Soudan : la guerre secrète américano-chinoise

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Soudan : la guerre secrète américano-chinoise
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Soudan : la guerre secrète américano-chinoise
dimanche 25 août 2013, par Severin TCHETCHOUA TCHOKONTE
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L'auteur :
Assistant en science politique (Université de Maroua, Cameroun)
Retrouvez l'article à cette adresse :
http://www.diploweb.com/Soudan-la-guerre-secrete-americano.html
La guerre secrète américano-chinoise au Soudan constitue un des
théâtres sur lesquels l’affrontement de ces deux grandes puissances
autour du contrôle et de l’exploitation des matières premières africaine
est exacerbée. Pour comprendre les raisons de cet affrontement, il est
nécessaire d’interroger les enjeux géopolitiques et géoéconomiques de la
nouvelle politique africaine des Etats-Unis et de la Chine. Ce conflit
d’intérêt américano-chinois participe de la quête de puissance décisive
sur la scène internationale, des nouvelles guerres économiques que se
livrent les grandes puissances sur le sol africain depuis la fin de la guerre
froide. Le soutien indéfectible de la Chine au régime de Khartoum et la
scission du pays survenue en juillet 2011 sont autant d’indices qui
permettent d’observer la « guerre secrète » que se livrent ces puissances
au Soudan.
L’OPPOSITION STRATEGIQUE entre les Etats-Unis et la Chine en Afrique autour
du contrôle et de l’exploitation des matières premières est matérialisée par un
certain nombre de conflits localisés. Cette opposition est-elle une lente
renaissance de certains aspects de la guerre froide ? En effet, l’âpreté de cette
confrontation est l’expression de l’importance des matières premières africaines
pour leur survie économique et l’expression de leur puissance sur la scène
internationale. L’Afrique devient un enjeu énergétique majeur pour ces deux
grandes puissances économiques. En 2008, la Chine importait 32% du pétrole
africain contre 80% pour les Etats-Unis (Julien Bokilo ; 2012 : 46). Cette « guerre
secrète », sino-américaine en Afrique est observable sur plusieurs théâtres,
notamment au Soudan, où la scission du pays et la naissance du Sud-Soudan en
juillet 2011 constitue un des indices les plus révélateurs de l’ « affrontement larvé
» (Fweley Diangitukwa ; 2009 : 123) auquel se livrent ces deux puissances dans le
pays. Rendre compte de cette opposition stratégique sino-américaine au Soudan
revient à analyser les enjeux de cette rivalité (I) et à présenter les indices de cet
affrontement (II).
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Carte du Sud-Soudan
Cliquer sur la vignette pour voir la carte en grand format
(1200x1066 pixels)
Carte extraite d’un article d’Alain Nonjon, Afrique : Sud-Soudan, un miroir
I. Les enjeux de l’affrontement américano-chinois au Soudan
L’Afrique est un théâtre de l’affrontement économique et diplomatique entre
Pékin et Washington autour du contrôle et de l’exploitation des matières
premières. En effet, « les matières premières africaines détériorent les relations
entre les deux grandes puissances USA et Chine » (Julien Bokilo ; 2012 : 32). Ces
deux puissances se livrent une « compétition larvée » pour acquérir le pétrole
africain. Dans la course aux matières premières qui l’oppose principalement à la
Chine en Afrique, les Etats-Unis utilisent divers stratagèmes pour affaiblir les
régimes africains amis de Pékin, parmi lesquels figure le Soudan [ 1 ]. La
détermination du gouvernement américain à fragiliser, voire à disloquer le
Soudan participe de cette logique. Le contrôle des côtes maritimes soudanaises
est un enjeu stratégique majeur [2] dans cette opposition stratégique (Raphael
Rossignol ; 2011 : 291-299). Washington est déterminé à faire de Port-Soudan une
« pompe à essence » pour son armée et son économie, mais également à faire
passer le Soudan dans sa sphère d’influence, face aux velléités chinoises. Aussi,
cerner les enjeux de la « guerre secrète » que se livrent les Etats-Unis et la Chine
dans ce pays revient-il à analyser les raisons de la défiance américaine (A) et
du soutien de la Chine vis-à-vis du régime de Khartoum (B).
A. Les raisons de la défiance américaine : le Soudan une plaque
tournante du terrorisme international et une menace pour la
sécurité américaine
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, l’Afrique constitue « une priorité
stratégique majeure » pour les Etats-Unis (Fogue Tedom ; 2010 : 258-263).
Pourtant, en matière d’insécurité, ce continent n’est pas en odeur de sainteté. Il
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subit l’influence des idéologies radicales du Moyen-Orient, lorsque ce ne sont pas
ses fils –notamment ceux de l’Est, du Sahel et du Maghreb- qui se déplacent pour
soutenir la résistance des activistes dans cette région. Plus exactement, la
combinaison des facteurs tels que le partage d’un certain nombre de réalités
sociopolitiques [3] avec le Moyen-Orient, leur proximité géographique, et la
capacité relative du continent à faire face au flux de menaces transnationales qui
passent ou se développent sur son territoire, le rend pour le moins préoccupant
(Nzeugang Alexis ; 2010 : 298). L’Afrique de l’Est, notamment le Soudan et la
Somalie, constitue de « véritables sanctuaires » pour le terrorisme international.
En effet, depuis le coup d’état perpétré en 1989 par le général al-Bachir et son
éminence grise, Hassan al-Tourabi [4], Khartoum fut transformée en « capitale
africaine de la révolution islamique » (Pierre Péan ; 2011 : 256).
Afin d’endiguer cette menace terroriste, les Etats-Unis mettent sur pieds une «
sainte alliance contre Khartoum ». Dans cette lutte anti-islamiste, le
gouvernement américain instrumentalise ses relais africains, à savoir le président
Yoweri Museveni, Aferwerki [5] et Meles Zenawi. En effet, depuis la prise de
fonction de l’administration Clinton, un front anti-islamiste s’est formé aux EtatsUnis. Le 18 aout 1993, le département d’Etat inscrit le Soudan sur la liste des
Etats soutenant le terrorisme, ce qui fait de lui un « Etat voyou ». Madeleine
Albright, nouvelle représentante des Etats-Unis auprès des Nations-Unies, s’est
intéressée à l’importance du Soudan dans la perspective du conflit moyenoriental. Cette dernière s’est interrogée sur l’opportunité de renverser le régime
Bachir/Tourabi au profit d’un gouvernement Garang. Un tel changement à la tête
du Soudan sécuriserait la politique de pression exercée sur les palestiniens. C’est
dans cette optique que « le soutien de basse intensité à Paul Kagamé va se
transformer avec Clinton en engagement ferme pour l’aider à prendre le pouvoir
et, de la sorte, faire plaisir à Museveni, plus que jamais l’homme-clé du système
qui se met en place, et rendre par là plus cohérente l’association des guerriers
africains chrétiens autour de John Garang » (Pierre Péan, 2011 : 292-293).
L’attentat contre le World Trade Center de New York de février 1993 [6] renforça
la détermination de Washington à mettre en place des voies et moyens pour
continuer à exercer une forte pression sur Khartoum. Ce séjour de Ben Laden au
Soudan de 1991 à 1996 renforce la détermination de Washington à neutraliser [7]
le régime de Khartoum. Susan Rice affirme a cet effet : « le Soudan est le seul
Etat africain sub-saharien à constituer une menace pour les intérêts et la sécurité
des Etats-Unis » (Pierre Péan ; 2011 : 444). Le président Clinton, s’inscrivant lui
aussi dans cette logique prend en novembre 1997, l’Executive Order 13067
aggravant les sanctions contre Khartoum. Le dernier paragraphe de cette mesure
explique que : « la situation au Soudan représente une exceptionnelle et
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inhabituelle menace pour la sécurité nationale et la politique étrangère des EtatsUnis (…). Le gouvernement de Washington s’oppose à l’action et à la politique de
Khartoum, particulièrement pour son soutien au terrorisme international (…) »
(Pierre Péan ; 2011 : 444).
Cependant, on dénote une certaine ambiguïté de la part des États-Unis, critique
par rapport au Darfour, mais soutenant le gouvernement soudanais dans sa lutte
contre le terrorisme. Le gouvernement soudanais, a fourni secrètement ses
espions (Mukhabarat) aux États-Unis pour recueillir des informations sur
l’insurrection en Irak (Tanguy Struye ; 2010 : 81). Khartoum aurait également
assisté les États-Unis lors du renversement des Tribunaux islamiques en Somalie,
en maintenant un contact avec les membres modérés de ces Tribunaux et avec
certains chefs de guerre.
B. Le Soudan un important fournisseur d’hydrocarbures de la
Chine
En 2010, la Chine est devenue le premier consommateur mondial d’énergie,
devançant les Etats-Unis (Paillard Christophe Alexandre ; 2011 : 417). Aussi, pour
les autorités politiques chinoises, le pétrole est-il devenu une véritable «
obsession nationale ». Ne disposant que de 1,7% de réserves mondiales
d’hydrocarbures, ses besoins croissent de façon vertigineuse. Vers 2020, la Chine
devra importer chaque jour entre 10 et 15 millions de barils, plus du double de la
production actuelle de l’Arabie Saoudite, l’équivalent de toute la production
africaine (Serge Michel et Michel Beuret ; 2008 : 272). Pour pallier cet important
déficit énergétique, la Chine déploie sur l’ensemble des zones stratégiques de la
planète, une véritable « diplomatie des ressources ». Elle opère un important
réexamen de sa politique d’importation de pétrole et met en œuvre une nouvelle
politique énergétique. Dans cette perspective, l’intérêt géostratégique pour
l’Afrique croît de façon exponentielle dans la politique énergétique chinoise. Pour
la Chine, les pays africains constituent une sorte de « terre promise » (Fogue
Tedom ; 2010 : 265). Au rang de ces derniers figure le Soudan.
Le Soudan dispose d’un sous-sol riche en hydrocarbures, le brut soudanais
assouvit à lui seul 10% des besoins pétroliers chinois. En 2008, exportait
quotidiennement en moyenne 800 000 barils de pétrole du Soudan (Serge Michel
et Michel Beuret ; 2008 : 268). Le Soudan est le seul pays du continent africain où
la Chine s’adonne à la production pétrolière avec ses propres installations. Cela
sera d’ailleurs considéré comme un tel succès à Pékin que tous les dirigeants de
la CNPC seront récompensés d’un avancement hiérarchique au sein du parti
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communiste. La Chine y exploite le pétrole dans le bassin de Muglad, par le biais
de la China National Petroleum Corporation (CNPC), elle est devenue le premier
acheteur de pétrole et possède plus de 40% du consortium soudanais Greater Nile
Petroleum Operating Compagny (GNPOC) (Fweley Diangitukwa ; 2009 : 139).
II. Les indices de la guerre secrète américano-chinoise au Soudan
La guerre secrète américano-chinoise au Soudan se matérialise par le soutien de
la Chine au régime de Khartoum (A), d’une part, et par la scission du pays et la
création du Sud Soudan, orchestrée par la Etats-Unis, d’autre part (B).
A. Le soutien de Pékin au régime de Khartoum
L’intensification de la coopération bilatérale entre la Chine et le Soudan dans les
domaines de la construction, de l’agriculture, de l’éducation et de la santé,
couplée à une importante aide financière, fait de la Chine le plus important
partenaire économique du Soudan. Les échanges entre les deux pays ont dépassé
le seuil de trois milliards de dollars en 2009. Aussi la Chine est-elle déterminée à
protéger le régime soudanais contre les pressions des puissances occidentales. En
effet, la Chine « apporte son soutien au Soudan au Conseil de sécurité de l’ONU
sur la question du Darfour. Quand le président Omar al-Bachir s’est opposé au
déploiement des troupes onusiennes en remplacement des soldats de l’Union
africaine dans la région de l’Ouest, la Chine, qui n’avait pas voté la résolution en
ce sens, s’est aussi opposée à l’adoption de toute sanction visant le régime
soudanais, avant de refuser, fin 2006, une action internationale commune dans le
cadre du règlement du conflit. Privilégiant ses intérêts avec Khartoum (…) »
(Pierre Péan ; 2011 : 481).
En effet, en 2004, Pékin menace de faire usage de son droit de véto contre la
résolution 1564 du Conseil de sécurité, au sujet d’un embargo décrété sur les
armes à destination du Soudan, proposé par les Américains. Bien plus, en août
2006, grâce au soutien chinois le régime de Khartoum résiste aux pressions
internationales, notamment celles du Conseil de sécurité des Nations-Unies qui,
par l’entremise de la résolution 1706 prévoyait envoyer 17 300 casques bleus,
relever les 7 000 casques blancs de l’Union africaine. Qui plus est, le 23 octobre,
Jan Pronk, le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, est expulsé du
Soudan. Ainsi, « à mesure que les sanctions américaines et internationales
s’intensifient, l’emprise de la Chine sur le Soudan se renforce » (Serge Michel et
Michel Beuret ; 2008 : 242-243).
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La communauté internationale se trouve obligée de négocier avec la Chine pour
l’envoi des casques bleus. Pékin, en position de force, soumet à conditions sa
participation à cette mission. La Chine se présente comme une « planche de salut
», qui investit lourdement au Soudan, lui livre des armes et lui offre au conseil de
sécurité des Nations-Unies une protection sans faille.
B. Les Etats-Unis et la dislocation du Soudan
Les attentats du 11 Septembre 2001 aux Etats-Unis, la diminution des réserves
nationales de pétrole et la dépendance qu’elle génère vis-à-vis des fournisseurs
étrangers, combinés à la nationalisation du pétrole par Hugo Chavez, défuntprésident de la République bolivarienne du Venezuela, ont poussé l’ensemble de
la classe politique américaine à redéfinir de nouvelles zones d’intérêt stratégique
pour ses approvisionnements en énergie [8]. C’est dire que pareillement aux
autres puissances industrielles, les ressources africaines, soudanaises
notamment, intéressent grandement les Etats-Unis (Fogue Tedom : 2010). En
effet, le soutien des États-Unis au gouvernement du Sud-Soudan vise, depuis la
proclamation de l’indépendance du Sud le 9 juillet 2011, à priver la Chine d’accès
aux champs pétroliers appartenant désormais au 193e État de la planète :
quelque 80 % des réserves de l’ex-Soudan (Raphael Rossignol : 2011). Pour
s’octroyer ces importantes ressources pétrolières, endiguer la pénétration
chinoise dans le pays et neutraliser le régime islamiste de Khartoum, les EtatsUnis mettent à contribution l’ensemble de leur dispositif de puissance. L’intérêt
porté au Soudan par les Américains s’est confirmé sous la présidence Obama par
la nomination d’un envoyé spécial, Scott Gration, général à la retraite. Sa tâche
fut de promouvoir une politique d’ouverture envers le gouvernement soudanais en
jouant la politique de la carotte et du bâton (pression et incitations), tout en
veillant à garantir les intérêts américains au Sud.
Le gouvernement américain apporte, tout d’abord, un soutien multiforme au SPLA
de John Garang. A cet effet, le colonel américain Richard Orth joua un rôle clé
dans l’approvisionnement en armes du SPLA. Dans cette bataille stratégique,
Washington associe, dans une logique néoréaliste, sa société civile. C’est dans ce
cadre que des actions des personnages tels que Roger Winter [9] ont grandement
contribué à l’affaiblissement, voire à la dislocation du Soudan. En effet, pour ce
dernier, la meilleure solution pour arrêter la guerre entre le Nord et le Sud du
Soudan est que : « le Sud auquel s’adjoindraient peut-être quelques petites zones
de conflit, soit dissocié du Nord-Soudan et constitue, en fait, un pays indépendant
et souverain » (Pierre Péan ; 2011 : 436). Il a assisté à toutes les réunions du
bureau politique du SPLA. Lors d’une conférence de presse donnée à l’Institut de
7
la paix (US Institute for Peace) à Washington le 17 septembre 1997, Roger Winter
demande « le soutien total du gouvernement américain à une guerre destinée à
abattre le gouvernement de Khartoum, même si (il sait) qu’elle entrainera une
catastrophe humanitaire (…). Ce serait une guerre par proxies interposés,
utilisant les troupes ougandaises et érythréennes, avec les armes, la logistique et
l’entrainement américains » (Pierre Péan ; 2011 : 443). En 2004, il est nommé
représentant spécial du département d’état dans les négociations entre Khartoum
et les rebelles du Sud-Soudan. Négociations qui ont abouti au comprehensive
peace agreement (Accord global de Paix), qui a mis fin à la guerre entre le Nord
et le Sud et ont permis au Sud d’être indépendant en 2011. Les liaisons entre
John Garang et les mouvements rebelles du Darfour sont assurées par Roger
Winter, ce dernier joue un rôle déterminant dans leur approvisionnement en
armes, munitions, et en avions, via la liaison Nairobi (Wilson Airport)- Rumbek,
ville du Sud-Soudan où les appareils font le plein de kerosène et de munitions
avant de s’envoler vers un aérodrome du Nord-Darfour. Il est depuis
l’indépendance du Sud-Soudan, conseiller du gouvernement de Juba.
Bien plus, allié de Washington dans la lutte contre le terrorisme international,
Israël considère le Soudan comme très dangereux, parce que potentiellement
capable de soutenir ses ennemis. Aussi, lors d’une conférence à l’Institut de la
sécurité, le ministre israélien de la sécurité intérieure, Avi Dichter, déclarait
début septembre 2008, « Nous devons faire de sorte que le Soudan soit
constamment préoccupé par ses problèmes intérieurs » (Pierre Péan ; 2011 :
281). Il poursuit, « il est important que le Soudan n’arrive pas à se stabiliser
durablement. Important qu’Israël ait maintenu le conflit au Sud-Soudan, pendant
trois décennies, et qu’il le maintienne maintenant à l’Ouest du Soudan. Il faut
éviter que le Soudan devienne une puissance régionale exerçant une influence en
Afrique et dans le monde arabe (…).Dichter poursuit, « il y a aux USA des forces
importantes qui, pour obtenir l’indépendance du Sud-Soudan, seraient favorables
à une ingérence appuyée au Soudan et au Darfour, sur le modèle du Kosovo (…) »
(Pierre Péan ; 2011 :28).
Cette posture a permis à Washington d’affaiblir le Soudan, un des plus importants
partenaires africains de la Chine, en suscitant sa dislocation. Cette scission est
d’autant plus préjudiciable pour Pékin que les 3/4 [10] des ressources pétrolières
se trouvent dans le sud, dans la sphère d’influence américaine. Mais, à l’issue de
la visite de Madame H. Clinton, le 3 août 2012, à Juba au Soudan du Sud, un
accord a été signé entre les deux parties. L’accord prévoit le payement par Juba à
Khartoum de 9.48 dollars par baril exporté pendant trois ans et demi [11]. Le Sud
a par ailleurs accepté de verser près de 3 milliards de dollars à son voisin pour
compenser les pertes de revenus depuis la partition en juillet 2011.
8
Conclusion
La guerre secrète américano-chinoise au Soudan constitue un des théâtres sur
lesquels l’affrontement de ces deux grandes puissances autour du contrôle et de
l’exploitation des matières premières africaine est exacerbée (Tchokonte Severin :
2011). Pour comprendre les raisons de cet affrontement, il est nécessaire
d’interroger les enjeux géopolitiques et géoéconomiques de la nouvelle politique
africaine des Etats-Unis et de la Chine (Fogue Tedom ; 2010 : 255-293). Ce conflit
d’intérêt américano-chinois participe de la quête de puissance décisive sur la
scène internationale, des nouvelles guerres économiques que se livrent les
grandes puissances sur le sol africain depuis la fin de la guerre froide. Le soutien
indéfectible de la Chine au régime de Khartoum et la scission du pays survenue
en juillet 2011 sont autant d’indices qui permettent d’observer la « guerre secrète
» que se livrent ces puissances au Soudan.
Copyright Août 2013-Tchokonte/Diploweb.com
Bibliographie
Bokilo Julien, 2012, La Chine en Afrique : la Chine en concurrence avec les
anciens partenaires de l’Afrique et les pays Brics, Paris, L’Harmattan, 92 p.
Fweley Diangitukwa, 2009, Les grandes puissances et le pétrole africain : EtatsUnis et Chine : une compétition larvée pour l’hégémonie planétaire, Paris,
L’Harmattan, 197 p.
Paillard Christophe Alexandre, 2011, Les nouvelles guerres économiques, Paris,
Ophrys, 633 p.
Serge Michel & Michel Beuret, (2008), La Chinafrique. Pékin à la conquête du
continent noir, Paris, Grasset et Fasquelle, 348 p.
Tanguy Struye, 2010, La Chine et les grandes puissances en Afrique : une
approche géostratégique et géoéconomique, presses universitaires de Louvain,
192 p.
Fogue Tedom Alain, « Le mythe de la marginalisation stratégique de l’Afrique :
analyse de la dynamique américano-chinoise autour du pétrole africain », in
Maurice Kamto et al, 2010, L’Afrique dans un monde en mutation : dynamiques
internes ; marginalisation internationale ?, Paris, Afredit, pp. 255-293.
Raphaël Rossignol « Le Soudan, des conflits régionalement enchâssés sur fond de
9
rivalité sino-américaine », Outre-Terre 4/2011 (n° 30), p. 291-299.
Pierre Péan, Carnages : les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique,
Paris, Fayard, 2011, 570 p.
Tchokonte Severin, « Le projet géostratégique de la Chine en Afrique »,
Géostratégiques N°33, 4e trimestre 2011, pp. 121-143.
Nzeugang, Alexis, 2010, « Les Etats-Unis en Afrique après le 11 septembre :
dynamiques locales d’une puissance globale », thèse de doctorat en science
politique, Université de Yaoundé-Soa.
Plus
. Voir les articles et les cartes à propos de l’Afrique sur le Diploweb.com
Notes
[1] En 1978, la compagnie américaine Chevron découvre une importante
quantité de pétrole dans le sud soudan. Conscient de l’importance du gisement,
le dictateur Numeiri tenta de modifier les frontières avec les provinces du Sud
pour garantir au Nord un accès à l’or noir. Cette manœuvre pousse le Sud à se
révolter en 1983 sous la bannière du SPLA. Au fil des années, les Etats-Unis
accentuent leur pression sur Khartoum, accusé de nombreux crimes, mais
surtout d’abriter depuis 1993 Oussama Ben Laden. En 1997, Bill Clinton
décrète un embargo contre le Soudan, provoquant l’expulsion de Chevron, de
General Motors et de toutes les compagnies américaines, laissant vacant une
place que la Chine ne tardera pas à occuper. Voir, Serge Michel et Michel
Beuret, La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir, Paris, Grasset,
2008, p.242.
[2] Le Nord-Soudan borde la mer Rouge et constitue un lieu de passage entre
le canal de Suez et le détroit de Bab el-Mandeb sur les routes commerciales
vers l’Asie. Voir, Raphaël Rossignol « Le Soudan, des conflits régionalement
enchâssés sur fond de rivalité sino-américaine », Outre-Terre 4/2011 (n° 30), p.
291-299.
[3] Une forte communauté musulmane, développement de l’islamisme radical,
des griefs à faire valoir à l’encontre de l’occident, instabilité politique,
multiplicité des régimes autoritaires, abondance des richesses naturelles, mal
gouvernance, pauvreté, faiblesses de l’Etat etc.
[4] Ancien leader des frères musulmans soudanais, Hassan al-Tourabi prêche
10
un panarabisme islamique en symbiose militante avec tous les mouvements
islamistes du monde arabe. Il renforce la charia en 1991. Voir, Pierre Péan,
Carnages : les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris,
Fayard, 2011, p. 256.
[5] Isaias Aferwerki, leader du Front de Libération du peuple érythréen, qui a
remporté la guerre contre l’Ethiopie et a déclaré de fait l’indépendance de
l’Erythrée en 1991, est élu par référendum président de la République en
1993. Voir Pierre Péan, Op.cit., p.279.
[6] Cet attentat qui avait pour objectif de faire basculer la tour nord sur la tour
sud et de tuer de milliers de civils, tua 6 personnes et en blessa 1042. La
National Security Agency (NSA) réussit à décrypter les écoutes téléphoniques
entre la mission soudanaise à l’ONU et le ministère des affaires étrangères à
Khartoum. Le 24 Juin 1993, le FBI arrête huit personnes, dont cinq possédant
un passeport soudanais. Les interceptions indiquent clairement que Khartoum
est derrière l’attentat. Voir Pierre Péan, Ibid. p.293.
[7] En 1995, alors qu’il abritait encore Oussama Ben Laden - et peu de temps
après avoir accepté de laisser la France s’emparer à Khartoum du terroriste
Carlos – le Soudan est au ban des nations, classé « état voyou » par
l’administration Clinton qui n’allait pas tarder à bombarder une usine
pharmaceutique au nord de la capitale en prétendant qu’elle mettait au point
des armes bactériologiques. Voir, Serge Michel et Michel Beuret, La
Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir, Op.cit, p. 271.
[8] NDLR : La mise en valeur des hydrocarbures non conventionnels change la
donne par la suite
[9] Parlant de Roger Winter, néoconservateur américain, Mr. Ghazi Salahdin,
conseiller du président Omar Hassan El Bachir affirme : « il est à l’origine de
beaucoup de nos difficultés. C’est une des personnes les plus dangereuses pour
le Soudan ». Voir, Pierre Péan, Op.cit., p.281.
[10] Voir, « Le Sud-Soudan vers l’indépendance », Le monde : Bilan
Géostratégie 2011. p.108.
[11] 10 Voir, « L’accord signé entre les deux Soudans porte sur le partage des
dividendes issus du pétrole », rfi.fr, consulté le 06/08/2012.
11

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