
E. Mercenier, La prière des églises de rite byzantin I, Prieuré d’Amay-sur-Meuse 1939, p. 214.
47
Ibidem., p. 214.
8
conservation menés en 196448. Au milieu de la composition se trouve le roi Vukašin, le
fondateur du monastère, accompagné de sa femme - la reine Hélène (à droite)49. Vukašin tient
le modèle de l’église dans ses mains, qu’il tend à saint Démétrios50, représenté dans un nuage
et porté par un ange. À côté de Vukašin se trouve son fils aîné, le roi Marko51 et les deux sont
bénis par le Christ qui se trouve dans un segment céleste52.
Nous avons déjà mentionné que les peintures de l’église ont été exécutées en 1376/77
après la mort de Vukašin. L’image de Vukašin est donc posthume, et il figure ici en tant que
fondateur du monastère et de la dynastie des Mrnjavĉević53. Le fait que le Christ bénit le roi et
son successeur démontre la légitimité de la lignée royale approuvée par le souverain suprême.
Juste après l’image de la famille royale, sur le mur occidental, est peinte la
représentation de saints Constantin et Hélène (fig. 5)54, les premiers rois chrétiens, qui
tiennent la croix entre eux. La reine Hélène a vraisemblablement souhaité un portrait de son
homonyme - sainte Hélène, près des portraits de la famille royale. Cependant, la présence de
saints Constantin et Hélène aux côtés des portraits de la famille des Mrnjavĉević55 s’explique
aussi par une autre raison. Saints Constantin et Hélène sont le modèle du couple impérial
48
Z. Gavrilović, The wall paintings at the Monastery of Marko, 1376/77, Serbian Studies 13 (1999), p. 147, note
6 avec bibliogrpahie.
49
N. Nošpal-Nikuljska, За ктиторската композиција и натписот во Марковиот Манастир-село Сушица,
Скопје, Гласник на Институтот за Национална Историја 15/2 (1971), р. 229.
50
Le ktitor offrant le modèle de l’église au saint patron est fréquemment représenté dans les fondations serbes : à
Saint-Georges de Nagoriĉino (1316-18), Saint-Archange-Michel de Lesnovo (c. 1343), l’église de la Mère de
Dieu de Matejĉe (1348-52), Saint-Nicolas de Psaĉa (1365-71), etc. E. Dimitrova, The Portal to Heaven,
Reaching the Gates of Immortality, dans Ниш и Византија, Пети научни скуп, Ниш 3-5 јун 2006, Зборник
радова 5, Niš 2007, fig. 1, 5, 7-9, 11.
51
N. Nošpal-Nikuljska, За ктиторската композиција и натписот во Марковиот Манастир-село Сушица,
Скопје, Гласник на Институтот за Национална Историја 15/2 (1971), р. 231.
52
Le Christ bénissant des deux mains les ktitores se rencontre souvent à l’époque tardo-byzantine dans les
fondations serbes. À Arilje par exemple, il adopte cette posture à plusieurs reprises (G. Millet, A. Frolow, La
peinture du moyen âge en Yougoslavie II, Paris 1954, pl. 96, ill. 2 et 3 ; pl. 97, ill. 3). De même, à la Vierge
Ljeviška (D. Panić, G. Babić, Богородица Љевишка, Belgrade 1975, schéma 18), dans le narthex des SaintsApôtres de Peć (début du XIIIe), (Byzantium, Faith and Power (1261-1557), Catalogue de l’exposition du
“Metropolitan Museum of Art” (23 mars - 4 juillet 2004), éd. H. C. Evans, New York 2004, fig. 12.6), etc.
53
L’architecture de l’église du monastère de Marko a été terminée au temps du roi serbe Étienne Dušan qui, en
1346, a été sacré empereur à Skopje. H. Gelzer, Der Patriarchat Von Achrida, Geschinchte Und Urkunden,
Leipzig 1902, p. 14-15 ; G. Ostrogorsky, Histoire de l’État Byzantin, Paris 1996, p. 544-546 ; M. A. Purković,
Српски патриарси средњег века, Гласник Скопског Научног Друштва 15/16 (1936), p. 304-306. À ce
moment, Vukašin était un simple seigneur serbe. Après la mort de Dušan, son fils le roi Étienne Uroš V (13551371) lui succède et, profitant de la faiblesse du pouvoir central du nouveau roi, Vukašin se proclama co-roi
officiel d’Uroš vers 1365. Il gouverna le territoire de Prizren, Kiĉevo, Skopje et Prilep. G. C. Soulis, The Serbs
and Byzantinum During the Reign of Tzar Stephen Dušan, (1331-1355) and his successors, Washington 1984, p.
96-97. La proclamation de Vukašin au titre de roi se serait faite de manière paisible, avec l’accord d’Uroš. K.
Јiriĉek, Историја Срба I, Belgrade 1978, p. 246-247 ; L. Mirković, Мрнјавчевиħи, Старинар 3 (1925), р. 1415.
54
Fêtés le 21 mai. F. Halkin, Bibliotheca Hagiographica Graeca, Subsidia Hagiographica 8 (1957), 361x-369k. ;
H. Delehaye, Synaxarium Constantinopolitanum, Bruxelles 1902, cols. 697-700 ; J-P. Migne, Patrologiae
Graecae CXVII, Paris 1894, cols. 467-468.
55
Le roi Vukašin n’est pas un descendant de la dynastie royale serbe des Némanides. Il devient co-roi de Étienne
Uroš V (1355-1371) qu’en 1365. Voir : Cf. supra note 52.
9
parfait. Au XIVe siècle, les empereurs byzantins portent dans leur titulature officielle
: « Empereur et Nouveau Constantin » qui fait référence au règne glorieux de Constantin le
Grand56. Dans les fondations des rois serbes, l’association des portraits royaux à ceux de
saints Constantin et Hélène est fréquente, solution également employée par le roi Marko57. En
comparant le règne du roi Marko au règne glorieux de Constantin et Hélène, le concepteur du
programme a explicitement souligné les qualités royales exceptionnelles du ktitor.
Le programme du premier registre de la paroi nord et ouest de l’église de Marko est
donc élaboré à des fins de propagande (fig. 5). Au plus près du chœur se trouve le Christ Roi
entouré de puissances célestes, de son messager saint Jean Baptiste, de la Vierge Reine et de
David, qui est également un roi vétérotestementaire. Cette image de la « cour céleste » est
mise en relation avec l’image de la « cour terrestre » avec les portraits de Vukašin, de sa
femme Hélène, et de son fils et héritier Marko. Ces deux représentations sont enfin en lien
étroit avec l’image de saints Constantin et Hélène, paradigmes du couple impérial idéal. Il est
clair que le concepteur du programme désirait exalter le pouvoir impérial de la dynastie des
Mrnjavĉević, en mettant un accent sur la légitimité de leur règne. Vukašin et Marko
Mrnjavĉević sont les représentants légitimes du Christ « Roi des rois » sur terre. Saints
Constantin et Hélène en sont des garants.
Les préoccupations militaires du jeune roi sont également exprimées dans le choix des
saints en pieds du premier registre de l’église. Il s’agit majoritairement de saints militaires 58.
L’insistance sur les images des saints guerriers trahit l’inquiétude du roi Marko et l’espérance
de l’aide divine dans les interventions militaires à venir. L’église elle-même est dédiée à saint
56
Par exemple, l’empereur Michel VIII Paléologue (1261-1282) porte ce titre dans l’église de la Vierge
Mavriotissa à Kastoria (1261-64), dans l’église Saint-Nicolas Manastir (1270/71) et de l’église de la Vierge
d’Apollonia (1272-74/75). T. Papamastorakis, Ἕνα εἰκαζηικό ἐγκώμιο ηος Μισαὴλ Η´ Παλαιολόγος, Οἱ
ἐξωηεπικέρ ηοισογπαθίερ ζηό καθολικό ηῆρ μονῆρ ηῆρ Μαςπιώηιζζαρ ζηὴν Καζηοπιά, Δειηίολ ηῆς Χρηζηηαληθῆς
Ἀρταηιογηθῆς Ἑηαηρείας, π. 4 η. 15 (1989-1990), p. 233 ; F. Barišić, Два грчка натписа из Манастира и Струге,
Зборник Радова Византолошког Института VIII/2 (1964), p. 16 ; H. Melovski, Натписи и записи од
византиско и поствизантиско време, Skopje 2009, p. 37-61 ; H. Buschhausen, Die Marienkirche von
Apollonia in Albanien, Vienne 1976, p. 146-147.
57
V. Djurić, Le nouveau Constantin dans l’art serbe médiéval, Lithostrôton : Studien zur Byzantinischen Kunst
und Geschichte : Festschrift für Marcell Restle, Stuttgart/Anton Hiersemann 2000, p. 55-65, fig. 1. Voir
également : P. Guran, Nouveau Constantin, Nouveau Silvestre, Les cultes des saints souverains et des saints
guerriers et l’idéologie du pouvoir en Europe Centrale et Orientale : Actes du Colloque International, 17 janvier
2004, éd. I. Biliarsky et R. G. Paun, Bucarest 2007, p. 134-164 ; G. Dagron, Empereur et prêtre, Étude sur le
« césaropapisme » byzantin, Paris 1996, p. 141-168, surtout 159 passim. ; S. Marjanović-Dušanić, Владарска
идеологија Немањича, Дипломатичка студија, Belgrade 1997, p. 287-300.
58
Il s’agit de dix-neuf figures de saints militaires et d’une représentation de l’archange Michel en tenue de
guerrier. Dans la bibliographie plus ancienne, les saintes figures qui accompagnent les protagonistes de la « Cour
royale » ont été identifiées en tant que prophètes. Il est communément admis aujourd’hui qu’il s’agit bien des
saints militaires. Sur la polémique, voir : C. Grozdanov, Из иконографије Марковог Манастира, Зограф 11
(1980), 91 passim. avec bibliographie antérieure.
10
Démétrios, l’un des saints militaires les plus populaires dans le royaume serbe59. Vukašin et
Marko sont peints dans la suite des saints militaires et donc ils seraient les « princes » cités
dans le verset 17 du Psaume 44/45.
La composition de la « cour céleste », qui au départ avait une signification
eucharistique est donc réinterprétée dans le monastère de Marko afin d’exprimer la légitimité
du pouvoir des deux rois-ktitores.
Cela est également évident dans une autre représentation qui se trouve sur la façade
sud de l’église (fig. 8)60. Cette peinture se trouvait à l’intérieur d’une annexe qui fut détruite et
dont la fonction est toujours débattue dans les cercles scientifiques. Dans la lunette qui
surmonte la porte d’entrée se trouve le saint patron de l’église - saint Démétrios Eleimon61.
Au-dessus de lui, dans un segment céleste, le Christ Emmanuel bénit les deux personnes
représentées à gauche et à droite du saint patron : à droite se trouve le roi Vukašin, et à gauche
son fils le prince Marko62. La représentation sur la façade méridionale du monastère de Marko
rappelle l’image de ktitores de l’intérieur où les rois Vukašin et Marko sont également bénis
par le Christ du segment céleste (fig. 4 et 5).
59
Z. Gavrilović, The wall paintings at the Monastery of Marko, 1376/77, Serbian Studies 13 (1999), p. 148 note
9 avec bibliogrpahie. Sur la coutume d’offrir une fondation à un saint militaire après une victoire militaire à
Byzance, en Serbie, en Russie, en Moldavie et ailleurs, voir: V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14
века и њихов одјек у сликарству, Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969), p. 71-74.
60
Sur cette image voir : K. Balabanov, Новооткриени портрети на кралот Марко и кралот Волкашин во
Марковиот манастир, Културно наследство 3 (1967), p. 47-66 ; K. Balabanov, Новооткривени портрети
краља Марка и краља Вукашина у Марковом манастиру, Зограф 1 (1966), p. 28-29 ; V. J. Djurić, Tри
догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969),
p. 67-100 ; Z. Gavrilović, The Portrait of King Marko at Markov Manastir (1376-1381), Byzantinische
Forschungen 16 (1991), p. 415-428. Certains auteurs expriment l’opinion que la composition sur la façade est
plus tardive et daterait d’après la bataille de Kosovo en 1389. E. Dimitrova, The Portal to Heaven, Reaching the
Gates of Immortality, dans Ниш и Византија, Пети научни скуп, Ниш 3-5 јун 2006, Зборник радова 5, Niš
2007, p. 379. Malgré une possibilité de datation plus tardive de cette peinture, le lien iconographique et
idéologique entre les deux compositions est incontestable.
61
Sur l’image de saint Démétrios dans cette composition et son épithète particulière (Eleimon), voir : Z.
Gavrilović, The Portrait of King Marko at Markov Manastir (1376-1381), Byzantinische Forschungen 16 (1991),
p. 420-423.
62
Le roi Marko est désigné par l’inscription près de sa tête : « ктиторь » - ktitor. Sur son phylactère ouvert nous
lisons le texte slavon : « А(зъ) вь/ Ха Ба бла/(говѣ)рьни/ крал(ь) Марко/ сьз(ь) дах(ь) и/ поп(и)с(а)хь/ (сы)
божес/твни хра/м(ь)… - Moi, fidèle au Christ le Dieu, roi Marko, a fait construire et décorer ce sanctuaire
divin... ». Près de la tête de Vukašin nous lisons « ...Ха Ба …. cамодержавни …високи краль - en Christ le
Dieu...autocrator... le haut roi », et sur son rouleau : « Азь вь Ха/ Ба благо/вѣрни к/рал(ь) Влька/шинь
кти/тор божес(твени)/ храм(ь) да/ тко ике/ɷд дат под/стугою/да ѥ п/рокле(ть)/ - Moi, fidèle au Christ
le Dieu, roi Vukašin ktitor de ce sanctuaire divin, celui qui ôtera … qu’il soit maudit »62. K. Balabanov,
Новооткривени портрети краља Марка и краља Вукашина у Марковом манастиру, Зограф 1 (1966), p. 28.
Les inscriptions ont été corrigées par : V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у
сликарству, Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969), p. 87-88 et complétées par : P. Ivić, V. J. Djurić, S.
Ćirković, Есфигменска повеља деспота Ђурђа, Belgrade 1989, p. 48-49, ill. 32. Voir également : Z.
Gavrilović, The wall paintings at the Monastery of Marko, 1376/77, Serbian Studies 13 (1999), p. 147 ; Z.
Gavrilović, « The Portrait of King Marko at Markov Manastir (1376-1381) », in Studies in Byzantine and
Serbian Medieval Art, London 2001, p. 154.
11
Les deux rois sur la façade sont peints sur un fond rouge, la couleur impériale par
excellence63. Les portraits impériaux peints sur un fond rouge dans l’art monumental sont
rares. À part l’exemple de l’empereur byzantin Michel VIII dans l’église rupestre SaintErasme près d’Ohrid64, tous les autres exemples qui nous sont connus sont réservés aux rois
serbes : le portrait de Kral Milutin dans le narthex de l’église Vierge Ljeviška (1310-1313)65,
le petit Uroš dans l’église de l’Annonciation de Karan (1340-42)66, les portraits de Dušan et
de sa famille à Saint-Démétrios de Peć (1345)67, ainsi qu’à Pološko (1343-45)68, les portraits
de Vukašin et Marko à Saint-Archange-Michel de Varoš (vers 1372)69, ainsi que leurs images
63
Le fond rouge des peintures est une tradition antique (Pompéi), qui se perpétue à l’époque paléochrétienne et
byzantine. S. Tomeković, Évolution d’un procédé décoratif (fonds et nimbes de couleurs différentes), à Chypre,
en Macédoine et dans le Péloponnèse (XIIe siècle), Δηεζλές ΢σκπόζηο Βσδαληηλή Μαθεδολία 324-1430 κ. Χ.,
Θεζζαιολίθε 29-31 Οθηωβρίοσ 1992, Thessalonique 1995, p. 330 passim. M. Pepek et S. Radojĉić pensent que
les fonds rouges dans la peinture monumentale sont inspirés des fonds rouges des icônes. Quant à la signification
du rouge, P. Miljković-Pepek mentionne la symbolique de brillance et de luminosité. P. Miljković-Pepek, Le
portrait de l’empereur byzantin Michel VIII à l’église rupestre de Saint-Érasme près d’Ohrid, Cahiers
Archéologiques 45 (1997), p. 174-175 ; S. Radojĉić, Портрети српских владара у Средњем веку, Skopje
1934, p. 62-64. Leurs théories semblent peu convaincantes.
64
Plusieurs auteurs ont essayé d’identifier cet empereur, dont le nom n’est pas conservé. R. Ljubinković propose
d’y voir l’empereur de Thessalonique, Théodore Ange Comnène Dukas (1224/25-1230) (R. Ljubinković, M.
Ćorović - Ljubinković, Средновековното сликарство во Охрид, Ohrid 1961, p. 111-112), opinion suivie par
G. Angeliĉin (G. Angeliĉin, Пештерните цркви во Охридско-Преспанскиот регион (Р. Македонија, Р.
Албанија, Р. Грција), Struga 2004, p. 95 note 4) et K. Balabanov (A. Nikolovski, D. Ćornakov, K. Balabanov,
Споменици на Културата во НР Македонија, Skopje 1980, p. 274). V. Djurić et C. Grozdanov pensent qu’il
s’agit d’Andronic II Paléologue (1282-1328) (V. J. Djurić, Портрети на повељама византијских и српских
владара, Зборник Филозофског Факултета 7-1 (1963), p. 268 ; C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo
сликарствo od XIV век, Ohrid 1980, p. 27). P. Miljković-Pepek expose des arguments en faveur d’une
identification à Michel VIII Paléologue (empereur de Nicée de 1258 à 1261, et de Constantinople de 1261 à
1282) (P. Miljković-Pepek, Пештерната црква Свети Еразмо крај Охрид, Skopje 1994, p. 20 et suite ; P.
Miljković-Pepek, Le portrait de l’empereur byzantin Michel VIII à l’église rupestre de Saint-Érasme près
d’Ohrid, Cahiers Archéologiques 45 (1997), p. 169-177). Nous sommes favorables à cette dernière
identification. Voir : S. Bogevska, Les églises rupestres de la région des lacs d’Ohrid et de Prespa (milieu du
XIIIe - milieu du XVIe siècle), Thèse de Doctorat soutenue à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sous la
direction de Mme. la professeure C. Jolivet-Lévy, Paris 2010 (en préparation pour publication).
65
D. Panić, G. Babić, Богородица Љевишка, Belgrade 1975, ill.1 ; B. Todić, Serbian Medieval Painting, The
Age of Milutin, Belgrade 1999, pl. XI.
66
M. Kašanin, en revanche, ne reconnaît aucun portrait du jeune Uroš dans l’église et déduit que les portraits
royaux ont dû être exécutés avant ou très vite après la naissance du petit Uroš, en 1336/37. Il propose une
datation entre 1332-1337. М. Kašanin, Бела црква Каранска, Старинар 3 sér. IV, (1928), p. 128. G. Babić
analyse le portrait du jeune roi Uroš, date les peintures vers 1341-42, mais ne mentionne pas la couleur du fond.
G. Babić, Портрет краљевића Уроша у Белој цркви Каранској, Зограф 2 (1967), p. 17-19. I. Djordjević
mentionne le fond rouge. I. Djordjević, Зидно сликарство српске властеле у доба Немањиħа, Belgrade 1994,
p. 141. Nous n’avons pas eu la possibilité d’examiner ces peintures, ni de voir une image en couleur.
67
Il s’agit des portraits de l’archevêque Joanice II, du roi Étienne Dušan, de l’héritier du trône le jeune roi
Étienne Uroš, ainsi que de saint Sava, le premier archevêque serbe. G. Subotić, L’art médiéval du Kosovo, Paris
1997, pl. 22 ; V. J. Djurić, S. Ćirković, V. Korać, Пеħка патријаршија, Belgrade 1990, p. 204-205, ill. 130.
68
La partie haute de la composition est peinte en pourpre et la partie basse en vert. Des reproductions en couleur
de cette peinture, mais de mauvaise qualité, sont publiées dans : D. Ćornakov, Полошки Манастир, Skopje
2006, fig. à la p. 41 et 42.
69
Sur la description des portraits, voir : S. Radojĉić, Портрети српских владара у Средњем веку, Skopje
1934, p. 62-63 ; V. J. Djurić, Византијске фреске у Југославији, Belgrade 1974, p. 80.
12
au Monastère de Marko70. S. Tomeković considère que le fond rouge des portraits impériaux
serbes est uniquement dû à une recherche décorative : le rouge continu serait un accent
coloristique rompant avec la monotonie du bleu71.
Toutefois, une certaine symbolique du rouge fut vraisemblablement prise en compte
au cours de l’exécution des portraits impériaux. Dans l’image des ktitores à Ljeviška, le Kral
Milutin est le seul qui se détache sur un fond rouge et tous les autres membres de la famille
des Némanides sont peints sur un fond bleu. Ces portraits sont exécutés à l’apogée de la
puissance de Milutin, resté seul sur le trône après la destitution de son frère et co-souverain
Dragutin72. À notre avis, cette idée du souverain légitime fut plastiquement exprimée par la
mise en valeur de sa personne sur un fond rouge, couleur impériale par excellence.
La tradition des fonds rouge semble être perpétuée par le roi Étienne Dušan. Dans
l’église de l’Annonciation à Karan (1340-42), il a fait peindre le portrait de son fils, le petit
prince Uroš sur un fond rouge73. Il s’agit d’une sorte de désignation du successeur légitime du
roi Dušan et de sa femme Hélène, qui ne donna un enfant au roi que quatre ans après leur
mariage. G. Babić pense que le petit Uroš ne porte pas les insignes de la royauté et que son
portrait à Karan a vraisemblablement été peint au moment où Dušan hésitait à désigner
comme son successeur son demi-frère Siméon ou son fils Uroš74. À notre avis, Dušan a choisi
70
Pour une reproduction de l’image en noir et blanc : E. Dimitrova, The Portal to Heaven, Reaching the Gates of
Immortality, dans Ниш и Византија, Пети научни скуп, Ниш 3-5 јун 2006, Зборник радова 5, Niš 2007, fig.
11. Z. Gavrilović mentionne le fond rouge, mais ne commente pas sa signification. Z. Gavrilović, The Portrait of
King Marko at Markov Manastir (1376-1381), Byzantinische Forschungen 16 (1991), p. 418, pl. VII-IX. V.
Djurić se demande pourquoi Marko et Vukašin sont peints sur un fond rouge et estime que cette couleur est
l’héritage de l’époque romaine et dans les images médiévales elle est une couleur impériale. Cependant, il
n’arrive pas à expliquer l’utilisation ponctuelle et non pas systématique de cette couleur (V. J. Djurić, Tри
догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969),
p. 89-90). P. Mijović, de son côté, interprète la couleur rouge du fond uniquement dans le contexte de l’image du
Monastère de Marko. Il estime que la couleur est en lien avec la Passion du Christ, qui étant le Roi des Juifs,
s’est fait revêtir d’un manteau royal pourpre. P. Mijović, Царска иконографија у српској средњовековној
уметности (II), Starinar 22 (1971), p. 67-93, p. 84 note 75.
71
S. Tomeković, Évolution d’un procédé décoratif (fonds et nimbes de couleurs différentes), à Chypre, en
Macédoine et dans le Péloponnèse (XIIe siècle), Δηεζλές ΢σκπόζηο Βσδαληηλή Μαθεδολία 324-1430 κ. Χ.,
Θεζζαιολίθε 29-31 Οθηωβρίοσ 1992, Thessalonique 1995, p. 338-339.
72
D. Panić, G. Babić, Богородица Љевишка, Belgrade 1975, p. 59.
73
G. Babić, Портрет краљевића Уроша у Белој цркви Каранској, Зограф 2 (1967), р. 17-19 ; I. Djordjević,
Зидно сликарство српске властеле у доба Немањиħа, Belgrade 1994, p. 141.
74
G. Babić, Портрет краљевића Уроша у Белој цркви Каранској, Зограф 2 (1967), р. 17-19. La conquête
serbe de l’Épire se situe en 1348, et déjà en 1356 Siméon Uroš Paléologue proclame son indépendance face à
son neveu, le roi Uroš V, le fils de Dušan. M. Lascaris, Deux chartres de Jean Uroš, dernier Némanide
(novembre 1372, indiction XI), Byzantion 25-27 (1955-57), p. 284 ; G. C. Soulis, The Serbs and Byzantinum
During the Reign of Tzar Stephen Dušan, (1331-1355) and his successors, Washington 1984, p. 115 ; K. Jiriĉek,
Историја Срба I, Belgrade 1978, p. 238. Siméon Uroš Paléologue est mentionné en tant que souverain dans
l’inscription provenant des Taxiarches à Kastoria de 1359/60. E. N. Kyriakoudis, La peinture murale de Kastoria
pendant la deuxième moitié du XIVe siècle et ses relations avec l’art de Salonique et des pays balkaniques
limitrophes, Rapports du IVe Colloque serbo-grec « L’art de Thessalonique et des pays balkaniques et les
courants spirituels au XIVe siècle », tenu à Belgrade 1985, Belgrade 1987, p. 33-34 avec bibliographie.
13
son successeur dès la naissance de son fils et avait l’intention de suivre la tradition des
Némanides sur la priorité de la succession du premier-né. Cela a été clairement exprimé par
l’utilisation de la couleur rouge impériale du fond et par la représentation du petit Uroš très
près et sous le loros de son père.
Cette décision de Dušan est encore plus frappante à Pološko (1343/45), où le fond
rouge se répand derrière la famille royale, et où le Christ, depuis un segment céleste, pose les
couronnes sur les têtes de Dušan et de son fils Uroš. Ainsi, le Christ couronne le roi régnant et
désigne en même temps son successeur. Par la suite, les « portraits » de la famille de Dušan à
Saint-Démétrios de Peć (1345) sont également peints sur un fond rouge, ce qui, d’après les
auteurs, accentue la grande dignité et la noblesse des personnes représentées75. Nous pensons
qu’ils s’inscrivent dans la même lignée que ceux de Pološko - le rouge rappelle la légitimité
du roi régnant et surtout de son successeur.
Les Mrnjavĉević, qui n’étaient pas descendants de la dynastie des Némanides, avaient
d’autant plus besoin d’affirmer la légitimité de leur règne. Dans l’église de l’Archange Michel
à Varoš (vers 1372)76 et au Monastère de Marko, les deux rois se détachent sur un fond rouge.
Les deux portraits de Vukašin sont posthumes et l’insistance sur le fond rouge ainsi que sur la
présence du portrait de Vukašin reflètent la volonté ferme de Marko de démontrer sa
légitimité.
Depuis le XIIe siècle, le roi serbe régnant commence à désigner son successeur en
apposant ses mains sur la tête du « jeune roi », lors d’une cérémonie présidée par le
patriarche77. Ce fut le cas avec Vukašin et son fils Marko. Le roi Vukašin avait désigné son
fils aîné en tant que successeur, et Marko portait le titre de « jeune roi » du vivant de son
père78. Après la mort de Vukašin d’autres nobles serbes, surtout des régions plus au nord ont
75
V. J. Djurić, S. Ćirković, V. Korać, Пеħка патријаршија, Belgrade 1990, p. 205.
V. J. Djurić, Византијске фреске у Југославији, Belgrade 1974, p. 80 ; S. Marijanović-Dušanić, Владарске
инсигније и државна симболика у Србији од XIII до XV века, Belgrade 1994, р. 64.
77
Le couronnement des premiers empereurs byzantins se faisait par le soulèvement sur le bouclier et avait un
caractère militaire. Par la suite (Léon en 457), le couronnement militaire fut remplacé par un rite plutôt religieux.
C’est le Patriarche en tant qu’autorité religieuse suprême qui sacrera l’empereur. En présence du Patriarche se
passait également le couronnement du co-roi (l’empereur associé) byzantin. L. Bréhier, Les institutions de
l’Empire Byzantin, Paris 1970, p. 15 passim. À l’image des empereurs byzantins les rois serbes seront sacrés par
le Patriarche de Peć ou une autre autorité religieuse, dont la présence a été également exigée pour la cérémonie
du sacré du « jeune roi », le co-roi et l’héritier du trône. M. Ivković, Установа младок краља у
средњовековној Србији, Историски Гласник 3-4 (1957), р. 59-79 ; S. Marjanović-Dušanić, Владарска
идеологија Немањича, Дипломатичка студија, Belgrade 1997, p. 50-56, 127-128 ; G. Babić, Портрет
краљевића Уроша у Белој цркви Каранској, Зограф 2 (1967), p. 17-18.
78
Une inscription retrouvée dans l’église de la Vierge de Prizren datéе de 1370/71, désigne Marko en tant que
« jeune roi ». M. Ivanović, Натпис младог краља Марка са цркве св. Недеље у Призрену, Зограф 2 (1967),
р. 20-21.
76
14
contesté la légitimité du pouvoir de Marko79. Dans ce climat politique particulièrement
difficile, alors qu’il est contesté par les siens et d’autant plus qu’il risque de devenir un
serviteur des Turcs, le jeune roi a affirmé sa légitimité à travers les peintures.
La composition qui se trouve sur la façade méridionale est, à notre avis, intimement
liée à la représentation de la « cour céleste » de l’intérieur et réinterprète encore une fois le
Psaume 44/45.
L’arc autour de la lunette comporte plusieurs personnages en buste. Au milieu se
trouve la Vierge à l’Enfant accompagnée de David (fig. 8 et 9). Le renvoi à l’image de la
« cour royale » peinte dans la nef, est fait à travers la présence du roi vétérotestamentaire
David (fig. 4 et 11), avec comme texte la citation du Psaume 44/45 verset 11 qui dit :
« Écoute, ma fille, regarde et tend l’oreille »80. La Vierge est encore une fois figurée en tant
que prêtre sacrificateur, car elle porte son fils sur un tissu rouge, qui rappelle les tissus
liturgiques et surtout elle tend son fils vers l’archange Gabriel qui présente à l’Enfant les
instruments de la Passion81. L’iconographe a ainsi relié la composition de l’intérieur avec la
Vierge prêtre donc sacrificatrice et celle qui se trouve sur la façade méridionale où la Vierge
de la Passion offre le Christ Enfant au sacrifice. Dans les deux compositions, le rôle
sacerdotal de la Vierge nous semble explicite.
Après l’image du prophète David se trouve une représentation de saint Étienne, le
proto-diacre82, qui est communément vénéré dans le monde byzantin, mais est également le
saint patron des rois serbes de la dynastie des Némanides (fig. 11)83. Il ne faut toutefois pas
oublier de signaler que malgré la représentation du saint patron des Némanides, la dynastie
79
Voir : Cf. supra note 8.
Les inscriptions lues par: V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству,
Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969), p. 88 note 57.
81
La Vierge à l’Enfant accompagné d’un ange qui porte les instruments de la Passion est une iconographie
ancienne bien connue, qui renvoie au sacrifice eucharistique du Christ. Voir la bibliographie dans : M. TatićDjurić, Богородица Страсна у Жичи, dans Манастир Жича : Зборник Радова, éd. D. Drašković, S.
Djordjević, G. Subotić, Kralevo 2000, p. 149-164. Sur l’image au Monastère de Marko, voir : V. J. Djurić, Tри
догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969),
p. 88.
82
Fêté le 27 décembre ou le 2 août. F. Halkin, Bibliotheca Hagiographica Graeca, Subsidia Hagiographica 8
(1957), 1648x-1665h. ; H. Delehaye, Synaxarium Constantinopolitanum, Bruxelles 1902, cols. 349-350 et 861864. Sur son iconographie, voir: E. C. Schwartz, The Saint Stephen Icon, dans Four Icons in the Menil
Collection, éd. B. Davezac, Houston 1992, p. 46-55. Sur les attributs des saints diacres, voir : G. Jerphanion,
L’attribut des diacres dans l’art chrétien du Moyen Âge en Orient, Mélanges à Spyridon Lampros, Athènes 1935,
p. 403-416.
83
Sur saint Étienne, en tant que protecteur de la dynastie des Némanides, voir : M. Ćorović-Ljubinković, Одраз
култа св. Стефана у српској средњовековној уметности, Старинар н. с. 12 (1961), р. 45-62 ; S. Marjanović
Dušanić, Владарска идеологија Немањича, Дипломатичка студија, Belgrade 1997, p. 54 passim. ; V. J.
Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за Ликовне
Уметности 4 (1969), p. 89 ; D. Vojvodić, Прилог познавању иконогрфије и култа св. Стефана у Византији
и Србији, dans Зидно сликарство манастира Дечана, Грађа и студије, Belgrade 1995, p. 544-563.
80
15
des Mrnjavĉević n’a jamais adopté le nom « Étienne » dans leur titre officiel, ce qui était
systématiquement le cas chez les Némanides84. Il semble donc que saint Étienne était aussi
bien respecté par les Némanides que par les Mrnjavĉević. Bien que dans la représentation du
Monastère de Marko, saint Étienne ne porte pas les attributs et les vêtements de diacre, il est
possible que son image s’inscrive dans le contexte eucharistique de la composition. Il est le
proto-diacre, donc un assistant dans la liturgie, traditionnellement peint dans les niches de
prothèse des choeurs byzantins. Au cours du rite de la prothesis, le prêtre extrait la parcelle de
saint Étienne juste après celle des prophètes, des apôtres et des Saints Pères de l’Église85.
De l’autre côté de la Vierge, derrière l’ange aux instruments de la Passion, se trouve le
roi Salomon qui est fréquemment associé au roi David (fig. 10). Il porte un texte qui
accompagne habituellement les images de l’Annonciation86. La densité théologique de
l’image est surprenante. La Vierge à l’Enfant et l’archange Gabriel (fig. 9) rapellent en
quelque sorte l’Annonciation, le moment où le Saint-Esprit descend sur la Vierge et donc la
consacre à son ministère : porter le fils de Dieu et l’offrir au sacrifice87. Les rois
vétérotestementaires, David et Salomon, portent des textes qui font allusion au mystère de
l’Incarnation, ce qui souligne le souci du concepteur d’illustrer le dogme christologique : sans
l’incarnation, il n’y a pas de sacrifice et donc il n’y pas de salut.
La frise des figures peintes au-dessus de la lunette se termine par sainte Catherine88 et
sainte Anastasie Pharmakolytria89 (fig. 8, 10 et 11). Sainte Catherine90 et sainte Anastasie91
84
L. Mirković, Мрнјавчевиħи, Старинар 3 (1925), р. 15 passim.
E. Mercenier, La prière des églises de rite byzantin I, Prieuré d’Amay-sur-Meuse 1939, p. 214.
86
Il tient un phylactère avec comme texte les Proverbes 31. 29 « Nombre de femmes ont accompli des exploits,
mais toi, tu les surpasses toutes ». Les inscriptions sont lues par : V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави
14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969), p. 88 note 58 ; Z. Gavrilović,
The wall paintings at the Monastery of Marko, 1376/77, Serbian Studies 13 (1999), p. 147. Sur les images du
prophète Salomon et les textes qu’il présente à l’époque Paléologue, voir : T. Papamastorakis, Ο δηάθοζκος ηοσ
Σρούιοσ ηωλ λαώλ ηες Παιαηιόγεηας περηόδοσ ζηε Βαιθαληθή Χερζολήζο θαη ηελ Κύπρο, Athènes 2001, p.174175 ; 190-192. Voir également : A-M. Gravgaard, Inscriptions of the Old Testament Prophecies in Byzantine
Churches, Copenhague 1979, 82 passim.
87
Jésus-Christ a été consacré à son ministère par l’Esprit Saint au cours du Baptême (Matthieu 3, 16-17 ; Marc
1, 9-11 ; surtout Luc 3, 21-23 ; Jean 1, 32-34). La Vierge a reçu la Descente du Saint-Esprit à deux occasions ;
lors de l’Annonciation et lors de la Pantecôte. Voir : Cf. supra note 30.
88
Inscription lue par : V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству,
Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969), p. 89.
89
V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за Ликовне
Уметности 4 (1969), p. 88. Sur l’arc qui surmonte la composition ont été peintes deux autres saintes femmes
dont l’identification n’est plus possible, car les inscriptions ont disparu. Elles sont vêtues en tuniques et portent
des maphoria, tiennent une croix dans la main gauche et ouvrent la paume de la droite devant la poitrine.
90
Fêtée le 24 novembre. F. Halkin, Bibliotheca Hagiographica Graeca, Subsidia Hagiographica 8 (1957), 461z462f. ; H. Delehaye, Synaxarium Constantinopolitanum, Bruxelles 1902, cols. 253-254. Dans le Ménologe de
Basile II, elle figure sous le 25 novembre. J-P. Migne, Patrologiae Graecae CXVII, Paris 1894, cols. 179-180.
Bien que la sainte fût la patronne du célèbre monastère au Mont Sinaï, son culte ne fut pas très répandu en
Orient. Le monastère originairement mis sous le patronage de la Vierge a été dédié à sainte Catherine au XIII e
siècle par les Latins, et seulement au XIVe ou XVe siècle par les Grecs. Byzantium, Faith and Power (126185
16
sont toutes deux les filles d’hommes riches, qui subirent le martyre pour le Christ. Elles sont
des saintes vierges, épouses du Christ92, et donc les « filles de roi » et « vierges », citées dans
le Psaume 44/45 versets 10 et 15, d’où leur place dans la composition. Sainte Catherine
intègre fréquemment les programmes iconographiques impériaux93, ce qui justifie sa place
juste au-dessus de l’image du roi Marko.
L’élément le plus énigmatique dans la composition de la façade est l’objet inhabituel
qui se trouve dans la main droite de Marko (fig. 8 et 12). Il s’agit d’une corne94, qui évoque le
rite de l’onction dans la cérémonie du couronnement. Ce rite est cité dans l’Ancien
Testament, pratiqué au moment de la désignation d’un chef par la providence divine95. Le
prophète Samuel est celui qui va oindre les premiers rois juifs. Les rois David et son fils
Salomon96, ici représentés ont été oints par la volonté de Dieu. C’est de la lignée de David que
descendra le Christ, dont le nom veut dire « celui qui est oint »97, donc le Messie.
1557), Catalogue de l’exposition du “Metropolitan Museum of Art” (23 mars - 4 juillet 2004), éd. H. C. Evans,
New York 2004, p. 343 ; K. Weitzmann, Loca Sancta and the Arts of Palestine, Dumbarton Oaks Papers 28
(1974), p. 54 ; N. Patterson-Ševĉenko, St. Catherine of Alexandria and Mount Sinai, dans Ritual and Art,
Byzantine Essays for Christopher Walter, éd. P. Armstrong, Londres 2006, p. 128-143.
91
Anastasie Pharmakolytria, la « désensorceleuse » est la compagne des sœurs de Thessalonique, Agapè, Irène et
Chionie, fêtées le 22 décembre. F. Halkin, Bibliotheca Hagiographica Graeca, Subsidia Hagiographica 8 (1957),
81-83b ; H. Delehaye, Synaxarium Constantinopolitanum, Bruxelles 1902, cols. 333-338 ; J-P. Migne,
Patrologiae Graecae CXVII, Paris 1894, cols. 219-222. Sur la bibliographie des saintes homonymes, leurs vies
et cultes, voir : C. Jolivet-Lévy, Les églises byzantines de Cappadoce, le programme iconographique de l’abside
et de ses abords, Paris 1991, p. 36 notes 68-71 avec bibliographie, p. 146. Voir également : D. Vojvodić, Култ и
иконографија свете Анастасије Фармаколитрије у земљама византијског кулртурног круга, Зограф 21
(1990), р. 31-40.
92
D. Vojvodić a remarqué la présence d’un diadème sur la tête de l’Anastasie dans le monastère de Marko et
souligne l’absence de cet élément dans les autres représentations de la sainte. D’après sa Vie, elle n’a pas été une
fille du roi, mais uniquement la fille d’un homme riche. Il pense que la lecture différente des différentes versions
de sa Vie est à l’origine des variations quant à sa tenue. Il réfute catégoriquement son identification en tant
qu’« épouse du Christ ». D. Vojvodić, Култ и иконографија свете Анастасије Фармаколитрије у земљама
византијског кулртурног круга, Зограф 21 (1990), р. 36 note 63.
93
Elle figure à Bojana (1259), juste à côté du portrait de la reine Irène, la femme de Constantin Asen. A. Grabar,
La peinture religieuse en Bulgarie II, Paris 1928, pl. XIII, XVIII. Dans la cathédrale de Monreale (Sicile),
fondation impériale de Guillaume II (1166-1189), elle figure derrière le trône impérial. Sur son culte en Italie
méridionale, voir : S. Brodbeck, Les saints de la cathédrale de Monreale en Sicile, Iconographie, Hagiographie
et pouvoir royal à la fin du XIIe siècle, Rome 2010, p. 390-393, annexe 6a à la p. 223. Dans la chapelle Palatine
de Palerme, elle figurerait également dans un contexte impérial. E. Borsook, Messages in Mosaic, The Royal
Programmes of Norman Sicily 1130-1187, Woodbridge 1990, p. 23, fig. 16 et 33.
94
La seule autre image, aujourd’hui malheureusement perdue, qui se rapproche de l’iconographie élaborée dans
le monastère de Marko est celle de Manuel I Comnène dans la cathédrale de Sainte-Sophie à Trébizonde (12381263)94. L’image est connue d’après le dessin d’un voyageur du XIX e siècle, mais a été détruite depuis. Nous
voyons l’empereur Manuel Ier Comnène porter la corne d’onction comme c’est le cas dans l’image de Marko. Le
rapprochement a déjà été proposé par : I. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у
сликарству, Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969), p. 96-97. Voir l’image dans : D. Talbot Rice (éd.), The
Church of Haghia Sophia at Trebizond, Edinburgh, 1968, fig. 79.
95
Les Hébreux ont voulu faire comme les autres peuples et avoir un roi. Le prophète Samuel est celui qui va
oindre les premiers rois. Dans 1 Samuel, 9, 16, le Dieu dit à Samuel : « Demain, à pareille heure,… je t'enverrai
un homme du pays de Benjamin, tu lui donneras l'onction comme chef de mon peuple d'Israël ».
96
1 Samuel, 5, 3 ; 1 Rois, 1, 39.
97
« L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la bonne nouvelle aux
pauvres ». Luc 4, 18.
17
L’onction avait au départ une signification religieuse, car ce sont les Grands prêtres de
l’Ancien Testament qui étaient oints pour servir Dieu98. Ce rite s’est ensuite étendu aux rois
également, aussi bien dans la cérémonie du sacre des empereurs byzantins que dans celle des
rois serbes99. Dans l’image du monastère de Marko, David est la préfiguration de Marko en
tant que « bon roi » choisi par Dieu. D’après le concepteur du programme, Marko est un roi
légitime, désigné par la providence divine100. En 1376/77 quand les peintures du monastère
ont été terminées, la situation politique dans le royaume de Marko et surtout ses relations avec
les voisins sont très complexes. Le morcellement de son territoire101, la contestation de son
titre de roi102, ainsi que la menace constante des Turcs ont inspiré le programme élaboré dans
sa fondation.
D’après V. Djurić, cette iconographie rare visait à mettre l’accent sur le rôle de Marko
comme « nouveau David », le roi pieux et sage, qui s’appuie sur la protection divine, suivant
la promesse donnée à David dans le Psaume 88/89, 22 : « pour lui ma main sera ferme, mon
bras aussi le rendra fort »103.
Certes la protection divine pour le roi Marko et son royaume était plus que nécessaire,
mais l’insistance sur l’onction dans cette composition (la corne dans les mains de Marko, le
récipient aux aromates dans les mains de sainte Anastasie et l’épithète « Eleimon » de saint
98
Voir : V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за
Ликовне Уметности 4 (1969), p. 91.
99
D’après V. Djurić, la prière du Chérubicon récité lors de l’onction a vraisemblablement influencé
l’iconographie. V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за
Ликовне Уметности 4 (1969), p. 92 passim. avec bibliographie sur les rites d’onction ; V. J. Djurić,
Византијске фреске у Југославији, Belgrade 1974, p. 80-81. Voir également : Z. Gavrilović, The Portrait of
King Marko at Markov Manastir (1376-1381), Byzantinische Forschungen 16 (1990), р. 419 note 11.
100
I. Djordjević interprète également la corne dans ce sens. I. M. Djordjević, Представа краља Марка на
јужној фасади цркве Светог Димитрија у Марковом манастиру, dans Кралот Марко во историјата и во
традицијата, Prilep 1997, p. 304-305.
101
Déjà en 1377, la région de Skopje est dominée par un autre seigneur serbe, Vuk Branković. Voir : Cf. supra.
note 8.
102
Après la mort du roi némanide Uroš V (1371), deux hommes pouvaient prétendre à la couronne, le roi Marko
et Tvrtko - le roi de Bosnie. Au cours de l’été 1377, le roi Tvrtko s’est fait couronner roi serbe en tant que
descendant des rois Némanides (arrière-petit-fils du roi Étienne Dragutin par les femmes) et maître d’une partie
de l’ancien royaume némanide. L’ancienne couronne d’Étienne Premier-couronné a été utilisée lors de la
cérémonie qui a eu lieu sur le tombeau de Saint Sava de Serbie. L’avènement de Tvrtko en tant que roi serbe a
été approuvé par les seigneurs serbes Lazar et Vuk Branković, tandis que les Balšići l’ont contesté. Ainsi, en
1377, deux rois, à savoir Tvrtko et Marko, prétendaient être des rois serbes. K. Jiriĉek, Историја Срба I,
Belgrade 1978, p. 314 passim. surtout p. 320-322 ; L. Mirković, Мрнјавчевиħи, Старинар 3 (1925), р. 22 ; G.
C. Soulis, The Serbs and Byzantinum During the Reign of Tzar Stephen Dušan, (1331-1355) and his successors,
Washington 1984, p. 102-103, 138-139 ; B. Ferjanĉić, Владарска идеологија у српској дипломатици после
пропасти црства (1371), dans О кнезу Лазару, Belgrade 1975, p. 139-150.
103
V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за Ликовне
Уметности 4 (1969), p. 94 ; V. J. Djurić, Византијске фреске у Југославији, Belgrade 1974, p. 80. Sur la
comparaison entre les rois serbes et le roi David, voir : S. Marjanović-Dušanić, Владарска идеологија
Немањича, Дипломатичка студија, Belgrade 1997, p. 201-209.
18
Démétrios104) est également inspirée du Psaume 44/45. Les versets 8 et 9 proclament : « C’est
pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction d’une huile d’allégresse comme à nul de tes
compagnons ; ton vêtement n’est plus que myrrhe et aloès ». L’oint du Seigneur n’est pas un
simple laïc, car l’onction, à travers l’intervention du Saint-Esprit, lui confère des fonctions
semblables à celles des prêtres. L’empereur obtenait au cours de son sacre un ordre
ecclésiastique inférieur, celui de δεποηάηορ et avait le droit de communier avec les clercs dans
le sanctuaire105. Par la chrismation, le roi recevait la fonction sacerdotale ultime106, celle d’un
intermédiaire entre Dieu et les hommes107. C’est le rôle privilégié de la Vierge aussi, et
comme la Théotokos, l’empereur et le prêtre sont tous deux oints pour être ministres du
Christ108. Dans notre cas, le roi Marko tenant la corne de l’onction, en présence des deux
archiprêtres (la Vierge et le Christ) et des deux rois oints par l’huile de la corne (David et
Salomon), se considère également un ministre de Dieu. Quelle pouvait être la mission que
Dieu lui avait conférée ?
Selon Syméon de Thessalonique : « … en plus, il (l’empereur) est appelé defensor de
la même Église et τρηζηός (oint) du Seigneur : il est ainsi considéré comme faisant partie du
104
Il est vraisemblable que le roi Marko ait été couronné et oint par l’archevêque d’Ohrid, qui était la plus haute
autorité religieuse dans le pays de son père et de son oncle Jean Uglješa. Voir : S. Bogevska, Un programme
iconographique inhabituel dans la chapelle rupestre Saints-Pierre-et-Paul, Konjsko (Prespa), Patrimonium 7
(2010), p. 244 passim. avec bibliographie. L’archevêque d’Ohrid Démétrios Chomatianos a déjà couronné
l’empereur Théodore Doukas à Thessalonique vers 1224 non pas par le μύπον, habituellement préparé et
consacré par le Patriarche au cours de la Semaine Sainte, mais par l’huile consacrée (ἔλαιον). Il ajoute que pour
le couronnement des empereurs à Thessalonique il n’aura pas besoin d’une myrrhe préparée par le Patriarche,
mais que la myrrhe qui coulait des reliques de saint Démétrios serait plus que convenable pour cette occasion. D.
M. Nicol, Kaisersalbung, The Unction of Emperors in Late Byzantine Coronation Ritual, Byzantine and Modern
Greek Studies 2 (1976), p. 44-46. Dans notre cas, saint Démétrios porte l’épithète Eleimon et il se réfère
vraisemblablement au rite de l’onction accompli au cours du sacre du roi Marko. Z. Gavrilović, The Portrait of
King Marko at Markov Manastir (1376-1381), Byzantinische Forschungen 16 (1991), p. 420-423.
105
Voir : L. Bréhier, Les institutions de l’Empire byzantin, Paris 1970, p. 20 ; M. Arranz S. J., Couronnement
royal et autres promotions de cour, Les sacrements de l’institution de l’ancien euchologe Constantinopolitain,
Orientalia Christiana Periodica 56 (1990), p. 124 note 28 ; G. Dagron, Empereur et prêtre, Étude sur le
« césaropapisme » byzantin, Paris 1996, p. 287-289.
106
Sur le lien entre l’onction et l’ordination voir : L. Bréhier, Les institutions de l’Empire byzantin, Paris 1970,
p. 14 passim. surtout p. 18-21. Balsamon écrit à propos du lien entre l’onction et l’ordination : « De même que
les empereurs sont appelés et sont réellement oints du Seigneur, de même les évêques le sont aussi et reçoivent le
même nom ». Démétrios Chomatianos, l’archevêque d’Ohrid dans une réponse envoyée à Constantin Cabasilas,
dit également : « À l’exception de la liturgie, l’empereur reproduit les autres privilèges épiscopaux, dans la
mesure où il agit conformément aux lois et aux canons ». D’après : G. Dagron, Empereur et prêtre, Étude sur le
« césaropapisme » byzantin, Paris 1996, p. 276-277.
107
Dans la tradition byzantine, l’onction du roi a une valeur sacramentalle, car elle efface des péchés, au même
titre que le baptême. Ibidem., p. 275 passim.
108
Quant il rêvet ses vêtements avant l’office, le prêtre dit : « il (le Dieu), m’a revêtu d’un vêtement de salut, et il
m’a entouré d’une tunique de joie : comme une fiancée, Il m’a orné de beauté ». Plus loin il dit : « Béni soit Dieu
qui verse la grâce sur ses prêtres comme la myrrhe répandue sur la tête… ». E. Mercenier, La prière des églises
de rite byzantin I, Prieuré d’Amay-sur-Meuse 1939, p. 211. Sur le rite de l’ordination et sur la descente du SaintEsprit au cours du rite, voir : Ibidem., p. 359 passim.
19
clergé »109. Les prières récitées au cours de couronnement font explicitement référence au rôle
protecteur de l’Empereur : « Seigneur notre Dieu, roi de ceux qui règnent et seigneur de ceux
qui exercent la seigneurie, qui par ton prophète Samuel as élu David ton serviteur et l’as oint
comme roi de ton peuple Israël … conserve-le dans une foi immaculée, montre-le gardien
précis des enseignements de la sainte Église catholique… »110. Le ministère de Marko est
donc la défense de la vraie foi. Se trouvant dans une situation complexe, car menacé par les
Turcs musulmans, le roi Marko se considère comme le ministre du Christ, oint par celui qui
est oint, et comme le défenseur de la chrétienté et de l’Église, personnifiée dans l’image de la
Vierge. D’après les sources, les derniers mots du roi Marko, juste avant sa mort en 1395,
quand il combattait les Valaques en tant que vassal turc étaient : « Je prie Dieu de venir en
aide aux chrétiens, même si je dois être le premier à périr dans cette bataille »111.
Le Psaume 44/45 a été, à notre avis, réinterprété dans le monastère de Marko afin de
glorifier son pouvoir terrestre et surtout de mettre l’accent sur la légitimité de son règne. À
l’intérieur de l’église, le Christ Roi des Rois a son représentant sur terre, le descendant de la
dynastie des Mrnjavĉević et le fils ainé de Vukašin - Marko. Sur la façade sud, le Christ,
« celui qui est oint », bénit le roi Marko qui porte la corne d’onction. L’image de la cour
royale, chargée d’un contenu eucharistique en raison de la présence de la Vierge de la Passion
et en même temps personnification de l’Église, confère une signification sacerdotale à la
personne du roi Marko. C’est par l’onction que le roi Marko a renouvelé l’alliance davidique
avec le Dieu lui-même. Il est le gardien des chrétiens et de l’Église au même titre que les
autres serviteurs de Dieu investi de l’Esprit Saint.
Ainsi, les deux compositions situées sur le mur nord à l’intérieur de l’église et sur la
façade méridionale sont complémentaires. Le Psaume 44/45 est la source d’inspiration dans
les deux ensembles iconographiques, avec une insistance sur l’investiture royale, l’onction et
l’ordination, qui viennent de Dieu.
La fonction de l’annexe où devrait se trouver les portraits des rois, demeure discutable.
Contrairement aux auteurs qui identifient cet espace à un baptistère112, nous ne sommes pas
109
D’après : M. Arranz S. J., Couronnement royal et autres promotions de cour, Les sacrements de l’institution
de l’ancien euchologe Constantinopolitain, Orientalia Christiana Periodica 56 (1990), p. 124.
110
Ibidem., p. 92.
111
Constantin Philosophe, Повест о словима (Сказаније о писменех) - Житије деспота Стефана
Лазаревића, Стара српска књижевност књ. 11, éd. L. Mirković, G. Jovanović, Belgrade 1989, p. 90. Sur la
bataille de Rovine, voir : Cf. supra note. 4.
112
Z. Gavrilović pense que l’image de la façade méridionale exalte l’idéologie impériale, l’onction des rois et les
rites baptismaux ainsi que la Sagesse Divine. Elle mentionne qu’une cuve baptismale a été retrouvée dans cette
partie de l’église d’où elle tire ses conclusions sur la fonction de la pièce. Z. Gavrilović, The wall paintings at the
Monastery of Marko, 1376/77, Serbian Studies 13 (1999), p. 148. La cuve a été commanditée en 1393 par
l’évêque Mathieu pour le monastère de Marko. Il est donc plus tardif que les peintures de l’annexe et rien ne
20
certaine que les rites baptismaux aient originairement eu lieu dans cette annexe. Nous
penchons plutôt pour une interprétation eucharistique de la fonction de cet espace, en lien
avec des rites monastiques113 et avec la commémoration des noms des ktitores. Le fait que les
deux rois portent des rouleaux inscrits des textes de leur donation114, suggère peut-être que les
moines faisaient la commémoration de leurs noms dans la petite annexe. La présence des deux
saints ermites sur l’arc qui surmonte la composition rappelle le contexte monastique115.
Certains typika de monastères prévoient la commémoration des noms des fondateurs
dans des chapelles particulières. Dans le Testament de Constantin Akropolitès pour le
monastère de l’Anastasis de Constantinople (1295-1324), à part les commémorations des
fondateurs dans la grande église, un prêtre et deux autres clercs devaient officier la liturgie
dans la chapelle de Saint-Lazare au moins trois fois par semaine et la liturgie du samedi était
faite au nom du ktitor (Constantin, sa femme et sa mère)116. Il est possible que la petite annexe
de Saint-Démétrios ait servi à ces fins. L’iconographie conservée reflète en tout cas un
contexte eucharistique, compatible avec les liturgies offertes pour les ktitores. La répétition du
nom des rois Vukašin et Marko dans les peintures, mais également sur des objets d’art
(choros)117, trahit le souci des fondateurs d’assurer la commémoration perpétuelle de leurs
noms.
La polysémie des images traitées dans cet article répond aux differentes fonctions de
l’église. Néanmoins, le décor peint exprime également les préoccupations du ktitor imposant
une lecture politique complexe du programme iconographique.
prouve que l’annexe était originairement conçue en tant que baptistère. М. Janković, Епископије и митрополије
Српске Цркве у средњем веку, Belgrade 1985, p. 159.
113
Nous interprétons l’image de la « cour royale » dans les monastères de Treskavec, de Zaum et de la Vierge
Péribleptos également par les rites eucharistiques, accomplis par les moines. Voir notre article : S. Bogevska,
The Virgin As Archpriest in Byzantine Art, Actes du XXIIe Congrès Iternational des Études Byzantines, Sofia
2011 (à paraître)
114
Voir : Cf. supra note 62.
115
Il s’agit de saint Makarios et d’un autre saint ermite. V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и
њихов одјек у сликарству, Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969), p. 89.
116
J. Thomas, A. Constantinides-Hero, Byzantine Monastic Foundation Documents tom. IV, Dumbarton Oaks
Studies 35, Washington 2000, p. 1375-76, 1380.
117
Sur le choros, qui porte le nom de Vukašin, voir : D. Todorović, Полилеј у Марковом Манастиру, Зограф
9 (1978), р. 28-36 ; S. Dimevski, Документи за судбината на полилејот во Марковиот манастир - село
Сушица (Скопско), Гласник на Институтот за Национална Историја Скопје, 1964, р. 209-221.
21

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