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L’Encéphale (2008) 34, 330—336 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep MÉMOIRE ORIGINAL Réactions d’agressivité sous benzodiazépines : une revue de la littérature Paradoxical aggressive reactions to benzodiazepine use: A review T. Saïas ∗, T. Gallarda Laboratoire de recherche, EPS Maison-Blanche, 3—6, rue Lespagnol, 75020 Paris, France Reçu le 12 janvier 2007 ; accepté le 15 mai 2007 Disponible sur Internet le 26 décembre 2007 MOTS CLÉS Benzodiazépines ; Réactions paradoxales d’agressivité ; Désinhibition ; Facteurs de risque KEYWORDS Benzodiazepines; Paradoxical aggressive reactions; Disinhibition; Risk factors ∗ Résumé Les réactions paradoxales d’agressivité sous benzodiazépines ont fait l’objet d’une littérature scientifique spécifique depuis 1960. Si peu d’études contrôlées ont pu être réalisées, de nombreux cas cliniques ont été recensés et discutés dans la littérature. Désinhibition, anxiété, comportements auto ou hétéroagressifs et actes médicolégaux ont été observés chez des patients présentant différents facteurs de vulnérabilité, sans qu’une modélisation des processus incriminés ait pu être élaborée. Cependant, le rôle de la personnalité limite et de la personnalité anxieuse, l’influence du contrôle gabaergique sur le système sérotoninergique ainsi que l’impact de l’alcool semblent être autant d’hypothèses expliquant une partie de ces phénomènes paradoxaux. © L’Encéphale, Paris, 2008. Summary Introduction. — With growing prescription and availability, benzodiazepine usage in France is on the increase among the general population. Although its anxiolytic action has long been proven, many side effects can be observed. Typology and prevalence. — Paradoxical reactions of aggressiveness under benzodiazepines have been discussed in the scientific literature since the 1960s. This term was introduced to describe reactions of agitation and disinhibition occurring during anxiolytic or hypnotic treatment. Physical aggression, rape, impulsive decision-making and violence have been reported, as well as autoaggressiveness and suicide. General population studies indicate a prevalence of these reactions of less than 1%, and meta-analysis has shown that use of benzodiazepines generates aggressiveness more frequently than it reduces it. It has also been shown that long-term memory (anterograde amnesia) can be impaired following the ingestion of a benzodiazepine. Risk factors. — Benzodiazepine-linked disinhibition, auto and heteroaggressiveness, anxiety and criminal acts have been associated with various vulnerability factors. Although the risk of Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (T. Saïas). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008. doi:10.1016/j.encep.2007.05.005 Réactions d’agressivité sous benzodiazépines : une revue de la littérature 331 these paradoxical reactions depends on the number of such factors present in a single patient, the effects of the type and dose of benzodiazepine on the frequency and the intensity of paradoxical symptoms are not clear. In terms of personality, several studies have demonstrated the role of low-stress control (specifically high-trait anxiety) on aggressiveness under benzodiazepines. Other authors underline the role of borderline personality disorder as a major risk factor predicting paradoxical reactions. Results of a study on borderline patients show a prevalence of benzodiazepine-linked disinhibition of 58%. On a neuropharmacological level, the influence of the GABA system on the serotonin control and the impact of alcohol seem to be established. Benzodiazepines, specifically when associated with alcohol, seem to facilitate GABAergic transmission, which can be at the origin of the disinhibited behaviours that have been reported. Discussion. — In 2000, France was the first country in terms of benzodiazepine use 17.4% of the adult population had been prescribed an anxiolytic. Implications for medicolegal and clinical practice are discussed. © L’Encéphale, Paris, 2008. Introduction L’histoire de la consommation des benzodiazépines en France remonte à 1955 et la synthèse fortuite de la chlordiazépoxide (Librium® ). Avec l’augmentation de leur prescription et de leur consommation, les benzodiazépines bénéficient aujourd’hui d’une image favorable auprès du public, associant une bonne tolérance et une action anxiolytique et hypnotique efficace. Si elles sont principalement prescrites dans le traitement de la dépression et du trouble panique, leur action anxiolytique étant avérée chez la plupart des patients, de nombreux effets secondaires ont cependant été décrits, allant de la réaction dépressive au syndrome dissociatif. Des réactions agressives, dites « paradoxales », ont également été reportées [19]. Le terme de réaction paradoxale d’agressivité a été introduit pour décrire des réactions d’agitation et de désinhibition survenant au cours d’un traitement à visée anxiolytique et hypnotique. Les benzodiazépines peuvent donc réduire ou favoriser les expressions d’agitation, d’agressivité, voire de violence en fonction de certaines caractéristiques neuropsycho-comportementales. De nombreux cas cliniques ont été observés et publiés. La prévalence, l’étiologie et le rôle de différentes variables modératrices seront ici discutés. Les études sélectionnées et synthétisées ont été extraites d’une recherche bibliographique sur les bases de données PsycInfo, PubMed, CNRS/Pascal et Toxibase. Données de santé publique En 2000, 17,4 % des personnes bénéficiant du régime général d’assurance maladie avaient consommé au moins un anxiolytique durant les 12 derniers mois [23]. La France se situait ainsi au premier rang mondial en termes de consommation de benzodiazépines [15]. seuls quelques cas d’ébriété, d’excitation et de somnolence furent observés [21,30,37]. Depuis, réactions dépressives, états maniaques et dissociatifs, symptômes au sevrage et différents types de phénomènes amnésiques ont été rapportés, ces réactions pouvant être co-occurrentes [4,37]. En 1960, Ingram et Timbury [22] furent parmi les premiers à rapporter des réactions de violence chez des patients traités par Librium® . Depuis, ces réactions ont été abondamment confirmées par de nombreuses publications. Agressions physiques, viols et actes médicolégaux ont été fréquemment observés [22,30,37], ainsi que des comportements autoagressifs, pouvant aller jusqu’au suicide [20]. Selon la méta-analyse de Dietsch et Jennings, les benzodiazépines seraient plus fréquemment à l’origine d’une augmentation que d’une diminution de l’agressivité [14]. Le seul facteur systématiquement retrouvé dans les cas cliniques observés est la soudaineté du passage à l’acte. Les symptômes généraux décrits au cours de ces décompensations font état d’une irritabilité, d’un comportement violent (désinhibition, agression physique, insultes), d’un fort niveau d’anxiété, de réactions de rage, d’intolérance à la frustration ou encore d’une altération de la vigilance ; ces symptômes s’accompagnent fréquemment d’une décompensation dépressive, parfois très sévère, pouvant précipiter les comportements suicidaires. Gardner et al. [17] ont ainsi pu observer des passages à l’acte autoagressifs (surdose de benzodiazépines, automutilations. . .) sous alprazolam (Xanax® ). De même, Cole et al. soulignent que ce sont deux molécules —– alprazolam, diazépam (Valium® ) —– reconnues pour avoir un effet sur les symptômes dépressifs qui ont été à l’origine des publications sur les décompensations autoagressives [11]. Par ailleurs, et plus particulièrement dans les cas d’homicide, de nombreux auteurs ont décrit des situations où les patients présentaient un état crépusculaire avec comportement automatique. Typologie des comportements agressifs Particularités des situations cliniques Les effets secondaires des benzodiazépines ont été mis en évidence dès leur synthèse, notamment leur capacité amnésiante, lorsqu’elles sont utilisées en anesthésiologie [37]. Mais les benzodiazépines ont longtemps eu la réputation de ne donner que très peu d’effets indésirables. De 1955 à 1960, Il semble difficile de distinguer entre les typologies de réactions paradoxales selon que les sujets sont ou non des consommateurs réguliers de benzodiazépines. Peu d’études cliniques ont pu mettre en valeur un effet de première prise dans la survenue de réactions paradoxales agressives chez 332 des sujets non-consommateurs. Un cas clinique présenté par Poyen et al. font cependant état d’une décompensation agressive majeure associée à une amnésie antérograde de 16 heures chez une femme de 45 ans après la prise de 7,5 mg de lorazépam (Ativan® , Temesta® ), pour la première fois de sa vie [31]. Par ailleurs, on retrouve dans de nombreux cas l’effet d’une prise importante (voire massive) dans l’apparition d’une symptomatologie à type de désinhibition ou d’agressivité. Cet effet de prise massive semble très variable selon les sujets : parmi les cas recensés par Poyen et al., par exemple, ayant l’intérêt d’être comparables du point de vue de la molécule, on retrouve une jeune femme consommatrice régulière de lorazépam 1,25 mg/j ayant eu une réaction adverse après la prise unique de 2,5 mg la veille d’un examen. Une autre patiente consommatrice irrégulière de benzodiazépines présentait des symptômes identiques (avec une amnésie de 96 heures) après la prise unique de 7,5 mg de lorazépam [31]. Senninger et Laxenaire rapportent un cas clinique permettant de constater que l’apparition de réactions agressive peut survenir malgré une faible dose ingérée, comme dans le cas d’un patient après trois jours de prescription de triazolam 0,5 mg (Halcion® ) [37]. La survenue d’une réaction agressive sous benzodiazépines est par ailleurs potentialisée lorsque la prise médicamenteuse est associée à une consommation importante d’alcool. L’étude de Bond et Silveira [7] a mis en évidence ce phénomène, sous alprazolam. Daderman et al. [13] ont décrit cinq cas de passage à l’acte hétéroagressifs sous flunitrazépam et alcool dans une population de jeunes agresseurs. L’alcool potentialiserait donc et prolongerait les impulsions agressives sous benzodiazépines [44]. Certains auteurs estiment que la proximité des points d’impact cérébraux de l’alcool et des benzodiazépines, ainsi que la similarité de leur action sur la transmission gabaergique (et la faible concentration sérotoninergique en découlant) pourrait expliquer la similarité des réactions de désinhibition et leur potentialisation lorsque les deux produits sont associés. Cependant, il semble difficile d’affirmer un lien de causalité entre abus d’alcool et agressivité sous benzodiazépines, tant les mécanismes psychologiques à l’œuvre dans l’abus de différentes substances (médicaments, alcool ou drogues) sont similaires et la comorbidité de consommation (notamment benzodiazépines + alcool) fréquente [28]. Le développement des connaissances et la médiatisation des effets des benzodiazépines (notamment lorsqu’elles sont associées à de l’alcool) génère désormais des phénomènes induits par les sujets eux-mêmes et soulève des problématiques souvent complexes dans un cadre médicolégal. L’utilisation de benzodiazépines pour faciliter le passage à l’acte, appelée « syndrome Rambo », en raison de l’excès de confiance et de la violence induite par les benzodiazépines, serait ainsi de plus en plus courante, chez les jeunes délinquants, notamment sous flunitrazépam (Rohypnol® ), selon Daderman et al. [12]. Données épidémiologiques La prévalence chez les sujets traités varie selon les études, les molécules et les populations étudiées : les prévalences s’étendent de 0,25 % pour Svenson et Hamilton [42] sur T. Saïas, T. Gallarda une population de 18 000 patients traités par Librium® , 6 % dans une étude récente de Bramness et al. chez des sujets ayant consommé du flunitrazépam [9], à 58 % chez sept patients borderline sous Xanax® , pour Gardner et al. [17]. Les principales études réalisées en population générale font cependant état d’une prévalence de l’ordre de moins d’un pour cent [37]. Dans l’étude cas-témoin de O’Sullivan et al. sur le traitement du trouble panique par alprazolam, 14 % des 77 patients randomisés dans le groupe traité par Xanax® présentèrent des réactions paradoxales (hausse du niveau d’activité, d’agressivité verbale et physique), contre zéro dans le groupe contrôle, sous placebo [29]. La plupart des études menées ont étudié l’impact spécifique de l’alprazolam sur l’agressivité ; les études cliniques montrent une survenue de réactions paradoxales dans 10—20 % des patients traités par cette molécule [30]. Cependant, et malgré les critiques naissantes à l’encontre de l’alprazolam, Greenblatt et al. n’ont retrouvé aucune différence significative entre réactions paradoxales sous alprazolam, flurazépam (Dalmane® ) et placebo, dans leur revue portant sur 45 études contrôlées [20]. Prodromes La survenue de réactions agressives suite à la prise de benzodiazépines semble imprévisible [37] et les prodromes difficilement identifiables. Néanmoins, l’analyse des observations cliniques publiées permet de souligner l’influence du contexte environnemental dans le déclenchement des épisodes agressifs : contrariété, frustration ou événement perturbant sont ainsi retrouvés de façon quasi systématique dans les heures précédant un acte médicolégal. French rapporte l’histoire d’un patient ayant vécu une réaction agressive et confusionnelle après une dispute avec sa femme et quelques heures avant une prise d’alprazolam [16] ; Senninger et Laxenaire relatent un comportement agressif survenu au sein d’un hôpital chez un patient sous triazolam 0,5 mg, après que son voisin de chambre lui eut fait une réflexion désobligeante [37] ; Senninger et Laxenaire évoquent enfin le cas d’un homme ayant tué son épouse à l’arme blanche après injection de clorazépate (Tranxène® ) ; sa femme lui aurait refusé un rapport sexuel quelques heures avant les faits [37]. Un vécu persécutif pourrait donc expliquer dans une certaine mesure les actes de violence consécutifs à ces frustrations. Weisman et al. ont rapporté que les sujets sains de leur étude, à qui l’on avait donné 10 mg de diazépam présentaient des comportements agressifs et un vécu persécutif significativement plus important que les sujets témoins lorsqu’ils étaient soumis à un faible niveau de provocation, tous les sujets étant également agressifs lorsqu’on les soumettait par ailleurs à un haut niveau de provocation [45]. Les benzodiazépines auraient donc pour effet d’abaisser le seuil de réactivité des sujets face à une situation impliquant une provocation à leur égard [5]. Blair et Curran [3] ont mis en évidence que la prise de benzodiazépines chez des sujets sains pouvait entacher les processus de reconnaissance d’émotions et en particulier de la colère chez autrui. Pour les auteurs, ce défaut de reconnaissance de la colère pourrait expliquer le défaut de contrôle et d’adaptation sociale à l’origine des décompensations agressives. Réactions d’agressivité sous benzodiazépines : une revue de la littérature Amnésies postépisodiques L’effet amnésiant caractérise l’action des benzodiazépines. Une des particularités des épisodes agressifs sous benzodiazépines consiste en de fréquentes amnésies antérogrades (de fixation), globales et transitoires concernant l’épisode en lui-même. On retrouve de nombreux cas dans lesquels les sujets, après un épisode de désinhibition sous la forme de comportements hétéroagressifs ont rapidement sombré dans un profond sommeil avant de perdre tout souvenir de l’évènement à leur réveil [4,37]. Ce trouble, de type ictus amnésique, transitoire et brutal, n’a été que rarement signalé lors de traitements chroniques par benzodiazépines. Il commence généralement dans l’heure suivant la prise de la benzodiazépine et dure de quelques heures à plusieurs jours (notamment dans le cas clinique présenté par Poyen et al. où une patiente présentait une amnésie des quatre jours suivant la prise de 7,5 mg de lorazépam) [31]. L’action des benzodiazépines agirait donc plus spécifiquement sur la mémoire à long terme (amnésie antérograde), en conservant le fonctionnement de la mémoire à court terme et de l’ensemble des processus cognitifs, expliquant le fonctionnement normal du sujet lors de l’épisode en lui-même [36]. Le moment succédant à l’épisode agressif est généralement caractérisé par un syndrome anxieux lié à l’amnésie postcritique [31]. Le cas d’hétéroagression rapporté par Senninger et Laxenaire [37], par exemple, fut suivi d’un état d’anxiété majeur puis, au réveil du patient, d’un épisode amnésique concernant l’acte d’agression. Terrel [44] rapporte le cas d’une amnésie incomplète (les seuls souvenirs concernant des bruits et images vagues) faisant suite à un acte hétéroagressif où une femme détruisit l’intérieur de l’habitation de ses voisins. Blin et al. [4] ont étudié les performances mnésiques chez 12 sujets volontaires sains après administration de 2 mg de lorazépam. Les résultats démontrent la chute des performances sur les plans verbal (rappel de mots) et visuel (reconnaissance de dessins), les auteurs soulignant par ailleurs que les difficultés survenaient dès la première demi-heure suivant la prise du produit. Mais l’existence de cas où le patient retrouve les souvenirs de l’épisode après qu’on lui a rappelé des détails précis du contexte permet de supposer l’existence d’un trouble d’allure cognitive, caractérisé par une altération de la capacité d’évocation, c’est-à-dire l’incapacité du sujet à accéder aux informations mémorisées, sans indice extérieur [31]. On peut ainsi exclure l’hypothèse d’un trouble de l’encodage ou de la mémorisation. Il existerait enfin un effet de tolérance pour l’action amnésiante des benzodiazépines, ce qui expliquerait en partie l’importance de cet ictus amnésique chez des sujets non habituellement traités par benzodiazépines [36]. Modèles expérimentaux Bond et al. [6] ont mis en évidence le rôle de l’alprazolam dans la potentialisation des passages à l’acte hétéroagressifs. L’étude contrôlée portait sur une population de 23 patients agoraphobes traités par Xanax® . Les patients étaient confrontés à une tâche de rapidité, face à un adversaire fictif. Si le patient était plus rapide que son adversaire, il pouvait alors infliger à ce dernier une punition (stimulus auditif) d’intensité choisie. Lorsqu’on indiquait aux sujets 333 qu’ils avaient battu leur adversaire, les patients sous Xanax® infligèrent des «punitions» nettement plus importantes que les sujets témoins. De plus, alors que les sujets du groupe témoins avaient tendance à baisser le niveau des stimuli choisis au cours de l’expérimentation, les sujets traités continuaient à augmenter l’intensité (et donc de la violence) de ceux-ci. En France, l’étude de Bourin a permis de mettre en valeur les effets comparés des différentes benzodiazépines sur la base d’expérimentations animales et, parallèlement, de formuler des recommandations cliniques relatives à la prescription de benzodiazépines en s’appuyant sur une expérience menée auprès de 60 sujets sains volontaires traités par lorazépam [8]. Pour l’auteur, des administrations répétées de benzodiazépines favoriseraient l’activité anxiolytique, alors que les prises uniques faciliteraient d’abord la sédation et la myorelaxation. L’auteur, rappelant que l’action des benzodiazépines peut contenir des effets agonistes et antagonistes, en fonction de la posologie observée, conclut que, pour éviter les effets paradoxaux à type d’agressivité, il semble préférable d’augmenter les doses prescrites, malgré le risque de sédation d’autant plus important. Rôle de l’âge Chez l’enfant, l’utilisation des benzodiazépines est principalement indiquée dans le traitement de l’épilepsie. Sheth et al. retrouvent 11 % de réactions paradoxales, à type d’agitation, d’autoagressivité et/ou insomnie chez 64 enfants de six ans et demi, traités par clobazam (Urbanyl® ) [38]. Marcus et al. rapportent le cas d’un enfant développant des réactions de rage, d’anxiété, des phénomènes paranoïdes, une amnésie et une désorientation après que ses parents lui eurent donné 2 mg de lormetazépam (Noctamide® ) en vue de faciliter son endormissement [25]. Enfin, parmi les 2600 enfants (1—17 ans) qui avaient reçu de la mépéridine (Demerol® ) et du midazolam (Hypnovel® ) dans un protocole préendoscopique, 1,4 % d’entre eux présentèrent des réactions paradoxales (pleurs incoercibles, désorientation, agitation ou symptômes dépressifs), ces réactions ayant débuté 17 minutes en moyenne après l’administration du midazolam [26]. Chez le sujet âgé, aucune publication ne fait état de réactions d’agressivité sous benzodiazépines. Cependant, compte tenu des données sur la consommation des personnes âgées, l’élaboration de recherches spécifiques serait nécessaire. Selon une étude de 1990 réalisée par la SOFRES [40], 43 % des personnes de plus de 65 ans étaient des consommateurs occasionnels de benzodiazépines, 17 % étant des usagers réguliers. Pour Tamblyn et al., la consommation de benzodiazépines des sujets de plus de 65 ans serait environ trois fois supérieure à celle des personnes plus jeunes [43]. Rôle de la personnalité L’étude de Gardos et al. [18], en 1968, est la première ayant mis en évidence l’influence de la personnalité dans les troubles du comportement sous Librium® . Les personnalités les moins anxieuses (évaluées par la Taylor Manifest Anxiety 334 Scale — TMAS) seraient ainsi les plus exposées à des réactions d’anxiété sous chlordiazépoxide. A contrario, les personnalités anxieuses seraient plus nettement améliorées sous chlordiazépoxide comme sous oxazépam (Seresta® ) mais présenteraient nettement plus de comportements hostiles sous chlordiazépoxide. L’effet désinhibiteur semblerait donc d’autant plus intense que le « niveau d’anxiété de base » est élevé. Depuis l’introduction des troubles de la personnalité dans les classifications internationales, on retrouve de manière fréquente des résultats selon lesquels les actes agressifs sous benzodiazépines surviendraient plus fréquemment chez des personnalités limites. La personnalité limite —– caractérisée par des périodes de dépression, anxiété et comportements violents, manque de contrôle pulsionnel et faible capacité à gérer et à intérioriser les émotions et les conflits —– constituerait donc un facteur de vulnérabilité aux passages à l’acte agressifs lors d’une prise de benzodiazépines. L’étude de Gardner et al. [17] fait ici figure de référence. Lors de cette recherche, sept femmes sur 12 (58 %) avec une personnalité limite auraient décompensé sous Xanax® contre une femme sur 13 (8 %) sous placebo. Lors de cette étude, quatre sujets ont dû abandonner le traitement de manière abrupte, tant leur comportement était devenu dangereux. D’autres études confirment ces résultats expérimentaux, incriminant le rôle de la personnalité limite dans la survenue des réactions paradoxales et notamment l’étude contrôlée de Soloff et al. [41]. Dans ce protocole, les patients limites répondaient effectivement et de manière significativement plus élevée que les autres sujets aux mesures d’idéation paranoïde et d’impulsion comportementale. Brunette et al. rapportent par ailleurs que les sujets présentant des troubles psychiatriques et traités par benzodiazépines sont deux fois plus à risque de développer une consommation irrégulière, voire abusive de celles-ci (15 % contre 6 % des sujets sans pathologie psychiatrique, dans leur étude) [10]. Notons enfin qu’il existe une importante corrélation entre décompensation agressive sous benzodiazépines et antécédents de comportements violents survenant chez des personnalités de type psychopathique [6], sans pour autant qu’une modélisation de ce processus ait pu être déterminée. L’ensemble de ces données caractérise au final des sujets dont la capacité à gérer le stress et les frustrations est faible. Les caractéristiques génétiques pouvant prédire les réactions paradoxales sous benzodiazépines ont été peu étudiées. Short et al. ont mis en évidence des réactions de désinhibition similaires chez des jumeaux monozygotes [39]. Aucune étude récente, s’appuyant sur les nouvelles données de la génétique ne semble avoir été publiée en vue de proposer une modélisation génétique des réactions d’agressivité sous benzodiazépines. T. Saïas, T. Gallarda ont par exemple été notées sous temazépam (Restoril® ) [14], diazépam [24], chlordiazépoxide [22] ou encore chlorazépate [24]. Rothschild et al. [34] ayant comparé les effets de l’alprazolam et du clonazépam (Rivotril® ) lors de passages à l’acte, concluent que rien ne semble différencier les différentes benzodiazépines sur leurs effets secondaires. Les auteurs rapportent plusieurs cas d’agression sous temazépam, diazépam et chlorazépate similaires à la description faite sous alprazolam ou chlordiazépoxide. L’étude contrôlée de Gardos et al. en 1968, jamais répliquée, souligne que si l’oxazépam et la chlordiazépoxide permettent de baisser le niveau d’anxiété chez les sujets présentant un niveau d’anxiété de base moyennement élevé à élevé, les sujets peu anxieux « de nature » développaient plus facilement une anxiété paradoxale après la prise de ces molécules. La chlordiazépoxide seule, en revanche, semblerait favoriser l’hostilité chez les sujets à haut niveau d’anxiété de base [18]. Il semblerait cependant que la pharmacocinétique puisse varier d’une molécule à l’autre, Bourin [8] soulignant que des effets anxiolytiques peuvent survenir bien plus tôt sous alprazolam qu’avec d’autres benzodiazépines. Les benzodiazépines à demi-vie courte ont ainsi longtemps été incriminées. Ces données apparaissent désormais remises en question et il semble que les produits à demi-vie longue puissent être de la même manière à l’origine de décompensations agressives [37]. Neuropharmacologie Les mécanismes neurobiologiques et les structures neuroanatomiques incriminés dans les décompensations agressives sous benzodiazépines n’ont pas été formellement identifiés à ce jour. Pour Senninger et Laxenaire, la participation du circuit hippocampo-mamillo-thalamocingulaire est suggérée par la constance de l’amnésie de fixation [37] et concorderait avec les points d’impact biochimiques cérébraux des benzodiazépines. Les récepteurs aux benzodiazépines se situent essentiellement au niveau du système limbique et du cortex cérébral, dans un ensemble comprenant des récepteurs gabaergiques. L’acide ␥-aminobutyrique (GABA) est le principal neuromédiateur inhibiteur chez l’homme. L’activité des benzodiazépines, en augmentant le contrôle gabaergique des neurones sérotonigergiques diminuerait l’influence inhibitrice de ces neurones sur l’impulsivité. L’activité sérotoninergique a, depuis 30 ans été associée avec les comportements agressifs. Une faible activité sérotoninergique favoriserait la vulnérabilité à un certain nombre de troubles de santé mentale et de troubles du comportement dont les passages à l’acte violents [2]. Par conséquent, l’activité des neurones sérotoninergiques du système limbique, réduite par l’impact gabaergique de l’action des benzodiazépines potentialiserait l’expression des conduites agressives chez ces sujets [37]. Rôle de la benzodiazépine Caractéristiques pharmacocinétiques La majorité des études traitant de l’agressivité associée à la prise de benzodiazépines font état de décompensation sous alprazolam (Xanax® ). On ne saurait cependant incriminer cette seule molécule. L’alprazolam est la benzodiazépine la plus prescrite en occident et notamment aux États-Unis [1] et, de fait, la plus étudiée. Des décompensations agressives Il semble difficile de distinguer des différences dans la fréquence ou l’intensité de la symptomatologie selon la dose ou le type de benzodiazépine ingérée. Rozenbaum et al. [33], par exemple, observant 80 patients sous benzodiazépines et sous surveillance médicale, constatèrent que huit d’entre Réactions d’agressivité sous benzodiazépines : une revue de la littérature Tableau 1 Demi-vie des benzodiazepines. Produit Demi-vie (h) ® Veratran Sériel® Seresta® Xanax® Témesta® Lexomil® Urbanyl® Librium® Valium® Tranxène® Lysanxia® Clotiazépam Tifisopam Oxazépam Alprazolam Lorazépam Bromazépam Clobazam Chlordiazépoxide Diazépam Clorazépate Prazépam 4 8 10 12 15 20 20 25 55 70 90 eux présentèrent des comportements agressifs sous alprazolam, dont deux sous la forme d’agression physique. L’un avait reçu 0,5 mg d’alprazolam, l’autre 8,0 mg. De même, les études de Hall et Joffe [21] et de Ryan et al. [35], sur des patients traités par diazépam mettent en valeur des conclusions identiques sur la base de traitements différents : les premiers décrivent l’apparition de symptômes à type d’excitation, d’agitation, d’insomnie et de dépression avec idéation suicidaire chez six sujets sans histoire psychiatrique, après surdose (> 40 mg) de diazépam, quatre à 12 jours après le début du traitement (40 à 60 mg/j) et s’estompant en une semaine, les seconds rapportent des dépressions soudaines et des comportements suicidaires impulsifs chez des patients traités par 15 à 20 mg/j de diazépam. Il est cependant admis de manière consensuelle que la durée des troubles se rapproche en moyenne de la demi-vie d’élimination de la molécule responsable de la décompensation [32]. Tableau 1 L’état des recherches actuelles permet donc de penser que la survenue de réactions paradoxales sous benzodiazépine soit un évènement iatrogène davantage expliqué par l’interaction de caractéristiques individuelles avec les propriétés d’une benzodiazépine que par les aspects pharmacocinétiques des différentes molécules [34]. Ainsi l’impact de la personnalité borderline sur la survenue d’idéations suicidaires ou sur l’agressivité sous alprazolam pourrait être expliqué par l’action antidépressive de la molécule chez un type de personnalité caractérisé par une faible tolérance au stress et une tendance à l’impulsivité [11]. La quasi-totalité des recherches sur les phénomènes paradoxaux sous benzodiazépines (y compris les phénomènes dépressifs, maniaques ou d’anxiété) sont issues de cas cliniques. Des protocoles expérimentaux permettraient d’apporter un éclairage nécessaire sur les aspects pharmacocinétiques de cette problématique [11]. 335 minel. Les benzodiazépines font donc l’objet, depuis la mise en valeur de ce type de décompensation, d’une surveillance accrue de l’AFSSAPS et le législateur a encadré leur prescription (notamment la durée maximale de traitement, dans le cadre de l’arrêté du 7 octobre 1991). Entre biochimie, alibi et simulation, la distinction reste difficile pour l’expert. La question de l’imputabilité du produit et de la responsabilité du sujet se heurte également à la question du caractère volontaire ou non de la survenue des effets secondaires, l’usage des benzodiazépines dans un but désinhibiteur étant fréquent. La responsabilité du praticien, selon Michel et Lang [27] pourrait bientôt être engagée, selon le niveau d’information reçue par le patient avant la prise de benzodiazépines. Il apparaît aujourd’hui que rien n’a été réglé quant à l’imputabilité directe du produit dans le cas de certaines affaires ayant défrayé la chronique. Michel et Lang, dans leur pratique auprès de détenus insistent par ailleurs sur la nécessité de ne pas considérer les benzodiazépines comme un médicament de confort et de tenir compte de la personnalité des patients à qui on les prescrit, en considérant les facteurs de vulnérabilité sus-cités [27]. Conclusion et recommandations cliniques Les mécanismes sous-tendant les réactions paradoxales d’agressivité sous benzodiazépines ont motivé la mise en place de recherches cliniques. Cependant, peu d’études contrôlées, permettant de modéliser de manière rigoureuse le(s) mécanisme(s) en action et les personnalités vulnérables à ces décompensations ont été menées. La généralisation des conclusions de la littérature à la population générale reste donc jusqu’à présent une question délicate. Cependant, quelques données semblent se retrouver de manière systématique dans les écrits et constituent la base du savoir actuel. Bien que de nombreuses études restent à mener, notamment au niveau de l’imagerie cérébrale et de la génétique, il semble que la baisse de l’activité des neurones sérotoninergiques du système limbique soit impliquée dans les passages à l’acte agressifs. Cela soulève donc de multiples problèmes, de la responsabilité pénale en cas d’hétéroagression à la remise en cause de l’effet des molécules. Compte tenu de la dangerosité des passages à l’acte sous benzodiazépines, le patient doit faire l’objet d’une attention clinique particulière. Les praticiens doivent donc être informés des facteurs de vulnérabilité de telles réactions. Si l’incidence des comportements agressifs semble être faible dans l’ensemble de la population traitée sous benzodiazépines, ceux-ci semblent cependant déterminés par des facteurs qui sont désormais connus et qui doivent donc faire l’objet d’une information particulière auprès des cliniciens et des patients. Incidences médicolégales La discussion sur la notion de responsabilité lors de passages à l’acte médicolégaux commis sous benzodiazépines reste ouverte. La fréquence de l’amnésie des faits soulève le problème de l’évaluation de la responsabilité pénale de patients ayant présenté des troubles du comportement sous psychotropes dont l’amnésie en secteur recouvre l’acte cri- Références [1] IMS National Disease Therapeutic Index, in Plymouth Meeting. IMS America: PA; 1992. [2] Asberg M, Thoren P, Traskman L, et al. ‘‘Serotonin depression’’a biochemical subgroup within the affective disorders ? Science 1976;191:478—80. 336 [3] Blair R, Curran H. Selective impairment in the recognition of anger induced by diazepam. Psychopharmacology 1999;147(3):335—8. [4] Blin O, Simon N, Jouve E, et al. Pharmacokinetic and pharmacodynamic analysis of sedative and amnesic effects of lorazepam in healthy volunteers. Clin Neuropharmacol 2001;24(2):71—81. [5] Bond AJ. Prospects for antiagressive drugs. 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