Article en PDF - Culture (ULg)

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Article en PDF - Culture (ULg)
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
«Une vraie tartine à côté d'une figurine». Rencontre avec Patar & Aubier
Décalés, iconoclastes, subversifs, Patar & Aubier fascinent le monde entier avec leur univers déjanté et
leur humour décapant. Nominés aux Oscars pour Ernest & Célestinequ'ils ont coréalisé avec Benjamin
Renner, le duo n'en perd pas moins son franc-parler et a accepté une interview pour parler un peu d'eux et
beaucoup de cinéma. Une rencontre rock'n'roll !
Stéphane Aubier et Vincent Patar récompensés aux Magritte pour Ernest et Célestine
J'ai cru comprendre que vous
étiez de grands fans de bandes dessinées depuis l'enfance…
Stéphane Aubier : Comme beaucoup de gens de notre génération, j'ai grandi avec le journal Spirou, et
j'aimais beaucoup la façon dont les histoires étaient racontées. Il y a aussi ces grands noms que j'ai tout de
suite aimés, comme Franquin, Maurice Tillieux, Hergé, Raymond Macherot…
Vincent Patar : Ce sont des BD intemporelles : elles étaient bonnes à l'époque, elles le sont toujours.
Aubier : Les moins bons ont apporté des choses aussi : personnellement, j'ai appris des petites choses
de dessinateurs qui étaient moins doués, moins intéressants, mais qui avaient toujours une ou deux idées
sympas.
Qu'est-ce qui vous fascinait le plus dans ces BD ?
Aubier : Cela dépend. Pour certains c'était le graphisme, pour d'autres le dynamisme… Tillieux par
exemple, c'est l'ambiance qui est géniale, alors que les Schtroumpfs c'est plutôt l'univers global de Peyo.
Patar : Je crois que quand t'es gosse, tu te diriges plus facilement vers des trucs comme les Schtroumpfs,
ça attire plus facilement l'attention. En tout cas, ce fut le cas pour moi !
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Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
J'ai l'impression, en entendant les noms que vous citez, que vous aimiez déjà les histoires de
groupes, de petites communautés.
Aubier : C'est pas faux… Macherot aussi, avec Sibylline et Chlorophylle, où tu avais ce petit groupe qui à
chaque fois qu'il se faisait attaquer partait se cacher sur une île. Mais j'aime aussi Tintin et ses passages
par différents stades, les débuts un peu dans la veine comics à l'américaine pour aller ensuite vers quelque
chose de plus rigoureux, plus sérieux. Quand on lit Objectif Lune et toutes ses explications, tu te dis « ok,
t'as été sur la Lune toi ! » (rires). Jacobs faisait pareil, si ce n'est qu'il était encore plus précis et documenté !
Patar : Un petit côté « ça va hein, tu en dis trop ! » (rires)
Quand on voit votre style de dessin, on vous imagine mal vous orienter vers des dessinateurs plutôt
« réalistes » dans le trait.
Patar : On ne sélectionne pas vraiment, on goûte un peu à tout. Et des gars comme Mœbius, comme
Giraud, ou Jacques Tardi, ce sont quand même de sacrés univers qu'ils possèdent ! On ne rejette pas le
dessin moins « BD à gros nez » (rires)
Aubier : Mais c'est vrai qu'on a peut-être une affection pour les choses plus simples.
Vincent Patar, j'ai découvert que nous avions un point commun : la fascination pour Petzi de Vilhelm
Hansen !
Patar : Ah oui ! Mais Stéphane aussi je crois.
Aubier : Oui oui, ils sont rangés dans la bibliothèque du bureau, je les ai regardés. Quelle drôle d'idée ce
personnage quand même… Et ce qui est sympa, et qu'on n'a jamais retrouvé ensuite, c'est ce concept du
texte en dessous des cases, pour libérer l'espace dans l'image. Ça permet de voir des détails à l'arrière-plan
qu'on découvre deux, trois cases plus loin mais qui sont drôles.
Patar : C'est une bonne mise en scène sur plusieurs niveaux, et c'est vrai que je ne connais personne
d'autre qui ait fait ça. Mais je ne lis plus ces histoires-là, elles font trop peur (rires)
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Destins animés, le livre de référence sur le duo
Est-ce que vous connaissiez et regardiez les
films de Belvision quand vous étiez enfants ?
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Patar : Belvision, je connaissais surtout au travers du journal Tintin. Je me souviens notamment d'un livre
illustré de Pinocchio dans l'espace, dont les dessins me fascinaient, mais je ne me rappelle pas d'avoir vu
de film d'animation… À part peut-être La flûte à six schtroumpfs. Il y avait aussi la série de Tintin, mais je ne
sais plus laquelle…
Aubier : La super basique ? Celle qui durait deux minutes dont une minute de dessin fixe ?
Patar : Oui ! Celle-là ! (rires général)
Aubier : Je me souviens de La flûte à six schtroumpfs, c'était super. Le disque de la musique du film tournait
en boucle à la maison d'ailleurs. Et puis Tintin et le lac aux requins aussi. Mais on voyait plus facilement
des Disney, Robin des bois est l'un de mes premiers films au cinéma. Et puis il y avait la télévision, qui
programmait des émissions étonnantes. Il y avait cette émission anglaise assez barrée...
Patar : Vision On ? Avec le présentateur qui ne parlait pas et avait un cache-poussière blanc ?
Aubier : Oui, il avait trois copains dans une grande maison très seventies, et ils passaient leur temps à faire
des bricolages. Quand tu regardes notre bureau, c'est pas triste niveau ordre, alors que chez eux tout était
clean, minimaliste et prédécoupé ! (rires)
Patar : Et le gars avec le cache-poussière n'arrêtait pas de faire des dessins dans le jardin avec sa
tondeuse à gazon ! C'était du délire vraiment chouette.
J'imagine qu'il faut ajouter Tex Avery à votre éducation télévisuelle ?
Aubier : C'est arrivé plus tard, on ne voyait pas tellement de cartoons d'Avery à l'époque.
Patar : Sur France 3 non ? Je me souviens de trois dimanches d'affilée où ils les ont passés.
Aubier : Possible, mais je crois que c'était plutôt dans une émission appelée Génération 80. J'attendais
comme un fou ces dessins animés !
Et les dessins animés d'Hanna-Barbera ?
Patar : Quand on est gosse, on
aime parce que c'est simple, et quand tu grandis, tu vois l'économie du truc… Mais c'est génial car c'est
super bien géré ! Et les personnages !
Aubier : Des gars stupides le plus souvent, mais c'est un bon truc pour jouer avec l'économie de moyens. Il
y avait cette hyène pessimiste et ce lion optimiste…
Patar : Ouais ou encore Walligator ! Il y avait toute une ménagerie assez intéressante.
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Beaucoup de références américaines et votre style de dessin ne s'en approche pourtant quasiment
pas.
Patar : On aimait bien le cartoon, mais on s'est rendu compte que c'était laborieux. On a donc cherché
quelque chose de plus léger, plus libre. André au début par exemple c'était du crayon sur papier avec une
ligne d'horizon comme décor et 2-3 accessoires utiles à l'histoire ! Et puis le papier découpé, le stop-motion
avec des jouets… C'est économique.
Vous auriez aimé tenter autre chose si vous aviez eu davantage de moyens ?
Patar : Non, on joue malgré tout avec différentes techniques et suivant les projets, on s'adapte. Bon c'est
clair qu'en images de synthèse, il vaut mieux qu'on se fasse entourer car on ne maîtrise pas.
C'est la notion de défi qui vous motive alors ?
Aubier : On s'amuse assez avec la curiosité oui. Une envie de retrouver un côté expérimental…
Comment travaillez-vous à deux ? L'un balance des idées et l'autre répond en ping pong ?
Aubier : C'est un peu ça, puis on travaille pas mal avec des
croquis.
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Patar : On fait un brainstorming, on garde certaines idées, on en jette d'autres… Mais on démarre plus
souvent de dessins que de textes. Pour Panique au village, par exemple, Vincent Tavier vient parfois écrire
pour nous débloquer, mais on se base quand même sur le storyboard.
Aubier : Dans le cas d'un Picpic, on part d'un gag visuel, donc du dessin. Dans le cas de La bûche de Noël,
on avait cette envie que Cowboy et Indien voyagent dans le temps, et de là on a extrapolé notamment sur
la période de Noël, car on voulait s'amuser avec la neige. Et, finalement, cette histoire de voyage dans le
temps a commencé à nous prendre la tête (rires), donc on est resté sur Noël, les cadeaux, etc. Mais même
pour Panique, on préfère le storyboard au texte.
Patar : Le côté visuel permet quand même de savoir précisément vers où on va, là où le texte n'installe pas
directement une ambiance, un esprit.
Est-ce qu'il vous arrive de vous autocensurer parfois ?
Aubier : Il y a des trucs que même nous, on trouve bizarres, pas drôles… Il y a aussi cette réflexion sur
l'équilibre du film. Il faut que tout serve à tout.
Patar : Ce que nous sommes en train de préparer avec Picpic André actuellement sera plus enfantin
également, car c'est un public vers lequel on se dirige de plus en plus et il faut en tenir compte. Mais on ne
peut pas vraiment parler d'autocensure, juste de la réflexion sur le produit fini.
La bûche de Noël, dernier court en date de Patar et Aubier
Il y a dans vos films, surtout
Panique au village, un grand soin apporté au son. Vous utilisez des accents prononcés, des
bruitages précis, brefs des sons réalistes.
Aubier : C'est comme de mettre une vraie tartine à côté d'une figurine, créer un décalage constant.
Patar : La force du bruitage réaliste, c'est que ça rend presque vivant la séquence. On oublie le côté jouets
en plastique qui bougent. Le son représente au moins 50% de la réussite des films.
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Aubier : On utilise très peu de musique aussi, pour mettre en évidence les bruitages. Même chose pour les
voix, on n'en abuse pas car il n'y a pas besoin de dire ce qui se voit.
Comment travaillez-vous avec les acteurs quand il s'agit de doubler ?
Aubier : Dans le cas de Benoit Poelvoorde, on le dirige un peu pour ne pas qu'il hurle par exemple. Après,
c'est un gars qui a un sens du rythme extraordinaire, donc on peut lui faire totalement confiance.
Patar : C'est aussi quelqu'un qui amène beaucoup dans les dialogues en improvisant parfois.
Aubier : Et quel débit ! (rires) Mais pour l'anecdote, il y a une prof de français en Californie qui nous a
contactés récemment, car ses élèves apprennent la langue avec… le long métrage de Panique au village !
J'étais mort de rire, je trouve ça génial d'essayer d'apprendre le français avec des petits bonhommes qui ont
un fort accent belge ! (rires)
C'est le sujet du moment : Ernest et Célestine est en lice pour les Oscars ! Quel a été votre rôle
précis sur ce film ?
Patar : Nous sommes coréalisateurs car on a principalement aidé Benjamin Renner
à découper le scénario de Daniel Pennac.
Aubier : Une sorte de plan d'architecte mais version dessin animé. On a également fait quelques
animatiques sur base du storyboard fait à trois et discuté avec Pennac pour modifier le scénario, parfois
pour supprimer des séquences, parfois pour en ajouter. L'animation s'est, en revanche, faite à Paris sous la
supervision de Benjamin, qui connaissait bien son équipe.
Patar : On a pas mal collaboré sur la mise en scène, en fait.
Aubier : Benjamin était très ouvert à la discussion. On s'est rendu compte qu'on aimait tous les trois Mes
voisins les Yamada de Isao Takahata et son style épuré par exemple. Benjamin est venu aussi avec ses
propres références.
Patar : avec toujours l'idée de respecter l'œuvre originale.
Aubier : La différence incroyable entre le monde des ours et le monde des souris, c'est une idée de
Benjamin par exemple. On ne s'est pas occupés du doublage par contre.
Patar : On est quand même restés attentifs au son en général, et on recevait des maquettes qui étaient
convaincantes.
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Vous connaissiez la société Digital Graphics, qui a permis à Ernest et Célestine d'obtenir cette
esthétique unique ?
Aubier : On ne les connaissait pas avant j'avoue. On savait qu'ils avaient travaillé sur Brendan mais c'est
tout. Ça a soulagé pas mal de monde au sein de la production de savoir qu'ils travaillaient sur le film. La
question de l'animation de l'aquarelle faisait un peu peur quand on voyait le pilote.
Patar : C'est aussi l'avantage de ce dernier, de voir ce qui posera problème suffisamment à l'avance pour y
remédier rapidement. Je crois que la force de Digital Graphics est de ne pas être dans un esprit industriel
mais au cas par cas, ils réfléchissent en profondeur à chaque projet et le résultat paie.
Votre prochain projet est l'adaptation de Picpic André en long métrage. Vous revenez au dessin
traditionnel. Ce ne serait pas lié à un ours et une souris tout ça ?
Patar : On n'a jamais abandonné ces personnages, mais c'est vrai qu'Ernest et Célestine a été comme
un retour aux sources pour nous, retrouver le dessin animé. Après dix ans de Panique, c'était une bonne
occasion.
Entretien par Bastien Martin
Février 2014
Bastien Martin est chercheur en Arts et Sciences de la Communication. Ses recherches doctorales
portent sur le cinéma d'animation belge.
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