« Le trou de la sécu est en réalité largement imputable à une
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« Le trou de la sécu est en réalité largement imputable à une
03 OCT 14 Hebdomadaire OJD : 31144 Surface approx. (cm²) : 838 N° de page : 34-35 1 RUE EUGENE ET ARMAND PEUGEOT 92856 RUEIL MALMAISON CEDEX - 0 825 300 302 Plombée par un déficit plus important que prévu, l'assurance maladie devra, en 2015, faire un effort de 3,2 milliards d'économies (I). Mais ce déficit relève avant tout d'un choix politique, estime l'économiste Philippe Batifoulier, qui dénonce dans un ouvrage la privatisation croissante du système de santé et l'absence de prise en compte des usagers. Philippe Batifoulier « Le trou de la sécu est en réalité largement imputable à une insuffisance de recettes » Voilà trente ans qu'on insiste sur la nécessité de réduire les dépenses de santé. Est-ce efficace pour combler le «trou de la sécu» ? On voudrait nous faire croire que le déficit de la sécurité sociale est imputable aux seules dépenses. Or l'année 2008 est, à cet égard, très pédagogique. Durant cette période, le déficit du regime general de la securite sociale a doublé. Les patients se sont-ils rués dans les cabinets médicaux ? Y a-t-il eu une épidémie de grippe ? Pas du tout. La crise économique est passée par là, avec une baisse drastique des rentrées des cotisations sociales. Le trou de la sécu est en réalité largement imputable a une insuffisance de recettes. Chercher à masquer ce fait est une forme d'escroquerie intellectuelle. Si l'on part du principe qu'il faut réduire au minimum les cotisations sociales payées par les entreprises, le système de protection sociale finit inévitablement par manquer de ressources. On ne peut pas ensuite déplorer d'avoir un système déficitaire. En réalité, c'est un choix politique. Il serait tout à fait possible de trouver des financements. Les inégalités de santé sont en augmentation en France. Quelles sont-elles ? Il y a d'abord les inégalités qui concernent l'état de sante proprement dit. Elles frappent durement cerDECOUVERTE3 0067551400505/GAW/AVH/3 Tous droits réservés à l'éditeur Page 1/2 taines populations. Par exemple, le taux de mortalité par cancer des travailleurs manuels âges de 45 à 59 ans est de 75 % supérieur à celui des travailleurs non manuels. Par comparaison, cet écart est de seulement 31 % en Espagne, de ll % en Suède et de 7 % au Royaume-Uni. Il y a ensuite les inégalités dans l'accès aux soins. Les taux de renoncement aux soins, notamment pour des raisons financières, sont plus élevés en France que dans d'autres pays européens. On a longtemps fait l'apologie du système de santé français, censé être le meilleur du monde. Nous n'en sommes plus là. La situation se dégrade sans que les gens aient été consultés sur les choix qui ont été faits. Comment expliquez-vous cette montée des inégalités en la matière ? Elle est liée à la privatisation progressive du système de santé, avec un poids croissant des assurances complémentaires Lassurance maladie rembourse de moins en moins bien les soins courants : aux alentours de 55 %. Je ne parle même pas de l'optique et des soins dentaires, qui sont encore moins bien remboursés. Maîs l'assurance privée n'est pas plus efficace que la sécurité sociale. Tout le monde n'a pas une mutuelle, et celles qui assurent la meilleure couverture bénéficient aux personnes les plus aisées, qui sont aussi les moins malades. Elle est en revanche beaucoup plus chère, avec des frais de gestion plus élevés et totalement opaques. Le transfert des remboursements au privé est au final un appel d'air à l'explosion des prix. On observe aussi une dégradation de la situation des gens qui souffrent de maladies graves, avec une tentative de les faire payer davantage, via les franchises médicales. Les personnes en soins de longue durée sont couvertes pour leur maladie, maîs pas pour les affections secondaires liées a leur état de santé fragile. Le déficit d'accès aux soins peut aussi s'expliquer par la désertification médicale... De fait, on a laissé se developper des inégalités extrêmement fortes entre territoires. C'est dramatique, et rien n'est fait, en dehors de quèlques timides tentatives pour inciter les jeunes praticiens à s'installer dans les territoires désertés - maîs sans grand résultat. Quant aux métropoles, bien pourvues en medecins, elles voient les dépassements d'honoraires exploser. Il avait fallu très longtemps pour parvenir à convaincre les professionnels de santé d'appliquer un tarif unique. Cela s'est fait en 1971 sur l'ensemble du territoire. Maîs dès 1980 les médecins ont recouvré leur liberté tarifaire. Depuis, les dépassements d'honoraires se sont développés a un point tel qu'on ne voit pas comment revenir en arrière. Face aux abus, le gouvernement a développé le contrat d'accès aux soins, qui empêche que ces dépassements s'appliquent aux plus pauvres. En contrepartie, les praticiens voient leurs cotisations sociales prises en charge, sous réserve de réaliser 50 % des actes au tarif de la sécurité sociale. Pour le reste, ils font ce qu'ils veulent. On entérine ainsi une tarification à 03 OCT 14 Hebdomadaire OJD : 31144 Surface approx. (cm²) : 838 N° de page : 34-35 1 RUE EUGENE ET ARMAND PEUGEOT 92856 RUEIL MALMAISON CEDEX - 0 825 300 302 deux vitesses Aujourd hui, dans les grandes metro poles, pour a\ oir un rendez vous avec un specialiste, il faut attendre ou payer Vous estimez que la santé pourrait être au nouveau capitalisme ce que l'automobile était à l'ancien. C'est-à-dire ? Le capitalisme est a la recherche de nouveaux debou ches car le modele du fordisme, bati sur l'industrie et l'automobile, ne fonctionne plus II s'intéresse donc au developpement vertigineux des activites liées a la sante, a la culture, aux personnes âgees L'Etat, qui a développe ce marche, s'en retire C est du gram a moudre pour les entreprises privées, qui investissent dans les assurances sante, maîs aussi dans les hôpitaux et cliniques privées et dans les maisons de retraite L'avantage est que ces activites ne sont pas delocalisables. Néanmoins, le secteur prive ne cherche pas à accaparer toute la dépense publique car, pour lui, les activites non rentables doivent rester a l'Etat En clair, il faut socialiser les pertes et privatiser les profits Comment le système de santé, conçu à l'origine pour le patient, s'est-il retourné contre celui-ci ? On entend developper la responsabilite individuelle. Le patient est somme d'être un entrepreneur de son capital sante, capable d'arbitrer ses depenses de façon rationnelle Maîs c'est une chimère Les gens ne se conduisent pas comme ça On n'acheté pas des prestations de sante en fonction de ses préférences ou de ses désirs C'est l'erreur fondamentale de ce type de strategie On ne choisit pas d'être malade Le ticket modérateur, qui a des racines historiques, repose sur cette même idée que si l'on paie de sa poche une partie du prix de la consultation, on évitera d'en abuser Cela n'a aucun sens Bien sûr, il existe des surconsommateurs en matiere de sante, maîs ils sont une minorité Vous êtes très critique avec l'hôpital, qui irait vers une «maltraitante organisatlonnelle»... C'est un collectif de medecins qui emploie cette expression. Les injonctions managenales, la course a la productivite, le fait de traiter l'hôpital comme une entre prise, avec des consultants qui viennent de l'industrie pour rationaliser les methodes de travail Au bout du compte, tout cela produit du soin de mauvaise qualite et de la souffrance chez les soignants C ela se repercute inévitablement sur les patients. C'est en ce sens que l'on peut parler de < maltraitance orgamsationnelle » On n'a plus le temps, pas assez de per sonnel, les transmissions ne se font plus, les soins ne sont pas faits correctement ou pas assez régulièrement Quiconque a fréquente un hôpital sait que la qualite du soin est aussi dans la relation avec les soignants, et beaucoup de professionnels hospitaliers contestent cette situation au nom de leur conscience professionnelle Demander aux soignants de rationaliser leur activite ct de faire du productivisme, c'est leur demander de mal faire leur metier DECOUVERTE3 0067551400505/GAW/AVH/3 Tous droits réservés à l'éditeur Page 2/2 « Le secteur privé ne cherche pas à accaparer toute la dépense publique car, pour lui, les activités non rentables doivent rester à l'Etat. En clair, il faut socialiser les pertes et privatiser les profits » Râpera Economiste, maitre de conferences a l'université Paris Ouest Nanterre La Defense, Philippe Batifbulier y exerce aussi en tant que chercheur du laboratoire EconomiX (CNRS) Membre des Economistes atterres, il publie Capital sante Quand le patient devient le client (Ed La Découverte, 2014) Pourquoi préconisez-vous un système de remboursement IOU % public ? La repartition 80 % public 20 % prive relevait d une logique historique, maîs a quoi sert-elle si, au bout du compte, le systeme est megalitaire et coûteux ' II est plus logique d'instaurer un remboursement public a IOU %. A condition, évidemment, de ne pas rembour ser tous les medicaments et les soins a 100 % Certains medicaments inutiles, voire nocifs, sont tres bien rem bourses, alors que des choses essentielles pour les gens, comme les lunettes ou les soins dentaires, le sont extre mement mal II serait temps de reléguer au second plan l'industrie pharmaceutique et de donner plutôt la parole aux usagers du systeme de sante Selon vous, que faut-il faire ? D'abord, reconquérir le medicament L'industrie pharmaceutique cherche a faire du profit, maîs cette logique s'accommode tres mal des impératifs de sante publique II faut aussi reconquérir l'hôpital public, qui est l'un des garants du pacte social republicain maîs qui symbolise actuellement toutes les souffrances du secteur de la sante II est essentiel de changer ses modes de financement et de gestion Enfin, il faut reconquérir les territoires C'est une question de principe Si la medecine est un service public, alors on doit faire en sorte que l'ensemble du territoire soit couvert, comme pour la police, la gendarmerie ou l'école rn Propos recueillis par Jérôme Vachon ( I ) Voir ce numero, p 5