brettanomyces: faut-il craindre les vnc
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PIC ET MATHIEU., BRETTANOMYCES : FAUT-IL CRAINDRE LES VNC ?, PAG. 1 BRETTANOMYCES: FAUT-IL CRAINDRE LES VNC ? Lucile PIC et Jacques MATHIEU GIE ICV VVS Introduction Dès le début des années 1990, Brettanomyces est désignée comme contaminant des fermentations alcooliques, et tout particulièrement de l’industrie du vin (Larue 1991). Le développement de ces levures dans les vins conduit à l'apparition de caractères olfactifs communément décrits comme animaux, phénolés, pharmaceutiques, « plastique brûlé », « sueur de cheval ». Ces odeurs, souvent rejetées par le consommateur, conduisent à une dégradation et à une uniformisation qualitative des vins. Les principaux composés (4-éthyl-phénol=E4P et le 4-éthyl-gaïacol = E4G) à l'origine de ces altérations olfactives et gustatives et les voies métaboliques conduisant à leur apparition dans les vins contaminés par Brettanomyces ont été décrits dès 1992 par Chatonnet. Ces phénols volatils résultent de la transformation par voie enzymatique des acides cinnamiques naturellement présents dans le raisin et le vin (acide p-coumarique, férulique et caféique) en vinyl-phénols puis en ethyl- phénols. Alors que le seuil de détection couramment retenu pour ces molécules est de 400µg/l, des études publiées par Bramlay et al, 2007, montrent que ce seuil varie de 138µg/l à 1 528 µg/l selon les matrices et le rapport entre les quantités des molécules impliquées. La prise de conscience des professionnels du préjudice qualitatif et commercial engendré par le développement de ces micro-organismes dans les vins rouges a conduit au développement de multiples techniques de détection des Brettanomyces dans les vins. Nous retiendrons trois grands principes d'analyses spécifiques, qui sont à ce jour les plus fréquemment utilisés : 1) la mise en culture sur milieu nutritif gélosé spécifique, 2) la PCR quantitative (Q-PCR), basée sur les techniques de biologie moléculaire, s'appuie sur l'amplification spécifique de l'ADN de Brettanomyces (Phister et Mills, 2003; Delaherche et al., 2004; Agnolucci et al., 2007; Tessonnière et al., 2009; Tofalo et al., 2012 ; Portugal et Ruiz-Larrea, 2013). 3) la cytométrie en flux, couplée soit à la technique d’hybridation in situ (FISH) avec des sondes ciblant l’ARN ribosomal 26S de Brettanomyces (Serpaggi et al., 2010 ), soit à un marquage de type anticorps antigène (Chaillet et al, 2014). Les techniques de cytométrie et de Q-PCR présentent l'avantage d'être relativement rapides (de 4 à 72 heures) par rapport à la mise en culture sur milieu nutritif (7 jours). Elles se distinguent aussi de cette dernière par le fait qu'elles permettent la quantification non seulement des cellules viables cultivables mais aussi des cellules viables non cultivables (VNC). Il a en effet été mis en évidence que, dans certaines conditions, notamment suite à des traitements de stabilisation microbiologique tels que les sulfitages, les Brettanomyces, pouvaient entrer en état « viable non cultivable », c’est-à-dire perdre leur capacité à se multiplier sur milieu nutritif, tout en restant métaboliquement actifs (Agnolucci et al., 2010, du Toit et al., 2005, Serpaggi et al., 2012). WWW.INFOWINE.COM – REVUE INTERNET DE VITICULTURE ET ŒNOLOGIE, 2016, N. 10/1 PIC ET MATHIEU., BRETTANOMYCES : FAUT-IL CRAINDRE LES VNC ?, PAG. 2 Les auteurs mettent aussi en évidence que, toutes conditions égales par ailleurs, les levures VNC et les Brettanomyces sorties de cet état VNC produisent significativement moins de phénols volatils que ce qui est obtenu dan s la modalité témoin (Brettanomyces viables cultivables). Ces travaux ont cependant été conduits uniquement en milieu modèle (TAV 10%, pH 3.5) et n'ont pas encore été reproduits en conditions réelles (milieu Vin). Afin d'aider les vinificateurs à choisir la méthode analytique la mieux adaptée à la prévention de l'apparition de phénols volatils et de notes "animales" dans leurs vins, nous nous sommes donc attachés à travers ces essais (réalisés dans le cadre du groupe national Brettanomyces Financé par France Agrimer) à évaluer, dans des matrices vins, la capacité des Brettanomyces VNC à produire des phénols volatils. MATERIEL ET METHODE Nous avons travaillé avec 3 vins des millésimes 2013, et 2014 et 2015 (Tableau 1), pour lesquels la présence naturelle de Brettanomyces avait été identifiée au chai par mise en culture sur milieu gélosé spécifique. Pour chacun de ces vins, nous avons prélevé 20 litres. Tableau 1 : caractéristiques analytiques des vins à réception Ces 20 litres sont scindés en 2 fois 10 litres : la première modalité est laissée en l'état =Témoin, la deuxième modalité fait l'objet d'un sulfitage important (objectif SO2 actif compris entre 0.8 et 1mg/l=modalité "Sulfité"). Les deux modalités sont maintenues à 14°C. Le sulfitage a pour objectif d'induire une entrée en état de VNC des Brettanomyces en présence (Serpaggi et al, 2012). WWW.INFOWINE.COM – REVUE INTERNET DE VITICULTURE ET ŒNOLOGIE, 2016, N. 10/1 PIC ET MATHIEU., BRETTANOMYCES : FAUT-IL CRAINDRE LES VNC ?, PAG. 3 Figure 1 : Plan d'expérience et suivi analytique Nous avons donc retenu trois méthodes d'analyse pour le suivi des populations en Brettanomyces: 1) la mise en culture sur milieu gélosé (milieu YEPD = 20g/l Glucose, 20g/l Peptone, 20g/l Agar, 10g/l extrait de levures) rendu sélectif par l'ajout de 50mg/l de Cycloheximide, réalisée dans notre laboratoire de microbiologie 2) la Q-PCR conduite au laboratoire Microflora de Bordeaux 3) la cytométrie en flux couplée à un marquage de type FISH (Serpaggi 2010), réalisé à lIUVV de Dijon (non fait sur vins de 2013) Les dosages de phénols volatils sont faits par extraction par HS-SPME puis dosés par GC-MS (limite de détection 5µg/l) au sein du laboratoire Pure Environnement. A réception, un bilan microbiologique par les trois méthodes d'analyse retenues est effectué, ainsi qu'un dosage des phénols volatils (T0). Les contrôles microbiologiques et les dosages de phénols volatils sont faits à une fréquence d'un point tous les 8 jours pendant le premier mois de conservation puis d'un point tous les 15 jours, pendant une durée de 2 mois. En parallèle le suivi œnologique classique, permet entre autre, d'effectuer les réajustements éventuels nécessaires au maintien d'un niveau de SO2 actif compris entre 0.8 et 1mg/l. WWW.INFOWINE.COM – REVUE INTERNET DE VITICULTURE ET ŒNOLOGIE, 2016, N. 10/1 PIC ET MATHIEU., BRETTANOMYCES : FAUT-IL CRAINDRE LES VNC ?, PAG. 4 RESULTATS 1. Toutes les méthodes ne quantifient pas la même chose Sur les 5 vins "Témoin", présentant des teneurs en SO2 libre et actif nulles, les niveaux de contamination sont estimés entre 103 et 106 UFC/ml selon les matrices. Nous observons une correspondance satisfaisante entre les trois méthodes d'analyse (Figure 2). En effet, bien que l'on mesure parfois 1log d'écart entre les méthodes, les préconisations associées aux résultats des dénombrements seraient les mêmes quelle que soit la méthode choisie : pour 4 des 5 vins le niveau de contamination serait associé à un fort risque d'altération du vin sur l'ensemble de la durée du suivi. Pour le vin BdV-2013, le niveau de risque serait jugé faible à T0 mais atteindrait le seuil critique à 20 jours (en lien avec la baisse du SO2 actif) Figure 2 : comparaison de 3 méthodes de quantification des Brettanomyces sur le suivi dans le temps de vins non sulfités et maintenus à 14°C. WWW.INFOWINE.COM – REVUE INTERNET DE VITICULTURE ET ŒNOLOGIE, 2016, N. 10/1 PIC ET MATHIEU., BRETTANOMYCES : FAUT-IL CRAINDRE LES VNC ?, PAG. 5 Pour le vin BdV2013, les réajustements en SO2 n’ont pas été suffisants pour permettre le maintien d’un niveau d’actif supérieur 0.6mg/l. De fait cette modalité n’est pas prise en compte dans le traitement des résultats. Sur les modalités "Sulfité", pour lesquelles le niveau de SO2 actif a été maintenu supérieur à 0.5mg/l pendant la durée du suivi des essais, nous mesurons de fortes différences entre les résultats analytiques des différentes méthodes de dénombrement (3 à 5 log). Ces différences suivent toujours la même logique : alors que les populations sont évaluées à moins de 10 UFC/ml sur la boite, elles sont très supérieures ou égales à 1 000 UFC/ml par les méthodes de Q-PCR et cytométrie. Ce résultat permet d'abord de confirmer que sur matrice vin, comme il a été montré sur milieu synthétique par Serpaggi (2012), un sulfitage important, conduisant à un fort niveau de SO2 actif, induit un état de VNC chez Brettanomyces. Ces données illustrent aussi la particularité de chacune des méthodes d'analyses testées, à savoir que Q PCR et cytométrie en flux comptabilisent les Brettanomyces viables cultivables et les VNC, alors que la mise en culture sur milieu gélosé spécifique ne prend pas en compte les VN WWW.INFOWINE.COM – REVUE INTERNET DE VITICULTURE ET ŒNOLOGIE, 2016, N. 10/1 PIC ET MATHIEU., BRETTANOMYCES : FAUT-IL CRAINDRE LES VNC ?, PAG. 6 Figure 3 : comparaison de 3 méthodes de quantification des Brettanomyces sur le suivi dans le temps de vins sulfités et maintenus à 14°C. SO2 actif en mg/l Sur ces matrices sulfitées, le risque d'altération à court terme estimé ne serait pas le même selon la méthode d'analyse microbiologique choisi : globalement, ce risque serait estimé nul à faible avec un suivi par mise en culture sur milieu gélosé, alors qu'il serait estimé élevé à très élevé avec la Q-PCR ou la cytométrie en flux. On notera aussi que, globalement, les niveaux de contamination estimés par Q-PCR sont supérieurs à ceux estimés par cytométrie. 2. Les VNC ne font pas de phénols volatils en quantités préjudiciables pour le vin Le suivi de l'évolution des phénols volatils effectué sur chacun de ces lots pendant la durée de l'essai met en évidence un accroissement de la teneur en ces molécules de 300 à 1000µg/l sur les modalités témoins alors que les teneurs mesurées sur les lots sulfités n'évoluent pas sur la même période (Figure 4). WWW.INFOWINE.COM – REVUE INTERNET DE VITICULTURE ET ŒNOLOGIE, 2016, N. 10/1 PIC ET MATHIEU., BRETTANOMYCES : FAUT-IL CRAINDRE LES VNC ?, PAG. 7 Figure 4 : Evolution de la teneur en phénols volatils dans les vins témoin et les vins sulfités maintenus à 14°C. Les suivis microbiologiques effectués ont mis en évidence que les Brettanomyces présentes dans les modalités sulfitées sont en état de VNC alors que celles des mêmes vins témoin sont en état viables cultivables (Figure 2et Figure 3). Etant donné que seules les modalités Témoin sont le siège d'une évolution significative de la teneur en phénols volatils, ces résultats suggèrent, que, sur les durées de l’étude et dans les matrices vins les Brettanomyces en état VNC ne sont pas susceptibles de produire des quantités de phénols volatils en quantités importantes. WWW.INFOWINE.COM – REVUE INTERNET DE VITICULTURE ET ŒNOLOGIE, 2016, N. 10/1 PIC ET MATHIEU., BRETTANOMYCES : FAUT-IL CRAINDRE LES VNC ?, PAG. 8 CONCLUSIONS Les essais qui ont été conduits sur les vins de trois millésimes ont permis de confirmer que les différentes méthodes de détection des Brettanomyces rendaient un résultat de nature différente. Dans des matrices non sulfitées, les résultats obtenus avec chacune des trois méthodes (Q PCR, cytométrie en flux couplée à un marquage FISH et mise en culture sur milieu gélosé spécifique) sont comparables. Par contre, dans des matrices ayant fait l'objet de traitements au SO2, la mise en culture sur boite ne quantifie que les Brettanomyces viables cultivables alors que les deux autres méthodes prennent aussi en compte les Brettanomyces VNC. De fait, le risque d'altération estimé par chacune de ces méthodes sur un vin sulfité diffère: il est systématiquement plus important avec les méthodes de QPCR et cytométrie. Nous avons cependant montré que, dans nos matrices sulfitées, l'évolution de la teneur en phénols volatils est quasiment nulle pendant les 2 à 3 mois de suivi des vins. Seules les Brettanomyces en état viables cultivables, ont conduit dans le même laps de temps à une évolution significative de la teneur en phénols volatils. Ces résultats soulignent l'importance de choisir la méthode de contrôle microbiologique en fonction des objectifs recherchés. Sur une matrice dont la teneur en SO2 actif n'est pas nulle, les méthodes de Q PCR et cytométrie en flux risquent d'induire une sur-estimation du risque réel d'altération des vins à moyen et court terme. De fait elles risquent d'engendrer des surcoûts liés à la mise en œuvre de traitements non indispensables. La mise en culture sur milieu gélosé sélectif qui ne prend en compte que les viables cultivables donne donc l'information la plus juste quant au risque d'apparition d'odeurs phénolées dans les vins à court et moyen terme. On peut cependant objecter que les levures VNC peuvent représenter un risque réel puisqu'elles sont susceptibles de redevenir viable cultivable. En effet, Serpaggi 2012, a montré ce mécanisme en milieu modèle en cas de baisse de SO2 actif. A ce jour nous ne connaissons pas d'autres phénomènes qui provoquent la sortie de l'état VNC (ni son déclenchement), ce qui ne permet pas d’exclure que d’autres mécanismes peuvent induire une sortie de VNC. Par ailleurs, la question reste aussi pausée de la capacité des Brettanomyces à produire des phénols volatils après une sortie de VNC. Pour les vins et les vinificateurs pour lesquels il est possible de maintenir le niveau de SO2 actif qui a provoqué l'apparition d'éventuelles Brettanomyces en VNC, ces dernières ne représentent donc pas un réel risque. Ce danger n'est réel que pour les vins pour lesquels le niveau de SO2 actif risque d'être fortement abaiss WWW.INFOWINE.COM – REVUE INTERNET DE VITICULTURE ET ŒNOLOGIE, 2016, N. 10/1 PIC ET MATHIEU., BRETTANOMYCES : FAUT-IL CRAINDRE LES VNC ?, PAG. 9 Références bibliographiques Agnolucci M, Scarano S, Nuti M (2007) Detection of Dekkera/Brettanomyces bruxellensis in pressed Sangiovese grapes by real-time PCR. 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