Mal-être ou maladie mentale
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Mal-être ou maladie mentale
Article de la rubrique « Les troubles du moi : Dépression, phobies, anxiété » Mensuel N° 138 - Mai 2003 Les troubles du moi. Dépression, phobies, anxiété Mal-être ou maladie mentale ? GAËTANE CHAPELLE La dépression, l'anxiété, la phobie sont de plus en plus fréquentes. Doit-on, comme c'est la tendance, les considérer comme de vraies maladies, ou sontelles seulement la manifestation des aléas de l'existence et de la vie en société ? Au Moyen Age, et dans l'imaginaire encore récent, le fou est à lier. Il délire, hallucine ou baragouine un discours incompréhensible, peuplé d'images étranges. Au Moyen Age encore, on imaginait guérir le fou en lui ôtant du crâne sa « pierre de folie ». Mais depuis quelques décennies, il a changé de visage. L'introduction des médicaments psychotropes a permis de le sortir de l'asile, de diminuer ses symptômes les plus visibles, de lui permettre de se réintégrer socialement, à défaut d'être totalement guéri. Le fou n'est plus appelé comme tel, mais sera plutôt dit « atteint de maladie mentale ». Puis progressivement, on a commencé à entendre parler de nouvelles maladies mentales. La dépression, la première de ce que nous appellerons les troubles du moi, est devenue le mal du siècle. Chacun connaît au moins deux ou trois personnes de son entourage, quand ce n'est pas lui-même, qui est passé par un épisode dépressif plus ou moins grave, qui a suivi un traitement médicamenteux et a entamé (et poursuit parfois encore) une psychothérapie. En plus d'être devenue plus fréquente, la dépression a changé de statut, nous rendant fréquente cette exclamation : « Le (la) pauvre, il (elle) n'y peut rien, c'est une vraie maladie, tu sais ! » Après la dépression, l'anxiété et les Toc (plus scientifiquement appelés troubles obsessionnels-compulsifs) se sont eux aussi popularisés. On apprend dans la presse ou dans une émission télévisée quelles en sont les grandes caractéristiques. L'anxieux social, dans les cas extrêmes, ne sort plus de chez lui, risque la syncope dans le moindre espace bondé, est incapable d'entrer en relation avec le moindre inconnu et finit par se désinsérer totalement. L'obsessionnel-compulsif passe sa vie à se laver les mains ou à vérifier qu'il a bien fermé toutes les issues, au point de ne plus faire que cela de ses journées et de devenir incapable de la moindre activité professionnelle. Ces cas extrêmes, dont chacun comprend bien sûr le caractère pathologique, comportent tous la caractéristique de manifester des comportements, de vivre des souffrances que chacun connaît, que chacun a expérimentés au moins une fois, ou vu vivre par ses proches, à moindre intensité, certes, ou moindre fréquence. Chacun est alors en droit de se demander - d'autant plus que les psychiatres et autres psychologues proposent des thérapies chimiques ou psychologiques pour réduire souffrances et comportements inadaptés - s'il ne devrait pas lui aussi « se faire soigner ». Comment en effet savoir si le timide est un phobique social, le maniaque du rangement un obsessionnel compulsif, le colérique une personnalité border line, l'enfant agité un hyperactif et le pessimiste un dépressif qui s'ignore ? Quand se soigner ? Comment, en un mot, faire la différence entre la maladie et la souffrance due aux aléas de l'existence humaine ? Folie, maladie mentale, questionnement existentiel, la frontière entre ces états est difficile à établir. A partir de quand, de quel comportement, de quelle intensité de trouble, de quelle souffrance passe-t-on du normal au pathologique, fait-on un diagnostic, envisage-t-on la nécessité de soigner ? Ces questions renvoient à un problème que les spécialistes en psychopathologie débattent depuis des siècles : l'étiquetage et la classification des maladies mentales, la « nosologie ». Il s'agit d'un problème essentiel, puisque, en définissant les maladies mentales, on définit par la négative ce qui n'en fait pas partie. Toute nouvelle catégorie, toute nouvelle définition peut ainsi faire passer le « normal » du côté de la pathologie et inversement. Dès l'Antiquité grecque, les médecins et philosophes avaient tenté de dénommer les affections mentales et de les expliquer. Les écrits hippocratiques en décrivent plusieurs, comme la manie, l'épilepsie, l'anoïa (qui deviendra en latin amentia ou dementia), l'hystérie ou la mélancolie. Jusqu'à la Renaissance, Hippocrate et Galien régneront en maîtres. Et il faut attendre l'époque des Lumières, sous l'influence grandissante de la pensée scientifique moderne, pour que les traditions dogmatiques perdent du terrain et qu'une psychologie concrète, basée sur l'expérience pratique, sur des récits autobiographiques ou des romans d'éducation, prenne de l'ampleur. La folie de la description et de la classification produira alors toutes sortes de nouvelles maladies. Mais ce dont les médecins parlaient à cette époque est bien différent de ces troubles du moi dont nous observons « l'épidémie » dans notre société contemporaine. Au xviiie siècle, il s'agit de ce que le langage populaire appelait « folie », et que les médecins préféraient appeler « aliénation mentale ». Le problème posé aux médecins était de transformer les « insensés » en objets de science, de « laïciser » leur statut, de les sortir de l'image sacrée ou diabolique que l'opinion populaire avait de leur folie. La médicalisation de la folie devenait seule légitime. Et devait par ailleurs répondre à des problèmes très concrets : aider les magistrats à décider s'il fallait ou non enfermer le coupable de comportements déviants, s'il fallait l'envoyer en prison, en asile ou le laisser libre. La classification que propose un certain Daquin en 1792 est très révélatrice de cette nécessité d'utilité pratique immédiate. Il classait les aliénés en six groupes, auxquels étaient associés les traitements à appliquer : les fous furieux (ou « fous à lier »), les fous tranquilles (à enfermer sans les attacher), les extravagants (à surveiller constamment), les insensés (à conduire comme des enfants) et les fous en démence (ayant besoin de soins physiques) (1). La médicalisation de la folie correspond par ailleurs à l'idée d'une aliénation mentale comme maladie unique et distincte de toutes les autres. L'oeuvre de Philippe Pinel (1745-1826) est fondée sur cette idée, comme celle de ses contemporains allemands, italiens ou anglais. Le célèbre médecin qui, selon la légende, « détacha les chaînes des aliénés », délimite la notion d'aliénation mentale, champ propre de la médecine mentale, en excluant ce qu'elle ne comprend pas. Celle-ci « ne s'occupe, en tant que branche de la médecine, ni de la sottise des hommes, ni des effets de leurs faiblesses et de leurs dépravations, ni de leurs idées fausses, ni de leurs désirs fantastiques, et elle n'a que faire de ces disciplines prestigieuses et bien mal circonscrites que sont l'histoire, la morale et la politique », raconte Georges Lanteri-Laura et Luciano Del Pistoïa (2). Et de poursuivre : « Pendant deux siècles, la psychiatrie oscillera toujours entre une restriction sérieuse et une expansion laxiste de son domaine de compétence légitime. » Bien sûr, P. Pinel reconnaît que l'aliénation mentale peut prendre des aspects différents. Il décrit quatre « regroupements cliniques », qui ne sont donc pas des maladies différentes, mais des manifestations qui peuvent se succéder chez un même malade : la manie, le délire mélancolique, la démence et l'idiotisme. Les successeurs de P. Pinel, comme Etienne Esquirol (1772-1840), conserveront sa conception de la folie. Mais progressivement, l'aliénation mentale prise au singulier sera remplacée par les maladies mentales prises au pluriel. L'une des raisons de ce changement est l'impasse à laquelle menaient certaines définitions. Ainsi, pour expliquer le crime, le médecin affirme que le meurtrier était atteint de monomanie homicide, et la preuve en est qu'il tue. Une modélisation des maladies mentales Au-delà du débat qui opposera au début du xxe siècle Karl Jaspers à Emile Kraepelin l'un préférant parler de syndrome et l'autre de maladie -, ce changement de conception modifie les frontières entre le trouble mental et le reste. Là où l'aliénation impliquait que l'on soit « dedans ou dehors », la maladie mentale n'établit plus de distinction franche, tant par rapport aux déviances sociales qu'envers les autres branches de la médecine. E. Kraepelin décrit par exemple ce qu'il appelle les psychoses des quérulents. Il s'agit de personnes incapables de se remettre d'une grande douleur (deuil ou autre) qui, dans un domaine précis, deviennent passionnés et hyperactifs, outrepassent les bornes de ce que la société peut tolérer. Comment dans ces cas-là décider si ces comportements relèvent ou non de la pathologie mentale ? A la fin du xixe siècle, plusieurs théoriciens de la psychopathologie - dont Sigmund Freud, Joseph Babinski, Pierre Janet et Jules Déjerine - proposent une modélisation des maladies mentales structurée en deux grandes familles : les psychoses et les névroses. Freud fut celui qui développa le mieux cette nouvelle classification, en séparant de manière rigoureuse les « névroses actuelles » comportant l'hypocondrie, la neurasthénie et la névrose d'angoisse, et les « névroses de défense ou de transfert » englobant l'hystérie de conversion, la névrose phobique, la névrose obsessionnelle et, plus tard, les névroses de caractère. Ces deux grandes structures, psychotiques et névrotiques, évitent de se demander si les maladies mentales sont vraiment des maladies et offrent une interprétation des troubles, basée sur les notions d'inconscient, de conflit, de refoulement. Elles seront l'organisation de base du Diagnostical and Statistical Manual (DSM), des années 50 aux années 80. Une rupture se fait alors dans l'histoire de la psychiatrie, lors de la publication de la troisième version. Les auteurs du DSM-III et des versions ultérieures (III-R et IV, la dernière) veulent que tout psychiatre, confronté à n'importe quel patient, puisse faire le même diagnostic. Il s'agit donc de faire une classification a-théorique des troubles mentaux, contrairement à la version II d'inspiration psychanalytique. Ce nouveau système n'est pas adopté sans peine, et est l'objet de nombreuses batailles dans le milieu de la psychopathologie (3). La démarche symptomatique provoque un nouveau changement de terminologie : on ne parle plus de maladies mentales mais de troubles mentaux. La différence peut paraître subtile, mais elle a comme effet important de faire disparaître le cadre traditionnel des névroses. A partir du dépouillement de dossiers et de questionnaires de cohortes de patients au nombre de plus en plus élevé (pour des questions de validité statistique), l'organisation des troubles est modifiée. La névrose d'angoisse et la névrose phobique sont regroupées dans un ensemble, appelé « troubles anxieux », qui comprend le trouble panique, le trouble panique avec et sans agoraphobie, l'agoraphobie sans antécédent de trouble panique, les phobies spécifiques, la phobie sociale, les troubles obsessionnels- compulsifs, l'état de stress posttraumatique et l'état de stress aigu. La névrose obsessionnelle n'existe plus, elle est remplacée par les Toc eux-mêmes séparés récemment en deux classes : les Poc (personnalités obsessionnelles-compulsives) et le Soc (syndrome obsessionnel-compulsif). Antipsychiatrie, ethnopsychiatrie, sociologie... Malgré l'apparence a-théorique, objective et scientifique du DSM se pose inévitablement la question du sens et de la finalité d'une telle approche. Quels effets peut-elle avoir sur le regard que la société et les individus portent sur la maladie mentale, la souffrance et la manière de l'affronter ? De nombreux travaux, initiés dès les années 60, mettent l'accent sur les relations complexes qu'entretiennent la société et la maladie mentale. Henri F. Ellenberger signalait en 1960 au moins quatre problèmes dans les relations entre culture et maladie mentale : tout d'abord, la relativité du concept de maladie mentale par rapport aux cultures particulières, la spécificité culturelle de certaines maladies, les « nuances culturelles » dans les symptômes et enfin les facteurs culturels qui stimulent ou inhibent l'apparition des maladies (4). Plusieurs courants aborderont ces questions : l'antipsychiatrie d'abord, puis plus récemment l'ethnopsychiatrie, la construction sociale de la maladie mentale et l'approche sociologique. - L'antipsychiatrie est la première à voir le jour, avec Ronald Laing et David Cooper. Ce courant rend la société responsable de la maladie de certains de ses membres. Il va parfois même jusqu'à nier toute réalité à la maladie mentale, ne la concevant que comme une invention sociale, faite pour contenir tout ce qui sort des normes. Malgré ce côté radical, cette approche a eu le mérite de convaincre de l'influence des facteurs socioculturels sur la maladie et d'ouvrir la voie à toute une tradition de théories sur les relations entre culture et troubles mentaux. L'anthropologue Ruth Benedict avait par exemple montré qu'une conduite mégalomaniaque, qualifiée n'importe où de « folie des grandeurs », était considérée comme parfaitement normale chez les Kwakiutls, ou qu'une attitude de méfiance et d'hostilité paranoïaques était habituelle chez les indigènes de l'île de Dobu, etc. - L'ethnopsychiatrie, dont le fondateur est Georges Devereux, fait partie des grands courants actuels qui prennent en compte les variables sociales et culturelles de la maladie mentale. S'inspirant de l'anthropologie culturelle, de l'ethnopsychologie et de l'ethnopsychanalyse, elle étudie les rapports entre les conduites psychopathologiques et les cultures dans lesquelles ces dernières s'inscrivent. Principalement consacrée à la prise en charge thérapeutique d'individus venant d'autres cultures, elle s'intéresse également à la pathologie de l'immigration et de l'acculturation, et plus largement peut s'appliquer à toute personne soumise aux changements rapides de notre société contemporaine (5). - La construction sociale de la maladie mentale développe elle aussi, avec le philosophe et historien des sciences Ian Hacking, l'idée de relations étroites entre maladie mentale et société. Les maladies mentales seraient construites socialement, du moins certaines d'entre elles. Selon lui l'hystérie au début du xxe siècle à Vienne, ou le trouble de la personnalité multiple à la fin du xxe siècle aux Etats-Unis, sont des maladies transitoires, c'est-à-dire qui apparaissent dans un contexte particulier, se développent puis disparaissent peu à peu. Il y aurait ainsi eu, comme il le raconte dans son livre, une épidémie de fugueurs, en France, à la fin du xixe siècle, et pendant vingtdeux ans (6). Le phénomène d'épidémie se construirait par un effet de boucle entre la découverte par les médecins d'un nouveau tableau clinique et le comportement des patients. - L'approche sociologique, à laquelle appartient le sociologue Alain Ehrenberg, considère que la forme que prend la maladie mentale découle de la société dans laquelle est inséré l'individu. Il explique le « succès » croissant de la dépression par l'évolution des valeurs et normes imposées par la société contemporaine. Lorsqu'au xixe siècle l'individu dirigeait sa vie en fonction de lois rigides et imposées par la société, et se devait de tenir sa place, les troubles mentaux se manifestaient par la culpabilité, et donc l'hystérie. Mais à l'heure où l'individu est « maître de son destin », obligé de réussir, sans toutefois disposer de guide clair sur le chemin à prendre, la dépression exprime une « fatigue d'être soi »(7). Une autre thèse sociologique considère la « mode » de la dépression, de l'anxiété et autres troubles du moi comme le résultat d'une construction par l'industrie pharmaceutique, afin de vendre les molécules qui permettent de réduire ces symptômes et de rester capable de répondre aux exigences de la vie quotidienne et des relations sociales. David Healy (voir son article, p. 28) ou Philippe Pignarre (8) sont de ceux qui pensent que l'augmentation extraordinaire du nombre de patients à troubles dépressifs (multiplié par mille entre les années 50 et maintenant) doit être interprétée par une interaction entre l'industrie pharmaceutique, le monde scientifique et médical, et la société, qui tous ensemble suggèrent à l'individu que sa souffrance peut être étiquetée et prise en charge médicalement. - Les études épidémiologiques, qui tentent d'évaluer combien de personnes dans la population générale souffrent d'un trouble, montrent elles aussi combien l'étiquetage, le diagnostic peut varier selon les endroits. L'hyperactivité infantile est par exemple beaucoup plus souvent diagnostiquée, et traitée, aux Etats-Unis qu'en France. De même, une étude européenne (la Depres, Depression research in european society) a évalué une prévalence de dépression de 17 % dans la population générale d'Allemagne, Belgique, Espagne, France, Pays-Bas et Royaume-Uni (chiffre qui inclut les états dépressifs majeurs, la symptomatologie dépressive et les états dépressifs noncaractérisés) ; en France par contre, ce chiffre monte à 22,4 %. Et surtout, la prévalence des dépressions majeures est très différente entre la France (9,1 %) et l'Allemagne (3,8 %) (9). Constater combien il est difficile de définir ce qu'est une maladie mentale, ou un trouble mental, de les différencier des souffrances du moi et des difficultés que rencontrent nombre d'entre nous face aux aléas de l'existence et aux exigences de la vie en société, ne serait d'aucun intérêt si cela ne conduisait pas à se poser la question de la « guérison », ou du moins de la réduction de cette souffrance. Il est bien évident que la question du traitement à - ou à ne pas - proposer et de la forme qu'il doit prendre est fondamentale pour les spécialistes de la psychopathologie, et plus encore pour tous ceux qui en attendent aide ou solutions. Certains, comme Edouard Zarifian dans Le Prix du bien-être (Odile Jacob, 1996), s'inquiètent de la tendance à biologiser la maladie mentale et son traitement, par le recours de plus en plus fréquent à des médicaments psychotropes, aux effets secondaires certes nettement moindres qu'avant, mais qui conduisent à une surconsommation de ces produits. Peut-on, comme le fait Pierre Fédida, considérer la dépression comme un bienfait, car elle manifeste une tentative de l'individu de se protéger et d'exprimer un conflit (Les Bienfaits de la dépression, Odile Jacob, 2001) ? Supprimer la douleur qu'elle provoque risquerait, selon lui, de détourner la personne de la seule démarche qui permettra de déceler et de dénouer les conflits : la psychothérapie. Médicaments ou psychothérapie ? Les deux, répondent maintenant la plupart des spécialistes. Les psychotropes, puisqu'ils permettent d'atteindre un des objectifs de la psychiatrie, réduire la souffrance, ne peuvent être négligés. Mais ils ne peuvent non plus servir à masquer les interrogations sur le contexte dans lequel se trouve l'individu et sur l'éventualité d'une souffrance existentielle. Des livres pour mieux diriger sa vie « On aimerait délimiter nettement les frontières du moi. En fait, il n'existe aucune personnalité essentielle pure comme un filon d'or sous les scories de l'expérience et de la chimie. » Cette phrase est extraite du livre d'Andrew Solomon ( Le Diable intérieur , Albin Michel, 2002), dans lequel il témoigne de sa dépression et tente par une synthèse historique, psychiatrique et médicale d'offrir à ceux qui souffrent des mêmes maux la force de s'en sortir. Etre obligé de rappeler que le « moi pur » n'existe pas révèle combien, sans doute, chacun le cherche. Et c'est bien sûr à cette quête d'une connaissance de soi, et à ce mythe de la conquête du bonheur que répondent les maisons d'éditions, par une production très abondante de « guides pour mieux vivre ». Un Vivre heureux, psychologie du bonheur de Christophe André (Odile Jacob, 2003) vise comme on peut le lire au dos du livre à « permettre de faire le point sur vos aptitudes au bonheur, et offrir les clés pour bâtir peu à peu une vie plus heureuse ». Qui dit quête de bonheur dit bien sûr réduction de la souffrance que la vie peut infliger. On en arrive alors à parler des névroses ( Comment être un névrosé heureux , John Cleese et Robin Skynner, Odile Jacob, 2001) et de la maladie mentale. Les ouvrages fleurissent, qui permettent à chacun de mieux comprendre les maladies mentales, les symptômes qui les caractérisent, les traitements possibles, l'effet des médicaments, les différentes psychothérapies possibles, etc. Très didactiques, ils sont très souvent un mélange de témoignages, de références scientifiques et d'outil d'évaluation pour soi ou les autres. Le Petit ou grand anxieux ? d'Alain Braconnier (Odile Jacob, 2002) en est un exemple type : il commence par le témoignage de Sylvie, propose un chapitre pour «s'évaluer», et la partie du livre «Remonter aux sources» présente les théories scientifiques de l'anxiété. Pour la dépression, les différents portraits de déprimés que font Monique Brémond et Alain Gérard dans Vrais déprimés, fausses dépressions (Aubier, 1998), ou dans La Dépression de Suzy Soumaille (Médecine et Hygiène, 2001) ont le même objectif. Ce dernier livre affiche même plus explicitement son rôle, puisqu'il commence par un chapitre « Quand faut-il consulter ? ». Le titre de la collection développée par Odile Jacob est explicite : « Guide pour s'aider soi-même ». Gaetane Chapelle NOTES 1 H.F. Ellenberger, Médecines de l'âme. Essai d'histoire de la folie et des guérisons psychiques, Fayard, 1995. 2 G. Lanteri-Laura et L. Del Pistoïa, « Regards historiques sur la psychopathologie », in D. Widlöcher (dir.), Traité de psychopathologie, Puf, 1994. 3 S. Kirk et H. Kutchins, Aimez-vous le DSM ? Le triomphe de la psychiatrie américaine, Les Empêcheurs de penser en rond, 1998. 4 H.F. Ellenberger, op. cit. 5 F. Laplantine, L'Ethnopsychiatrie, Puf, « Que sais-je ? », 1988. 6 I.Hacking, Les Fous voyageurs, Les Empêcheurs de penser en rond, 2002. 7 A. Ehrenberg, La Fatigue d'être soi, Odile Jacob, 1998. 8 P. Pignarre, Pouvoir des psychotropes, pouvoir des patients, Puf, 1999. 9 V. Papadakos, Clinique sous influence, L'Atelier de l'Archer, 1999.