Un milliard de citadins : mode d`emploi
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Un milliard de citadins : mode d`emploi
TOPIC Février 2012 www.hec.fr/eurasia Un milliard de citadins : mode d’emploi Fin 2011, la moitié des Chinois sont citadins Les citadins chinois viennent, fin 2011, de dépasser la moitié de la population totale du pays. Les chiffres comme la dynamique donnent le vertige. Les citadins ne formaient que 18% de la population il y a trente ans. Ils sont aujourd’hui 680 millions et génèrent 80% du PIB du pays. Dans quinze ans, ces 680 millions d’urbains seront devenus un milliard, dans une Chine qui, à cette date, atteindra 1 470 millions d’habitants. Les statistiques publiques sont certes ambigües, entre le statut administratif de « municipalité » (dans ce cas la plus grande serait celle de Chongqing avec 30 Des questions millions d’habitants) ou celui de ville, plus conforme à la réalité urbaine à d’infrastructures l’occidentale, où Shanghai serait la première (18,7 millions actuellement). Il mais aussi sociales se n’empêche. Ce sont dans et pour les villes que les questions les plus importantes pour posent de façon l’avenir de la Chine se posent, qu’il s’agisse des infrastructures du bâtiment, des accrue dans les services publics, et aussi de la fracture sociale, de l’environnement ou de l’agitation villes politique. Le tout à une échelle inouïe. Les villes chinoises se ressemblent toutes. Tout se passe comme si les planificateurs étatiques appliquaient un modèle standard, imposé de haut en bas, sans Des villes tenir compte du caractère local ou de la personnalité propre des villes. Les grandes semblables sans agglomérations chinoises se sont développées selon le même schéma, à l’image de identité, Beijing, reconstruite dans les années 1950 sur le modèle soviétique qui se caractérise caractérisées par son gigantisme : larges avenues, immeubles officiels massifs ainsi que la plus par leur gigantisme vaste place du monde, Tian An Men. Les ruelles étroites et sinueuses du vieux Pékin, les Hutong, ont été en grande partie détruites malgré la volonté de la municipalité d’en conserver autour de la Cité interdite, rénovées et réhabilitées. Avec le développement d’immenses complexes de bureaux, d’hôtels ou de centres commerciaux en centre-ville, les habitants ont été chassés du cœur vers la Un concours de périphérie, à l’instar de Paris sous le second empire ou des villes américaines au XXe prestige entre siècle. La course effrénée au gigantisme n’a d’égale qu’un concours de prestige entre municipalités qui ne tient pas municipalités. Chaque ville veut afficher son bâtiment emblématique construit par un toujours compte architecte étranger, tels l’opéra de Guangzhou (Zaha Hadid), le siège de la télévision des besoins réels à Beijing (Rem Koolhaas), l’opéra du même Beijing (Paul Andreu). Les responsables locaux du Parti souhaitent briller sans tenir toujours compte de l’urbanisme et des besoins réels et cédant aux joies de la spéculation immobilière. Il en résulte que beaucoup de villes disposent aujourd’hui de plus de logements et d’infrastructures que nécessaire. Investissement massif dans la construction et spéculation immobilière intense Des mesures récentes qui ont provoqué une baisse relative des prix de l’immobilier L’investissement massif dans la construction s’accompagne d’une spéculation immobilière intense. Non seulement les prix ont excessivement augmenté depuis quelques années, mais les programmes des municipalités ont fait gonfler une bulle dangereuse. Sachant que l’immobilier représente plus de 10% du PIB, l’effondrement du secteur déstabiliserait, les comptes très fragiles des gouvernements provinciaux, dont 20% des revenus proviennent de la vente de terres. Ce problème du foncier, de son évaluation, de sa propriété floue et de sa manipulation est d’ailleurs un casse tête permanent d’ampleur nationale, faute de réforme tranchée qui lèserait trop d’intérêts. Afin d’éviter une surchauffe, le gouvernement a adopté en 2011 plusieurs mesures afin de ramener le prix du m² à des niveaux cohérents : restriction sur le crédit, interdiction d’achat d’un deuxième logement, adoption d’une taxe foncière dans certaines villes. Les effets ont été quasi immédiats, les prix ont baissé dans la majorité des grandes villes. Les ventes de logements n’ont augmenté « que » de 12% contre 19% en 2010. Aujourd’hui, la Chine construit moins d’infrastructures et plus de logements et a, par ailleurs, prévu d’investir 500 milliards d’euros dans le logement social, en construisant ou en rénovant 36 millions d’appartements d’ici 5 ans. Pour désengorger les villes, de grands efforts ont été fait dans le développement des transports en commun, en particulier le métro. Actuellement 19 Le fort villes en ont un, 17 supplémentaires devraient être construits entre 2012 et 2017. développement Celui de Shanghai est le plus long du monde avec 424 km, Beijing possédant un des transports en réseau très développé de 336 km qui rejoint la banlieue. Alors que les villes commun s’étendent toujours plus vers les banlieues, il est très difficile d’inciter les gens à prendre le métro, dans un pays où la voiture est devenue un symbole de statut social. A Beijing, la part des personnes qui vont travailler à bicyclette est passée de deux tiers en 1986 à 18% en 2010, là où pourtant 40% des trajets effectués en voiture le sont pour moins de 5 km. Depuis plusieurs années, le gouvernement réfléchit à un mode de développement des villes plus harmonieux, qui tiendrait compte de l’environnement Des questions et répondrait aux aspirations de la population, ce qui n’est pas une mince affaire. La urgentes : la situation est en effet devenue critique. Moins de 20% des villes chinoises seulement forte pollution répondraient aux standards de l’OMS en matière d’émissions de CO². Ceux qui ont des villes et le voyagé en Chine savent qu’un brouillard recouvre en quasi permanence les nombre toujours agglomérations chinoises. Mais c’est un sujet tabou : la plupart des grandes villes ne croissant publient pas d’informations sur la pollution, encore moins sur les « particules fines » d’automobiles en suspension dans l’air. La pollution est due en grande partie aux rejets industriels. Mais le nombre toujours croissant d’automobiles joue aussi un rôle important. Pour la seule année 2011, le nombre d’immatriculation d’automobiles a atteint 14,9 millions. Il y a mille voitures de plus par jour dans les rues de Beijing. L’objectif du 12e plan quinquennal (2010-2015) est de réduire de 30% à 40% ses principales émissions polluantes d’ici 2015. Nous verrons bien. L’urbanisation de la Chine est en partie le fruit de l’arrivée massive dans les villes et sur le marché du travail, des travailleurs migrants, les mingong. Le phénomène de migration massive des provinces de l’intérieur vers les régions côtières est apparu au début des années 1990. Plus de 40% de la main d’œuvre La question des travailleurs migrants, les mingong Les mingong maintenus dans une précarité économique et sociale alors qu’ils contribuent au miracle économique chinois Une population en mutation qui réclame l’égalité des droits Un défi social pour la Chine mais aussi un avantage économique chinoise est ainsi passé de l’agriculture aux secteurs de l’industrie et des services, concentrés dans les villes. Cette « population flottante » est constituée de paysans qui partent vers les grandes villes pour des raisons diverses : parce que leur terre ne suffit plus à les nourrir (0,2 hectares par famille paysanne en moyenne…), parce que tel ou tel « projet de développement » d’un cadre local du Parti les a expulsés (généralement sans compensation) ou simplement pour trouver un emploi à peu près décent, attirés par les lumières de la ville. On les estime à 150 millions, avec des variations saisonnières importantes. C’est un chiffre qui parle de lui-même ! Main d’œuvre corvéable et bon marché, ils effectuent de durs travaux souvent dans la construction, vivant le plus souvent sur les chantiers ou à proximité dans des baraquements sans confort. Les femmes, servent dans les restaurants, les magasins ou divers autres services. Alors qu’ils ont prodigieusement contribué au miracle chinois, les mingong sont maintenues dans un état de précarité sociale et économique permanent grâce au hukou. Livret d’enregistrement de résidence mis en place au début des années 1950, forme de passeport intérieur, il interdisait tout changement de ville. Assoupli depuis les années 1990, il n’est plus une entrave à la libre circulation mais demeure un outil de contrôle des flux de migrants pour les autorités locales. Sans hukou, on peut travailler, mais on n’a accès ni à l’hôpital, ni à l’école, ni à un compte en banque local, ni à aucun service et autre logement social. A Shanghai par exemple, 75% des trois millions et quelque de mingong survivent chez des marchands de sommeil, dans une grande précarité. La situation est cependant en train de changer, lentement mais sûrement. La plupart des mingong de l’industrie ont certes un emploi depuis plus de cinq ans dans la même entreprise, comme l’indiquent plusieurs enquêtes. Mais ils n’hésitent plus désormais à en changer si les salaires sont plus élevés dans une autre province. Et l’on a ainsi vu des basculements de grande ampleur entre le delta de la rivière des perles, au sud, et celui du Yangzi, à l’ouest. A noter également que le salaire minimum a été fortement augmenté l’année dernière partout en Chine et que cela a profité directement aux migrants qui selon les endroits sont parfois très recherchés pour leur savoir-faire et leur capacité de travail. Plus surprenant, et signe d’une mobilité sociale accrue, le rapport de la Commission nationale sur la population de fin 2011, fait état d’un nombre de mingong ayant fait des études supérieures en hausse, soit 5%. Intégrer cette population à la société représente un énorme défi économique et sociétal. D’ici à 2025, 300 millions de Chinois supplémentaires vont arriver en ville. L’enjeu des années qui viennent est de donner aux migrants les mêmes droits en matière de logement, d’éducation, de chômage, de retraite et de sécurité sociale. Ce n’est pas seulement une question de justice, mais aussi de bon sens économique : assimilés à la vie de la cité, ils consommeront et épargneront. On en parle depuis longtemps, mais on n’a pas encore sauté le pas, malgré de grandes déclarations tous les six mois. Ce serait une révolution politique, une déstabilisation du « contrôle social » cher aux conservateurs. Dans cette année « électorale » en Chine, on risque d’attendre encore. N.J.