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28.11.2008 DOCUMENTS 1 INTRO -P. 4 13:04 Uhr Page 4 RELANCE DU DIALOGUE FRANCO-ALLEMAND SUR L'EUROPE DOSSIER En avril dernier, le comité de rédaction de Documents s'interrogeait sur l'opportunité de publier un article vigoureux contre la langueur qui semblait s'être emparée de la coopération gouvernementale entre la France et l'Allemagne et contre l'absence d'initiatives communes. Puis, à partir du mois de mai, le débat sur la coopération franco-allemande et l'avenir de l'Europe, sur la nécessité de réformes structurelles est reparti. Deux dates y ont contribué. Le 50e anniversaire de la déclaration de Robert Schuman (9 mai 1950), véritable acte fondateur de la réconciliation franco-allemande et de l'Europe communautaire, incitait à dresser un bilan et à s'interroger sur l'avenir. En prenant en charge, à partir du 1er juillet, la Présidence du conseil européen, la France ne pouvait se montrer à court d'idées sur la forme, la taille et le contenu de l'Union européenne. Le 12 mai, à l'Université Humboldt, le ministre des Affaires étrangères allemand, Joschka Fischer (Alliance 90-Les Verts) a prononcé un vigoureux plaidoyer en faveur d'une fédération européenne. Le 27 juin, au Bundestag, le président de la République française, Jacques Chirac, lui répondait en appelant de ses vœux, pour la première fois, une constitution pour l'Europe. L'un et l'autre défendent l'idée d'une coopérarion européenne renforcée autour de la France et de l'Allemagne, mais Jacques Chirac ne s'est pas rallié au modèle fédéral de Joschka Fischer. Sans chercher à l'exhaustivité, notre revue se doit d'apporter des éléments d'information et de réflexion et de présenter le plus clairement possible les principaux arguments qui ont éclairé ce vaste débat bien que celui-ci ne soit certainement pas fini. Notre dossier est conçu autour des points de repère suivants : – les débats français lors du 9 mai, – le discours de Joschka Fischer (12 mai) et les réactions françaises, – le séminaire franco-allemand de Rambouillet (19 mai) et le 75e sommet franco-allemand à Mayence (9 juin), – le discours de Jacques Chirac à Berlin (27 juin), – les réactions allemandes à ces deux discours fondateurs, – le point de vue de Daniel Vernet, journaliste et directeur des relations internationales du quotidien Le Monde. On y trouvera également le compte rendu d'un colloque organisé fin juin à Paris par Europartenaires et les résultats de deux sondages très encourageants, l'un sur les Français et l'Europe et l'autre sur la France et les Français vus par les Allemands. Un article du député Bruno Bourg-Broc témoigne de la vitalité, à travers un jumelage de villes, des relations franco-allemandes au niveau des citoyens. Des notes de lecture complètent cet ensemble. Henri Ménudier et Joseph Rovan 4 3 Fischer-P. 10 28.11.2008 12:58 Uhr Page 10 DOCUMENTS LE DISCOURS DE JOSCHKA FISCHER HENRI MÉNUDIER DOSSIER D ans un discours prononcé le 12 mai à l'Université Humboldt, à Berlin, Joschka Fischer relance de façon magistrale le débat européen. Contrairement à Lionel Jospin, il s’attarde peu à la CIG et aux problèmes actuels de l’Europe et il pose avec plus de netteté que Jacques Chirac à Chambéry la question de la finalité de l’intégration européenne. Cinquante ans après Robert Schuman, qui appelait de ses vœux la création d’une fédération européenne, il se prononce sans ambiguïté pour ce modèle. En intervenant à titre personnel et non pas comme ministre des Affaires étrangères, il peut s’exprimer plus librement que s’il engageait le Gouvernement fédéral. Son habileté consiste également à proposer des solutions avec plusieurs variables, incitant ainsi au débat. Le discours s’intitule : « De la Confédération à la Fédération-réflexion sur la finalité de l’intégration européenne ». Il comprend deux parties principales, l’une consacrée aux tâches à résoudre, l’autre porte sur le fonctionnement de la future « grande » Union européenne. (Internet : http : //www.amb-allemagne.fr ; Le Monde du 14 mai a publié de larges extraits) « Un succès phénoménal » En examinant les acquis de l’intégration, Joschka Fischer souligne le rôle décisif de la France et de l’Allemagne ainsi que le caractère « presque révolutionnaire » du principe d’intégration proposé par Jean Monnet et Robert Schuman en 1950. Cette initiative a connu depuis un « succès phénoménal ». Après les événements de 1989-1990, l’Europe communautaire a su se restructurer et s’adapter aux profondes mutations en cours. Le dilemme de l’Union européenne est de devoir mener deux grands projets de front : il faut procéder aussi rapidement que possible à l’élargissement, tout en maintenant la capacité d’action des institutions européennes. Comme les dirigeants politiques français, il accorde lui aussi une priorité absolue à la réussite de la CIG. Son objectif – très ambitieux – est d’accueillir les nouveaux États-membres de l’Union européenne dès le 1er janvier 2003. Pour faire fonctionner une Europe avec une trentaine de membres, il faut passer de la confédération à la fédération, sans remettre en cause l’existence des ÉtatsNations. il considère comme une « élucubration artificielle » l’idée de remplacer les anciens États par un État fédéral. Le principe de subsidiarité aidera à répartir les compétences et à partager la souveraineté entre l’Europe et les États-Nations. 10 DOCUMENTS 3 Fischer-P. 10 28.11.2008 12:58 Uhr Page 11 Joschka Fischer plaide pour un Parlement européen bicaméral qui représenterait les États-Nations et les citoyens. Les élus de la première chambre siégeraient également dans les parlements nationaux pour éviter tout antagonisme entre ceux-ci et le Parlement européen ou entre les États-Nations et l’Europe. Deux possibilités s’offrent pour le seconde chambre : soit une élection au suffrage universel sur le modèle du Sénat américain, soit le modèle du Bundesrat allemand avec des ministres des gouvernements nationaux qui siégeraient comme le font en Allemagne les ministres des Länder. Pour l’exécutif, Joschka Fischer propose de transformer le Conseil des ministres en un véritable gouvernement européen (constitué ainsi à partir des gouvernements nationaux) ou bien de s’appuyer sur la structure de la Commission et d’élire directement le président de ce Conseil qui serait doté de vastes pouvoirs exécutifs. Une constitution décidera du partage de la souveraineté et des pouvoirs entre la fédération (les domaines de sécurité essentielle et les questions qui ne peuvent être réglées qu’au niveau européen) et les États-Nations (le reste). Cette perspective ne sonne pas pour autant le glas des États-Nations qui restent indispensables pour légitimer une telle union et la faire accepter par les citoyens. Le principe de subsidiarité sera inscrit dans la constitution. Le centre de gravité Joschka Fischer constate que pour réaliser la fédération européenne avec un nombre élevé de pays membres de l’Union européenne, il faut adopter des méthodes différentes de celles préconisées par Jean Monnet depuis 1950. Une différenciation s’impose dans le sens des coopérations renforcées discutées au sein de la CIG et des idées émises par Karl Lamers et Wolfgang Schäuble en 1994 (le « noyau dur »), par Jacques Delors (la fédération des États-Nations entre les six pays fondateurs de l’Europe communautaire), par Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing (le noyau des 11 de l’euro). Comme l’Union européenne ne peut se résoudre à l’immobilisme et qu’elle ne fera sans doute pas le saut dans la pleine intégration, Joschka Fischer propose la création d’un « centre de gravité », d’une avant-garde avec plusieurs États prêts ou capables de progresser sur la voie de l’intégration. Qui en fera partie ? Le centre de gravité se formera-t-il dans le cadre ou en dehors des traités ? Le projet, encore très ouvert, doit être discuté, selon le ministre allemand des Affaires étrangères, à partir d’une étroite coopération franco-allemande et réalisé en trois temps. Trois étapes pour l’avenir 1. Le développement des coopérations renforcées Ouverte aux pays désireux de coopérer plus étroitement entre eux, cette voie ne signifie pas l’abandon de l’intégration européenne déjà entreprise. 11 DOCUMENTS 3 Fischer-P. 10 28.11.2008 12:58 Uhr Page 12 2. La formation d’un centre de gravité Les États qui choisiraient cette forme plus poussée de l’intégration concluraient « un nouveau traité fédéral européen qui serait le noyau de la constitution de la fédération ». Joschka Fischer se dit conscient des problèmes posés par ce projet : il ne faut pas compromettre l’acquis de l’Union européenne, diviser celle-ci ou porter atteinte à sa cohésion. Qui adhérera au centre de gravité : les Six ? Les Onze de l’euro ? Le centre de gravité devra toutefois ne pas être exclusif et se montrer toujours prêt à accueillir d’autres membres. 3. La pleine intégration de la fédération européenne Les coopérations renforcées relèvent de la coopération intergouvernementale. Il faudra donc un « acte de refondation politique délibéré de l’Europe » pour élaborer et adopter une constitution. Réactions françaises La presse française réagit positivement et perçoit tout de suite l’intérêt et la portée du discours, à l’image du quotidien Le Monde qui publie les 14 et 15 mai un éditorial intitulé : Danke schön, M. Fischer. « Le débat sur l’avenir de l’Europe est lancé », « il ne restera pas confiné aux chancelleries et à quelques instituts spécialisés », « il est maintenant sur la place publique grâce à Joschka Fischer ». Comme la presse, les dirigeants politiques se sentent interpellés. 1. Jacques Chirac et Lionel Jospin Les premières réactions publiques du Président de la République, Jacques Chirac, sont réservées. Dans un discours important sur la défense, qu’il prononce le 30 mai à Paris (devant l’IHEDN, l’Institut des Hautes Études de Défense nationale, et l’UEO), il se refuse à entrer dans les controverses entre fédéralistes et souverainistes. « Une réflexion globale s’impose », elle est menée activement, « notamment avec nos amis allemands ». Le Président ajoute : « … de même que pour la nation, il serait vain de vouloir définir l’Europe politique de manière abstraite » (Le Figaro, 31 mai). D’aucuns voient dans cette dernière appréciation une prise de distance nette à l’égard des idées de Joschka Fischer. Lors de la conférence de presse à l’issue du 75e Sommet franco-allemand, à Mayence le 9 juin, un journaliste sollicite une réaction sur le discours de Joschka Fischer. Lionel Jospin intervient le premier en donnant une réponse peu enthousiaste. Il rappelle que Jacques Chirac, Hubert Védrine et lui-même sont déjà intervenus sur ce sujet. « Donc, il n’y a pas de raison d’y revenir ». Cette réflexion sur l’avenir de l’Europe est nécessaire, elle se produit dans d’autres pays. « Donc, ces réflexions qui ont été lancées à titre personnel par Joschka Fischer… nous les avons jugées tout à fait salubres, importantes ». 12 DOCUMENTS 3 Fischer-P. 10 28.11.2008 12:58 Uhr Page 13 Jacques Chirac prend aussitôt la parole. « Je souscris tout à fait, naturellement, à ce qu’a dit le Premier Ministre ». Après avoir précisé que Joschka Fischer « ne propose pas une Europe fédérale » mais « une vision générale de l’Europe » et que « le mot fédéralisme a en allemand et en français deux sens très différents », le Président de la République se lance dans une série d’appréciations très élogieuses sur le discours de Joschka Fischer : « C’était une très bonne approche et une très bonne vision de l’Europe et, de surcroît, ce discours venait au bon moment ». C’est un discours qui fait réfléchir et prévoit des étapes. Une petite phrase assassine met fin à cette envolée : « Et, pour ma part, je tiens à remercier, après le Premier Ministre, M. Fischer pour l’excellent travail qu’il a fait à ce sujet ». Bien des journalistes relatent cette scène en soulignant les tensions qu’elle trahit au sein de la cohabitation (Le Monde, 11 juin). 2. Hubert Védrine Dès le 12 mai, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères déclare que les idées de Joschka Fischer représentent une réflexion « légitime » que la France est prête à « poursuivre activement ». Il faudra, à travers ce dialogue, parvenir « à un niveau suffisant de réalisme pour qu’elle puisse déboucher » (Le Figaro, 13 mai). Dans Le Monde du 11 juin, presqu’un mois après le discours de Berlin, le ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, publie une « Réponse à Joschka Fischer », soulignant dès le début : « J’ai trouvé cette démarche bienvenue et opportune ». Mais la France se tient en retrait car elle doit présider l’Union européenne ; mener à bien la CIG et lancer le débat sur le fédéralisme sont « deux choses également nécessaires mais différentes ». Au lieu de s’engager dans des controverses théoriques sur le fédéralisme, Hubert Védrine pose des questions précises : Comment choisir les membres de l’éventuel noyau ? Quelle sera la nature du gouvernement européen ? Quelle sera l’articulation entre les différents niveaux de pouvoir ? Il demande s’il y aura d’un côté la fédération avec son président, son gouvernement et son parlement, et de l’autre l’Union européenne élargie avec ses propres institutions (Conseil, Commission, Parlement et Cour de Justice). Hubert Védrine ne croit pas au fédéralisme classique mais il se rallie plutôt à « la conception de la fédération d’États-Nations, proposée par Jacques Delors ». Il se prononce pour un débat long, ouvert et loyal entre Français et Allemands et avec tous les Européens concernés. 3. Jean-Pierre Chevènement Les réactions du ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, qui s’est toujours intéressé à l’Allemagne, suscitent tout de suite une polémique car il déclare le 21 mai sur France 2 : « Nous sommes en présence d’une tendance de l’Allemagne à imaginer pour l’Europe une structure fédérale qui correspond à son modèle. Au fond, elle rêve toujours du Saint-Empire romain germanique. Elle n’est pas encore guérie du déraillement qu’a été le nazisme dans son histoire. Elle a une conception de la nation qui est celle du Volk (peuple), c’està-dire une conception ethnique… Il faudrait l’aider à se forger une autre idée 13 DOCUMENTS 3 Fischer-P. 10 28.11.2008 12:58 Uhr Page 14 Le débat Fischer-Chevènement Pour vider la polémique suscitée par les déclarations de Jean-Pierre Chevènement, le quotidien Le Monde et l'hebdomadaire Die Zeit ont eu l'heureuse idée de publier le même jour (21 juin) un débat entre les deux hommes politiques, enregistré à la résidence de l'Ambassadeur d'Allemagne à Paris, rue de Lille. Jean-Pierre Chevènement a souligné d'emblée son attachement à la compréhension entre la France et l'Allemagne et l'importance des relations franco-allemandes. Le rapport de l'Allemagne avec son passé Selon Joschka Fischer, les Allemands ne fuient pas leur passé, ils l'assument, et tout particulièrement Auschwitz. « La confrontation permanente entre Auschwitz et la responsabilité morale et historique sont inséparables de notre identité. C'est un morceau de notre histoire nationale. Comme tel, Auschwitz fait partie de nous ». Les Allemands sont au clair avec eux-mêmes, sur le plan politique et culturel ; la question des frontières a été réglée, il n'y a plus de question allemande. L'État-Nation Pour Joschka Fischer, à l'heure de la mondialisation, l'État-Nation « n'est pas assez grand ni assez puissant pour décider du destin des peuples européens », d'où l'importance de l'intégration européenne. Jean-Pierre Chevènement est convaincu au contraire de la puissance des États-Nations. « Il n'y a aucune raison de fuir dans le "postnational", dans un fédéralisme flou ; l'Allemagne a toujours un peu tendance à diaboliser la nation et à imposer ainsi une conception qui est la sienne, mais pas la nôtre ». L'État-Nation présente l'avantage d'avoir créé un certain équilibre entre le travail et le capital. Les principes de Jean-Pierre Chevènement Il n'y a ni peuple européen, ni citoyenneté européenne, tant que n'existe pas « un espace commun de débat à l'échelle européenne ». On ne peut pas faire passer les institutions avant le débat. Il faut au préalable s'entendre sur notre modèle de société, sur notre projet de civilisation et sur notre projet géopolitique. Il faut faire converger d'abord les nations et rapprocher les peuples. Ces derniers sont le dépositaire de la souveraineté – ce qui n'empêche ni les politiques communes, ni les délégations de souveraineté. Fédération ou association d'États-Nations ? Joschka Fischer constate que des éléments de fédéralisme existent déjà dans le fonctionnement actuel de l'Union européenne. Il défend l'idée de la fédération qui peut créer un équilibre entre les organes communautaires, les États-Nations et les régions et qui permet à l'Europe de s'affirmer dans le contexte de la mondialisation. Jean-Pierre Chevènement ne veut, lui, envisager qu'« une association d'États-Nations », il refuse l'idée d'un noyau dur fédéral à l'intérieur de l'Union européenne. L'Europe est devenue le relais de la mondialisation libérale. Les rapports avec les États-Unis La défaite de 1945 a rendu l'Allemagne dépendante des États-Unis ; il faut cependant considérer ces derniers « comme des partenaires et non comme des protecteurs » ; ils ne doivent pas s'affirmer comme « le véritable fédérateur de l'Europe ». Jean-Pierre Chevènement veut une Europe qui soit « autre chose q'une banlieue américaine ». Joschka Fischer se prononce pour une Europe forte par rapport aux États-Unis. N.B. Jean-Pierre Chevènement a développé ses idées sur l'Allemagne et les relations franco-allemandes dans son livre France-Allemagne, Parlons franc, Plon, 1996. 14 DOCUMENTS 3 Fischer-P. 10 28.11.2008 12:58 Uhr Page 15 de la nation, l’idée de la nation citoyenne, pour un meilleur dialogue avec la France » (Libération, 22 mai). Ces propos provoquent de vives réactions à droite et chez les Verts, les Socialistes sont embarrassés. Valéry Giscard d’Estaing crie au scandale : « Le fait d’accuser les dirigeants allemands de retrouver une culture nazie est insupportable ». Jean-Pierre Chevènement s’indigne de ce procès d’intention : « J’ai simplement critiqué le projet d’Europe fédérale de Joschka Fischer en soulignant la nécessité pour l’Allemagne de développer une conception citoyenne de la nation, en se dégageant aussi bien de la conception ethnique du Volk, que de la vision post-nationale de l’histoire. » (Libération, 20 mai) Le ministre de l’Intérieur corrige l’impression désastreuse laissée par ses propos en accordant un entretien à la Frankfurter Allgemeine Zeitung du 23 mai : « Je regrette beaucoup d’avoir exprimé une pensée de manière très raccourcie et d’avoir été aussi mal compris… Je suis un ami de l’Allemagne… Je ne voulais en aucun cas reprocher à M. Fischer et à d’autres hommes politiques allemands d’être sous l’influence de l’idéologie national-socialiste ». Dans une lettre adressée au Monde, publiée le 24, il explique son point de vue : « Comment dire mieux que le nazisme n’est nullement congénital à l’Allemagne mais qu’il a été un accident et non un passage obligé de son histoire ? » 4. Le PS et les Verts François Hollande, premier secrétaire du PS, voit dans le discours de Joschka Fischer « une initiative bienvenue » et « un acte politique majeur ». Après les doutes de 1998-1999 sur les orientations du gouvernement Schröder, « l’Allemagne redit son attachement définitif à la construction européenne et affirme son souhait d’accorder une place centrale à la relation franco-allemande… » Selon François Hollande, ce discours donne du sens au débat sur l’Europe unie. Les Socialistes eux-mêmes « voient l’Europe comme une fédération d’États-Nations, reposant sur une charte des droits fondamentaux et, à terme, sur une construction fixant les responsabilités de chaque niveau de compétences ». Mais il ne faut pas confondre les horizons. Il convient d’abord de s’intéresser à la CIG. D’où la conclusion du député de la Corrèze : « Oui, l’avenir de l’Europe, parlons-en sans doute. Mais construisons-la dès à présent ensemble ». (Libération, 22 mai) Deux ministres Verts du gouvernement français, Dominique Voynet et Guy Hascoët, prennent eux aussi publiquement position en faveur de l’initiative de Joschka Fischer. Dans une lettre cosignée avec Daniel Cohn-Bendit et publiée dans Libération le 18 mai, ils déplorent que l’Union européenne se soit construite comme une union économique en non comme « une Europe des droits de la démocratie » et soit ainsi devenue « le fer de lance de la mondialisation libérale ». Pour « faire reculer la dictature des marchés », le seul antidote est, selon eux, « de faire l’Europe politique des citoyens » en construisant une « vraie fédération, avec un gouvernement et deux vraies chambres » et une Charte des droits fondamentaux dotée de vrais pouvoirs. « Bref, il nous 15 DOCUMENTS 3 Fischer-P. 10 28.11.2008 12:58 Uhr Page 16 faut une Europe fédérale, que le nom plaise ou pas », expliquent-ils. Leur discours est beaucoup plus engagé que celui du PS. 5. UDF et RPR, ou « Chiche, Joschka Fischer ! » Les propositions de Joschka Fischer sont bien accueillies chez la plupart des députés de droite qui réfléchissent eux aussi à la nécessité de progresser sur le plan européen. Alain Madelin (Démocratie Libérale) défend depuis longtemps un projet d’Europe politique. François Bayrou (président de l’UDF et député européen) a fait campagne en 1999 sur le thème de la constitution européenne. Le 13 mai, il lance un « Appel de Strasbourg » avec Daniel Cohn-Bendit « pour que l’Europe devienne une démocratie » ; ils plaident pour l’adoption d’une constitution européenne en 2003 et pour l’élection d’un président de l’Union au suffrage universel. Les deux hommes politiques approuvent le discours de Joschka Fischer et déplorent la timidité de la réponse d’Hubert Védrine. Le député européen Jean-Louis Bourlanges, UDF, trouve de son côté que Joschka Fischer pose les vraies questions relatives à l’avenir de l’Union européenne, « celle de ses missions, de ses moyens et de ses frontières », mais il ne croit guère à la faisabilité institutionnelle du noyau dur. Il se demande s’il n’y aura que les institutions du noyau dur ou si elles existeront en plus de celles de l’Europe élargie. Le député RPR de Paris, Pierre Lellouche, publie dans Le Monde du 18 mai un long article intitulé « Chiche, Joschka Fischer ! » dans lequel il se désole « qu’une fois encore, l’impulsion vienne d’Allemagne ». Il se déclare en accord avec la plupart des points du ministre allemand, bien que sa propre réflexion diffère parfois de celle de J. Fischer. Aussi propose-t-il la création d’un groupe de travail franco-allemand, « un comité des sages » susceptible de tracer un itinéraire nouveau, à partir d’un centre de gravité, car l’actuelle CIG n’est guère en mesure d’impulser de grandes réformes. A la mi-juin, Alain Juppé et Jacques Toubon, tous les deux RPR, présentent au nom de leurs clubs respectifs, France Moderne et Le Club 89, l’ébauche d’une constitution européenne qui devrait être achevée à la fin de l’année, après discussion notamment avec les Chrétiens-démocrates allemands. Les deux anciens ministres proposent un président de l’Union européenne élu par le Conseil européen pour une durée de 30 mois (la moitié du mandat du parlement européen). Le Conseil désignerait un véritable gouvernement qui se substituerait à l’actuelle Commission et au Conseil des ministres (Le Monde, 17 juin). Michel Barnier, RPR, commissaire européen, désapprouve la suppression de la Commission de Bruxelles, « le seul lien de cohérence de l’Union européenne ». 6. Les extrêmes Les seuls hommes politiques à condamner les idées de Joschka Fischer se situent à l’extrême droite (FN et MNR) ou au RPF. Dans Le Figaro du 19 juin, Georges Berthu (député européen) et Philippe de Villiers (député de Vendée et vice-président du RPF) publient une tribune intitulée « Non au plan Fischer » dans laquelle ils expliquent que la France ne peut aliéner sa souveraineté au sein d’un noyau dur dominé par l’Allemagne. Alain Grioteray, « d’accord avec Chevènement », s’élève « contre une Europe à l’allemande ». (Le Figaro, 30 mai) 16 DOCUMENTS 3 Fischer-P. 10 28.11.2008 12:58 Uhr Page 17 Comment répondre à Joschka Fischer ? Le député socialiste Jean-Louis Bianco (ancien Secrétaire général de l’Élysée lors de la présidence Mitterrand et ancien ministre) et deux universitaires, Sylvie Goulard (chercheur au CERI) et Alfred Grosser (professeur émérite des universités) expliquent « comment la France doit répondre à Joschka Fischer » (Le Figaro, 9 juin). Ils partent de la constatation que « la France ne peut pas s’en tenir à des considérations aimables sur l’intérêt à long terme des propositions » du ministre allemand. Il pose des questions intelligibles : « Que voulons-nous faire en Europe ? Quels moyens nous donnons-nous pour y parvenir ? La France devrait accepter l’idée d’une fédération d’États-Nations, discuter les propositions allemandes et proposer une méthode ». Les concepts de « fédération » ou de « constitution » ne doivent pas être rejetés a priori mais abordés de manière sereine, d’autant que Joschka Fischer se montre très ouvert sur les propositions qu’il avance. Les trois auteurs font des suggestions concrètes : – organiser d’ici à 2001 un débat sur l’avenir de l’Europe au Parlement européen, dans les parlements nationaux des Quinze et des pays candidats intéressés. Une rencontre exceptionnelle de l’Assemblée nationale et du Bundestag devrait avoir lieu, – un groupe de Sages utilisant notamment les travaux des parlements rédigerait des propositions pour l’avenir de l’Europe. Il pourrait être présidé par Richard von Weizsäcker et Jacques Delors. Le fédéralisme – un faux débat ? Un autre universitaire, Jean-Claude Casanova, professeur à Sciences-Politiques, membre de l’Institut et directeur de la revue Commentaire, estime qu’il ne faut pas tomber dans le faux débat du fédéralisme (Le Figaro, 24 mai). « Deux idées sont devenues sans portée : l’une refuse tout transfert de souveraineté des nations à l’Europe, l’autre substitue l’État européen aux États nationaux ». En réalité les institutions fédérales fonctionnent déjà (Banque centrale, Cour de Justice et Commission). Le problème n’est pas de condamner le fédéralisme mais de mieux l’organiser. Si les Européens veulent constituer un corps politique composé de nations et susceptible de devenir une puissance, « ils doivent oublier l’inutile querelle du fédéralisme et accepter qu’une avant-garde trace le chemin en se donnant les institutions nécessaires ». On peut conclure cette rapide présentation des réactions françaises par des propos d’Hubert Védrine qui éclairent l’utilité du discours du 12 mai. « Joschka Fischer souligne qu’il a parlé à titre personnel, et non pas au nom du gouvernement allemand. Sa proposition n’est donc pas "sur la table" de la conférence intergouvernementale. Mais elle va nécessairement alimenter les réflexions à plus long terme sur l’avenir de l’Europe. Je souhaite que ce débat s’amplifie » (Le Monde, 14-15 mai 2000). ■ 17 DOCUMENTS 3 Fischer-P. 10 28.11.2008 12:58 Uhr Page 18 Communiqué (extraits) Mouvement Européen – France Mouvement européen – Allemagne Europa Union Les trois organisations saluent les réflexions de Joschka Fischer, ministre allemand des Affaires étrangères, sur la finalité de la construction européenne. « Il s'est à cette occasion prononcé en faveur de la perspective d'une fédération d'États-Nations dotée d'une constitution ». Les trois organisations « se réjouissent de l'ouverture d'un large débat de fond sur l'avenir du projet européen » et réaffirment les orientations suivantes : – « Il est indispensable d'assurer une meilleure implication des citoyens dans le fonctionnement de l'Union européenne »… – « Une Europe démocratique, capable de décider et d'agir avec efficacité, suppose l'existence à terme d'un gouvernement européen »… – « La rédaction d'une constitution européenne s'avère indispensable »… – « Il nous paraît qu'une structure de type fédéral, déjà envisagée par Robert Schuman il y a cinquante ans, est la mieux à même de permettre à l'Union européenne de réaliser son élargissement tout en maintenant sa capacité d'action, en assurant sa démocratisation et en préservant l'identité nationale des États-membres »… – « Nous soutenons l'idée de la constitution d'une "avant-garde" ou d'un "centre de gravité" d'États-membres désireux de progresser dans l'intégration politique comme étape intermédiaire vers cette fédération européenne, qui préserve l'unité et l'intégration du système institutionnel »… – « Nous espérons que l'initiative de M. Fischer contribuera à donner un nouvel élan au couple franco-allemand, uni autour d'une vision commune de l'Europe, et que les gouvernements français et allemand en débattront avec les autres membres de l'Union en vue d'en promouvoir la mise en œuvre ». NB : Les signataires sont : Elmar Brok, Président de l'Europa Union ; Wolfgang Thierse, Président du Mouvement Européen – Allemagne ; AnneMarie Idrac, Présidente du Mouvement Européen – France ; Henri Nallet, Premier Vice-Président dun Mouvement Européen – France Documents (N° 3-1998, p. 5-18) a publié le discours sur « La politique extérieure allemande à l’échéance de l’An 2000 » prononcé par Joschka Fischer devant les Amis du B.I.L.D., le 18 décembre 1997. Ce texte, traduit, revu et mis à jour, offrait pour la première fois en français la vision de celui qui allait devenir peu après ministre des Affaires étrangères. 18 4 Rambouillet- P.19 28.11.2008 12:57 Uhr Page 19 DOCUMENTS DE RAMBOUILLET À MAYENCE H.M. DOSSIER « La meilleure réunion franco-allemande » Le 19 mai, une semaine après le discours de Joschka Fischer, un séminaire franco-allemand réunit au château de Rambouillet le Président Jacques Chirac, le Premier Ministre Lionel Jospin, le Chancelier Gerhard Schröder et leurs ministres des Affaires étrangères. Cette rencontre informelle a pour objectif de faire le point sur les dossiers de la coopération franco-allemande et de l'Europe (préparation de la présidence française, CIG, élargissement…). « Elle est attendue avec impatience par un couple franco-allemand trouvant actuellement bien peu grâce aux yeux des observateurs des deux côtés du Rhin », écrit La Tribune (19 mai). Il n’y a pas de communiqué officiel pour une rencontre informelle. L’entourage du Président de la République fait toutefois comprendre aux journalistes que la bonne entente franco-allemande se manifeste par les mêmes préoccupations sur les différents problèmes de l’Europe et par la même détermination à les surmonter. Selon Hubert Védrine, c’est même « la meilleure réunion francoallemande depuis que je suis ministre » (Le Figaro, 22 mai). Il semble que Rambouillet permette aux deux gouvernements de rapprocher leurs points de vue sur la taille de la Commission, l’extension du vote à la majorité qualifiée et sur le concept des « coopérations renforcées ». La question de la repondération des voix reste délicate. « Beau temps à Mayence » Le 75e Sommet franco-allemand se tient à Mayence le 9 juin dans des conditions très favorables. « En l’espace de quelques semaines, le climat a complètement changé. Le couple franco-allemand, que l’on disait usé, a retrouvé une nouvelle jeunesse », (Le Monde, 9 juin). A l’issue du Sommet, Jacques Chirac se félicite d’une entente franco-allemande sans faille, Lionel Jospin se réjouit du « beau temps à Mayence et du beau temps dans nos relations » et Gerhard Schröder se montre satisfait des accords substantiels qui viennent d’être obtenus. Au cours de la conférence de presse, le chancelier confirme qu’il y a un accord entre les deux pays sur les institutions européennes. A propos de la pondération des voix, il répond : « Ce n’est pas cela qui va nous fâcher », prolongeant ainsi la remarque de Jacques Chirac sur ce même sujet : « Ce ne sera certainement pas un problème entre nous ». 19 DOCUMENTS 4 Rambouillet- P.19 28.11.2008 12:57 Uhr Page 20 Gerhard Schröder soutient la proposition française d’organiser à Zagreb (Croatie) la conférence sur les Balkans proposée par la France. Dans une déclaration officielle sur l’Europe du Sud-Est, la France et l’Allemagne conviennent d’intensifier « leurs efforts conjoints visant au maintien de la paix, à la stabilité dans cette région et à la réconciliation de ses habitants ». Les deux pays s’engagent à soutenir toute une série de projets « relatifs à la poursuite de la démocratisation, au développement économique et à la coopération régionale et partant, au rapprochement vers l’Union européenne » (échanges de jeunes, coopération universitaire et administrative, jumelages, aide aux médias indépendants). Coopération en matière d’armement Le Sommet de Mayence marque une nouvelle avancée de la coopération franco-allemande en matière d’armement. – Après la Grande-Bretagne et la France, l’Allemagne, qui doit remplacer ses Transall, confirme le choix de la version militaire de l’Airbus, baptisée A 400 M, comme futur avion de transport militaire ; elle renonce de ce fait à l’acquisition de l’Antonov 70 russo-ukrainien qui coûte cependant moins cher. L’A 400 M sera livré à partir de 2006-2007, la France devrait en acheter 50, l’Allemagne 75. Les conditions du lancement effectif du programme seront finalisées pendant l’été. lionel Jospin commente par cette phrase le nouveau programme : « Alors que se prépare le lancement de l’A 3 XX, cette nouvelle décision témoigne de la capacité de l’Europe à mener de grandes aventures industrielles ». (1) – Le 8 juin, la France et l’Allemagne ont signé avec l’Italie et les Pays-Bas un protocole d’achat de 366 hélicoptères de transport militaire NH 90, pour un montant de 9 milliards d’écus. – Pour se donner les capacités de reconnaissance, la France et l’Allemagne décident de mettre en place « un système d’observation satellitaire européen indépendant » afin de s’émanciper des États-Unis. La France construira le satellite optique Hellios II, l’Allemagne le satellite SAR-Loupe ; il ne s’agit pas de coopération industrielle franco-allemande mais d’une mise en commun de moyens développés séparément par chacun des deux pays. Le système de radar Horus proposé par les Français dans les années 1990 avait été décliné par le chancelier Kohl. Pour faire progresser la politique européenne de sécurité et de défense (PESC), les deux gouvernements confirment la tenue en novembre d’une conférence sur le renforcement des capacités militaires européennes qui sera (1) Construit par le consortium Airbus, l'A 3 XX est le très gros porteur long courrier de 555 places dont les premières commandes ont été passées par les compagnies Air France et Emirates (Dubaï). D'un coût compris entre 1,5 et 1,7 milliard de francs, ces avions devraient être livrés à partir de 2006. 20 DOCUMENTS 4 Rambouillet- P.19 28.11.2008 12:57 Uhr Page 21 un test de la volonté des Quinze d’aller de l’avant. A propos des questions stratégiques et des projets américains, le Président Jacques Chirac précise : « Nous avons partagé la même analyse sur les conséquences fâcheuses que pourrait avoir un projet de défense remettant en cause le traité ABM ». (2) Ce 75e Sommet se distingue aussi par des activités spécifiques. Parallèlement aux entretiens gouvernementaux, une rencontre se déroule entre les partenaires sociaux (patronat et syndicats) ; elle devrait se poursuivre par d’autres rencontres qui témoignent de la volonté de développer les relations entre les sociétés civiles. Le Ministre-Président Kurt Beck et l’OFAJ organisent un « sommet franco-allemand pour la jeunesse ». A l’initiative du chancelier Schröder, l’Académie franco-allemande du Cinéma est officiellement créée lors du Sommet de Mayence ; la séance inaugurale se tient à l’occasion du voyage de Jacques Chirac à Berlin. Les enfants de couples divorcés A la fin de la conférence de presse à Mayence, le Président Jacques Chirac évoque un sujet difficile dont il s’est entretenu auparavant avec le chancelier : « C’est celui des enfants des couples divorcés. Ce sont des conflits dramatiques pour les familles et pour les enfants et qui restent encore très fréquents. Or un travail très important a été accompli, c’est vrai, par les deux ministres de la Justice, un travail très important et positif aussi dans le cadre de la commission de médiation, il n’y a pas de doute. Et néanmoins, il y a encore des efforts à faire. Et nous sommes convenus ce matin, avec le chancelier, d’accentuer ces efforts pour mettre le plus vite possible une fin, un terme, à ce drame, aussi bien pour les parents que pour les enfants ». ■ Pour le texte intégral du Sommet, cf. www.elysee.fr. Voir aussi le service de presse de l’Ambassade de France à Berlin : www.botschaft-frankreich.de (2) Le traité ABM (Anti-Ballistic Missiles) de limitation des défenses antimissiles a été conclu en 1972 entre les États-Unis et l’URSS. Les Américains envisagent de construire un bouclier antimissiles pour protéger l’ensemble de leur territoire, au risque de relancer la prolifération des armes de destruction massive de la part des autres puissances nucléaires. Le candidat républicain à la prochaine élection présidentielle, George W. Bush, semble très attaché à ce projet. 21 6 Froehly- p.30 28.11.2008 12:57 Uhr Page 30 DOCUMENTS LES RÉACTIONS EN ALLEMAGNE JEAN-PIERRE FROEHLY DOSSIER L ors de la réunion d’un groupe de réflexion sur les relations franco-allemandes, organisée au début du mois de mai à Berlin, une spécialiste allemande des questions européennes avait dressé un tableau noir de l'état des relations entre la France et l'Allemagne : Premièrement, la situation politique en France aurait débouché sur une « importation » du problème du Front National au RPR, rendant ainsi le gaullisme « structurellement incompatible avec la construction européenne ». Deuxièmement, le dialogue francoallemand serait en panne et ne pourrait plus jouer le rôle de « moteur » pour l'Europe. Deux mois plus tard, la situation se présente bien différemment : Après le discours du ministre allemand des Affaires étrangères Joschka Fischer le 12 mai à Berlin, la rencontre de Rambouillet le 19 mai, le sommet franco-allemand de Mayence le 9 juin et la visite d'État de Jacques Chirac du 25 au 27 juin à Berlin (incluant un discours au Bundestag), le dialogue franco-allemand a retrouvé sa vigueur et s'inscrit dans une perspective qui va bien au-delà de la présidence française de l'Union européenne, chargée de mener à bien la conférence intergouvernementale (CIG) et la poursuite de l'Europe de la défense. On a pris note avec intérêt du côté allemand des travaux d'Alain Juppé et de Jacques Toubon (tous deux RPR) sur un projet de constitution européenne et dont Jacques Chirac s'est inspiré. Le gouvernement Jospin semble plus timide sur l'Europe – peut-être à cause de ses divisions internes et du parti communiste ; les députés européens du parti socialiste ne semblent pas apprécier d'avoir perdu l'initiative du débat européen. Au cours du printemps de l'an 2000, la réflexion sur l'Europe a été marquée par des interventions de personnalités comme Jacques Delors ou Valéry Giscard d'Estaing. Même si certains hommes politiques, tels que le député européen allemand (CDU) Elmar Brok, représentant du Parlement européen au sein de la CIG, ont plaidé très tôt pour un débat sur l'avenir de l'Europe et même si la presse a partiellement repris les interrogations françaises sur le noyau dur, la Kerneuropa (comme par exemple la Frankfurter Allgemeine Zeitung, le 25 avril), une initiative de Berlin était de plus en plus souhaitée avant le début de la présidence française. De son côté, au mois d'avril et surtout après les discours français plutôt « tièdes » sur l'Europe prononcés autour du 9 mai en France, l'Allemagne s'inquiète de plus en plus sur la capacité de la France en période de cohabitation à trouver, au niveau gouvernemental, le nécessaire élan pour assumer ses obligations au sein de l'Union européenne. 30 DOCUMENTS 6 Froehly- p.30 28.11.2008 12:57 Uhr Page 31 Le discours de Joschka Fischer Tenant compte des réticences de la France à l'égard de l'élargissement à l'Est de l'Union européenne et de la crainte française d'une dilution de l'Europe élargie, le discours de Joschka Fischer veut tout d'abord nourrir les débats européens au-delà des questions plutôt techniques de la CIG (sur lesquelles on constate globalement une convergence entre les deux pays), et donner, à travers la présentation d'un projet à long terme, une « finalité » et une « vision » à l'Europe actuelle. Le projet conçoit la « flexibilité » au sein de l'Europe élargie non comme un instrument pragmatique, mais comme la première étape qui sera suivie par la mise en place de « centres de gravités » et d'une « Fédération européenne ». Le discours de Joschka Fischer, qui a relancé le débat en Allemagne et dans les relations franco-allemandes sur l'avenir de l'Europe, a été bien reçu par la classe politique allemande, même si certains de ses aspects les plus ambitieux ne sont pas partagés par tous. Ainsi, Wolfgang Schäuble, l'ex-président de la CDU, déclare à la Deutschlandradio : « Je suis sûr que Fischer est sur la bonne voie concernant la Constitution Européenne, l'intégration à plusieurs vitesses et la subsidiarité renforcées ». L'ancien ministre des Affaires étrangères, Hans-Dietrich Genscher, FDP, a réagi dans le quotidien berlinois Der Tagesspiegel, titrant son article en français « Allons, enfants de l'Europe, suivez Fischer! ». Genscher plaide pour la prise en compte de l'élargissement de l'Union européenne et notamment pour une extension du Triangle de Weimar à la République tchèque et à la Hongrie. De plus, il voit dans le projet un moyen d'affirmer le rôle de l'Europe dans le monde multipolaire. La proposition ambitieuse d'un président européen élu au suffrage universel est loin de faire l'unanimité : Même le chancelier Schröder, qui soutient le travail de son ministre, la qualifie de « parfaite illusion ». Dans une interview avec Le Figaro, Hans-Dietrich Genscher valorise le rôle du ministère fédéral des Affaires étrangères dans les débats actuels : « Son initiative reste dans la ligne des bonnes traditions de l'Auswärtige Amt. Ce ministère est un creuset d'idées et un moteur de la politique européenne. » En effet, le discours de Joschka Fischer reflète le rôle accru de son ministère après le changement de gouvernement en 1998. Le style de gouvernement « décentralisé » du chancelier Schröder, qui met en avant son droit à déterminer les lignes directrices de sa politique mais laisse une liberté relative à ses ministres, contraste bien avec celui de Helmut Kohl qui avait, à travers son conseiller diplomatique Joachim Bitterlich, partiellement contourné l'Auswärtige Amt. Même s'il s'est prononcé à titre personnel (une pratique qui n'est d'ailleurs pas inhabituelle en diplomatie), le discours du 12 mai a permis au ministre Joschka Fischer de reprendre l'initiative dans le domaine de la politique européenne, dans lequel le gouvernement était plutôt passif après le succès de la présidence allemande de l'Union européenne au premier semestre 1999. Avec la bonne gestion du conflit du Kosovo et le soutien apporté par son parti, les Verts, aux interventions extérieures de la Bundeswehr, voilà un nouveau thème sur lequel le ministre a su prendre le dessus. Le discours de 31 DOCUMENTS 6 Froehly- p.30 28.11.2008 12:57 Uhr Page 32 Joschka Fischer est en partie le produit de la coopération franco-allemande ; préparé en consultation avec le cabinet du ministre français, Hubert Védrine, il reprend partiellement des idées élaborées par les cellules de prospective des deux ministères, CAP et Planungsstab. L'Auswärtiges Amt poursuit le processus de réflexion, comme par exemple lors d'une conférence sur l'Europe, le 23 mai, à laquelle a participé Daniel Cohn-Bendit, ami de longue date de Joschka Fischer. Le député Karl Lamers, porte-parole pour la politique étrangère du groupe CDU/CSU au Bundestag et particulièrement engagé dans les questions européennes, souligne que le concept de Joschka Fischer des « centres de gravité » reprend l'idée du « noyau » qu'il avait élaboré en 1994 avec Wolfgang Schäuble. Karl Lamers rejette l'argument mis en avant par Fischer selon lequel le concept de « noyau » aurait explicitement exclu l'Italie. En effet, le texte de 1994 avait présenté un concept ouvert, n’écartant a priori aucun pays-membre. Karl Lamers rappelle l'existence d'un papier de 1999 (« Schäuble/Lamers II ») dans lequel il développe l'idée d'une Constitution européenne, servant aujourd'hui de base à son étroite coopération en la matière avec Alain Juppé et Jacques Toubon. Débat franco-allemand Le discours de Joschka Fischer a également ouvert le débat sur la relation entre les États-Nations et la construction européenne. Ainsi, dans une interview avec Le Monde le 9 juin 2000, la présidente de la CDU, Angela Merkel, déclare que « Nation et Europe ne sont pas des notions qui s'opposent. Elles se conditionnent et se renforcent mutuellement. C'est la raison pour laquelle l'Union européenne et les relations franco-allemandes sont importantes pour nous. » La rencontre de Rambouillet le 19 mai, à laquelle, ont participé le président Jacques Chirac, le chancelier Gerhard Schröder, le Premier Ministre Lionel Jospin, ainsi que les deux ministres des Affaires étrangères, Joschka Fischer et Hubert Védrine a permis de poursuivre le débat lancé par Fischer et surtout de le rendre opérationnel dans la perspective de la CIG et de la présidence française. Outre la concertation sur les trois principaux sujets à l'ordre du jour de la CIG, la rencontre de Rambouillet a permis un net rapprochement entre Jacques Chirac et Joschka Fischer, le premier ayant suggéré, selon la presse, que le dernier lui écrive son discours au Bundestag ! Même si l'Allemagne croit à la France « parlant d'une seule voix », les diplomates allemands ont, semblet-il, bien pris note de la réaction plus réservée de Lionel Jospin et de certains de ses ministres. Cette dynamique n'a pas été perturbée par les propos, le 21 mai sur France 2, du ministre français de l'Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, selon lequel « l'Allemagne n'est pas encore guérie du déraillement qu'était le nazisme ». La réaction en France a été beaucoup plus violente qu'en Allemagne, où l'on 32 DOCUMENTS 6 Froehly- p.30 28.11.2008 12:57 Uhr Page 33 a très bien saisi que Jean-Pierre Chevènement visait d'abord – à travers un certain historicisme – à réaffirmer un modèle de la France qui est loin d'être majoritaire, mais qui lui sert de « légitimité politique ». Le débat entre JeanPierre Chevènement et Joschka Fischer, publié le 21 juin par Die Zeit et Le Monde a permis de comparer leurs visions de l'histoire, de l'État et de l'Europe. Le sommet de Mayence, le 9 juin, quant à lui, a complété la relance par le domaine de la sécurité et de la défense. La décision allemande de participer à la construction d'un nouvel avion de transport Airbus et de mettre en place, avec la France, un système d'observation militaire basé sur des satellites, marque la volonté des deux pays de surmonter les difficultés structurelles des dernières années et des malentendus suscités par le lancement en 1998 d'un « moteur franco-britannique » pour l'Europe de la défense. Celui-ci a été un moyen pour la France de pousser l'Allemagne à entreprendre des réformes nécessaires (comme celle de la Bundeswehr) et de s'associer en 1999 aux nouvelles réflexions sur la défense européenne. Les propos du ministre de la Défense, Alain Richard, un jour avant le sommet dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung, soulignant que « La Grande-Bretagne est plus intéressante que l'Allemagne grâce à une confiance et à des structures communes », montrent que l'axe franco-britannique sert à Paris d'« épée de Damoclès » à l'égard de Berlin. La visite d'État de Jacques Chirac a permis à celui-ci, en réagissant au discours de Joschka Fischer, de reprendre l'initiative vis-à-vis de son gouvernement et de l'Allemagne. Son discours au Bundestag relance l'idée d'une « avant-garde » (celle-ci ressemble pourtant davantage à la première étape qu'aux « centres de gravités » de Joschka Fischer) ainsi que celle d'une « Constitution européenne ». Les réactions en Allemagne ont tenu compte du fait que M.Chirac, s'exprimant en tant que Président de la République en visite d'État, se montre, dans un premier temps, plus pragmatique qu'un ministre « à titre personnel ». Le Président laisse pourtant le champ libre au débat, ne définissant pas la finalité de l'Europe après la « période de transition », censée faire suite à la conférence intergouvernementale. En somme, le président a présenté une deuxième vision, tantôt incompatible, tantôt complémentaire avec celle de Fischer. Homme pragmatique comme Jacques Chirac, le chancelier Schröder estime, dans une interview publiée le 17 juillet par le Figaro, El Pais et Il Messaggero, « qu'il s'agit maintenant de faire progresser ces deux visions. Ce qui veut dire que l'Allemagne mettra toute ses forces ces prochains mois à faire de la présidence française un succès ». ■ 33 7 Merkel-p. 34 28.11.2008 12:57 Uhr Page 34 DOCUMENTS DES VOIX ALLEMANDES DANS LA PRESSE FRANÇAISE ANGELA MERKEL : Extrait du Monde du 9 juin 2000 Le discours du ministre allemand des Affaires étrangères Joschka Fischer sur le renforcement de l'intégration européenne a fait beaucoup de bruit, auriez-vous pu le tenir ? Angela Merkel : Oui et non. Il a permis de relancer un débat sur l'Europe, sa finalité, son caractère, à un moment où l'architecture de l'Union est remise en cause par les élargissements à venir. Je trouve bien qu'il ait évoqué la question de la répartition des compétences, mais il ne s'est pas prononcé sur le moment auquel il faudra en discuter. L'élargissement réussira d'autant mieux si on clarifie, avant, la question de savoir qui fait quoi en Europe. Sur la coopération renforcée et les noyaux durs, Fischer s'est inspiré d'idées chrétiennes-démocrates développées par Wolfgang Schäuble et Karl Lamers, que nous devons pousser en avant. La France et l'Allemagne ont là un rôle de traits d'union pour rassembler cette Europe élargie et promouvoir son approfondissement. Il y a traditionnellement plusieurs conceptions de la nation en Europe, celle ethnique de l'Allemagne, celle républicaine de la France. Où en est la CDU, qui s'est opposée à l'introduction du droit du sol dans le code de la nationalité ? A. M. : Nous avions au départ une conception de la nation fondée sur l'origine, tandis que la conception française était imprégnée de l'idée de Renan, selon laquelle la nation rassemble ceux qui veulent vivre ensemble. Il faut cependant reconnaître que le fossé que l'on s'efforce souvent d'établir entre les notions de nation en France et en Allemagne est quelque peu théorique. Nous avons actuellement un débat passionnant en Allemagne sur l'immigration. Depuis que les Sociaux-démocrates et les Verts ont pris leurs distances avec l'idée de société multiculturelle, ils sont, eux aussi, prêts à reconnaître que l'immigration a quelque chose à voir avec l'intégration. Or, admettre l'importance de l'intégration suppose l'existence de rapports normaux visà-vis de sa propre nation, ce qui n'était pas toujours évident en Allemagne. Jacques Delors a parlé d'un traité dans le traité, est-ce que cela vous choque ? A. M. : Un traité dans le traité ne me choque pas. On peut imaginer qu'un groupe de pays s'entendent sur un traité constitutionnel auquel d'autres pourraient plus tard se joindre. Je ne veux pas de discrimination, qu'il y ait à la fin deux unions, une bonne et une moins bonne. Il faut pour cela que le noyau soit ouvert, qu'il n'apparaisse pas comme une construction dirigée contre les autres. Un centre de gravité doit être une incitation pour les autres à s'ouvrir à une plus grande intégration. La proposition de J. Delors est un aspect du débat que je souhaite voir mené avec beaucoup plus d'intensité, mais sans en fixer d'avance les résultats. Angela Merkel est députée au Bundestag et Présidente fédérale de la CDU. 34 DOCUMENTS Propos recueillis par Henri de Bresson et Arnaud Leparmentier DOCUMENTS 8 Lamers-p. 35 28.11.2008 12:56 Uhr Page 35 KARL LAMERS : Extrait du Figaro du 28 juin 2000 Propos recueillis par Jean-Paul Picaper Jean-Paul Picaper : Le discours du président de la République au Bundestag a-t-il satisfait vos attentes ? Karl Lamers : Oui. C'était un discours engagé et convaincant. A la fois ambitieux et réaliste, chose difficile. Il représente un grand tournant dans la pensée sur l'Europe en France, car le président a évoqué la nécessité d'une Constitution européenne. Je soutiens sa volonté de ne pas se contenter d'un accord minimal à la conférence intergouvernementale. Il a évoqué à juste titre deux points essentiels : la nécessité de créer un noyau, un « groupe pionnier », si cela s'avère nécessaire, et une réorganisation des traités afin de les rendre plus cohérents et transparents. J.-P. P. : La repondération des voix ne donnera-t-elle pas un avantage à l'Allemagne ? K. L. : L'Europe ne sera pas une « Europe allemande ». Au contraire, l'Allemagne est de plus en plus influencée par les idées et conceptions de ses partenaires. Cela vaut d'ailleurs pour toutes les nations. J.-P. P. : En 1994, vous aviez formulé avec Wolfgang Schäuble des réflexions sur l'Europe future, où il était question notamment de consti- tuer un « noyau dur » européen. Comment vous expliquez-vous que les propositions de Joschka Fischer aient été mieux accueillies ? K. L. : Notre « papier », dans lequel nous avions qualifié la France et l'Allemagne de « noyau du noyau », était avant tout un appel à la France. Nous courtisions la France. Cela n'a pas eu le succès souhaité, mais cela a contribué à rendre plus positive la réaction au discours de Fischer. A présent, nous sommes à la veille d'un élargissement de l'UE de 15 à au moins 27 États membres. Il est de plus en plus évident que cela ne posera pas seulement de gros problèmes économiques et institutionnels… Une grande Europe marquée par des contextes culturels différents fera aussi peser une menace sur sa cohésion. J.-P. P.: Le moment est-il venu d'établir une Constitution européenne ? K. L. : Je pense que oui. L'intégration européenne a atteint une profondeur telle qu'il est nécessaire de consolider et de faire fructifier l'acquis. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Wolfgang Schäuble et moi avions réclamé un traité constitutionnel pour l'Union européenne dans un papier publié en mai 1999 pour ouvrir la discussion. Karl Lamers est député au Bundestag et porte-parole du groupe parlementaire chrétien-démocrate (CDU) sur les questions de politique étrangère et de sécurité. 35 DOCUMENTS 9 von Thadden -p. 36 28.11.2008 12:56 Uhr Page 36 RUDOLF VON THADDEN : Extrait du Figaro du 1 et 2 juillet 2000 Propos recueillis par Alexis Lacroix Alexis Lacroix : Vous évoquez Joschka Fischer et son plan européen. Que pensez-vous du volontarisme politique de sa proposition ? Rudolf von Thadden : Le plan de Fischer est à la fois visionnaire et pragmatique. Il est patent que le ministre des Affaires étrangères voit bien plus loin que la présidence française de l'Union européenne. Il pense en fait déjà aux prochaines étapes. D'un côté, Fischer ouvre un large débat sur la société postnationale. D'un autre côté, il prend au sérieux la réalité des ÉtatsNations actuels. Je dirais qu'en fait, avec cette proposition, Fischer se met en phase avec la génération des Verts et de la gauche allemande en général, composée de personnes nées après la Seconde Guerre mondiale, qui inclinent vers un mode de pensée postnational. Voilà pour le côté visionnaire. En ce qui concerne le volet pragmatique de son plan, il se caractérise par la volonté, affichée par Fischer, de ne pas réaliser tout d'un seul coup. Fischer reprend à son compte, de manière significative, l'idée d'une Europe à deux vitesses ; ce faisant, il assigne un rôle spécifique au couple franco-allemand. A. L. : Le couple franco-allemand a le rôle moteur… R. v. T. : Oui, car, quand il parle à son sujet de « centres de gravité », Fischer entend à peu près la même chose que Jacques Chirac avec l'expression « avant-garde ». C'est très pragmatique, car c'est la proposition d'une unification européenne par étapes. R. v. T. : En effet, pour moi, le couple franco-allemand est bien plus qu'un simple moteur. Le partenariat de deux nations comme les nôtres a un sens en soi. Les cultures de l'Allemagne et de la France sont à la fois très différentes et très complémentaires. Parce qu'elles sont différentes, elles ont plus de facilité à penser de concert les conflits et les antagonismes et à essayer de les résoudre. C'est la raison pour laquelle la politique de l'unification européenne ne peut fonctionner que dans la mesure où les Français et les Allemands arrivent à trouver un compromis. J'aime à penser que Fischer ne récuserait pas une telle compréhension des choses. A. L. : Quelles leçons tirez-vous de la visite de Jacques Chirac en Allemagne ? R. v. T. : La visite de Jacques Chirac a, tout ensemble, une valeur symbolique et une signification politique immédiate. La signification symbolique tient au fait que Chirac est le premier chef d'État étranger à rendre une visite officielle à la capitale de l'Allemagne réunifiée. Ce faisant, il exprime l'assentiment de la France à la réunification des deux parties longtemps divisées de l'Allemagne. Chirac, par ailleurs, manifeste sans ambiguïté qu'il ne s'inscrit plus dans la tradition de Richelieu, cette lignée de politiciens français soulignant l'utilité d'avoir pour voisin une Allemagne divisée. Le discours de Chirac devant le Reichstag a donné une impulsion majeure à la construction de l'Europe, en n'hésitant pas à poser les bases des débats politiques à venir et en prenant l'initiative d'une construction de l'Europe dans le cadre du couple franco-allemand. Jacques Chirac a donné les gages d'une forte solidarité franco-allemande. Pour moi, c'est l'essentiel. A. L. : Doit-on cependant limiter la coopération franco-allemande au rôle de moteur de la construction européenne ? A lui réserver une fonction mécanique, ne risque-t-on pas de l'« instrumentaliser » ? Rudolf von Thadden, professeur émérite à l’Université de Göttingen, est Coordinateur de la coopération franco-allemande. 36 DOCUMENTS 10 Schröder -p. 37 28.11.2008 13:04 Uhr Page 37 GERHARD SCHRÖDER : Extrait du Figaro du 17 juillet 2000 Propos recueillis par Jean-Paul Picaper Jean-Paul Picaper : Que pensezvous des visions de l'Europe de Joschka Fischer et de Jacques Chirac ? une identité. Cette question de la présidence européenne est, selon moi, une parfaite illusion.* Gerhard Schröder : Ce qu'a dit mon ministre des Affaires étrangères est très important. Il a réfléchi à ce qu'on appelle la finalité de l'Europe. Puis Jacques Chirac a prononcé en Allemagne un grand et remarquable discours. J.-P. P. : Au sommet européen de décembre prochain, vous devrez résoudre la question de la repondération des votes au Conseil européen. Souhaitez-vous qu'on tienne compte de la démographie de l'Allemagne, pays le plus peuplé de l'Union avec ses 83 millions d'habitants ? Il s'agit maintenant de progresser en direction de ces deux visions. Ce qui veut dire que l'Allemagne mettra toutes ses forces, ces prochains mois, à faire de la présidence française de l'Union un succès. Dans ce cadre, il faudra régler les reliquats d'Amsterdam et résoudre à mon avis la question de la flexibilité. J'ai pris également connaissance de la récente proposition de mon ministre des Affaires étrangères d'instituer un président européen. Là, n'oubliez pas qu'il n'est pas seulement ministre, mais aussi l'un des leaders d'un parti Vert qui se cherche G. S. : Dans une Europe élargie, les grands pays ne devraient pas être mis en minorité. Si vous me demandez ce que veut l'Allemagne, naturellement, nous attirerons l'attention sur le fait que la pondération des voix a son importance. Mais je crois que cette question du poids des voix est plus une affaire politique que mathématique. Et parce que c'est un problème politique, je suis certain que nous allons le résoudre durant la présidence française. * Mis en gras par la Rédaction Gerhard Schröder, député au Bundestag et Chancelier de la République fédérale d’Allemagne. Président fédéral du SPD. 37 11 Vernet- P. 38 28.11.2008 13:04 Uhr Page 38 DOCUMENTS SANS ENTENTE FRANCO-ALLEMANDE L'EUROPE VÉGÈTE DOSSIER DANIEL VERNET L es relations franco-allemandes ont été souvent marquées par des paradoxes et la relance du printemps 2000 n'échappe pas à cette règle. Premier paradoxe : la coopération s'est remise à fonctionner au moment où on s'y attendait le moins, après des mois, pour ne pas dire des années, de stagnation, sans crise majeure certes, mais sans élan particulier. Deuxième paradoxe : la relance est intervenue simultanément avec le discours de Joschka Fischer sur la finalité de l'Europe sur lequel les esprits sont divisés, à Paris comme à Berlin. Autrement dit, la France et l'Allemagne ont réaffirmé leur engagement commun en faveur de l'intégration européenne alors que les deux pays développent des visions parfaitement différentes de cette Europe. Des visions différentes Et ce n'est pas parce que Jacques Chirac a fait, devant le Bundestag, un discours plus allant que celui de Lionel Jospin devant l'Assemblée nationale, qu'il est pour autant d'accord avec la vision fédéraliste du ministre allemand des Affaires étrangères. Le président de la République a, avec une grande habileté politique, occupé le vide laissé par le gouvernement en matière européenne, mais débarrassées de la solennité du Reichstag modernisé par Norman Forster, ses propositions restent modestes. Elles font penser à une réédition du plan Fouchet de 1961, avec sa coopération entre gouvernements et son secrétariat pour coordonner le tout. Quant au ministre français des Affaires étrangères, il ne laisse passer aucune occasion de déclarer son amitié pour Joschka Fischer (sa sincérité n'est pas en doute) tout en exprimant ses désaccords avec la quasi-totalité des propositions que son collègue allemand a présentées. « On ne peut pas être pour ou contre le discours de Joschka Fischer, a déclaré Hubert Védrine, en présentant son livre de dialogues avec Dominique Moïsi, Les Cartes de la France à l’heure de la mondialisation (Voir p. 54) ; c'est un discours attrape-tout qui est venu à un moment opportun pour l'Allemagne ». Comment expliquer alors que la relance de la coopération franco-allemande, scellée lors du séminaire qui a réuni le 19 mai 2000 Jacques Chirac, Lionel Jospin, Gerhard Schröder et leurs proches collaborateurs, au château de Rambouillet, ait suivi de quelques jours le discours pour le moins perturbateur de Joschka Fischer à l'Université Humboldt de Berlin ? Il y a une raison conjoncturelle : la fin de la conférence intergouvernementale, prévue sous présidence française, à Nice, les 7 et 8 décembre. Paris et Berlin sont intéressées à un succès de la réforme institutionnelle, condition préalable indispensable 38 DOCUMENTS 11 Vernet- P. 38 28.11.2008 13:04 Uhr Page 39 au futur élargissement. Il y a une raison plus durable : les dirigeants français et allemands ont redécouvert une vérité élémentaire de la politique européenne ; sans entente entre eux, l'Europe végète donc régresse. Leurs illustres prédécesseurs avaient fait la même expérience. On s'étonnera seulement qu'il ait fallu aussi longtemps à Jacques Chirac et Lionel Jospin, dans des conditions différentes, et à Gerhard Schröder après ses rêves de ménage à trois avec les Britanniques, pour revenir à cette règle de base. Il y a enfin une raison plus fondamentale : l'Union européenne est à la veille d'un élargissement vers l'Europe centrale et orientale qui entérinera le changement de la donne stratégique sur le vieux continent depuis la chute du communisme. Quel impact cet élargissement aura-t-il sur une Europe qui s'était développée pendant trente ans à l'abri du rideau de fer ? Chacun apporte des réponses différentes mais tout le monde se pose la même question. C'est celle qu'avaient soulevée dès 1994 Wolfgang Schäuble et Karl Lamers dans leur célèbre texte. Leur appel était tombé à plat parce qu'ils étaient en avance non sur les faits, mais sur la conscience que les Européens avaient des bouleversements intervenus quelques années plus tôt. En revanche, le discours de Joschka Fischer n'est pas « venu à un moment opportun » seulement pour l'Allemagne mais aussi opportun pour l'Europe. Cette fois, la discussion n'est pas retombée ; au contraire elle a rebondi, avec des contributions venues d'horizons divers, qui d'ailleurs, pour certaines d'entre elles, étaient en préparation depuis des mois (projet de constitution européenne Juppé-Toubon). Elle ne devrait pas s'éteindre. On annonce même une contribution de Tony Blair avant la fin de l'année et à Nice, la pression sera très forte pour que soient décidées les modalités d'une discussion sur cette fameuse « finalité » de l'Europe. Rendez-vous à Nice La condition est que les trois points (quatre avec les coopérations renforcées) à l'ordre du jour institutionnel du Conseil européen de Nice soient réglés avec succès. Français et Allemands ont déclaré qu'ils feraient tout pour arriver à un accord. Ils n'ont pas encore les mêmes positions sur tous les points mais ils sont d'accord pour se mettre d'accord. C'est déjà beaucoup. Ils semblent même d'accord pour qu'un des sujets les plus controversés – l'octroi à l'Allemagne d'une place spéciale dans la pondération des voix au Conseil, liée à son poids démographique – ne devienne pas la cause d'un échec, quelle que soit la solution choisie : bonus pour l'Allemagne ou maintien au même niveau des quatre « grands » (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie). A moyen terme, les positions des uns et des autres sont encore très éloignées. Dans la bonne tradition européenne, elles vont du fédéralisme le plus classique, lié à la supranationalité, à l'intergouvernemental le plus gaullien, type « Europe des patries ». Ces présupposés ont bien sûr des conséquences sur 39 DOCUMENTS 11 Vernet- P. 38 28.11.2008 13:04 Uhr Page 40 le sort réservé à la Commission, au Parlement, au Conseil européen et sur l'éventuelle création d'un poste de président de l'Union. Toutefois, on peut aussi se demander si ces divergences n'appartiennent pas au passé ; si une synthèse entre le communautaire et l'intergouvernemental, ou le dépassement de cette opposition, n'est pas aujourd'hui possible. Un consensus ne serait pas très difficile sur quelques idées simples : premièrement, la juxtaposition d'une Commission et d'un Conseil européen exerçant tous les deux des pouvoirs exécutifs conduit à une confusion croissante ; deuxièmement, un Parlement européen devrait comprendre deux chambres, l'une représentant les citoyens, l'autre les États ; troisièmement, l'Europe souffre d'un déficit de représentation qui devrait être comblé par la désignation d'une personnalité incarnant l'Europe ; enfin le contrôle, donc la participation des citoyens, dépend aussi d'un partage des rôles entre les divers niveaux de responsabilité, européen, national, régional. C'est plus vite dit que fait car une telle définition des prérogatives de chacun ouvre un débat non seulement entre l'Union et les États-membres, mais au sein même de ceux-ci. (1) En tout cas, les défis sont clairs. Des réponses sont sur la table. La décision n'appartient pas seulement aux Français et aux Allemands. Et pourtant le débat de ces derniers mois le montre, ils sont appelés à y jouer une part essentielle. ■ (1) Le débat engagé fin juillet en France à la suite des réformes proposées pour la Corse en vue d’un élargissement général des pouvoirs et compétences des régions montre l’importance de la réflexion présentée ici par Daniel Vernet. (N.d.l.R.) 40 13 sondages -P.46 28.11.2008 13:03 Uhr Page 46 DOCUMENTS LA FRANCE ET LES FRANÇAIS VUS PAR LES ALLEMANDS SONDAGES DOSSIER H.M. A l'occasion de la visite d'État de Jacques Chirac à Berlin, Die Zeit a publié le 21 juin 2000 (N° 16, p. 11) un sondage sur l'image que les Allemands se font de la France et des Français et une série d'articles sur notre pays. L'hebdomadaire de Hambourg ne brosse pas « le portrait de la vieille France mais de la France moderne » explique son directeur Roger de Weck. Certes des préjugés demeurent : « La France aurait le savoir-vivre et l'Allemagne le savoir faire. Là l'art de vivre et ici les mérites ? Mais l'économie française réussit bien et il faut faire redécouvrir la France. Elle est différente de ce qu'elle était, et différente de ce que beaucoup d'Allemands imaginent. » Klaus-Peter Schmid, ancien correspondant de Die Zeit à Paris, ne reconnaît pas Nantes où il a fait un stage à la préfecture, trente ans plus tôt. La France apparaît dans ces articles comme un pays jeune, dynamique, performant, ouvert sur le monde extérieur, sans pour autant renoncer à ses traditions et ses spécificités. Roger de Weck, de nationalité suisse, rappelle que la France garde quelques ennemis en Allemagne, comme Rudolf Augstein, l'éditeur du Spiegel. Les principales données du sondage montrent que les Français restent toujours des jouisseurs (Geniesser), conscients de leurs traditions, mais ils sont cordiaux, pleins d'esprit, nationalistes, tout en étant ouverts sur le monde. Les Allemands ont une image sympathique de la France (très et plutôt sympathique : 82,9 %), mais ils trouvent que les Français sont indifférents à leur égard (43,7 %). L'Italie et l'Espagne, pays du soleil, attirent plus les Allemands que la France qui vient en troisième position devant l'Autriche, les États-Unis et la Grande-Bretagne. Le TGV incarne le progrès technologique à la française, largement devant l'agriculture et l'industrie nucléaire. L'industrie automobile et surtout les techniques françaises de l'environnement ne sont pas bien considérées outre-Rhin. La France est un pays où vivent de nombreuses personnes créatrices, qui s'est beaucoup modernisé, qui a contribué tout particulièrement à la construction de l'Europe et à la protection des droits de l'Homme. Les Allemands souhaitent coopérer plus étroitement avec la France dans tous les domaines essentiels, la lutte contre la criminalité, la protection de l'environnement et la sécurité des produits alimentaires venant en tête – trois secteurs qui relèvent d'une conception très large de la sécurité. 46 DOCUMENTS 13 sondages -P.46 28.11.2008 13:03 Uhr Page 47 Synthèse des résultats du sondage I - Les qualités des Français (%) 1. jouisseurs 2. conscients de leurs traditions 3. cordiaux 4. pleins d'esprit 5. nationalistes 6. ouverts au monde 7. européens 8. pour le progrès 9. tolérants 10. fiables 11. élitaires 12. orgueilleux 13. superficiels 14. froids ne sait pas 96,6 92,8 81,4 80,4 80,3 71,8 71,5 68,7 66,5 49,3 46,4 28,9 25,4 17,5 0,4 II - Votre opinion personnelle sur les Français (%). Ils sont… 1. Plutôt sympathiques 2. Très sympathiques 55,5 } } 27,4 } 3. Moins sympathiques 7,9 4. Pas sympathiques 1,1 } } } Ne sait pas 82,9 9,0 7,2 III - Quel est selon vous le rapport des Français aux Allemands ? (%) 1. Les Français sont plutôt indifférents vis-à-vis des Allemands 2. Les Français trouvent les Allemands plutôt antipathiques 3. Les Français trouvent les Allemands plutôt sympathiques Ne sait pas Pas d'indications 43,7 25,6 25,3 4,3 1,2 IV - Les deux pays dont vous vous sentez le plus proche ? (%) 1. Italie 2. Espagne 3. France 4. Autriche 5. États-Unis 47 46,2 36,4 35,1 30,4 23,7 6. Grande-Bretagne 13,9 7. Russie 7,3 Ne sait pas 0,7 Pas d'indications 0,6 DOCUMENTS 13 sondages -P.46 28.11.2008 13:03 Uhr Page 48 V - Dans quel domaine considérez-vous que la France incarne particulièrement le progrès sur le plan technologique ? (%) 1. TGV 2. Agriculture 3. Industrie aéronautique et spatiale 4. Industrie nucléaire 5. Industrie automobile 6. Technologie médicale, génétique 7. Techniques de l'environnement oui non 72,4 57,1 16,7 28,8 51,0 45,9 44,5 36,2 40,4 50,4 33,4 37,5 28,0 56,1 VI - Domaines dans lesquels la France et l'Allemagne devraient coopérer étroitement à l'avenir (%) 1. Lutte contre la criminalité 2. Protection de l'environnement 3. Sécurité des produits alimentaires 4. Recherche et technologie 5. Politique de sécurité 6. Politique économique 7. Politique étrangère 8. Politique sociale 9. Politique des réfugiés 10. Élargissement vers l'Est 96,5 95,0 94,0 92,7 91,3 91,1 90,5 80,5 75,0 72,0 Sondage réalisé par EMNID pour l'hebdomadaire Die Zeit, l'Ambassade de France en Allemagne et la chaîne de télévision publique Phoenix. Réalisé du 25 mai au 9 juin 2000 par téléphone auprès de 1.000 Allemands de plus de 14 ans. Les chiffres complets dans Internet : www.zeit.de/links - www.botschaft-frankreich.de 48 DOCUMENTS 13 sondages -P.46 28.11.2008 13:03 Uhr Page 49 DES FRANÇAIS TRÉS EUROPÉENS Selon un sondage exclusif CSA-Libération-France 3 (France Europe Express) réalisé du 15 au 17 juin 2000 auprès d'un échantillon de 1.000 personnes âgées de 18 ans et plus (méthode des quotas), les Français se montrent très favorables à l'Europe. Ils identifient celle-ci surtout au maintien de la paix en Europe (55 %) et à la défense des droits de l'Homme (42 %). Ils estiment que l'Europe est plus efficace que le gouvernement français pour des dossiers comme l'environnement (59 %) et la fiscalité (52 %). Ils trouvent que les intérêts de la France à Bruxelles sont plutôt bien défendus (62 %) que mal (31 %). Les Français souhaitent de plus en plus une accélération de l'unification européenne (70 %). Ils sont très favorables à la construction de l'Europe, enthousiastes : 12 % ; favorables : 47 % (sceptiques : 35 %). Ils plébiscitent l'idée de mettre en place des objectifs concrets comme la baisse du chômage (96 %). Ils sont favorables à la prise de décision à la majorité absolue (67 %) plus qu'à l'unanimité. Ils approuvent à 61 % l'idée que certains pays avancent dans la construction européenne sans attendre les autres (opposés : 37 %). Les Français approuvent à 65 % la mise en place de l'euro (30 % y sont opposés) et à 66 % l'élection directe du président de l'Union européenne. Ils sont favorables (62 %) à l'élargissement de l'Europe (opposés : 36 %) mais ils rejettent fermement l'entrée de la Russie (61 %), de l'Ukraine (53 %) et de la Turquie (52 %). Ils font autant confiance à Jacques Chirac (64 %) qu'à Lionel Jospin (62 %) pour construire l'Europe. Nathalie Dubois et Jean Quatremer commentent ainsi dans Libération (26 juin 2000) les résultats de ce sondage : « La France est proche de l'eurobéatitude ! Après plusieurs années de méfiance, voire de désamour, les Français ont renoué avec la construction européenne et s'enflamment pour les aventures de l'Union. Qu'ils soient de gauche ou de droite. Cette attitude favorable peut s'expliquer par la reprise économique. Ils veulent une Europe qui avance, qui court même. » Libération estime que le gouvernement Jospin, dominé par les « euroréalistes » est pris à revers par ce changement d'état d'esprit de l'opinion publique « qu'il n'a manifestement pas anticipé. Jacques Chirac l'a mieux perçu en accueillant chaleureusement le discours de Joschka Fischer… » ■ 49 14 Bourg-Broc -p.50 28.11.2008 13:03 Uhr Page 50 DOCUMENTS CHALONS-NEUSS, UN JUMELAGE RÉUSSI DOSSIER BRUNO BOURG-BROC T ous les colloques – et Dieu sait s'ils sont nombreux – consacrés aux rapports franco-allemands, tous les sommets, tous les efforts des uns et des autres pour approfondir l'amitié franco-allemande et l'évolution de ce couple franco-allemand, à propos duquel on a usé et abusé de métaphores conjugales, seraient sans doute de bien peu d'effet s'il n'y avait à la base, pratiqués par des milliers de communes en France et en Allemagne, des jumelages qui ont créé des liens solides, personnels et durables entre citoyens de nos deux pays. Je me souviens de cette vieille dame de près de 80 ans – c'était ma mère – qui, à l'occasion de son premier vrai voyage hors de nos frontières, découvrit un jour à Neuss que les Allemands pouvaient ne pas être des « boches » ; elle qui les avait connus chez elle, et en 1914 et en 1940, et qui estimait même qu'ils étaient plutôt symphatiques, plutôt accueillants. L'absence de connaissance réciproque de la langue n'était même pas, dans le cas précis, un obstacle à des échanges, il est vrai superficiel, mais qui viennent sinon fonder, du moins conforter les échanges culturels, politiques et économiques qui se déroulent à un autre niveau. Le jumelage de commune à commune est sans doute un des aspects les plus traditionnels mais aussi l'un des plus forts et nécessaires pour l'avenir du couple franco-allemand. A cet égard, l'histoire du jumelage de Neuss, ville de 140.000 habitants en Rhénanie du Nord-Westphalie dans la banlieue de Düsseldorf, et de Châlonssur-Marne, redevenu Châlons-en-Champagne en 1998, préfecture de la Marne et de la région Champagne-Ardenne (50.000 habitants, communauté d'agglomération 70.000 habitants) mérite d'être citée car elle illustre au travers de son exceptionnelle réussite ce que peuvent être les rapports de deux cités de part et d'autre du Rhin. Au départ de ce jumelage, la rencontre amicale de deux hommes, les maires des deux villes, en 1971, mis en rapport par un étudiant allemand venu en France et le constat que « dans les structures politiques, sociales et économiques, nos deux villes ont beaucoup de points en commun ». En septembre 1972 est signé à Châlons un protocole d'amitié après sa signature en juin 1972 à Neuss. Le jumelage « décolle » en 1974 avec des rencontres sportives à Châlons, des échanges de personnel communal à Neuss et à Châlons, des échanges scolaires. De nombreux échanges ont lieu depuis lors dans de multiples 50 DOCUMENTS 14 Bourg-Broc -p.50 28.11.2008 13:03 Uhr Page 51 domaines. Et il faut souligner la permanence, la multiplicité de ces échanges qui n'ont cessé depuis bientôt près de trente ans. Année après année des chorales montent des concerts en commun et ce n'est pas rien d'entendre en juin à Neuss deux cents choristes et musiciens interpréter le programme (et qui dit interpréter veut dire répéter) qu'ils présenteront ensuite en octobre dans la basilique de Notre-Dame-de-Vaux, récemment inscrite au Patrimoine mondial de l'Humanité à Châlons. Année après année les clubs sportifs se mesurent dans les deux villes et vivent en commun des troisièmes mi-temps animées ici au champagne et là-bas à la bière. Année après année des sapeurs-pompiers se rencontrent et échangent conseils, techniques et simplement fêtent en commun leur dévouement au service de nos populations ou organisent un rallye en bicyclette entre nos deux villes (400 kms de distance seulement, mais il faut quand même le faire). Année après année les scolaires de plusieurs établissements – 7 lycées, 8 collèges et près de 50 écoles à Châlons – échangent correspondance et correspondants sans que pour autant, il faut néanmoins le signaler, l'apprentissage de la langue de l'autre soit beaucoup plus importante qu'ailleurs. Encore qu'il faille signaler que la fréquence des échanges comme la présence d'entreprises allemandes nous ait amené à Châlons à mettre en place une filière d'enseignement international. Mais à Neuss comme à Châlons « l'anglomania » fait des ravages sans que les déclarations ou conventions conclues à Weimar ou à Paris soient suivies d'effets significatifs. Quand donc comprenda-t-on ici en particulier que la défense de la francophonie, la défense de nos identités passe par l'apprentissage de plusieurs langues étrangères et que l'étude de l'anglais seulement est réductrice également en matière d'ouverture au monde ? Si l'on ne veut pas arriver à des rapports de sourds et muets entre deux nations amies, il faut vraiment faire de gros efforts en ce domaine et mettre en pratique les orientations du Traité de l'Élysée. Rien n'est plus choquant que des Allemands et des Français se parlant en anglais ou pire encore que des Allemands se parlant entre eux en anglais dans un conseil d'administration. Il va sans dire que la remarque vaut pour le cas de figure, de plus en plus fréquent hélas, semblable en France. Tous les secteurs d’activité sont concernés Pour revenir à nos échanges entre Novésiens et Châlonnais nous pourrions résumer la situation en disant qu'il n'est pratiquement pas un secteur d'activité où on ne pense pas à l'autre en lançant une nouvelle action. Les échanges de formation au sein des deux collectivités demeurent fréquents, même s'ils sont limités par la langue ; les échanges commerciaux sont restés certes symboliques mais non sans intérêt et Neuss est fréquemment présente sur la foire-exposition de Châlons, qui chaque année en septembre reçoit 170.000 visiteurs. 51 DOCUMENTS 14 Bourg-Broc -p.50 28.11.2008 13:03 Uhr Page 52 Les formations politiques des deux villes se rencontrent et lorsque je fus élu député en 1982, un des premiers messages de félicitations reçus suivi d'une invitation fut celui de mon homologue le docteur Hüsch qui vint lui-même et à plusieurs reprises dans notre ville exposer les problèmes politiques allemands et plus tard le sens de la réunification. Au-delà du jumelage officiel des deux villes, les membres de la Croix-Rouge se sont jumelés, les fanfares et harmonies également, sans se contenter de déclarations ou de chartes. C'est chaque année ou presque que ces diverses catégories se rencontrent dans des weeks-ends de détente. Une rue de Neuss à Châlons, une rue de Châlons à Neuss sont évidemment des symboles forts, dont l'inauguration fut chaque fois l'occasion de manifestations populaires copieusement arrosées. Et chaque année le carnaval ou la célèbre fête des tireurs de Neuss sont l'occasion de déplacements de dizaines, voire de centaines de Châlonnais sur les bords du Rhin. Si l'on ajoute que chaque anniversaire « fort » du jumelage (dix, quinze, vingt, vingt-cinq et bientôt trente ans) est l'occasion de célébrations où, aux cérémonies officielles s'ajoutent pavoisement des vitrines, des immeubles et des fêtes populaires, on peut parler d'une très grande réussite ancrée dans les cœurs autant que dans les têtes. Il est un secteur où l'échange est particulièrement réussi : celui des seniors. La disponibilité des uns et des autres et le nouvel engouement pour les voyages des personnes du troisième âge ont permis la multiplication des séjours (courts, moyens ou longs) des uns chez les autres ; et mieux encore maintenant nos seniors organisent en commun des séjours sur la Côte d'Azur ou en Bavière. Si l'on ajoute que communauté protestante comme communauté catholique ont des contacts et qu'il arrive de pouvoir assister à la messe à Saint-Quirin célébrée par un prêtre chalônnais qui prononce son homélie en allemand, on verra que la panoplie des échanges est quasi complète. Une si belle histoire d’amour On l'aura bien compris, de Neuss et de Châlons-en-Champagne, on pourrait dire « pourquoi elle, pourquoi moi ? » et cette belle histoire d'amour, commencée dans les années soixante-dix, ne demande qu'à se poursuivre. Elle peut certes connaître, comme tous les couples, des moments difficiles et il est vrai qu'aujourd'hui les plus jeunes, Allemands ou Français, semblent parfois faire montre de moins d'enthousiasme que leurs aînés, mais elle est sûrement appelée à durer et, j'espère, à se développer davantage encore. En 1972, le maire de Neuss, Monsieur Karrenberg, disait : « l'unification de l'Europe n'est pas en définitive l'affaire des gouvernements, des comités, des commissions : C'est l'affaire des peuples eux-mêmes. » En réponse, ravi par 52 DOCUMENTS 14 Bourg-Broc -p.50 28.11.2008 13:03 Uhr Page 53 l'accueil chaleureux et bon enfant des Novésiens, le maire de Châlons, Monsieur Degreave, déclarait : « C'est une fête de famille ». Et c'est bien de cela qu'il s'agit. Tous les jours, les Novésiens s'appliquent à démentir le poète Hölderlin, pour lequel « les Allemands sont riches en pensée mais pauvres en actes. » Nous essayons les uns et les autres d'enrichir quotidiennement notre vie « familiale ». A l'heure où ces lignes sont écrites, une magnifique exposition de photos de deux artistes de Neuss décore le hall de l'hôtel de ville de Châlons. Dans quelques jours, nous accueillerons aussi des Journées internationales de la Jeunesse au cours desquelles jeunes Allemands, Anglais, Bulgares, Burkinabais et Canadiens rencontreront de jeunes Châlonnais. Les jeunes Novésiens présenteront, réciteront des poèmes de Chamisso, symbole s'il en est, d'une alliance culturelle franco-allemande, devant le public châlonnais. On peut théoriser l'Europe. On peut théoriser la paix. Au travers de ce jumelage nous avons la conviction de les bâtir, l'une et l'autre. ■ 53 15 livres - p.54 28.11.2008 12:58 Uhr Page 54 DOCUMENTS LIVRES RÉCENTS SUR LA COOPÉRATION FRANCO-ALLEMANDE DOSSIER HUBERT VÉDRINE : Les cartes de la France à l'heure de la mondialisation, dialogue avec Dominique Moïsi, Paris, Fayard, 2000, 192 p. Ancien secrétaire général de l'Élysée sous la présidence de François Mitterrand et ministre des Affaires étrangères du gouvernement Jospin, Hubert Védrine est un fin connaisseur de la politique étrangère française et des relations internationales comme le montrait son livre très remarquable Les Mondes de François Mitterrand (Fayard,1996, 788 p.). Directeur-adjoint de l'Institut français des Relations internationales et rédacteur en chef de Politique étrangère, Dominique Moïsi compte parmi les meilleurs experts français des relations internationales. La qualité des deux auteurs ne donne que plus de prix à ce dialogue d'une haute tenue, publié au moment où la France prend la présidence de l'Union européenne. Il ne s'agit pas d'un entretien de complaisance, destiné à mettre en valeur une personnalité ; Dominique Moïsi pose des questions pertinentes et pousse parfois le ministre dans ses derniers retranchements, les désaccords ne sont pas masqués. Après la fin de la guerre froide et du monde bipolaire américanosoviétique, il est instructif de voir comment Hubert Védrine analyse ce qu'il appelle le monde « global » avec ses 189 États, un monde dominé par les États-Unis, la seule et unique hyperpuissance. Aussi les relations avec ce pays demeurent-elles toujours sensibles. Malgré la Politique européenne et de sécurité commune (PESC) et les avancées de l'intégration européenne, Hubert Védrine croit fermement au maintien et à l'utilité des politiques étrangères nationales et au rôle particulier de la France. Les relations franco-allemandes ne sont que brièvement évoquées (p. 98100). Le ministre explique qu'il préfère parler du « moteur » franco-allemand et non du « couple », « trop introverti ». Il confirme l'existence de difficultés entre la France et l'Allemagne au cours de la première année du gouvernement Schröder, suivies d'une vraie relance à partir de l'automne 1999. Les deux pays restent au cœur de la construction européenne. Le passionnant chapitre « Éthique et réalisme » donne l'impression que le réalisme tempère fortement l'éthique du ministre, à tel point que Dominique Moïsi se demande si une telle attitude ne risque pas de justifier le statu quo et de bloquer toute réforme du droit international. Dominique Moïsi maintient qu'« il est réaliste d'être moral, et non pas moral d'être réaliste » (p.179). 54 DOCUMENTS 15 livres - p.54 28.11.2008 12:58 Uhr Page 55 Hubert Védrine se déclare optimiste : « La France est un grand pays. Elle ne va pas se dissoudre dans un magma mondial ni même européen. Elle a en mains d'excellentes cartes » qui lui permettent de contribuer de façon décisive « à une meilleure organisation du monde » et « au renforcement de l'Europe » (p. 183). Sa passion, « c'est de faire de la politique étrangère de la France en action le lieu où s'opère la synthèse de l'expérience historique, du réalisme le plus aguerri, des exigences morales les plus fortes et les plus neuves des novations technologiques et méthodologiques, des principes et des actes, de la mémoire et de la vision » (p. 189). HANS STARCK, dir. : La politique étrangère de la nouvelle Allemagne, Paris, IFRI, 2000, 158 p. (Les Cahiers de l'IFRI, N° 30) Dans la première des cinq contributions, Eckhard Lübkemeier (directeur d'études à la Fondation Friedrich Ebert) étudie la politique étrangère et la politique de sécurité de l'Allemagne depuis l'unification de 1990 et après le retrait d'Helmut Kohl ; malgré les changements, la continuité s'est imposée grâce à l'ancrage à l'Ouest et une sage conception de l'intérêt national. Berthold Meyer (Maître de recherche à la Fondation de recherche de la Hesse sur la paix et la prévention des conflits) traite de la guerre du Kosovo et de la présidence allemande de l'Union européenne (premier semestre 1999) et des raisons de la réussite de Joschka Fischer comme ministre des Affaires étrangères. HansGeorg Ehrhardt (directeur de recherche à l'Institut de recherche sur la paix et la politique de sécurité/Université de Hambourg) examine la politique et les résultats de Rudolf Scharping, SPD, comme ministre fédéral de la Défense ; à propos de la Bundeswehr, il se demande si le gestionnaire saura se transformer en véritable réformateur. Paul Klein (directeur scientifique à l'Institut des Sciences sociales de la Bundeswehr) et Christophe Pajon, ancien stagiaire de ce même institut, se penchent sur l'avenir des forces armées en Allemagne ; ils pensent que le gouvernement devrait « accélérer le processus de la transformation de la Bundeswehr en une armée de métier ». Hans Starck (secrétaire général du Comité d'études des relations francoallemandes à l'IFRI) s'interroge sur l'état des relations franco-allemandes : nouveau départ ou enlisement ? Il dresse un bilan nuancé de l'ère Kohl, il montre que l'Europe a été à la fois un sujet de consensus et de désaccord depuis 1998, la relation avec Tony Blair venant compliquer la vie du couple franco-allemand. Après les tensions de janvier à septembre 1999, le dialogue a repris en donnant de nouvelles impulsions à l'Europe. La volonté de coopérer s'est imposée là aussi. Des éclairages pertinents qui rendent intelligibles les raisons de la continuité. 55 DOCUMENTS 15 livres - p.54 28.11.2008 12:58 Uhr Page 56 Ministère de la Défense, Secrétariat général pour l'Administration, Centre d'études en sciences sociales de la Défense et Centre d'Études d'histoire de la Défense : Bilan et perspectives de la coopération militaire franco-allemande de 1963 à nos jours. Bilanz und Perspektiven der deutsch-französischen Zusammenarbeit von 1963 bis heute, Actes du colloque tenu à Paris les 2 et 3 novembre 1998, Paris, ADDIM, 1999, 306 p. (Association pour le développement et la diffusion de l'information militaire - 6, rue Saint Charles, 75015 Paris) A l'initiative de Maurice Waisse, Directeur du Centre d'études en sciences sociales de la Défense, ces Actes, publiés sous un titre un peu trop long, reproduisent les exposés de 22 experts, universitaires et acteurs de la coopération militaire franco-allemande, donnant sur un sujet fort complexe une bonne vue d'ensemble. Une première série de textes porte sur le traité de l'Élysée et sa mise en œuvre. On lira avec profit ceux de Georges-Henri Soutou (professeur à Paris IV) sur les arrière-plans stratégiques du traité, de Daniel Colard (Besançon) sur « limites et perspectives de la coopération depuis 1963 » et de Pierre Jardin sur « Les sommets franco-allemands depuis 1963 ». Les contributions sur le rapport à l'OTAN et sur l'attitude américaine valent aussi une lecture attentive. Les désaccords sur la politique de défense et de sécurité font l'objet de solides études de cas ; elles sont toutes dues à des auteurs allemands. Elles portent sur le réarmement allemand, sur les questions stratégiques (Helga Haftendorn), les difficultés de la PESC (politique étrangère et de sécurité commune) et sur l'irritante question de la dissuation. La genèse de l'Eurocorps et la politique allemande de maintien de la paix complètent cette partie. Malgré les désaccords fondamentaux sur l'OTAN et la dissuasion, la coopération franco-allemande dans le secteur de la Défense fonctionne bien pour les échanges de personnels (coopération École de guerre/Führungsakademie de la Bundeswehr), les exemples donnés étant fort significatifs. La coopération en matière d'armements aurait mérité des développements plus substantiels. Une information de base à lire de près au moment où les questions de défense vont prendre une plus grande importance dans les relations franco-allemandes et au sein de l'Union européenne. WICHARD WOYKE : Deutsch-französische Beziehungen seit der Wiedervereinigung. Das Tandem fasst wieder Tritt (Les relations franco-allemandes depuis la Réunification. Le tandem repart d'un pied ferme), Opladen, Leske + Budrich, 2000, 278 p. Professeur à l'Institut de science politique de l'Université de Münster, Wichard Woyke est connu comme spécialiste des relations internationales et il a beaucoup travaillé sur la politique extérieure française. En coopération avec U. Andersen, il vient de publier la 4e édition revue de son excellent Handbuch 56 DOCUMENTS 15 livres - p.54 28.11.2008 12:58 Uhr Page 57 des politischen Systems der Bundesrepublik Deutschland (chez le même éditeur, 764 p.). Dans cette étude solidement documentée et de lecture assez facile, il traite tout d'abord de l'importance des relations bilatérales dans le cadre de l'Europe communautaire, de l'évolution des conceptions françaises et allemandes de l'Europe, des interactions avec la guerre froide et des positions françaises à l'égard de la réunification. Après cette solide introduction, il étudie le rôle capital de la France et de l'Allemagne dans l'élaboration des traités de Maastricht et d'Amsterdam, il fait ressortir les changements avec le passage de F. Mitterrand à J. Chirac. Il montre que la coopération n'exclut pas la confrontation dans des secteurs aussi sensibles que les rapports avec les pays de l'Est et avec les Balkans. Deux chapitres très fournis analysent la coopération économique et monétaire et la coopération en matière de défense et de sécurité. Le livre s'achève par un bref examen des rapports entre J. Chirac et G. Schröder et par des réflexions stimulantes sur les possibilités et les limites de la coopération franco-allemande au début du XXIe siècle. En annexe une chronologie, quelque 70 pages de documents et une bibliographie classée par ordre alphabétique. Un instrument de travail bien conçu et à recommander pour comprendre l'ampleur des mutations intervenues depuis dix ans entre la France et l'Allemagne. Une traduction française serait souhaitable. ■ H.M. Dernières publications . Études et Recherches, juillet 2000, N° 10, Jean-Louis Arnaud, Les Français et l’Europe - L’état du débat européen en France. (Notre Europe. 44, rue Notre-Dame des Victoires, 75002 Paris - Tél. 01 53 00 94 40/41). . Aktuelle Frankreich-Analysen, juillet 2000, N° 16, Joachim Schild, Über Nizza hinaus. Deutsch-französische Debatten über die Zukunft der EU. (Deutsch-französisches Institut, Aspergerstr. 34, D 71634 Ludwigsburg - Tél. 07141-93030). . Politique étrangère, 2000, N° 2, revue de l’IFRI. Ample dossier sur la politique étrangère de la France, les enjeux de la présidence française (Sylvie Goulard) et les coopérations renforcées (Françoise de la Serre). 57 DOCUMENTS 15 livres - 58 p.54 28.11.2008 12:58 Uhr Page 58