Madame la Ministre, L`ensemble des élèves du Conservatoire

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Madame la Ministre, L`ensemble des élèves du Conservatoire
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Madame la Ministre,
L'ensemble des élèves du Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique de Paris tenait avant
tout à remercier votre ministère d'avoir épargné au mieux notre école à l'heure où les institutions
doivent composer avec les contraintes économiques imposées par la crise actuelle. Nous vous
sommes profondément reconnaissants d'avoir par là même considéré que la formation de l'acteur,
et des artistes en général, demeurait un des objectifs du gouvernement actuel. C'est un privilège
que nous nous appliquons à justifier chaque jour.
Après concertation, nous avons décidé de vous écrire personnellement afin de vous permettre
d'examiner en connaissance de cause les éventuelles candidatures au poste de directeur du CNSAD
à compter de fin 2013 jusqu'en 2017.
Le second mandat de Monsieur Daniel Mesguich arrive à terme en novembre 2013. Dans ce
contexte, il nous a paru nécessaire de porter à votre attention des dysfonctionnements qui
concernent la gouvernance du CNSAD et qui suscitent notre inquiétude. Ces problèmes structurels
sont suffisamment patents aujourd'hui pour mériter de vous être signalés.
Notre analyse est née de questionnements liés à des contradictions dans le discours de la direction
d'une part, et à des déficiences dans l'organisation interne de l'établissement d'autre part.
En effet, coexistent au Conservatoire un discours officiel et une parole officieuse dont
l'enchevêtrement trouble considérablement notre compréhension du projet global de l'école. Il
va sans dire que l'opacité de la ligne pédagogique perturbe le fonctionnement du CNSAD pour
l'administration, les professeurs et les élèves.
Au trouble engendré par une communication contradictoire s'ajoute une désorganisation manifeste
des enseignements. Par exemple, le recrutement de personnalités artistiques extérieures ne se fait
la plupart du temps que peu de mois à l'avance quand d'autres grandes écoles l'anticipent jusqu'à
trois ans auparavant. De cette façon, cette absence de planification restreint considérablement le
choix des artistes invités. Autre exemple, l'absence de définition concrète des différents cursus qui
se côtoient altère, là encore, la compréhension du projet pédagogique, amenant les élèves de 1er
et 2e cycle et les étudiants étrangers à découvrir au fur et à mesure et d'une manière aléatoire ce
qui compose leur parcours. Enfin, si pour un metteur en scène, faire appel à sa famille théâtrale
pour constituer une équipe pédagogique nous paraît normal, ce fonctionnement pose cependant
question lorsqu'il se fait au détriment de la qualité de l'enseignement, et par conséquent, au
détriment des élèves.
Nos représentants élus ont tenté, au cours de l'année passée, de faire part de nos
questionnements au sujet des orientations pédagogiques au sein d'une instance qui leur sont
dédiées: le Conseil des études. Cette instance et ses membres, qui devraient être informés de la
répartition des services d'enseignement et consultés pour toute question d'ordre pédagogique, ont
été déconsidérés.
Cet aspect de la gestion de l'établissement suscite auprès des élèves de nombreuses craintes
concernant les orientations à long terme du CNSAD.
Nous avons pris conscience que l'école d'art dramatique la plus sélective de France, qui offre les
moyens rêvés pour pratiquer notre art avant de nous confronter à la réalité plus crue du métier, se
coupait progressivement du monde.
D'une part, le Conservatoire d'aujourd'hui se présente aussi très méfiant vis-à-vis des productions
contemporaines françaises. De fait, depuis plusieurs années, les élèves rencontrent de moins
en moins d'intervenants extérieurs. Cette tendance est symptomatique d'un isolement du
Conservatoire par rapport aux praticiens de la scène contemporaine lorsque, précisément, nous
sommes supposés en faire partie dans un avenir proche.
D'autre part, le projet actuel du CNSAD mésestime les richesses du théâtre européen et au-delà,
et ne travaille pas à inscrire notre formation dans des problématiques artistiques qui dépassent
l'enceinte de l'école. Nous faisons notamment allusion au fait que depuis plus de dix ans, aucune
politique d'échanges pérennes avec d'autres grandes écoles européennes n'a été engagée. Nous
pensons également aux étudiants étrangers accueillis chaque année et qui ne font pas l'objet
d'une politique pédagogique réfléchie. La direction n'a pas manqué de les discréditer à travers
un discours qui dédaigne tout enseignement en art dramatique dispensé non seulement hors des
murs de l'établissement, mais encore, hors des frontières françaises. À l'heure où de nombreux
partenariats existent entre diverses institutions culturelles françaises et des artistes étrangers,
comment considérer ce discours si ce n'est comme une façon de privilégier l'entre-soi, et par
là même, d'être aveugle aux questionnements artistiques des acteurs de la scène européenne
contemporaine?
Plus généralement, nous sentons que, peu à peu, le Conservatoire prend, parmi toutes les écoles
d'art dramatique subventionnées par l'État, une place anachronique.
Nous sommes navrés d'assister à cette séparation entre le Conservatoire et le monde, et plus
encore, entre la direction et nous-mêmes. Une méfiance réciproque a gagné nos relations, et dans
ces conditions, nous envisageons avec beaucoup de scepticisme le devenir de notre école.
Soulignons, enfin, que nous ne dénigrons ni la qualité de l'enseignement, ni celle de l'encadrement
qui nous est offert: à travers ces quelques points, nous disons que, malgré les innovations qui ont
pu être réalisées, son organisation actuelle fait du Conservatoire un lieu hors du temps et clos sur
lui-même. Et il est douloureux de faire ce constat.
Bon nombre d'entre nous ne seront plus dans les murs du CNSAD durant le prochain mandat. Mais
nous pensons à l'avenir de cette école. Nous savons que ce n'est pas à nous, élèves-comédiens,
d'en décider. Comme nous vous le disions au début de cette lettre, nous sommes conscients de
la chance que nous avons d'être dans cette école, nous avons travaillé dur pour y entrer, et nous
savons l'investissement financier qu'il représente. C'est pourquoi nous pensions simplement que
ces préoccupations, ces inquiétudes, ces doutes, vous inviteraient à considérer attentivement les
éventuelles candidatures au poste de directeur du Conservatoire.
Nous n'avons pas souhaité énumérer une série de faits qui, hors de leur contexte, demeureraient
anecdotiques. Pour cette raison, si cette lettre aura pu éveiller votre attention, nous sollicitons un
rendez-vous auprès de votre cabinet afin d'exposer plus précisément notre positionnement.
Dans l'attente de votre réponse, veuillez agréer, Madame la Ministre, l'expression de notre très
haute considération,
Les élèves du Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique de Paris