Teruel et son Parador [brochure]
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Teruel et son Parador [brochure]
TERUEL : PAYSAGES ETPOPULATIONS D’INEXORABLES COEXISTENCES « 2303 ans avant la création du monde, Hercule fonda cette ville… » « En jetant les fondations de ses murailles on trouva un taureau en pierre : les uns le voulurent romain, les autres, ceux de l’adoré bœuf "Apis", l’idole vénérée, le voulurent égyptien… » ERUEL T Et Son Parador (Texte aux origines lointaines) ue l’étranger ne s’inquiète pas : il se fera une idée meilleure et plus précise de ces paysages millénaires aux géographies et aux aventures ancestrales s’il voit défiler le cours des siècles. Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler que depuis ces lieux surprenants et peu connus, on a une vue panoramique agréable sur une bonne partie de notre histoire péninsulaire méditerranéenne. Une histoire qui démarre dès les tout premiers temps. Q Lorsque les primates furent élevés au rang d’homo sapiens, ces premiers « hominidés » constituaient déjà une remarquable diversité géographique et sociologique sur ces terres montagneuses où les populations voulurent depuis toujours s'installer au-delà des mille mètres d’altitude. Les tribus paléolithiques étaient régies par des us et coutumes presque nomades : ces peuples fondèrent des demeures près des rivières et étaient à la fois chasseurs et cultivateurs. La province garde des témoignages de ses origines primitives, comme par exemple les restes de ces éléphants découverts à Puebla de Valverde ou les outils en pierre trouvés dans la cueva (grotte) de Eudoviges de Alarcon, qui démontrent aussi la présence de rhinocéros. Nous découvrons les modes de vie de gens qui passèrent sur ces terres entre cent mille et quarante mille ans avant notre ère. Ces gens-là choisirent pour habitats des refuges rocheux près des rivières… Ils vivaient de la pêche, de la chasse (chevreuils, lapins, cerfs, chevaux et sangliers) et de plantes sylvestres. TERUEL ET SON PARADOR 1 Musées dans des grottes protégées e sont en général des endroits aussi abrupts que fertiles où l’on peut voir un échantillonnage de croyances, de rites, de coutumes et d'artisanats singuliers, tout à fait représentatif de ses environs : Albarracin, Alcañiz et Alarcon sont des exemplaires caractéristiques des préoccupations vitales et des croyances primitives. Il reste encore des traces de ces arts et de ces philosophies, représentées de façon rudimentaire dans les nombreuses cavités (abris) découvertes autour de 1903. C Longtemps après (environ 2500 ans avant notre ère) des temps – pour l’époque, modernes et innovateurs – arrivèrent. Il y eut une forte croissance démographique et l’agriculture fut domestiquée. Quant à la céramique, elle prit un tel essor qu’elle devint un artisanat semi industriel et un produit d’exportation ou d’échange. Les modes de vie et les usages funéraires se transformèrent aussi : inhumation des morts, résurrection de la vie après la mort. Et les arts métallurgiques se consolidèrent. nouvelles et surprenantes et apportèrent une religiosité révolutionnaire et une organisation sociale réglementée dont les normes et les peines étaient rigoureusement établies. Ce seront les premiers balbutiements de ce que l’on connaît encore aujourd’hui sous le nom de droit romain. Dès que les navigateurs grecs se rendirent compte des richesses que la Méditerranée abritait, ils débarquèrent et nous léguèrent de savants enseignements : le four pour transformer l’argile, de la vaisselle utile pour la vie quotidienne, de nombreuses pièces ornementales, et bien d’autres choses encore relatives à la fabrication, la pensée et les décisions personnelles. Des techniques de base pour l’industrie textile, la métallurgie et la charpenterie… Des règles et des procédés commerciaux. Et presque en même temps, les impériaux et impérieux Romains. Et ainsi, assez vite pour l’époque, mais tard pour notre calendrier, naissent dans ces paysages les fertiles époques celtes, appelées âge de bronze. C’est l'invasion bénéfique des cultures provenant de l’Europe du nord. Et dès le début du VIe siècle avant J.-C., ces terres ibériques connut une autre croissance artistique, religieuse et culturelle quand des bateaux méditerranéens remplis de Grecs et de Phéniciens débarquèrent sur ces côtes : ils venaient, chargés d’idées et de coutumes, sur ces terres ibériques TERUEL ROMANE INVINCIBLE ET PERDANTE l est évident que Teruel naît à l’époque des Romains. Cela se passa 200 ans avant notre ère chrétienne, après la conquête de Cartago Nova, appelée aujourd’hui Carthagène, après des guerres et guérillas féroces entre deux armées puissantes et ambitieuses qui allaient inévitablement impliquer le Bas Aragon. Ces peuplades seront détruites et abandonnées vers la fin du IIIe siècle avant J.-C. Finalement, au 1er siècle avant J.-C., une grande partie de cette région connaîtra et fera siens des systèmes innovateurs, des procédés politiques et des comportements économiques : on frappe des monnaies exclusives pour la péninsule ibérique. Rome concède et impose le latin comme langue de culte et autochtone. On établit des échanges commerciaux stables et permanents. Ces peuples de Teruel s’impliquèrent de façon active dans le tribunal juridique d’Auguste César… I Le lieu qu’occupe aujourd’hui le Parador a sans aucun doute connu et subi les guerres prolongées et sanglantes entre Carthaginois et Romains. En fin de compte, le processus de romanisation se 2 TERUEL ET SON PARADOR consolide avec l’établissement de nouvelles colonies : Celsa, à Velilla de Ebro et bientôt Cesaraugusta. C’est précisément là que les normes du code romain sont implantées dans toute leur amplitude et leur profondeur. Dans la plupart des régions, les habitants de Teruel continuèrent à peupler les terres les plus plates. Ils surent se réfugier dans des régions rurales qu’ils cultivaient eux-mêmes et exploitaient économiquement. Il existait déjà un remarquable réseau routier : il y avait une chaussée romaine capable de relier Cesaraugusta à Calamocha d’où partaient deux routes : l’occidentale qui communiquait avec le Tage et la Meseta (plateau) inférieure et l’autre qui partait vers le sud et les côtes, et grimpait sur les eaux du Jiloca à la recherche du fleuve Turia. TEMPS FERTILES DE MAURES ET CHRÉTIENS ET D’AMANTS MUDÉJARS ’est le roi aragonais Alfonso II qui, au début du XIIe siècle, conçut la prodigieuse Teruel. C’était une époque où régnait un esprit frontalier au caractère permissif, partagé par les Maures et les Chrétiens ; les uns dans un désir de conquête, les autres dans un but impérieux de repeuplement. Avec l’habileté et la ruse propres aux siècles médiévaux, le roi Alfonso II arriva à se libérer de la domination de la Castille. Durant une période fort longue, la ville et ses régions connurent des conspirations, des vengeances et des trahisons de tous contre tous… Parmi eux, les « ladinos », gens qu’on disait hypocrites. Le roi Jaime I d’Aragon sera finalement le stratège et l’artisan de la consolidation définitive des peuplades de Teruel à la même époque où la Valence maure et puissante fut conquise et asservie à la cause chrétienne. C C’est de là que naquit la légende des « Amants de Teruel », beau et ombrageux mélodrame, topique réitéré par les bons et les mauvais écrivains. Entre-temps, et avec toutes les nuances dont le visiteur pourra se douter, il y eut de grands intermèdes. Ces régions frontalières exigèrent des deux côtés d’indispensables cessions et accords. Des accords faits pour définir des normes de cohabitation tolérables autant pour les Arabes envahisseurs que pour les sacro-saints conquérants. Des formules éclectiques furent établies : les lois et les infractions furent arbitrées librement, formule efficace qui convenait aux deux géographies et aux différentes religions : de cette lutte, naîtra la nécessité des « foralidades »… (normes relatives aux privilèges). Entre-temps, le roi Jaime I dessine d’autres territoires basés sur de généreux privilèges et potentiellement autonomes. Les juridictions modèles de Teruel répartirent privilèges, droits et devoirs à tous les citoyens, conditionnés par les risques évidents – car frontaliers – des fréquentes invasions musulmanes. Ce ne sera pas encore suffisant : il fut indispensable de repeupler ces terres avec des paysans voisins qui étaient en même temps de véritables défenseurs de leur terre : des gens au passé douteux, capables de gouverner des « terres vastes et longues » bien cultivées et encore mieux défendues. Et en échange, indépendantes. De plus, le passé des nouveaux colons n’avait pas d’importance, seule comptait leur contribution à l’essor de l’ensemble de la localité ou de la région. Finalement le lecteur pourra bien s’imaginer que cette avalanche sera un mélange d’aventuriers, de proscrits et de personnes au passé douteux et au présent ombrageux. La juridiction d’Alfonso dit ce qui suit : « Avec bon cœur et bonne volonté envers l’exaltation de la sainte chrétienté et la confusion des ennemis de la Croix… je fais et peuple un village à l’endroit choisi… et je concède, à ceux qui le peupleront, tous ces privilèges et bonnes coutumes qu’ils me demanderont et tous ceux qu’ils voudront me demander à partir de maintenant… » afin que tous « les infançons et roturiers de Teruel jouissent d’une juridiction qui les protège… ». (“ ...con franco corazón y con buena voluntad a exaltación de la Santa cristiandad y a confusión de los enemigos de la Cruz, ...”Fago et pueblo una villa en el lugar qual dicen... et otorgo a los dichos pobladores todos aquellos fueros y todas las buenas costumbres las cuales a mi pedirán y a provecho de ellos de aquí en adelante podrán demandar...” De tal manera que “...infanzones e villanos en Teruel todos ayan un fuero”...) La réalité sera bien moins démocratique et beaucoup plus sévère et macabre qu’on ne l’imagine. L’ordonnance pénale établit de terribles châtiments : on brûle les adultères, les homosexuels, les bigames, les entremetteuses et ceux qui violent une femme mariée. On enterre vivant, sous le mort, le traître assassin ; on fait mourir de faim l’ennemi qui ne peut pas payer la peine ou l’amende ; on dépèce celui qui tue le maître du village… on mutile les seins… on castre, on pend celui qui viole une bonne sœur… on pratique les rituels mythiques du fer incandescent : la preuve de culpabilité ou d’innocence imposait que le suspect attrape avec sa main lavée le fer rougi puis, après l’avoir fermée, on la recouvre de cire et on la bande avec un morceau de tissu. Trois jours après on la découvre : si elle est brûlée, c’est la preuve irréfutable de sa culpabilité mais si elle est saine c’était un miracle qu’on appelait « la preuve de Dieu ». Au fil du temps, qui furent des siècles, l’histoire et les habitants - cultivés – décidèrent, en toute conscience et responsabilité belligérante, de dessiner leur géographie de l’autre côté des frontières de l’invasion des Francs. Ils résistèrent et se retranchèrent avec des faits et gestes remarquables mais finalement ils furent vaincus. INQUISITEURS ET AMBITIONS PÉCHERESSES u milieu du XVe siècle, le roi Fernando convoqua les « cortes » pour définir les lieux les plus adéquats pour les actions du Saint Office, avec l’accord préalable et l’appui de la bulle papale du pape Sixto IV. On destina à cette ville l’inquisiteur frère Juan Colivera, et ses ministres correspondants : le notaire, Juan Ruiz de Calcenar et l’alguazil Miguel Chanz. Ils s’installèrent à l’extérieur du village dans le monastère de Jesus Cristo, connu sous le nom de monastère de la Merced. A Face à ces mauvais augures, le conseil, conforté par les sentiments des habitants, refusa l’entrée aux redoutables inquisiteurs, invoquant le danger d’atteinte à un privilège : ils trouvèrent cependant en la localité voisine de Cella, un bon accueil et ils y établirent le centre d’opérations du Tribunal du Saint Office. Voyant l’intolérable attitude des habitants, l’ inquisiteur persistant et inflexible fixa, dans l’église de Villarquemado, une cédule disant que TERUEL ET SON PARADOR 3 Teruel serait dès lors excommuniée. Tous les membres du conseil furent accusés de « protecteurs d’hérétiques » pour s’être opposés aux offices du Saint Office. En outre, les autorités municipales firent « creuser un trou profond avec un bâton cloué au centre, entouré d’un tas de pierres pour lapider les inquisiteurs s’ils osaient entrer dans la ville ou toute autre personne qui porterait des lettres du roi ». Martin de Burgos en personne déposa une plainte « pour avoir été fait prisonnier plus de huit jours avec des chaînes au cou pour le seul motif d’avoir apporté à la ville la lettre de monseigneur l’archevêque au prieur du clergé… » Il y eut des procès arbitraires, comme celui qui suit, contre le chanoine Juan Ram qui était déjà mort : le Tribunal ordonna qu’on « retire le corps et les os de sa sépulture ». (“cuerpo y huesos sean sacados de su sepultura”). En revanche, on accorde trois ans d’indulgence aux « personnes qui montreront les sépultures où sont enterrés les hérétiques ; trois ans de plus à ceux qui les aideraient à les déterrer et encore trois supplémentaires à ceux qui apporteraient des bûches pour brûler leur os… » (“personas que muestren las sepulturas donde los dichos heréticos estén enterrados; y otros tres años a los que ayuden a desenterrarlos. Y aún otros tres a los que acarrearan leña para quemar sus huesos...”) Mais peut-être existe-t-il des explications plus plausibles : le monarque aurait appuyé l’Inquisition car les nombreux procès lui auraient procuré des quantités d’argent considérables. Et en même temps les habitants de Teruel étaient conscients que la répression féroce envers les Juifs représenterait une irréversible faillite économique pour la région. La thèse n’est en rien tirée par les cheveux vu les revenus perçus par la couronne, supérieurs à 230 000 soldes, alors que les bénéfices du tribunal auraient été d’environ 23 000 soldes par an. Beaucoup plus tard, jusqu’au milieu du siècle dernier, dans ces régions proches et lointaines, apparurent des guérilleros fugaces et spontanés connus comme « los Maquis » aux idées nobles et aux vilaines manières, mais qui étaient protégés dans la mesure du possible par des habitants généreux, quoique timides et timorés. Mais, surtout, les « Maquis » étaient des personnes courageuses et volontaires luttant pour une cause commune appelée l’Europe libre et démocratique. Finalement après d’innombrables avatars, le vingtième siècle verra le jour : il est important de rappeler que ce siècle dut faire face à de graves problèmes : gouvernements et constitutions ratées comme celle de Cadix, nommée « la Pepa », mère des constitutions passées et futures. Sans oublier les deux républiques, dont les intentions furent meilleures que les résultats, davantage à cause des conspirations de caciques et de grands propriétaires terriens que par la volonté de la grande majorité des populations. Une importante proportion d’intellectuels dut émigrer. Et ils furent accueillis dans des pays de culture similaire comme le Mexique ou l’Argentine. D’autres choisirent l’aventure économique dans des pays dits du futur comme le Canada ou la Nouvelle Zélande. « Nous partîmes nombreux en Belgique, Londres ou Suède à la recherche de nouveaux horizons et nous y trouvâmes la démocratie… » Le visiteur peut se réjouir d’être installé aujourd’hui dans un Parador au coeur d'une région aussi privilégiée qu’insolite, où cohabitent avec les plus lointaines époques préhistoriques les arts, l’artisanat, les techniques et les technologies perses, arabes, romanes, gothiques et même modernes… Le voyageur se trouve au milieu d'idées et de croyances médiévales. Et de révoltes et de révolutions contraires et contradictoires… mais ces régions sont fertiles et fécondes, aimables, agréables et excessivement gratifiantes. Le visiteur ne pourra pas l’éviter : ces contrées ne peuvent ni ne veulent oublier la tragique bataille de Teruel, de réputation lamentablement universelle : après d’éternelles révoltes, ces habitants de Teruel asservis par leur histoire connaîtront et souffriront d’innombrables vicissitudes et de surprenants changements de gouvernements et même de leur propre identité. Aujourd’hui encore, demeurent quelques images tragiques de cette guerre injustement appelée Civile. En fait, on la raconta aux citoyens comme une espèce de croisade, et elle fut une épopée inscrite en lettres indélébiles : « La Bataille de Teruel » LA BATAILLE DU « JAMAIS PLUS » (« De décembre 1937 à février 1939, le destin de l’Espagne et d’une certaine façon d’une partie de l’Europe se joua à Teruel... C’est une histoire qui ne doit ni ne peut jamais plus se répéter ») Manuel Tuñon de Lara, Historien contemporain e n’est pas une nouveauté, tout le monde le sait et tout le monde l’a subie : cette guerre Civile espagnole fut essentiellement une répétition ou une lutte armée servant à esquisser tactiques, stratégies et C 4 TERUEL ET SON PARADOR armements pour affronter la Seconde Guerre mondiale : la domination des puissances européennes étaient en jeu, la péninsule ibérique ne fut qu’un champ d’essai. Avec des gouvernements en conflit et des idéologies opposées qui engendrèrent la confrontation : d’un côté la République garantie par les urnes, de l’autre l’armée rebelle – chef de la cause salvatrice – convertie en croisade des classes militaires commandées par le général Franco, très tôt nommé Généralissime, général espagnol méritant, ayant gagné d’honorifiques médailles durant la guerre d’Afrique. Les forces en présence étaient inégales : les « nacionales » (miliciens) avaient une armée professionnelle et disciplinée dotée d’une hiérarchie très réglementée. Quant aux Républicains, les défenseurs démocratiques – divisés en factions et idéologies contradictoires et parfois opposées –, ils étaient davantage un peuple en armes qu’une armée. Ils n’avaient ni formation ni expérience et pas d’autres armes que leurs convictions républicaines. Ce fut donc une guerre déséquilibrée plus propice aux intérêts d'autres pays qu’à ceux de la péninsule. L’histoire de cette Europe enflammée pour ou contre les révolutions communistes allait être la nouvelle croisée salvatrice. De courageux jeunes gens furent convoqués pour servir la cause d’un parti ou d’un autre et donc d’une idéologie ou d’une autre… et s'y ajoutaient de puissantes ambitions politiques et économiques. De la féroce dictature du pouvoir, naquit le libertinage du marché noir, pratique étendue et spéculative servant à augmenter jusqu’à des limites insoupçonnées l’exploitation de la misère et pauvreté de tous les citoyens. fusil et utilisaient seulement des grenades auxquelles ils arrachaient la sécurité avec leurs dents» Durant cet hiver particulièrement cruel pour les combattants, le climat fut un facteur déterminant, et les deux armées manquaient des protections minimales pour supporter des températures qui fréquemment pouvaient atteindre moins 18 degrés. « Un immense drap blanc, la neige, qui immédiatement crée des couches épaisses de glace recouvre les horizons, fait exploser les moteurs et les dépôts d’eau. On connaît le cas de soldats qui sont morts collés au volant de leur véhicule. » (Miguel Aznar) Ce n’est pas fréquent qu’un poète soit aussi un combattant pour une cause belliqueuse. Et pourtant ce fut le cas de Miguel Hernandez, soldat républicain qui voulut, sut et put appuyer la cause de la République constitutionnelle. Voici ce que dit une harangue engagée qu’il prononça : Voici quelques citations de l’historien Tuñon de Lara qui orienteront peutêtre le lecteur sur les attitudes et les héroïsmes chaotiques et contradictoires de cette inutile bataille du « jamais plus ». Le voyageur doit garder présent à l’esprit que ces terres étaient bien plus qu’une convoitise militaire et économique : c’était des objectifs géostratégiques pour diviser ou retrancher les avancées militaires. « Le général Franco, installé dans son quartier général situé dans un train habilité pour cela, se souvient que la place de Teruel dispose de restes de canalisations, d’anciens puits, de vins et d’autres articles qui doivent être soigneusement rationnés. La chute du centre de résistance ne doit ni décourager ni justifier sa défaillance. S’il arrive qu’un commandant défaille, il doit être immédiatement remplacé par le plus efficace de ses inférieurs... » Durant ces hivers-là, les deux armées luttaient contre des ennemis communs : l’armement inégal – qui jouait en faveur des franquistes soulevés – et les rudesses météorologiques : « Certains lançaient des rafales de mitraillettes pour pouvoir ensuite se réchauffer les mains dans le tube chaud de l’arme... D’autres avaient les mains si crispées qu’ils ne pouvaient pas se servir du “...En las sierras de Teruel, alturas donde se registran las menores temperaturas de España, los soldados de la 11 División han observado y observan una conducta de metal inquebrantable...La nieve, el viento, el frío, el enemigo, se han clavado con intensidad en estos inviernos, dispuestos a devorar las orejas, a cuajar el aliento...la nieve, el frío, el viento, el enemigo han combatido el espíritu de piedra que los arma; pero no han conseguido ablandar, ni han hecho desfallecer esa piedra roja, furiosa y cálida...”. « Dans les montagnes de Teruel, hauteurs où sont enregistrées les plus basses températures d’Espagne, les soldats de la XIe division ont observé et observent une conduite de fer inébranlable... La neige, le vent, le froid, l’ennemi, se sont agrippés avec intensité à ces hivers, prêts à dévorer les oreilles, à congeler l’haleine... la neige, le froid, le vent, l’ennemi ont combattu l’esprit de pierre qui les arme ; mais ils n’ont pas réussi à ramollir ni à faire défaillir cette pierre rouge, furieuse et chaude. » Tels sont ces généreux efforts, faits presque toujours par devoir moral et militaire, avec de fréquents sacrifices d' amis, de familles et de leurs propres vies… Mais le résultat sera décidé par l’histoire, maîtresse déloyale qui penche toujours pour les plus forts. FOURNEAUX SAVANTS, ÉLÉMENTAIRES ET SACRO-SAINTS « Sans cuisine, pas de salut ; ni dans ce monde, ni dans l’autre... Et sans vin, pas de cuisine... » Pedro Mourlane Michelena I l faut le reconnaître ; la plupart de ces sages préambules gastronomiques et de ces remarquables réflexions proviennent de la plume de Dario Vidal Llisteri, érudit et spécialiste des arts « les fruits favorisent la tempérance; les viandes et le gibier, la violence; le poisson, la vivacité de l’esprit et les fruits de mer poussent aux activités les plus gratifiantes et ludiques qui sont celles de l’amour » Et avec tout ça, le souffle vital de la boisson : « Le vin est ingénieux, généreux et sociable. Mais le liquide blond de l’orge est une liqueur éteinte et silencieuse, faite de brumes et de coutumes plutôt solitaires. » culinaires. TERUEL ET SON PARADOR 5 « Je ne suis pas du tout choqué que la bière te plaise ; c’est tout à fait normal puisqu’elle est faite avec de l’orge » Mais le visiteur ne doit pas s'y tromper : la plupart de ces fourneaux se vouent à leur aliment sacré, le porc. Les produits de la chasse ne sont pas choses rares sur ces terres, bien au contraire, et ils sont toujours accompagnés de légumes insolites et de fruits, comme les melons de Calanda ou de l’une de ces vallées aux alentours. Cervantès en louait les mérites. Lorsque, à cette époque-là, le sage écrivain se débattait entre aventures et mésaventures, il dédia ces quelques lignes au fromage : “...uno de los mejores quesos de aquestas Españas: es el llamado queso de “Tronchón”. « l’un des meilleurs fromages d’Espagne est le Tronchon : prodige miraculeux élaboré avec du lait des brebis qui mordillent et ronronnent sur les rives orientales des Maestrazgos (territoires) ». Il en parla aussi quand il relata l’épisode de la Dueña Dolorida (Maîtresse Endolorie) à propos du morceau que lui donna Teresa Sancho “Y tras la injusta derrota frente al caballero de la Blanca Luna algún generoso o misericordioso catalán; quiso ofrecerlo a éstos dudosamente venturosos, por arriesgados, por aventureros...” « Et après l’injuste défaite du chevalier de la Blanca Luna (Blanche Lune), un Catalan généreux ou miséricordieux voulut offrir à ces aventuriers téméraires… », et en partant de Barcelone, chevalier et écuyer rencontrent un noble chevalier qui leur offrit “una calabaza llena de lo caro, con no se sabe cuantas rajitas de queso de tronchón...”. « une calebasse pleine de nombreuses tranches de fromage de Tronchon ». Quelques années plus tard, quand le comte de Arana devint diplomate, il voulut apporter aux Tuileries quelques morceaux de ces fromages de « Tronchon » : les palais des courtisans furent agréablement surpris. Les éloges de Louis XVI et de Marie-Antoinette, surpris par un mets si extraordinaire procédant du sud ibérique, furent dithyrambiques. Il reste encore à parler d’un autre phénomène, la transformation des céréales. Ce miracle presque chimique qui consiste à convertir un fruit, propice à la fabrication de desserts, en vins et liqueurs aux goûts d’étranges rêveries… ESSENCES ET SAGESSES CULINAIRES A rrivé à ce point du récit, le voyageur aura sans doute envie de déambuler par lui-même dans cette ville coquette mais petite, exemple d’arts et d’artisanats mudéjars ; de parler avec ces gens pour savoir où et avec qui ils cohabitent ; peut-être même de boire un café ou un verre, confortablement installé dans les belles pièces de ce Parador. Mais si ce n’est pas le cas, nous continuerons à vous offrir d’autres informations gastronomiques. Vous êtes à présent dans la région du vin et du pain, c’est-à-dire des essences primaires de l’alimentation du genre humain. Et il faudra parler, sans inutiles préambules, des arts et artisanats culinaires. Dans tous ces paysages – qui comprennent bien plus que les deux plateaux – les cultures de céréales sont ancestrales et, encore aujourd’hui, la base essentielle pour l'alimentation de très nombreuses populations, qui, par ailleurs, représentent une partie très importante de la population totale de notre péninsule. Le voyageur est à présent installé dans ces géographies belles et surprenantes et, qu’il le veuille ou non, il est entouré de gastronomies étonnantes. Dans presque toute la région, le voyageur occasionnel ou le visiteur fidèle et connaisseur auront d’agréables surprises : un plat insolite, peutêtre un poisson ou un fromage inconnu… Ou des tavernes, cafétérias ou 6 TERUEL ET SON PARADOR bars où l’on savoure avec davantage de plaisir la « tapa » que le vin ou la bière. Mais disons-le clairement, partout ici, on dort et on mange à la perfection. Il serait bon que le voyageur se renseigne auprès d’un habitant de Teruel ou mieux encore à la réception du Parador. Dans toutes ces régions s'implantèrent des coutumes qui se transformèrent en cultures culinaires classiques ou ancestrales, et qui très probablement commencèrent spontanément par la culture des céréales, dont l’orge, l’avoine ou le seigle, de moindre rendement. A cette époque-là comme aujourd'hui, le blé, transformé en pain, sera converti en « gachas » ou « farinetes » (bouillies durcies), ingénieuse mixture que les Romains appelèrent « Palte » Pour se faire comprendre, ce sont des sortes de pizzas. Ces plats sont les cousins ou les neveux du « gofio » des Canaries. LA RECETTE SECRÈTE Ces habitants se vantent de leur simplicité mais il n’en est rien : ils ne dévoilent pas certaines recettes artisanales –aussi artisanales que magiques. Non pas qu'ils veuillent les garder secrètes mais ils ne veulent pas confondre rites et recettes qui sont devenues des formules aussi magistrales que simples. Dans ce Parador, mais aussi dans d’autres Paradors des environs, le voyageur pourra goûter de très nombreuses symphonies culinaires. En voici quelques-unes dictées par les cuisiniers de cet établissement. Sopa de Teruel al Perolico : soupe à base de pain, d’ail, de paprika, d’un peu d’œuf dur et de morceaux de jambon cru. Huevos al salmorejo : savoureux mélange d’asperges, de saucisse et de filet de porc. Et les « migas » (mies de pain imbibées de lait et frites avec des lardons) typiques de la région. Sans oublier les « ternascos asados » (agneau de lait rôti) ; et le « cordero a la pastora » (agneau aux pommes de terre) ou les tranches de « merluza a la baturra » (colin à la sauce tomate et au vin blanc). Aucune recette, même pourvue des mêmes ingrédients, n’est comparable… Et ne parlons pas des légumes que ces terres savent si bien cultiver mais si mal exporter. ALBARRACIN : UNE VISITE OBLIGÉE ù tout est superlatif et extrême, ses flots de soleil verticaux et ses blocs de roches accidentés. Terres assoiffées et vallées trempées de flots de verdure dans ces monts où le Guadalquivir forme presque une mer. O Des armées sylvestres d’envahissantes pinèdes, de chênaies et de genévriers d’une beauté tortueuse, de buis, de sabines mystérieuses, imperturbables, dans d’impies régions désertiques. Albarracin dressée fièrement entre ces rochers capables d’intimider les vertigineuses hauteurs de New York, comme le prédit l’avant-gardiste Antonio Cano, originaire de Teruel. Sangliers, cerfs orgueilleux, loutres craintives, faucons, aigles, rapaces et éperviers scrutent et accompagnent le voyageur… Terres, montagnes et personnes qui rendirent jaloux Richard Ford, marcheur et chroniqueur impénitent, quand il vint ici pour y habiter et y écrire : « Le cheval amène le voyageur jusqu'aux montagnes noueuses d’Albarracin… De Checa, on va à Tremedal qui se trouve à droite près d’Orihuela. Pendant longtemps, cet endroit fut célèbre pour sa hauteur et son image descendue du ciel pour laquelle on faisait des pèlerinages. » Le lecteur pénitent qui s’approchera de ces monts, sans doute après s’être arrêté dans la capitale modeste et fièrement mudéjare, arrivera en traversant un bref, concis et savoureux apéritif de l’histoire lointaine de ces peuples dont l’origine est aussi lointaine que le pèlerin peut l'imaginer. Partout sont présents les souvenirs et même les traces de pas de ses ancêtres, peintres rupestres qui trouvèrent là d'abrupts abris. Des moulins en pierre, des céramiques, des restes de maison de l’âge de bronze et des preuves de modes de vie et de mort abondantes dans ces environs. Il y a vingt-six siècles, les Grecs marchèrent dans les mêmes sentiers. C’étaient les premiers maîtres potiers, des charpentiers, des forgerons « et ils pratiquèrent avec une telle maîtrise l’art de la guerre que de nombreux cavaliers nés sur ces terres furent emmenés pour lutter contre les Romains en Italie… » Le voyageur verra un surprenant échantillon de l’ingénierie du Romain, capable de construire l’invraisemblable aqueduc creusé dans la roche pour conduire les eaux du Guadalquivir, entre Albarracin et Gea, jusqu’à Cella. Comme le savent et le racontent très bien ces habitants, un si singulier engin n’est pas dû à la main faible de l’homme mais à la passion charnelle purifiée. Son grand fondateur fut un Maure amoureux : le jeune Aben Meruan, de Albarracin, tomba sous le charme de la très belle Zaida, fille du puissant seigneur de Cella. Le père, maure, gardant jalousement la vertu de sa fille, imposa à l’amant une impossible condition, pour empêcher, sans interdire, l’union entre deux enfants d’Allah. Aben devait conduire les eaux depuis Albarracin jusqu’aux citernes de son château, à Cella, courant de haut en bas de la montagne : « Le jeune Maure pria son Dieu mais comme les commandements de la nature ne changeaient pas, il implora Notre Seigneur, le véritable Dieu, converti ainsi à la foi chrétienne… Ce miracle ouvrit la voie à la foi de nombreux infidèles… » Autrefois, passèrent de nombreux Arabes, Maures et Berbères dans ces décors fascinants. La plupart des habitants wisigoths devinrent opportunément renégats, avant tout pour ne pas avoir à quitter cette région montagneuse. Mais ils surent cohabiter avec d’autres groupes réduits de Mozarabes chrétiens et juifs. Ce jumelage rebelle et tourmenté partagea terres, offices, dieux et amours, et ils réussirent ensemble une indépendance orgueilleuse gouvernée par la saga berbère des Banu Razin. Albarracin devint la belle et vaniteuse capitale – presque telle qu’elle est aujourd’hui – d’un royaume Taifa puissant et redoutable qui donna beaucoup de fil à retordre à l’obstiné conquérant chrétien. Sur ces terres, campa le légendaire roi « Lobo » (Loup) « heureux de s’habiller et de parler comme les chrétiens » et guérillero si valeureux qu’il mit dans l’embarras d’insignes croisés comme le Cid Campeador ou le « Guerrero del Antifaz » (Guerrier au Masque). L’un ou l’autre de ces chevaliers, on ne sait pas exactement lequel, fut acculé par les armées du « Lobo » contre un profond précipice : coursier et chevalier franchirent l’abîme d’un seul bond si puissamment et si violemment que le cheval laissa pour toujours l’empreinte de ses pas dans la roche, après avoir élégamment sauté le ravin. Le voyageur le plus incrédule peut voir encore aujourd’hui les traces du cheval dans le Barrancohondo du cristallin Guadalaviar. Le roi Lobo, rassasié de tant de gloire, livra gracieusement son royaume de Taifa de Albarracin au seigneur Ruiz de Azagra, convaincu de garder ainsi une indépendance certaine quoique tributaire. Finalement, la foi véritable s’imposa. Plus tard, ces territoires d'Estrémadure aragonaise furent le théâtre de populations qui remplissaient la double condition de paysans pacifiques et de soldats aguerris. On arbitra les us et coutumes. On régula la cohabitation entre Maures, Juifs et Chrétiens, on établit des juridictions : « Chrétiens, Maures et Juifs auront les mêmes lois et les mêmes coutumes… », concéda le roi Alfonso II. TERUEL ET SON PARADOR 7 Au milieu de ce purgatoire rédempteur, la région connut aussi une certaine prospérité. Albarracin et les villages aux alentours étaient dotés de beaucoup de moyens : églises, marchés, moulins, fours et services sanitaires pour des habitants industrieux; y cohabitaient artisans tisseurs, cordonniers, charrons, forgerons, barbiers, chirurgiens, commerçants et bergers de chèvres ou de brebis. Le bétail fut à l'origine d'une appréciable industrie textile « grâce au soin que prirent les habitants de la région à améliorer la race des brebis ». Les mines de fer procurèrent peu d’argent mais formèrent d’abondants et de remarquables forgeurs comme le voyageur pourra le remarquer. Sur ces terres fleurit un humanisme particulier avec des œuvres universelles comme L’épopée tragique des amants de Teruel ou le Catéchisme de la Doctrine Chrétienne, (“Epopeya trágica de los Amantes de Teruel” o el “Catecismo de la Doctrina Cristiana”) écrit par Jeronimo Ripalda il y a quatre cents ans, et que certains d’entre nous ont eu l’occasion de réciter. Un évêque, Bernardino Gomez de Albarracin, écrivit même le Manual contra el morbo que llaman la gota (Manuel contre la maladie de la goutte) dont l’efficacité fut telle que le livre fit plus d’un tour en Espagne. Ce glorieux et brûlant Albarracin, fier royaume Taifa au VIe siècle, sut proroger son indépendance pendant plus d’un siècle. Et ce n’est qu’au XVIIIe que les décrets de Nueva Planta de Felipe V réussirent avec beaucoup de difficultés à abolir, mais non à rejeter complètement, la vocation autonomiste de cette fascinante région de Teruel, divisée et endolorie, qui vit passer des armées d’hommes peints en rouge et bleu et des noms comme Lister ou Miguel Hernandez, dont le verbe est infailliblement rédempteur. Mais il reste encore beaucoup à voir, et si le voyageur en a le temps et l’envie, nous lui suggérons de ne pas y renoncer et d’explorer ces paysages peu connus. Qu’il veuille aller à tel endroit ou à tel autre, nous lui conseillons de s’informer à la réception du Parador. Parador de Teruel Ctra. Sagunto-Burgos, N-234. 44080 Teruel Tel.: 978 60 18 00 - Fax: 978 60 86 12 e-mail: [email protected] Centrale de Reservations Requena, 3. 28013 Madrid (España) Tel.: 902 54 79 79 - Fax: 902 52 54 32 www.parador.es / e-mail: [email protected] wap.parador.es/wap/ Textos: Miguel García Sánchez Dibujos: Fernando Aznar 8 TERUEL ET SON PARADOR