Note d`intention musicale
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Note d`intention musicale
Note d’intention musicale Les réalisateurs Sonia Gerbeaud et Mathias de Panafieu : Nous avons initialement écrit Oripeaux en imaginant une seule ambiance musicale, celle du bar, lieu de vie au coeur du village. L'univers de notre film, les recherches graphiques sur les paysages, les villageois, les ambiances rudes et sauvages, se nourrissent des paysages du sud des États-Unis et de films comme Délivrance de John Boorman ou encore Southern Comfort de Walter Hill. C'est donc spontanément une musique d'inspiration cajun et bluegrass que nous avons imaginé résonner dans ce village isolé. Nous envisagions une musique très proche de celle des Frères Balfa, et nous voulions travailler avec un compositeur pour créer une musique originale qui conserverait la singularité et l'énergie des compositions cajun. Nous avons rencontré Nathanaël qui a tout de suite été enthousiaste à l'idée de composer la musique du film. Après quelques échanges, il nous a proposé de décliner les sons et les instruments de cette musique des bayous pour créer d'autres compositions à des moments clefs du film Nous avions au départ l’idée que la musique interviendrait pour renforcer la création de cet univers imaginaire. Puis, nous avons réfléchis à d’autres possibilités d’interventions de la musique, en complément du travail de design sonore. (Nous souhaitons en effet que Nathanaël le compositeur supervise également le design sonore) 6 Nous envisageons donc pour ce film des compositions musicales centrées autour d’une instrumentation originale, permettant dans leurs déclinaisons d’apporter une lecture du film plus proche du personnage principal. Notre envie commune est celle d'une musique qui accompagne le spectateur dans le ressenti et la compréhension des émotions qui animent et déterminent les actes de la fillette, agissements qui correspondent logiquement aux points clés de la narration. Le compositeur Nathanaël Bergese : A la lecture du scénario, j’ai tout de suite été séduit par la portée quasi philosophique du propos : les relations entre les humains et les animaux, le changement amené par l’enfant dans un monde d’adulte, la notion de barrière entre les êtres et les mondes. J’ai été spontanément inspiré par la richesse de l’univers graphique du travail de Sonia et Mathias. Je suis parti de leur idée sonore du film, très axée sur le sound design, pour y apporter une intention musicale complémentaire au service du propos. Après plusieurs échanges constructifs, nous avons déterminé les passages à mettre en musique en adéquation avec la création de cet univers singulier. Dans Oripeaux, la musique sera ainsi diégétique et extradiégétique : le film commence par une scène dans un bar où les villageois, hors-champ, jouent une musique brute et franche. Les instruments de cette première partition seront ensuite réutilisés dans les compositions musicales extra-diégétiques. Elles seront principalement associées au personnage principal, la fillette. Les compositions interviendront comme une projection tangible des émotions, de l’univers intérieur de l'enfant. Les compositions musicales suivantes, extra-diégétiques, seront au service de la narration donnant forme aux émotions de la fillette, contrebalançant ainsi son attitude mutique et réservée. Pour toutes ces musiques nous réaliserons d’abord une ambiance sonore puis peu à peu ce travail sur l’espace sonore, axé sur le bruitage, laissera place à la musique. Ces compositions seront construites, notamment via l’instrumentation, en référence à la musique du bar. ! La première musique du film, d'influence cajun, sera interprétée par les hommes dans le bar. Ses sonorités accentueront le côté sauvage et isolé du village et de ses habitants. Nous voudrions mettre en avant les sons bruts et spontanés, les voix éraillées et alcoolisées des hommes, des textes dont on perçoit qu'ils parlent de beuveries, de femmes et de galères. Nous partirons ici d'une instrumentation référence, comprenant instrument à cordes pincées type guitare, banjo et contrebasse, cordes frottées comme le violon et percussions type cajón. Cette instrumentation sera ensuite déclinée dans l’ensemble des partitions. Le début de la chasse provoque un changement irrémédiable de comportement chez la fillette. Nous souhaitons signifier ce basculement notamment grâce à une musique lancinante et graduelle, qui symbolisera le développement de ses émotions, conditionnant alors ses actions à venir : culpabilité, angoisse puis colère. L’utilisation du Oud seul, en surimpression au sound design qui intègrera notamment les coups de feu, marquera cet écart entre la violence de l’action et l’intériorité de la fillette. Le Oud sera ici le cousin du Banjo entendu dans le bar, complétant ainsi la rupture créée dans la dramaturgie. 7 Passé l’anéantissement lié à la découverte des peaux, c’est alors la colère qui va progressivement envahir la fillette. Nous souhaitons ici utiliser la musique comme projection de la progression intérieure de la fillette, de la colère à la détermination. La musique commencera comme un bourdonnement, là encore c’est un bruitage qui va peu à peu s’amplifier pour se mêler avec une partition plus mélodique qui sera portée par la contrebasse à l’archet en déformant le son, ou le oud avec la corde grave désaccordée. La musique évoluera et gagnera en intensité à mesure que la fillette s'engage dans la forêt, l'accompagnant dans ce voyage vers l'inconnu. La course dans la forêt est un passage clé du film. Le spectateur est au départ dans l’incertitude, est-ce que les coyotes poursuivent la fillette où l’accompagnent ? Nous souhaitons accroître cette tension narrative grâce à l’intervention de la musique. Nous retrouverons alors les cordes frottées et les percussions qui joueront le jeu de la course, tandis que la pédale harmonique constante appuyée par la basse amplifiera la tension. Le glockenspiel viendra se superposer à l’instrumentation, son timbre cristallin exprimera cette sensation de mystère. 8 Le dénouement du film, quand les coyotes prennent la place et les armes des humains, s’inscrit dans le fantastique. Nous souhaitons que la musique accompagne ici ce glissement de genre. Dans un premier temps le bruitage sera travaillé de manière à créer une atmosphère flottante et étrange. Les sons du quotidien, vent, bruit de pas, grincement des maisons, seront ainsi déformé et travaillés de sorte à déréaliser le décor, les lieux. La musique va peu à peu se superposer à cette ambiance sonore et s’amplifier lorsque l’on découvre, avec le père, les coyotes armés. Nous utiliserons à nouveau le oud, qui retrouvera son rôle de décalage. Le violon sera utilisé pour ses sonorités aiguës, quelquefois en harmonique. La voix deviendra un habillage soutenant la tension par de longues notes tenues, l’ensemble sera coloré par le glockenspiel, déformé lui aussi. A la fin du film, la fillette s'affirme et revendique son attitude de défi face aux hommes et face à son père. La musique laissera ici place à la gestuelle, aux mouvements des corps et aux regards, dans un silence brusqué par le coup de feu, avant que la pluie ne vienne à son tour doucement habiter l'espace sonore, à mesure que la fillette et les coyotes repartent vers les bois. Au générique final, ce sera une musique proche de celle jouée dans le bar qui se fera entendre. Mais le ton sera moins festif, plus nostalgique. Le son prendra ici complètement le relais de l'image : on ne voit pas les villageois en train d'interpréter cette musique mais on comprend que c'est bien eux, qui chantent l'étrange histoire qu'ils viennent de traverser, cette révolte des animaux et de l'enfant, ce bouleversement de leur monde. Nous souhaiterions reprendre en symétrie le commencement du film, la musique nous indiquera ainsi que les choses ont changé, qu'un nouveau quotidien s'esquisse. En prolongeant la narration, cette musique sera une sorte de lien avec le devenir du village, de la forêt et de leurs habitants respectifs. Une projection aveugle, purement sonore. 9