La variabilité glycémique en réanimation
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La variabilité glycémique en réanimation
Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 31 (2012) 950–960 Mise au point La variabilité glycémique en réanimation Glucose variability in intensive care unit J.-V. Schaal a, N. Libert a,*, S. De Rudnicki a, Y. Auroy a, S. Mérat b a b Département d’anesthésie-réanimation, hôpital d’Instruction des Armées Val-de-Grâce, 74, boulevard de Port-Royal, 75005 Paris, France Département d’anesthésie-réanimation, hôpital d’Instruction des Armées Bégin, 69, avenue de Paris, 94163 Saint-Mandé, France I N F O A R T I C L E Historique de l’article : Reçu le 24 mai 2011 Accepté le 5 septembre 2012 Mots clés : Variabilité glycémique Contrôle glycémique Maladies aiguës Insuline Réanimation R É S U M É Témoin d’un métabolisme glucidique profondément perturbé lors des situations pathologiques aiguës, l’hyperglycémie est reconnue comme un facteur associé à la mortalité en réanimation. Le contrôle glycémique strict par une insulinothérapie intensive a été proposé initialement avec succès pour diminuer la mortalité. Cependant, les études plus récentes sont plus nuancées (certaines sont associées à une augmentation de mortalité ou une augmentation du nombre d’épisodes d’hypoglycémies) et ne permettraient pas de conclure sur l’efficacité et la sécurité du contrôle glycémique strict. Récemment, plusieurs études ont retrouvé une association significative entre mortalité et variabilité glycémique en réanimation. Ces nouvelles données concernant l’impact de la variabilité glycémique pourraient expliquer l’hétérogénéité des résultats et complexifient encore les objectifs potentiels du contrôle glycémique des patients de réanimation. Si cette association se confirme, la diminution de cette variabilité pourrait devenir un enjeu important du contrôle glycémique. Il paraı̂t donc important de mieux connaı̂tre sa physiopathologie, ses définitions et son réel impact chez les patients de réanimation. ß 2012 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar). A B S T R A C T Keywords: Glucose variability Glycemic control Critical illness Insulin Intensive care unit Hyperglycemia is significantly associated with increased mortality in critically ill patients and then, strict control of blood glucose (BG) concentration is important. Lowering of BG levels with intensive insulin therapy (IIT) was recommended in order to improve patient outcomes. But recently, some recent prospective trials failed to confirm the initial data, showing conflicting results (significantly increased mortality with IIT, more hypoglycemic episodes). So there is no consensus about efficiency and safety of IIT. Significant associations between glucose variability and mortality have been confirmed by several recent studies. A difference in variability of BG control could explain why the effect of IIT varied from beneficial to harmful. Managing and decreasing this BG variability could be an important goal of BG control in critically ill patients. Clinicians have to consider definitions, physiopathology and impacts of glucose variability, in order to improve patient outcomes. ß 2012 Published by Elsevier Masson SAS on behalf of the Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar). 1. Introduction Les pathologies aiguës rencontrées en réanimation induisent des anomalies métaboliques complexes. Le métabolisme glucidique est particulièrement perturbé dans ces situations aiguës mono- ou multidéfaillantes dans lesquelles le pronostic vital est engagé à court terme [1]. Du fait de l’apparition d’une insulinorésistance et d’une augmentation de la production hépatique de glucose, et cela indépendamment de tout antécédent de diabète, * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (N. Libert). les patients de réanimation développent classiquement une hyperglycémie, dite de « stress » [2,3]. De multiples études montrent que la survenue d’une hyperglycémie est responsable d’une aggravation du pronostic chez divers types de patients : infarctus du myocarde [4], accident vasculaire ischémique [5], lésions cérébrales sévères [6], patients traumatisés [7,8], patients de chirurgie cardiaque [9], patients en réanimation pédiatrique [10] et patients brûlés [11]. Les travaux de Van den Berghe et al. [12] montrent une diminution de la mortalité et de la morbidité des patients de réanimation chirurgicale et médicale [13] avec un contrôle glycémique strict (glycémie entre 4,4 à 6,1 mmol/L) par insulinothérapie intensive (ITI). D’autres études confirment ces résultats 0750-7658/$ – see front matter ß 2012 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar). http://dx.doi.org/10.1016/j.annfar.2012.09.002 J.-V. Schaal et al. / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 31 (2012) 950–960 avec des patients issus de différents types de réanimation [14–17]. Cependant l’absence de confirmation des ces résultats par les études multicentriques randomisées contrôlées VISEP [18] et GLUCONTROL [19] a ouvert le champ à d’intenses débats dans le monde de la réanimation. La récente étude randomisée multicentrique Nice-Sugar montre même une augmentation de la mortalité de 24,9 % à 27,5 % à j90 dans le groupe ITI par rapport au groupe avec contrôle glycémique plus « libéral » [20]. Ces dernières études ont confirmé que l’hypoglycémie sévère demeure le principal effet secondaire du contrôle glycémique strict. L’hypoglycémie sévère apparaı̂t de plus associée de manière indépendante à un risque accru de décès [13,15,18,21,22]. Enfin, l’hétérogénéité des apports nutritionnels dans ces différentes études pourrait contribuer à expliquer la divergence des résultats des études citées précédemment : la gestion des apports caloriques conditionnerait la survenue d’hypoglycémies [23]. Si les essais sur les protocoles d’insulinothérapie avec des objectifs glycémiques stricts n’ont pas réussi à démontrer définitivement une diminution de la mortalité, ils ont néanmoins débouché sur d’autres considérations comme la variabilité glycémique [24]. Cette notion a ainsi progressivement émergé comme un facteur associé à la mortalité puis secondairement comme un potentiel objectif thérapeutique. La physiopathologie de la variabilité glycémique chez les patients de réanimation peut être étudiée sous deux axes principaux : la variabilité intrinsèque et la variabilité extrinsèque. 2. Causes intrinsèques de la variabilité glycémique 2.1. Données chez le patient diabétique Différentes études cliniques ont déjà montré que la variabilité glycémique joue un rôle important dans le développement des complications du diabète [25–28]. Expérimentalement, la variabilité glycémique active au niveau cellulaire un stress oxydatif, résultat d’une perturbation du statut oxydatif intracellulaire [29], induite soit par production excessive de radicaux libres, soit par diminution de la capacité de défense antioxydante. Les radicaux libres réagissent avec des substrats oxydables (dont le glucose) et produisent des radicaux carbonyles. Ces derniers ont de multiples effets intracellulaires, comme la glycation des protéines, l’altération de la structure de l’ADN, la génération de produits de peroxydation lipidique, la modulation de la transcription de nombreux gènes et la mort cellulaire [29,30]. Il a déjà été montré que les radicaux libres interviennent, chez le patient diabétique de type 2, dans l’apparition des troubles de l’insulinosécrétion et de la sensibilité à l’insuline : les cellules bêta sont très sensibles au stress oxydatif, les radicaux libres inhibant la sécrétion d’insuline [24]. 2.2. Données expérimentales Les patients de réanimation sont dans une situation d’agression en raison de nombreuses pathologies. Ces pathologies, généralement compliquées d’un SIRS comme le SDRA, le sepsis, les brûlures, les traumatismes, les transplantations d’organes (ischémie-reperfusion) ou encore la chirurgie aortique, sont associées à un stress oxydatif majeur et les défenses antioxydantes sont mobilisées [2]. De multiples études expérimentales avec des modèles et des paramètres assez hétérogènes indiquent que l’hyperglycémie aiguë modifie les réponses inflammatoires et augmente le « stress oxydatif » [26,31,32]. Les effets d’un pic glycémique sont importants sur de nombreuses cellules. Elle se traduit par des modifications profondes de la transcription de multiples cellules. Par exemple, il a été montré une modification de l’expression de plus de 500 gènes des cellules des adipocytes et des cellules 951 musculaires striées squelettiques [33], de l’activation du NF-kB ou encore des MAP kinases des monocytes circulants [34]. La variabilité glycémique peut modifier la réponse immune à tous ses niveaux, qu’elle soit innée ou acquise et ces effets semblent majeurs : on peut citer les effets sur l’interaction leucocyteendothélium, via les molécules d’adhésion cellulaire ou une modification de la phagocytose et du burst oxydatif. De plus, la fonction phagocytaire et la réponse inflammatoire des granulocytes sont significativement diminuées lors de l’augmentation rapide des concentrations de glucose [35]. Il faut cependant resituer ces effets dans leur contexte expérimental avec des études souvent statiques, avec des conditions de base éloignées du contexte pathologique et souvent même sur des cellules isolées. Les études dynamiques, in vivo, chez des patients, diabétiques ou non, présentant une ou des défaillances d’organe n’ont pas encore été rapportées. La variabilité glycémique a des effets délétères à court terme bien démontrés sur les cellules endothéliales, dont les conséquences vasculaires en situations aiguës sont mal connues, mais probablement diffuses lorsque l’on voit les interactions que possède ce tissu en termes de régulation cellulaire et d’organe [26,27,36]. L’étude de Risso et al. [37] est particulièrement intéressante dans ce domaine. Ils ont étudié les effets de trois niveaux de glycémie dans les milieux de culture de cellules endothéliales de cordon ombilical humain : 5 mmol/L, 20 mmol/L et alternance de 5 mmol/L et de 20 mmol/L toutes les 24 heures. Après sept jours, la mortalité cellulaire du milieu avec un niveau de glycémie à forte variabilité est plus importante que dans les autres milieux. Après 14 jours, elle augmente avec la glycémie et la variabilité. Cette observation n’est pas sans rappeler l’augmentation de mortalité des patients de réanimation liée au niveau d’hyperglycémie et de variabilité glycémique rapportée par Krinsley et al. [38]. Les conséquences cellulaires et inflammatoires pourraient être expliquées par des modifications de l’osmolarité au niveau cellulaire, modifications induites par les fluctuations glycémiques rapides [35]. Les modifications aiguës de l’osmolarité sanguine cérébrale demeurent un facteur péjoratif sur d’éventuelles lésions cérébrales, d’autant que plus le trouble est aigu, plus l’osmorégulation est rapide, mais incomplète [5]. Ces modifications osmotiques ont aussi été envisagées comme une composante du stress oxydatif induit par les hyperglycémies aiguës. 3. Causes extrinsèques de la variabilité glycémique 3.1. Facteurs liés au traitement par insuline Contrairement aux insulines sous-cutanées lentes ou semilentes, l’utilisation d’insuline rapide en continu au pousse seringue électrique réduirait le risque de variabilité glycémique [39]. Cependant, l’ITI peut être responsable de fluctuations glycémiques. Dans la population des deux études de Louvain, la moyenne des amplitudes glycémiques maximales quotidiennes est augmentée de 3,3 mmol/L (2,1–5 mmol/L) dans le groupe témoin à 4 mmol/l (2,9– 5,4 mmol/L) dans le groupe ITI (p < 0,0001) [40]. Les hypoglycémies plus nombreuses avec l’ITI pourraient être un reflet de cette variabilité [12,13]. En pratique courante, le traitement habituel d’une hypoglycémie est l’administration de glucose intraveineux en bolus. Cette mesure permet de limiter rapidement l’impact direct de l’hypoglycémie. Cependant d’après des données expérimentales, ces recharges glucosées pourraient induire des hyperglycémies brutales avec une cinétique rapide, induisant une variabilité importante qui peut s’avérer délétère [41]. Les protocoles utilisés pourraient être un facteur de variabilité glycémique. Il existe différents types d’algorithmes. Les protocoles dits statiques (ou sliding scale) déterminent un débit pour une valeur glycémique. Les protocoles dits « dynamiques » (ou dynamic 952 J.-V. Schaal et al. / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 31 (2012) 950–960 scale) intègrent la glycémie précédente, le délai entre chaque mesure et le débit d’insuline en cours pour déterminer le nouveau débit d’insuline. Ces derniers semblent plus adaptés pour mieux adapter le débit d’insuline aux fluctuations glycémiques [42]. Il semble en pratique courante que des protocoles comprenant des administrations de boli d’insuline accroissent les fluctuations glycémiques. Il serait intéressant de mesurer les écarts de la pratique dans le suivi de ces protocoles d’insulinothérapie, d’en analyser les causes et les conséquences. Malgré l’éducation continue du personnel infirmier, les protocoles d’insulinothérapie intraveineuse pourraient être difficilement appliqués par un personnel de réanimation souvent occupé et dont la charge de travail augmente avec la prise en charge prolongée de pathologies de plus en plus graves. Des hypoglycémies pourraient passer inaperçues, des adaptations des débits d’insuline ne seraient pas opérées en cas d’absence de contrôle régulier des glycémies. En même temps, dans ces situations, l’évaluation de la variabilité glycémique est rendue difficile par manque de mesure. Aucune étude clinique n’a cependant exploré ces points fondamentaux dans l’interprétation des effets de la variabilité glycémique. Enfin, des doses d’insuline peuvent être administrées de manière masquée si l’insuline en perfusion continue n’est pas administrée sur une voie unique ; cette situation peut se rencontrer lors d’une perfusion d’antibiotiques ou de bolus de sédation par exemple. Ainsi, l’utilisation d’une voie dédiée permettant d’assurer un débit continu d’insuline intraveineuse est à privilégier [43]. Une équipe australienne a montré que l’absorption de glucose par l’estomac est diminuée chez le patient de réanimation polyvalente, en raison principalement d’une diminution de la vidange gastrique [50,51]. Dans un récent travail prospectif, cette même équipe a administré une nutrition entérale par une sonde duodénale chez 28 patients de réanimation polyvalente (diabétiques exclus) et 16 sujets sains [52]. L’absorption du glucose a été évaluée par la mesure sérique du 3-O-méthylglucose. Le transit duodéno-cæcal a été apprécié par scintigraphie. Les auteurs ont montré que l’absorption intestinale de glucose est diminuée chez les patients de réanimation. En revanche, les patients de réanimation ont une glycémie significativement plus élevée, traduisant une tolérance glycémique affaiblie. Dans cette étude, l’absorption d’hydrate de carbone ne semble pas affecté par le temps de transit duodéno-cæcal. D’autres études sont en revanche nécessaires pour définir les implications, les mécanismes et les déterminants de l’absorption de glucose dans le tube digestif chez le patient de réanimation. Les méthodes de référence pour évaluer la vidange gastrique (scintigraphie, tests respiratoires. . .) ne sont pas adaptées à la pratique quotidienne de la NE en réanimation. La mesure du résidu gastrique demeure en pratique le standard des services de réanimation. Cependant, la validité de sa mesure est de plus en plus contestée car la technique n’est pas standardisée et la valeur seuil demeure inconnue. Cette méthode implique d’interrompre la nutrition et de jeter une partie du volume de nutrition instillé ; une variation des apports caloriques et glucosés apportés pourrait être source de variabilité glycémique [53]. 3.2. Facteurs liés au monitorage glycémique 3.4. Infection Le monitorage glycémique demeure imparfait et peut entraı̂ner des erreurs d’analyse. Une réponse thérapeutique inadaptée peut alors être responsable d’une fluctuation glycémique iatrogène. Plusieurs éléments expliquent son imprécision. Le site de prélèvement sanguin (artériel, veineux ou capillaire) est un facteur connu de divergence entre les valeurs glycémiques obtenues [44]. Les recommandations actuelles privilégient dans l’ordre, le prélèvement artériel, puis veineux, puis capillaire [43]. Le type de lecteur portable utilisé, la technique enzymatique utilisée et la qualité de la procédure d’entretien ou de contrôle peuvent influencer la mesure [44–46]. Une déviation d’environ 10 % par rapport aux valeurs de laboratoire est observée avec ces types de lecteur glycémique [44]. Plusieurs travaux ont suggéré que l’utilisation des appareils portables de mesure de la glycémie demeurait insuffisante lors des états de choc sévères ou lors d’hypothermie [44,47]. Ainsi une variabilité pourrait être induite par des erreurs de mesure glycémique, menant à des adaptations inappropriées des débits d’insuline. L’infection est un important facteur de risque de variabilité glycémique. Une étude prospective observationnelle allemande portant sur des patients de réanimation chirurgicale en sepsis et traités avec un protocole d’ITI (cible glycémique entre 4,4 et 7,7 mmol/L) montre que plus l’état septique est grave, plus les variations glycémiques sont importantes [54]. Le nombre de patients présentant une augmentation du nombre d’hypoglycémies inférieur à 2,2 mmol/L ou d’hyperglycémie est significativement liée à la sévérité du sepsis (sepsis, sepsis sévère ou choc septique). 3.3. Facteurs liés aux apports nutritionnels L’initiation, les modifications ou encore l’arrêt des apports nutritionnels, entéraux ou parentéraux peuvent avoir des conséquences sur le niveau glycémique d’un patient en réanimation [48]. Les fluctuations glycémiques peuvent alors être observées, surtout si un traitement par insuline est en cours. Différents éléments pourraient contribuer à ces fluctuations glycémiques. L’assimilation calorique des apports entéraux et l’échec de l’alimentation entérale sont liées à l’intolérance gastrique et très souvent à des défaillances d’organes sousjacentes [49,50]. La quantification des apports caloriques est en général complexe en réanimation, associant souvent des apports mixtes intraveineux (glucose, nutrition parentérale) et des apports entéraux. Il y a très peu de travaux sur ce sujet, en raison d’une méthodologie d’étude rigoureuse difficile à mettre en place. 3.5. Autres D’autres situations liées aux thérapeutiques introduites en réanimation pourraient avoir des conséquences dans le métabolisme glucidique, mais dont l’effet sur la variabilité glycémique est finalement inconnu : c’est le cas de l’hémofiltration, de l’hémodialyse ou d’un traitement par quinine lors des accès palustres graves. . . Dans l’étude CORTICUS, la corticothérapie chez les patients en choc septique augmente significativement les épisodes d’hyperglycémie. [55]. Nous savons aussi que chez des patients, diabétiques ou non, la glycémie à jeun le lendemain d’un bolus de méthylprednisolone, peut augmenter jusqu’à 150 % de sa valeur de base [56]. 4. Méthodes d’évaluation de la variabilité glycémique La variabilité glycémique n’est pas un concept récent. Elle a été initialement décrite chez le diabétique insulinodépendant instable (Fig. 1) [57], et les définitions sont multiples. Il s’agit d’une instabilité de la concentration glycémique au cours du temps avec des amplitudes glycémiques variables. En réanimation, les recherches pour explorer les conséquences de ce concept se multiplient, mais il n’y a cependant pas de consensus sur une définition de la variabilité glycémique. Le calcul de la moyenne J.-V. Schaal et al. / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 31 (2012) 950–960 953 Fig. 1. Variabilité glycémique asymptomatique chez un sujet normal et deux patients diabétiques à équilibre glycémique stable et instable (MoyG : moyenne glycémique). D’après Service et al. [57]. glycémique se révèle un outil très inefficace, car il ne traduit ni l’amplitude des oscillations glycémiques ni le nombre d’excursions glycémiques (Fig. 2). Différentes manières d’exprimer cette variabilité ont été utilisées en réanimation (Tableau 1). Ces outils ont tous été utilisés en diabétologie auparavant. La déviation standard (DS) des moyennes glycémiques est considérée comme le moyen le plus simple à utiliser pour exprimer la variabilité glycémique [21,36,58]. Indépendamment de la cible considérée, la DS exprime une dispersion plus que les excursions des valeurs hors des cibles fixées. Cet outil est cependant peu sensible, car il intègre à la fois les grandes et les petites oscillations des valeurs mesurées. Une même DS peut s’observer chez des patients avec de brutales variations glycémiques et chez des patients avec des variations plus régulières comportant des valeurs intermédiaires non pathologiques. Rapport entre l’écart-type et la moyenne, le coefficient de variabilité (GluCV) est une mesure de la dispersion relative [21]. Plus la valeur du coefficient de variabilité est élevée, plus la dispersion autour de la moyenne est grande. La moyenne des excursions en dehors de la cible glycémique ou Mean Amplitude of Glycemics Excursions (MAGE) est égale à la moyenne des excursions glycémiques [58,59]. Plus sa valeur est haute et plus l’instabilité glycémique journalière du patient est élevée (Fig. 3). Il rend compte des excursions glycémiques majeures. Il exclut les excursions mineures, seules les excursions dépassant une DS de la glycémie moyenne durant la période sont retenues. En effet, chez le sujet non diabétique, seules les variations glycémiques liées à la prise alimentaire excèdent une DS. La fraction des excursions [60], l’index de labilité glycémique ou Glycemic Lability Index (GLI) [58], l’amplitude maximale entre deux glycémies consécutives ou « maximum glucose change » (BGDmax) [61], l’index de variabilité [62], la moyenne des amplitudes glycémiques maximales [40] ou encore tout simplement la présence d’un épisode d’hyperglycémie associé à un épisode d’hypoglycémie [63,64] sont d’autres outils statistiques qui ont été utilisés dans les principaux essais sur la variabilité glycémique en réanimation. Deux familles de mesures peuvent être distinguées. Les premiers indices définissent la variabilité glycémique en analysant un ensemble de glycémies pendant une période sans tenir compte de leur évolution au cours du temps. C’est le cas notamment pour le MAGE ou les recueils d’hypoglycémies et d’hyperglycémies [58,59,63,64]. D’autres comme le GLI, le BGDmax ou l’index de variabilité tiennent compte de l’évolution séquentielle ou de la variation entre deux glycémies consécutives [58,61,62]. Dans le travail d’Ali et al. [58], le GLI avait une meilleure aptitude à prédire la mortalité (aire sous la courbe = 0,67 ; p < 0,001) par rapport à la DS des glycémies et au MAGE. D’autres études sont cependant nécessaires pour déterminer la meilleure approche statistique de la variabilité glycémique. D’autres indices plus anecdotiques ont été employés, par exemple l’index triangulaire [61], l’étude des percentiles glycémiques [61] ou la moyenne des amplitudes glycémiques par heure [65]. Les valeurs glycémiques maximales ou minimales ont également été utilisées, mais elles reflètent peu la variabilité d’une série de valeur au cours d’une période de temps donnée [21]. Hors réanimation, différents indices ont été utilisés dans le cadre du suivi de patients diabétiques. L’indice « M » [59,66] est une transformation logarithmique de la glycémie à partir d’une valeur de glycémie idéale, classiquement 90 mg/dL : M¼ Fig. 2. Représentation d’un contrôle glycémique à moyenne glycémique identique, mais avec une variabilité différente : élevée ou basse. D’après Egi et al. [24]. X 10½log glycé mie=90 þ W=20 W correspond à la différence entre la glycémie maximale et minimale sur la période étudiée (24 heures en général). Ainsi, ce type de transformation privilégie les valeurs basses de glycémies. Il intègre la fréquence et la profondeur de l’hypoglycémie. Bien d’autres existent comme l’Aire sous la courbe des glycémies (AUC) [67], le Mean of Daily Difference (MODD) [68,69], le Mean Indices of Meal Excursions (MIME) [69], le Low Blood Glucose Index (LBGI) 954 J.-V. Schaal et al. / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 31 (2012) 950–960 Tableau 1 Les principaux outils statistiques utilisés dans les travaux issus de patients de réanimation sont définis dans le tableau. Deux types d’indices peuvent être distingués. Les premiers analysent un ensemble de glycémies sur une période sans tenir compte de leur évolution au cours du temps (MAGE, recueils d’hypoglycémies et d’hyperglycémies, moyenne des amplitudes glycémiques maximales, fraction des excursions) [40,58,60,63,64]. Les autres prennent en compte la variation entre deux mesures consécutives (GLI, BGDmax, index de variabilité) [58,61,62]. Tests Définition Particularités La déviation standard (DS) [21,38,58] Exprime la dispersion des valeurs autour de la moyenne dans un échantillon. Outil le plus simple à utiliser Peu sensible, ne distingue pas les grandes et les petites oscillations des valeurs mesurées Coefficient de variabilité (GluCV) [21] Rapport de l’écart-type à la moyenne : GluCV = DS x 100/(Moyenne des glycémies) Plus la valeur du coefficient de variabilité est élevée, plus la dispersion autour de la moyenne est grande. Simple à calculer Moyenne des amplitudes glycémiques maximales [40,63] Moyenne des différences quotidiennes entre les valeurs des glycémies maximale et minimale Simple à calculer. Outil insuffisant pour exprimer une variabilité au cours du temps Glycemic lability index (GLI) [58] P (DGlucose(mmol/l))2/h/semaine MAGE [58,59] Moyenne des excursions glycémiques Exclue les excursions glycémiques mineures. Outils plus complexes Fraction des excursions [60] Pourcentage des glycémies hors des cibles glycémiques Exprime d’avantage l’échec du maintien dans une cible glycémique prédéterminée que la variabilité glycémique Maximum glucose change (BGDmax) [61] Amplitude maximale entre 2 glycémies consécutives Outil insuffisant pour exprimer une variabilité au cours du temps Index de variabilité [62] Moyenne des amplitudes entre toutes les glycémies consécutives N’exclue pas les excursions glycémiques mineures Présence d’un épisode d’hyperglycémie et d’hypoglycémie [64] présence de cycles alternant au moins une hyperglycémie ( 8,25 mmol/L) et une hypoglycémie ( 3,3 mmol/L) Outil insuffisant pour exprimer une variabilité au cours du temps [70] ou plus récemment le Continuous Overall Net Glycemic Action (CONGA) [71]. Enfin, différents sous-types de DS ont été évalués : la DS de toutes les glycémies obtenues, la moyenne des DS journalières, la DS de la moyenne glycémique obtenue pour une période définie ou la DS des glycémies obtenues pendant une période définie [71]. Leur utilisation n’est pas forcément adaptée aux pratiques de réanimation. Par exemple, le MIME évalue la variabilité glycémique postprandiale, alors qu’en réanimation la Fig. 3. Calcul du MAGE. Les nombres en rouge correspondent aux valeurs d’excursions glycémiques dont il faut tenir compte dans le calcul du MAGE (soit 295, 116, 143 et 126 mg/dL). D’après Service et al. [57]. Quantifie la variation des différences entre les glycémies consécutives Meilleure aptitude à prédire la mortalité que la DS et le MAGE. Outils plus complexes nutrition est souvent apportée en continu sur la journée [69]. D’autres comme de CONGA évaluent la variabilité glycémique intrajournalière avec des mesures multiples obtenues avec un monitorage continu dont l’utilisation n’est pas généralisée dans les réanimations (CGMS) [72]. La surveillance glycémique repose en général sur des mesures horaires ou bihoraires (souvent bien moins ce qui majore la zone d’ombre). Or, ce schéma de surveillance ne permet pas d’appréhender une concentration glycémique entre deux mesures consécutives : d’importantes variations glycémiques peuvent passer inaperçues entre deux mesures glycémiques. Le caractère « inaperçu » pourrait fausser l’évaluation de la variabilité glycémique. Mesurer en continu la glycémie pourrait permettre une évaluation plus précise de la variabilité glycémique en réanimation. Différents systèmes de mesures continues de la glycémie ont été développés ou sont actuellement en développement, mais ils ne sont généralement pas utilisés en réanimation [73]. En l’absence d’utilisation de ces systèmes de monitorage en continu de la glycémie, aucun programme de surveillance glycémique n’est capable de détecter la totalité des variations glycémiques et aucun marqueur fiable de variabilité glycémique ne peut être développé en réanimation. Toutes les études étudiant la variabilité glycémique en réanimation sont des études rétrospectives analysant pour chaque patient, l’ensemble des données informatisées disponibles pendant le séjour en réanimation [21,38,58,60–64,74]. En évaluant les moyennes des indices de variabilité sur la totalité du séjour en réanimation, la variabilité glycémique peut être sous-estimée. En cas de séjour prolongé en réanimation (ou indûment prolongé faute de lit d’aval), la variabilité glycémique peut être sous-évaluée si la fin de séjour est prise en compte, car il s’agit d’une période où le patient est a priori plus stable. C’est pourquoi les indices de variabilité glycémique doivent être présentés en réanimation pour chaque jour passé en réanimation J.-V. Schaal et al. / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 31 (2012) 950–960 et non par semaine ou pour l’ensemble du séjour. Cela permettrait de mieux comparer des séjours de durée variable, et de juger la qualité d’un protocole de contrôle glycémique en fonction du moment de l’hospitalisation (phase aiguë critique, phase de stabilisation, phase de complication survenant pendant le séjour. . .). Les premiers jours de l’hospitalisation en réanimation sont particulièrement critiques. Il semble fondamental de juger et d’optimiser un protocole de contrôle glycémique pendant cette période. Les durées d’intervention réduites à quelques jours seulement dans l’étude Nice-Sugar, témoignent du caractère différé de l’impact sur la mortalité de la conduite du contrôle glycémique en début d’hospitalisation [20]. Dans l’étude expérimentale de Risso et al. [37], les diminutions significatives de viabilité cellulaire sont observées à sept et 14 jours parmi les cellules endothéliales misent en culture dans un milieu avec une alternance de la concentration de glucose de 5 et de 20 mmol/L toutes les 24 heures. Les modifications glycémiques peuvent être extrêmement rapides chez le patient de réanimation, imposant des mesures itératives (voire continue) [75]. Ainsi, afin de comparer les populations de patients de réanimation, les indices de variabilité glycémiques utilisés ou les protocoles thérapeutiques mis en place, il semble nécessaire que la fréquence des mesures glycémiques et les temps d’application des protocoles soient identiques. Il est donc probablement plus pertinent d’évaluer la variabilité glycémique en phase aiguë sur une période fixe, notamment après la mise en route du protocole et après normalisation de la cible glycémique : par exemple sur 96 ou 120 heures à partir du deuxième jour après l’admission. 955 5. Conséquences de la variabilité glycémique en réanimation Plusieurs études avec de grands effectifs montrent que la variabilité glycémique est associée à une augmentation de mortalité des patients en réanimation polyvalente [21,38,63], en réanimation chirurgicale [61], en unité de soins intensifs pédiatriques [62,64], en centre des brûlés [60] et chez les patients en sepsis [58] (Tableau 2). En 2006, dans une étude rétrospective multicentrique de 7049 patients de réanimation polyvalente, Egi et al. [21] montrent que les patients non survivants avaient une moyenne glycémique et une DS statistiquement plus élevées que les patients survivants (2,3 1,6 versus 1,7 1,3 mmol/L). De plus, le coefficient de variabilité glycémique, la glycémie à l’admission et la glycémie maximale sont statistiquement plus bas chez les patients survivants (respectivement 20 versus 26 %, 8,7 versus 9,5 mmol/L, 11,5 versus 13,6 mmol/L). Cette première étude montre que la glycémie moyenne et la variabilité glycémique sont des facteurs indépendants de mortalité hospitalière ou en réanimation. Ces résultats sont confirmés deux ans plus tard par une large étude rétrospective américaine de 3242 patients de réanimation chirurgicale [38], montrant l’effet de la variabilité glycémique selon différents sous-groupes d’expositions glycémiques. Dans les sous-groupes de patients dont la glycémie moyenne se rapproche de la normalité, l’effet délétère de la variabilité glycémique semble plus marqué. Deux études menées dans des réanimations pédiatriques rapportent des résultats similaires [62,64]. Définie par la moyenne des amplitudes entre toutes les glycémies consécutives [62] ou par la présence de cycles alternants au moins une hyperglycémie Tableau 2 Caractéristiques et résultats des principaux essais cliniques sur la variabilité glycémique. Auteurs Population étudiée Nombre de sujets Type d’étude Indices principaux de variabilité utilisés Association avec la mortalité Egi et al. [21] Réanimation polyvalente 7049 Analyse rétrospective multicentrique Déviation standard OR 1,28 (95 % IC, 1,14–1,44) par mmol/l d’augmentation de la DS Krinsley et al. [38] 3252 Analyse rétrospective, monocentrique Déviation standard Mortalité 2 à 5 fois plus élevée dans le groupe à haute variabilité glycémique (sauf si Glycémie moyenne > 140 mg/dL) Bagshaw et al. [63] 1913 Analyse rétrospective, multicentrique. Présence d’un épisode d’hyperglycémie > 12 mmol/l, et d’un épisode d’hypoglycémie < 4,5 mmol/l dans les premières 24 heures d’hospitalisation OR 1,5 (IC 95 %, 1,4–1,6) après ajustement Hermanides et al. [65] 5728 Étude de cohorte rétrospective, monocentrique Moyenne des amplitudes glycémiques par heure OR 12,4 (95 % IC, 3,2–47,9) pour les glycémies moyennes les plus élevées Meyfroidt et al. [40] Réanimation médicale et chirurgicale 2748 Analyse rétrospective Moyenne des amplitudes maximales quotidienne OR 1,05 (95 % IC, 1,003–1,099) Ali et al. [58] Sepsis 1246 Étude de Cohorte, rétrospective, monocentrique Glycemic Lability Index OR 4,73 (95 % IC, 2,6-8,7) Wintergerst et al. [62] Réanimation pédiatrique 1094 Étude rétrospective, monocentrique Index de variabilité Mortalité 6 fois plus élevée dans les 2 quintiles de variabilité les plus élevés 863 Étude rétrospective, monocentrique Présence d’un épisode d’hyperglycémie et d’hypoglycémie OR 63,6 (IC 95 %, 7,8-512,2) 858 Étude de cohorte rétrospective, monocentrique Index triangulaire BGDmax – Analyse rétrospective, monocentrique Fraction des excursions hors de la cible glycémique Mortalité 2 fois plus élevée dans le groupe à haute variabilité glycémique (50 % vs 22 % p = 0,041) Hirshberg et al. [64] Dossett et al. [61] Réanimation chirurgicale Trauma Pidcoke et al. [60] Brûlés graves 49 956 J.-V. Schaal et al. / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 31 (2012) 950–960 ( 8,25 mmol/L) et une hypoglycémie ( 3,3 mmol/L) [64], la variabilité glycémique est un facteur prédictif indépendant de mortalité hospitalière. Une étude rétrospective australienne et néozélandaise rapporte des résultats analogues concernant la variabilité glycémique précoce des 24 premières heures [63]. Il est important de noter que dans l’étude de Hirshberg, les patients traités par insuline sont exclus [64]. La variabilité observée dans ce travail est ainsi davantage liée aux facteurs intrinsèques des patients, et non à l’insulinothérapie. Dans une étude de cohorte rétrospective américaine de 1246 patients hospitalisés pour sepsis sévère [62], la variabilité glycémique est encore associée à une augmentation de la mortalité hospitalière, indépendamment de différents facteurs : fréquence des glycémies relevées, type d’insuline utilisée, nombre d’hypoglycémies et présence de diabète ou de défaillances d’organe. Ce travail confirme aussi la surmortalité associée à l’hyperglycémie, risque significatif que la variabilité ne peut complètement expliquer. En fait, le risque inhérent à la variabilité glycémique semble être un risque additionnel. En effet, Krinsley [38] montre que le risque lié à une DS augmentée (témoin d’une variabilité glycémique) est atténué chez les patients hyperglycémiques. Ainsi, l’hyperglycémie et la variabilité glycémique doivent être évaluées et considérées conjointement. Allant dans le même sens, Dossett et al. [61] utilisent, dans un travail rétrospectif, la DS, les percentiles glycémiques, l’amplitude maximale entre deux glycémies successives et un index triangulaire comme des marqueurs de variabilité glycémique chez des patients ventilés en réanimation chirurgicale et des traumatisés. Ce travail retrouve, en analyse multivariée, l’augmentation de la mortalité lorsque la variabilité glycémique s’accentue, alors que la glycémie moyenne demeure la même. En 2009, dans une population de 49 patients avec une surface corporelle brûlée supérieure à 20 %, Pidcoke et al. [60] définissent la variabilité glycémique comme le pourcentage des mesures glycémiques en dehors des cibles glycémiques (cibles glycémiques entre 4,4 et 6,05 mmol/L). La mortalité dans le groupe à forte variabilité (fraction des excursions à 56 % 6 %) est deux fois plus importante que chez les patients à variabilité plus modérée (fraction des excursions à 43 % 5 %). Récemment, l’étude de Hermanides et al. [65] confirme une fois de plus que la variabilité glycémique élevée est fortement associée à la mortalité hospitalière ou en réanimation. Lors de l’application d’un contrôle glycémique strict, une variabilité glycémique basse est associée à un effet protecteur (moindre mortalité), même lorsque les niveaux de glycémies moyennes sont élevés [65]. Dans une analyse rétrospective des deux études de Van den Berghe, les auteurs ont comparé les marqueurs de variabilité glycémique (moyenne des amplitudes maximales quotidiennes et DS) chez les patients survivants ou décédés et chez les patients ayant bénéficié ou pas d’une ITI [40]. Les données montrent que les marqueurs de variabilité glycémique sont associés à une augmentation significative de la mortalité. L’ITI augmente la moyenne des amplitudes maximales, alors que celle-ci est plutôt associée à une augmentation de mortalité, indépendamment de la glycémie moyenne. La réduction de la mortalité observée avec l’ITI ne semble pas être attribuée aux effets sur la moyenne des amplitudes maximales quotidienne, mais semble ainsi plus liée aux cibles glycémiques. Un autre travail de Krinsley [74] suggère différentes implications de la variabilité glycémique chez les diabétiques et les nondiabétiques. Il retrouve une augmentation de la mortalité chez des patients non diabétiques avec une variabilité élevée (réanimation polyvalente). En revanche, il n’y avait pas d’association significative entre variabilité et mortalité chez les patients diabétiques, population à variabilité glycémique plus importante que les nondiabétiques. L’altération de la régulation glycémique chronique liée au diabète mène non seulement à l’hyperglycémie chronique, mais aussi expose à de larges oscillations glycémiques. D’autres travaux sont cependant nécessaires pour explorer les relations entre la variabilité glycémique chronique et la variabilité glycémique aiguë sur la mortalité en réanimation. Différents indices de contrôle glycémique ont été comparés à partir d’une base de données de quatre services de soins intensifs d’un hôpital britannique [76]. Cette étude propose pour la première fois une métrique associant trois domaines : la tendance centrale (la moyenne glycémique, la médiane glycémique, l’index hyperglycémique, le temps passé dans la cible), la variabilité glycémique (le MAGE, la DS, le CV, le GLI, l’index hyperglycémique total, le taux de différence glycémique absolue, la glycémie maximale, la différence entre la glycémie maximale et minimale), et la glycémie minimale. L’Annexe 1 regroupe les formules utilisées par les auteurs pour calculer les indices complexes. L’association des mesures de tendance centrale avec la mortalité varie selon l’unité étudiée. La relation n’est pas linéaire, et semble spécifique de la population. Ce dernier aspect pourrait expliquer pourquoi l’ITI a réduit la mortalité dans une population chirurgicale quasi homogène [12], a un effet plus modeste sur une population médicale hétérogène [13], et est enfin associée à une mortalité augmentée dans une population multicentrique, mixte et hétérogène [20]. Cependant, les résultats de ce travail sont à nuancer. Les populations ne sont pas tout à fait homogènes au sein des différentes unités [65] : les deux unités lourdes, accueillent des populations mixtes (patients chirurgicaux, médicaux, et des brûlés). La mortalité est différente d’une unité à l’autre : 6,5 % dans l’unité de soins intensifs cardiologiques, à 25 % dans l’unité médicale et de traumatologie, pouvant expliquer que dans cette dernière, les indices de variabilité augmentent franchement avec la mortalité. Dans l’unité de soins intensifs neurologiques, près de 31 % des patients n’ont pas eu de glycémies, alors que dans l’unité de soins intensifs cardiologiques, seulement 6 % des patients n’ont pas eu de monitorage glycémique. En revanche, parmi ces derniers, la mortalité était quatre fois plus importante, induisant un biais certain à l’analyse. Les relations entre la mortalité et les huit indices de variabilité glycémique ainsi qu’avec la valeur de glycémie minimale, étaient en revanche plus homogènes [76] : l’augmentation de la variabilité glycémique et l’hypoglycémie étaient associées à une augmentation de mortalité. Cette étude a montré que chacun de ces trois domaines du contrôle glycémique influencerait la mortalité de manière indépendante. Ces données récentes suggèrent la prise en compte de ces trois domaines distincts (tendance centrale, variabilité et glycémie minimale), afin d’optimiser le contrôle glycémique des patients en réanimation. Enfin, aucune étude n’a exploré l’effet de la variabilité glycémique en fonction de la cible glycémique fixée : nous pourrions faire l’hypothèse qu’un signal glycémique demeurant au-dessus de la cible glycémique, un signal alternant des mesures dans et au-dessus de la cible glycémique, et un signal présentant une alternance d’hypoglycémie ou d’hyperglycémie n’auraient pas le même impact. 6. Implications thérapeutiques Les axes de traitement proviennent de l’analyse des facteurs de risque et des mécanismes de la variabilité glycémique. Les données manquent dans la littérature et d’autres travaux sont nécessaires afin d’améliorer la compréhension physiopathologique de la variabilité glycémique. Cependant, certains éléments peuvent déjà être discutés. Facteur de risque indépendant de mortalité, la variabilité pourrait être aussi une expression physiopathologique d’un désordre métabolique, témoin de la gravité de la maladie. Des questions importantes se profilent : la variabilité doit-elle être considérée comme une cible thérapeutique ? Ou bien l’objectif serait finalement une prise en charge « métabolique » globale intégrant et J.-V. Schaal et al. / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 31 (2012) 950–960 coordonnant les apports caloriques et glycémiques, l’insulinothérapie et les cibles glycémiques à atteindre ? Les outils en voie de développement se révèlent être le monitorage glycémique, et des protocoles d’insulinothérapie automatisée ou assistés. 6.1. Protocoles d’insulinothérapie L’insulinothérapie est le traitement historique de l’hyperglycémie [77,78]. Les protocoles d’insulinothérapie intraveineuse de type « Louvain » [12] demeurent la technique privilégiée du contrôle glycémique en réanimation. La pharmacocinétique de ces insulines rapides permet une grande maniabilité. L’instauration d’un protocole est fondamentale, car il améliore la sécurité et l’efficacité du contrôle glycémique chez les patients de réanimation. [79]. Lors de l’utilisation d’une insulinothérapie standardisée, il est relevé jusqu’à quatre fois moins d’hypoglycémies (4 versus 16 % ; p = 0,046) par rapport à un groupe témoin [79]. Cette étude de cohorte suggère ainsi une diminution des variations glycémiques par l’utilisation d’une insulinothérapie protocolisée. Des algorithmes dynamiques intégrant notamment la glycémie précédente, le délai entre chaque mesure et le précédent débit d’insuline pour déterminer le nouveau débit d’insuline (dynamic scale), doivent être préférés aux protocoles qui déterminent un débit pour une valeur glycémique (sliding scale) [42]. Les administrations de boli d’insuline semblent en pratique courante accroı̂tre les fluctuations glycémiques. Aucun travail n’a cependant évalué leur effet sur la mortalité ou sur la variabilité glycémique. La conduite de la nutrition en réanimation peut être problématique dans certaines situations. Chez certains patients, l’interruption de l’alimentation est nécessaire, et la supplémentation de ces apports n’est en pratique pas toujours mise en place. C’est le cas à l’occasion des transferts (examen hors des locaux du service ou au bloc opératoire) ou de certaines interventions (chirurgie, endoscopie digestive, pansement chez le brûlé. . .) par exemple. D’autres ont des intolérances digestives importantes et leurs apports caloriques sont alors diminués. L’arrêt ou la diminution des apports caloriques d’un patient devraient être intégrés dans un contrôle glycémique cohérent, obtenu en modulant à la fois insulinothérapie et nutrition [80]. 957 6.3. Automatisation du contrôle glycémique Enfin, des travaux voient le jour portant sur l‘automatisation du contrôle glycémique, le traitement du signal et son intégration dans des logiciels et autres boucles numériques [91,92]. L’automatisation paraı̂t être une voie d’avenir prometteuse. Issus de recherches menées par les diabétologues, ces protocoles glycémiques automatisés utilisent des algorithmes complexes, permettant de calculer un débit d’insuline à administrer [93]. Des systèmes en boucle fermée sont en cours de développement afin d’automatiser l’insulinothérapie en temps réel avec un système de surveillance glycémique [93]. Ces types de protocole pourraient diminuer la variabilité glycémique [94]. Cependant, ces différents protocoles de contrôle glycémique n’ont pu être comparés pour évaluer leur efficacité sur la variabilité glycémique, car aucune « norme » ou seuil des différents marqueurs de variabilité glycémique (Tableau 1) n’ont pu être établi. Une étude financée par la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar) est en cours sur l’utilisation d’un logiciel intégrant les mesures de glycémies pour adapter le débit d’administration d’Insuline IVSE. L’objectif de ce travail est de montrer que l’utilisation en réanimation de ce logiciel de contrôle glycémique informatisé est associée à une réduction de mortalité par rapport aux méthodes courantes non informatisées de contrôle glycémique strict. Enfin les avancées technologiques actuelles dans la modélisation des systèmes mathématiques complexes permettent d’envisager la conception d’études par simulation, conduites sur des pathologies différentes [93,95]. La modélisation mathématique permettrait de tester l’application et la sécurité de divers protocoles de contrôle glycémique avant leur utilisation en clinique. Ces populations virtuelles sont construites à partir de modèles physiologiques éprouvés et de données réelles [95,96]. Cette approche pourrait avoir l’avantage théorique de comparer les propriétés intrinsèques de divers protocoles de contrôle glycémique, dont la variabilité glycémique induite par leur application. Ce concept est d’autant plus intéressant qu’il permettrait de mieux définir les populations cibles après les avoir testées en simulation, de réaliser des études plus puissantes avec des populations plus homogènes et peut-être d’éviter la conception d’études prospectives contrôlées randomisées, coûteuses et mal ciblées. 6.2. Monitorage continu de glycémie Les schémas classiques de surveillance ne permettant pas d’appréhender une concentration glycémique entre deux mesures consécutives, d’importantes variations glycémiques peuvent passer inaperçues entre deux mesures. Un contrôle glycémique optimal en réanimation nécessiterait finalement de nombreuses mesures rapprochées. Mais l’application de ces protocoles s’effectue au prix d’une charge de travail non négligeable [15,44]. Le monitorage continu apparaı̂t comme une alternative intéressante. Il permet de diminuer les épisodes d’hypoglycémies en ajustant les doses d’insuline aux cibles glycémiques définies. La réaction face à une hyperglycémie ou une hypoglycémie serait plus rapide, améliorant la sécurité et les performances de l’insulinothérapie. Le monitorage continu de glycémie permettrait une insulinothérapie « glucorégulée » en temps réel. [73,81,82]. Il permet l’accès à des données glycémiques jusque-là inaccessibles par les contrôles capillaires ponctuels. Débutant dans les années 1960, le premier système de mesures continues de la glycémie (Continuous Glucose Monitoring [CGM]) a été approuvé et commercialisé en 1999 [83]. Depuis, il a été publié de nombreuses revues sur les CGM, discutant les différentes approches de leur utilisation [75,84–90]. Cependant, en dépit de certains travaux prometteurs en unité de soins intensifs, de nouvelles évaluations de son exactitude, de son emploi et de sa fiabilité sont nécessaires avant de recommander son utilisation chez les patients de réanimation. 7. Conclusion Le débat sur la place de la variabilité glycémique au sein de la stratégie de contrôle glycémique strict en réanimation est loin d’être clos. Nous savons dorénavant que la variabilité glycémique est un facteur de risque de mortalité en réanimation. À l’avenir d’autres essais prospectifs devront cependant être menés, afin de confirmer la réduction de la mortalité des patients en atténuant la variabilité glycémique. D’autres essais devront déterminer les outils statistiques les plus adaptés pour la quantifier. De nombreuses questions demeurent sans réponse, notamment sur les causes et les mécanismes de cette variabilité, ainsi que le rôle de l’ITI dans ce phénomène. Diminuer les variations glycémiques pourrait constituer un objectif important du contrôle glycémique. Mais cela ne peut pas s’envisager sans une stratégie générale de la prise en charge des patients, en améliorant les protocoles d’administration intraveineuse d’insuline IV et le monitorage glycémique, et en intégrant les apports glucidiques ou nutritionnels. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. 958 J.-V. Schaal et al. / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 31 (2012) 950–960 Annexe 1. Équations pour le calcul des mesures glycémiques complexes. Mackenzie et al. ont utilisé différents indices de variabilité glycémique [76]. Les formules utilisées sont décrites dans le tableau suivant. Pour une série de « n » mesures glycémiques, la ie valeur glycémique au temps ti est gi. Formules de calcul des différents indices de variabilité glycémique complexes. D’après Mackenzie et al. [76]. P Temps passé dans la cible glycémique n ðg i þg iþ1 Þ ðtiþ1 ti Þ 2 i¼1 Ou Time-weighted average glucose t t n Pn Index hyperglycémique Ou Hyperglycaemic Index i¼1 1 IHT ðtiþ1 ti Þ IHT = Index Hyperglycémique Total n X ðg g i Index de labileté glycémique Ou Glycaemic Lability Index (GLI) i¼1 Moyenne des amplitudes des excursions en dehors de la cible glycémique Ou Mean Amplitude of Glycaemic Excursion (MAGE) 2 iþ1 Þ tiþ1 ti Pn i¼1 g i g iþ1 s g n pour g i g iþ1 > s g sg correspond à la valeur d’une DS. Pn i¼1 g i g iþ1 s g n pour g i g iþ1 > s g Moyenne des variations glycémiques absolues Ou mean absolute glucose rate-of-change (aGRC) CV ¼ GlyDSMoy Coefficient de variation glycémique Ou Glucose coefficient of variation L’index hyperglycémique total (IHT) ou « Hyperglycemic Index Total » a aussi été utilisé (d’après Mackenzie et al. [76]). 8 si ðg i 6Þet g iþ1 6 ! 0 > > > > > > > ðg i 6Þ þ g iþ1 6 > > > si ð g > 6 Þet g > 6 ðt iþ1 t i Þ ! ou > i iþ1 > 2 > n < X 2 3 g 6 g 6 i i > si ð g > 6 Þ ! ð t t Þ i¼1 > > iþ1 i i > 6 7 2 g i g iþ1 > > 6 7 > > ou6 7 > > 4 5 > g 6 g 6 > iþ1 iþ1 > sinon ! ð t t Þ : iþ1 i 2 g iþ1 g i Références [1] Losser MR, Damoisel C, Payen D. Métabolisme du glucose en situation pathologique aiguë. Ann Fr Anesth Reanim 2009;28:e181–92. [2] Van den Berghe G. How does blood glucose control with insulin save lives in intensive care? J Clin Invest 2004;114:1187–95. [3] McCowen KC, Malhotra A, Bistrian BR. Stress-induced hyperglycaemia. Crit Care Clin 2001;17:107–24. [4] Capes SE, Hunt D, Malmberg K, Gerstein HC. Stress hyperglycaemia and increased risk of death after myocardial infarction in patients with and without diabetes: a systematic overview. Lancet 2000;355:773–8. [5] Capes SE, Hunt D, Malmberg K, Pathak P, Gerstein HC. 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