les religions de l`Inde - Gandhi ou la paix des religions
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les religions de l`Inde - Gandhi ou la paix des religions
Les religions de l’Inde Invité par la Société de Théosophie à fournir une série de conférences sur la religion hindoue, Mr Gandhi prononça quatre allocutions sur ce sujet au Temple Masonic. A chaque occasion, la salle était comble. La dernière allocution s'est tenue le 25 mars (1905). Un compte rendu des deux premières interventions a paru dans le journal The Star. Nous publions ici, pour répondre à la suggestion de certains de nos lecteurs, un résumé des conférences rédigé par Mr Gandhi. Mépris pour les Indiens d'Afrique du Sud Quand la Société de Théosophie m'a invité à tenir ces conférences, j'ai accepté sous la foi de deux considérations. Cela fait maintenant bientôt douze ans que je suis résident en Afrique du Sud. Tout le monde a conscience des épreuves traversées dans ce pays par mes compatriotes. Les gens regardent avec mépris la couleur de leur peau. Je crois que cela est dû une mauvaise compréhension; je suis resté en Afrique du Sud pour aider autant que possible à l'élimination de cette incompréhension. Aussi, ai-je pensé que répondre favorablement à l'invitation de la Société de Théosophie m'aiderait dans l'accomplissement de ce devoir. Je me considérerais donc comme très chanceux si je peux, par le biais de ces conférences, vous apporter une meilleure compréhension des Hindous. Je vais donc vous parler des Indiens. Mais les us et coutumes des Hindous et des autres Indiens sont tout sauf identiques. Mais tous les Indiens ont les mêmes qualités et les mêmes défauts et descendent de la même souche. L'autre considération est que parmi les objectifs de la Société de Théosophie figure celui de comparer les différentes religions, de trouver la vérité qui réside en elles, de montrer qu'elles sont différentes routes qui mènent toutes à Dieu, et que chacun doit hésiter à qualifier l'une d'entre elles de fausse religion. Je pensais que ce dessein se réaliserait dans une certaine mesure si je disais quelques mots à propos des Hindous. Les Hindous Les Hindous ne sont pas considérés comme étant les premiers habitants de l'Inde. D'après les érudits occidentaux, les Hindous comme la plupart des Européens vivaient autrefois en Asie centrale. Ayant émigré de là, certains se rendirent en Europe, certains en Iran et d'autres se déplacèrent vers le sud-est en atteignant l'Inde par le Punjab, et ils répandirent la religion aryenne. La population hindoue en Inde dépasse aujourd'hui les deux cent millions. Ils furent appelés Hindous car ils vécurent autrefois le long de la rivière Indus. Les Vedas sont leur plus anciennes écritures. Les dévots hindous croient que les Vedas sont d'origine divine et sans commencement. Les érudits occidentaux affirment qu'ils furent écrits antérieurement à 2.000 ans avant Jésus Christ. Le célèbre Tilak de Poona a montré que les Vedas étaient âgés d'au moins 10.000 ans. Ce qui distingue les Hindous c'est leur croyance que le Brahman ou la sur âme imprègne tout, que nous devons tous atteindre le Moksha, la libération; Moksha signifie la libération individuelle du cycle naissance et mort et la fusion dans le Brahman. Humilité et sérénité sont les qualités maîtresses de leur éthique, tandis que la caste règne en maître absolu sur leurs affaires temporelles. La religion hindoue connut son premier revers avec la venue de Lord Bouddha. Il était le fils d'un roi. Il serait né 600 ans avant Jésus Christ. En ce temps là, les Hindous étaient sous l'emprise des représentations physiques de leur religion et les brahmanes avaient, par égoïsme, renoncé à leur fonction de défense de la foi hindoue. Lord Bouddha eut pitié quand il vit sa religion réduite à un tel sort. Il renonça au monde et commença à faire pénitence. Il passa plusieurs années en contemplation dévote et finalement suggéra une réforme de la religion hindoue. Sa piété affecta profondément l'esprit des brahmanes, et le rituel de sacrifices d'animaux disparu presque totalement. On ne peut pas dire que Bouddha ait fondé une religion nouvelle et différente. Mais ceux qui vécurent après lui ont conféré à ses enseignements le statut d'une religion distincte de l'Hindouisme. Le roi Asoka envoya des missionnaires vers différents pays pour sa propagation et le Bouddhisme se répandit à Ceylan, en Chine, en Birmanie et dans d'autres pays. Une qualité primordiale de l'Hindouisme se révéla au cours de ce processus; il n'y eut aucune conversion forcée au Bouddhisme. Les gens ne furent endoctrinés que par discussion, argumentation et par la conduite exemplaire des prédicateurs. On peut affirmer, qu'en Inde, Hindouisme et Bouddhisme ne firent qu'un, et que même aujourd'hui les principes fondamentaux des deux religions sont identiques. La naissance du prophète Mahomet Nous avons vu que le Bouddhisme eut un effet salutaire sur l'Hindouisme, et que les champions de l'Hindouisme ont été stimulés par son impact. Il y a mille ans, la religion hindoue connut une autre influence encore plus profonde. Hazrat Mahomet naquit il y a 1300 ans. Il constata la décadence morale qui progressait en Arabie. Les gens y vivaient dans la licence et la complaisance. Mahomet sentit que cela était mauvais, ce qui lui causa une grande détresse morale, et au nom de Dieu, il résolut de faire prendre conscience à ces derniers de leur condition misérable. Son sentiment était si intense qu'il impressionna les gens autour de lui par sa ferveur, et l'Islam se répandit rapidement. Zèle ou passion, fut une particularité et une grande force de l'Islam. Elle fut la cause de nombre de bonnes actions, mais aussi parfois de mauvaises. Il y a mille ans, l'armée du Ghazni envahit l'Inde pour y propager l'Islam. Les idoles hindoues furent brisées et l'invasion atteignit Somnath (limite Sud du Gujarat). Si, d'une part, la violence fut utilisée, les saints musulmans, de l'autre, vantèrent les mérites réels de l'Islam. Le principe islamique que tous ceux qui embrassent l'Islam sont égaux fit une forte impression sur les classes inférieures au point que des centaines de milliers d'Hindous se convertirent, ce qui provoqua une grande perturbation dans la communauté hindoue. Kabir est né à Bénarès. Il pensait que, selon la philosophie hindoue, il n'y avait aucune différence entre un Hindou et un Musulman. Que tous deux, s'ils faisaient de bonnes œuvres, pourraient trouver leur place au ciel, que l'idolâtrie n'était pas essentielle à l'Hindouisme. En raisonnant ainsi, il a tenté de parvenir à une synthèse entre Hindouisme et Islam; mais cela n'eut pas beaucoup d'impact, et il en résulta pas davantage qu'une secte distincte qui existe encore aujourd'hui. Quelques années plus tard, Guru Nanak naquit dans le Pendjab; il accepta le raisonnement de Kabir et fit une tentative similaire de fusionner les deux religions. Mais ce faisant, il estima que l'Hindouisme devait être défendue contre l'Islam, si nécessaire par le glaive. Cela a donné lieu au Sikhisme, et produit les guerriers sikhs. Le résultat de tout cela est que, malgré la prévalence de l'Hindouisme et de l'Islam comme les deux principales religions de l'Inde d'aujourd'hui, les deux communautés religieuses vivent ensemble en paix et dans la concorde et sont assez attentives chacune à ne pas blesser les sentiments de l'autre et vigilantes à éviter l'amertume causée par des machinations politiques. Il y a très peu de différence entre un yogi hindou et fakir musulman. Jésus Christ, le prophète Alors qu'Islam et Hindouisme étaient en compétition l'une avec l'autre, les Chrétiens débarquèrent au port de Goa, il y a environ 500 ans, et se mirent à convertir les Hindous au Christianisme. Ils eurent également partiellement recours à la force mais aussi à la persuasion. Certains de leurs missionnaires étaient extrêmement bons et charitables, voire étaient ce qu'on peut appeler des saints. Comme les fakirs, ils firent une profonde impression sur les classes inférieures de la société hindoue. Plus tard, quand Christianisme et civilisation occidentale furent associés dans l'esprit des gens, les Hindous commencèrent à considérer la religion chrétienne d'un mauvais œil. Aujourd'hui, nous voyons des Hindous embrasser le Christianisme en dépit du fait que les Chrétiens soient les maîtres d'un vaste empire. Néanmoins, le Christianisme a eu une influence considérable sur l'Hindouisme. Les prêtres chrétiens dispensèrent un enseignement d'une grande qualité et soulignèrent certains des défauts flagrants de l'Hindouisme, avec le résultat qu'il y eut parmi les Hindous d'autres grands maîtres qui, comme Kabir, commencèrent à révéler aux Hindous ce qui était bon dans le Christianisme et fit appel à eux pour éliminer ces défauts de l'Hindouisme. A cette catégorie de personnes appartenaient Raja Ram Mohan Rai, Devendranath Tagore, et Keshab Chandra Sen. Dans les Indes occidentales, nous avions Dayanand Saraswati et de nombreuses associations réformistes comme Brahmo Samaj et Arya Samaj qui se sont répandues en Inde aujourd'hui et qui sont sans nul doute une preuve de l'influence chrétienne. Madame Blavatsky arriva en Inde pour dénoncer aux Hindous et aux Musulmans les méfaits de la civilisation occidentale et leur demander de se méfier d'en devenir amoureux. Principes de l'Hindouisme Ainsi, nous avons vu comment il y eut trois attaques sur l'Hindouisme, provenant du Bouddhisme, de l'Islam et du Christianisme, mais comment, dans l'ensemble cette religion en est sortie indemne. Elle a essayé d'absorber tout ce qui était bon dans chacune de ces religions. Nous devons, cependant, comprendre ce que les adeptes de cette religion, l'Hindouisme, croient. Ce qu'ils croient c'est: Dieu existe. Il est sans commencement, immaculé, et sans le moindre attribut ou forme. Il est omniprésent et omnipotent. Sa forme originale est Brahman. Il ne fait, ni ne fait faire. Il ne gouverne pas. C'est le bonheur incarné, et par lui tout est accordé. L'âme existe, elle est distincte du corps. Elle est également sans commencement, sans naissance. Entre sa forme originale et le Brahman, il n'y a pas de distinction. Mais elle s'incarne, de temps à autre, dans un corps comme un résultat du Karma, qui est la somme des actions d'une personne dans une existence précédente déterminant son destin dans l'existence suivante, et elle continue de renaître et de renaître encore en conditions élevées ou basses en conformité avec les bonnes ou mauvaises actions accomplies par elle. L'interruption du cycle de la naissance et de la mort et la fusion en Brahman c'est Moksha ou la libération. Le moyen de parvenir à Moksha est de faire le bien; d'avoir de la compassion pour tous les êtres vivants, et de vivre dans la vérité. Même après avoir atteint ce stade, on n'atteint pas nécessairement la libération, pour profiter d'une nouvelle existence, conséquence de nos bonnes actions entreprises. On doit, par conséquent, persévérer. Nous devons donc continuer à agir, sans pour autant nous glorifier de nos actions. Chaque action doit être entreprise pour elle-même, sans objectif de récompense. En bref, tout devrait être consacré à Dieu. Nous ne devrions pas caresser, même en rêve, un sentiment de fierté de ce que nous faisons ou de ce que nous ne faisons pas. Nous devrions nous regarder tous également. Ce sont là les croyances et principes généraux de l'Hindouisme, qui comporte bien sûr un certain nombre d'écoles différentes. Sont apparues en effet quelques factions ou sectes qui résultent de pratiques religieuses différentes, mais ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui. Conclusion : Un appel à l'auditoire Si, après m'avoir écouté, l'un de vous a été favorablement impressionné et en est venu à penser que les Hindous ou les Indiens, dans le pays duquel la religion exposée ci-dessus prévaut, ne peuvent pas être considérés comme un peuple inférieur, alors il peut rendre service à mes compatriotes même sans s'impliquer politiquement. Toutes les religions enseignent que nous devrions vivre ensemble dans l'amour et la charité. Il n'était pas mon intention de vous prêcher un sermon, et je ne suis pas apte à le faire. Mais si mon propos a produit une impression favorable sur votre esprit, je voudrais alors vous demander d'accorder à mes frères tous leurs droits et, comme il incombe au peuple anglais, de les défendre chaque fois qu'ils sont diffamés. Publié dans Indian Opinion, le 15-4-1905 CWG vol 4 p 242-247